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Full text of "Dernieres decouvertes dans l'Amerique septentrionale de M. de La Sale;"

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DECOUVERTES 


L’AMERIQUE 

SEPTENTRIONALE 

de M. DE LA SALE; 


Mifes au jour par M. le Chevalier 
T O N T 1 , Gouverneur du Fort Sains 
Louis, aux Illinois. 


A PARIS AU PALAIS, 

Chez JEAN GUIGNARD , à l’entrés 
4e la Grand’ Salle , à l’Image 
faint Jean. 



RP JC 




EXTRAIT BV PRIVILEGE 
du Roy . 


P Ar Privilège du Roy , dorii 
néàParis le 9. jourdeSep- 
-tembre 1696. Signé par le Roy 
en fon Confeil, Carpot : Il eii 
permis à Jean Guignard, Li- 
braire, d’imprimer ou faire im- 
primer un Livre intitulé , Rela- 
tion des dernier es Bécowvertes du 
Sieur de la Sale , dans l’ Amérique 
Septentrionale , rédigées & mi- 
les au jour par le Chevalier 
Tonti , Gouverneur du Fort S, 
Louis aux Minois , &c. pendant 
le temps de huit années , à com- 
pter du jour que ledit Livre au- 
ra été achevé d’imprimer pour 
la première fois -, avec deffences 
à toutes perfonnes de quelque 
qualité quelles foient , d 'impri- 
mer ou faire imprimer ledit L i- 


vre , n’y d’en vendre de con- 
trefaits fous quelque prétexté 
que ce foit , à peine de confifca- 
tion des Exemplaires contre- 
faits, de trois mille livres d’amen- 
de, & de tous dépens , domma- 
ges &: interefts ; ainfi qu’il eft 
plus au long porté par lefdites 
^Lettres de Privilège. 

Regifiré furie Livre de la Com - 
munauté des Imprimeurs & Li- 
braires de Taris , le to. Décembre 
1 6$6. Signé , P. Aubqüin,<S>#<&V. 

Achevé d’imprimer pour la 
premier® fois , le ai. Janvier 
i^7* 


NOUVELLE 



NOUVELLE RELATION 


DE L'AMERIQUE 

SEPTENTRIONALE. 

B ES Relations ne font à 
eflimer qu’autant qu’el- 
les font fidelles &: fin- 
ceres : çeHe-ci a l’un &c l’autre 
caractère ; la maniéré même 
dont elle ell écrite , le décou- 
vre aifément ; on y voit d’abord 
le motif qui engagea M. Cave - 
lier de la Sale , natif de Rouen y 
à pénétrer dans ces vaftes Con- 
trées qui reftoient à découvrir 
dans l’Amerique Septentriona- 
le. Le Ciel qui l’avoitdoüé d’un 
génie capable de toute forte 
A 


% Nouvelle Relation 
d’cntreprifcs , lui fuggera le de£t 
fein d’aller depuis le Lac appel- 
le Frontenac , jufqu’au Golfe de 
la Mer Mexique, En effet il fe 
refolut d’entrer dans ces T erres 
jufques alors inconnuës,pour fai- 
re connoitre aux Habitans , mal- 
gré leur barbarie , la vérité de 
la Religion Chrétienne , & la 
puiffance de nôtre grand Mo- 
narque. Plein de cette idée , il 
vint à la Cour pour la commu- 
niquer au Roi. Sa Majefté ne fe 
contenta pas d’approuver fon 
deffein , elle lui fit expédier des 
ordres , par lefquels elle lui ac- 
cordoic la permiffion de l’aller 
exécuter -, & pour lui faciliter 
l’exécution d’un fi vafte projet , 
on lui fournit peu detems après, 
les fecours neceffaires,avec liber- 
té entière de difpofer de tous les 
Pais qu’il pourroit découvrir. 

En ce rems-là f après huit an* 


de l f Amérique Sept . | 

nées de fervice , tant fur Terre 
que fur Mer > aïant eu en Sicile 
une main emportée d’un éclat 
de grenade , j’écois à la Gour , à 
dedeind’y foliciterde l’emploi: 
M. de la Sale après avoir obtenu 
de nôtre genereux Prince tout 
ce qu’il fouhaitoi: , & même 
plus qu’il n’ avoir demandé, Ce 
difpoloit à partir pour l’ Améri- 
que. M. le Prince de Conti , qui 
l’avoit beaucoup appuïé dans fa 
demande , & qui m’honoroit de 
fa proteélion , eut la bonté de 
nie propofer à lui pour l’accom- 
pagner dans fes volages. Il n’en 
fâlut pas davantage pour enga- 
ger M. de la Sale à me recevoir 
au nombre de ceux qu’il vouloir 
emmener avec lui pour fen ex- 
pédition. Ce nombre qui pou- 
voir aller à trente hommes , tant 
Pilotes que Charpentiers ou au- 
tres Artifans , étant complet , 


4 Nouvelle Relation 
nous partîmes de ig. Rochelle le 
14. Juillet 1678. &. nous arrivâ- 
mes à £hiebec le ij. Septembre 
fuivant. Nous y fejournâmcs 
quelques jours , U. après avoir 
pris congé de M. le Comte de 
Frontenac , Gouverneur general 
du Pais , nous montâmes le Fleu- 
ve S. Laurent jufqu’au Fort de 
Frontenac , & nous prîmes terre 
au bord du Lac de même nom , 
à iîx vingt lieues de Quebec , Fur 
le 44. degré de latitiide, 

Laecte Ce Lac a trois cent lieuës de 
îa° ntC " tour ou environ communique 
avec quatre autres d’une pareille 
ou plus grande étendue : ils Font 
tous d’une navigation trés-çom- 
niode,& Font fournis de toute 
forte de pêche. L’entrée de ce 
premier Lac eft défendue par 
un Fort foutenu de quatre gros 
battions, dans le fonds d’un baf- 
fm , capable de contenir une 


de P Amérique Sept. f 
nombreufe flotte:Comme c’étoic 
l’ouvrage de M. de la Sale, le Roi 
lui en avoit donné la propriété 
avee celle de tous les autres 
Lacs & de leurs dépendances:Les 
environs en font charmans,ce ne 
font que belles campagnes , que 
vaftes prairies , que grands bois 
de haute fuftaïe, que coteaux 
garnis de toutes fortes d’arbres 
fruitiers. Ce fut-là le terme de 
nôtre première courfe , & d’où 
nous prîmes refolution de pouf- 
fer nos découvertes jufqu’aux 
dernieres contrées dé ce vafte 
Continent. 

Comme entre tous ceux qui 
accompagnèrent Monfieur de la 
Sale, nui n’eut plus de part que 
moi à fes travaux , foit pour 
m’être toujours fortement at- 
taché à les féconder, foit pour 
m’être vu chargé par fa mort 
prématurée, de tout ce quiman- 


£ Nouvelle Relation 
quoic à l’accompliiTement de 
fon deiïein , je puis me flater que 
perfonne ne fauroit donner plus 
de lumières que moi, fur une fi 
glorieufe & fi importante entre- 
prise; les Mémoires que j’ai faits 
par jour , me ferviront de guide 
pour en retracer toutes les par- 
ticularitez ; je reprefenterai naï- 
vement les chofes telles que je les 
ai vûës -, & fi la neceffité de m’é- 
loigner quelquefois d’auprès de 
lui , m’en a fait manquer quel- 
ques-unes, je ne les rapporterai 
que fur le témoignage oculaire 
des perfonnes , de la foi des- 
quels je fuis garand comme de 
la mienne. Qu/on ne s’attende 
pas ici à des defcriptions pom- 
peufes, dont on a coutume d’em- 
bellir ces fortes d’Ouvrages j on 
verra regner par tout une gran- 
de fimplicité jointe à une gran- 
de exactitude j mon ftile Semble- 


de /’ Amérique Sept. 
fa peut-être rude & groffier, SC 
c’eft en cela qu’il pavoitra plus 
conforme au naturel de ces Pais 
ou de ces Peuples fauvages. 

Cependant à conliderer la 
grandeur de cette entreprife , les 
périls & les difficultez qu’il a fa- 
lu furmonter pour la conduire, 
ou pour la confommer ; fans par- 
ler même des avantages qu on 
peut retirer de la connoilfance 
deces climats éloignez , on peut 
dire que cet Ouvrage mérité 
bien la curiofité du Le&eur , 
puifque c’eft une découverte de 
plus d’environ dix-huit cent 
lieues , tant du Nord au Sud , 
que du Levant au Couchant ; 
En un mot c’eft: cette grande 
étendue de Terre qu’on a nom- 
mée la Loüijïane , depuis qu’on 
en a pris pofleflion au nom de 
Loüxs le Grand. 

Ces terres , toutes incultes 
A iiij 


$ Nouvelle Relatim 
• quelles font, portent la plupart 
J des fruits , que l’art & la natu- 
re font naître dans les nôtres ; 
les champs y produifent leurs 
moiffons deux fois chaque an- 
née fans le fecours d’une péni- 
ble agriculture ; la vigne y por- 
te en certaines contrées de gros 
raifîns fans le foin du vigneron 5 
les arbres fruitiers n’ont befoin 
ny de la coupe , ny dés greffes 
pour y donner les meilleurs 
fruits; tout y vient fort naturel- 
lement & en abondance; le fol 
le climat y eft prefque par tout 
doux & temperé ; on y voit cer- 
taines Régions traverfées par une 
grande quantité de ruiffeaux; 
d’autres arrofées par de très- 
grands fleuves , d’autres entre- 
coupées par des valons , par des 
montagnes , par des bois & par 
des prairies ; Au travers de ces 
vaftes forêts errent des animaux 


de l'Amérique Sept. 5 
de toute efpece ; des bœufs , des 
orignacs , des loups communs , 
des loups cerviers , des afnes fau- 
vagçs , des cerfs , des chevres , 
des moutons , des renards , des 
lièvres , des caftors , des lou- 
tres } de gros & de petits chiens, 
avec une abondance infinie de 
toute forte de gibier ; Sc tout 
cela à la merci de ceux qui ont 
la force ou l’adreffe de s’en ren- 
dre les maîtres. On y a décou- 
vert des mines de fer, d’acier, 
de plomb ; l’on pourroit bien y 
en trouver d’or & d’argent , fi 
on fe donnoit la peine d’en 
chercher ÿ mais ces hommes qui 
habitent ces Régions , ne mefu- 
rant le prix des chofes que par 
rapport aux neceffitez de la vie, 
& non par cette valeur imagi- 
naire uniquement fondée fur l’a- 
varice , fe font peu foucié de 
ces tréfors , de ne fe font nulle- 


îo Nouvelle Relation 
ment mis en peine de creufeî 
la terre pour les en tirer. 

Mœurs Ces hommes au refte n’ont 
àc fes prefque rien de l’homme que le 
* ut)Iias ' nom j les noms mêmes en font 
prefque auffi barbares que les 
moeurs : Ils vivent fans loi, fans 
art , fans religion; ils ne con- 
noi fient ni fuperioricé , ni fub- 
ordination ; l’indépendance & la 
liberté font leur fouverain bien. 
Leur vieefl prefque toujours er- 
ran te;ils n’ont rien de fixe, rien de 
borné dans leurs poffeffions, ni 
même dans leurs mariages 5 ils 
prennent une ou plofîeurs fem- 
mes, félon leur fantaifie ; ils les 
gardent ou les quittent quand il 
leur plait; s’ils fe dégoûtent de 
quelqu’une , un autre s’en ac- 
commode ; ils en ufent à peu 
prés de même pour les terres 
qu’ils cultivent, ou qu’ils habi- 
tent après les avoir quelque tems 


de l’ Amérique Sept. ii 
travaillées , ils les abandonnent 
pour aller ailleurs ; alors un 
nouveau-venu s’en empare, &: 
faille à quelqu autre les fonds 
qu’il vient de cultiver; ainfi cha- 
cun choififl'ant à fon gré tantôt 
une habitation , tantôt une au- 
tre, & vivant tous dans une ef- 
pecede communauté de biensjils 
fe croyent tous égaux, & s’imagi- 
nent que l’Univers n’elt fait que 
pour eux r car chacun d’eux fe 
croit le maître de la Terre. 

Pour ce qui concerne la Reli- 
gion, quoi qu’ils aient quelque Leu^ 
fombre idée d’unDieu,ils vivent Rel ®® 
comme s’il n’y en avoit pas ; quel- 
que puidant qu’ils croient ce 
Dieu, ils le croient trop occupé 
de fa propre grandeur , pour fe per- 
fuader qu’il prenne le moindre 
foin de leur conduite. Les uns 
adorent le Soleil , les autres pen- 
fent que tout eft plein de certains 


Î2, Nouvelle Relatîoti 
Efprits , qui préfident à toutes 
leurs avantures ; iis croyent mê- 
me que chaque chofe a fon gé- 
nie particulier a ôc qu’elle ne 
nous eft profitable ou nuifible, 
que félon qu’il plaît à ce genie j 
de-là viennent leurs folles fu- 
peftitions pour leurs Iongleurs 
ou pour leurs Monitous , qui 
font comme leurs Prêtres , ou 
ufcnt* 1 ' P^tôt i curs Sorciers, 
qu’ils A l’égard de leurs âmes, la 
te dc P^ u P art f° nt incapables de por- 
ter leurs reflexions jufiques-là > 
ou s’il y en a quelques-uns qui 
fembîent perfuadez, de l’immor- 
talité , ce n’efl: que fur les prin- 
cipes de la Metempfycofe , dont 
ils le forgent mi lie fonges creux, 
cent fortes de rêveries imper- 
tinentes. Je croirois me rendre 
plus ridicule qu’eux, fi je voulois 
entrer dans le détail de leurs ex- 
travagances fur ce fuj et; ce qu’il y 


de r Amérique Sept. 13 
à de vrai, c’eft qu’ils font fi durs, 
fi indociles fur le chapitre de la 
Religion ou de la Divinité, qu’ils 
ne font convaincus ni de leur 
propre croïance , ni de .celle 
des autres , & qu’ils ne prennent 
que pour chanfons tout ce que 
les plus faints Miffionnaires tâ- 
chent de leur infpirer la-deffus. £eurs 
Cependant au travers de cette bonne* 
humeur brute & barbare , on te- 
marque eneux un certain fonds 
de bon fens , qui leur fait tres- 
bien demcler leur propre inte- 
reft d’avec celui des autres , 
qui les rend capables de négo- 
ciation , de commerce , de con- 
feil, qui leur fait enfin prévoir les 
fuites des grandes entreprifes , & 
prendre de juftes mefures , ou 
pour en avancer l’heureux fuc- 
cez, ou pour en détourner les 
dommages; S’ils ont à délibérer 
fur quelque importante affaire , 


H s Nouvelle Relation 
cen eft qu’éranc tous .affis dansr 
un lieu feparé du bruit, prenant ou 
fumant du tabac, tout le monde 
gardant un profond filence , tan- 
dis qu un de la compagnie propo- 
le avec beaucoup de gravité l’é- 
tat de 1 affaire & fon fentiment. 

manie- ^ ur < ï uoi 11 à remarquer 

KS par- que quelque traité , quelque 
tKuüc- accommodement qu’ils aient 
a faire , ils ne font jamais 
aucune convention , qu’aupa- 
lavant ils ne fe foient fait des 
prefens réciproques , & qu’ils 
ne fe foient regalez. C’eft pour 
cela qu’ils ont leur chaudière de 
paix j & leur chaudière de cm er- 
re ; ils annoncent la paix avec 
un bâton ou pieu fiché en terre, 
qu ils appellent Calumet, ou avec 
des colliers, qui font le fymbole 
de 1 union ; mais pour la Guer- 
re, ils ne la déclarent que par 
des cris & par des hurjemens 
épouvantables» 


de l'Amérique Sept. ïf 
Ils favent non feulement 
camper , mais fe retrancher , fe cn r ar t 
palilTader , fe fortifier » & gar- ™ ,licai * 
der même quelque efpèce d’or- 
dre dans leurs attaques &: dans 
leurs combats. 

Quoi que la terre leur donne Leur 
indifféremment toutes fortes de 
grains & de plantes , comme ils C uSuie< 
en ont obfervé quelques - unes 
plus propres pour la nourriture 
que les autres , ils prennent plus 
de foin de les femer & de les cul- 
tiver i de forte qu’ils ont leur fe- 
maille & leur récolte comme 
de leur bled d’Inde , dont ils 
font une boüillie tres-nourrif 
fante & d’un fort bon goût , de 
leur T ouquo , dont ils font leur 
caffave , & de certains navets, 
dont ils font leur cajjimite. 

Ils tirent de certains arbres On tco- 
des baumes tres-excellens , ils d ^ s " 
ont metne une efpece d’inftia£t firopiea 


Ï6 Nouvelle Relation 
pour connoître les (impies , tant 
ceux qui leur font falutaires,que 
ceux qui leur font nuifibles , &c 
favent fort bien s’en fervir pour 
fè guérir des plaies ou des mor-, 
fureslesplus envenimées. 

Cttono- Ce ne ^ P as touc y ils portent 

mic. leur connoiflance jufqu’au Ciel , 
ils favent quel eft le cours du 
Soleil , de la Lune & des autres 
Etoiles ; par là ils prevoyent les 
changemens des Saifons , des 
jours & des vents. 

ndreifc Ils joignentà ces lumières l.'a- 
dreffe de faire dès ouvrages aufli 
utiles que merveilleux î ils tra- 
vaillent en certains pais à des 
nattesd’un tiflu tres (în 3 tant pour 
fe couvrir eux-mêmes que pour 
orner leurs cabannes : En d’au- 
tres endroits il y en a qui favent 
apprêter les peaux pour s’en faire 
des veftes ou des fouliers ; mais 
leur induftrie excelle fur-tout 

dans 


en 


de F Amérique Sept. 17 
dans la conftrucUon de ces Ca- 
nots qui n’enfoncent jamais : ils ^ ri ç 
les fabriquent avec de l’écorce la con- 
d’orme , de noïer ou de fureau, 
longs de dix ou douze pieds , nots.. 
larges à proportion , les bords 
vers le milieu tournez en de- 
dans en forme de gondqle, pour 
les faire alltr au lieu de raines 
ou d’avirons : ils fe fervent de 
deux battoirs comme des deux 
mains ., avec quoi ils repouflerae 
l’eau d’tin côté &T d’autre, ils 
appellent cela > nage r -, & comme 
le. Canot ne va qu’à fleur d’eau 
à caufé de fa legereté naturelle, 
ils voguent tant en montant 
qu’en defcendant avec une vî- 
telfe incroïable -, c’eft par le . 
moïen de ces légers vaifleaux, 
qu’ils parcourent ou remontent 
les fleuves les plus longs , qu’ils 
franchiflent les courans les plus 
rapides , qu’ils affrontent même 


i§ Nouvelle Relation 
les mers fans craindre les écueils 
ni les orages. 

.JS . Pour Ieu / S voi ^ ,:s p ar terrc > 

par ter' n y aianc dans ces immenfes de- 
IC> fercs ni route certaine, ni ren- 
tier fraie , ils fe conduifent par 
quelques marques qu’ils gravent 
de diftance en diftance fur 1 e- 
corce des arbres ; c’eft à la fa- 
veur de ces indices, que les fem- 
mes mêmes vont quelquefois 
rejoindre leurs maris à la chaf- 
fe , ou chercher dans le fond des 
bois le gibier qu’ils y ont laide ; 
Rarement le Sauvage fe donne- 
£-ü la peine de l’apporter -, il 
charge fa femme du foin de l’al- 
ler che cher, de l’apprêter & de 
le boucanner, 

Leur Je ne faurois me difpenièr ici 
mena- <] e f a j re une ] e gere peinture de 
leur maniéré d’agir , de fe loger, 
de fe couvrir, en un mot de leur 
ménage. 


de P Amérique Sept, 19 

Pour leur logement , s’ils en j o g C e “ r 
ont , car il y en a beaucoup qui 
errent dans les bois , ôc qui gî- 
tent à l’avanture : s’ils ont un lo- 
gement , ce ne font que des ca- 
bannes faites de bouflilage ou de 
branches d’arbres fichées enter- 
re, entrelafiees de fort prés les 
unes des autres , réünies par en 
haut, ou recouvertes de feiiil- 
les ou de cannes : le dedans eft 
pour l’ordinaire a fiez propre- 
ment natté ; le plancher eft ou 
le fol même de la terre , ou une 
efpece de parquetage foutenu 
fur de gros troncs d’arbres , ou 
fur des pieux. 

Leurs lits font aufli bâtis de L .^ euia 

quelques pièces de bois appuices 

fur de greffes fouches , & entou- 
rez de quelques claies , la plu- 
part garnis de greffes peaux four- 
rées de laine , ou remplies de 
paille : pour couverture, ils ont 


20 Nouvelle Relation 
des fourrures ou des nattes $C- 
fez bien travaillées. 
ufkn UtS le font aufli des caves oit 
cilcT de des huttes pour y garder leur 
caifiae. bois, leur bledd’inde, ou leur 
provifion ; toute leur batterie 
confifte en quelque efpece de 
vaifielle ou de poterie qu’ils fa- 
çonnent avec de l’argile , & 
qu’ils font enfui te recuire avec 
de la fiente de boeuf : Au defaut 
de moulins ils broïent leurs 
grains & leurs bleds avec de 
grolfes pierres rabboteufes, qu’ils 
tournent, à force de bras , l’une 
fur l’autre ; certaines pierres tren- 
chantes leur fervent de cou- 
teaux , à moins qu’ils n’en aient 
par le commerce des Euro- 
péans. 

Leurs Ils ont pour armes l’arc & la 
armes. fjé c he 5 l’ extrémité meurtrière 
du dard eft garnie au défaut du 
fer, ou de quelque pierre , ou 


/ 

P' 

de P Amérique Sept. zi 

<!e quelque dent , d’une force & 
d’une durecé à couc fracaifer ; ils 
portent de grofles mafluës,ou de s 
bâtons pointus au lieu d’épées 
ou de hallebardes i ils favent 
fe cuiralTer avec des corcelets de 
bois, ou avec de grofles peaux 
mifes les unes fur les autres , & 
fe font des boucliers de mê- 
me. 

A l’égard des vétemens , la 
plupart ne s’en fervent pas , & 
vont tout nuds -, leurs corps font 
accoutumez & endurcis à toutes 
les injures de l’air , & leurs pieds 
infenfibles aux cailloux & aux 
épines î il efl; vrai que les fem- 
mes par un relie de pudeur na- 
turelle qui paroît au travers de 
leur brutalité , portent au def- 
fus des reins une grofle ceintu- 
re d’où tombent deux peaux en 
forme de banderolle , qui voi- 
lent un peu leur nudité. 


Lfcur* 

vetc- 

mens* 



Soin du 
ménage 
partagé 
entre 
l'hom- 
me & la 
femme, 


zx Nouvelle Relation 

Au deflus de Quebec &C plus 
avant vers le Nord où les froids 
font extrêmement âpres, les Sau- 
vages font couverts de peaux 
d’ours, de cerf ou d’élan , qu’ils 
coufent enfemble le mieux qu’ils 
peuvent} mais dans les climats les 
plus chauds, comme vers la Mer 
Mexique, la plupart font vêtus 
de certaines nattes tres-fines & 
tres-déliées, tilfuës de leurs pro- 
pres mains. 

Le foin du ménage fe partage 
entre le mary & la femme : ce- 
lui-ci fe donne la peine d’aller 
chercher la provilion , & de four- 
nir à l'entretien de fa famille , 
foitpar la charte, foi t par le tra- 
fic. La femme prend le foin de 
cultiver la terre , & de recueil- 
lir ce qu’elle a femé. Quelque- 
fois elle va glaner dans les bois , 
foit pour y choifir quelque her- 
be potagère ou quelque racine 


de r Amérique Sept. 15 

bonne à manger , foi't pour en 
rapporter quelques fruits , com- 
me figues , pommes , poires , 
melons , pêches , raifins , meures, 

&c autres^ 

Dés que le Sauvage eft de Cequ« 
retour dans fa famille , il prend 
fa pipe, fume , & tout en fumant g C au 
déclaré à demi-mot ce qu’il ^ ec< | ui: 
veut , ce qu’il a fait, ou gagné ; 
s’il a tué quelque bête , il indi- 
que legerement l’endroit où il 
l’a lailfée 5 fa femme comprend 
d’abord ce qu’il veut dire, s’en 
va & déméle parfaitement bien 
les routes qu’elle a tenues. 

On remarque dans le Sauvage Carae- 
beaucoup de gravité & d’auto- ‘ C£C des 
nte ; dans la remme beaucoup ges. 
de fouplelfe & d’obéïflance ; Sc 
comme ils ne fuirent en tout ce 
qu’ils font que leur inftinél 3c 
leur fenfualité ; leur maniéré 
d’agir eft toujours fans fard 3Ç 


Dt* fe- 
r?æs fou- 
lages. 


14 Nouvelle Relation 
fans affectation , & l’on peut di» 
re que l’union conjugale entre 
eux eft moins l’effet dune véri- 
table amitié , que de cette incli- 
nation qui nous eft commune a- 
avec les animaux. 

Leur vie étant toujours dans 
faction , toujours dans les cour- 
fes & dans les fatigues , on re- 
marque que les femmes fauva- 
ges font exemtes de ces incom- 
moditez naturelles que les au- 
tres femmes fouffrent ; mais ce 
-qui doit le plus furprendre en 
elles c’eft qu’on prétend qu’el- 
les accouchent fans douleur^, du 
moins c’eft fans aucun apparèil, 
fans autre façon > chemin fai- 
fanc ; tout leur ttouffeau n’eft 
que leur propre ceinture , ou 
quelques peaux qu’elles portent 
en pareils cas. 

La manière dont elles élevent 
leurs enfans eft allez extraordi- 
naire. 


de V Amérique Sep. z$ 

Maire, fans linge , fans langes ; el- 
les ont trouvé le moien de les 
tenir mollement , &. à couvert, 
bien propres , bien nets , fans 
avoir prefque befoin de les re- 
muer : Toute leur layette confi- 
ée en une elpece de mâne ou de 
huche pleine de poudre de ver 
moulu ÿ on fait qu’il n’eft point 
de duvet plus fin ni plus mol 
<que cette poudre , rien n’efl: en 
même tems plus propre à con- 
sumer les ordures & les humi- 
ditez j Elles pofent leur enfant 
là-defîüs , le couvrent bien pro- 
prement avec de bonnes fouru- 
res , & le fanglent avec de for- 
tes courroies pour l’empêcher 
de tourner ou de tomber ; en- 
fuite pour le changer elles n’ont 
qu’a remuer cette poudre , & à 
recoucher l’enfant ; il eft d’a- 
bord à fec , & auiïi mollement 
^'auparavant. Quand cette 
C 


leur 

maniè- 
re d'éle- 
ver 
leur> 
enfans. 


Nour- 
riture 
qu’elles 
leur do 
cent. 


16 ! ''Nouvelle Relation 

poudre a fuffifamment fervi , el- 
les la renouvellent & continuent 
le même manège jufqu’à tant 
qu'elles l’aient fevré. 

Elles continuent enfuite de le 
nourrir avec leur boüillie de bled. 
d’Inde : à peine peut-il le ler- 
vir de fes mains & de fes pieds, 
qu’ils lui donnent un petit arc ; 
l’enfant s’accoutume à tirer, &: 
fuivant fon pere & fa mere dans 
les bois , il en apprend les rou- 
tes, Ôc prenant incelfamment leur 
même train il s’abandonne enfin 
à ce libertinage fi naturel à tous 
ces peuples , & fe fait à cette 
vie fauvage , qui leur eft commu- 
ne avec les bêtes. 

Je ne finirois point fi je vou- 
lois ici expliquer toutes les cou- 
tumes & façons d’agir de ces 
Sauvages ; ce que je viens d’en 
dire,fuffi‘ pour faire comprendre 
que leur Intelligence eft bornée 


de T Amérique Sept, 27 
aux feules neceilitez de la nam- inclina- 
is qu’ils femblent s’être fait 11011 des 
une loi de vivre fans lois ; étant g^ Uva 
nez dans les bois , leur plus for- 
te paffion eft pour la chaffe & 
pour les armes 3 atiffi ont-ils tous 
une férocité naturelle , qui les 
anime fans celle les uns contre 
les autres , &: qui les porte à fai- 
re la guerre aux animaux, quand 
ils ne peuvent pas la faire aux 
hommes. 

C’eft au travers d’un nombre m.&îi 
innombrable de ces Nations Sakeâ- 
barbares que M. de la Sale , ac- 
compagne de trente hommes homes 
tout au plus , entreprit de pé- £“ tr “ 
netrer dans le milieu de ces fpa- pï s . 
tieufes Provinces , &: d’en tra- 
verfer toute l’étendue 1 peut-être 
croira-t-on qu’il ne s’y engagea 
que tres-bien pourvu de tout ce 
qui pouvoit lui être neceflaire 
dans un fi long voïage. Ses meil- 
C ii 








2$ Nouvelle Relation 
leures munitions confiftoient en 
poudre , en plomb & en armes. 
Il ne fit fonds pour fa bouche, 
que fur ce que le hazard de la 
chaflê ou de la pêche lui pour- 
roit fournir , & fur quelque peu 
de Cajfamite Ôc de lard pour le 
temps de fa navigation ; toute fa 
voiture ne fut au commence- 
ment qu’une barque & quelques 
canots. La plupart du tems fur 
terre nous n’ayions que des traî- 
neaux , avec lefqueîs nous é- 
tions obligez de conduire nô- 
tre équipage ; fouvent même 
n’aïant ni Barque ni Canot nous 
nous vîmes réduits à palier des 
fleuves ou des rivières fur des 
branches d’arbre entrelaflees en 
forme de cayeu ; Pour tout gui- 
de au milieu de ces vaftes de- 
ferts &: de ces pais inconnus 
nous a.vions feulement la bouf- 
fole ou le genie de nôtre con- 





de V Amérique Sept. 19 
du&eur , qui félon les diverfes 
inclinations de l’aiguille aiman- 
tée , 5c par la fcience qu’il avoir 
des étoiles 5c des vents , con- 
noifloit à peu prés le climat où 
nous étions , & fe formoit au 
plus j ulle la route que nous de- 
vions tenir. 

C’ell avec ces foibles fecours 
que nous parcourûmes ces va- 
fles campagnes , tantôt forcez, 
de combattre de petites Armées 
de Sauvages , qui faifoient mi- 
ne de vouloir nous arrêter, ou 
plutôt nous devorer -, tantôt 5c 
prefque toujours en peine de 
nous défendre la faim ; contre 
après un grand nombre de périls 
& de travetfes nous eûmes la fa- 
tisfaélion de trouver la mer Me- 
xique comme le terme de nôtre 
longue 5c dangereufe courfe ; 
nous eûmes même la confec- 
tion , après de très- grandes a£~ 
C iij 




lac £i- 
gciieur. 


30 Nouvelle Relation 
Aidions , de revenir au terme 
d’où nous étions partis 3. mais 
avant que d’entrer dans le dé- 
tail de toutes nos avantures , il 
faut dire d’abord que nous fûmes* 
obligez de nous faire paflage au 
travers de quatre grands Lacs, 
qui font autant de grands Gol- 
fes. 

Le premier de ces quatre 
Lacs eft fur le 47. degré de 
latitude. On l’appelle Lac Su- 
périeur y autrement Lac de Fron- 
tenac -, fa traverfée eft d’environ 
quatre-vingt lieues , & il en a 
bien trois cent de circuit : il fe 
joint avec un autre , nommé le 
Lac Herié ou de Conti par un 
canal de vingt lieues , dont le 
courant fe précipité dans le pre- 
mier Lac par un faut de cent 
toifes de hauteur ; on appel- 
le ce courant le Saut Niagara* 
Le Lac de Conti fe communi- 








de V Amérique Sept. je 

que, par un autre détroit tres- 
rapide , à un troilîéme nommé 
des Hurons ou & Orléans : celui- 
ci fe joint du côté du Sud par 
un détroit d’environ quinze 
lieues , avee un quatrième qu’on 
nomme le Lac des Ijlinois , au- 
trement Lac Dauphin , & du cô- 
té du Nord avec le dernier & le 
plus grand de tous, qu’on appel- 
le Lac de Condé : nous laiflames 
celui- ci à côté , mais nous paflâ- 
mes les quatre autres. 

Ce fut le 18. Novembre de Em!ja '5* 
l’année 1878. qu’aprés un fejpur i'T-* 
de quinze jours au Fort de Fron- 
tenac , nous nous embarqua- 
mes dans un V ai fléau de qua- 
rante tonneaux , pour faire le 
trajet du premier Lac ; ce fut 
la première Barque qui ait ja- 
mais paru fur cette petite mer; 
nous eûmes toujours les vents 
contraires , & après une très- 


32. Nouvelle Relation 
perilleufe navigation d’un mois, 
. nous nous trouvâmes à J a hau- 
teur d T un Village qui a nom 
St, Onnontoüane , où M. de là 
Sale en vota quelques Canots 
chercher du bled d’Inde pour 
nôtre fubfiftance : nous conti- 
nuâmes cependant à faire voile 
vers Niagara ; mais le courant 
étoit trop impétueux , & d’ail- 
leurs les vents trop contraires 
pour en approcher de plus prés 
que de neuf lieues ; ce qui nous 
obligea de débarquer à un bord 
affez commode , d’où nous al- 
lâmes par terre jufqu’à Niagara j 
ceft un Village fi tué fùr le Lac 
Conti , auprès du Saut de même 
nom , dans les Terres des Iro- 
quois. 

îro * Cette Nation la plus belli- 
< ’ ü0lS ‘ queufe la plus cruelle qui foit 
dans l’Amerique , s’étend depuis 
Montréal , ou plutôt depuis le 



de l* Amérique Sept . 33 

«onfluent de deux rivières , qui 
forment le fleuve St. Laurent, 
jufqu’à l’extremité du Lac Con- 
ti , dans l’efpace de plus de 
deux cent lieues vers le Sud. Ce 
peuple jaloux de la gloire , & de 
l’honneur de commander à tous 
les autres , dés qu’il fait qu’il y 
en a quelqu’un qui fe rend plus 
puiflant que les autres , ou par 
le nombre de fes combattans, ou 
par l’étendue de fes terres, ne 
le fait pas une affaire de l’aller 
chercher jufqu’à deux ou trois 
cent lieues pour le dompter, & 
pour le foumettre : Il eft infa- 
tigable dans la peiné, intrépide 
dans les dangers, d’une confian- 
ce à l’épreuve de tous les fup- 
plices : il ne fait ni ne deman- 
de jamais quartier -, il fe nour- 
rit du fang de les ennemis , & 
joint à cette extrême cruauté 
toute la rufe , toute l’adrefle , 


54 'Nouvelle Relation 
& même toute la prévoïaBce 
qu’on peut fouhaiter dans les 
plus grands Guerriers. 

Rcçoi- Cette Nation toute intrai ta- 
rent bic ble toute farouche quelle eft , 
jois. ne laula pas de nous recevoir- 
fort humainement: Nous cou- 
châmes une nuit dans leur Vil- 
lage, & le lendemain nous allâ- 
mes à trois lieues plus haut 
chercher un lieu propre à bâtir 
un Fort. Après en avoir trouvé 
un , M. de la Sale en fit le plan, 
eh jetta les premiers fon dé- 
mens s aulfi-tôt on y travailla 
avec diligence -, mais les Iro- 
quois en aïant conçu de l’om- 
brage, nous jugeâmes à propos, 
pour ne pas nous attirer un fi 
puiflant ennemi , d’en interrom- 
pre la continuation , mais feule- 
ment de fortifier par de bonnes 
palilfades ce qu’il y avoit de fait. 

M. delà Salle ay oit déjà don- 



' de t Amérique Sept. 3£ 
né fes ordres pour la conftru-» 
étion d’une Barque , la faifon* 
étoit avancée , le froid tres-ru- 
de , & les rivières p ri fes par 
tout : ces vaftes étangs n’étoient 
plus qu’une grande campagne 
glacee , fur laquelle on pouvoir 
aller comme fur un marbre uni$ 
Content d’avoir connu le ter- 
rain , il voulut aulîi reconnoître 
les Habitans , & s’étant mis en 
état de les tenir en refpeét par 
fon ouvrage à demi-fait -, il vou- 
lut, en attendant le Printems,em- 
ploïer le refte de l’hyver à ra- 
malTer des pelleteries , & toutes 
fortes de munitions pour four- 
nir aux frais de Ion voïage. C es. 
raifons f obligèrent de s’en re- 
tourner a Frontenac fur les gla- 
ces •, il commanda auparavant 
quinze hommes pour aller cher- 
cher les Illinois , le devancer, Minois, 
& lui préparer les voies & me 


$6 Nouvelle Relation 
laiflâ pour Commandant à Nia- 
gara avec trente hommes & un 
Pere Recollet. 

Dés le printems il y fit tranf- 
porter de Frontenac toutes fortes 
de provihons & de marchan- 
difes par la Barque qui nous y 
avoit conduits j mais enfin le 
malheur voulut qu’aprés pîu- 
fièurs trajets , la Barque périt au- 
près du rivage , par la faute du 
Pilote; on en fauva les meilleurs 
effets ; cette perte fut reparée 
par le nouveau bâtiment qui fe 
trouva achevé vers le commen- 
cement du printems. 

M. de la Sale qui avoit l’em- 
preffement de revoir fa nouvelle 
Barque , & de renouveller fes 
liaifons avec les Iroquois , ne 
tarda pas à nous venir rejoindre. 
Il entra auflitôt en commerce 
avec eux 3 tâcha par toutes for- 
tes de voies de leur imprimer 


de V Amérique Sept. 37 

de la crainte & du refpeét pour 
le Roi , s’accommoda de leurs 
meilleures marchandées s en 
remplit Ton nouveau magazin, 
& m’ordonna cependant d’aller 
àfix -vingt lieues de là reconnoi- 
tre les côtes Sc les terres qui font 
au delà des Lacs vers le Nord- 
Eft. Je m’embarquai dans un Ca- 
not avec cinq hommes ; après 
deux jours de navigation , j’arri- 
vai au détroit du Lac Herié : 
C’eft un canal d’environ trente 
lieues de long , par où ce Lac 
fe joint avec celui des Hurons : 
j’allai prendre terre à un de fes 
bords du côté du Nord : étant 
là je m’informai auflkôt de nos 
gensj l’on m’apprit qu’ils avoient 
pafl'é plus haut j le defir de les 
rencontrer me fit faire une re- 
veüe exacte du pais ; c’étoit une 
efpece de prefqu’Ille en forme de 
cœur compris entre ces trois 


LacHe» 

rié. 



'Nouvelle 'Relation 
Lacs. Apres avoir alfez parcou- 
ru ces terres, je remontai dans 
mon canot , pour aller rendre 
compte de ma commiffion à M. 
de la Sale , qui durant l’efpace 
de mon petit voïage , étoit re- 
parti pour Frontenac , où il por- 
ta de nouvelles marchandifes, & 
d’où quelque tems après il rap- 
porta de nouvelles provisions èc 
de nouveau monde à Niagara: 
U y arriva le 7. Aouftde l’année 
1679. accompagné de trois Peres 
Recollets. Toutes ces courfes 
l’occuperent non feulement le 
Printems , mais une bonne partie 
de l’Eté: En cas de nouveaux 
établiffemens ce s frequentes re- 
veuës font d’une necelfité indif- 
penfable . j non feulement el- 
les aftérmiflent les nouvelles 
pofl'effions , mais encore elles 
fortifient dans un commence» 
pient d’habitation» 


de V Amérique Sept. 0 
M. de la Sale , étant de re-. 
tour à Niagara, dilpofa tout 
pour la continuation de Ion 
ouvrage : nous montâmes au 
nombre de quarante personnes 
dans Ta nouvelle Barque vers 
la mi-Aouft , & aïant heureule- 
ment traverfé le Lac Herié , 
nous entrâmes dans le Lac des 
H tirons , beaucoup plus grand 
que les deux premiers : nous 
emploïâmes le relie du mois aie 
parcourir à caufe du mauvais 
tems , & apres y avoir elTuïe la 
plus afïreufe tempête qu’on 
puifle éprouver dans les mers 
les plus orageufes , nous vîn- 
mes furgir aune rade delà con- 
trée nommée Mijjilimachinac , 
c eft une efpece d’Ifthme d’envi- 
ron vingt lieues de large &: de 
plus de fix vingt lieues de long , 
îitué entre le Lac des Illinois 
d’u» côté , & les deux Lacs 


Saut 
S te Ma- 
de. 


'40 nouvelle Relation 
d’Orléans & de Conti de l’au- 
tre i ce pais eft aufli riche par 
l’abondance de la pêche, que 
par la bonté de fon terroir. 

M. de la Sale en fit une e~ 
xade reveûë , y trafiqua de 
peaux, jetta les fondemens d’un 
Fort, laiflale foin de le conftrui- 
reà quelques-uns de fa troupe , 
& m’ordonna de remonter en 
canot plus haut vers le Nord- 
Eft, jufqu’à un détroit nommé le 
Saut Sainte Marie, tant pour voir, 
fi je ne decouvrirois pas quel- 
ques-uns de Tes deferteurs , que 
pour lui donner de plus amples 
lumières touchant les terres qui 
font au delà de ce Lac. 

Ce Saut eft un double canal 
qui fe forme à la derniere poin- 
te du Lac par deux branches, 
qui fe feparant l’une de l’autre, 
laiflent dans le milieu une Ifle 
d’une grandeur raifonnable , &c 


de t Amérique Sept. 
qui venant à fe réiinir, forment 
un bras de riviere comme un 
torrent tres-rapide , par où le 
Lac des Hurons fe joint avec le 
dernier plus fpatieux que tous 
les autres. J’abordai bien-tôt fur 
une des côtes du Lac des Hue- 
rons prés du canal tourné au 
Nord ; je découvris de- là un 
tres-beau Pais , &: fuivant tou- 
jours la côte , je pouflài jufqu’à 
la riviere des Outa , qui fortant Riviere 
de ce Lac, va fe jetter à plus de‘ dcs °®" 
cent lieues de-là dans le fleuve 
Saint Laurent. Le plaiiîr de 
parcourir un fi beau rivage m’en 
faifoit oublier la peine, je’ vi- 
vais pendant ce tems-là , de 
c halle plus que de mes muni- 
tions : après huit jours de cour- 
fêle long de ces côtes, je re- 
montai dans mon canot , &z 
aïant regagné la pointe du Lae B 
j’entrai dans ce bras d’eau qui re~ 


42 . Nouvelle Relation 
garde le Sud , & j’allai prendre 
terre à un bord qui n’en eft pas 
loin. Là je découvris une grande 
plaine lituée entre le dernier 
Lac & celui des Illinois. Les 
Peres jefuites y ont une tres- 
belle habitation. 

Ce fut là que je joignis la plu- 
part de nos deferteurs ; je les. 
trouvai tous xnal intentionnés , 
j’eus pourtant le bonheur de les 
ramener à leur devoir , en les. 
•obligeant de me fuivre. 

Cependant M. de la Sale,, 
s’étant rembarqué,, & aïant levé 
l’ancre à Mijjilimachinac vers la 
fin ‘du mois de Septembre , tra- 
verfa le canal qui va du Lac 
des Hurons au Lac des Minois , 
& aïant paffé ce dernier Lac , 
il alla aborder à la Baïe des 
P u ans vers le 8. d’Octobre. 

Iiïe.îes Cette Baïe n’eit qu’un regon- 
“ aa " Bernent du Lac des Minois, eau- - 


de t Amérique Sept . 
fé par l’embouchure d’une groR 
Te riviere, nommée Onifconeing , 
qui prend ion origine d’un allez 
grand Lac , à cent lieues de 
là : Ce qu’il y a de merveilleux 
en ceci, c’eft que de ce Lac 
fort , par fon autre extrémité , 
une autre Riviere qui fe jette 
dans le fleuve Mijjijfipi , ainfi il 
peut être regardé comme un Lac 
de communication entre les 


deux grands Golfes de la mer du 
Canada & de la mer Mexique, 
comme il eft aifé de le voir en 
jettant les yeux liir les cartes. 

M. de la Sale, après avoir débar- 
qué furie rivage de cette Baie, 
prit de nouvelles mefures , &c 
renvoya la Barque chargée de 
pelleteries à Niagara , enfuite il 
s’embarqua avec dix-fept perfon- 
nes Sz un Pere Recollet, en divers 
Canots , &z après avoir côtoyé la; 
plus grande partie du Lac des 


PÆdcs 

Miamis 


44 Nouvelle Relation 
Illinois , il vint aborder le i. de 
Novembre de l’année 16791 
prés de l’embouchure de la 
petite riviere des Miamis. 

Ce pais fitué entre le jy. & 
le 40. degré de latitude , con- 
fine d’un côté à celui des Iro- 
quois , èc de l’autre à celui des 
Illinois à l’orient de la Virginie 
& de la Floride : il efl: très abon- 
dant en toutes choies , en poifi- 
fons , en bétail , & en toute for- 
te de grains &; de fruits. M. de 
la Sale en vifita les Habitans , 
fonda leur efprit qu’il trouva 
traitable ; tâcha de les gagner 
par fa douceur, & par fes prefens; 
les accommoda de fes marchan- 
difes , profita des leurs , leur fit 
concevoir par le moïen de fon- 
négoce , le peu d’alïurance 
qu’il y avoir pour eux, tant avec 
les Iroquois , qu’avec les An- 
glais ; & les ayant alïuré de la 


de l' Amérique Sept. 45 : 

prote&ion puiflânte du Roi , U 
les porta à une loumiffion vo- 
lontaire aux loix de nôtre grand 
Monarque : Cependant ayant 
reconnu que ce peuple étoit in- Natu- 
confiant, infidèle incapable de reldecs 
le ioutemr par lui-meme, mais 
propre à fe laifler toujours en- 
traîner par le plus p.uiffant , il 
crut devoir y bâtir un Fort, tant 
pour affermir l’autorité du Roi } 
que pour s’y faire une habita- 
tion folide , qui lui tint lieu en 
même tems d’un petit arfenal 
& d’un honnête magafin. Le 
plan de ce Fort fut bientôt drefc 
fé , & fon de fi.ein exécuté en 
tres-peu de tems fur le bord 
de la petite riviere des Miami s , 
qui fe jette dans le Lac des Illi- 
nois.. 

Cependant l’impatience que 
j’avois de rejoindre M. de la 
Salle avec les quinze hommes ,, 


¥ Nouvelle Relation 
que j’avois retrouvez , me fai- 
foi t pouffer à toutes voiles vers 
les mêmes bords où il étoit i 
mais le défaut de vivres &c les 
vents contraires s’oppofant à mes 
efforts , m’obligerent de relâ- 
cher à trente lieues de-là, tant 
pour tâcher d’y trouver de quoi» 
fa ti s fa ire â la faim , que pour 
laiffer un peu calmer l’orage. 
Dés que nous fûmes à terre , le 
premier fecours quelle nous» 
©ffrit, fut une tres-grande abon- 
dance de gland, enfuite quelques» 
cerfs s’étant prefentés on en tua 
deux , 8c j’eus la confolation de 
voir mes gens fe rafraîchir ; ils 
étoient h fatigués, que je ne pus 
jamais les refoudre à fe rembar- 
quer le même jour. Pour moi je 
préférai à mon repos le foin d’al- 
ler au milieu de la tempête 
chercher nôtre Commandant. 

Je quittai mes gens après leur 


de P Amérique Sept. 47 

avoir promis de revenir bien- tôt 
vers eux pour les. ramener à 
de la Sale. Je revins donc à la 
voile , & malgré toute la fureur 
des vagues , j’eus le bonheur de 
rejoindre M. de la Sale, après fîx 
jours de tourmente; Je lui rendis 
un compte fidele de mon expédi- 
tion & de mes découvertes ; il 
me témoigna en être allez con- 
tent , mais il me dit qu’il l’auroit 
été beaucoup davantage, s’il 
avoit vû fes gens avec moi. 

Ces dernieres paroles me pa- 
rurent un commandement : Je 
pris dés ce moment congé de 
lui , &C apres m’être fort legere- 
ment rafraîchi , je repaflai dans 
mon Canot. A peine fus-je avan- 
cé environ quinze lieues vers ces 
bords où j’avois lailfé moir mon- 
de , qu’aulli-tôt , comme fi le 
Ciel eut voulu pour jamais me 
feparer d’avec ces perfides 3 je 


4S Nouvelle Relation 
fus accüeilli de la plus furieufe 
tempête , qu’on puifïè effuïer fur 
les plus grandes mers ; nôtre ca- 
not balotté par les vents & par 
les vagues , tantôt élevé dans les 
airs , tantôt précipité dans les 
abîmes, ne laijfloit pas de fe fou- 
tenir toujours fur fon fond fans 
tourner ; mais un coup de vent 
Tarant tout d’un coup renverfé , 
nous ne fûmes où nous étions: La 
violence du mal étoit au deflus 
de l’art & de nos forces , lors 
qu’un fécond coup releva nos 
efperances , en redreffant nôtre 
petit vaiffeau , & nous porta 
dans un moment fur la rade on 
nous nous jettâmes à corps per- 
du : ainli nous voïant garantis 
de la tempête par la tempête 
même, nous continuâmes par 
terre nôtre voïage , & le Pilote 
& moi tirant nôtre Canot & 
nôtre équipage fur des traî- 
neaux^ 



de Y Amérique Sept. 4^ 
'feëaux , nous arrivâmes le lende- 
main à l’endroit où nous avions 
îaifle nos gens. Nous em- 
ployâmes le relie de la journée 
à les rallier, le calme étoic reve- 
nu fur les flots , & nôtre petite 
mer nous prefentoit uaenavi - 
gation tranquille & commode î 
nous nous y rengageâmes tous 
enfemble , 8c en moins d’une 
journée nous vînmes moiiiller 
au pied du Fort où M. de la Sale 
nous attendoit. C’étoit vers la 
îîn du mois de Novembre de la 
même année. 

M. delà Salenous reçut avec 
une entière fatisfadion , il avoir 
compté fur cette petite recrue, 
comme fur unfecours neceflâire 
pour avancer fes affaires , & 
pour achever fa traitte ; cepen- 
dant ce furent ces malheureux 
qui contribuèrent le plus à le 
ruiner Sc à le perdre. Tel eft l’a- 

E 


fo Nouvelle Relation 
veuglement des hommes , de 
fonder le plus fouvent leurs ef- 
perances fur ce qui dans la fuite 


eft l’unique fource de leur mal- 
heur. 

Nôtre condu&eur aïant en 
moins de deux mois tres-bien 
fait fes affaires en ce pais , mit 
fon nouveau Fort en état de dé- 
fendre l’entrée du Lac , & de 


d’ailleurs rempli fo 


principaux de la Nation: Pour 
retenir les autres dans l’obéif- 
fance , il refolut de pouffer juf- 
ques chez les Illinois à plus de 
cent lieues du port où nous 
étions. Pour penetrer dans le 
cœur de cetteNation, il faloit 
gagner à 40. lieues de là le por- 
Riv : e- tage de la rivière des Illinois, 
rc d« q U ’ on a depuis appellée Lac de 
Iil nos ' segnelai. Elle prend fa fource 


tenir en bride fes aïanr 



très-bons effets , & g 


de V Amérique Sept, 5$ 
a une éminence à fix lieues du 
- c , des Minois , & va fe jetrer 
«près deux cent lieues de cours , 
j ns / e fleuve MiJjiJJipi , qu’on a 
depuis appelle Fleuve Colbert . 

Nous pârtîmes de cecte con- 
trée des Miamis au commen- 
cernent de Décembre , aïant 
feulement laide dix hommes 
dans le Fort pour le garder. Il 
falut conduire nôtre équipage &c 
nos canots par des traîneaux. A- 
près quatre journées de traite 
nous nous trouvâmes fur un des 
bords de cette riviere tres-navi- 
gable ; nous nous y embar~ 
quàmes au nombre de quarante 
perfonnes fans compter trois 
Peres Recollets. Nous la deR 
tendîmes à petites journées , 
tant pour nous donner le tems 
de reconnoitre les habitans & 
ies terres , que pour nous four- 
nir de gibier ; il eft vrai que 


ji Nouvelle Relation 
tous Tes bords font aufli char- 
mans à la veuë , qu’utiles à la 
vie; ce ne font que vergers , 
bois , prairies ; tout y eft rem- 
pli de fruits , en un mot on y 
voit une agréable cônfufion de 
tout ce que la nature a de plus 
délicieux pour la fubliftance des 
hommes &: pour la riouriture 
des animaux. 

Cette variété fi agréable qui 
entretenoit nôtre curiofité, nous 
faifoit aller lentement : enfin 
après fix mois de navigation , 
nous arrivâmes fur la fin de Dc- 
*' illage cembre à un Village des Illinois, 
! nommé Pontdalansia , de plus 
ban do- de cinq cent teux ; ce lieu nous 
a'ïant paru vuide &: abandonné , 
nous y entrâmes fans refifiance j 
toutes les maifons en étoient ou- 
vertes & à la diferetion des paf- 
fans : Les bâtimens n’étoient 
que d’une charpente groffierc 


de l' Amérique Sept. 
avec de grolTes branches d’ar- 
bres , recouvertes de diverfes 
pièces d’écorce -, le dedans afifés 
proprement natté , tant par terre 
que par les côtés : chaque mai- 
fon contenoit deux appartemens 
capables de loger diverfes famil- 
les;au delfous il y avoit des caves, 
dans lefquelles étoit renfermé 
leur blé d’Inde ; nous y en trou- 
vâmes quantité , & comme les 
vivres commençoient à nous 
manquer , nous en fîmes nôtre 
provifion. 

De-là aïant pourfuivi nôtre 
voïage jufqu’à trente lieues plus 
bas , nous nous vîmes tout d’un 
coup au milieu d’un étang d’en- 
viron fept lieues de tour ; nous 
y pêchâmes de tres-bon poiflon , 
& • nous laiflant infenfiblemenc 
conduire au courant de l’eau , 
nous retombâmes bien-tôt dans 
le lit de la riviere. A peine y 
E iij 


54 Nouvelle Relation 
fumes-nous rentré , que nous» 
nous trouvâmes entre deux 
camps : tous les Sauvages s’étanc 
partagés en deux corps d’armée „ 
campes d un côte $£ d’autre du? 
rivage : Des qu’ils» nous eurent 
apperçus , ils coururent aux ar- 
ures >: &: apres avoir renvoïé leurs. 
Minois acmrn es dans les bois, ils fe ran- 
fe ran- gèrent en bataille , comme s’ils 
E !y oie " c vouIu nous attaquer. 
De notre côté nôtre petite flotte 
en difpofition de fe bien 
détendre. Les. Minois étonnés 
d’une fi. fiere contenance , & 
d ailleursplus portés à repouiîer 
£ guerre qu’à la commencer 9 
tîeman • contentèrent de nous deman- 
^ Sr nous étions ; nous leur 
g°e'car entendre par nos truche- 
Sont les mens , que nous étions Fran- 
F^j-qué nous n’étions venus-là^, 
que pour leur faire connoître le- 
vrai Dieu du. Ciel & de la Terre. 


de r Amérique Sept. 

& pour leur offrir la prote&ion 
du Roi de Trame ; Que s’ils vou- 
loientre foûraetreà Ton obéïflan» 
ce , c’étoit l’unique moïen de 
fe rendre heureux , & de fc met- 
tre à couvert des infultes de leurs 
ennemis ; qu’aïant en abondance 
tous les biens de la terre, il ne 
leur manquoit que l’art de s’en 
(ervir utilement j que nous étions 
prêts de leur faire part de nôtre 
induftrie, pourvu qu’ils vouluf- 
fent entrer dans nôtre commer- 
ce & dans nôtre fociecé. Ils 
reçurent nos offres & nos pro- 
pofitions , non comme des Sau- 
vages , mais comme des hom- 
mes tout-à-fait civihfez : Nous 
aïant donné des marques tres- 
refpedueufes de leur vénération 
pour nôtre augufte Monarque , 
ils nous prefenterent le Calumet % 
c’eft , comme nous avons déjà 
dit , le fignal de la paix parmi 
E iiij 



Bons 
traits- 
mens 
Cj u’i s 
leur fôt 


î<5 Nouvelle Relation 
tous ces peuples , ils fe fervent 
des termes de chanter ou dan fer 
le Calumet : on le chante, lors 
qu’au pied d’un pieu , ou dun 
bâton fiché en terre , chacun, 
vient apporter les dépouilles de 
fes ennemis en forme de trophée,, 
ôc raconter fes exploits guerriers : 
On le danfe lors qu’aprés toutes 
ces harangues , on fait des dan- 
fes tout au tour. 

Pendant qu’ils faiforent toutes 
ces ceremonies , nous ne man- 
quâmes pas de répondre de no- 
tre côté à leur demonftration 
de joie par des prefèns &: par des 
alfurances d’une amitié inviola- 
ble : Nous leurpaïâmes leur blé 
d’Inde en outils ou en eau de 
vie ; convaincus par-là de nôtre 
bonne foi , ils voulurent fortifier 
leur nouvelle union avec nous 
par de bons feftins à leur manié- 
ré; ils firent revenir leurs fera- 


de l'Amérique Sept. 57 
mes & leurs enfans ; leurs chaf- 
feurs revinrent chargés de 
gibier ; on travailla d’abord aux 
apprefts d’un grand repas : on y 
étala le boeufs le cerf boucan- 
né ; ce fut un ambigu merveil- 
leux de toutes fortes de gibier 
& de fruits ; l’eau de vie n’y fut 
point épargnée de nôtre part j 
pendant deux ou trois jours ce ne 
fut que joie & que feftins , mais 
au milieu de tous ces divertiffe- 
mens deux ou trois décharges 
de nôtre artillerie infinuerent 
dans leurs efprits , avec ces com- 
mencemens d’amitié , quelque 
refpeét rnélé de terreur pour 
nos armes * ils nous carefloient , 
mais ils nous craignoient en mê- 
me tems j nous faifrons de nôtre 
part tout ce que nous pouvions 
pour les affermir dans leurs bons 
fentimens ; chacun de nous fe 
fit parmi eux des üociecez agréa- 


Carac- 
tère des 
Iflinois, 


î& Nouvelle Relation 
blés : nous nous traitions tous 
d’amis , de compagnons , de 
freres , quelques-uns même des 
nôtres furent adoptez par des 
Principaux d’entre eux , fi bien 
qu’au travers de cette inconftan- 
ce commune à tous les Peuples 
Ameriquains , nous reconnûmes 
en ceux-ci beaucoup d’huma- 
nité,& une très grande difpo- 
fition au commerce delà focieté 
civile. 

En effet ce font des hommes 
careffans , dateurs , complai- 
fans au dernier point , mais auffi 
fort rufez, adroits, vifs, prompts 
& foupîes à toutes fortes d’exer- 
cices ; il font tous fort bien faits , 
robuftes , de belle taille , & d’un 
teint bafanné ; leur pafïion pour 
les bois & pour la chaffe les 
rend extrêmement libertins , & 
tout-à-fait indociles : ils font 
fort ardents pour les femmes, & 


de t’ Amérique Sept. 
encore plus pour les garçons ÿ 
aufli deviennent-ils tousprefque 
efféminez par leur trop grande 
molleffe , & par leur abandon- 
nement au plaifir , foit que ce 
foitle vice du climat, foit que 
ce Toit un effet de leur imagi- 
nation pervertie. On remarque 
parmi eux un grand nombre 
d’H ermaphrodites.Cc qu’il y a de 
merveilleux en ceci , c’eft que 
malgré ce malheureux penchant 
qu’ils ont pour ce vice infâme , 
ils fe font fait de-tres feveres loix 
pour le punir: dés qu’un gar- 
çon eft proftitué , il eft dégradé 
de fa qualité d’homme , on lui 
défend d’en porter l’habit &: le 
nom , d’en faire la moindre fon- 
ction ; la chaffe même lui eft 
defenduë , on le renferme dans 
le rang & dans l’occupation des 
femmes ; eelles-cile haïilent au- 
tant que les hommes le mépri- 


&o Nouvelle Relation 
fent , fi bien que ces mallieu- 
reux fe voient en même tems 
le rebut & l’opprobre de l’un & 
de l’autre fexe. C’eft ainfî que 
reconnoiffant eux-mêmes leur 
brutalité naturelle, ils y lavent 
mettre un frein , & que tout 
libres de independans qu’ils font, 
ils fe mettent au-deffus de leur 
propre fcnfuali té par un effort de 
leur raifon. C’eft aufli pouraffou- 
vir leur fureur qu’ils fe permet- 
tent de prendre plufîeurs fem- 
mes; mais afin d’entretenir la 
paix dans leurs familles , ils épou- 
fent les fœurs , ou les parentes , 
& le mari fert d’un nouveau 
nœud entr’elles pour redoubler 
les liaifons du fang ; ils en font 
extrêmement jaloux , &: s’ils les 
furprennentdans la moindre in- 
fidélité , ils les défigurent & les 
puniffent tres-cruellement. Les 
femmes de les garçons effemi- 


de V Amérique Sept. €i 
liez y travaillent une tres-fine &: 
tres-belle natte, dont ils tapiflent 
le dedans de leurs cabannes. . 
Pour ce qui effc des hommes, les 
uns y vont à la chafïe , les autres oceu- 
défrichent la terre , la cultivent P ati ““ 
pour y femer du blé d’Inde , &C 
en recueillent de fort bons 
fruits. Leur contrée eft le long 
de la riviere qui porte leur 
nom : ils font difperfez en plu- 
fieurs Villages , ils étoient envi- 
ron dans celui-ci au nombre de 
quinze cent , tant de l’un que 
de l’autre fexe , tant jeunes que 
vieux , & on y pouvoit compter 
cinq cent combattans. 

M. de la Sale aïant reconnu 
l’étendue &C les forces de cette 
Nation , crut devoir les fixer 
dans robéïiTance &c dans la foû- 
mi filon par une efpece de Fort 
qu’il fit deffein de bâtir 
fur une hauteur prés de la ri« 


€1 Ko/tvelle Relation 
viere* il fît fon plan , il donna 
les ordres, on y travailla auffi- 
£ot; &: comme les matereaux Sc 
les hommes ne lui manquoient 
pas , le batiment fut en peu de 
tems fort avance. Cependant 
©apprenant aucunes nouvelles 
de la Barque qu’il avoir ren- 
voïee du Lac des Minois à 
Niagara, richement chargée, il 
en etoit beaucoup en peine 
^ la douleur r qtê’-il en conçut 
jointe au chagrin que lui caufoit 
l’impatience & la malice de 
les gens 5 le conlumoit à veuë 
doeil^ mais renfermant fes cha- 
grins au dedans de lui -même , 
il fe contenta de les faire écla- 
ter par le nom de Creve cœur s 
qu il donna à fon nouveau Fort. 

Julques-la nous ne pouvions 
nous plaindre du Ciel ni de la 
foi tune i nous avions heureufe- 
ment ponde nos decouvertes 


de t Amérique Sept. 6$ 
jufqu’à cinq cent lieuës au de là 
du Lac appelle Frontenac , 
nous avions foutenu par d’affez 
bons Forts les divers établiffe- 
mens que nous avions faits en 
plufieurs contrées- La plupart 
des Sauvages s’étoient volontai- 
rement rangez fous nos loix , &c 
les moins traitables d’entre eux 
nous avoient laide tranquille- 
ment pouffer nos progrès ; car 
nous ne trouvâmes point d’autres 
ennemis que nous-mêmes , SC 
ce fut dans nos diffentions que 
nous rencontrâmes la fource de 
nos plus grandes difgraces. 

La plupart de nos gens, fati- 
guez des longueurs d’un voïage 
dont ils ne voïoient point la fin, 
& rebutez de traîner une vie va- 
gue au travers des bois & des ter- 
res incultes , toujours parmi les 
bêtes, ou parmi les Sauvages,fans 
guide, fans voiture, ôl la plupart 


Mécon- 
tente- 
ment 
parmi 
les Fia- 
çois* 


Nouvelle Relation 
du tems (ans vivres , ne pou- 
voient s’émpëcher de murmurer 
contre le chef, ou l’auteur d’une 
fi fatigante & fi perilleule entre- 
prit* M. de la Sale à la péné- 
tration de qui rien ne pouvoir 
échapper , n’entrevit que trop 
leurs mécontentemens & leurs 
mauvaifes intentions ; il n’oublia 
rien pour en prévenir les fuites j 
les promefies , les bons traitte- 
mens , la gloire , la raifon, l’e- 
xemple des établififemens faits 
par les Efpagnols dans l’Amé- 
rique , tout fut mis en ufage 
pour remettre les efprits dans 
une bonne fituation , & pour 
les tourner du bon côté , mais 
tout cela fut inutile , rien ne fut 
capable de les gagner , les ca- 
refles, les confeilsyles raifonne- 
mens ne failoient que les irriter 
davantage. Quoi ,Je difoicnt-ils y 
ferons-nous toujours les efclaves 

de 


de l’ Amérique Sept. 6$ 


peines que -nous avons eflbïées 
jufqu’ici , nous foient un enga- 
gement pour en fouftrir de nou- 
velles ? Que fous pretexte qu’un 
barbare nous tient ici tranfplan- 
tez dans un nouveau Monde , il 
nous traîne dans une fuite per- 
pétuelle de fatigues & de mifie- 
res ! Que nous revient-il de rou- 
tes nos eourfes , qu’une efpece 
d’efclavage, qu’une mal heur eufe 
indigence & qu’un épuife- 
ment entier de nos forcesîQifef- 
perons-nous gagner quand nous 
ferons arrivez aux extremitez de 
la Terre îNous y trouverons des 
mers inacceflibles, & nous nous 
verrons enfin forcez de revenir 
fur, nos pas autli vuides & auflî 
miferables que nous le fommés 


de fes caprices , toujours les 
duppes de fes vifions , & de fes 
folles efperances? Faut-il que les 


à prefent. Prévenons un fi grand 



66 Nouvelle Relation 
malheur, & tandis que les forces 
nous relient , fervons-nous-en 
pour regagner les pats que nous 
avons quittez ; feparons-nous 
d’un homme qui nous veut per- 
dre en fe perdant lui-même; a- 
bandonnons-le à fes recherches 
auflt pénibles qu’inutiles. Mais 
quel moïen de pouvoir lui écha- 
per > il s’ell fait de tous cotez des 
intrigues ,, des intelligences ; il a 
des forces , & des richelîès qu’il 
ne doit qu’à nos peines & à nos 
travaux ; li nous le quittons , il 
laura bien-tâc nous r’ attraper &c 
" nous punir enfuite comme defer- 
leurs d’ailleurs où- aller làns- 
proyifions, fans aucuns effets „ 
fans aucune redburce ï faifons 
mieux , coupons l’arbre & la ra- 
cine , fini-dons nos miferes par- 
la perte de celui qui les caufe , 
& profitons- par fa mort des. 
fruits de nos. courfes & de nos 


de t Amérique Sept.. €y 
peines. Voilà par quels difcours 
ces efprits mécontens fe prépa- 
raient & s’excitoient eux-mêmes 
au plus deceftable complot que 
la rage puifTe inventer. Mais foit 
que l’horreur du crime , foit que 
la crainte du fuplice les arrêtât , 
ils ne purent d’abord fe déter- 
miner à un attentat fi horrible ; 
ils prirent le parti de porter ce 
peuple inconftant à un fouleve- 
ment general contre lui pour le 
faire périr par leurs mains , SC 
recueillir par cemo'ien le fruit du 
crime T fans- paraître y avoir au- 
cune part. 

Ils crurent donc devoir les fur- 
prendre par de fauffes confiden- 
ces jointes à tous les faux-fem- 
blans de la plus fincere amitié ï 
ils leur dirent qu’ils étoienttrop 
fenûbles à leurs bons traitemens* 
pour n’être pas touchez du péril 
■qui les menaçoitj qu’ils croïoienîr 

I i) 




ÂrrifTre 

des 'mer-' 
contenu 


6% Nouvelle Relation 
être obligez par toutes fortes île 
devoirs de les avertir que M. de la* 
Sale étoit entré dans de tres-forts 
engagemens avec les Iroquois , 
leurs plus grands ennemis; qu’il ne 
s’étoit avancé jufques dans leurs 
terres y que pour reconnoître 
leurs forces ; que s’il avoir bâti 
ce Fort j ce n’étoït que pour les 
tenir en bride ; que le voïagc 
qu’il meditoit pour Frontenac 9 
n’étoit que pour aller avertir les 
Iroquois de la difpofition où ils 
étoient , & pour les preflfer mê- 
me à venir faire une prompte 
irruption fur eux , afin qu’unit 
fane leurs forces avec les fiennes, 
ils puilênt plus facilement en- 
femble envahir de leurs biens „■ 
les réduire à l’efclavage , & par- 
tager entre eux leur butin & 
leurs conquêtes ; C’elï à vous 
maintenant , leur dirent-ils , à 
prendre vos mefures & à profi- 


de ? Amérique Sept. 6$ 
ter des avis que nous vous don- 
nons. 

Jugez quelle imprefïion firent 
de pareils difcours tenus par nos 
gens mêmes , fur des efprits foi- 
blés , légers & crédules. Auifitôc 
des murmures ou des bruits 
fourds fe répandirent parmi cc 
Peuple foupçonneuxj nos gran- 
des focietez fe rompirent , les 
défiances &c les refroidiflemens 
fuccederent aux emprefiemens 
de fe voir. En un mot les Ifli- 
nos conçurent une inimitié gé- 
nérale contre nous y mais fiir- 
tout contre nôtre Chef qu’ils re- 
gardèrent dés-lors comme leur 
ennemi capital , &; dans la perte 
duquel ils mirent toute leur ef- 
perance. 

M. de la Sale ne manqua 
pas de s’appercevoir d’un fi 
grand changement &: de l’$x~ 
dème danger ou il étoit, craifit 


f'ô Nouvelle Relation: 
ou plutôt haï des liens , & d'ail- 
leurs expofé à la fureur d’un 
peuple barbare ; mais il ne pou- 
voir augurer d’où venoit un fi 
grand changement* il tâcha de 
fonder les efprits , il preffa , il 
conjura les uns & les autres # il 
leur fit entendre qu’il nétoit ni 
jufte ni raifonnable de prendre 
légèrement l’épouvante^ & de 
rompre fans fondement avec des 
gens avec qui on étoit entré en 
de fi grandes liaifons. 

Les Illinois fe rendant à les 
îaifons 3 lui déclarèrent que c’é- 
toit de fes gens mêmes qu’ils ve« 
noient d’êcre informez, de fou 
intelligence avec desdroquois „ 
& qu’ils n’avoient pu fe défen- 
dre de tomber en de pareils 
foupçons après de telles ouver- 


turcs. 

iest raî- M. de la Sale leur fit d’abord 
très dé- toucher au doiet la malice & la 

«Souvet* & 

tç* 


de F Amérique sept. *n 
perfidie de fies gens qui ne cher- 
chant qu à Te défaire de lui fans- 
infamie & fans danger y tâ- 
choienc d employer des Etran- 
gers pour le perdreÿiî leur fit con- 
cevoir le peu d’apparence qu’il 
y avoir , de Ion union avec une 
Nation aufïï perfide y que celle 
des îroquois ; qu’il y alloit non 
feulement de la gloire de fo» 
Piince y mais de l’intérêt même 
de toute la Nation Françoife 
de faire une telle focietét Quelle 
feurete,, quelle gloire pour lui de 
s ailocier avec des fauvages 3 . avi- 
des du fang humain ,, fans foi ,, 
fans loi y fans humanité , & qui 
enfin ne fuirent que leur intereft 
& leur brutalité ? qu’au furplus 
h avoit déclaré fort fincerement 
fes fentimens à toute la Nation 
Iflinoife y qu il n’étoit venu que 
pour leur faire connoître le 
vrai Dieu , & pour leur o£- 


jt. Nouvelle Relation 
rrir la proteétion d’un Roi dont 
le feul nom pourroit les mainte- 
nir dans la paifible poifeffion de 
leurs biens 6c de leurs terres. 
L’afïiirance 6c la fincerité dont 
il accompagna Tes difcours , dif- 
fîpa leur défiance, raflura les 
efprits , 6c remit le calme dans 
toute cette multitude turaul- 
tueufe. 


Mais à peine ce mouvement 
fut-il appaifé, qu’on en vit aufli- 
tôt renaître un autre beaucoup 
plus dangereux que le premier, 
par l’arrivée d’un nommé Mau- 
deMau rf°^ ea » f eclct Emiflaire des Iro- 
foica quois, de la Nation voifine des 
IflmoiT biafcontans , homme fin , élo- 
quent 6c ledicieux. Cet homme 
venant fous le nom d’ami , 6c 
comme député de fa Nation, prie 
à delfein l’entrée de la nuit pour 
s’introduire plus fecretemént 
dans le camp des Iflinois , 6c 

pour 


âe t Amérique Sept, jy 
pour avoir le rems de mieux mé- 
nager Tes pratiques , ou de mieux 
conduire fa négociation} d’abord 
il vifica les uns &c les autres , & Ses m~ 
aprés avoir attiré dans Tes inte- “‘S* 8 *’ 
refis Tes plus afïîdez, il convo- 
qua les plus confiderables , en- 
fuite pour autotifer fon ambafïa- 
de, il fit divers prefens, & de- Ses âiC, 
data à toute l’AfTemblée le mo- cour5 ' 
tif qui l’amenoit vers eux : il 
leur reprefenta que ce n’étoic 
pas feulement l’intereft commun 
de tous les Peuples de l’Ameri- 
que , mais celui de toute leur 
Nation & de là fienne, qui avoir 
engagé fon peuple à Fenvoïer 
vers eux pour délibérer en- 
femble fur le danger commun 
qui les menaçoit ; Qu’ils étoient 
tres-bien informez que les Fran- 
çois n’étoient venus dans leurs 
Terres , qu’en vue de fubjuguer 
tous les peuples de FAmerique 
G 


74 Nouvelle Relation 
Septentrionale jufqu’à la Mer 
Mexique : Que pour paryenir à 
leurs fins ils ne prétendoient pas 
feulement fe fervir de leurs for? 
ces , mais de celles des Ame- 
nquains mêmes;Que nous avions 
aflurément contracté de fecret- 
tes alliances avec les Iroquois , 
leurs ennemis communs; Que ce 
Fort que nous avions conflruit 
far leur rivière , n’étoit qu’un 
commencement d’une tyrannie 
& d’une domination ufurpée, en 
attendant que nous puflions a- 
chever nôtre conquête par ladef 
cente de nos Confédérés ; Qu’ils 
n’avoient qu’à prendre leurs 
précautions , ou plutôt que s’ils 
attendoient que nous fufïions 
tous unis j il ne feroit plus tems , 
jSc que le mal feroit fans remede; 
mais que tandis que nous étions 
en fi petit nombre , & qu’ils é- 
toient les plus forts , il leur fe- 



de V Anurique Sept . 
roit aisé de nous accabler, & de 
fe mettre à couvert de nôtre pré- 
tendue conjuration. C’eftpar ces 
fortes d’avis que Maufolea ma- 
chinoit nôtre perte dans l’efprit 
de ce peuple crédule , & tous ces 
difcours avoient d’autant plus de 
poids & de force, qu’ils conve- 
noient parfaitement avec ceux 
que nos François leur avoient 
déjà tenus. Telle fut l’adrefle & A(Jre[re 
la politique des Iroquois pour des ito- 
nous troubler dans nos établi (Te- 1 U01S * 
mens , & pour tâcher de s’em- 
parer des terres des Illinois ; ils 
fe gardèrent bien d’emploïer 
quelqu’un de leur Nation , ils 
n’auroient pas manqué de don- 
ner par-là quelqu’ombrage aux 
Illinois; ils fufciterent leurs voi- 
fins pour jetter chez- eux des 
foupçons contre nous , & ten- 
tèrent de nous perdre par les 
mains de nos Alliez , afin de pou- 
Gij 


yè Nouvelle Relation 
voir enfuite plus facilement dé- 
truire les autres. Cependant tou- 
te la nuit fe pafla en confeil , 
en deliberation ; on y confpira 
nôtre ruine , M. de la Sale qui 
fe repofoit fur l’apparence d’une 
parfaite réconciliation , ne fa- 
voit rien de ce qui fe palfoit s 
Impatient de mieux cimenteries 
nœuds de fa réunion , il fe leva 
dés la pointe du jour , & s’en alla 
dans le camp des Illinois, accom- 
pagné de fes plus fideles amis j 
Il ne vit de tous cotez que divers 
attroupement , qu’un tumulte 
univerfel ; loin d’y rencontrer 
cet accueil favorable qu’on lui 
faifoit auparavant , ce n’étoit 
par-tout que vifages glacez , 
qu’un morne lilence à fon ap- 
proche, ou plutôt qu’un mur- 
mure menaçant , quelques-uns 
même lui tournoient le dos , & 
jîe le regardoient qu’avec des 


de l'Amérique Seft. 77 
yeux pleins de colere & d’indi- 
gnation. Surpris d’une telle ré- 
volution, il ne fait que penfer, ni 
même à quoi fe refoudre, ou s’il 
ira fe retrancher dans fon Fort * 
ou s’il tâchera d’entrer en de 
nouveaux éclairciffemens -, mais 
ne pouvant fouffrir l’incertitude ÿ 
ni fe relâcher dans les occalîons 
les plus perilleufes , il s’avança 
dans le gros de l’aflemblée , èô 
comme il parloit un peu la lan- 
gue des Sauvages, il s’adrelfa aux 
principaux de la Nation : Hé 
quoi ! leur dit-il , mes amis , fe- 
ra-ce toujours à recommencer ? 
Vous verrai- je toujours dans des 
défiances perpétuelles > hier au 
foir dans le calme , & dans 
une fituation paifiblej aujour- 
d’hui dans l’allarme , dans la fu- 
reur , prêts à vous foulever con- 
tre moi : On me fuît, on me re- 
garde avee des yeux menaçans , 
G iij 


Dif- 

cours de 
M.dc la 
Sa'e 

aux If* 
linois- 


78 Nouvelle Relation 
je vous vois alfemblez par trou- 
pe , que s’eft-il paflé de nou- 
veau depuis hier au foir , de 
ma part , pour vous porter à un 
û grand changement? ou plutôt 
par quelle itnpofture , & par 
quelle fuppofidonm’a-t-onnoir- 
ci dans vos efprits > pour altérer 
cette amitié fincere dont vous 
m’avez donné jufqu’ici tant de 
marques obligeantes ? Déclarez- 
vous , je vous prie , je me livre 
entre vos mains, & je confens 
d’être vôtre victime fi vous pou- 
vez me convaincre d’avoir ma- 
chiné la moindre chofe contre 
le bien de vôtre Nation. Ces 
Barbares à demi persuadez par 
fa contenance & par fa ferme- 
té , ne tardèrent pas a lui mon- 
trer Mau foie a , député de la part 
des Mafeontans, pour les infor- 
mer de fes pratiques Sc de fes, 
conventions avec les Iroquois.* 


de V Amérique Sept. jÿ 
Auflî-tôt M.de la Sale s’adreflant M. delà 
à Maufolea -, Quels témoins , ^“’ a ; 
quels indices , quelles afluran- Mau'o- 
ces avez- vous , vous & vôtre 
Nation , de mes liaifons avec un 
peuple aufli barbare , aulli perfi- 
de que celui dont on me parle ? 

Où font mes fecrets Emiflaires 
envoïez vers ces peuples pour 
m’en convaincre i Quels témoi- 
gnages avez-vous contre moi ? 
faites vos efforts pour me prou- 
ver cette prétendue trahifon , je 
ne demande pas mieux. Ce que 

Maufolea prelTé par une fi vive Mau,f p 
réponfe, ne manqua pas de lui fai- r “ ar j£ 
re entendre que dans des occa- 
fions où il y va du falut ou de la 
perte de tout unPeuple,il n’eft pas 
toujours befoin de preuves pour 
convaincre les gens fufpects * 
que les moindres apparences 
fuffifent pour obliger les perfon- 
saes bien fenfées à prendre leurs 
G iiij 


8o 'Nouvelle Relation 
précautions contre de pareilles 
entreprifes s que comme toute 
l’adrefle des efprics lêditieux & 
turbulens confifte à bien diffi- 
tuuler leurs projets , toute la pru- 
; dence des bons politiques con- 
fifte à les prévenir j que dan* 
cette rencontre, tant Tes négo- 
ciations paflees avec les Iro- 
quois, que celles qu’il étoit 
prêt de renouveller avec eux 
dans le vo'ïage qu’il meditoic 
pour Frontenac j que ce Fore 
bâti fur la riviere des Illinois , 
® étoient que des témoignages 
trop convaincans du delîein 
dont on lefoupçonnoit , & qu’il 
n’en faloit pas davantage pour 
obliger leurs Nations à le tenir 
fur leurs gardes, & à fe mettre à 
Mdda COUverc des em bûches de ceux 
Sale re- vouloient les perdre. Vous 

prend la avez raifon , lui-dit d'abord M. 
parole, de la Sale , il ell bon de prendre 


de 1 Amérique 'Sept. Si 

Tes précautions contre ceux qui 
veulent nous détruire -, il^ faut 
donc que les Illinois le precau- 
tionnent contre les Iroquois } 

& non pas contre nous , qui ne 
fommes venus que pour les pro- 
téger , que pour les maintenir 
dans leurs terres } &: que pour 
unir enfin tous les Peuples de 
l’ Amérique leptentrionale fous 
l’Empire du Roi des François. ^ 

Puis s’adrelfant aux Illinois, V ous | a a r ' x 
n’avez que trop fouvent eprou- ifliaois* 
vé , leur dit-il , l’avarice &: la 
cruauté de cette Nation toujours 
avide de votre fang &c de vos 
biens ; nous prétendons mettre 
un frein à leur orgueil , &£ rédui- 
re ces barbares à vivre avec vous 
comme vos égaux , non pas 
comme vos tyrans ; ils ont déjà 
fubjugué les Miamis , les £>uia- 
qufrus , les Mdfcontans -, ils ont 
fait de tous leurs voilins autant 



te Nouvelle Relation 
«1 efclaves , ils veulent en fafrif 
autant de vous, mais ils n oferone 
1 entreprendre tant qu’ils nous 
verront unis enfemble. Leûr 
première veuë eft de nous per- 
dre pour vous détruire en fui te 
plus facilement vous-mêmes j» 
c’eft pour^cela qu’ils voudraient 
rompre notre union pour mieux 
furprendre vôtre crédulité, ils 
vous font aujourd’hui donner 
des avis par les Mafcontans vos 
voifins. Profitez de leur exemple 
plutôt que de leursdifcours, & 
ne vous laiffez pas entraîner par 
Votre facilite dans l’efclavage 
ou ils font tombez eux-mêmes 
par leur foiblefîe. On veut me 
rendre fufpeét de quelque intelli- 
gence particulière avec les Iro- 
quoisparle commerce que j’ai 
eu avec eux : tout ce commerce 
ne s eft terminé qu’à négocier 
quelques pelleteriesq’ai tâché en- 


de t Amérique Sept. S| 
fuite de ies brider par le Fore 
de Frontenac , & par celui des 
Miamis , ôe je n’entrerai défor- 
mais en focieté avec eux qu au- 
tant qu’ils fe foumettront aux 
loix de nôtre augufte Monar- 
que * fans cela point de paix ÿ 
point de trêve avec cette Na- 
tion: D’ailleurs fo'iez perfuadez 
que fi je fais quelques liaifons 
avec certains Peuples , ce ne 
fera pas avec les plus forts pour 
opprimer les plus foibles , mais 
plutôt avec les plus foibles , 
pour dompter les plus forts 6c 
les plus entreprenans. On me 
fait un crime de ce Fort que j’ai 
bâti fur vôtre riviere , hé com- 
ment pourvoir à la fureté des 
peuples que par ces lortes de 
remparts, qui les mettent à cou- 
vert des înfultes de leurs enne- 
mis ? Si ce font des défenfes pour 
appuïer l'autorité desSouverasnS* 


$4 Nouvelle Relation 
ce font aufli des ailles pour le' 
Peuple j & des lieux d’ajïu rance 
pour tout ce qu’il a de plus cher 
dans les périls les plus grands s 
c eft la conduite que nous avons 
tenue jufqu’ici , & celle que 1 
nous prétendons tenir dans tout 
le cours de nos découvertes 
Elle n’a rien de violent , rien de 
tyrannique} en tâchant de nous 
établir , nous ne voulons que 
vous procurer un entier repos j 
en vous propofant de vivre 
fous le gouvernement de nôtre 
Ptince , nous voulons plutôt 
vous aflurer dans vospoflelfions, 
que vous les ravir. Tant que 
vous mènerez cette vie vague , 
fans foi , fans réglés , fans limi- 
tes; tantôt dans une contrée, 
tantôt dans une autre , chacun 
faifant un Peuple à part , & vou- 
lant avoir l’avantage fur ion 
voiûn, vous courrez les uns fur 


de V Amérique Sept. 8$ 

les autres, vous vivrez toujours ex- 
pofez à de nouvelles incurfions , 
toujours dans les pertes , dans les 
invafions , Sc dans le carnage , 
au lieu qu’étant réiinis fous la loi 
d’un même Maître , vous vous 
entretiendrez tous dans une 
heureufe focieté ; les plus forts 
feront arrêtez, les plus foibles 
fecourus par l’autorite roiale s 
& vivant tous fous les mêmes 
loix , nous vous ferons part de 
nos richelTes , comme vous nous 
faites part des vôtres j nous vous 
ouvrirons le commerce de nos 
terres , & nous ne ferons parmè 
vous que pour être le nœud de 
la paix, de la concorde &C de 
l’amitié. Voilà quelles font nos 
intentions , c’eft à vous à les ac- 
cepter ou à les refufer , a voir fi 
vous devez vous défier de nous 
comme de vos ennemis , ou 
nous regarder plutôt comme 


$6 Nouvelle Relation 

vos freres, & vos fideles défen* 

feurs. 

Effetdu Ce difcours foutenu par cette 
df C M. S ^ ermet é qu’infpire un bon cœur 
de la & la bonne foi , fi c tout l’effet 
SaIe ' que M. de la Sale en pouvoit 
attendre. Maufolea lui-même 
touché des bons fentimens 
•qu’il reconnut dans nôtre chef , 
&c prefle par le témoignage de 
fa confcience , avoüa que les 
ïroquois avoient fait courir ces 
faux bruits parmi les Mafcontans , 
pour les obliger à faire entrer 
les Minois dans ces défiances , 
& peur exciter par cemoïenune 
révolté generale contre nous : 
Il demeura d’accord de la ma- 
lice des ïroquois , & convint 
avec M, de la Sale, que leur pro- 
pre fureté & celle des Minois 
dependoit uniquement de leur 
union , & de leur intelligence 
avec nous. Dés ce moment les 



de l'Amerique Sept. 87 
Illinois rentrèrent dans leurs 
premiers fentimens, &: procédè- 
rent de ne jamais renoncer à 
nôtre alliance, ni à nôtre pro- 
tection qu’ils nous fuplierent 
avecinftance de leur continuer. 

M. de la Sale content des 
nouvelles < afliirances de leur a- 
micié ne fongea qu’à poulTet 
plus loin Tes découvertes ou Tes 
conquêtes , car c’écoit à lui la 
même chofe de découvrir un 
pais, 3ç de le foumettre à la puil- 
fance du Roi. 

Se volant fur une rivière qui 
Falloir faire tomber dans le mi- 
lieu du grand fleuve Mijjijjlpi , 
il crut que pour pouvoir remplir 
la vafte étendue de fes deflei-ns, 
il n’avoit qu’à partager fes cour- 
fes en deux parties ; l’une , après 
avoir gacné ce fleuve , de le fui- 
vreen remontant vers fa lource , 
& de côtoïer fes rivages poutre- 


M.de h 

Sale 

partage 

(es cour 

fes ca 

deux 

pauic^ 


Ke fol li- 
non 
d'em- 
podon- 
ncr M. 
de laSa- 
le priiè 
par fcs 
gens. 


S8 Nouvelle Relation 
connoître les Nations qui font 
au Nord-JEft de l’Amérique} l’au- 
Gte de defcendre ce même fleu- 
ve jufqu’à la mer Mexique , àc 
de tâcher de foumettre tou- 
tes les Nations iituées fur Tes 
bords jufqu’à la mer 5 il fe refer- 
va cette derniere partie, Ce 
refolut de charger quelqu’autre 
pet ionne de la première. 

Pendant qu’il difpofoitainflfon 
voïage , nos perfides ne fon- 
geoient qu’à rompre le cours de 
fes defleins , mais voïant que fa 
prudence lui faifoit prévenir 
tous leurs complots , ils re- 
folurent de l’empoifonner. Pour 
executer ce defiein ils choifirent 
le jour de Noël de l’année 1 679. 
&c pour en avancer le fuccez, 
iis trouvèrent le moïen dejetter 
dupoifondans la marmite, afin 
qu’empoifonnant en même tems 
& le Maître & fes aflidez , ils 

puflenc 


de l’ Amérique Sept. 89 

pufleiit feuls fe rendre les maî- 
tres & du Fore, & de tout ce 
qu’il y avoit dedans. 

Le dîner aïant été fervi , on 
femità manger. A peine M. de 
la Sale & tous fes conviez fu- 
rent-ils fortis de table , qu’ils l u ; & 
fe trouvèrent également atta- g«* 
quez de convulfions, de fueurs 
froides , &: de maux de cœur. 

Ces marques trop fenfibles de 
poifon les obligèrent à pren- 
dre de la theriaque , & fans ce 
promt remede , & fans la pré- 
caution que chacun prit fur le 
champ, il auroit été impoflîble 
de fe garantir de la mort. 

Le mal avoit trop éclaté pour Em aU 
demeurer dans le filence : ces soeurs 
fcelerats voïant que leur mali- P 1 *»™ 
ce avoit avorté , prirent la fuite * uuc * 
dans les bois ; M. de la Sale les 
fit chercher en vain , &c inutile- 
ment les pourfuivit-on : N’aïain 
H 


JO Nouvelle Relation 
pu les rencontrer , il prit en leur 
place de jeunes Sauvages volon- 
taires , qui fe dévouèrent à lui 
avec une entière fidelité. Sa ré- 
putation s’étoit fi avantageufe- 
ment répandue de tous cotez 
que non feulement plufieurs 
François dirperfez dans les bois, 
mais un grand nombre de Sau- 
vages venoient de leur propre 
gré fe foumettre à lui , & recon- 
noître en fa perfonne l’autori- 
té du Roi. L’accueil favorable 
qu’il leur fàifoit , lui attirait fans 
eeffe de nouveaux foldats de tou- 
tes parts , fi bien qu’il repara 
non feulement par-là le nom- 
bre de fes fugitifs , mais il accrut 
de beaucoup fa troupe , & 
groffit considérablement fon 
magafin par fon trafic & par fes 
négociations. 

Les chofes étant dans cette difi- 
pofition chez les Illinois, M. 


de T Amérique Sept., 51 
4 e la Sale crut devoir mettre en 
execution le defl'ein de fes dé- 
couvertes } pour cet eftet il jetta 
les yeux fur M. Dacan pour faire M. Da- 
ta. découverte des terres qui font c / cho1 ' 
le long du neuve MiJJijjïpi, en tt- aller dé~ 
rant vers le Nord-Eft : il choilit ^°“ v o “ r 
pourl’accompagner,le.PtrrZ0ÆÏ.f ve ll ss 
Recollet, avec quatre François &: terres* 
deux Sauvages. : les fournit d’ar- 
mes , de munitions neceffaires s , 

& leur donna dequoi trafiquer 
avec les Nations qu’ils rencon- 
treroient. Ils s’embarquèrent le 
Février de l’année 1680. for 
la riviere des Illinois -, la des- 
cendirent jufqu’au fleuve MiJJi - 
Jfipi , poulferent leur traite 
en remontant ce fleuve jjufqu’à 
quatre cent cinquante lieues* 
vers le Nord , à fept lieues de 
fà fource, qp s’écartant de te ms 
en tems d’un côcc & d’autre du 
rivage pour reconnoitre les di- 


9% Nouvelle Relation 
verfes Nations qui les habitent, 

Jf'flèî- Ce fleuve forc d ’ une grande 

ve , Ta Source, du haut d une colline , 

Ipukc. qui borde une tres-belle plaine 
dans le pais des Ifjliti , fur le 
cinquantième degré de latitude j 
A quatre ou cinq lieues de la 
fôurce il fe trouve fi fort accru 
par cinq ou fix rivières qui s’y 
déchargent, qu’il eft capable 
de porter bateau j les environs 
en font habitez par beaucoup de 
Nations, les Hanétons ,\e s ijjati y 
les Oua , les Tintonha , les Na- 
doüejfan , M, Dacan fut très-. 

Sc ï bien re 9« tôus Ges Peuples , 
Dacan commerça ayec eux , y fit plu- 

Jécotf S beurs elcl aves j augmenta fs 
ycites. tioupe de plufieurs Sauvages 
volontaires , &pofa à deux lieuës 
de la fource de ce grand fleu- 
ve, les Armes du Rojfur le tronc 
d’un grand arbre à la veuë de 
toutes ces Nations , qui les re* 


de l’Amérique Sept. 9$ 
connurent comme celles de leur 
Prince &: de leur Maître Souve- 
rain 5 il y établit aulli plufieurs 
habitations , l’une chez les 
ou plufieurs Européens qui s’é- 
toient joints à lui dans fa courfe , 
voulurent s’habituer ; une autre 
chez les Hanétons ; une autre 
chez les Oua , un eautre enfin 
chez les Tintonha , ou gens de 
rivière. 

Charmé de la docilité de ces 
Peuples, & d’ailleurs attiré par 
le grand commerce des peaux , 
il s’avança dans les terres jus- 
qu’au Lac des Arfenipoits ; c’efi: foi 

un Lac de plus de trente lieues p 0 r it e f " 1 "' 
de tour. Cette Nation toute fa- 
rouche qu’elle eft, le receutfort 
humainement. Il y fonda une 
habitation pour les François y 
& une autre chez les chongaf- 
kabes , ou Nation des Forts, 

Içurs voifins. 


24 N o ave lie Relation 

Pendant que le lîeur Dacara 
M de la faifoit toutes ces découvertes &c 
prend Ces etabliffemens , M. de la Sale 
congé prit congé des Illinois pour 
ifli- aller à Frontenac , le 8. Novem- 
bre de l’annee 1680. tant pour 
apprendre des nouvelles d’une 
barque qu’il avoit fait depuis peu 
eonftruire & équipper, que pour 
faire une reveuë de fes magafins ,, 
de les Forts Sc de fes habitations. 
La troilîéme journée , il arriva 
Son ar- au grand Village des Illinois y 

Yilllgc a P r< ^ avoir .obfervé la litua- 
«tcs.ifix- tion du pais , au milieu de plu- 
aois ' lîeurs Nations , des Miamis , des, 
Outagamis , des Kicoapous des 
Ainom , des Mafcontans , & de 
plulieurs autres , arrofé d’une 
belle riviere, il crut devoir faire 
bâtir un Fort fur une hauteur 
qui commande à toute la 
campagne , tant pour fe rendre 
le maître de tous ces différons 


de P Amérique Sept. $$ 

Peuples , que pour fervir de re- 
traite & de rempart à nos Fran- 
çois. Ce deffein quel qu’avanta- 
geux qu’il pût être , eut pour- 
tant de facheufes fuites. 

Deux malheureux que M. de p er fy; e 
la Sale avoir envoïez l’autom- de deux 
ne derniere à Miffilimachinac , 
pour s’informer de fon nou- 
veau bâtiment , feignirent de re- 
venir lui rendre compte de 
leur expédition , ils le rencon- 
trèrent dans leur chemin à deux, 
lieues du dernier Village , de 
lui dirent qu’ils n’avoient rien 
pu découvrir de fa barque; Ce- 
pendant eux mêmes l’a voient 
brutlée après en avoir vendu 
tous les e tiers &; tout l’équipage 
aux Iroquois. M. de la Sale fè 
douta bien dés-Iors , que fa bar- 
que étoit perdue, mais il n’en pa- 
rut pas moins tranquille ; il m’é- 
crivit fur le champ , m’envoïa 


$<» Nouvelle Relation 
avec fa lettre un plan du Fort 
qu’il avoit defigné , & m’ordon- 
na d’y venir inceflâmment tra- 
vailler j enfuite après avoir re- 
commandé l’union &c la paix à 
ces deux nouveau - venus , il 
continua Ton vo'iage. 

Ces traîtres qui nous avoient 
déjà vendus aux Iroquois , &: 
qui n’attendoient que l’occafion 
de nous livrer à ces barbares , 
impatiens de profiter de l’ab- 
fence de nôtre Commandant } 
fe hâtèrent de venir nous join- 
dre : Dés qu’ils m’eurent don- 
né la lettre , je me difpofai à par- 
tir } eux de leur côté ne trou- 
vant que trop de difpofition au 
mé*contement dans les efprits dé- 
jà mal intentionnez, firent confi- 
dence à leurs anciens compa- 
gnons, de leur fecrette corres- 
pondance avec les Iroquois , ÔC 
les firent bien-tôt entrer dans 

leur 


de l’Amérique Sept. $y 
leur pernicieux deffein Tans me 
défier , je leur recommandai a. 
tous la concorde, &c aïant re- 
mis le commandement du Fort 
à celui que je crus le plus fidele, 
je partis pour me rendre à l’en- 
droit deftiné pour le Fort que 
je devois entreprendre. C’étoit 
un rocher fort élevé : fur fa 
cime il y avoit un terrain uni, 
étendu , & qui commandoit de 
tous cotez à une tres-vafte 
campagne ; j’avois déjà tiré quel- 
ques lignes pour en jetter les 
fondemens inceflamment, lorfil 
que je reçus avis, non feulement 
de la défertion de nos gens, ma s 
du vol &c du pillage qu’ils avoient 
fait detoutce qu’il y avoit déplus 
confiderable dans le Fort. On 
peut juger quelle fut ma d >u- 
leur & ma furprife: Aulfi-tô je 

quittai tout pour aller fur les 
lieux, je trouvai le Fort pillé 

I 


9$ Nouvelle Relation 
faccagéj il étoit encore gardé 
par l'ept ou huit François , qui 
in’ayoient pu refiCter à la violen- 
ce de ces traîtres ; J’avotie que 
je fus defolé de me voir avec une 
poignée de gens ? à la merci des 
Sauvages,fans fecours & fans mu- 
nitions. Ce qui fait voir que lors 

t ue les focictez font compofées 
e differens efprits , la divifion 
& la mefintelligençe y caufenc 
plus de dommage , que les ar- 
mes & la violence des propres 
ennemis. Tout ce que je pus 
faire dans une fi trille fituation , 
ce fut de drelfer un procez ver- 
bal de l’état du Fort , de l’en- 
voïer à M. de la Saie , avec un 
fîdele récit de tout ce quis’étoit 
palfé. Après cela je longeai à 
me mettre en état de netre 
point infulté. Le Fort étoit af- 
fez bien fourni d’armes &: de 
poudres je relevai le courage de 



de l'Amérique Sept. 99 
nos gens par l’efperance d’un 
promc fecours, que notre Chef 
ne manqueroit pas de nous en- 
voïer,dés qu’il nous fauroit dans 
le péril. Enfin je leur remontrai 
que c’étoit dans ces grands re- 
vers de fortune que paroifloit le 
courage & la véritable fidelité; 
que c etoit-là une occafion defe 
fignaler. A l’égard des Illinois , 
je redoublai mes foins pour les 
ménager , & pour les entretenir 
dans les memes fentimens à nô- 
tre égard ; alors chacun tâcha de 
me féconder , & nous fîmes fi 
bien , que nous trouvâmes par 
leur moien dequoi nous con- 
foler , &: dequoi reparer en 
quelque maniéré les difgraces 
que les nôtres nous avoient <Au- 
fées par leur trahifon. 

M. de la Sale a'iant receu ma 
lettre , fit d’abord une exacte 
recherche de tous ces fcelerats; 

1 »j 


ïoo Nouvelle Relation 
les uns vinrent s’abandonner à 
la mifericorde , les autres fu- 
rent pris ; il en fie mourir une 
partie , &c pardonna à l’autre. A- 
prés cela, il travailla à faire quel- 
que nouvelle recrue , & m’é- 
crivit auffi-tôe de ne me pas dé- 
courager , & de l’attendre de 
pié ferme avec le peu de mon- 
de qui me reftoit. Une année fe 
palfa dans cette attente; pendant 
ce tems-là ma petite troupe s’ac- 
crut de quelques nouveau- ve- 
nus , tant François que Sauva- 
ges ; & nous ne manquions , grâ- 
ces au Ciel , de quoi que ce 
foit. 

If . 0 ' A peine étions-nous relevez 

quoi S J, / , 

viennéc a un li grand revers } que nous 
pour 4t- nous vîmes retomber dans un 
îcs ifljé pl us funefte danger. Environ le 
nois. mois de Septembre de l’année 
i68r. il parut tout d’un coup à 
un quart de lieuë du Camp des 


de l'Amerique Sept, ioi 
Minois un gros de fix cens Iro- 
quois , armez les uns de fléchés, 
les autres d’épées , de pertuifan- 
nes , quelques-uns même d’ar- 
mes à feu. Les Illinois à cet af- 
peét rentrèrent dans leurs pre- 
miers ombrages contre nous , & 
nous foupçonnerent plus que ja- 
mais d’intelligence avec leurs 
ennemis. 

Me volant entre deux écueils, 
foupçonné par les Illinois , pref- 
fé par les Iroquois , je fis tous 
mes efforts pour raffurer lespre^ 
miers : pour cet effet je m’of- 
fris d’aller trouver les Iroquois 
dans leur Camp , pour tâcher 
de les arrêter, &: de les faire 
entrer en quelque accommode- 
ment ; en tout cas je proteftai 
aux Illinois de partager tout le 
péril avec eux , à quoi j’ajou- 
tai qu’il n’y avoit pas de tems 
à perdre, & qu’il faloit fur l’heure 
Iiij 


Leur ar- 
mée di- 
vifée en 
deux 
parties» 


J@z Nouvelle Relation 
fe mettre en défenfe. Perfuadefc 
par ^ ce diieours qui témoignoit 
nia nonne foi, üs me conjurèrent 
défaire un effort pour tâcher de 
porter leurs ennemis à la paixjme 
donnèrent un efclave pour me 
fervir de truchement , & un Mi- 
nois pour être garant de tout ce 
que j ayancerois de leur part , & 
dés ce moment ils renvoïerent 
leurs femmes Scieurs enfans dans 
les bois ; apres cela chacun cou- 
rut aux armes , & fe mit en état 
de combattre. 

L Armée des ennemis, divi- 
fée en deux ailes , étoic com- 
mandée par deux Generaux ; 
1 un nommé T agan courte , chef 
à^sTfonuontouans •> l’autre Agou- 
Chef des Dejouatages ; cel- 
le des Minois ne faifoit pas cinq 
cens hommes ; nous n’étions 
que vingt François tout au plus. 
Nos gens mêlez parmi eux les 


de l’Amerique Sept, iàj 
âMoiént à bien dreffer leurs ba- 
taillon^ , èc tâchoient de les en- 
courager par leur exemple.’ Je 
me détabhai de notre petite ar- 
mée , avec un Illinois & deux 
François feulément : Gomme je’ 
m’avançoiS vers les ennemis , 
leur aile gauche s’avançoit vers 
nos gèns , qui les attendoient dé 
pié fermé & avec beaucoup à<s 
tefôfutioh. 

Dés que ces Barbares me vi- 
rent approcher , ils tirèrent fur 
nous , mais perfonnc n’aïant été 
bleffé y je confeillai à T Illinois 
& à nos deux François de fe re^ 
tirer, & comme je n’allois pas 
là pour combattre , mais pour 
être le médiateur de la paix, je 
voulus prendre £iit moi- tout le 
péril de ma députation i je pre- 
fentaï d’aufïi loin que je pus aux f cr vée 
ennemis un Collier ; c’eft la cou- 
tume parmi les Sauvages de ya g es , 
I iiii 


104 Nouvelle Relation 
faire leurs proportions de paix 
avec des colliers y qui font chez 
eux autant de marques d’allian- 
ce & d union : je m’avançai fur 
la foi de ce gage. A peine fus-je 
entre dans leur Camp que je 
me visfaifi par ces perfides > l’un 
m anacha brufquementle collier 
de la main., un autre me porta un 
coup de couteau dans le fein , 
mais^ par bonheur le coup aïant 
gîifle fur une côte 5 je ne fus 
que legerement bleffé 5 & les 
plus raifonnables de l’affemblée 
m aïant donne quelque fècours, 
ioitpar l’application d’un certain 
baume , foit par le moien de 
quelque bande on arrêta lefan^ 
&c api es m avoir donné le tems 
de me remettre , on me condui- 
fit jufqu’au milieu du Camp a- 
vec mon Interprété. Là on me 
demanda le fujet de mon arri- 
vee ; mes forces etoient bien 


de l’ Amérique Sept. joy 
diminuées à caufe du lang que 
j’avois perdu ; mais j’avois cou- 
jours le cœur bon , &c fans m’é- 
tonner , ni de leur grand nom- De P ut * 
bre , ni de leurs menaces , je i ro - 
leur reprefentai le tore qu’ils a- quois. 
voient , d’avoir violé en ma per- 
fonne le droit des Gens , qui doit 
être refpe&é de tout le mon- 
de , & l’injure qu’ils faifoient 
au Roi mon Maître & à tous 
les François , de venir fans fu- 
jet faire la guerre à une Na- 
tion qui étoit dans fon alliance 
&: fous fa protection ; Que s’il 
leur reftoit quelque confidera- 
tion pour nôtre invincible Prin- 
ce &. pour nous , ils fe deliltaf- 
lent de cette guerre; qu’ils re- 
gardaient les Illinois comme 
leurs freres &c nos bons amis ; 
que nous trouvant unis dans cet- 
te rencontre, & ne faifant prefque 
qq’un même corps avec nous , 


îoê Nouvelle Relation 
ils ne pouvoient eonfpircr îeuf 
perte , fans confpirer en même 
tems la notre ; qu’il ne leur croit 
hî glorieux de tremper leurs 
mains dans le lang de leurs com- 
patriotes ,ni trop avantageux pour 
eux de s attirer de tels ennemis 
que les François ; que quelque 
grande que fût leur valeur,, le pé- 
ril etoit bien égal dans cette oc- 
eafion pour les deux partis , puif. 
que les Illinois etoient au moins 
au nombre de 600. combattans 
&c que nous étions bien prés de 
deux cent dans nôtre troupe^ 
( Il efl bon quelquefois de n’ac- 
culèr pas tout-à-fait jufte , & 
&r-tout à la guerre ; ) Qu’aitifi ce 
n etoit ni manque de forces ni 
defaut de courage, que je venois 
les inviter à la paix , mais par un 
pur principe d’amitié pour les 
UI J S pour les autres. J’ajou- 
tai a tout cela , que c’étoit ats 


de F Amérique Sept, 107 

nom de toute nôtre Nation, de 
M. le Comte de Frontenac leur 
Pere , au nom même de nôtre 
grand Monarque , que je leur 
faifois cette priere, & leur p ro- 
te ftai en même tems que je ne 
plaindrais pas le fang que j’a- 
vois perdu dans cette négocia- 
tion , fi j’avois le bonheur de 
recevoir de leur part une favora- 
ble réponfe. 

Pendant que je leur tenois ce 
difcours , ou que mon Inter- 
prète le leur faifoit entendre , on 
efcartnouchoit de part & d’au- 
tre , & quelque tems après , un 
de leurs gens vint donner avis 
du combat à un des Generaux , 
& lui dit même que leur aile 
droite commençoit à plier , &C, 
qu’on avoir reconnu parmi les 
Illinois quelques François qui 
failoient grand feu fur eux. Ce 
fut un contretems fâcheux pour 


io8 Nouvelle Relation 
moi ; je remarquai que ces Bar. 
baies me regardoient d’un œil 
feroce 5 & fans autre façon ils 
commençoient à délibérer fur 
ri^uc rt ce < l u lls Croient de ma perfon- 
d eue c- ne : je me preparois à tout éve- 
gorêé> cernent lorfqu’un de la com- 
pagnie s’étancpofté derrière moi, 
& tenant un rafoirdans'fa main, 
me levoit de tems en tems mes 
cheveux; Je me retournai vers 
lui, & je vis bien à fa conte- 
nance & à fa mine , que fon 
delfein etoit de m’enlever la 
chevelure , c’eft-à-dire de me 
couper la gorge; car e’elt la 
coutume parmi ces Peuples 
fauvages , quand ils vont en par- 
ti , ou à la chalfe, s’ils rencon- 
trent un François , ou quel- 
qu 'autre de quelque nation qu’il 
pniffe être, de lui couper la 
te te , & de lui enlever 1 a peau de 
delïus le crâne avec les cheveux 


de /’ Amérique Sept. 109 
en forme de calotte; ce qui eft 
chez ces Barbares le plus glo- 
rieux trophée par où ils puiflent 
fe fignalerjfi bien que m’étant ap- 
perçù que ce jeune Iroquois 
vouloir s’acquérir cette marque 
d’honneur à mes dépens , je le 
priai fort honnêtement de vou- 
loir du moins fe donner un 
peu de patience , & d’attendre 
que fes Maîtres euffent déci- 
dé de mon fort. Tagancourte 
vouloir qu’on me fît mourir , A- 
goujlot , ami de M. de la Sale, 
vouloit qu’on me donnât la vie ; 
celui-ci l’emporta fur l’autre , SC 
ce fut une efpece de prodige 
chez un peuple fx ! in humain , 
que la clemence prévaluft fur la 
cruauté. En un mot ils conclu- 
rent unanimement de me ren- Eftren; 
voïer pour porter de leur part voïé a - 
aux Illinois parole d’une paix 
entière & d ’une parfaite réü- & paix. 


«a Nouvelle Relation 
nion. Soie qu’il y eût de la fin- 
cerite ou de la diflimulation dans 
cette propofition, le plajfir de 
me tirer de leurs mains gué- 
rit a demi ma bleflure ; cepen- 
dant pour mieux me perfuader 
de la bonne foi de leurs inten- 
tions , ils me chargèrent 1 d’un 
beau collier de porcelaine , com- 
me d un gage d’union , &: me 
plièrent de leur témoigner qu’ils 
fouhaitoient déformais de vivre 
avec eux en véritables frétés, 
& comme enfans communs de 
M. le Gouverneur ; j’étois ce- 
pendant fi foible & fi fatigué , 
qu a peine pouvois-je me fou- 
tenir fur mes pieds. 

Je rencontrai en m’en retour- 
nant le Pere Gabriel de la Ri - 
bonde , & le Pere Hanoble Mem- 
bré , qui venoient s’informer de v 
mon fort* Dés qu’ils me virçi# 


de P Amérique Sept. ni 
pâle, défait, tout en fang , me 
traînant avec peine , ils ne fu- 
rent pas moins faifis de douleur 
que d’étonnement ; ma blelfure 
& la perte de mon fang les affli- 
geoit , mais ils étoient un peu 
confolez de me voir encore en 
vie , &c ne pouvoient allez me 
témoigner leur joie de ce que 
ces Barbares ne m’avoient pas en- 
tièrement tué. Nous allâmes cn- 
femble trouver les Illinois ; je 
leur répétai à peu prés les mê- 
mes difeours que les Iroquois 
m’avoient tenus , 6c leur pre- Ce qu’il 
fentai de leur part , le collier 
de paix. Cependant je leurs fis”,, 1 
entendre qu’il ne faloit pas trop 
fe fier à leurs propofitions , ni à 
leur prefent , &c qu’autant que 
j’en pouvoir juger , ils n’étoient 
pas venus-là pour s’en retourner 
fans rien faire ; qu’ils étoient 
trop jaloux de leur gloire pour 


Hz Nouvelle Relation 
ne rapporter de leur courfe , que 
l’honneur de s’être racommodez 
avec un Peuple , qu’ils préten- 
doient foumettrejQu^ainli à mon 1 
fens , toutes ces belles paroles , 
toutes ces demonftrations d’a- ! 
midé n’étoient que des apparen- i 
ces trompeufes pour les mieux 
furprcndre. 

Les Illinois n’eurent pas beau- i 
coup de peine à croire & à fe per- i 
e luader tout ce que je leur dis ; ils i 
le mirent cependant en devoir ; 
de répondre à leurs propolitions j 
par des préfens réciproques & i 
par une nouvelle ambaffade ; il ; 
y avoit eu pendant tout ce 
tems une fufjpenlion d’armes : les i 
jeunes Illinois contens d’avoir ; 
repoulîe , aux dépens de quel- I 
ques-uns des leurs, les premières j 
attaques de leurs ennemis , ne i 
voulurent point s’expoler à un j 
nouveau combat, & préférèrent le < 


de l' Amérique Sept. 11 $ 
plaifir de la chafle à une gloire 
perilleufe » ainfi la plupart pri- 
rent ce moment pour décamper , 
& dçferterent i Ceux qui étoient 
reliez , fe voïant abandonnez 
des plus braves & apperce- 
vant venir à eux les ennemis en 
corps de bataille, ils n’eurent pas 
I’alTurance de les attendre, com- 
me ils ne fe croïoient pas aflez 
forts pour fe défendre, ils prirent 
le parti de leur abandonner le 
terrain , & d’aller chercher ail- 
leurs une nouvelle demeure } ils 
allèrent rejoindre leurs familles 
à trois lieues de là. 

Les ennemis lé jetterent dans 
leur camp entièrement aban- 
donné ; quelques François qui 
relièrent ,. deux Peres Recoîlets 
& moi nous nous renfermâmes 
dans nôtre Fort ;,aubouçdedeux 
jours les Illinois aïant paru fut 
une hauteur en alfez grand nom- 
K 



Média- 
tion en- 
tre les 
Illinois 
& les I- 
îoCjUois 


114 Nouvelle Relation 
bre , 8c dans une contenance 
afl'ez fiere , les Iroquois nous 
foupçonnerent de quelque intel- 
ligence^ avec eux , & crurent 
que cetoit nous qui les avions 
rappeliez. Gomme ils les 
croïoiencen plus grand nom- 
bre qu’ils n’étoient en effet , 8c 
que d’ailleurs ils avoient éprou- 
vé leur valeur dans la derniere 
occalion , ils me prièrent de 
vouloir être leur médiateur pour 
tnoïenner encore un nouveau 
traité de paix entre les deux 
Nations : j’acceptai volontiers 
cette médiation , ils me don- 
nèrent un des plus confiderables 
des leurs pour me fervir d otage* 
j’allai trouver les Minois } & le Pe- 
re Zenoble eut la bonté de m’ac- 
compagner. Dés que je fus dans 
le camp des Minois , je leur 
propofai les offres de leurs enne- 
mis , 8c leur dis qu’ils étoient 



de V Amérique Sept, nj 
prefts detouffer toutes fortes 
d’inimitiez ; que j’amenois avec 
moi, pour garant de leur bonne 
foi, un jeune Iroquois des plus 
eonfiderables de la Nation. 

Les Illinois me coûtèrent avec 
beaucoup de plaifir , me char» 
gerent de les afTurer de leur en- 
tière correfpondance , me laif- 
fcrent le maître des articles de 
la paix , &: me promirent de leur 
envoïer fur l’heure un otage de 
pareille considération , cepen- 
dant ils me prièrent de ne point 
perdre de tems , & d’aller in- 
celfamment traiter cette affaire* 
Je voïois les chofcs en trop 
bon chemin pour ne pas me pro- 
mettre un bon fuccés de ma mé- 
diation. Après avoir pris un lé- 
ger rafraichidement chez eux »> 
je me hâtai d’aller concîurre avec 
les Iroquois 5 je leur portai pa- 
role d’un entier eonfentement 

K i j 


n6 Nouvelle Relation 
de la parc des Minois , & leur 
dis en même tems qu’ils a- 
voient mis à ma difpofition cette 
affaire; que, s’ils vouloient, nous 
irions fur l’heure même travailler 
aux conventions pour établir une 
paix fiable , folide & de longue 
duree. Là-deffus l’otage Minois 
arriva , qui confirma les I-roquois 
dans la cro'ïance de tout ce que 
j’avois avancé , mais il gâta tout 
SST P ar ^ on imprudence : car après 
d’un if- avoir loiié leur valeur & leur 
iinoi». généralité , il avoüa avec trop 
d’ingénuité, que le nombre de 
leurs combattans n’étant tout au 
plus que de quatre cent, ils rece- 
voienc leurs propofitions de paix 
comme une grâce dont toute fa 
Nation leur étoic tres-obligée » 
& que pour marque de recon- 
noiflânce ils écoienc prefts de 
leur envoïer quantité de caftors 
ôc nombre d’efclaves. Qui ne 


de l’ Amérique Sept. 117 
\ fait que lorfqu’U s’agit d’accom- 
I modement , ou de traitté , le 
trop de fincerité ou d’emprelîe- 
ment recule fouvent les affaires 
! loin de les avancer J En effet les 
ennemis qui jufques-là fur ce 
! que je leur avois dit , avoient eu 
| la moitié de la peur, &£ qui mê- 
i me croïoient le nombre de leurs 
ennemis beaucoup plus grand 
! qu’il n’étoit en effet , reprirent 
toute leur fierté , &: me firent de 
fanglans reproches de ce que 
je leur avois fait les Illinois 
j beaucoup plus forts & plus nom* 
breux qu’ils n’étoient; que je 
| leur avois arraché la vi&oire des 
mains par cette tromperie , & 
| qu’ils devroient me faire païer 
aux dépens de ma vie la perte du 
| butin qu’ils auroient fait , fans 
i moi , fur leurs ennemis. 

J’eus bien de la peine à me ti- 
rer de ce mauvais pas , cepen- 


lïf W (tavelle Relation 

dmt je leur fis entendre que ce 
que l'otage venait de leur dire y 
n’avoit rien d’incompatible avec 
ce que je leur avois dit j que dans» 
le tems de leur arrivée, les Illinois 
étoient du moins au nombre de 
fix cent combattans , mais que 
i>eaueoup avoient deferté qu’au 
relie mes intentions avoient tou- 
jours été tres-bonnes , & que 
tout mon but n’avoit été qu’à 
faire parvenir les- choies à un 
fincere accommodement. Au fur- 
plus je leur reprefentai qu’ils s’é- 
toient rendus les maîtres de leur 
camp & de leurs terres , qu’ils 
étoient en état d’impofer telle 
loi à leurs ennemis qu’ils fou- 
liaiteroient ? Ne vous eft-il pas 
alfez glorieux , ajoûtai-je , d’ac- 
,corder la paix à des gens qui 
s’offrent même de l’acheter ï 
Les Iroquois fe rendirent , ou 
plutôt firent femblant defe retv 


de l’ Amérique Sept. uj 
dre à mes raifons , me regar- 
dèrent d’un œil un peu plus 
riant, &c renvoïerent l’illinôis dans 
le camp dire à ceux de fa Nation , 
qu’ils le prioient defe rendre le 
lendemain dans le leur pour y 
conclure une folide paix. 

Les Principaux des Illinois ne Entrei> 
manquèrent pas de le trouver jesiffi- 
le lendemain au rendez-vous , «ois ss 
avec leurs caftors & leurs efcla- 
ves : les Iroquois les reçurent 
fort honnêtement, leur promi- 
rent de les remettre au premier 
jour en polTeffion de leurs habi- 
tations, & leur offrirent en même 
tems divers colliers avec quel- 
ques pelleteries. Par le premier 
collier ils demandoient pardon 
au Gouverneur des François de 
ce qu’ils étoient venus troubler 
une Nation qui vivoit fous leur 
protection : par le fécond , ils 
faifoient la même civilité à. ML 


lz@ Nouvelle Relation 
de la Sale ; & par le troifiémtf 
ils juroientaux Illinois une éter- 
nelle alliance. Les Illinois leur 
firent les mêmes proteftations 9 
apres quoi chacun fe retira. 

Perfidie Pendant que ces deux Nations 

desiro- le donnoient de mutuelles aflu- 

guois. rances d’amitié } j’appris de bon- 
ne part , que les Iroquois fai- 
foient faire des canots d’écorce 
d’orme , à deflein de pourfuivre 
les Illinois le long du fleuve pour 
les perdre & pour les extermi- 
ner. Comme j’accompagnois 
un des principaux Minois , il 
me demanda ce que je penfois 
de leur réconciliation ; je lui ré- 
pondis franchement qu’il n’y 
avoit pas grand fond à faire fur 
la parole de ces perfides ; que 
j’etois alluréqu’i 1s faifoient tra- 
vailler à des canots pour les fui- 
vi e fur leur ri viere ; que s’ils m’en 
croïoient ils profiteroient du 

tems- 



de V Amérique Sept. 11% 
teras , & fe retireraient en quel- 
qu’autre contrée où ils tâche- 
roient de fe bien fortifier pour 
fè mettre à couvert de leur fur- 
prife : l’Illinois donna dans ma 
penfée , me remercia de mon 
! confeil , & nous étant fepa- 
rez , il s’en alla rejoindre fes 
! gens , & je me retirai dans nôtre 
l Fort. 

1 Le huitième jour de leur arrivée 
& le dixiéme de Septembre , les 
Iroquois me firent appeller à 
leur Confeil avec le Pere Zeno - 
! b le , & nous aïant fait afléoir , . 
ils firent mettre fix paquets de fo i des 
caftors devant nous; enfui te ? re ^ Qb - 
m’adreflant la parole , ils me di- 
rent que leur Nation nous offrait 
ces prefens, & nous prioit en 
même tems de vouloir donner 
de leur part les deux premiers 
paquets à M. le Comte de Fron- 
tenac 3 leur pere , & de l’alTurer j 

! h " ï 


Recon- 

noiffan- 

CC LjUc 

les Fia 
cois 
leur en 
témoi- 
gnent. 


ni Nouvelle Relation 
qu’ils ne vouloienc plus manger 
des Illinois, l'es enfans 5 qu’ils 
me donnoient le troiliéme pour 
fèrvir d’emplâtre à ma plaie; 
que le quatrième nous ferviroit 
d’huile , au Pere Zeioble & à 
moi , pour nous frotter les jam- 
bes dans le cours de nos v oïa- 
ges ; que par le cinquième ils 
nous exhortoient à adorer le So- 
leil ; & qu’enfin par le lixiéme 
ils nous fommoient de décam- 
per le lendemain , &C de nous 
retirer dans nos habitations fran- 

manquai pas de les re- 
mercier au nom de toure nôtre 
Nation, tant de la confideratiôn 
qu’ils avoient témoignée avoir 
pour M. le Comte de Frontenac 
& pour M. de la Sale, que du 
bon traitement qu’ils avoient 
fait aux Minois, nos bons amis, 
ôç des bonnes huiles , ou em- 


çoifes. 
le n 


de l’ Amérique Sept, 12,5 

plâtres dont ils nous avoient gra- 
tifiez, le Pere Zenoble & moi. 
Je les fuppliai aulli de vouloir 
toujours conferver les mêmes 
fentimens pour les uns & pour 
les autres ; après quoi je leur 
demandai quand ils partiroient 
eux-mêmes , &c quand ils re- 
mettroienc les Illinois dans leurs 
terres , félon leur promefle. Cet- 
te demande leur parut un peu 
brufque ou trop hardie : je ne 
l’eus pas plutôt faite , quil s’é- 
leva un grand murmure parmi 
eux; il y en eut quelques-uns 
qui me répondirent, que puifque 
f étais f curieux , ils allaient me 
le dire ; que ce ferait apres avoir 
mangé quelques-uns de nos frè- 
res , ou des Iflinois, Aïant en- 
tendu ee difcours , je repouffai 
avec le pié leur prefent, & leur 
témoignai que puifqu’ils avoient 
ce deflein , je n’avois pas befoin 

Lij 


I ' cîcfec 
fâcheux 


il 4 Nouvelle Relation 
de leur prefent, loin de vouloir 
l’accepter ; qu’au refte je parti- 
rois fans leur ordre & fans leur 
congé , quand il me plairoit. 
Leurs chefs s’étant auffi-tôt le- 
vez , nous dirent que nous pou- 
vions nous retirer. Auffi-tôt un 
Abenaguis qui étoit parmi eux , 
& de mes anciens amis , s’ap- 
procha de moi pour me dire que 
ees gens étoient fort piquez con- 
tre moi , & me conleilla de me 
retirer le plus vite que je pour- 
rois. Je profitai de fon avis , nous 
nous retirâmes , le Pere Zenoble 
&c moi , & nous doublâmes le 
pas vers nôtre Fort , où nous e- 
tant renfermez , nous nous mî- 
mes fur nos gardes durant la 
nuit , réfolus de nous bien dé- 
fendre en cas que nous fuffions 
attaquez. 

Quand nous nous vîmes en fu- 
reté , nous raifonnâmes quel- 


de l' Amérique Sept. nf 
que tems fur la diffunulation &£ 
fur l’infidélité de ees peuples , 
fur l’état de nos affaires , &c fur 
le péril que nous avions couru 
dans ce dernier Confeil. Le Pc- 
re Zenoble me blâmoit de ma 
brufquerie, me difant qu il cil fermeté 
quelquefois bon, & même ne- >^brâ- 
ceffaire de fe ménager , quand 
on 1 n’effc pas le plus fort s dans 
l’efperance de trouver des occa- 
fions plüs favorables : Mais je lui 
dis que fouvent la fermeté qu’on 
fait paroître , a fouvent un meil- 
leur effet , que la bafleffe & la 
foumiffion ; que les âmes cruel- 
les ne s’attendrifTent jamais par 
des {implications ,&c des aétions 
rampantes , au lieu que fouvent 
elles fe rendent à la vigueur Sc 
a la refiftance ; qu’au relie , lorf- 
qu’ily a du danger, il vaut mieux 
prendre le parti d’un homme de 
cœur, que celui d’un lâche j que 


n6 Â T Quvelle Relation 

dans cette deiniere oçcalîonj’a- 
vois voulu repouflfer le mépris 
par le mépris ; qu’aïaflc entre- 
vu la mauVaile volonté des I- 

roquois, accompagnée même de 

rail erie , j’avois crû devoir re- 
buter ce qu’i ! s ne me prefen- 
toient que pour fe mieux ma. 
quer de moi, & leur témoigner 
par ma réponfe , ma fermeté 
dans ie péril, pîûtôc que d’en 
venir a des prières ou à des fla- 
teries inutiles. Cependant voïanc 
bien que nous n’étions pas en 
état de rclRr plus long-rems, 
nous s emrloiâmes le relie de la 
nuira faire nôtre équipage pour 
le lendemain ; nous étions en- 
core quinze François dans le 
Fort , les deux Peres Recollets 
& moi. Cinq François voulurent 
erre de ma compagnie, les au- 
tres fe refolurent d’aller rejoin- 
dre les Minois, ou d’aller chez 


de V Amérique Sept. irf 
quel qu’autre Nation Nous par- 
tageâmes nos munitions , nos 
armes nos effets , chacun fit 
Ton paquet. f . 

Le lendemain onzième Sep- 
tembre de l’annee 1681. des la 
pointe du jour , chacun prit Ion 
ti , nous nous embarquâmes 
les deux Peres , les cinq Fran- 
çois & moi dans un canot , fur 
la rivière des Illinois. Apres 
cinq lieues de chemin nous mi- 
mes à terre pour fcc hcr quelque 
pelleterie , pour raccommo- 
der nôtre canot qui prenoit eau 
de tous cotez. Pendant cetems- 
La le Pere Gabriel me dit qu’il i e Pere 
s’en ail oit le long du rivage di- Gabriel 
refon Office. Je l’avertis de ne crc par 
point s’écarter à caufe que nous les San- 
ctions entourez d’ennemis : La vd &- s - 
beauté du climat , la douceur 
de l’air , l’agrément & l’afpeét 
de la campagne chargée de 

L iiij 


îig Nouvelle Relation 
beaux arbres &: couverte de vi- 
gnes l’engagèrent à aller un peu 
trop avant , & le firent tomber 
dans le piege que je lui avois pré- 
dit. Cependant le jour finiffoir, 
& voïant que ce Pere ne revenoit 
point 5 feutrai dans quelque 
chagrin de fbn retardement. Le 
P ere Z enoble n en avoir pas moins 
que moi; nous allâmes le cher- 
cher de tous cotez avec un de 
nos gens j nous rencontrâmes fa 
pille 5 nous la fuivîmes quelques 
pas , mais bien-tôt apres nous la 
trouvâmes fcoupée par plulîeurs 
autres qui nous empêchèrent de 
ftuvre celle du bon Pere ; de 
forte qu apres avoir couru de 
tous cotez , au commencement 
de la nuit nous fîmes un grand 
feu fur le rivage pour lui fervit 
de lignai : nous pafiâmes même 
de 1 autre côté de la riviere , 

1 appellant de tems en teins à 


de T Amérique Sept, iv 
haute voix. Tous nos cris , tous 
nos pas furent inutiles : ce Reli- 
gieux aïant été malheureufe- 
ment rencontré dans un lieu e- 
carté , par une troupe de Sau- 
vages nommez Jpjpïcapous > fut 
entraîné dans le bois , & là il 
fut mailacré par ces Barbares , 
qui lui coupèrent la tête , & 
lui prirent fon Bréviaire qu’un 
de la troupe vendit enfuite a un 
Pere Jeluite , de qui nous avons 
depuis appris ces particularitezj 
Ainfi mourut ce bon Religieux 
âgé de foixante dix ans , au mi- 
lieu des prières & des canti- 
ques divins , par les mains de 
ces malheureux , pour le falut 
defqueîs il étoit venu dévoiler 
fa vie. 

Après ces vaines recherches, 
nous ne laiffâmes pas de l’atten- 
dre le lendemain jufqu’à midi : 
enfin n’y aïant plus d’efperance 


tjo Nouvelle Relation 
de le voir revenir,triftes quenous 
étions, nous nous embarquâmes 
fui - la même riviere , &c la re- 
montâmes à petites journées , 
toujours dans l’attente du Pere 
Gabriel. Après environ un mois 
de navigation, nous “prîmes ter- 
re à deux journées du grand Lac 
des Illinois 5 nous y conduisî- 
mes nôtre bagage par des traî- 
neaux. Etant embarquez environ 
le zo. Octobre fur ce Lac , nous 
navigeâmes huit ou dix jours % 
un coup de vent nous porta fur 
un bord , à vingt lieues du grand 
Traçoîs Village de Rotavalamia. Les vi- 
vrcs nous manquant nous fû- 
ner^das mes obligez de prendre terre , 
les b 0 js. <] e gi aner dans j es [, 0 j s; c om _ 

me j’étois extrêmement aifoibli 
par une lièvre qui me con fu- 
moir , & que d’ailleurs mes jam- 
bes étoient fort enflées , nous ne 
pouvions g uer es avancer : Ce- 


de V Amérique Sept. 
pendant à force de nous traîner, 
nous arriva aies , à ia faine Mar- 
tin, audit Village dont je viens 
de parler, où nous ne trouvâmes 
perfonne, & par confequent nul 
fecours pour nous rétablir. Nous 
avançâmes dans le defert , où 
nous rencontrâmes heureufe- 
ment du blé d’Inde, avec le- 
quel nous fîmes de la boüillie 
durant quelques jours : Etant 
munis de cette petite provifion 
nous regagnâmes le Lac , èc 
nous y étant rembarquez , apres 
deux jours de navigation un 
vent de large nous porta à ter- 
re ; nous abordâmes à une rade 
où nous trouvâmes des traces 
fraîches , qui nous conduisent 
jufqu’àun autre Village des Pou- 
toualamis y mâ\s, entièrement aban- 
donné ; il y avoit cependant en- 
core quelque relie de blé d’In- 
de , &: quelque peu de cerf bou- 


Nouvelle Relation 
canné > nous ne négligeâmes paÿ 
ce petit feeours , que le ha- 
zard nous prefentoit , & nous 
en étant fournis , le lendemain 
nous prîmes le chemin de la 
Baye des Puans , traînant tou-< 
jours nôtre canot &: nôtre ba- 
gage , & nous y arrivâmes vers 
la fin du mois de Novembre. 

Cette Baye eft un regorge- 
ment du Lac au dedans des ter- 
res ; l’embouchure en eft étroite, 
& va toujours en s’élargiflant : 
fon circuit eft de plus de dix 
lieues : il y a dans fon enceinte 
une avance du lac , qu’on ap- 
pelle, l’ance à V e (large on. Cel- 
le-cy s’appelle l’ance à l'ettur- 
geon , parce qu’il y a dans cet en- 
droit plufieurs poiflons de cette 
efpece. Nous nous y repofâmes 
quelques jours avec des Sau- 
vages qui faifoient la chafle des 
Caftors aux environs ; c’eftoient 


de r Amérique Sept. 135 
des Poutoualamis qui nous re- 
galerent de bœuf &£ de cerf 
boucanné , &c qui nous voulu- 
rent bien donner le plaiflr de 
la ChalTe. 

Comme tout ce pais eft cou- 
pé par un nombre infini de ruifi- 
feaux , ou de petites rivières 
bordées de gros arbres , &: que 
les bois y font pleins de trem- 
bles , dont les petites feiülles & 
les branches les plus tendres 
fervent de nourriture aux Ca- 
ilors , ces animaux s’y plaifent 
! fort , & y font en très-grand 
nombre. 

Ce font , comme l’on fait , caftors 
des amphibies , qui ne peu- am - 

~ ^ 11, j î> • maux 

vent le palier de I eau , de I air, am phi- 
& de la terre : ils font prefque bics. 
aufli gros que des moutons, 
mais beaucoup plus petits ; leurs 
jambes font courtes , leur qua- 
tre pattes approchent de celles 


IJ4 Nouvelle Relation 
des Singes , pour leur fouplef. 
fe ; leur muleau eft long, ar- 
mé de dents tres-fortes, leur 
coips eft revecu d’une foie lon- 
gue & fine , mais leur queue 
eft un aflemblage de plufieurs 
cordons très-durs , qui eftant 
d un fort petit volume fur le 
croupion 5 fe développent enfui- 
te ? & forment en s’élargiffant 
la bafe d’un triangle , elle leur 
1ère comme de mafle ou de 
leur * lue ^ e P our Ca per la terre moî- 
I e - Leur inftinct admirable pa- 
roît dans leur bâtiment.; ils fe 
logent dans de petites caban- 
nes qu ils fe bâti lient eux-mé- 
mes ; & quand il eft queltion 
de le loger , ils cherchent en- 
lernble un lieu commode pour 
leur habitation. C’eft pour l’or- 
dinaire dans le lie de quelque 
riviere qui ne foit ni trop large, 
lu trop profonde, fur le bord 


de ï Amérique Sept. itf 
de laquelle il y au quelque gros 
arbre , dont le tronc panche 
vers l’eau. Quand Us ont trou- 
vé un lieu qui leur convient, 
ils font entre eux un cercle; 
ils fe regardent comme s’ils 
| voulaient tenir confeil. En effet, 
on remarque qu’ils s’affembient 
j toujours en nombre impair, tels 
que (ont; cinq, fept , neuf , onze, 

| comme s’ils vouloient qu il y en 
eût un qui décidât ; enfuite , la 
première chofe qu ils font , c eft 
de couper l’arbre qui eft au bord 
! de !a rivière ; ils le prennent 
ordinairement à un pie & de- 
mi de terre , & le tranchent 
tout au tour de haut en bas , 
fi bien qu’aprés l’avoir coupé, 

! l’arbre tombe toujours dans 
l’endroit dans le fens qu’ils 
! veulent ; & c’eft juftement au 
travers de la riviere pour en 
arrefter , ou du moins pour en 


Nouvelle Relation 
rallentir le cours ; fi les bran- 
ches de l’arbre empêchent qu’il 
n’appuïe bien contre le fonds , 
ils ne manquent pas de les cou- 
per bien-tôt , &: de faire un bon 
ciment d’un côté & d’autre a- 
vec des pierres , des branches, 
&; du limon , pour former exa- 
ctement le paffage à l’eau : Si 
l’arbre n’a pas allez de longueur 
pour joindre les deux bords , 
ils en vont couper un autre au 
rivage oppofé , ou s’ils n’en 
rencontrent pas , ils font des 
elpeces de batardeaux, pour ar- 
rêter le cours de l’eau 5 mais 
comme la riviere pourrait inon- 
der , ou rompre la digue par 
là violence , ils lai lient de di- 
ftance en diftance quelques ou- 
vertures à la chauffée par où 
l’eau puiffe s’écouler ; c’elt ain- 
lî qu’ils commencent leur bâti- 
ment , enfuite ils fe mettent à 
maffonner 


de t’ Amérique Sept. 137 
mafibnner au pié d e leur ou- 
vrage : pour tour ciment ils pre- 
neur du limon qu’ils battent <3£ 
rebattent avec leur queue ; ils 
le mettent couche lur couche, 
jufqu’à ce qu’ils ayent élevé leur 
édifice trois pieds de haut ; ils 
le voûtent , le polifiènt en de- 
dans d’une maniéré ttes-proprej 
ils fe font ainfi trois petits pa- 
villons , qui communiquent les 
uns aux autres ; l’un eft pour 
leur gîte; l’autre pour garder leur 
provilion ; ôc le dernier pour leur 
neceflité 5 ce qu’il y a de plus 
merveilleux en ceci , c’elt que 
dans l’un de ces appartemens, 
ils creufent un badin , une ef* 
pece d’aqueduc, ou de canal 
fouterrain qui va jufqu’à la ri- 
vière; ce b a lin fertde refervoir 
dans lequel ils mouillent tou- 
jours leur queue , faute de quoi 
ils mourroienc bien-tôt ; Ik en 
M 


ChafFe 
aux ca- 
itors» 


138 Nouvelle Relation 
cas de péril , leur canal leur 1ère 
de refuge, & de chemin dérobé 
pour gagner la riviere. Si pen- 
dant qu ils bâtiflent , quelqu’un 
<le la troupe a écorché fa 
queue a force de taper la ter- 
re , il renverfe fa queue fur fon 
dos , pour montrer au refte de 
la troupe , qu’il n’eft plus en : 
état de travailler. ; 

Leur digue & leur cabanne é- 1 
tant faites, les Sauvages pour les i 
en chalTer, n’ont qu’à courir les 
pentes rivières , & dés qu’ils ap- 
perçoivent la chauffée , ils peu- 
vent compter que la cabanne 
du Caftor n’eft pas loin : ils s’en 
approchent d’auffi prés qu’ils 
peuvent ; dés que le Caftor voit 
ou entend les chaffeurs , il s’en- 
fonce dans fon badin , Sc fui- 
vant le courant de l’eau par def- 
fous terre , il fe retire dans le 
lit de la riviere 5 mais comme 



de ï Amérique Sept* 13 # 
il ne peut Te paffer d’air , il le- 
vé de temps en temps la tete 
hors de l’eau , & le Sauvage 
prend ce moment , fi ceft en 

été , P° ur tuer ^ ans * ea j m f" 
me , & ne manque pas de^ le 

percer de fon trait ; ou .fi celt 
en hvver , quand les rivières îont 

glacées , n’y ayant pas moyen 
de le tirer , le chaffeur fait di- 
vers trous dans la glace, dei- 
pace en efpacc , & «= “uche 
tout auprès fur le glacis ; le Ca- 
ftor paffant par deflous , leve la 
tête hors du trou pour refpirer, 
alors le chaffeur enfonce Sighffe 
la main fur le corps du Caftor 
qui nage 5 mais quand 1 a P a ,, e 

ifqu’à l’endroit où la queue se- 

largit , le chaffeur fert la main, 
l’empoignant fortement , e 
tire Si le jette fur la glace, com- 
me il ne marche que fort lente- 
ment , on lé ratrape auffi-tot, Si 
Mi) 


Ho ^ N ouve lie Relation 
J on 1 aliomme. On trouve quel, 
qu croîs des huit ou dix chauf- 
iees dans lefpace de deux iieuës, 
aucun caftornen échappe. Nous 
eûmes le plaifir de cette charte 
pendant huit ou neuf jours 
quoique le temps fuit extrême- 
ment froid. 

Après nous être un peu re- 
faits , & munis de quelques pro- 
filions , nous nous remîmes fur 
le Lac le 7. Décembre , & ayant 
pus a droite pour aller à Miffu 
Imachinac , un vent contraire 
nous arrêta pendant huit jours 
& nous força d aller relâcher 
au meme endroit d’où nous é~ 
tions partis : par malheur les 
Sauvages n’y étaient plus „ mais 
lh y avoient lailTé quelques telles 
de cerf boucanné, nouscabanna- 
mes du mieux que nous pûmes , 

nous allumâmes grand feu 
pendant toute la nuit, mais nous 


de Puimericfue Sept. 14 * 
fîmes une tres-méchante chere; 
cependant le vent changea t &Z 
nous crûmes pouvoir faire voile 
le lendemain ; mais l’ance se- 
tant trouvée toute glacée , il fa- 
lut fe réfoudre d’aller par terre. 
Comme nous étions dans ce def- 
fein, la maladie d’un de nos 
François nous arrêta. Je me dif— 
pofai à chercher du fecours dans 
le bois avec quelqu’autre de là 
troupe. Dans ce même moment s ^ 0UîS 
! deux Sauvages Ontnoùas fe pre-j cux 
fenterent , & s’offrirent de nous **»**- 
conduire dans un village voifin, ^ 
où ils nous aflùrerent que nous ftaa- 
I ferions bien reçus : notre mala- $ 01S '- 
de prît cou âge , ayant entendu 
| des offres il agrcables , & nous 
partîmes à l’heure même. Âpres 
trois bonnes heures de chemin , 
nous arrivâmes à un village des 
! FouioiiaUmis , où nous fîmes 
rencontre de plufieurs François 


141 Nouvelle Relation 
habituez avec ces Sauvages , &£ 
les uns & les autres nous y fi-, 
rent un accueil favorable. 

Habita- Après deux jours de féjour * 

jefuitcs Pere Zenoble ayant appris que 
les Jefuites avoient une belle ha- 
bitation au fond de la baye , &C 
croïant qu’il étoit plus féant à 
un homme de fon caraétere , 
d’aller dans une maifon rcli- 
gieufe , que de demeurer parmi 
des Sauvages , hommes liber- 
tins, il alla hyverner avec ces Pe- 
res : pour moi je palfai agréa- 
blement le refte de l’hyver avec 
ma troupe dans ce même villa- 
ge , jufqu’au commencement du 
Printems. 

chaire Vers le milieu du mois de 
Mars de l’année ié8z. l’herbe 
étant déjà grande dans les prez, 
j’y pris quelquefois le diverti f- 
fement de la chafle aux Bœufs: 
Ces animaux font de la moitié 


de P Amérique Sept. 145 
plus grands que les nôtres ;leur 
poil eft une efpece de toifon 
tres-fine , & fore longue -, leur 
paleron eft d’une grandeur ex- 
traordinaire ; leurs cornes recour- 
i bées font d’une hauteur prodi- 
gieufe ; leurs yeux font grands à 
| faire peur > ils vont toujours at- 
troupez, la moindre troupe eft 
i de trois ou quatre cent ; quand 
ils défilent , ils font de grands 
chemins battus , où l’herbe eft 
toute foulée : au refte , ils font 
| fi fauvages , qu’ils s’effarouchent 
au moindre bruit , ou à la moin- 
dre approche des hommes ; ils 
paiftent dans de vaftes prairies, 

1 où l’herbe eft extrêmement hau- 
te. Pour en faire une bonne 
I chalTe , les Sauvages les entou- 
! rent de loin ; cependant l’un 
| d’eux fe glirte fous l’herbe juf- 
qu’au milieu du troupeau , & dés 
| qu’il eft venu là , il s’élève tout 


fï44 Nouvelle Relation 
! d’un coup en furfaut en fâU 
fane un grand cri , les bœufs 
prennent aulïi-tôt l’épouvante # 
les uns courent d’un cote , & les 
autres d’un autre ; les Sauvages 
rangez en cercle les tirent de 
toutes parts , & comme ces ani- 
maux , tout blelTez qu’ils font, 
ne 1 aident pas de courir fur ce- 
lui qui les a tirez , pour préve- 
nir ce danger , le chafleur a- 
droit les vife à la cuiffe, ou â 
la hanche , ou à quelque jambe, 
& ne manque pas de leur fra- 
calïer l’os ; ce qui met l’animal 
dans l’impoffibilité de courir a- 
prés le coup; Comme aucun 
trait ne porte à faux , autanc de 
coups tirez font autant de bœufs 
par terre ; de forte que vingt 
ehaffrurs blefleront quelquefois 
plus de quarante ou cinquante 
bœufs , qu*ils vont en fui te af- 
fommer à coups de mafl'uë. Ce 


de l'Amérique Sept. 147 
qu’il y a de merveilleux en ce- 
ci , c’eft le fracas que faic le 
trait tiré par le Sauvage: carou- 
! tre la juitefle & la rapidité du 
! coup , la force en eft furprenan- 
te , d’autant plus que ce n’eft: 
! ou qu’une pierre , ou qu’un os , 

; ou quelquefois un morceau de 
| bois tres-dur', mis en pointe, &: 
ajuflé au bout de la flèche, avec 
de la colle de poifl’on , lequel 
fait ce terrible effet. Quand les 
| Sauvages vont à la guerre , ils 
empoifonnent la pointe, ou l’ex- 
j trémité de leur dard ; en forte 
que s’il refte dans le corps , il 
faut mourir s l’unique relïource 
! qu’il y a en cette occafion , 
j c’eft d’arracher le trait par l’au- 
tre côté de la plaie , en cas qu’il 
traverfe y ou s’il 11e traverfe pas, 

! c’eft de faire une contre-ouver- 
jture , & de l’arracher; apres 
îquoi ils conuoilfent par inftinct 
! N 



146 Nouvelle Relation 
certaines herbes , dont l’appli- 
cation emporte le venin , éc les 
guérit, 

je reliai le mois de Mars dans 
Ce même lieu : le Pere Z e noble 
vint m’y retrouver au Printems, 
& nous eftant allez rembarquer 
à Tance que nous avions quit- 
tée, nous allâmes enfin aborder à 
Mtjfüimachinac , au commence- 
ment d’ Avril , à delTein d’y at- 
tendre M. de la Sale. 

Depuis l’onzième de Septem- 
bre 1681, que nous prîmes con- 
gé des Illinois , jufqu’au 1. d’A- 
vril , fept mois s’étoient écou- 
lez : Pendant cet intervale , M. 
de la Sale , fur l’avis que je lui 
avois donné par ma lettre , étoit 
defeendu chez les Illinois , avec 
une bonne recrue , dans le delà 
fein de nous fecourir. Les Iro- 
quois avertis de fa defeente, 
craignant de fe trouver entre 


de r Amérique Sept, iqj 
deux armées , s’en écoient re- 
tournez , & les Iflinois étoient 
rentrez dans leurs pofleflions. 
M. de la Sale n’en trouva pour- 
I tant que quelques-uns , les au- 
tres étant allé hyverner dans 
; les bois; il exhorta ceux qui é- 
! toient reliez, de rapelîer leurs 
| gens , les aflurant qu’il alloit 
bâtir un Fort , qui les mettroit 
j à couvert de l’invalion de leurs 
ennemis ; vifita celui de Creve- 
cœur, qui étoit toujours en mê- 
me écat , y mit une petite gar- 
j nifon de quinze ou feize Fran- 
çois , avec un Commandant , 
des munitions & des armes. 
En fui te il remonta la riviere 
j jufqu’au grand village , où plu- 
lieurs familles Minoifes étoient 
I revenues ; travailla aux encein- 
I tes de Ion nouveau Fort , & 
| a'iant appris par quelques cou- 
reurs de bois , que j’avois pris 
N ij 


Fort Je 
Creve- 
cosar* 


148 Nouvelle Relation 
ma. route vers Mi fjilimachitiac, il 
jfe remit en chemin pour me ve- 
nir joindre , aïant cependant laif- 
fé quelques foldats, & quelques 
ouvriers au Fort déilgné , pour 
continuer Ton ouvrage & pour 
défendre ce porte. 

Il n’arriva qu’environ le iy. 
Aoull de l’année i6Sz. à MiJJi- 
limachinac , lui fixiéme 1 là nous 
prîmes de nouvelles mefures 
pour achever la découverte que 
nous avions commencée : Il fa- 
lut d’abord fonger à faire de 
nouvelles provihons pour un 
voyage de rt long cours. Ce fut 

1 ' & a .. / r 

dans cette vue qu apres ux jours 
de repos , M. de la Sale partit 
en canot, pour aller à Fronte- 
nac ; nous l’accompagnâmes , le 
Pere Zenoble & moi ; Après a- 
voir heureufement vogué le pre- 
mier our, nous allâmes prendre 
terre à un village, nommé Te- 


de P Amérique Sept , 149 

jagou , appartenant aux Iroquois. 

I M. de la Sale y trafiqua quelques 
pelleteries , &C m’aïant ordonné 
| de l’attendre-là avec le Pere Ze- 
j noble , il fe remit en canot pour 
Frontenac. Il trouva fa barque 
i en état , s’y munit de beaucoup 
de munitions & de vivres , y fit 
quelques nouveaux foldats , ôc 
m’envoïa huit jours après, fa bar- 
que chargée de nouveau mon* 

I de , de bonnes marchandées, & 
de chofes les plus necefifaires. 
Nous la montâmes le Pere ÔC 
moi , & allâmes le premier jour 
aborder à Niagara , au deflfous 
du Saut; là il falut mettre nôtre 
bagage &c nos marchandées fur 
| des traineaux , & les conduire 
i jufqu’ au lac Hyereo , où nous 
| nous rembarquâmes en canot au 
nombre de vingt perfonnes^tant 
: foldats que matelots , avec nos 
meilleures marchandées. Après 

! N iij 



ïjo N ou<velle Relation 

trois jours de navigation , nom 
allâmes prendre terre au bord 
de la riviere des Mi ami s , où. 
nous étant cabannez , j’eus le 
tems d’y rafiernbler quelques 
François , quelques Sauvages 
Abenaguis , Loups , £hùcat>ous, 8c 
autres. J’y augmentai nos muni- 
tions par le fecours de la chaffe, 
8c j y trafiquai quelques-unes de 
nos marchandises pour du blé 
d’Inde. 

Ce fut là que M. de la Sale 
vint nous rejoindre vers la fin 
de Novembre s le jour même de 
fon arrivée , nous defccndîmes 
en canot la riviere des Miamis , 
jufqu’à l’embouchure d’une au- 
tre nommée Chicacou , 8c nous 
la remontâmes jufqu’à un por- 
tage , qui n’eft qu’à une lieuë 
de la grande riviere des Illinois. 
Ayant mis à bord en cet en- 
droit, nous y palfâmes la nuit 


de l’ Amérique Sept. ifi 
avec un fort grand feu ; car le 
froid fut fi rude , que le lende- 
main les rivières furent glacees 
& impraticables. Il falut encore 
i avoir recours au traineau, pour 
conduire nôtre bagage jufqu au 

I village des Illinois, où nous trou* 

vâmes les chofcs dans le meme 
j état où M de la Sale les avoir 
laiifées ; le village étoit cepen- 
! dant plus peuplé -, ce qui nous 
donna occafion de nous remet- 
tre un peu de nos fatigues „ & 
d’y renouveller nos provilions* 
Les rivières demeurant tou- 
jours glacées , nous nous vîmes 
obligez dç recommencer notre 
chemin par terre ; le troilîeme 
| de Janvier 1683. nous pouflâmes 
nôtre traitte jufqu’a trente lieues 
| au deffous. Là , le tems fe radou- 
i cit , & les glaces fe fondirent f 
| ainfi la navigation nous aïant 
paru commode , nous nous mi* 


Nouvelle Relation 
mes en canot le 24. Janvier , èc 
nous defeendimes la riviere des 
Minois , jufqu’au fleuve Mijfiffi- 
P > °ù nous arrivâmes le z. Fé- 
vriar \ A confîderer la riviere des 
nus. Illinois , depuis Ton premier por- 
î 3 8 e 5 j eifqu a fon embouchure 
dans ce fleuve, elle a bien cent- 
foixante lieues de cours naviga- 
ble : Les environs en font aulîi 
délicieux , que fertiles 5 on y 
voit des animaux de toutes ef- 
peces , cerfs , biches , loups-cer- 
viers , orignacs , bœufs fauvages, 
chevres , brébis , mourons , liè- 
vres, & une infinité d'autres, 
mais peu de caftors : Pour des 
arbres , ce ne font que bois à 
haute fuftaïe, avec de grandes 
allées , qui femblent tirées au 
cordeau 5 outre les ormes , les 
heftres , les platanes, les cedres, 
les noyers , les châteniers , on y 
voit des plaines toutes couver- 


de V Amérique Sept. ifj 
tes de grenadiers , d’orangers , 
de citronniers , en un mot de 
toutes fortes d’arbres fruitiers. 

En plufieurs endroits on y voit 
! de grands ceps de vignes , donc 
les farmens confondus parmi 
! les branchages des plus grands 
arbres , foutiennent des grappes 
I de raifin fufpenduës , d’une 
grolfeur extraordinaire. 

Nous étanc embarquez fur le 
Miffijfîpi, nous fuivîmes ce grand 
fleuve -, à fix lieues de l’embou- 
chure de la riviere des Illinois , 
j nous rencontrâmes celle des 
Otages , dont le rivage & les Riviere 
environs ne font ni moins agréa- d cs o~ 

! blés , ni moins fertiles ; il eft vrai za â eSi 
I que fon eau charrie une fi gran- 
! de quantité de limon , quelle 
! altéré celle du Mijfijfîpi , &c la 
! rend toute limoneufe jufqu’à 
! plus de vingt lieues après fon 
embouchure ; fes rivages font 


Rivière 

des 

Ouaba- 

chi, 


IJ4 Nouvelle Relation 
bordez de gros noïers ; on y voie 
une infinité de chauflées faites 
par les caftors , & la chafle y 
eft tres-grande & fort commune 
en remontant vers fa fource ; fes 
bords font habitez par des Sau- 
vages qui trafiquent beaucoup 
en pelleteries; nous paflames u- 
ne nuit à l’embouchure de cet- 
te riviere. 

Le lendemain , apres dix lieues 
de navigation , nous trouvâmes 
le village des Tœmaoas , nous n’y 
rencontrâmes perfonne , les Sau- 
vagess étant retirez dans les bois 
pourhy verrier; nous y fîmes pour- 
tant quelques marques pour leur 
faire connoître que nous y a- 
vions palfé. Enfuite continuant 
nôtre route , nous tombâmes , 
après trois jours de courfe, dans 
l’embouchure de la riviere des 
Ouâbachi , qui vient de l’Eft , & 
qui fe jette dans le MiJJiJjipii à 


de r Amérique Sept, 
quatre- vingt lieuës de celle des 
i Illinois : c’eft par cette rivière 
que les Iroquois viennent fai- 
■ re la guerre aux Nations du 
Sud. Nous cabannâmes une nuit 
i dans cet endroit ; apres foixante 
lieuës de courfe , fuivant tou- 
; jours nôtre grand fleuve , nous 
! prîmes terre a un bord habite 
par des Sauvages , nommez 
1 chicacha. Ce fut - là que nous 
perdîmes un François de nôtre 
fuite , nommé Prudhomme La 
recherche que nous en fîmes 
^ pendant neuf jours , nous don- 
na occaflon de reconnoitre plp- 
fieurs Nations , & de bâpir un 
Fort en ce lieu , pour fervit aux 
! François d’entrepaufe &C d habi- 
. ration dans un pais auffi beau 
que celui-là. 

Durant cet intervalle , deux 
de nos Chafleurs firent rencon- 
tre de deux Sauvages Chicacha, 


Deux 
Chaf- 
feurs 
bien ie m 


Nouvelle Relation 

lauva? ‘N 1 ^ eur omirent de les condui- 
gechi. 1- e dans leur village. Nos pens 
«cha. entraînez par un efprit de curio- 
fité , les fuivirent ; ils furent fort 
bien reçus , enfuite comblez de 
prefens , & priez par les Princi- 
paux de faire en forte que nôtre 
Chef les honorât d’une vifîte. 
Nos gens tres-fatisfaits de cet 
accueil , en firent leur rapport 
à M. de la Sale , qui le lende- 
main même s’y tranfporta avec 
dix de fa troupe ; il y reçut tous 
les bons traitemens qu’on peut 
attendre de peuples les pins ci- 
vilifez, & n’eut aucune peine de 
leur infpirer les fentimens de 
foumiffion d’obeïfiance pour 
le Roy. Ces Sauvages même con- 
fentirent volontiers à la perfe- 
ction de nôtre Fort. 

dcsTk^ ^ etCe Nation efi; fort nora- 
cacha. ^reufe , & peut mettre deux mil- 
le hommes fur pié ; ils ont tous 


de r Amérique Sept. 157 
la face platte comme une affiet- 
te , ce qui eft un trait de beauté 
! parmi eux -, c’eft pour cela qu’ils 
j prennent foin d’applatir le vifa- 
ge de leurs enfans avec des ta- 
blettes de bois , qu’ils appli- 
quent fur leur front , & qu’ils 
fangîent fortement avec des ban- 
des : toutes ces Nations jufqu’au 
bord de la mer fe donnent cette 
figure : tout abonde chez eux , 
blé , fruits , raifin , olives , pou- 
i les domefiiques , poulets d’Inde, 
outardes. M. de la Sale y a'ïant 
reçu de fi bons rafraichiflemens, 
êc apres leur avoir fait, par recon- 
1 noiflance , prefent de quelques 
' couteaux, Sc de quelques haches, 
i s’en vint retrouver fes gens. En- 
I fin après neuf jours d’attente, 
j rrudhomme qui s’étoit perdu 
dans le bois , où il n’avoit vécu 
que de gibier , revint nous re- 
joindre. M. de la Sale le chargea 


Pru- 

dhÔmc 

perdu 

dans les 

bois, 

yientre- 


ij 8 Nouvelle Relation 
joindre du foin d’achever le Fort , qu’il 
ç 0 S if 5 ' nomma de Fon nom , & lui en 
donna le commandement ; après 
quoi il reprit Fa route Fur le mê- 
me fleuve , vers la fin du mois 
de Février. 

Allât- Nous Fûmes trois jours Fans 
fée C ar" ^ e ^ arc l uer > quatrième , après 
un «m- avo * r Fait cinquante lieues, nous 
bour. arrivâmes au village des Cappa : 
a peine eûmes-nous mis pié à 
terre, que nous entendîmes bat- 
tre le tambour. D’abord croïant 
voir les ennemis à nos troufles , 
nous nous jettâmes dans nos ca- 
nots, & paFsâmes à l’autre bordj 
ainfi nous Fîmes aulfi-tôt une re- 
doute , pour nous mettre à cou- 
vert de toute furptiFe. Les Sau- 
vages vinrent nous reconnoître 
en canot 5 nous leur envolâmes 
Bons ^elqu’un de nos gens au devant, 
traite- pour leur preFenter le Calumety 
h,ens lIs Faccepterent volontiers , s’of- 


de l’Amérique Sept. 159 
frirent en même tems de nous 9“*^ 
S conduire dans leur habitation, [ cs 
&: nous promirent toutes fortes Sauva- 
de fecours. M. de la Sale ne ba- | e * pfa 
| lança pas à y aller ; cependant 
l’un des deux Sauvages prit le 
| devant , pour donner avis de nô- 
tre arrivée à ceux de fa nation. 

Leur Chef accompagné des 
principaux s’avança pour nous 
| recevoir ; Dés qu’il vit M. de la 
Sale , il vint le faluer d’une ma- 
niéré fort grave , d’ailleurs ref- 
pe&ueufe ; lui offrit tout ce qui 
| dépendoit de lui , &C de fa na- 
tion ; Sc l’aïant pris par la main, 
il le conduifit dans fa cabanne. 

M. de la Sale marchant avec 
lui , témoigna combien il étoit 
fenfible à fes honnêtetez , & lui 
I fît entendre fon deffein & fes in- 
| tentions , qui ne tendoient qu’à 
I la gloire du vrai Dieu, & à lui 
faire connoître la puiffance du 


160 Nouvelle Relation 
Roi des François. Etant arrivez 
au village , nous vîmes une tres- 
grande multitude de peuple, au 
milieu de laquelle étoient plu- 
lieurs archers rangez par file. Le 
Chef, s’ellant quelque tems ar- 
rêté, déclara à toute l’alFemblée, 
que nous étions envoïez de la 
part du Roi de France , pour 
reconnoître l’Amérique Sep- 
tentrionale ,& recevoir fes Peu- 
ples fous fa prote&ion. Il fe fit 
alors une acclamation generale, 
par laquelle ce peuple parut té- 
moigner fa joie : & aufii-tôt le 
Chef a dura M. de la Sale de la 
parfaite foumifiion de tout fon 
peuple aux ordres du Roi ; le 
conduisit dans fa cabanne , & 
lui fit tous les bons traitemens 
pollibles, auiîi-bien qu’à ceux de 
fa troupe ; outre cela , il lui fit 
des prefens fort conliderables -, 
par exemple , beaucoup de blé 

d’Inde, 


de l* Amérique Sept. 1S1 
! d’Inde , 6c d'autres provifions ne- 
| celfaires , dont M. de la Sale fut 
fort content , auffi-bien que de 
toutes fes honnêtetez. Cette Na- Mceurs 
I tion n’a prefque rien de fauvage; & cou- 
! ds jugent par leurs loix 6c par 
| leurs coutumes ; chacun y jouît pa. 

! de fon bien en particulier , dans 
| l’étendue de fa terre. 

A huit lieuës de -là font les Nation 
j Akancéas , dont les terres ont Ka s n „ “ 
plus de foixante lieuës : ils font ceas. 
divifez en plufieurs villages , de 
diftance en diltance. Les Cappa. 
j nous donnèrent deux guides 
pour nous mener jufqu’au pre- 
mier , qu’on appelle Togengan: 
il eft fur le bord d’un fleuve , 

| nous y fumes très- bien reçus : 
à deux lieuës de celui-ci , nous 
defcendîmes en canot à celui de 
I Tournant ; 6c à fix lieuës de ce 
? dernier , dans un autre appelle 
CzMoni. Nous fumes par tout 

O 


Armes 
«lu Roi 
arbo- 
rées au 
bmic 
de lar- 
tillçrie. 


Climat 
de lc 
pais, ' 


Nouvelle Relation 
également bien reçus j & com- 
me notre arrivée avoit déjà fait 
du bruit dans toute la Nation , 
nous trouvâmes une fort nom- 
breuse aflemblee de peuple dans 
celui-ci j ce qui obligea M. de 
la Sale d y faire arborer les Ar- 
mes du Roi , au bruit de nôtre 
Artillerie. L éclat 8c le feu de 
nos armes imprima un tel ref- 
peét , 8c jetta une telle confter- 
nation parmi toute cette multi- 
tude , que leur Chef nous jura 
de la part de fa Nation , une in- 
violable alliance. Ce climat, & 
celui des Cappa eft le même; il 
eft fur le 34 . degré de latitude ; 
le pais abonde generalement 
par tout, en grains, en fruits,en 
gibiers de toute nature 8c de tou- 
tes efpeces : la température de 
1 air y eft merveilleufe ; on n’y 
voie jamais de nége , très peu de 
glace ; leurs cabannes font bâties 


de V Amérique Sep, ■ 

! de bois de cedre , coûtes nattées 
I, en dedans : ils nont aucun culte 
déterminé ; ils adorent touces dc c r *|‘° 
fortes d’animaux , ou pour mieux Habi- 
| dire , ils n’adorent qu’une feule tans * 
Divinité , qui fe manifefte dans 
| un certain animal , tel qu’il plaît 
! à leur Jongleur ou Prébitre , de 
le déterminer; ainfi ce fera tan- 
tôt un bœuf, tantôt un orignac , 

| tantôt un chien , ou quelque au- 
tre ; Quand ce Dieu fenfible eft 
mort , c’eft un deuil univerfel ; 
mais qui fe change bien-tot en 
; une grande joie , par le choix 
qu’ils font d’une nouvelle Di- 
vinité mortelle , qui eft toujours 
prife d’entre les Brutes. 

Environ foixante lieuës au 
deflous de cette Nation, font les Taco- 
Taencas , peuple qui ne cede ni cas * 
en force , ni en beaute de cli- 
| mat à aucun autre de 1 Ameri- 
' que. Les Akancéas nous donne - 

! Oij 


Croco- 
diles en 
grand 
oobre. 


164 Nouvelle Relation 
rent des guides pour nous y 
conduire; nous étant mis en 
canot , nous fuivîmes toujours 
le cours du grand fleuve. Dés 
la première journée nous com- 
mençâmes à voir des Crocodiles 
le long du rivage ; ils font en 
très -grand nombre fur ces bords, 
& d’une grofleur prodigieufe , 
il y en a de vingt ou trente pies. 
A voir un animal fi monftrueux, 
qui croiroit qu’il ne vient que 
comme un poulet , & qu’il foie 
éclos d’un œuf ; auffi on remar- 
que qu’il croît tous les jours de 
fa vie. Nous obfervâmes qu’ils 
nous fuioient quand nous les 
pourfuivions ; & que lorfque 
nous les fuirons , ils nous pour- 
fuivoient ; nous les écartâmes à 
coups de fufil , & noirs en tuâ- 
mes quelques-uns. Le jour fut- 
vanr, étant arrivez vis-à-.vis du 
premier village des Taencas . 3 


de l* Amérique Sept. 1^5 
- M. de la Sale me députa vers le 
! Chef, pour lui apprendre fon ar- 
rivée,^ me donna les deux gui- 
des Akancéas , avec deux Abeua- 
\ guis , pour me fervir de truche- 
ment. 

Comme ce village eft au-de- 
là d’un lac qui a huit lieues 
de tour , à demi lieue du bord; 
il nous faiut porter un canot 
d’écorce pour le traverfer , nous 
le palfâmes en deux heures. Dés 
que nous fumes far le rivage , je sc 
fus furpris de- voir la grandeur 
| du village, & la difpofition des 
cabannes: elles font difpofées à village 
divers rangs , & en droite ligne 
autour d’une grande place* tou- 
tes faites de boulîilîages,. & re- 
couvertes de nattes de canne; 

| Nous en remarquâmes d’abord 
1 deux, plus belles que les autres; 

| l’une étoit la demeure du Chef; 

& l’autte le Temple 5 chacune 


i66 Nouvelle Relation 
avoir environ quarante piés en 
quarré ; les murailles en étoienc 
hautes de dix piés , & épaifles 
de deux : le comble en forme 
de dôme étoit couvert d’une 
natte de diverfes couleurs : De- 
vant la maifon du Chef étoienc 
une douzaine d’hommes armez 
de demi-piques : comme nous 
nous prefentâmes , un Vieillard 
s’adreffa à moi , & me prenant 
par la main , il me conduifit 
dans un veftibule , ôc de-là dans 
une grande falle en quarré , pa- 
vée &: tapiflée de tous cotez 
d’une tres-belle natte ; au 
fond de cette fale , en face de 
l’entrée, étoit un tres-beau lit> 
entouré de rideaux , d’une fine 
étoffe , faite & tifluë de l’écorce 
de meûriers. Nous vîmes fur 
ce lit , comme fur un thrône, le 
Chef de ce peuple , au milieu 
Taécas de quatre fort belles femmes. 


de l’ Amérique Sept. î6j 

environné de plus de foixante 
vieillards armez de leurs arcs & 
de leurs flèches; ils étaient tout 
couverts de cappes blanches & 
fort déliées ; celle du Chef 
étoit ornée de certaines houp- 
pes d’une toifon différemment 
colorée ; celles des autres 
étoient toutes unies. Le Chef 
portoit fur fa telle une thiare 
d’un tiffu de jonc tres-induf- 
trieufement travaillé & relevé 
par un bouquet de plumes diffe- 
rentes ; tous ceux qui étoient au- 
tour de lui » étoient nud-tête ; 
les femmes etoient pare es de <j C sfem~ 
vefles de pareille étoffe ; por- mes <fe 
toient fur leurs têtes de petits 
chapeaux de jonc , garnis de ° 
diverfes plumes : elles avoient 
encore des braffelets tifïus de 
poil j Sc plufieurs autres bijoux» 
qui relevoient leur ajuftement » 

O iiij 



i£8 Nouvelle Relation 
elles n’etoient pas tout-à-fait 
noires , mais bifes , le vifage un 
peu plat , les yeux noirs , bril- 
lons , bien fendus , la taille 
fine & dégagée , & toutes me 
parurent d’un air riant & fort 
enjotié. 

Surpris , ou plutôt charmé 
des beautez de cette Cour fau- 
vage , j’adreffai la parole à ce 

coiSÎ- venerabie Chef, Sc lui dis au 
dtcffé nom deM. de la Sale, qu’aïant 
au chef l’honneur d’être envolés de la 
Sauva- P ar c du Roi de France , le plus 
ges. puiffant des Rois de la terre, 
pour reconnoître toutes les Na- 
tions de l’Amerique , &pour les 
inviter à vivre fous la domina- 
tion d’un fi grand Prince, nous 
venions leur offrir nôtre allian- 
ce & nôtre proteélion , fous la- 
quelle toutes les Nations d’en- 

haut 


de l’ Amérique Sept. 169 

haut s’étoient déjà rangées : que 
fi nous prétendions nous établir 
dans ce pais , c’étoit moins pour 
| les afifujettir fous un joug rigou- 
reux , que pour les maintenir 
j tous par la force de nos armes, 
dans les bornes de leurs pofifef- 
; fions, & pour leur faire part de 
nos plus beaux Arts &c de nos 
’ ri ch elfes -, moins pour leur ravir 
leurs tréfors , que pour leur ap- 
prendre à s’en fer vir; moins pour 
| leur ôter leurs terres , que pour 
leur enfeigner à les bien culti- 
ver , &: pour leur ouvrir par la 
navigation le commerce des nô- 
| très ; moins enfin pour être leurs 
! Souverains & leurs Maîtresse 
| pour être leurs amis &c leurs frè- 
res. 

| Le Chef après m’avoir attcn- 
i rivement écouté , & un de nos 
I Abenaguis lui aïant expliqué le s 
fens de mon difcours , m’embraf ponte, 
j P 


170 Nouvelle Relation 
fa , me répondit d’un air doux 
& riant , que fur le rapport que 
je lui faifois de la grandeur de 
notre Monarque , il avoir déjà 
conçu pour fa Majefté tous les 
fentimens de vénération 8c de 
refpcd qu’on devoir à un fi 
grand Princes qu’il auroit le 
lendemain l’honneur de voir M. 
de la Sale , &: de l’en aflurer 
plus particulièrement. Là-deffus 
Prefens î e oflris de la part de M. de 
quon la Sale, une épée damafquinée 
~ m c ' d’or 8c d’argent , quelques étuis 
garnis de rafoirs , cifeaux 8c 
couteaux, avec quelques bouteil- 
les d’eau de vie. Je ne faurois a£ 
fez exprimer avec quelle joïe il 
Une de re çut tous ces petits prefens : Je 
fès fem- m’apperçus cependant qu’une 
moi- de les femmes maniant une paire 
gncntfî- de cifeaux , 8c en admirant la 
P ro P r eté , me fourioit de tems 
quelle a en tems , 8c fembloit m’en de- 


de l'Amérique Sept, iji 
mander autant ; Je pris mon a ’ avo ^ r _ 
tems pour m’approcher d’elle , re de 
& aïant tiré de ma poche un pe- eifeanx. 
tit étui d’acier travaillé à jour , 
où il y avoit une paire de cifeaux, 

& un petit couteau d’écaille ; S>C 
faifant femblant d’admirer la 
blancheur & la finefle de fa vef- 
te , je lui mis finement l’étui 
dans la main : En le recevant elle 
ferra fortement la mienne , & 
me fit concevoir par-là y que ces 
femmes n’ ont pas tout-à-fait le 
cœur fauvage , &: qu’elles pour- 
roient bien s’apprivoifer avec 
nous.Une autre de lacompagnie, Uueau* 
«ui n’étoitni moins propre , ni trefetn - 
moins agréable que celle-ci , man d c 
nous étant venu joindre, me des -é 
fit entendre , en me montrant P in S 1 *’ 
les épines qui lervoient d’at- 
tache à fa juppe , que je lui ferois 
plaifir de lui donner des épin- 
gles; Je lui en donnai un rouleau 

. p n 


i?i Nouvelle Relation 
de papier garni , avec un étui 
d aiguilles, & un dé d’argent. 
Elle reçut ces colifichets avec 
une joie tout-a-faic grande: j’en 
donnai autant aux deux autres» 
La mieux faite, & celle qui pa- 
roifibit la plus aimable , aiant 
pris garde que j’admirois le col- 
lier qu’elle portoit à fon coû , 
elle le détacha adroitement, & 
me 1 offrit d une maniéré tout-à- 
fait honnefte : Je me défendis 
quelque temps de l’accepter : 
mais le Chef lui aïant fait ligne 
de me le donner , je ne pus me 
difpenfer de le recevoir , à def- 
fein de le prelènter à M. de la 
Salle. Pour lui témoigner ma 
reconnoifiance , je lui donnai dix 
brades de rafade bleue, quelle 
me parut eftimer pour le moins 
autant. 

donne 11 Cependant comme le jour de- 
oaHC ‘ clinoic , je voulus prendre con» 


de l'Amérique Sept. i/$ 
gé du Chef de cette Nation ; p« îes 
mais il me pria fortement cl at- 
tendre au lendemain , ôc me re- 
mit entre les mains de quelques- 
uns fes Officiers , avec ordre de 
me faire bonne chere. Je n’eus 
pas beaucoup de peine à me 
rendre à fes offres ; &: l’envie que 
j’avois d’apprendre leurs mœurs 
& leurs maximes , me fit refter 
avec plaifîr. On me conduifit 
d’abord dans un appartement 
meublé à peu prés comme celui 
du Prince: on m’y donna une col- 
lation mêlée de gibier & de fruit, 
je bus même quelques liqueurs. 

Pendant ce tems-là je m’en- Lellt 
tretenois avec un vieillard , qui devoû 
me fatisfit fur tout ce que je 
lui demandois. Pour ce qui con- leur 
cernoit leur Politique , il me dit thtf- 
qu’ils ne fe gouvernoient que 
par la feule volonté de leur 
Chefj qu’ils le reveroient corn- 

P iij 


l 7 4 Nouvelle Relation 

me leur Souverain •, qu’ils recon- 
noifloient les enfans comme les 
légitimes Succelîeurs •, que lors- 
qu il mouroit , on lui facrifioit 
la première femme , fon pre- 
mier Maître-d’hôtel , &■ vingt 
hommes de fa Nation , pour 
1 accompagner dans l’autre mon- 
de : Que durant fa vie, perfonne 
ne buvoit dans fa talle , ni ne 
mangeoit dans Ion plat, nin’o- 
feroit palTer devant lui quand il 
marche : qu’on prend foin non 
feulement de nettoïer le che- 
min par où il palfe , mais de 
le joncher d’herbes & de fleurs 
odoriférantes. J’obfervai dans 
le peu de tems que je fus en la 
prefence, que s’il parloit à quel- 
qu’un , avant que de lui répon- 
dre , il faifoit de grands hurle- 
mens ; Je priai ce bon vieillard 
de m’en dire ia raifon : il me 
dit que ces hurlemens étoient 
des marques d’admiration & de 


de l’Amérique Sept < 175 

refpect. A l’égard de leur Reli- 
gion , il me die qu’ils adoroient gion . 
le Soleil, qu’ils avoient leurs 
Temples , leurs Autels' & leurs 
Prêtres ; Que dans ce Temple 
ils y entretenoienfci-ua feu per- 
pétuel , comme le fymbole du 
Soleil ; qu’à tous les déclins de 
| la Lune , ils portoient par for- 
me de Sacrifice , à la porte du 
Temple , un grand plat de leurs 
mets les plus délicats, dont leurs 
j Prêtres font une offrande à leur 
Dieu ; & qu’enfuite ils l’empor- 
j toient chez eux pour en faire 
grand’-chere. 

| A l’égard de leurs Coûtâmes, ^ 
que tous les Printems ils vont mcs . 
j en troupe dans quelque lieu e- 
! carté, défricher un grand ef- 
! pace de terre , qu’ils piochent 
! tous au fon du tambour ; qu’en- 
fuite ils prennent foin d’appla- 
nir la terre , d’en faire un grand 


1 7 & N ouvelle Relation 

champ , qu’ils appellent le De- 
fin , ou le Champ de l'ejprit. 
En effet, c’eft-là qu’ils vont en- 
tretenir leurs rêveries , &c atten- 
dre les infpi rations de leur pré- 
tendue Divinité. Cependant 
comme tous les ans cet exerci- 
ce fe renouvelle , il arrive qu’ils 
défrichent infènhblemen; toutes 
leurs terres , & qu’elles leur 
rapportent par-là de plus grands 
revenus. En Automne iis cueil- 
lent leur blé d’Inde > ils le gar- 
dent dans de grands panniers 
jufqn’à la première Lune du 
mois de juin de l’année fuivan- 
te. En ce tems-là les familles 
s afîemhlent , & chacun invi- 
te les amis ou les voifins à 
venir manger de bons gâteaux, 
à quoi ils joignent de la vian- 
de , &: ainfi ils paflent la journée 
en feflins. 

V oila tout ce que je pus ap- 


de V Amérique Sept. ijj 
prendre ce jour-là de leur Re- 
ligion , de leur Gouvernement 
& de leurs Coutumes. Le len- 
demain j’eus la curiofité de voir Lcür 
leur Temple avant mon dépare, Téple. 
le même vieillard m’y accom- 
pagna : La ftruélure en dehors 
en eft toute femblable à celle de 
la maifon du Chef ; Il eft en- 
fermé dans le circuit d’une gran- 
de muraille , l’efpace qui eft en- 
tre-deux , forme une efpece de 
parvis , où le peuple fe prome- 
né ; on voit au dcftlis de cette 
muraille un grand nombre de 
piques , fur la pointe defquelles 
on met les têtes des ennemis , 
ou des plus grands criminels : 

Au deflîis du frontifpice on voit 
un gros billot fort élevé , entou- 
ré d’une grande quantité de 
cheveux , & chargé d’un tas de 
chevelures en forme de trophée. 

Le dedans du Temple n’eft qu’u- 


178 Nouvelle Relation 
ne nef peinte ou bigarrée en 
haut par tous les cotez , de plu- 
lîeurs figures differentes. On 
voit au milieu de ce Temple un 
grand foïer qui tient lieu d’au- 
tel, où brûlent toujours trois 
groffes bûches mifes de bout 
en bout , que deux Prêtres re- 
vêtus de grandes cappes blan- 
ches , prennent foin d’attifer. 
C’eft autour de cet Autel en- 
flâmé , que tout le monde fait 
fes prières , avec des hurlemens 
extraordinaires. Ces prières fe 
font trois fois le jour , au lever 
du Soleil , à midi , & à fon cou- 
cher. On m’y fit remarquer un 
cabinet ménagé dans la murail- 
le 5 le dedans m’en parut tres- 
beau , je n’en pus voir que la 
Voûte, au haut de laquelle é- 
toient fufpendus les corps de 
deux aigles deploïées & tour- 
nées vers le Soleil} je demandai 


de /’ Amérique Sept, vjy 
à y entrer; mais on me dit que 
c’étoit-là le Tabernacle de leur 
Dieu , & qu’il n’étoit permis 
qu’à leur grand-Prêtre d’y en- 
trer- J’appris cependant que c’é- 
toit-là le lieu deftiné pour la 
garde de leurs tréfors & de leurs 
richeifes , comme perles fines , 
pièces d’or & d’argent , pierre- 
ries , & même plufieurs mar- 
chandées européennes , qu’ils 
trafiquent, avec leurs voifins. 

Après avoir vu toutes ces cu- 
riofitez , je pris congé de ceux 
quim’accompagnoient. Je m’en 
retournai avec mes deux inter- 
prètes vers M. de la Sale , à qui 
je rendis un compte fidele de 
tout le bon traitement, que j’a- 
vois reçu du Chef des Tacucas, 
de fa magnificence , &c fur tout 
de la difpofition où il étoit de 
reconnoître l’autorité du Roi. 

Quelque tems après, nous le 


1S0 Nouvelle Relation 
Kt m!” v * mes . ârr ‘ ver dans une pi roque 
de la magnifique, au fondu tambour 
Saie ‘ & de la mufique des femmes qui 
1 accompagnoient s les unes é- 
toient dans fia barque , les autres 
voguoienc à côté de la fienne. 
M. de la Sale le reçut avec un 
relpect mêlé d’un certain air de 
gravité , qui repondoic au cara- 
élere qu il devoir fioutenir en 
cette rencontre ; il le remercia 
de l’honneur de fia vifite , & lui 
témoigna qu il ne la recevoir 
qu au nom du Prince , de la part 
duquel il étoit envolé ; Que ne 
doutant pas qu’il ne fût dans les 
fenriraens de reconnoître la 
pui fiance , il l’afiiiroit de fia pro- 
tection & de fion amitié roïale. 
Le Chef des Tacucas répondit , 
que ce qu’il avoit appris de la 
grandeur du Roi des François , 
& de la valeur de fies Sujets , 
ne lui avoit pas permis de balan- 




de V Amérique Sept . 1S1 

cet un moment lur les homma- 
ges qu’il venoit lui rendre en fa 
perfonne; &que tout Souverain 
qu’il écoit , il fe foumettoit vo- 
lontiers à la puiflance de nôtre 
grand Roi , & qu’il feroit ra- 
vi de mériter par Tes fervices 
nôtre p'roteûion & notre allian- 
ce. Après ces proteftations d’a- 
imicié de part & d’autre , ils le 
firent des prefens réciproques. 
M. de la Sale lui offrit deux 
jb rafles de rafade , &C quelques 
étuis pour fes femmes. Ce Chef 
des Sauvages lui donna fix de 
fes plus belles robes , un collier 
de perles , une piroque toute 
remplie de munitions &c de vi- 
vres; après quoi l’on apporta une 
douzaine de caraffes d’eau de 
| vie préparée avec le fucre & le 
■noyau flamande &: d’abricot. La 
'Santé du Roi y fut bue au bruit 
de nôtre artillerie ; enfuite cel- 


ï 82 Nouvelle Relation 

ie du Chef des Tacucas ; après 
quoi il remonta fur fa piroque , 
S£ s’en retourna tres-content. 

Nous reliâmes encore fur ce 
bord toute la journée; nous prî- 
mes hauteur , & nous nous trou- 
vâmes au vingt-cinquième de- 
gré de latitude. Le lendemain 
2,2. Mars de la même année 1683. 
nous allâmes coucher à dix lieues 
de-là. 

M. de la Sale , a'iant apperçu 
une piroque qui venoit nous re- 
connoître , m’ordonna de lui 
donner la chaffe. Je courus d’a- 
bord vers elle; mais comme j’é- 
tois fur le point de la prendre, 
plus de cent hommes parurent 
fur le bord de l’eau , l’arc bandé, 
tout prêts à nous tirer. M. delà 
Sale me fit faire ligne par de 
grands cris , de n’aller pas ou- 
tre ; & m étant aullî-tôt venu 
joindre avec Ion monde, nous 


de l' Amérique Sept. 185 

allâmes nous camper vis-à-vis 
d’eux , le moufquet en jolie. 
Cette contenance les aïant é- 
tonnez,ils mirent les armes bas ; 
j& je fus fur le champ comman- 
dé pour leur aller porter le Ca- 
lumet. Après les avoir abordez, 
je leur offris le collier de paix ; 
iis l’acceprerent de bonne grâce, 
ttfembrafferent , & me firent 
connoître qu’ils vouloient être 
de nos amis. M. de la Sale, aïant 
remarqué la manière obligean- 
te dont ils rn’avoient reçu , vint 
jnous joindre au même bord; 
Aulfi-tôt ces Sauvages,l’aïant re- 
connu pour nôtre Commandant, 
lui rendirent toutes fortes d’hon- 
neurs. Il leur témoigna qu’il 
n exigeoit rien d eux qu une re- 
connoifiance & qu’une foumif- 
fion volontaire aux ordres de nô- 
s tre grand Monarque : à quoi il 
ajouta l’exemple des Nations fu- 



Naches 
parta- 
gez en 
deux 
domi- 
nations. 


184 Nouvelle Relation 
perieures , & fe fervic des mê- 
mes raifons dont il s’étoit fervi 
en de pareilles occalions. Ils lui 
répondirent qu’ils avoienc leur 
Chef, & qu’ils ne pouvoient 
rien faire que par fon ordre ; 
qu’ils s’offioient de le faire ve- 
nir vers nous , ou de nous con- 
duire jufqu’à fort habitation. M. 
de la Sale toujours fort aife de 
reconnoître la fi tu a don , les 
mœurs , & les facultez de tou- 
tes ces Nations, prit ce dernier 
parti. Leur village étoit à qua- 
tre grandes lieues du bord du 
fleuve ; nous n’y fûmes pas plu- 
tôt arrivez , que le Chef vint 
nous recevoir : Il nous condui- 
fit dans faeabanne, où il nous re- 
gala tres-bien. C’étoit le Chef 
de la Nation des Naches. Ce 
peuple eft partagé en deux do- 
minations i celle-ci étoit la moin- 
dre ; leurs terres ne vont pas à 


igy de l’ Amérique Sept. i%6 

plus de vingt lieues à la ronde. 

Le Prince qui commande à ces 
Peuples , pria M. de la Salle de 
vouloir bien accepter quelques pre. 
fensdu pais. M. de la Salle lui donna 
une hache , une marmite , & quel- 
ques couteaux. Nous en reçûmes en- 
core quelques prcvifîons , & nous 
nous feparâmes très - fatisfaits les 
uns des autres. Il nous fit donner deux 
guides pour nous accompagner juf- 
ques dans l'autre Nation du même 
nom , qui eft dix lieues plus avant 
dans les terres. 

Nous étant mis en chemin fous la Autres 
conduite de nos guides, nous arriva- Peuples 
mes , le foir même , au village des appelles 
JSIaches. Cette Nation peut mettre en 
tout tems trois mille hommes fous les 
armes. Leurs terres portent du blé 
d’Inde, de toutes fortes de fruits", des 
oliviers & des vignes On y voit de 
vaftes prairies , de grandes forêts , de 
joutes fortes de beftiaux ; la pefcbe 



10 7 nouvelle Relation 

gM, C r heftl , mS re Ç U 5 aveC jOÏe; HOUS 

*E prefent de provifions de bouche 
& nous regala de tout ce qu’il avoir 
de meilleur. Le lendemain de nôtre 
arrivée , nous y arborâmes les Ar- 
mes du Roi au bruit de nos mouf- 
quets ; après quoi , nous prîmes con- 
ge de leur Chef , qui nous aflura 
dune parfaite foumiffion. 

Etant rentrez dans nos canots, 
apres huit lieues de navigation 
nous defcendimes au village de Col 
Coroas, roas. Le Chef nous y fie le même 

dS- fait ? 611 qUC kS aUtrCS n ° US avoient 
Le lendemain , 27. Mars 1681. 
La Sa- j,° US caban names à l’embouchure 
bloniere d u » e rIvler e , qui vient de l’Oüeft : 
rivière ° n la nomme U Sabloniere. A dix 
divifée lieues de là, nous remarquâmes 

canaux 5 q “ elle f e P arCa S e en ^ois canaux. Je 
canaux. pns ceJm de k droite> dfi j F J 


de l Amérique Sept. i $9 

r et celui de la gauche , & M. 
de la Sale celui du milieu.. Nous 
luivîmes chacun nôtre canal, 
environ dix lieues , & peu de 
tems apres , nous nous trouvâ- 
mes reünis par une elpece de 
confluent fur le meme fleuve. A 
peine eûmes - nous fait fix 
lieues enfemble y que nous ap- 
perçûmes des pefeheurs fur le 
bord de l’eau : côtoient des 
. Des qu'ils nous vi- 
rent approcher , ils allèrent a- P 1 ^^ 
vertir leurs gens ; auffi-tôt nous g Cs . 
entendîmes battre le tambour, 

& le rivage fut bordé de Sauva- 
ges armez d’arcs de fléchés*, 
nous voulûmes envo'ier quatre 
François à la découverte, mais 
ils furent rudement repou (fez à 
force de traits * quatre de nos 
Sauvages voulurent s avancer de 
même, ils furent également trai- 
tez * de forte que M. de la Sa- 


190 Nouvelle Relation 
le ne voulant rien rifquer, & 
ii étant point d’humeur à forcer 
ces gens-là , il trouva plus à 
propos de les 1 aider en repos , 
que de paffer outre. 

A douze lieues des JjfmnipiJJas, 
nous tombâmes fur la droite, 
£& dans le village de Rangibao \ 
lagc. nous le trouvâmes pillé, faccagé 
& quantité de corps morts en- 
taflez les uns fur les autres. Ce 
Ipeétacle nous fit frémir , & ju- 
geant bien qu’il ne faifoit pas 
bon fur ces rivages , nous payâ- 
mes plus loin ; & après dix lieues 
de chemin, nous commençâmes 
a nous appercevoir que l’eau 
éto^t falée, la plage nous parut 
plus étendue ,& toute femée de 
coquilles différemment figurées, 
les unes en gondoles , les autres 
en pointes fpiralés , & toutes 
ornées de plufieurs couleurs. 
Nous allâmes plus avant , & a- 


de /' Amérique Sept. ip% 

prés une heure de navigation s 
nous nous mîmes en un canoc 
fur la mer , nous côtoîâmes le 
rivage , environ un grand quart 
de lieuë , pour mieux connoître 
les bords , & nous revînmes en- 
fin prendre terre à l’embouchu- 
re de nôtre fleuve. 

Ce qui arriva le 7. Avril de Terme 
l’année 1^83. D’abord nôtre pre- 
mier foin fut de rendre grâces don. 
à Dieu y de nous avoir fi heu- 
reufement conduits ju (qu’au ter- 
me de nôtre voïage , après plus 
de huit cent lieues de naviga- 
tion &: de courfe avec fi peu 
de monde , fi peu de munitions» 

& au travers de tant de Nations 
barbares , que nous n’avions pas 
feulement decouvertes , mais en 
quelque façon foumifes. Nous 
chantâmes le Te Deum-, enfuite 
de quoi , portant nos canots & 
nôtre équipage fur des traîneaux» 


I9i Nouvelle Relation 
nous allâmes cabanner un peu 
au dellus de la plage, pour nous 
mettre à couvert du reflux qui la 
couvre toute entière , après l’a- 
voir laiflee à fec pendant flx 
heures. 

Aïant choifi le lieu de notre 
nouveau campement , nous at- 
tachâmes une Croix au haut d’un 
gros arbre , & nous y arborâ- 
mes les Armes de France j apres 
quoi nous conftruisîmes trois 
ou quatre cabannes auprès, au 
milieu de quelques retranche- 
mens. Enfuite M. de la Sale prit 
Les points de hauteur pour de- 
Miffif- term iner l’embouchure du Mifi 
fipi, fon JtJfipi. Les Efpagnolsqui l’avoieüt 
X b r° U futilement cherchée , avoient 
déjà donné à ce fleuve le nom 
del Rio afcondido : Selon le cal- 
cul de M. de la Sale , c’efl: en- 
tre le zz. & zj, degré de latitu- 
de , qu’il Le jette dans le Golphe 
Mexique 


de l’ Amérique Sept 193 
Mexique, par un gros canal qui 
a deux lieues de largeur , qui 
eft profond, 8c tres-praticable. 
Avant que de quitter fes bords, s« 
M. de la Sale voulut un peu les kords. 
reconnoître.Ileft confiant qu’au- 
prés de la mer ils font inhabi- 
tables, tant à caufe desfrequen- 
tes inondations du Printems , 
que pour la fterilité de la plage. 

Ce n’eû par tout ce pais , que 
cannes , «onces , & bois ren- 
verfez ; mais environ une lieue 
8c demie dans les terres -, c’efl 
le plus beau fejour du monde ; 
grandes prairies , bois francs , 
remplis de meuriers , ndiers , 
chaftaigners. On y voit des cam- 
pagnes couvertes de toutes for- 
tes d’arbres fruitiers , d’orangers, 
de citronniers, de grenadiers ; des 
coteaux chargez de vignes ; des 
champs qui portent deux fois 
l’an du blé d’Inde. On voit 

R 


CihoUs } 
cfpece 
de gros 
bœufs . 


Cornet 
s’en fait 
îa ch ai- 
le. 


194 Nouvelle Relation 
dans les étangs , ou fur les riviè- 
res, toutes fortes d’oifeaux aqua- 
tiques , comme canards , oyes , 
macreufes , plongeons ; dans les 
bois &c dans les campagnes tou- 
tes fortes de volatiles , perdrix, 
faifans , cailles ; d’animaux à qua- 
tre piésde toutes efpeces, fur-tout 
de gros bœufs qu’on appelle Ci - 
kolas: ils font beaucoup plus gros 
que ceux dont nous avons déjà 
parlé, & boffus depuis le chignon 
du coû, jufqu’au milieu du dos: 
ils paillent dans les cannes , & 
s’attroupent jufqu’au nombre de 
quinze cent. On en fait la chafl'e 
d’une maniéré allez particulière ; 
Comme ils font au milieu de ces 
cannes dans des forts impéné- 
trables , les Sauvages font un 
grand circuit autour, & y met- 
tant le feu par divers cotez, fur- 
tout quand le vent fouille un 
peu plus fort quà l’ordinaire , 


de T Amérique Sept* 195 
;ils excitent un grand incendie, 
tout l’air eft d’abord rempli de 
fumée , laquelle fe change 
en flâme en un moment ; &c la 
rapidité du feu jointe au bruit 
efftoïable que fait cette forêt 
fragile & brûlante , jette l’épou- 
vante dans le troupeau. Ces gros 
bœufs effraïez fuient de toutes 
parts -, les Sauvages perchez de 
diftance en diftance fur des ar- 
bres , dardent les uns,tirentfur les 
autres , & en font une bouche- 
rie incroyable. Par un hazard 
fortuné , les Sauvages Tangibao , 
Jguinipijj'as , Naches , ( car plu- 
fieurs Nations fe joignent en- 
femble pour cette chalfe ) firent 
une chaflê pendant notre fejour, 
& nous y profitâmes de trois gros 
bœufs , qu’ils nous abandonnè- 
rent-, & les aïant dépecez, nous 
en fîmes bonne -chere pendant 
«ois jours , & nous en eûmes 


i #6 Nouvelle Relation 

encore de refte pour le jour de 
nôtre départ. 

M. de la Sale voulant aller 
faite part de les decouvertes à 
M. le Comte de Frontenac , & 
défilant confirmer les peuples 
qu'il avoit reconnus,dans les bons 
fentimens qu’ils avoient déjà 
conçus pour nôtre Nation, refo- 
lut de remonter le même fleuve 
vers les Illinois ; de là regagner 
les Lacs , pour aller à J? 'uebec , 
& enfuite faire voile en France, 
à deflein d’informer la Cour de 
fes voïages & de fes découvertes. 

L’onzième d’ Avril de la mê- 
me année 16.83. nous nous remî- 
mes en canot fur le même fleu- 
ve : Nous étions au nombre de 
foixante perfonnes. Comme ce 
fleuve, environ cinquante lieues 
au deflus de 5 la mer , fe divife 
en trois grands canaux , qui fe 
réünilTent en un fe.ul , npus ar- 

'• / 


de l’Amérique Sept. i 97 

rivâmes dés la première journée 
au confluent de ces trois ras, 

& la fixiéme après , à la pointe 

de fa divifion. Laies vivres aiant 

commencé à nous manquer , 1 
falut pourvoir à cette neceflite. 

Nôtre première reffource furent 
les Crocodiles -, nous en tuâmes ( ],; es f cr . 
d’abord deux d’une médiocre 
prandeur -, la chair en eft terme, £u , c< 
blanche &: d’un tres-bon goût-, 
elle a la fermeté du Thon, & la 
douceur du Saumon > nous nous 
en régalâmes pendant quelques 
purs , mais le courant du neuve 
nous paroiflânt de jour en jour 
plus rapide, nous fumes obligez 
d’aller par terre , &c de condui- 
re nôtre équipage avec des 
traîneaux jufqu’aux ^uiniptjjas. 
Comme ce peuple nous avoit 
tres-mal reçu en defccndant 5 
nous crûmes devoir prendre nos 
mefures pour nous le rendre 

R iij 


i5>S Nouvelle Relation 
plus traitable ; c’eft pourquoi 
nous envoiâmes deux Ahena- 
guis , & deux Loups à la décou- 
verte. Ceux-ci n’aïant rencontré 

©uatre ^ ue < l ua£re femmes , nous les 
femmes amenèrent le loir même. Cet- 
* 3 . . te capture nous fit piaifir, & 
pàias nous elperames pouvoir par-là 
paies, réduire ces Sauvages à tout ce 
que nous voudrions. II eft vrai 
que nous en niâmes à l’égard de 
ces femmes avec toute la difere- 
tion l’honnêteté pofïible ; & 
le lendemain nous étant appro- 
chez de leur village 3 nous leur 
en ren volâmes une avec quel- 
ques prelens , pour leur témoi- 
gner que nous ne voulions que 
leur amitié , & quelque fecours 
de vivres. Elle leur fit montre 
de quelques paires de cifeaux 
de quelques couteaux que nous 
lui avions donnez ; leur fit rap- 
port de nôtre bon trairementj&t 



i,rAn,eri<tM.S't'- W 

«le nos intentions. D abord qna 
tre des Principaux de leur Na- 
tion vinrent nous apporter quel- 
ques munitions ,& nous inviter a 
venir nous réjouir dans leur habi- 
tation.Nous remîmes les trois au- 
tres femmes entre leurs mains 
comme nous les avions pnfes ; & 
nous nous approchâmes d eux, en 
nous tenant toujours fur nos gar- 
des. Dés que nous fûmes arrivez 
à leur village, ils nous prelente- Cara> 
rem de leurs fruits , & quelque^ 
oifeaux de rivrere allez bien ap- g» 
prêtez. Après nous être remis ôl ^ 
nous nous retirâmes environ çepe ' 
©as â l’écart , & cabotin âmes ce 
foir entre leur village Sc le neu’ 
ve. Dés la pointe du jour » ces 
traîtres nous environnèrent , &C 
nous attaquèrent ; mais ils ne 
nous trouvèrent point endor- 
mis ; nous avions fait fentmelle 

toute la nuit , & dés leur pre- 

R ni) 


zeo Nouvelle Relation 
miere approche , nous fûmes m 
ctat c les repoulfer ; nous en 
je«.tames d abord cinq ou fix par 
terre , le refte prit la fuite , & 
les axant pourfuivrs , nous nous 
contentâmes d’en tuer encore 
d f ux , ou trois autres , & leur 

c e ^ c | ure nous fervit à faire un 
trophée. 

Delà nous pouffâmes iufques 
aux Nacbes ; nous y avions ca- 
che du blé d’Inde en dépen- 
dant , nous l'y retrouvâmes en 
fort bon état; le Chef nous y 
vint auflj-tôt recevoir. M. de la 
oale , après les premières civili- 
tez, lui prefenta les chevelures 
oes ^mmpijfas , les plus grands 
ennemis de fa Nation. Ce pre- 
fent ne lui déplut pas, & lui fi c 
concevoir que nous n’étions pas 
gens a nous iaiffer infulter impu- 
nément. II nous ht d’abord pre- 
f enter quel ^ues rafraîchiffemens* 


de PAmerique Sept- ^oï 
i|Ue nous acceptâmes volontiers. 
Cependant nous prîmes garde 
qu’il n’y avoit point de femmes 
dans leur village -, ce qui nous fit 
foupçonner quelque méchant 
deflein de leur part : Nous man- 
gions & buvions à bon compte, 
comme gens qui ne fe mêlent 
de rien , cependant fans quitter 
nos armes. Quelque tems apres., 
nous vîmes arriver à la file grand 
nombre de combattans ; nous 
nous mîmes d’abord endefenfe; 
le Chef nous pria de ne point 
entrer en aucune défiance. Il 
s’avança vers fes gens, leur com- 
manda de faire alte à une cer- 
taine dilfance , & revint nous a £ 
furer que c’étoit quelques-uns 
des leurs qui venoient de la pe- 
tite guerre contre les Iroquoisj 
& que toute leur Nation n’avoit 
d’autre defiein , que de fe main- 
tenir dans nôtre amitié. Il ac- 


f©* 'Nouvelle Relation 
eompagna Tes paroles de quel» 
ques prefens , & de quelques 
nouvelles provisions ; & les aïant 
acceptées de bon cœur , nous 
iaiflâmes par reconnoiffance une 
partie de nos canots , qui nous 
embarafloient ; Sc nous nous re- 
tirâmes Tains & fauves ; mais 
nous n’en fûmes redevables qu’à 
nôtre précaution. 

Enfuite nous continuâmes nô- 
tre route vers les T acucas , les 

Akancéas, qui nous firent les mê- 
mes honnêtetez qu’en defeen- 
dant. C’eft ainfi que paflant au 
travers de tant de differens- 
peuples , nous éprouvions la fi- 
delité des uns, & l’infidélité des 
autres ; & que joignant la vigi- 
lance à la douceur & à la fer- 
meté , non feulement nous nous 
mettions à couvert de leurs em- 
bûches , mais encore nous la- 
vions les mettre à la raifon s , U- 


de f Amérique Sept, iop 

les réduire à- nôtre obeiffance. 

Nous prîmes congé des Jkan~ 
èéas le ri. jour de Mai; Nous 
pouffâmes jufqu’à l’embouchure 
de la riviere des Illinois j enfuite 
nqus continuâmes nôtre route le 
long de fes bords, en remontant 
jufqu’au Fort Prudhomme , où M. 
de la Sale tomba dangereufement 
malade. Le Pete Gabriel relia 
auprès de lui , avec une bonne 
partie de Ton monde ; &£ )e tus 
commandé avec vingt hoînmes, 
pour aller a Mi jjiliwachindC , 
mettre ordre a Tes affaires. Je 
me feparai d’avec lui le ij. Mai 
de la même année 1683. 

J’allai coucher la première 
journée chez les Ouabaches , qui 
me reçurent très -bien. 

A vingt lieuës pins haut , je fis iro-^ 
rencontre de quelques Iroquois. ^ u u ° t IJ c ’ a . 
Ces Sauvages fi terribles d ail - ra&ets.. 
leurs , paroiffent doux quand ils 


£<*4 Nouvelle Relation 
font les plus foibles , & font gen§ 
fans picie , quand ils ont l’avan- 
tage. Ceux-ci qui n’étoient qu’au 
nombre de cinq , me dirent que 
j allois bien-côt donner dans u- 
ne troupe de plus de quatre 
cens hommes bien armez. Cet 
avis m’obligea de me tenir fur 
mes gardes : En effet , à peine 
eumes-nous fait un quart de 
Iieuë , que nous découvrîmes 
une petite armée. A la vérité, 
il n y a pas plaifîr de trouver 
fur Ces pas ces Barbares attrou- 
pez , fur-tout quand ils n’ont 
pas fait coup ; nous ne laiffâmes 
pas d’aller nôtre chemin. Ils 
nous parurent d’abord des Iro- 
qucis , &c ce n’étoit que des Ta- 
varoas , qui s’étoient joints avec 
quelques Illinois. Eux de leur 
cote nous vo’ïant avec nos ar« 
mes a feu , nous prirent au (S 
pour des Iroquois , & firent mine 


deT Amérique Sept. lof 

de nous vouloir envelopper , à 
deffein de nous brûler ; car c eft 
le moindre châtiment qu’on fait ^ c ™ te * 
fouffrir à ces barbares, quand qucieur 
on les tient : Telle eft l’horreur foiit les 
que toutes les Nations ont pour pci) pi e!? 
eux; mais les Illinois nous aïant 
reconnusses Tavaroas débandè- 
rent leurs arcs , nous firent 
part de leurs munitions. Nous 
pourfuivimes nôtre route jufqu’à 
lâ rivière ebicacou ; & âpres 
vingt journées de traitte , nous 
arrivâmes enfin vers le commen- 
cement du mois de Juillet a 
Miffdimachinac , où nous atten- 
dîmes M. de la Sale , qui nous 
•y vint joindre au mois de Sep- 
tembre de la même année. Il n’y 
refta que trois jours, pour don- 
ner quelque ordre à fes affaires. 

Il me chargea du foin d’aller 
achever le Fort S. Louis , m’en 
accorda le Gouvernement, avec 




ZG6 Nouvelle Relation 

im plein pouvoir de difpofer dei 
terres des environs 5 & remit 
tout Ton monde fous mon com- 
mandement , à la referve de fîx 
François qu’il prit avec lui pout 
I accompagner jufqu’à Qmebec. 
Nous partîmes le même jour 9 
lui pour le Canada , moi pour 
les Illinois. 

Je pris d’abord mon chemin 
vers les Mi ami s , à la tête de 
quarante hommes , tantFrançois 
que Sauvages. J’y arrivai le fi- 
xiéme de Janvier 1684. J’en vi- 
ciiez les ^tai Fort qui étoit en fort bon 
Miamis état. J’y 1 aidai dix hommes de 
ma troupe bien, armez j enfuite 
m’étant remis en chemin , je me 
rendis à la fin du mois au Fort 
Louis ; j’y fis travailler auiîî- 
tot ; & en moins de deux mois 
je le mis dans fa derniere perfe- 
dlion. J’invitai auffi-tôt toutes 
les Nations voifines à y venir. 


de l'Amérique Sept. i®7 
Je n’eus pas beaucoup de peine 
à les y attirer * la beauté du 
païs , la fécondité des terres 3 la 
commodité d’une rivière très- 
marchande , le voifinage de cent 
Nations differentes , la proximi- 
té de ces étangs ou plutôt de 
ces petites mers, qui ouvrent le 
commerce à toute l’Amerique 
-Septentrionale , depuis le fleuve 
S. Laurent, jufqu’au Golphe 
Mexique : Enfin , la fituation a- 
vantageufe de ce nouveau Foir tÿ 
qui devoir fervir de rempart aux 
nouveaux habitans de ces Ter- 
res , contre rirruption des Bar- 
bares , il n'en faloit pas davan- 
tage pour inviter toutes les Na- 
tions des environs a. y venir 
Taire des habitations. On vit en 
tres-peu de tems plus de cinq 
cent cabannes bâties fur ces 
bords ; Sc en moins de deux 
mois il v eut un concours mer~ 

J V 


to§ Nouvelle Relation 
veilleux de tous ces peuples dif 
ferens. Cela feul peut facilement 
faire comprendre avec quelle 
facilité l’on pourroit hnmanifer 
ces Nations fauvages , G l’on fe 
donnoit la peine de les apprivoi- 
ser par de petites Colonies de nos 
Europeans : car en quelque pe- 
tit nombre qu’ils puiflént être , 
ils font parmi ces Barbares com- 
me le ciment de la concorde ÔC 
de la focieté civile. 

deAidc ^ e P en dant M. de la Sale é- 

IaSai'e à tant arrivé à Québec , eut le cha- 

^uebec. grin de n’y pas rencontrer M. le 
Comte de Fontenay ; il étoit re- 
palfé en France"par ordre de la 
Cour. Dés fon arrivée , il ne 
manqua pas d’informer toute la 
Ville de fes grandes découver- 
tes , & de la foumifîion volon- 
taire de tant de Nations diffe- 
rentes à la puiflance du Roi. On 
chanta le Te Deum } en aélion de 

grâces 


de l’Amérique Sept. zo$ 
grâces pour cec heureux accroil- 
fement de gloire à îa Couronne. 
L’emprelfement qu’avoir M. de 
la Sale , d’aller faire parc au Roi 
& à fes Miniftres , du fuccés de 
fes voïages , l’obligea à prefler 
fon départ. Il partit du Canada 
au commencement d’Oétobre 
de l’an 1684. Mais avant que de 
faire voile , il m’envoïa M. le 
Chevalier de Bogia , comme un 
homme qui lui avoir été forte- 
ment recommandé ; il vint tne 
trouver au Fore S. Lotus , je le 
reçus du mieux qu’il me fut pof- 
fible j & lui fis tous les bons trai- 
temens,que l’état où je me trou- 
vois , me permirent de lui laite. 

Le vingtième de Mars de la ^ oiS 
même année, aïant eu avis que -, 
les Iroquois , jaloux de notre des’op- 
nouvel établi {fement chez les 
Illinois , venoient avec des for- 
ces considérables, pour nous faire me “ s - 

S 


2io Nouvelle Relation 
Ja guerre , j’envoïai un Exprès; 
vers M. de la Durontai , Com- 
mandant au Fort de Mijjilima- 
chmac , pour lui demander du- 
Fecours. Cependant je fis faire 
de nouvelles fortifications au 
Fort, & mis le village en état 
de fe défendre, par de bons 
folléz , par des remparts , & par 
tous les ouvrages capables d'ar- 
rêter les attaques des ennemis. 
Ils parurent le 28. Mars , au nom- 
bre de cinq cent. Dés leurs pre- 
mières attaques ilsfurent repou f- 
fez vigoureufement. Enfin, après 
fix mois de fiege , ils furent for- 
cez de fe retirer avec une perte 
de plus de quatre-vingt des leurs, 
& fans aucune perte des nôtres. 
Ils prirent quelques efclaves des 
environs , pour pouvoir feule- 
ment fe vanter qu’ils n’étoient 
pas venus fans coup férir , & 
qu’ils ne s’cn recournoient pas 


de ï Amérique Sept, zm 
fes mains vuides : Mais comme 
ils étoienc fur le point de leur 
enlever la chevelure , ces pau- 
vres malheureux eurent l’adretle 
de fe fauver de leurs mains , de 
vinrent nous rejoindre dans no- 
tre Fort. -, 

Vers le quinzième d Avril 
M. de la Burontai , de le Pere 
Baloy Jefuite, accompagnez de 
foixante François , vinrent me 
fecourir , mais ce fut apres coup, 
de fans aucun befoin. Cependant de r ^ 
M. de la Barre étoit arrive a dck 
Qoebec, pour y prendre la pla- km* 
cc de ML le Comte de t onte en 
nac Ce changement fut un îitéde 
coup de foudre pour toute i la- ^ 
Nouvelle-France , qui regardoit 
M. de Frontenac comme fon pe- 
re de fou patron ? mais il ne fut 
pas moins accablant pour moi.» 

A peine ce nouveau Gouverneur*, 

ami ou parent de M- le Chevar 
Si} 


2.12. Nouvelle Relation 
lier de B agi a , fut arrivé, qu’il 
lui expédia des Lettres de Gou- 
verneur du Fort S. Louis , lequel 
avoit été commencé & confom- 
me par mes foins. Il les adrefla 
à M. de la Durontay , pour me 
les faire tenir. Celui-ci me li- 
gnifia delà part du nouveau Gou- 
verneur , l’ordre donné en fa- 
veur du Chevalier , pour être à 
ma place. Je n’eus point d’autre 
parti à prendre dans cette occa* 
fion , que celui d’obéir. Je lailfai 
quelques effets eonliderables 
dans le Fort ; j’en fis un Inven- 
taire, M. le Chevalier eut la 
bonté de le ligner; & je partis 
le même jour avec ce que je pus 
emporter de plus important & de 
plusneceflaire. Je pris d’abord le 
chemin de Montreal , & delà je 
me rendis à Quebec , où je n’ar- 
rivai qu’au commencement du 
mois de Juillet. Je ne pus me 


de F Amérique Sept . zij 

difpenfer d’aller faire la reveren- 
ce à M. le Gouverneur ,, de lui 
rendre un compte fidele de l’é- 
tat & de l’importance de la Pla- 
ce , que j’avois quittée par fon 
ordre * en un mot , de la difpo- 
fition de toutes chofes dans ce 
pais. Il m’écouta favorablement, 
m’offrit tel autre établiffement 
que je voudrais dans l’Ameri- 
que , & m’affura de fa prote- 
ction en tout ce qui dependroit 
de lui. Je le remerciai de fes 
offres , & lui dis que je me ferais 
toujours un très grand plaifir d’o- 
béir à fes ordres *, mais que j’é- 
tois refolu de ne prendre d’éta- 
bliffement qu’aprés le retour de 
M. de la Sale. Ce fut a peu 
prés tout l’entretien que nous 
eûmes enfemble. 

Dés mon arrivée , je ne man- 
quai pas de mander à M. de la 
Sale , l’état de mes affaires , & 


Ïï4 Nouvelle Relation 
de lui reprefenter l’injure que je 
croïois qu’on m’ avoir faite , cm 
m’ôtant d’un polie où il m’avoit 
placé lui-même : A- quoi j’ajou- 
tai le danger qu’il y avoic que 
ces peuples , habituez depuis peu 
auprès du Fort , ne s’accommo- 
dant pas d’un nouveau Com- 
mandant, n’abandonnaflent tout, 
ou ne fiflent quelque delordre» 
J’écrivis, encore à M. de la Fo- 
ret , mon ami , pour recomman- 
der mes intérêts à nôtre com- 
mun protecteur. Ces lettres fi- 
rent tout I’diet que j’ên avois 
pu efperer ; j’en reçus réponfe 
par M. de la Forêt lui-même ,, 
que je vis revenir à Québec fur 
la fin du mois de Juillet de l’an- 
née 1684. J’eus le plaifir d’ap- 
prendre de fa bouche le favo- 
rable accueil que l’on avoir fait 
à là Cour à M. de la Sale, &C 
les confîderabies fecours que le 


de l\ Amérique Sept. à$ 
Roi lui avoir accordez pour 
établir des Colonies dans les 
Terres nouvellement découver- 
tes , 2c Ton nouveau rembarque- 
ment pour le Golphe Mexique. 
Mais ce qui acheva ma fatisfa* 
faction , ce fût d’apprendre de 1 
lui-même mon rétabliifemcnt ait 
Fort S. Loiiis ,, en qualité de' 
Gouverneur 2c Capicaine , par 
une Lettre exprefle, que M. de* 
la Sale avoir obtenue, en ma fa- 
veur , de Sa Majefté. j’avoue 
que le plaifir de triompher de 
mes ennemis fît la plus grande 
partie de ma joie. 

Je m’équipai auffi-tbt d’ar- 
mes , de linges , d’étoffes 2c de 
toutes les autres chofes neceffai- 
res , tant pour la fortification de 
mon pofte , que pour mettre ma 
Compagnie fur pié. j’emplo'iai 
vingt mille francs à mon équi- 
page ; Et après nous être fou- 


Nouvelle Relation 
vent regalez à Quebec , M. 4e 
la Forelt &c moi , nous partîmes 
enfemble le premier jour de No* 
vembre , lui pour Frontenac y 
dont il avoit été fait Gouver- 
neur , & moi pour les Illinois. 

Les glaces aïant interrompu 
notre voïage fur le fleuve Saint 
Laurent , nous fûmes obligez de 
relâcher , & de pafler l’hyver à 
Montreal , jufqu’au Printems de 
l’année fuivante i68j. Dés le 
commencement d’ Avril nous 
remontâmes le fleuve jufqu’au 
Fort de Frontenac , où je pris 
congé de M, de la Forêt. Je 
me mis en canot fur le premier 
lac y jufqu’à Niagara ; d’où après 
avoir franchi le Saut, je gagnai 
Miÿilimachinac , &c delà les Mia- 
mis ; enfuite étant arrivé jufqu’à 
l’embouchure de la riviere des 
Illinois , je me rendis au Fort S. 

LoUis* 


de V Amérique Sept „ %vf 
ILoiiis , environ le quinze de Juin 
de la même année. 

M. le Chevalier de Bogia m’y 
♦reçue d’abord -avec toutes les 
marques de joie & d’amitié pof- 
libles ; Je répondis à Tes civili— 
tez du mieux que je pûs ; mais 
enfin après -l’avoir inftruit de 
l’embarquement de M. de la 
Sale & de toutes les autres 
nouvelles je ne pus me dJ- 
penferdelui prefenter mes Let- 
tres patentes de Capitaine de 
.Gouverneur du Fort S. Loiiis , 
dont le Roi m’avoit honoré. Il 
reçut cet ordre avec -beaucoup 
de fourmilion, me remit la Place 
entre les mains , avec tous les 
effets que je lui avois confiez, 
m’affuraet qu’il n’en étoit ni 
moins mon ferviteur , ni moins 
mon ami. Nous paffâmes le re- 
lie de la journée enfemble , &C 
le lendemain il partit lui troi- 


Zi8 Nouvelle Relation 
fiéme pour la ville de Québec. 

Cependant les Miami s les 
Jjlinois peuples voifins , & nos 
amis étant brouillez enfemble 
pour quelques légers intérêts , 
je fis des démarchés pour les 
accommoder, je reçus même de 
part & d’autre des otages & des 
gages de leur bonne foi. 

Au commencement de l’Au- 
tomne , étant fort inquiet de 
ne point entendre parler de M. 
de la Sale , je me tranfportai à 
Misfilimachinac , pour en ap- 
prendre des nouvelles. Là je fûs 
M. d’E- que M. le Marquis d’Enonville 
noviüe avoir relevé M. de la Barre , en 
iuapTa 6 qualité de Gouverneur de la 
cedeM. Nouvelle-France ; j’eus même 
Barre, ^honneur de recevoir une Lettre 
de fa part , par laquelle il me 
témoignoit vouloir entrer en 
conférence avec moi , fur le défi 
fein qu’il avoit de faire la guerre 


de P Amérique Sept, zi} 

jaux îroquois : Il m’alluroit en 
même tems que M. de la Sale 
«tant depuis long-tems fur mer, 
dévoie être déjà entré dans le 
Golphe avec quatre bons vaif- 
feaux , que le Roi lui avoit 
donnez > &c qu’apparemment il 
Revoit avoir abordé à l’em- 
bouchure du Mifiisjipi , ou a 
quelque autre bord. 

Cette Lettre ne fit que redou- 
bler la paillon que j’avois de 
l’aller joindre ; je me mis d’a- 
■bord en devoir de lui mener 
tout le fecours que je pourrois } 
j’équipai une vingtaine de Cana- 
diens , & m’étant remis en che- 
min vers les Illinois avec ma 
nouvelle recrue , j’arrivai en 
un mois au Fort S. Louis. Après 
avoir donné ordre à tout , je 
lailTai le commandement de la 
Place au fieur de Belle fontaine ; 
je partis avec quarante hommes 


izo Nouvelle Relation 
pour le Golphe de la Mer Me- 
xique. Nous defcendîmes nôtre 
riviere jufqu’au grand fleuve 
MijJisJ/pi , dont nous fui vîmes 
le cours jufqu’à la mer. Nous 
fûmes environ deux mois à faire 
ce vorace. 

yj.- 

Etant arrivé au bord de la 
Met, ne découvrant point ce que 
je cherchois , ni perfonne qui 
puft m’en donner des nouvelles, 
j’envoïai deux canots , l’un 
vers l’Eft , l’autre -vers le Sud» 
Oüefl; , pour voir s’ils ne dccou- 
vriroient rien : Ils voguèrent en- 
viron vingt lieues , d’un côté & 
d’autre , le long de la côte ; 
n’aïant rien apperç-u , ils furent 
obligez de relâcher faute d’eau 
douce , & revinrent nous join- 
dre apres deux jours de coude, 
fins aucun éclairciffement fur ce 
que je fouhaittois ; Pour toute 
confolation , ils m’apporterçnt 


de t Amérique Sept. 
an Marfoüin ,. &: quelques e« 
cailles de nacre , tres-belles 
qu’ils avoicnc prifes for uo 
rocher. 

Voïant donc qu’il était mutile 
d’attendre~là plus long-tems , je 
délibérai avec les plus fages delà 
compagnie , touchant le chemin 
que nous prendrions pour notre 
recour. j’aurois fouhaitté foivre 
lu côte jufqu’à la Meuade ,, eC pe- 
lant par-là découvrir toujours 
quelque nouveau- Pais, ou faire 
quelque bonne prife :• mais la 
plupart furent davis contrai- 
re , foutenant qu’il étoit plus fur 
d’aller par un chemin connu, que 
par un autre qui ne l’étoit pas,& 
qui d’ailleurs ne pouvoir être que 
tres-difficilo , tant a caufe des 
terres qui s’elevoient fur la co- 
te, qu’à caufe du grand nombre 
de rivières , qui fe déchargent 
dans la mer ; ce qui nous obli- 


Quini- 
piilas fe 
racconr 
moct*: m 
avec ics 
^ raçois 


ut Nouvelle Relation 
gea de prendre le parti de" re*' 
tourner fur nos pas. 

Avant que de nous mettre en- 
chemin j axant remarqué que' 
l’arbre, fur lequel M. de la Sa- 
ie avoit fait arborer la Croix, & 
les Armes du Roi, é toit fur le 
point d’être renverfé par les 
grofles eaux , & par la violence 
des vents , nous remontâmes un- 
peu plus haut ,, où aïant drefle 
un grand Pillier , nous y atta- 
châmes un Croix , au deffous* 
un Ecullon de France. Nous ca- 
bannâmes cette nuit en ce lieu- 
la. Le lendemain qui étoit le 
Lundi d’après Pâques , de l’an- 
nee i68j. nous-nous mîmes en 
chemin, & nous fuivîmes par ter- 
re, les rivages du fleuve MtJJlJJipi. 

A la fîxieme journée, étant ar- 
rivez chez \esjpptimpijfas 3 \e, Chef 
vint au-devant de nous, & nous 
aïant offert le Calumet , il nous 


de F ÀwiênrfMi Sept» 
demanda pardon du mauvais 
accueil qu’ils nous avoienr raie 
au dernier voïage , & nous pria 
de les vouloir bien recevoir au 
nombre de nos Alliez. Nous re- 
pondîmes d’un ton afiez fier a 
leurs civilitezj &£ apres nous etre 
tin peu rafraîchis chez eux , nous 
continuâmes notre route. 
rante lieues au-deflus , nous dé- 
couvrîmes dans les Terres une 
Nation qui nous avoir échappée 
dans nôtre première defeente : 
C’étoit celle des Otmas , les plus 0tmM , 
braves de tous les Sauvages. Des P«P^ 
qu’ils nous virent , il eft vrai qu a ge 
l’afpeét de nos armes ils furent 
frappez d’un certain étonnement 

mêlé de refpeét , qui defarma 
toute leur férocité , & qui les 
obligea de nous promettre une 
parfaite foumiffion. Ils nous don- 
nerent de nouveaux rafraichille- 
mens , de nous offrirent tout ce 

T iiij 


% H . Nouvelle Relation 
qui était en leur pouvoir. Ce fur 
dans ces Terres que nous remar- 

quâmes un Animal extraordinai- 
re." l e > qui tient du Loup & du Lion 3 
Il a la tête & la taille d’un gros 
Loup , la queue & les griffes 
d un Lion ; il dévoré toutes les 
Betes , & n’àttaque jamais les 
hommes ; quelquefois il empor- 
te fa proie fur fon dos , en man- 
ge une partie, cache l’autre fous 
des feuilles ; mais lès autres ani- 
maux 1 ont en une telle horrepr, 
qu’ils ne touchent jamais à fes 
reftes ; on appelle cet animal . 
Michibiihi. 

Apres les Oumas , nous trou- 
a Kan- vâmes les Jkance'as. Toutes ces, 
contrées font Ci belles , & fî en- 
richies dés productions dè la na- 
ture , que nous ne pouvions af. 
fez les admirer ; les bois d’une 
hauteur extraordinaire y fem- 
Ment être plantez à la ligne. 1% 


ie r Amérique Sep. i%f 

Campagne eft couverte de bons 
grains , de toutes fortes d arbres 
fruitiers , & par-tout fournie de 
toutes fortes de gibier a poil &£ 
à plume ; mais auffi on y trouve 
beaucoup de gros Chats fauva- 
ges , qui dévorent tout ce qu ils 
trouvent. Nos François charmez 
de la beauté de ce climat 5 me 
demandèrent la liberté de s y 
établir; comme nôtre intention 
netoit que d , humanifer & de ci- 
vilifer les Sauvages par nôtre fo- 
cieté , j y confentis volontiers# 
Je formai le plan d’une mai fou 
pour moi chez les Akancea r. J ÿ? 
Büffai dix François dé nia trou*- 
pe, avec quatre Sauvages 5 pour 
en avancer la conftruéBon ; & je 
leur donnai la permiifion de s’y 
loger eux-mêmes , & d y culti-* 
ver autant de terre quils pour- 
raient défricher. Gette petite 
Colonie s’eft depuis tellement 


Guerre 
décla- 
rée aux 
Iro- 




îz6 Nouvelle Relation 
accrue & multipliée, qu’elle 1ère 
d’entrepaufe aux François qui 
voïagenc dans ce pais. 

Delà je continuai mon che- 
min le long de la riviere des Illi- 
nois - r de après trois mois de 
îraitte , j’arrivai au Fort Saint 
Loiiis , vers la S. Jean , moins 
fatigue de la longueur du che- 
min , que de l’incertitude dtî 
deftin de M. de la Sale. 

Comme je n’avois pas encore 
rendu mes devoirs à nôtre nou- 
veau Gouverneur , après avoir 
Çris quelques jours de relâche ,, 
je partis des Minois à la fin de 
Juin, & j’arrivai à Montreal vers 
le quinze de Juillet. J’allai d’a- 
bord y laluer M. le Gouverneur, 
& je reçus ordre de fa part , de 
faire publier chez nos Alliez la 
guerre contre les Iroquois , &: 
de les fommer de fe rendre au 
Fort S. Loiiis , pour le fuecés 


de t Amérique Sept. %Vf 

d’une pareille entreprife. 

Chargé de cette commif* 
fion , )e pris bien-toc congé 
de M. d’Enonville 5 je me ren- 
dis le quatrième Septembre 
chez les Minois , d’où je dépê- 
chai aulfi-tôt de tous cotez di- 
vers Couriers, pour informer les 
Nations voifines de nôtre defl'ein 
&: pour les inviter à fe trouver de 
bonne heure au rendez-vous. 
Tout le monde y fut aflemble fut 
la fin du mois de Mars de l’année 
i6$6, tant Islinois , que Choua- 
tiQus , N tamis ou Loups. Toute 
cette troupe faifoit environ qua- 
tre cens hommes :J’y joignis foi- 
xante François de ma Compa- 
gnie ; j’en laiflai quarante dans 
le Fort, fous le commandement 
de M. de B elle font aine. Cette 
petite armée campoit à un quart 
de lieue du village. Là aïantfait 
mettre tout le monde fous les 


kt-S Kouvelle‘ Relation' 
sues, je leur déclarai la volonté 
du Roi , &• les ordres de nôtre* 
Gouverneur ; je les exhortai tous 
à rappelles leur force & leur- 
courage pour reprimer l’or- 
gueil des Iroquois, nos ennemis 
communs. 

Ce difcours fut fuivh des ac- 
clamations de tous ces Peuples,, 
êc fur le champ m’étant mis à 
leur tête, je commonçahma mar- 
che vers le canal qui joint les 
dieux Lacs des fuirons &sdes 1 flp. 
ftois. Il y a en cet endroit un 

Fort s. ® orc v nommé, le Mort S-^lofiph y! 

Ji%h. qui fert de défonfe à toutes ces 
petites mers. M. de la Durontay 
en étoit le Commandant; j’en- 
voïai vers lui un denos François, 
pour l’informer de mon arrivée ; 
il commanda auffi-tôt à fon Lieu- 
tenant de me venir joindre avec 
trente hommes , &: le lendemain 
Mai-même m’en amena autan®. 


de T Amérique Sept, xif 
fsïous campâmes fur les bords de 
ce détroit ; il nous arrivoit-là des 
provïfions de tous cotez. Deux 
jours après, M. de la Forêt, Gou- 
verneur du Fort de Frontenac # 
& M. ckLud-e , -Commandant de 
celui des Miamis, chacun à la tê- 
te de fa compagnie, vinrent nous 
joindre. Etant tous affemblez a 
nous tînmes confeil de guerre , 
pour favoir quelles mefures 
nous prendrions -, l’on fut d’a- 
vis de partager l'armée en deux 
corps , que M cs de la Durontay 
& de Lude commanderoient , 
l’un pour garder les avenues de 
Miffil-imachinac , Sc pour défen- 
dre les côtes du Lac Herié , 
jufqu’à Niagara , où nous avions 
deflein d’achever un Fort déjà 
commencé , pour tenir en bride 
les Iroquois , qui s’y étoient tou- 
jours oppofez s Que M. de la 
Forêt èc moi commanderions 


Nouvelle Relation 
l’autre , pour entrer dans les ter-» 
res des Ennemis. 

&iroi S ^ cs chofes ainfi dilpofées, 
giaois u- M. de la Durontay, étant furies 
fcmble C ^ tes Misfilimachinac , trou- 
pourfii- va un gtos parti des ennemis, 
xcla compofé de plus de cent hom- 
ST mes > tant Anglois qu’Iroquoisi 
Jxâfois ( On peut dire en palîant , que 
ces deux Nations, quand il s’a- 
git d’aller en guerre contre nous, 
s accordent fortbien enfemble. ) 
Il les attaqua 11 vigoureufement, 
qu’il en relia plus de la moitié 
fur la place , fit quelques pri- 
fonniers , & mit le relie en fuite. 

De nôtre côté, à vingt lieues 
de Niagara , nous fîmes rencon- 
tre d’un nombreux parti d’An- 
glois , de Hurons , d’iroquois , 
d’Ouabaches , qui fous la con- 
duite du Major Grégoire , tranf- 
portoient une grande quantité 
d'eau-de-vie, de munitions &dë 


de V Amérique Sept, %yt 

fnatchandifes , aux habitations 
Iroquoiles. Nous les chargeâ- 
mes s & après avoir tué la plu- 
part des Iroquois & des autres 
Sauvages , nous leur enlevâmes 
leur bagage Sc leurs marchandi- 
fes s nous nous rendîmes les 
maîtres de plufieurs efclaves, SC 
nous emmenâmes prifonniers 
plus de vingt-cinq Anglois. A- 
prés cette 'petite victoire , nous 
continuâmes nôtre route vers 
Niagara , où nous achevâmes 
le Fort , â la vûë des Iroquois, 
&C même au pié de leurs habita- 
tions. 

Ces premiers progrès nous en- 
gagèrent à députer vers M. le 
Gouverneur , pour l’informer 
de tout ce qui s’étoit paflfé. M. 
de la Forêt , qui voulut bien 
accepter cette commilïion, partit 
aufli-tôt. M. d’Enonville reçut 
cette nouvelle avec plaifir, en 


Nouvelle Relation 
fit part à tout le Canada ; & nous 
envoïa un nouveau fècours de 
HuronSjde Pfonnonteaus , d’Q- 
taoiias ,qui nous vinrent joindre 
au pié du Saut , avec une barque 
très- bien équippée. 

Renforcé par cette nouvelle 
recrue , je m’avançai dans les 
terres des ennemis; nous avions 
parmi nous un Iroquois , qui 
feignant d’être mécontent de fa 
Nation , paroifldit nous être fort 
affe&ionné : ce traitre nous aban- 
donna j pour aller fie rendre à, 
l’armée des ennemis -; leur don- 
na avis de nôtre marche , & les 
avertit des marques de nos Sau- 
vages , pour ne pas s’y laiifer 
tromper. Comme nous avancions 
toujours j nous nous trouvâmes, 
cade Uf " au -delà d’un Marais, à trois lieues 
drcfféc du Camp des Iroquois.. Là quel- 
P ar Ies ques-uns des leurs nous drdfie- 
auois. renc une embufcade , où nous 
' perdîmes 


de ' 1 Amérique Sept. 2.33 

perdîmes fept hommes, du nom- 
bre defquels , étoit mon. Sous- 
Lieutenant. Auffi-tôt nous étant 
rallier, nous les repouflfâmes a- 
vcc vigueur v &£ apres avoir tue 
plus de trente des leurs , nous 
les pour fui vîmes jufques dans 
les bois ; mais n aïantpû les join- 
dre , &c ne croïant pas devoir 
nous engager plus avant , de peur 
de tomber dans quelques piégés, 
nous nous contentâmes de piller 
un de leurs villages- , où nous 
pafsâmes au fil de l’epee , tout 
ce que nous y pûmes rencon- 
trer. 

Nous campâmes-la quelques 
jours, & l’armée commandée par 
M. de Lu de &de la Durontay fe 
vint joindre à la notre- Le len- 
demain de leur arrivée, nous ne 
balançâmes pas un moment à 
nous refoudre d’aller forcer les 
ennemis dans leur Camp, mais 
V 


*34 Nouvelle Relation 
aïant été avertis de nôtre defleinj 
par leurs efpions , ils ne jugè- 
rent pas a propos de nous atten- 
dre , ils décampèrent bien vite. 
Nous trouvâmes dans leur Camp 
quelques relies de blé d’Inde, 
& d’autres munitions, dont nous 
profitâmes ; nous paflâmes lanuit 
dans leurs tentes , ou plutôt dans 
leurs cabannes, la fâifon étant 
déjà allez avancée. Dés le lende- 
main nous renvoïâmes nos Al- 
liez, chacun dans les terres, avec 
ordre de fe raflembier à la pre- 
mière convocation ; & M. de Lu- 
ds &c de la Durontay prirent la 
route de leur Gouvernement. 

Comme j’étois en marche pour 
aller dans le mien , je rencon- 
trai quelques Hurons , qui me 
donnèrent avis , que j’allois être 
invefti par l’armée entière des 
Iroquois. Il n’y avoit plus moïen 
de recourir à M rs deLude ôc de 


de l’ Amérique Sept. itf 

U Durontay , qui s’étoient déjà 
embarquez fur les Laes en ca- 
not. Je fis faire alte a mes gens, 
&; m’étant retranché le mieux 
qu’il me fut pofiible , j’envoïai 
fur l’heure même à Niagara , de- 
mander un prompt fecours au 
Commandant du nouveau Fort: 
Par hazard M. de la Valrome t 
qui y commandoit, nous croiant 
aux prifes avec les Iroquois, nous 
amenoit cinquante fuzeliers. Ce- 
lui que je lui avois envoie, l’aiant 
rencontré , lui dit 1 état ou j e- 
tois ; ce qui lui fit hâter fa mar- 
che ; fon arrivée nous railura , 
les ennemis parurent , nous ran- 
o-eâmes nôtre petite armée en 

bataille, & nous étant avancez 

vers eux , à la portée du mou - 
quet , ils n’eurent pas le coura- 
ge de nous attendre , ils nous 
tournèrent le dos ; nous les pour- 
fuivîmes quelque tems , il en 


2,jg Nouvelle Relation 
refta environ cent fur la place, le? 
refte fe fauva dans les bois. Je 
rappel Jai au ffi- tôt mes foldats,& 
a'ïant efcorté une partie du che- 
min M . de la Valroméje crus de- 
voir aller hyverner à Misfilima * 
shinac , & là attendre le retour 5 
de la campagne fui vante, en car 
<que la guerre continuât. 

Jro Les choies changèrent de* 
«]uwsr c ^ ace : Les Iroquois nous cede- 
matent rent leurs habitations voifines 1 
ion. ^ Niagara} firent prefent à M; 
îé Gouverneur , de leurs meil- 
leures pelleteries , & nous pro- 
mirent de ne plus inquiéter les 
Nations qui feroient fous nôtre 5 
proteétion & dans nôtre al- 
liance. Ainfi la paix aïant été 
conclue , je repris au commen- 
cement du mois d’Avri! 1687. le 
chemin des Minois, Je ferois re- 
venu très -content de ma cam- 
pagne , fi l’abïènce de M. de la 


db t 'Amérique Sept '. 

Sale , & l’incertitude de fa délia- 
née ne m’eut point'; toujours in- 
quiété: Il é toit parti de l'Amé- 
rique en Sc nous étions en 
1687. quatre années- s’étoiene 
prefque écoulées , - fans en avoir 
eu d’autres nouvelles , que celles • 
de fon rembarquement , ou de 
fon départ de là Rochelle , pour 
le Golphe-Mexique , mais fans 
en apprendre aucune de fon re- 
tour. J® ne favois- que. penfer 1 
Seroit-il péri:, me d,i fois* je , pac 
quelque . naufrage , ou plutôt 
n’auroit-il point abordé fur quel- 
que rivage habité par des Barba- 
res , qui l'auront peut-être maf- 
facré ? Agité par de {^terribles 
penfées , je ne pouvois prendre 
aucun repos, ni tenir aucune rou- 
te 1 allurée ; & me lai {Tant condui- 
re plutôt par mes gens, que les 
eonduifant moi-même , j’arrivai 
ïtu Fort Saint Louis y vers la 


Æjf 'Nouvelle Relation 

fin du mois de Mai. 

Je fus bien furpris, à mon ar- 
rivée , de trouver en ma maifon, 
M. Chevalier , propre frere de 
M. de la Sale. A la vérité , je 
ne vis point en lui cet air ou- 
vert <k riant , qui paroît à la pre- 
mière entrevue de deux amis , 
après une longue feparation. 
Mais les premiers tranfports de 
ma joie ne me permettant pas de 
faire de plus longues reflexions, 
je l’embraffai d’abord , & lui de- 
mandai en même tems des nou- 
velles de M r fon frere. A ce 
difcours il me parut tout-inter- 
dit ; un regard vers le Ciel , un 
foupir étouffé, certain effort qu’il 
me parut faire fur lui -même., 
me furent autant de finiftres pre- 
fages. Je le priai avec inftance 
de ne me rien çeler. S’étant un 
peu raffuré , il me dit d’un ton 
aifez ferme, que M. de la Sale* 




de l’ Amérique Sept, 
fon frcre , étoit en parfaite fan-* 
té ; mais que le malheureux fuc- 
cés de fa navigation l’avoit fi 
fort accablé ,, qu’il n’avoit prefi* 
que pas le courage de continuer 
fa route; que revenant à petites 
journées , il fe faifoit un plaific 
de négocier avec les différentes 
Nations qu’il rencontroit; & que 
l’aïant chargé de prendre les de- 
vants pour m’informer de fon 
arrivée , il étoit refté entre les 
Naches & les Aieancéas , pour 
acheter des uns èc des autres 
quelques marchandifes. 

L’affurance avec laquelle il 
me parloit , jointe à une fim pli- 
cité qui lui étoit naturelle ÿ 
d’ailleurs la faintecé de fon ca- 
ractère , car il étoit Prêtre, ne 
me permirent pas d’entrer dans 
la moindre défiance , ôc me ralfu- 
rerent un peu contre mes prelfen- 
timens. Je le priai donc de me 


Nouvelle Relation’ 
faire le reeic de fon voïage 
me dire* depuis quand ils s’étoient 
rembarquez , &c en quel tems ils 
avoient abordé» Comme je lui 
ouvrois par-là- un fort grand 
champ à parler fans dégmfe- 
ment &> fans contrainte , il me 
parut entrer* dans ce récit avec 
beaucoup plus de liberté» 

Il me dit d’abord , que toute 
la Cour aïant été charmé© des 
grandes- découvertes de M. de 
la Sale , le Roi n’avoit nullement 
balancé* à lui accorder les Re- 
cours qu’il avoir demandez; fans 
parler des titres* d’honneur, qui 
lui donnoient plus d’autorité 
dans fes nouveaux Etablifle- 
mens : Qu’ils étoient partis de 
France le zq. du mois de Juil- 
let 1684* avec quatre v aideaux 
tres-bien équippèz,& avec plus 
de deux cens hommes , tant fol- 
dats y qu’artifans de toutes for— 


de V Amérique Sept. 2,41 
tes de métiers ; que cependant 
par un excès de malheur, toute 
leur flote Te trouvoit réduite à 
quelques canots ; &c ce grand 
nombre de perfonnes à fept ou 
huit François , qui efeortoient 
fon frere dans Ton retour. 

Etonné d’un H grand revers , 
je ne pus m’empêcher de vou- 
loir apprendre à fond le détail 
de leurs avantures : Audi- tôt 
reprenant fon hiftoire depuis le 
commencement de leur naviga- 
tion , il me dit qu après quel- 
ques jours de calme , à la hau- 
teur de 5. Domingue, ils furent 
furpris d’une rude tempête ; 
qu’alors un de leurs vailfeaux 
chargé de plus de trente mille 
livres en marchandifes , fut em- 
porté d’un coup de vent, & en- 
fuite enlevé par quelques piro- 
ques efpagnoles : que le refte 
de la dote alla mouiller à un 
X 


±42, Nouvelle Relation 
bord de cette même Ifle , où ils 
fe refirent bien-tôt par les nou- 
velles provilîons qu’ils y chargè- 
rent, & les marchandées qu’ils y 
achetèrent ; mais que leurs gens, 
s’y étant un peu trop licentiez, 
y avoient contracté de tres-fâ- 
cheufes maladies. 

Que de-là aïant vogué vers 
les Ifles de Calmant , ils allèrent 
faire eau à i’Ifle de Cuba , où 
aïant trouvé à l’abandon plu- 
fieurs tonneaux de vin d’Efpa- 
gne , de bonne eau-de-vie , du 
lucre & du blé d’Inde ; ils en- 
levèrent tout , & firent fur les 
Efpagnols une reprife qui les 
confola de tout ce qu’ils leur 
avoient pris auparavant : Qéen- 
fuite après s’être bien munis de 
toutes chofes, ils remirent à la 
voile ; &: qu’ aïant toujours eu un 
vent tres-favorable , ils étoient 
entrez dans le Golplie de la Mer 


de t Amérique Sept, 2.43 

Mexique 5 mais qu’y aïanc trou- 
vé des courans tres-rapides , &c 
des écueils tres-ftequens , ils fu- 
rent obligez de tenir le large; 
ce qui empêcha M. de la Sale 
de rencontrer au jufte le point 
de hauteur pour l’embouchure 
du MiJfiJJlpi ; de forte que pour 
ne pas * ? expofer à de plus grands 
pénis , il alla prendre terre à 
la Baie du S. Efprit, cinquante 
lieues au deftous du fleuve qu’ils 
cherchoient : Mais que deux 
jours après , dans l’efperance de 
le trouver , ils remontèrent fur 
leurs vaifleaux , & reprenant 
toujours le large , pour éviter 
les bancs & les écueils , ils aile* 
rent enfin aborder beaucoup 
plus haut , à une Ba'ie qu’on a 
depuis nommée U Baie S. Louis. 
Cette Baïe eft d’une profon- 
deur aflez commode pour un 
Port j mais l’abordage en eft pe- 
Xij 


i _44 Nouvelle Relation 
rilleux , tant à caufe des banc$ 
qui l'environnent , qu’à caufe 
des rochers dont elle eft bordée. 
Ce n’eût été rien pour nous , 
continua-t-il , d’avoir manque 
Tennée du fleuve; car après a» 
voir une fois abordé fi prés de 
fan embouchure , il n’eût pa§ 
été difficile de la trouver, du 
moins par terre ; d’y conduire 
enfuice nos vaiffeaux , d’y bâtir 
un havre , pour ne pas s’y trom- 
per une autre fois , &: d’y con, r 
llruire un Port pratiquable ; 
mais le malheur voulut qu après 
queM .de Beau jeu qui comman- 
doit un de nos trois vaiffeaux , 
nous eût mis à bord , nos deux 
autres s’y perdirent , tant par la 
méchante manœuvre du Pilote, 
que par la négligence des Ma- 
telots. Le premier échoua à l’en- 
trée de la Baye , contre un banp 
de fable , d’où quelques fecours 


àè ï Arhefîque Sept. ±4 f 
||ü‘è nous pûmes y apporter , 
il nous fut impolïîble de le re- 
tirer. Nous eûmes , a la vérité, la 
eonfolation d’en fauver 1 équi- 
page , & nos meilleurs effets} 
l’autre fut brifé dans le Porc mê- 
me contre un rocher , avec per- 
te de la plupart de nos mate- 
lots 5 heureufement nous en a- 
vions débarque' toutes nos pco- 
■Vifiorïs &2 nos marchandises : 
D’ailleurs , la plupart de nôtre 
monde & de nos eftets avoit ete 
mis à terre par M. de Beaujeuy 

qui après avoir été le témoin de 
nos defordres , tourna les voiles 
pour s’en retourner en France. 
Tel fut , dit-il , le deffin de no- 
tre flote. 

A compter depuis le 14. Juil- 
let 1684. jour de nôtre départ de 
la Rochelle, jufqu au 18. Février 
de l’année fuivante 1685. que 
«tous débarquâmes à la Baie 0. 

X iij 


Nouvelle Relation 
Loiiis , il s’étoit paffé envirô» 
fepc mois. Mon frere aïanc re- 
cueilli le débris de nos vaifleaux, 
& après avoir reconnitla fituation 
avantageufe du pais à l’embou- 
chure d’une tres-belle riviere y 
Rivière jionimée la Riviete aux Vaches, 
cher. âu m ilieu de plufieurs autres, qui 
viennent Ce jetrer dans la même 
Baie , & d’un grand nombre de 
Na dons très bien peuplées ; les 
environs charmans par la beau- 
té des terres , par l’abondance 
des fruits, & par la multitude 
des befliaux , ne balança pas un 
moment à s’y faire une belle 
habitation II dreffa d’abord le 
plan d’un Fort , en deflîgna le 
circuit , & fît d’abord mettre la 
main à l’œuvre j la neceffité de 
fe loger, jointe à la commodité 
du bois & du ciment , fît fi fore 
avancer l’ouvrage > qu’il fut con- 
fommé en moins de deux mois» 



de l’ Amérique Sept . 447 

Cependant M. de la Sale plus 
impatient que jamais de retrou- 
ver le Miffiiîipi , couroit de parc 
& d’autre pour le reconnoître ; 
comme tout ce pais elt coupé 
par beaucoup de rivières qui fe 
jettent d’efpace en efpace dans 
la Baïe , il faifoit Tes courfes, 
tantôt à pié , tantôt en canot, 
accompagné de dix ou douze 
François armez de bons fuzils: 
il trouvoit de diftance en diftan- 
ce diverfes habitations de Sau- 
vages , &: par tout une abon- 
dance de toutes chofes neceflai- 
res à la vie , jufqu’à des volail- 
les domeftiques. 

Enfin , après quinze jours de 
recherche , il rencontra un gros 
& large fleuve : Il en fuivit le cou- 
rant durant lept ou huit lieues, 
jufqu’à fon embouchure dans 
la mer , 8c reconnut que c’étoic 
jullement celui qu’il avoit tant 


I 


Nouvelle Relation 
cherché , 8c dont ii n’avoir pu 
rencontrer l’embouchure; il prit 
encore une fois la hauteur, pour 
ne plus la manquer, en cas qu’il 
revint une autre fois par le Gol- 
phe. 

Content de l’avoir rencontré* 
& plus fatisfait encore de la fé- 
condité des campagnes qui l’en- 
vironnent , il revint à fa colo- 
nie nailfante ; mais par un fur- 
croît d affliction , il trouva que 
les uns a voient fuccombé à la 
longueur de ces maladies qu’ils 
avoient contractées à S, Domin- 
i ue y & fl üe plus de quarante a- 
voient été égorgez par les Sau- 
vages. Cecte perte le toucha 
îenhblement ; mais s’étant for- 
tifie contre fa douleur , il ap- 
pella ceux qui reftoient : ( leur 
nombre nalloit pas à cent;) il 
les encouragea, les exhorta à 
faire fi bien par leur travail, pat 


de 1 ‘ Amérique Sep. 2.4^ 
leur concorde, par leur induftrie ÿ 
& par leur bonne conduite avec 
ces Barbares , qu’ils puffent pro- 
fiter des richefles que la Nature 
leur prefentoit avec abondance» 
Comme les nouvelles decou- 
vertes paroifloient a M. de la 
Sale des Provinces conquifes >&C 
que toutes les pertes qu’il pou- 
voir faire 5 ne lui fembloient 
rien en comparaifon d’une Na- 
tion volontairement foumife , il 
chercha à fe confoler par de 
nouveaux voïages 5 ainfi aiant 
pris une nouvelle refolution 3 il 
voulut aller reconnoître ces va- 
ûes contrées , qui font entre le 
Mifliilipi & le Golphe-Mexi- 
que y vers le Su i-Eft. 

Le ii. Avril de l’année 1^85» 
|1 partit de la Baie S. Lotiis pour 
cette nouvelle traite ; il ne prit 
avec lui que vingt hommes 
en tout y au nombre defquels 



Che- 

vaux 

farou- 

ches. 


îjo Nouvelle Relation 
étoient nos deux neveux Cave- 
lier , & de Moranget , un Pere 
Receler & moi. Nous avions 
pour tout équipage deux canots, 
& deux traîneaux , pour porter 
nos provilîons de nos marchan- 
difes. 

Le premier jour, nous paflames 
plus de vingt rivières , dont les 
environs nous paroifloient un 
pais enchanté , & au travers de 
peuples bien-faifans , qui ne nous 
refufoient rien. Ce que nous 
trouvâmes de particulier dans 
ces contrées , c’eil: que parmi le 
bétail à corne, nous apperçûmes 
dans les prairies un grand nom- 
bre de Chevaux, mais fi farou- 
ches , qu’on ne pouvoit les ap- 
procher. 

Dés la fécondé journée, nous 
commençâmes à vivre de la 
chafle; Nous tuâmes fur lefoir 
un chevreuil , de nous cabannâ- 


de t Amérique Sept. ift 
mes cette nuit en pleine campa- 
gne au milieu d’un petit retran- 
chement. Dés cette nuit nous 
nous fîmes une loi de prendre de 
pareilles précautions , en quel- 
que endroit que nous publions 
nous trouver. 

Le troisième jour nous trou- 
vâmes fur le midi , quatre Ca- 4 ca- 
valiers bottez , qui nous acco- 
lièrent tres-humainement ; ils 
nous demandèrent qui npus e- 
tions , & où nous allions : Nous 
leur déclarâmes que nous étions 
François , &c que nous ne.vo'ia- 
gions dans ces Terres, que dans 
l’intention de reconnoître les 
divetfes Nations de l’ Amérique, 

& de leur offrir la protection du 
Roi des François , le plus grand 
Roi de l’Univers : Que s’ils vou- 
loient fe foumettre à fa puiffan- 
ce , ils reffentiroient bien-tôt 

des effets de fa protection pas 


$£•*- 

$***■>> 

Nation 
de S au* 

Tnges. 


Nouvelle Relation 
le moïen de fes v ai fléaux. Eux' 
de leur côté, nous prièrent auflîv 
toc de vouloir accepter leurs 
maifons , Sc de les fuivre jufques* 
dans leur village > nous y con- 
sentîmes avec plaifir ; nous y fû- 
mes parfaitement bien reçus, &. 
très- bien régalez. 

G’étoit la Nation des Ji>uoa- 
quis , ou des Mahis. Les hom- 
mes y font fort bazannez, & les 
femmes de même. Ils ont les 
cheveux noirs & allez beaux ; le 
?ifage plat ; les yeux grands 
noirs , bien fendus les dents 
tres-blanches ; le nez écaché > 
d’ailleurs, fa taille libre & dé- 
gagée. Les hommes y font vê- 
tus de corfelets d’un double cuir, 
à l’épreuve de la flèche : Us por- 
tent depuis la ceinture jufqu’au 
genou, une efpece de ringrave de 
peau d’ours , de cerf, ou de loupÿ 
leur tête eft couverte d’une ma-* 


de l’ Amérique Sept., £53 

«were de turban fait cje mêmes 
peaux ; ils ont des bottines de 
peaux de bœuf, d’élan , ou de 
cheval , tres-bien pafl'ées. Pour 
leur équipage à cheval , outre 
leurs corfelets ,, leurs bottines , 
£1 leurs boucliers couverts de 
peaux les plus dures , ils ont des 
Telles faites de plufieurs cuirs, 
ajuftez & collez les uns fur les 
autres ; des brides comme les 
nôtres ; des étriers de bois ; des 
brides des mords de dents 
d’ours ou de loup. 

A l’égard des femmes , elles 
portent en guife de cliapcau, un 
tiffu de jonc ou de cannes, diffé- 
remment coloré 5 leurs cn.eve.ux 
tantôt cordonnez , tantôt notiez. 
Leur corps eft couvert d’une ve» 
lie d’un tiflu tres-fin jufqu’à de- 
mi-cuiffe ; elles font chauffées a 
peu prés comme les hommes , 
avec des bottines à fleur de jam- 


Leurs 

fc.iuncs 


'Rfher i 

rivière, 

pour- 

quoi 

ainfî 

cernée. 


244 Nouvelle Relation 

Nous ne fîmes que coucher 
chez eux , mais toujours fur nos 
gardes, en nous relevant de feu- 
tinelle de tems en tems. Le len- 
demain , les Principaux nous 
vinrent trouver avec quelques 
jprefens de blé d’Inde, pour nous 
alfurer qu’ils feroient toujours 
bien-ailes de vivre dans nôtre 
alliance , & fous les loix du Pan- 
ce que nous reconnoi liions. De 
nôtre côté, nous leur fîmes pte- 
fent de quelques couteaux , & 
de quelque brade derafade pour 
leurs femmes; Apres quoi nous 
prîmes congé d’eux , & nous 
nous remîmes en chemin. 

A deux lieues de-là,nous nous 
trouvâmes fur les bords d’une 
tres-belle Riviere , que nous 
nommâmes Riber , du nom d’un 
homme de nôtre fuite, de pa- 
reil nom , lequel s’y noïa. Sur 
fes bords paillent de nombreux 


de V Amérique Sept. ztf 

troupeaux de Cibolas 5 nous en 
tua nés dans un moment trois, 
que nous fîmes boucanner pour 
nous fervir de provifion. 

A une lieuë de cette Riviere, 
nous en remontâmes une autre 
beaucoup plus rapide , à qui 
nous donnâmes le nom de H te us, Rjvîere 
nom d’un Allemand de nôtre 
compagnie , qui demeura trois 
purs perdu aux environs , pour 
s’être trop avant engagé dans les 
bois , par le plailîr de la chaffe. 

Ainli continuant nôtre cour- 
fe , tantôt dans des plaines, tan- 
tôt au travers des ravines & des 
ïivieres , que nous pallions avec 
nos canots ; nous tombâmes au 
milieu d’une Nation allez ex- Bifca. 
traordinaire , qu’on appelle les tmges, 
Bifcatonges -, nous leur donna- ac Sau . 
mes le nom de Pleureurs -, par- vag«, 
ce qu’à la première approche 
des Etrangers , tout ce peuple , ti*»- 

u murs , 


%.j6 Nouvelle Relation 
tant hommes que femmes , fç 
mettent à pleurer amèrement. 
La raifon en eft allez particu- 
lière ; ces pauvres gens s’imagi- 
nent que leurs païens ou amis 
decedez , font allez en volages 
& comme ils en attendent tou- 
jours le retour , 1 abord des nou- 
veaux-venus renouvelle leur idées 
mais comme ils ne retrouvent 
pas en eux ceux qu’ils regrettent, 
leur arrivée ne fait qu’augmen- 
ter leur douleur. Ce qu’il y a 
de plaifant, & peut-être d’aflez 
raifonnable dans cette croïance, 
e eft qu’ils pleurent beaucoup 
plus a la naiflance de leurs en- 
fans, qu’à leur" décès ; parce qu’ils 
ne regardent la mort que com- 
me un voïage, dont on revient 
apres un tems ; mais qu’ils re- 
gardent leur naiflance comme 
une entree dans un champ de 
périls &c de malheurs -, Quoi qu’il 
m 


Jet Amérique Sept, zp 

ÜEl foit ce premier torrent de 
larmes étant palTé , ee ne fut 
parmi tout ee peuple qu’un vifa- 
ge ferain , cârelïant & rempli de 
tendreffejOn nous conduifit dans* 
des cabannes tres-proprement 
nattées , où l’on nous offrit du 
bœuf & du cerf bouçanne , avec 
de la Saguvite , leur pain ordi- 
naire ÿ qu’ils font avec une ra- pa j Bj / i 
cine nommée Toquo , efpece de 
ronce > On la lave , on la feche, 

©n la broie , & on en fait une 
pâte , qui étant cuite , eft d’un 
fort bon goût , mais d’un ali-' 
ment aftringent.Nous joignîmes- 
à leur regai un peu de notre eau-" 
de-vie ; nous leur en donnâmes* 
une couple de -petites bouteilles;; 
ils nous firent prefent de plufieurs- 
peaux bien paffees y qui nous- 
fervirent à faire de bons loulierS’.* 

Ces Peuples n’adorent point 
d’autre Divinité que le Soleil* 


zj§ Nouvelle Relation 
&' c’efl prefque la Divinité d< 
toutes ces Nations. A propos de 
quoi, nous leur dîmes que nôtre 
Prince étoit le Soleil des autres 
les Rois i que fon éclat fe répan* 
doit dans toute l’Europe, & mê- 
me dans plritieurs contrées de 
l’Amerique ; que s’ils fe foumet- 
toient à fa puiffance , ils fenti- 
roient bien-tôt quelques effets 
de fa grandeur &: de fa bienveil- 
lance ; ils fe fournirent volon- 
tiers , & nous jurèrent une éter- 
nelle amitié. 

A'iant parte deux jours chez 
cette Nation pleureufc , nous- 
nous remîmes en chemin. La 
première journée nous fîmes dix 
grandes lieuës , prefque toujours 
dans les bois -, enfuite nous nous 
trouvâmes à la vue d’un grandi 
village , à l’entrée duquel nous' 
apperçumes un gros Chevreuil, 
fpf un chaouanous de nôtre fuite! 


de l' Amérique Sept. 
tira , &; tua d’un coup de fulil. 
L’éclat du bruit &c de la flâme en 
parut fi terrible à ces Habitans, 
qu’au premier a'pect de nôtre 
troupe & de nos armes , ils pri- 
rent tous l’épouvante &c la fuite: 
Le Chef &c trois de fes en- 
fans s’étant montrez plus fermes, 
les firent revenir de leur ter- 
reur; ils s’avancèrent vers nous, 
nous offrirent quelques rafrai- 
chiflemens, & quelques-unes de 
leurs cabannes pour y palier la 
nuit ; mais mon ftere n’aïant pas 
jugé à propos de s’y fier , nous 
cabannâmes un peu à l’écart, 
félon nôtre coutume : Heureux 
d’avoir pris cette précaution -, car 
le lendemain à la pointe du jour, 
nous apperçûmes un grand nom- 
bre de cette canaille cachée dans 
des cannes , avec des flèches ; 
Aulfi-tôt M.de la Sale, les aïant 
fait coucher en joue , les obii- 


Coup de 
fufîl ti- 
ré, jette 
l'épou- 
vante 
parmi 
des Sau- 
vages, 


%6o N oHvellé R dation * 

gea a demander quartier. Iis en? 
furent quittes pour quelque pro* , 
viiion de blé d’Inde , que les- - 
fils de leur Chef nous apporte» 
rent & nous prîmes aufii-tôtle 


contrâmes une autre habitation 
de plus de trois cent cabannes 
cfsino- fi a bitée par les chinonoas -, ils- 
tuas h nous firent un accueil tresTa- 
ft'iguét vora ôle. Toutes ces contrées 
les *F.'â font prcfque fur la côte orien-' 
î^fes" t3 ^ e Mer*Mexique > les Ef- 
Efpa- p a gnols paflént jufques dans 
gnols. leurs terres & leur font de très- 
cruelles vexations.. Ces Sauva- 
ges furent d’abord nous diftin- 
guer d’avec eux par notre air y 
par nôtre langage, par nos ma* 
wieres ; & l’horreur qu’ils avoient 
conçue contre tous ceux de cet- 
te Nation , ne fît que redoubler 
leur amitié pour nous ; Nous nq 



de t Amérique Sept. z6t 
tardâmes pas à leur faire enten- 
dre que les Espagnols & nous ,, 

*»’ étions gueres d’accord enfem- 
ble j & qu’ils croient nos enne- 
mis jurez. Sur quoi nous aïant 
offert tout ce qui étoit en leur: 
pouvoir y, ils nous prièrent de- 
vouloir nous unir avec eux, pour- 
leur aller faire la guerre : Nous- 
leur dîmes que nous n’étions pas» 
pour lors en cet état ,, mais que 
nous pourrions bien-tot revenir 
les joindre en plus grand nom- 
bre pour les féconder ; de forte 
qu’aïant paffé fort tranquille- 
ment la nuit chez eux, nous nous» 
retirâmes le lendemain charge» 
de beaucoup de blé d’Inde 
de tres-belles peaux- 

A peine eûmes-nous avancé 
une lieuë dans nôtre route,qu’un 
nommé N ica, de nôtre fuite, fc Home’ 
fentit piqué d’une vipere, il fit ^11 
îuffi-tôc un fort grand cri j> en vipere., 


2.6z Nouvelle Relation 
moins d’un demi-quart d’heure. 
Ton corps s’enfla prodigieufe- 
ment, & devint tout livide : On 
fît d’abord de grandes incifions 
fur fa plaie ; nous la frottâmes 
avec de l’eau-de-vie , & du fel 
de vipere ; nous lui donnâmes 
de l’orvietan , & apres deux 
jours , il fe trouva parfaitement 
guéri. 

„ _ Nous étant remis en chemin. 

Pâflà^e , x / -j 

d’une noils nous trouvâmes, apres deux 

rivicre jours de marche , fur le bord 
M P lcie . d’une rivière tres-rapide ; il fa- 
lut la pafler , & nous étions fans 
canot ; parce que les nôtres pre- 
nant l’eau de tous cotez , nous 
avions été forcez de les aban- 
donner. Nous n’eûmes point 
d’autre expédient que de faire 
un caïeu de cannes & de plu- 
fieurs branches d’arbres entre- 
laflées , & couvertes de nos 
meilleures peaux. Mon frere èù 


de l’ Amérique Sept. i6% 
nos deux Neveux Te mirent del- 
fus avec deux Sauvages pour le 
conduire; je reliai avec le relie 
de nos gens fur le rivage. A pei- 
ne furent-ils au fort du courant, 
que la rapidité de l’eau les 
emporta dans un moment , SA 
les fit difparoître à nôtre vue r 
Par un bonheur fingulier,le caïeu 
fut arrêté à une grande demie 
lieuë de-là, par un gros arbre qui 
fiottoit fur l’eau à demi déraci- 
né ; fes branches qu’on accrocha 
avec le fecours de quelques 
perches , leur donnèrent moïeu 
de gagner le bord; fans quoi in- 
failliblement U rapidité du fleu- 
ve les eût emportez à la mer. 

Cependant nous étions fort 
en peine de ce qu’ils étoient de- 
venus ; nous fuivîmes toujours 
nôtre bord , portant nos yeux 
aufli loin que nous pouvions, & 
criant de toutes nos forces pour 


■ 


x&4 Nouvelle Relation 
lâcher de les rappeller , ou pou? 
les découvrir. Nous- fumes un; 
jour & une nuic dans ces inquié- 
tudes* : le lendemain nous re- 
commençâmes le meme train »- 
à la fin ils nous répondirent, S£ 
nous les apperçûmes de l’autre 
côté : e’étoit une meceflîté de les 
aller joindre; Sc pour cela il fa- 
ïoit nous expofer au même dan- 
ger. Nous fîmes un nouveau 
caïeu, car le premier s’étoit tout 
délié, & ne tenoit plus à rien-, 
nous le fîmes beaucoup plus 
fort que l’autre ; & nous étant 
munis de bonnes perches, nous* 
paffâmes tous à diverfes reptiles 
fort heureufoment. Toute la 
troupe s’étant ainfi réunie , nous 
pourfuivîmes nôtre route fous la 
conduite de mon frere , qui n’a- 
voit d’autre bouflole que fon gé- 
nie. Un de nos chaïleurs s’écarta 
pour chalfor , nous le perdîmes 

durait 


de l'Amerique Sept, zbÿ 
durant un jour , le lendemain 
nous le revîmes chargé de deux 
chevreuils boucannez, il venoic 
d’en tuer un autre qu’il avoir 
lailfé à un demi-quart de lieuëj 
après nous avoir abandonné les 
deux , il alla fur Tes pas, avec un 
Abenaguis , chercher l’autre ; & 
nous l’aïant apporté , nous nous 
régalâmes d’une partie de fa 
chafle , Sc gardâmes le relie pout 
nôtre provision. 

Etant de là palfez dans des Sauva- 
terres plus delicieufes & plus f' 1 ”, 0 "' 
peuplées que toutes les autres , un chc 
après lîx ou fept lieues de mar- 
che , nous vîmes venir à nous un quinous 
Sauvage à cheval , avec une fem- 

° r • ■ 1 mes. 

me en croupe , luivi de quatre 
efpeces d’efclaves , qui étoient 
fort bien montez. Cet homme 
nous aïant abordé , s’informa 
qui nous étions , & de ce que 
nous cherchions en ce pais: 


z66 Nouvelle Relation 
Mon frere lui fit entendre tant 
par lui-même, que par les Sau- 
vages de fa fuite , que nous é- 
tions François , 5c que nôtre in- 
tention n’étoit que d’offrir à 
tout le peuple de leur Continent, 
jufqu’à la Mer-Mexique , nôtre 
alliance , 5c la protection du 
Roi de France. Ce Sauvage mit 
auffi-tôt pié à terre j offrit fon 
cheval à mon frere , le força, 
même par fes inftantes prières , 
de l’accepter , 2c de vouloir ve- 
nir dans leur 'Habitation ; failli- 
ra qu’il y feroit tres-bien reçu , 
ëc que fes propofitions y feroient 
favorablement écoutées. Mon 
frere , après l’avoir fort remer- 
cié de fes honnêtetez , lui fit 
connoître, qu’avant que de faire 
cette démarche , il feroit bien- 
aife d’apprendre le fentiment de 
toute fa Nation par un Envoie 
de fa part. Le Sauvage reçut 


de F Amérique Sept. 2 
ette réponfe ; de fore bonne 
;race ; & par un furcroît de ci- 
ilité , il lui laifl’a fa femme & 
inde fes efclaves en otage. Mon 
irere lui donna fon Neveu Café- 
ier , &c deux Cbaouanous. Le 
•auvage monta fur le cheval 
l’un de fes efclaves , & mon 
sfeveu Cavelier fur celui qui 
ivoit été donné à mon frété. 

_e lendemain y nôtre Envoie- 
evint avec nos. deux çhaoua- : 
ions y montez chacun fur un 
)eau cheval , l’un & l’autre 
;hargez de toutes fortes de pro- 
/îfions ; & fit un rapport auffi 
igreable que furprenant , du 
3.0 n accueil qu’il avoir reçu de 
:e Peuple, qu’on nomme Cenis. Ccnîs, 
Leur habitation a vingt lieues 
d’étendue ; elle eft divifëe en V ages. 
plufieurs hameaux , prés l’un de 
l’autre. Leurs cabannes ont qua- 
rante ou cinquante pies de hau- 

Z ij 


t6% Nouvelle Relation 
teur , faites de grofles branches 
d’arbres , qui fe rejoignant par 
en haut , forment une efpece 
de voûte ; le dedans eft tres-bien 
natté , & d’une propreté char- 
mante. 

M. de la Sale , informé de 
leurs bonnes intentions,ne man- 
qua pas de s’y tranfporter le len- 
demain. A deux cent pas du 
village , il vit venir au devant 
de lui, les Principaux de la Na- 
tion , tout empanachez 5 &: cou- 
verts de leurs plus riches peaux. 
Mon frere les reçut à la tête 
de la Compagnie. Le premier 
abord s’étant palfé en civilitez 
réciproques , il fut conduit par 
le Chef jufqu’au village , au tra- 
vers d’une tres-belle jeunelfe , 
rangée fous les armes , & par- 
mi un très-grand concours de 

v>' _ , 

peuple ; on l’emmena lui & la 
troupe dans un quartier qui fem- 


de l’ Amérique Sept. 169 
bloit faire un hameau a part. On 
nous y regala tres-bien. Le Cher 
convaincu de la magnificence 
de nôtre Prince , par les éloges 
que lui en fit M. delà Sale , le 
reconnut comme fon Souverain, 
& fit à mon frere un prefent de 
fix bons chevaux , &C de fes plus 
belles peaux. M. de la Sale lui 
donna des haches , quelques 
étuis de ci féaux , des couteaux , 
& des rafoirs qu’il reçut avec 
toute la joie imaginable* H y 
avoit en ce tems-la chez eux des 
Arnbaflàdeurs d’une Nation ap- 
pellée les choumans^ : Le fujet 
de leur Ambaifade étoit une li- 
gue qu’ils prétendoient former 
entre eux , pour faire la guerre 
aux Efpagnols , leurs tyrans & 
leurs perfecuteurs. Ils nous ren- 
dirent vifite,& nous convièrent 
de vouloir y entrer ; nous leur 
donnâmes parole de nous join- 

Z iij 


A mbaf- 
fadeins 
des 

Chou- 

mans. 


2 7° Nouvelle Relation 
dre avec eux après nôtre voïa» 
8 e i nous jurèrent, comme 
les autres , une amitié inviola- 
ble. 

Naflo- Les Najpmis font à une j’our- 

tioa^c' nC / ^ CS ^ en is‘ Nous pouffâmes 

Sauva- jnicjues cnez eux ; nous en reçû- 
mes un pareil traitement , une 
meme reconnoifiànce , & une 
même protection d’amitié. Ils 
ont tous une égale antipatie 
pour les Espagnols. Leurs pâtu- 
rages y font remplis de chevaux 
& de bœufs. On voit dans tou- 
tes leurs familles de gros cha- 
pons , des poules, des poulets, 
& de gros pigeons d’Inde. Nous, 
reconnûmes chez eux aufli-bien 
que chez les Cenis , quelque 
teinture de nôtre Religion. Les 
uns y faifoient le ligne de la 
Croix ; les autres nous expri— 
m oient par certaines marques 
le S. Sacrifice delà Méfié. Nous 


de V Amérique Sept. 2,71 
vîmes bien que c’etoit 1 effet de 
quelques Millions efpagnoles 5 , 
mais il n’y a point de doute que 
le fruit en feroit beaucoup plus 
grand , fi ces premières femen- 
ces de Religion leur avoient été 
infpirées par des perfonnes qui 
leur fuflent moins odieufes. En 
effet , nôtre Pere Recolet avec 
quelques Images , quelques 
Croix , & quelques Agnus-Dei , 
qu’il difttibua aux uns &C aux au- 
tres, leur faifoit concevoii & croi- 
re tout ce qu’il leur enfeignoit, 
tant ces peuples font dociles. 

Au milieu de toutes les fatif- Contre 
faétions que nous avions iujet chsu;i 
d’avoir parmi ces Sauvages, nous 
y eûmes deux fâcheux contre- 
tems ; l’un fut la defertion^ de 
quatre de nos François -, & l’au- 
tre , la maladie de mon frere. 

A l’égard de ces quatre défen- 
seurs , on ne fait û entraînez par 

Z iiij 


V7% Nouvelle Relation 
la beau te de ces contrées , ils 
•allèrent chercher à s’établit chez 
quelques-unes de ces Nations 
voifines j ou G peut-être attirez 
par les flatteufes amorces des 
Sauvagelfes , ils s’en retournè- 
rent chez les Cents , ou s’ils Ce 
retirèrent chez les Nafonis. La 
venté eft , que depuis qu’ils fe 
virent en polleffion d’un che- 
val , ils ne crurent plus être par- 
mi les Sauvages , on ne put les 
retenir , & nous n’entendîmes 
plus parler d’eux. 

Pour la maladie de mon frè- 
re , ce fut aflurément une fuite 
du chagrin , que la defertion de 
fes gens lui caufa. Il tomba ma- 
lade Je 24. Aouft de l’année 
apres trois mois de courfe , Sc à 
deux cent lieues de la Baie S. 
Louis. Sa maladie fut prefque 
en même teins fuivie de celle 
de M 0 range t nôtre Neveu.Nous 


de l' Amérique Sept. z7$ 
eûmes dans cette affliction la 
confolation de trouver parmi les 
Sauvages tous les fccours que 
nous aurions pu trouver en Eu- 
rope , excepté des Médecins. 
Nous avions tout ce que nous 
pouvions defirer , le veau , le 
mouton, des poules, des pigeons, 
des ramiers ; & avec tout cela , 
toutes fortes de bonnes herbes , 
tant pour les boitillons, que pour 
les ptifannes , èc autres remedes 
neceflaires aux malades. Nous 
avions avec nous deux Chirur- 
giens , qui nous furent d’un 
grand fecours :■ Les Sauvages 
mêmes , tant hommes que fem- 
mes , nous donnèrent du gibier, 
de la viande , des volailles ; en 
un mot , grâces à la bonté du 
Ciel , & à nos foins , nos deux 
malades recouvrèrent leur fan- 
tc , après un mois de maladie. 

Dés que leurs forces furent ce* 


2,74 Nouvelle Relation 
tablies,mon frcre croïant devoâ? 
s’en tenir à Tes dernieres décou- 
vertes j & ne pouvant même 
s’engager plus avant fans rencon- 
trer les Terres des Efpagnols , 
d ou félon toutes les apparen- 
ces , nous ne ferions jamais re- 
venus , prit le parti de s’en re- 
tourner en fa nouvelle Colonie. 

Nous nous remîmes en mar- 
che vers la fin du mois de Sep- 
tembre iéBj. L’avantage que 
nous eûmes dans nôtre route, 
fut de nous en retourner à che- 
val ,,311 lieu que nous étions ve- 
nus à pie ; Ce qu’il y eut de 
furprenant dans cette nouvelle 
voiture, c’cft que nos chevaux, 
fans être ferrez , avoient le pie 
fi bon , qu’ils franchiffoient tour, 
& la bouche fi fine, qu’ils o~ 
béïflbient à la bride , comme 
s’ils y avoient été dreffez. Cha- 
cun de nous, étoit raifonnable* 


de V Amérique Sept, 
ment monté, &c les chevaux que 
bous avions de relie , nous (en- 
voient ou de relais , ou de che- 
vaux de charge , pour porter 
nos munitions , nos canots 
nôtre équipage ; ce qui nous 
fut d’un fort grand loulagement. 
Cependant comme les chofes 
les plus utiles font quelquefois 
les plus funeftes jfoit par le ha- 
zard , loit par le manque d’a- 
drelfe , il arriva qu’un de nos 
chevaux fut la caufe de la perte 
d’un de nos Sauvages. 

Sur les bords de la Maligne , 
cette riviere , fur laquelle mon 
frere courut rifque de fe perdre, 
un cheval s’étant cabré à la 
vue d’un gros Crocodile , jetta 
fon cavalier dans l’eau : A peine 
fut-il tombé , que cette bête 
avide l’entraîna , èc le dévora à 
nos yeux. Ce fpeclacle nous cau- 
fa une tres-grandc douleur t mais 


UnCr©- 
codile 
entraî- 
ne dans 
] eau un 
homme 
& le de-î 
vore^ 


nouvelle Relation 
il eft malaifé que dans les voïa- 
ges de long-cours , il n’arrive à 
ceux qui les entreprennent, quel- 
que accident funefte ; le plus 
fur eft de s’y préparer , en don- 
nant ordre à la confcience, &: 
en fe remettant entre les mains 
«îe notre Dieu tout- puiftant, qui 
nous guide & qui nous conferve. 

Ce malheur étant fans reme- 
de , nous continuâmes nôtre 
chemin * & après trois mois de 
marche , nous arrivâmes au com- 
mencement de Janvier de l’an- 
nee 1 6 %$. à la Baie S. Loiiis. Aux 
premières approches de nôtre 
Colonie , nous apperçumes que 
tous les environs en étoient dé- 
frichez , & même très- bien cul- 
tivez. Nous y trouvâmes grand 
nombre de femmes, & les Ha- 
bitations remplies de nouvelles 
familles : chaque famille avoir 
les petites provifiom, fan jar» 


de V Amérique Sept. 17 7 

din & Tes polfelfions ; en un mot, 
tout y promettent un heureux 
accroilfement, & une nombreufe 
multiplication. Mon frere y fut 
reçu comme le pere commun de 
ce peuple naiflant , & nous eû- 
mes un fort grand plaifir de voir 
ces commencemens de focieté 
de nos François avec les Sauva- 
ges , & le bon ufage que chacun 
faifoit des avantages de ce nou- 
vel établiflement. 

Comme la prefence de mon 
frere étoit necelfaire en ce pais, 
tant pour la confommation du 
Fort , que pour donner quelque 
reglement à ce nouveau peuple ? 
nous y fejournâmes encore en- 
viron trois mois. Ce tems étant 
écoulé , il refolut de repalfer 
en France , pour obtenir de nou- 
veaux fecours de la Cour , ôc 
pour demander quelques ren- 
forts d’artifans & de laboureurs. 


Pla- 

ceurs 

Riviè- 

res. 


Nouvelle Relation 
tant en faveur de cette derniers 
Colonie , que pour toutes les 
autres qui font répandues en di- 
vers endroits de l’AmeriqueSep- 
tentrronale. Aiant donc pris con- 
gé d’un chacun , il partit accom- 
pagné de vingt François pour 
le Canada, & prit fa route vers 
les Illinois par les terres , fur la 
fin du mois de Mars de l’année 
1686. 

Cette route , quoique la plus 
pénible , nous fervit , non feu- 
lement a reconnoitre le cours 
des rivières , dont nous n’avions 
que vu l’embouchure, en des- 
cendant le Mijfijjipi, mais d’ob- 
ferver de plus prés tous les peu- 
ples qui en habitent les bords, 
& de contracter avec eux de 
nouvelles alliances. Nous tra- 
verfâmes d’abord la Riviere aux 
Cannes , ainfi nommée , à çaufe 
du grand nombre de Canards, 


de V Amérique Sept. 
dont elle eft couverce. Après 
celle-cij nous paflames la Sablon- 
niere , qui n’a pour lit qu’une 
vafte campagne fablonneufe. En- 
fuite le Robec , dont les rivages 
font habitez par des peuples qui 
parlent tous du gofier. Après 
celle-ci , la Maligne , aux envi- 
rons de laquelle font les 'ua - 
noatinos , Peuple auiîi redouta- nos, 
ble aux Iroquois par leur valeur, 
que par leur cruauté : Car ou- vages» 
tre qu’ils combattent fans quar- 
tier , ils fe font une loi parmi 
eux d’en faire brûler autant qu’ils 
en peuvent prendre. Allant tou- 
jours plus avant , nous trouvâ- 
mes les Taraba , les Cappa , les 
Palaquejfons , tous ennemis dé- 
clarez des Efpagnols. 

Je n’entrerai pas dans un plus 
ample detail des parti cularitez 
de toutes ces Nations, Sc de 
toutes ces Contrées ; Je me con- 


tSo Nouvelle Relation 
tenterai de dire , que bien que 
ces pars foient beaux , generale- 
dfdc*" ment P ar ^ anc 3 on remarque en 
chaque c ^ acun deux fon abondance ôc 
çôtsée. fa beauté particulière. Les uns 
abondent en blé d’Inde , dont 
on fait de la boüillie ; les autres 
en Tonquo -, les autres en CaJJave } 
dont on fait une efpece de pain. 
On voit une multitude innom- 
brable de Cibolas chez les Peu- 
ples qui approchent le plus de 
la Mer. Les Cajlors font par trou- 
pe chez les Ouadiches , les Oua- 
baches , les Akancéas , les Iro- 
quois , & dans beaucoup d’au- 
tres Cantons de l’Amerique. Les 
Ours font tres-frequens dans les 
pais du Nort Pour des Chevaux, 
on n’en voit que chez les Peu- 
ples voifins des Efpagnols ; mais 
prefque par tout on voit des 
Orignacs , des cerfs, des élans, 
des loups , tant cerviers que 
communs; 


de P Amérique Sept. zos 
communs ; de gros béliers , des 
moutons Sc des brebis , qui ont 
une foie beaucoup plus fine que 
les nôtres. 

Ce fut au travers de toutes 
ccs Plaines , que nous reconnu- 
mes une infinité de Sauvages , 
qui nous reçurent tous avec 
beaucoup d’humanité , Si avec 
une enaere foumillion aux loix 
de nôtre grand Monarque. Nous 
trouvant entre les P alaquejfom , 

& les Nouadiches , les provisions 
nous manquèrent » nous eu r.es 
recours à la cbafle : trois ou qua- 
tre de nos cha (leurs fe détachè- 
rent de la troupe pour aller dans 
les bois ; ils n’y furent pas long- 
rems fans rapporter du^ gibier. 

La beauté du pais fitué encre Borné 
deux Nations tres-atfedionnées 
pour la nôtre; la campagne a- entre 
bondante en blé d’Inde , en tou- 
tes fortes de fruits Si de gibier „ pies. 


2.82, Nouvelle Relation 
les pâturages remplis de bétail 
de toute efpece , & fur-tout de 
chevaux : Tous ces grands avan- 
tages firent naître à mon frere 
l’envie d’y faire un établiflement. 
Dans cette penlee , il trouva ài 
propos de me faire prendre les. 
devants vers les Minois , tant 
pour vous informer de fon arri- 
mée , que pour d’autres raifons 
que je vous dirai dans la fuite.. 
Il me donna le Pere Anaftafe * 
Cavelier mon neveu, M. de U 
Marne , quatre autres François,, 
êc deux efclaves pour me fervir 
d rnterpretes , avec deux canots,, 
deux chevaux de charge, & nos 
munitions neceflaires. Nous 
nous feparâmes le xy. Mai de 
l’année 1686. & nous prîmes nô- 
tre chemin par les terres , tant 
pour la commodité de nos che- 
vaux, que pour les frequens Ce- 
cours que nous tirions des SàftJ 


de t Amérique Sept. 2.85 
Vages , autant zelez pour nous , 
qu’ils font ennemis des Iroquois 
èc des Efpagnols. 

Dés la première journée, nous Noua- 
allâmes coucher chez les Noua- dkhes 
diches , qui nous reçurent a bras de Saa . 
ouverts & qui nous invitèrent vages. 
à nous joindre avec eux pour 
faire la guerre aux Efpagnols : 

Ils nous aifurerent qu il y avoir 
beaucoup d’or &£ d argent chez 
eux y qu’ils nous abandonne • 
roient volontiers toutes ces ri- 
chelfcs,& qu’ils ne pretendoient 
s’en referver que les femmes &£ 
les enfans pour en faire des ci- 
el aves. Quelque peu d amitié 
que nous eulhons pour les Efpa- 
gnols , nous ne iailfâmes pas ae 
fentir de la répugnance â cette 
propolition ; nous ne pûmes con- 
fentir que des Chrétiens devint 
fent efclaves de Sauvages. Pour 
çolorer nôtre refus , nous leur 
A a ij, 


Nouvelle Relation 
répondîmes que nous n’étions pas 
nombre fuffifant pour leur être 
de quelque feeours dans cette 
guerre , mais que nous allions 
trouver le Capitaine Tonti , à 
qui nous ne manquerions pas 
de reprefenter les mêmes con- 
ditions qu’ils nous offroient , & 
que fins doute il les accepteroit. 
Cette reponfe les fittisfît ; ils 
nous donnèrent des vivres en 
abondance , & nous logeâmes 
dans leurs meilleures cabannes, 
plu— -L e lendemain nous pourfui- 
(îcurs vîmes notre route vers les Ce— 

Peuples n j s & - es N a JJonis . Ceux-ci nous 
donnèrent des guides pour nous 
conduire jufques chez les Na~ 
oirii & ceux-ci pour aller juf- 
ques chez les Naauji, Nous fû- 
mes également bien reçus de 
tous ces Peuples ; & nous trou- 
vâmes par tout les mêmes diA 
polirions a vivre dans nôtre al» 


de t Amérique Sept, lîf 

ïiance , & fous la prote&ion de 
nôtre Prince. 

Les Terres y font fertiles Ferûli- 
le climat heureux pour la vi- c p é ^ ccî 
gne , les feps y viennent d’eux- 
mêmes i l’on voit parmi les or- 
mes le raifin fleurir , & croître 
à l’ombre de leurs feuillages. On 
ne fauroit faire trois lieues v . 
qu’on ne rencontre quelque ruif- 
feau ou quelque riviere », les 
Caftors y font par troupes ; tout 
le peuple généralement y adore 
le Soleil ; & n’ont d’autre cou- 
verture qu'un certain tiflu de 
jonc , ou des nattes tres-fines , 
qu’ils bigarrent de certaines 
peintures du Soleil , d’oyfeaux» 

& de fleurs. Pour armes , ils 
ne connoiflent que l’are & la 
flèche ; un coup de fufil ou de 
piftolet , leur paroît un coup de cado- 
foudre précédé par fon éclair, taches», 
Nous paflames des Naaaji ’ 
chez les QaÀoMm * nous, y fu- 


s8<3 Nouvelle Relation 
qu’ils mes reçus d’une maniéré toutdU 
r°ran UX g enere ule > ce ne fut pas un 
cois, accueil , mais un triomphe. Les- 
Principaux de la Nation vinrent 
au devant de nous ; on nous 
conduisit entre deux rangs de la 
jeun elle armée, jufques dans les 
eabannes tres-propres : Le relie 
du régal fut aulîl grotefque que 
fauvage des femmes bazan- 
nées , mais tres-bien faites , &c à 
demi-nues , nous lavèrent les 
pies dans des auges de bois ; on 
nous fervit de differens mets 
tres-bien apprêtez.. Outre la* 
boiiillie & le cerf boucanné, 
mets ordinaire à tous ees Peu- 
ples , on nous prefenta un grand 
rôt de poulets d’Inde , d’oyes,, 
de canards, de ramiers ; fans y? 
oublier les pigeons à la grillade; 
Parmi cette grande réjoüilTance,. 
il nous arriva un mortel déplai- 
ftc ; Comme les chaleurs étoienc 
grandes 3 tant à raifon du die 


de F Amérique Sept. zg/ 
mat que de la faifon, M. de la M 
Marne eut envie de s’aller bai-UMat- 
gner dans une riviere , qui paflè “®.^ c 
le long du village ; Pour cet ef- &. k 
fet il chercha un lieu à l'ombre,, noïc * 
pour y prendre tranquillement 
le bain ; L’aïant trouvé , il fc 
jetta à l’eau ; mais par malheur 
il tomba dans un abyme-, où il 
fut englouti à l’inftant même 
Quelque tems apres, ne le voïant 
point revenir , nous voulûmes 
nous approcher du lieu où il sé- 
toit retiré- , il n’y étoit déjà plus *, 
nous eûmes la penfée que peut- 
être quelque Crocodile l’au- 
roit dévoré ; mais des gens du 
lièu,a ! iantvû l’endroit où il s’é- 
toit jetté , ne doutèrent plus: 
qu’il ne fe fût perdu dans ce 
gouffre. En effet, l’aïant pefché 
fur l’heure même , on le retira 
mort & tout défiguré. 

Jene puis allez exprimer quel 


*' \ 


Z.88 Nouvelle Relation 
fut nôtre regrec à la vue d’un £ 
trille fpecbacle : La femme du 
Chef vint elle-même fenfeve- 
li r j nous lui rendîmes les der- 
niers devoirs ; & apres l’avoir 
pieufement inhumé nous mî- 
mes une Croix fur fa fepulture. 
Les Sauvages , témoins de nos 
ceremonies J: joignirent leurs lar- 
mes avec les nôtres & tâchè- 
rent de nous confoler par tou- 
tes les honnêtetés qu’ils nous 
purent faire. 

Le jour fuivant nous trouvâ- 
mes fur la même riviere les Nar- 
Anttes cboas , les Ouidiches ; nous vîmes 
havJ e . S * cinq lieues plus bas les Cabin- 
es.- vio , & les Mentons. Ces Peu- 
ples ne fachant ce que c’étoit 
que nos armes y nous prenoicnt 
pour les maîtres du Tonnerre 5 & 
nous craignoiepr en même ceins. 
Les Caftors font en très grand 
nombre dans leur pais } mais fur- 

tout 


de F Amérique Sept, 
tout chez les Oz,otheoas , qui font 
obligez d’en brûler les peaux , 
tant elles font communes chez 
eux. 

Ces Peuples nous donnèrent 
■deux guides pour nous conduire 
chez les Akanceas , dont ils dé- 
pendent. Ce fut -là que nous 
commençâmes à nous recon- 
noître : Nous vîmes une Croix 
élevée : au milieu étoient atta- 
chées les Armes du Roi 5 à quel- 
ques pas de-là , nous apperçu- 
mes une belle maifon à la Fran- 
çoife , habitée par un nommé 
Coujlure , qui nous y reçut hon- 
nêtement , & nous apprit que 
cette habitation vous apparte- 
noit avec toutes fes dépendan- 
ces. 

Après nous y être repofez 
deux jours , nous p affames dans 
les villages des Torimans , des 
Dogirtga , des Cappa , pour 
B b 


A Kau» 
céas. 


i$o Nouvelle Relation 
gagner le Miffiflipi ; ces derniers 
Peuples nous accommodèrent 
d’une piroque pour deux che- 
vaux que nous leur donnâmes. 

Fatigué de nos courfes par 
terre , je pris le parti de remon- 
ter le Mifliffipi , jufqu’à la rivière 
des Minois ; le Pere Anafiafe fut 
fort aife d’entrer dans le même 
canot que moi. Cavelier mon 
neveu î’e joignit à cinq autres 
François ; Sc s’étant contenté 
d’un Sauvage, il m’en lailfa un 
autre pour me fervir d’Interpre* 
te & de Rameur. Nous étant 
donné rendez-vous chez les 
Miamis , nous nous feparâmes; 
il fuivit lçs plaines , & je m’em- 
barquai fur le Mifliffipi , vers le 
quinze d’Aoufl: de l’an i6%6. 

Il feroit inutile de parler ici 
de toutes les Nations que nous 
rencontrâmes > je ne ferai men- 
tion que de celles que nous ne 


de Y Amérique Sept, zyx 

reconnûmes pas dans nôtre des- 
cente. Les Chicacha furent les ch 
premiers, que nous trouvâmes à cîu 
trente lieues des Akancéâs -, ce 
font des Peuples tres-dociles , 
mduftrieux , braves, guerriers, & 
en affez grand nombre pour 
mettre en tout tems deux mille 
çombattans fous les armes. 

Nous continuâmes de-Ià nôtre 
route vers les Ouabaches : à dix 
lieues de leur riviere , on voit 
celle des MajJ'ourites & des Ota- 
ges , qui n’eft ni moins rapide, 
ni moins profonde que le Miffif- 
fipi. Nous la remontâmes pen- 
dant deux jours , tant à delfein 
de reconnoître les Nations qui 
font fur fes bords, que pour nous 
fournir de nouvelles provifions. 
Nous rencontrâmes, en la remon- 
tant, les villages des Panivacha , 
des Fera , des Panaloga , des 
Mat g tante s , des Otages ; tous 
B b ij 


i9t Nouvelle Relation 
Peuples braves , nombreux, SC 
bienfaifans ; & qui parmi les 
bons mets & les bons fruits, dont 
ils nous regalerent > nous firent 
manger des raifins d’un goût mer- 
veilleux. 

Le troifiémç jour , apres avoir 
remonté cette riviere , nous al- 
lâmes regagner le Milliffipi , où 
cous étant rembarquez en ca- 
not , nous le remontâmes pen- 
dant quelques jours , jufqu’à la 
riviere des Illinois ; Et après tren- 
te jours de navigation, nous arri- 
vâmes au pié du Fort de Creve- 
cœur ; de- là nous retournâmes 
au Fort S. Loüis, 

Nous eûmes d’abord le cha- 
grin dç ne pas vpus y rencon- 
trer; mais à prefent nous avons 
la confolation de vous y voir en 
parfaite famé. Là-deflus aïant 
renouvelle nos embraffemens, je 
demeurai quelque tems fans lui 


de l’ Amérique Sept. 2.93 

îiefi dire, ne Tachant pas bien 
moi-même en quel état j etois 
pour lors. D’un cote , la perte 
de nôtre dote , & de la plupart 
de nos François , m’ avoir fort 
attrifté ; de l’autre, l’aflurance 
qu’il m’avoit donnée de la Tante 
de M. de la Sale , & le Tuccés 
de tant de belles découvertes , 
m’avoientfait pafier delà triftefie 
à la joïe. J’écois même dans un 
étonnement qui tenoit de 1 ad- 
miration i mais auffi 1 abTence 
d’une perTonne , pour qui )’a- 
vois une reconnoififance, &£ une 
amitié auffi tendre que refpe- 
cfcueufe , dont j’attendois le re- 
tour depuis un fi long-tems &Z 
avec tant d’impatience > d ail- 
leurs le regret de n’avoir pas ete 
le témoin & le compagnon de 
fes voïages , me penetroit d’u- 
ne douleur que je ne pouvois 
jfurmonter, Auffi ne pouvant 

B b iij 


4 Nouvelle Relation: 
retenir les chagrins de mon 
cœur : Hélas ? lui dis-je , com- 
ment fe peut - il faire que M 0 
de la Sale , mon unique Prote- 
cteur , & mon appui , foit de- 
puis deux ans, de retour en Amé- 
rique ; & que j’aie été pendant 
tout ce tems-là, non feulement 
prive du plailir de le voir , mais 
de recevoir de fes nouvelles 5, 
& que même encore , il ne me 
foit pas permis de l’embraflêr? 
Je vous avoue , que quelque joie 
que vôtre prefence me donne, 
je me trouve làifi en vous volant, 
d’une plus grande douleur ; puif. 
çjue plus je vous regarde , & plus 
je relions de chagrin de ne le pas 
voir. Ah Ciel ^difois-je toujours y 
M. de la Sale eft depuis deux ans 
dans F Amérique, &c je ne puis 
encore le joindre , ni lui parler? 
Helas rce n’a pas été ma fautes 
Des que j’ai crû qu’il pouvok 


de l’Amérique Sept. 2.9$ 
avoir touché quelques-uns de 
ces bords du Golphe-Mexique, 
je fuis defcendu vers ces con- 
trées ; j’ai vifité tous les Caps, 
tons les rivages de cette Mer, 
tant du côté de la Mulcoline ^ que 
du côté de la Mexique -, j’ai par- 
couru tous les Peuples qui lont 
fur ces bords , les Picheno , les 
OT^embogu , les Tdngibao , les 
Oftonoos , les Mdttfilèas , les Mou- 
Ja : Je leur ai demande a tous 
M. de la Sale , &£ pas-un ne 
m’en a jamais fû rien dire 5 ju- 
gez de ma peine & de ma dou- 
leur. 

Le moïen, me difoit-ilpour lors, 
que vous pufîiez nous rencon- 
trer? Vous allâtes nous chercher 
à l’embouchure du Miffilppi & 
aux environs , Si nous n’abordâ- 
mes qu’à vingt-cinq lieuës au 
delïus. Vous fuivîtes le cours de 
çe fleuve dans votre delcente &C 
B b iiij 


Nouvelle Reïatïen 
ans verre retour ; & nous noifî 
eearriom toujours, tirant vers le 
Siid-Eft, & le long, du Golphe- 
Mexique. Quel moïen de nous 
trouver en fuivant des routes H 
oppofées ? Pour le moins , lui 
^ S j e 3 dévoie- il ni eovoïer quel- 
«[uun pour m’informer de fon 
retour. U e lf vrai , me dit-il 
auffi l’auroit-il fait , s’il l’avort 
pu : Mais qui de ces nou- 


veaux-venus auroit pû démê- 
ler les chemins au travers de 
tant de Barbares , & dans une: 
fi grande^ diftance l Et pouvoir- 
P a der de lès deux neveux 
m de moi ? D’ailleurs, l’elperan- 
ce qu^il avoir de vous revoit 
bien-rôt en perfonne,I'ui Ht tou- 
jours différer à vous informer de 
fon arrivée. A la bonne heure, 
Im dis- je , on ne peut remedier 
au pafléj ce qui me réjoüit, c’eft 
de favoir qu’il fe porte bien , & 


de V Amérique Sept. Z97 
à peu prés où il eft : nous nè 
ferons pas , Dieu aidant , long- 
cerns à l’aller retrouver. Ce- 
pendant je me reflbuviens , lui 
dis-je , que vous aviez encore 
quelque chofe de plus particu- 
lier à me communiquer de fa 
part v je vous prie de me le dé- 
clarer , afin que je puifle pren- 
dre au plutôt de juftes rnefures 
pour mon voïage. 

C’eft , me dit-il , que mon 
frere impatient de donner les 
fecours neceffaires à l’affermifte- 
ment &L à l’entretien de fa nou- 
velle Colonie , ÔC de faire bâtir 
deux Ports & deux Havres, 
f un à la Baie S. Loiïis , & 
tre à l’embouchure du Mifln- 
fini , dont il a tres-bien obfer- 
vé le fond &C les bords , ne ma 
détaché d’avec lui, que dans le 
delfein de me faite inceflam- 
p.pnr. repalfer en France , tant 


Nouvelle Relation 
pour informer la Cour de foft 
dernier établiflfement, & de fes 
grandes découvertes , que pour 
préparer les efprits à lui accor- 
der ce qu il faut pour des chofes 
fi prellantes & fi necefiàir es» 
C eft pour cela qu’il m’envoie à 
Québec, & qu’il m’a chargé de 
venir vous trouver pour vous de- 
mander quelque argent i je vous 
en donnerai un reçû, & mon frè- 
re vous en tiendra compte. 

Ce^ aifcours fut accompa- 
gné d’une Lettre bien cachettée 
du Cachet de M. delà Sale: A 
1 égard de l’écriture , je n’y fis 
point de reflexion jleurs caractè- 
res étant d’ailleurs fi approchans 
q«?l eût été mal-aifé d’en con! 
noître la différence. Jelûs cette 
Lettre avec un extrême plaifir 
elle contenoit à peu prés la mê- 
me demande, avec des protefla- 
lions d une entière confiance, & 


de T Amérique Sept. 
d’une parfaite amitié. La joie 
où j’étois d’apprendre de fes nou- 
velles , la fimplicité de la per- 
fonne qui me prefentoit cette 
Lettre , & le dévouaient que 
j’avois fait de tout ce que je pof- 
fedois , aux volontez d’un hom- 
me , à qui je cro'iois tout de- 
voir , ne me permirent pas de 
balancer. Je demandai auffi-tot 
à M. Cavélier ce qu’il fouhaitoit;; 
Il me dit qu’il croïoit que fon 
frere avoit fixé la forome a celle 
de fept mille livres. Il eft vrai,, 
lui dis-je , mais s’il vous en faut 
davantage , vous n’avez qu’à me 
le demander ; tout ce que j’ai» 
eft à vôtre fervice. U me remer- 
cia fort honnêtement , & me dit 
qu’en cas q.u’il eut befoin de 
quelque chofe de plus, il le pour- 
voit trouver en France ; De forte 
que je lui comptai fur l’heure 
snême cette femme d’argent rit 


joo Nouvelle Relation 
voulut m’en faire fon reçu, fui- 
vant 1 ordre qu’il me dit en avoir 
de fon frere. J’y donnai volon- 
tiers les mains ; 8c comme il me 
ptotefta qu’il vouloir partir le 
lendemain, je rafraîchis fon é- 
quipage & fes munitions : nous 
pa fl a oies le refte de la journée 
le moins mal qu’il nous fut pof- 
lible i 8c le jour fuivant , il prie 
congé de moi, du grand matin,. 
8c partit avec un Pere Recolet , 
& un efclave , à deflein de paf- 
fer chez les Miamis. 

Je me difpofai à partir le jour 
fuivant par la riviere ; tout étoit 
réglé pour cela. Après avoir paffé 
le refte du jour avec aflfez d’in- 
quietude, le lendemain comme 
j’allois embarquer mon petit é- 
quipage, environ les neuf heu- 
res du matin, je vis arriver le St 
Coufiure , mon Lieutenant parmi 
ks Aicancéas , chez lefquels 


de V Amérique Sept* 30 1 
Mrs Cavélier , oncle & neveu, 
croient allé fe repofer. j’eus d a- 
bord un vrai plaifir de^ le voir , 
mais un moment après , il me 
■jetta dans un terrible accable- 
ment. je lui demandai auffi-tot 
en quel lieu il avoit laide M. de 
la Sale. M. de la Sale, me dit- 
il ? Ne favez-vous pas quil 
eft mort? M. delà Sale eft mort, Mort 
mécriay-je? Cela n’cft que trop 
vrai , me dit-il , il eft mort $ il 
a été aflaffiné par Tes gens , en- 
tre les Palaquejfons & les Noua- 
diches. Que me dites-vous là ? 
Cela eft-il poflible ? Hé ! Quoi, 
fon propre frerç M. Cavelier 
vient de prendre congé de moi; 
bien loin de me rien dire de ce- 
la , il ni a rendu une Lettre de 
fa part , & ne m’en a pas témoin 
gné la moindre douleur. C’eft de 
lui même que je le fai, me d't-ih 
Tes larmes & celles de fon ne- 


3 02 - Nouvelle Relation 
yeu Caveher , ne me l’ont que 
trop confirmé ; & je fuis au de- 
fefpoir de vous dire le premier 
«ne fi méchante nouvelle. Je 
fus fi conjflerné par cette répon- 
Je , que je tombai dans un acca- 
blement extrême. Je ne pus ni 
parler ni pleurer j je me trouvai 
fi faifi , que je ne favois que de-* 
venir. Quelques momens après, 
je me levai, en difant: M. de 
la Sale , mon unique Patron ejl 
mort s JJ affiné par les f/ens ! iujle 
Ciel ; Cela fe peut-il ? mais puis- 
je /avoir qui /ont les malheureux 
qui ont porté leurs mains parri- 
cides fur un fi bon pere ? Ce font 
Auteurs fieux coquins, Dan & Lantelot , 
defa me dit-il. Ah i les feelerats , 
m’écriay-jei Par quel motif, ou 
plutôt quel démon a pu les 
porter à commettre un forfait 
fi terrible ? Je le priai de me di- 
re tout ce qu’il en favoit. HelasJ 




de l'Amérique Sept. 303 
me dit-il , je vous le dirai de 
point en point , comme on me 
l’a raconté. 

M. de la Sale , revenu d’une 
fort grande maladie , avoit re- 
gagné fa derniere Colonie , au 
Fort S. Louis , & enétoit repar- 
ti le z 6 . Mars de l’année 168 6. 
dans le deffein de revoir fcs an- 
ciens établiflèmens , accompa- 
gné d’environ trente perfonnes , 
du nombre defquels etoient fon 
frere , fes deux neveux , les 
deux freres , Lantelot Sc Van , 
un Sauvage Choouanou , deux 
Flibuftiers Anglois , &c un cer- 
tain Ili eus , Allemand de Na- 
tion. 

Dés la première journée, M. 
de la Sale s’étant apperçû , que 
le plus jeune des Lantelot , en- 
core foible d’une grande mala- 
die , ne pouvoit fuivre le refte 
de la troupe , voulut le renvo'ier 


304 Nouvelle Relation 
à la Baie. Quelques inftantes 
prières que Ion frere fit pour 
îie fe pas feparer d’avec lui , M. 
de la Sale ne voulut point s’y 
rendre j le jeune Lantelot fut 
ainfi obligé des’en retourner à la 
Baie. Ces maniérés qui parurent 
hautes & imperieufès,furenr diffi- 
ciles à digerer à un homme de 
cceur.Par malheur il arriva que ce 
jeune homme fut rencontré en 
chemin par quelques Sauvages , 
neLan- < l u * l’égorgerent. La nouvelle 
ceiot é- en vint le jour même à Ion fre- 
ins re a * R é 3 nc P ut diffimuler 
Sauva- fa douleur. Il en jetta d’abord 
£“* la faute fur M. de la Sale. Dés 
ce moment , pénétré de fureur 
& de reflêntiment , il jura fa 
perte. Après s’être laifl'é aller 
aux plaintes & aux regrets , il é- 
touffa tout d’un coup fa colere, 
méditant de la faire éclater dans 
l’occafion. Il fuivit le relie de la 

troupe; 


’de V Amérique Sept. 3.0 y 
troupe; & après deux mois de 
marche , les vivres leur aïant 
manqué entre les Palaque/fins , 
& les Noadiches, Dan & Lance- 
lot firent une partie pour aller 
chafler dans les bois ; ils enga- 
gèrent le fieur M orange t , à fe 
joindre avec eux. Celui-ci , fans 
entrer dans aucune défiance, ou 
plutôt par complaifance , fe mit 
de leur partie ; les deux autres 
qui lui en vouloient depuis long- 
tems, tant par la jaloufie qu’ils 
a voient de Ton mérité, que par la 
haine implacable qu’ils portoient 
à Ton oncle , l’aïant infenfible- 
ment attiré à l’écart, affouvirent 
leur rage fur lui ; pour cet eftet ils 
lui donnèrent un coup de hache 
fur la tête , donc il mourut deux 
heures après , en bon Chrétien, 
pardonnant de tout fon cœur à 
fes ennemis. Ce fut-là le pre- 
mier coup de leur vangeance. 

Ce 


Mer an - 
g« ar : 

fomme 
d’un 
coup de 
hache. 


30 <? Nouvelle Relation 

Le jour étant fini , &: M. de- 
là Sale ne voïant pas revenir 
fon neveu , ni ceux de fa com- 
pagnie , pafià la nuit en d’étran- 
ges inquiétudes. Le lendemain 
il alla lui-même vers l’endroit ,, 
où il jugea qu’ils pouvoient a- 
voir été ; il ne fut pas long-tems 
à le trouver; le Pere Anaftafe, 
fon frere &: fon laquais le fuivi- 
rent prefqu’auiïi-tot.Etant arrivé: 
dans une prairie , qui eft fur le.* 
rivage du Miffilfipi , il entrevit 
au travers de l’herbe fort haute, 
le valet de Lantelot ; d’abord il 
lui demanda où étoit Moranset 

O 

fon neveu, Ce coquin lui répons- 
dit avec impudence , qu’il pou- 
voir l’aller chercher à la dérive. 
En effet , le corps de cet infor- 
tuné jeune homme é toit-là éten- 
du, & deux vautours voltigeoient 
au-defl'us , pour en faire leur cu- 
rée : Cependant ces deux per- 


de t Amérique Sept. 307 
fidfes étoienc couchez cachez 
dans l’herbe , le fufil bandé: 
Comme M. de la Sale voulut 
approcher de ce valet , pour le 
mettre à Ton devoir , il le (en rit 
atteint de trois balles à la .tête,, 
d’un coup de fufil que lui lâcha 
Lancelot : Il tomba a terre , le 
vifage tout enlànglanté. Le Pere 
Anafiafe &: fon frere a'iant en- 
tendu le coup , coururent d’a- 
bord à lui , ils trouvèrent qu’il 
fe mouroit ,, mais encore avec 
quelque eonnoilfance. Leur dou- 
leur ne les empêcha pas de lui 
donner les derniers fecours , du 
moins pour le falut de fon ame ; 
& il eut affez de tems & de for- 
ce pour fe confefler , & faire à 
Dieu un facrifice de fa mort. 
Voilà le dernier coup de leur 
rage , & la fin tragique de nôtre 
illuftre Chef , & de vôtre bon 



M de 
la Sale 
cil bien 
legrctté 


308 Nouvelle Relation 

Ces derniers mots me ferre— 
rent fi fort le cœur , que je n’eus- 
pas la force de me plaindre. Je 
demeurai muet , immobile pen- 
dant quelque tems -, mais enfin 
la violence de ma douleur me 
faifant revenir de ma confier- 
nation , par un foudain déborde- 
ment de larmes: ô Ciel ïdis~je T 
quoi «je ne reverrai plus M. de la. 
Sale ? Quel efpoir ? Quelle refi» 
fource merefle-t-il ? Que devien- 
dront toutes ces familles naif- 
fantes , dont il étoit le pere , le 
foutien & là feule eonfolation h 
Quel defefpoir pour elles ? que 
de travaux perdus ? que de per- 
fonnes defolées par la perte d’un 
féal homme ? Helas ! fë peut-if 
qu’une perfonne fi venerable par 
fa vertu, fi utile à la France par 
fes grandes découvertes ; quün 
homme fi refpeéfé fi chéri des. 
Peuples les plus barbares , ait 


de l’ Amérique Sept, jof 
lté malfacré par les liens ? Eft« 
il de fupplice allez grand pour 
ces meurtriers , pour ces mifera- 
bles ? mais où les trouver l Ah ! 
fi jamais je puis les découvrir î 
C’en elt fait , me dit alors Cou- 
ture , ces fcelerats font déjà pu- 
nis , s’ils peuvent l’être alfez pat 
feur mort. Comment y lui-dis-je t , 
la Terre les a t-elle englouti , 
ou le Ciel les a t’il foudroie ? 
Non , me dit-il , leurs camarades 
leur ont rendu juftice. Ces mal- 
heureux , apres cet attentat, vou- 
lurent encore faire main-balfe 
• fur tout le relie , pour ne point 
lailfer de témoins de leur cri- 
me ; mais les deux Anglois fei- 
gnant d’entrer dans leur intérêt, 
&: de foutenir leur aêlion , ob- 
tinrent grâce pour le Pere & le 
neveu qui reftoient , avec la li- 
berté d ? enfevelir les deux corps. 
Pendant que ces deux païens 



fio Nouvelle Kelatïm 
affligez avec ce bon Religieuse 
s’acquittoient de leurs devoirs- 
envers les défunts y , ces perfides» 
coururent s’emparer du refte des 
effets , & des marchandifes de' 
M. de la Sale ; le tout confi- 
âoit en dix chevaux T quelque 
linge , & environ deux mille 
©eus en marchandifes. Dés qu’ils- 
fe f urent faifis de tout ,, le refte 
de la troupe fe vit obi igé de fai- 
re de neceffité vertu , & de fe 
joindre à eux.. Le frere & le 
neveu , qui avoient racketté leur 
vie par le filence ,, & par un a- 
bandonnement volontaire de 
coût, fe virent forcez de fuivre 
le torrent. On arriva au village’ 
écsNouadiehes ; quelques Fran- 
çois qui avoient deferté du vi- 
vant de M. de la Sale , s’étoient 
habituez parmi ce peuple. Ces 
peuples vo'iant arriver cette 
nouvelle compagnie affez bien 



filç t j^YHCYl S t p T: ^£3 

armée , & médiocrement équi- 
pée , n’eurent pas moins de joie 
de les voir,que les François ; ils 
leur firent un tres-bon accueil > 
& les invitèrent dés le premier 
abord à aller avec eux faire la 
guerre aux £hu>anantinos .. Il fa- 
lut s’accommoder au tems 8c au 
befoin r tous entrèrent dans cet 
engagement , à la . refer ve des; 
deux M IS Cavelier , éc du Pere 
Recolet. 

Cependant Lantelot , & Dafë 
qui s’étoient érigez en chefs de 
la troupe , faifoient logement à 
part , difpofoient abfolument 
de tous les effets de feu M. de 
la Sale , s’en divertiffoient , 8C 
faifoient bonne chere. 

On attendoit de jour en jour 
le départ des Sauvages. L’An- 
glois 8c r Allemand qui n’avoienc 
eu aucune part aux depoüilles 
du défunt , 8c qui avaient nean- 


fï2 'Nouvelle Relation 
moins un grand befoin de s'é- 
quiper, allèrent bien armez trou- 
ver leurs prétendus chefs dans 
leur eabanne , les prièrent de 
Vouloir les accommoder de 
quelque linge pour leur nouvel- 
JST le expédition. Lantelot les re- 
Danaf- çut brufquement ; T Angiois lui 
fafline® réitéra fa demande ; l’autre lai 
Anoio'L & un fécond refus encore plus 
& un brufque que le premier : là-def- 
mind. PAnglois lui dit : Ru es un 
miferable ; tu as tué ton Maître’ 
de le mien ; & dans- le même 
inftant tirant un piftolet de la 
ceinture , il lui enfonça trois 
balles dans les reins, dont il le 
porta par terre. Ban voulut aufli- 
tot courir à fon fufil , mais l’Al- 
lemand le coucha en joue , lui 
eafla la tête, & le tua tout roide. 
On accourut auffi-tôt à ce bruit,, 
Je Pere Anaftafe trouva l’un 
snort , l’autre qui fe mouroit : H 

confeila 


de ï Amérique Sept . 313 

tonfelfa celui-ci qui étoit le 
meurtrier de M. de la Sale. A 
peine lui eût il donné l’abfolu- 
tron , qu’un François vint lui 
brûler les cheveux d’un coup de 
piftolet fans balle ; le feu prit 
auffi-tot à fa chemife qui étoic 
affez gradé ; & ce malheureux fe 
vit mourir dans les fiâmes. C’eft 
ainlî que périrent ces meur- 
triers , dont l’aétion étoit trop 
noire pour relier long-tems fans 
punition. On ne doute point que 
ceux qui liront cette Relation , 
ne conçoivent de l’horreur con- 
tre de pareils alTafims. 

L’Allemand &C l’Anglois fe 
rendirent enfuite les maîtres de 
leurs dépouilles -, & ils offrirent 
le tout à la difcretion de M r * 
‘Cavclier, qui n’en prirent qu’au- 
tant qu’il leur en faloit pour 
leur voïage ; & qui après leur 
avoir abandonné le relie , vin- 
Dd 


314 Nouvelle Relation 
renc me trouver chez les Akan - 
céas ; ils écoient l’oncle & le ne- 
veu, M. de la Marne,M. Jouftel, 
&: un chaouanou ; c’eft de leur 
propre bouche que j’ai appris 
tout ce que j’ai rapporté. Je fus 
témoin de leurs regrets de 
leurs larmes; ils fe repoferent 
deux jours dans vôtre maifon ; & 
le troiliéme jour fuivant,ils parti- 
rent pour les Illinois. Voilà, 
Monfieur, tout ce que j’en fai. 

Je n’ai vu , lui dis- je alors , que 
l’oncle & le Pere Recolet 5 pour 
ce qui eft du neveu, de M. jou- 
ftel , & du Chaouanou , je ne 
les ai point vus. A l’égard de M. 
de la Marne , il me fouvient que 
M. Cavelier m’a dit qu’il s’étoic 
îioïé. Cependant je ne puis reve- 
nir de mon étonnement, quand je 
longe à la confiance & à la tran- 
quillité ave* laquelle il m’a con- 
té tout fon voïage, & toutes fes 


de V Amérique Sept. $if 

avantures : l’on dit que les gran- 
des douleurs font muettesje n’o- 
ferois douter de la fincerité de la 
fi en ne , mais je fuis fur qu’il a 
bien démenti cette maxime. Il 
avoit befoin de dilfimuler , me 
répondit alors Coufiure ; il vou- 
loir difliper fa douleur par de 
longues hiftoires s & d’ailleurs 
il avoit fes vues & fes raifons 
pour cela. 

Je comprens fort bien vôtre 
penfée,/#/ dis- je jil vouloir tirer 
de l’argent de moi j &: il appre- 
hendoit que je ne lui en donnalfe 
pas , s’il m’apprenoit la mort 
de fon frere, Mais, helas 5 j’é- 
tois trop redevable à fon nom 
& à fa famille , pour lui rien re- 
fufer. Plût à Dieu n’avoir rien 
au monde , & n’avoir pas perdu 
mon cher Protecteur, mon cher 
Maître , & mon plus fidele ami J 
Dd ij 


$ lé Nouvelle Relation 
Mais , helas i tous nos regrets 
font vains : Si nous ne pouvons 
reparer cette perte, armons-nous 
du moins de confiance : T âchons 
de voir finir ce qu’il a fi heureu- 
fement commencé. 

Dés ce moment je me raffer* 
mis dans le deflein d’aller , non 
feulement porter du fecours à 
ces pauvres François abandon- 
nez fur le bord de la mer , mais 
même d’aller faire quelque nou- 
velle entreprife , qui me donnât 
fujet de me confoler de la perte 
que j’avois faite. Je fis mes pré- 
paratifs pour une nouvelle des- 
cente vers la mer , & vers tou- 
tes ces Nations reconnues nou- 
vellement par M. de la Sale , ôc 
dont fon frere m’avoit parlé. 

Dans cet entre-tcms je re- 
çus une Lettre de M. le Mar- 
quis d’Enonville,nôtre Gouver- 
neur, par laquelle j’appris qu* 


de F Amérique Sept. 317 
flous avions la guerre avec les Guer j* s 
Efpagnols , & par laquelle il me 
donnoir une entière liberté d’en- gnois, 
treprendre fur eux tour ce que je 
pourrois. Cette Lettre jointe a 
ce que M. Cavelier m’avoit dit 
au lujet de ces Nations qui dé- 
voient leur faire la guerre, m’a- 
nima d’autant plus à preffer mon 
voïage. Je partis donc le trqi- 
fiéme jour de Décembre 1687* 
accompagné de cinq François , 
de quatre chaouanous , Sc de 
quelques autres Sauvages. Je 
laiflax mon couiin de Liette pour 
Commandant au Fort S. Louis. 

Ma première journée fe termina 
au village des Illinois. Je trou- 
vai qu’ils venoient de la guerre 
contre divers peuples voifins , 
dont ils ramenoient cent trente 
prifonniers. 

Je palîai de-là chez les Cap- 
qui me firent une fort bonne 
D d iij 


fi 8 Nouvelle Relation 
réception. Les Toginga , les Te* 
rimans me reçurent avec une 
pareille demonftration d’amitié 
êc de confideration. 

n I>e-là je fus chez les Ojjotoüe y 
cù j’avois ma maifon de com- 
merce. J’y paflfai cinq ou fix 
jours , pendant lefquels j’y fis de 
nouvelles emplettes , &: augmen- 
tai mes munitions. 

Je partis» de ma maifon fur la 
fin du mois de Février i688‘. je 
regagnai après quelques jour- 
nées, le grand village de Taen- 
fis . Dans le cours de cette trait- 
te , un de mes chaouanous fut 
attaqué par trois cbachouma , il 
en tua un, 5c fut bleffé lui-mê- 
me legeremenc à la mammelle, 
d’un coup de flèche. Il nous ar- 
riva un malheur bien plus grand 
dans cette route : Deux François 
de ma troupe , s’étant écartez 
dans les bois pour chaflfer , fu-. 



de ï Amérique Sept, 31 9 

r-ent attaquez pa.t un parti des 
Naches , & furent malheureu- 
fement tuez. Ce déplaifir fut 
d’autant plus grand pour nous , 
qu’il nous fut impoffible de nous 
en vanger , ne pouvant joindre 
ees Sauvages. 

Etant arrivé chez les Taen- Dift - 
fis, les Principaux de la Nation 
m’informèrent de la quere.le Xacn . 
qu’ils avoient avec les Nachtto - fes & ^ 
chesfi raifon du fel , dont ceux- chito- 
ci ne vouloient point leuv faire eues-, - 
part , &c me prièrent de • vouloir ^v £i _ 
me mêler de leur accommode- 
ment. 3’accepcai volontiers cette 
médiation : Trente Taenfas le 
joignirent à nôtre troupe ; nous 
arrivâmes apres huit jours do 
marche au village des Nachtio- 
ehes : Cette Nation ne fait qUim 
Peuple avec deux autres qui font 
les Ouafita , &£ les C api c ht s. Los 
Chefs des trois Nations s’étant 
D d ni) 


32.0 Nouvelle Relation 
afiemblcz , on nie fît afleoir au 
milieu : Les trente Taenfas , a- 
vant que de prendre leur place, 
demandèrent la permiffion d’al- 
ler au Temple implorer le fe- 
cours de leur Dieu pour en ob- 
tenir une bonne paix. Le Soleil 
eft la Divinité la plus ordinaire 
de tous ces P euples. Ils furent 
conduits au Temple ; & après 
avoir fait leur priere , ils furent 
ramenez à l’Aflemblée , oùs’é- 
rant preientez , ils prirent leur 
Dieu a témoin de la fincerité de 
leurs intentions pour la paix j 
prefenterent leurs prefens aux 
trois Nations, & me prirent pour 
garant de leur bonne foi. Je fis 
valoir du mieux qu’il me fut 
polit b le, leurs interets dans l’ef- 
prit de ces trois Peuples * je por- 
tai les chofes à un bon accom- 
modement , qui fut caufe que 
ceux-ci leur promirent de leur 


de ï Amérique Sept . 311 

fournie *du fel en échange de 
leurs peaux &c de leurs grains. 
Ces conventions faites , ils fe ju- 
rèrent une paix mutuelle , &c l’on 
danfa le Calumet. Je pris enfuite 
congé des uns & des autres. 

Les Nachitoches me donnèrent 
cinq guides pour me conduire 
au village des Yataches\ je mon- 
tai, pour y aller , lariviere Ono - 
royfie environ trente lieues. 
Nous trouvâmes dans nôtre 
route quinze cabannes de Na* 
ches. Nous y pafïames la nuit , 
nous tenant toujours fur nos gar- 
des } le lendemain en aïant ren- 
contré une douzaine à l’écart , 
nous ne les épargnâmes point , 
§c nous vangeâmes fur eux la 
mort des deux François qu’ils a- 
voient égorgez. A quelques 
journées de-là , nous arrivâmes 
chez les Yatacbes , joints avec 
deux autres Nations , qui font 


3*2, Nouvelle Relation 
trois villages enfemble ; à fa* 
voir , les Tataches , les Onadao & 
les choyé. Comme ils apprirent 
notre arrivée , ils vinrent trois 
lieues au-devant de nous , avec 
de bons rafraichiflemens. Nous 
allâmes de compagnie à leur vil- 
lage ; les Chefs nous firent plu- 
fieurs feftins ; je leur fis quelques 
prefens , & je leur demandai des 
guides pour me conduire jufques 
chez les 'uodadicjuio . Ils eurent 
bien de la peine à m’en accor- 
der > parce que depuis trois jours 
ils avoient maffacré trois de 
leurs Ambafîâdeurs ; mats à 
force de prières & de protesta- 
tions de les défendre > ils nous 
en accordèrent cinq. 

Quand nous fumes proche 
des trois villages , nous décou- 
vrîmes lur les chemins, des pi- 
lles d’hommes Sc de chevaux. 
En effet nous rencontrâmes le 



de /’ Amérique Sept. 51$ 

matin quelques Cavaliers qui 
s’offrirent à nous y conduire. 
J’étois accompagné de vingt 
bons fufiliers , & ainfi en état de 
tenir en refpect ces Sauvages. 

Dés que je fus dans le village , Avan- 
une femme qui tenoit le premier tur «* 
rang dans cette- Nation : vint à 
moi , & me demanda vangeance 
de la mort de fon mari , qui 
avoit été tué par les Tataches . 

Une autre vint me faire les mê- 
mes plaintes , c’étoient jufte- 
ment les femmes de ces Ambaf- 
fadeurs, que les Tataches avoient 
malfacrez. Tout le peuple fem- 
bloit s’intereifer dans leur mort* 

& comme l’on fe fert de tout, 
je promis à ces femmes &c à tout 
ce peuple de vanger le fang de 
leurs maris &c de leurs Ambaffa- 
deurs. Ils me conduifirent d’a* 
bord dans leur Temple , me la- 
werent le vifage avec de l’eau , 


Peuples 
finis cn- 
icaablc. 


5H Nouvelle Relation 
avant que d’y entrer j & apres 
y avoir prié Dieu lefpace d’un 
quart d’heure , l’on me ramena 
dans la cabanne d’une de ces 
femmes , où je fus magnifique- 
ment traité. C’eft-là que j’ap- 
pris que les fept François qui 
setoient détachez d’avec M. 
Cavelier , après la mort de M. 
de la Sale , étoient encore par- 
mi les Nouadiches. Cette nou- 
velle me donna beaucoup de 
plaiûr i & j’efpcrois être au bout 
de mes peines , fi je pouvois 
les rejoindre. C’eft pourquoi 
aïant pafie le refte de la journée 
chez les Jjhtadodiquio , je les 
priai de me donner des guides. 
& les aflurai , qu’à mon retour, 
je leur ferois faire raifon par les 
Yataches , ou que je vangerois 
le fang par le fang. 

Les Jjhtodadiquio font joints 
avec deux Nations , à favoir les 


de V Amérique Sept. 
TSupgitoche , & les Najfonis , fi- 
tuez fur la riviere Rouge. Ces 
trois Nations parlent une même 
langue : Elles ne font pas aflem- 
bleés par villages, mais par habi- 
tations alTez éloignées les unes 
des autres : Leurs Terres font 
fort belles , ils ont la pefche & la 
chaiïe en abondance, mais il y a 
fort peu de bœufs. Ces peuples 
font une guerre cruelle à leurs 
voifins ; aufli leurs villages ne 
font-ils gueres peuplez. Je n’ai 
pas reconnu qu’ils filîènt d’au- 
tres ouvrages que des arcs &C 
des flèches , qu’ils trafiquent 
avec des Nations éloignées. Ils 
ont tous de fort beaux chevaux, 
qu’ils appellent CavÆos. Les 
hommes & les femmes font pi- 
quez au vifage , & par tout le 
corps } ils croient en être plus 
beaux ; telle eft la bizarrerie de 
l’êfprk des hommes ; car ce qui 


32.6 Nouvelle Relation 
fait la difformité dans un pais, 
, fait la beauté dans un autre. 
jtsuge, Leur Riviere s’appelle Rouge ^ 
*^ TiCie parce qu’eiFeûivemenr elle jette 
un fable qui la rend rouge corn- 
me du fang. 

3’en partis le fixiéme d’Avril 
1650. avec deux efclaves qu’ils 
me donnèrent pour les Nouadi- 
ches. Nous étant remis en che- 
min, nous trouvâmes quelques 
Sauvages Nouadiches àlachaffe, 
qui m’aflurerent qu’ils avoient 
laifle nos François chez eux ; ce 
qui me donna beaucoup de joïe ; 
mais j’eus en même tems le cha- 
grin de perdre un jeune François 
de ma fuite; Trois jours après, il 
revint à moi , n’aïant plus fon 
havre-fac , où j’avois mis la 
meilleure partie de mes muni- 
tions ; ce qui me mit dans une 
fort grande peine ; Cependant 
ne croïant pas à propos de lui eû 


de V Amérique Sept. 317 
rien témoigner , nous allâmes 
coucher à une demie-lieue du 
village des Nouadiches , où les 
Chefs nous vinrent trouver. Je 
leur demandai auflï-tôt des nou- 
velles de nos François , ils me 
dirent qu’ils fe portoient fore 
bien ; mais ne les voïant point, 
je n’en augurai rien de bon. Le 
lendemain étant arrivé chez eux, 
pas un d’eux ne fe prefentant à 
moi , je m’en défiai davantage : 
les Principaux de la Nation ne 
manquèrent pas de me venir of- 
frir le Calumet ; je ne voulus rien 
accepter de leur part , qu’ils ne 
me reprefencaflent les François: 
Voïant que je m’opiniâtrois à 
cela , ils m’avoüerent que nos 
François, les aïanc accompagnez 
à la guerre contre les Efpagnqls, 
avoient été invertis par la Caval- 
leric, que trois avoient été tuez, 
& que les quatre autres s’étant 


Nouvelle Relation 
retirez chez les JQuoanantims , 
ils n’en avoient plus entendu 
parler. Je leur répondis qu’affu- 
rément c’écoient eux-mêmes qui 
les avoient tuez ; ils s’en défen- 
dirent fort , & moi les en accu- 
fant toujours , leurs femmes Ce 
mirent à pleurer , & me firent 
connoître par leurs larmes , que 
leur mort n’étoit que trop véri- 
table. Les Nouadiches firent ce 
qu’ils purent pour s’en difculper, 
& m’offrirent une fécondé fois 
le Calumet ; je leur dis que je 
ne l’accepterois qu’ après avoir 
appris à fond leur innocence fur 
cet article ; que cependant fi je 
pouvois leur être utile à quel- 
que chofe j ils trouveraient en 
moi une fidelité inviolable. Le 
Chef répondit à mes avilirez 
par un prefent de dix beaux che- 
vaux affez bien harnachez. Je 
lui donnai fept haches , & une 

brade 


de l’ Amérique Sept. $19 

b rafle de grofle rafade. 

Nous quittâmes leur pais le 
19. du mois de Mai , & nous a- 
vançâmes julqu’à une journée 
des Pahquejfons. Ce fut-là que 
nous apprîmes que la derniere 
Colonie établie par M. de la 
Sale , fur les bords de la Mer- 
Mexique,n’aïant pu fe maintenir 
dans une parfaite union , s’étoic 
toute difperfée ; que les uns s’e- 
toient confondus avec les Sau- 
vages, &c que les autres avoienc 
pris le parti de remonter vers 
les habitations Françoifes. G’eil 
pourquoi n’a'iant pas crû devoir 
les aller chercher où ils n’étoient 
plus, je me refolus de revenir fur 
mes pas ; je tâchai de gagner le 
village de Coroas ; mais une 
inondation prodigieufe étant 
furvenuë par des pluies extraor- 
dinaires , qui durèrent trois 
jours confecutifs > nous -nous 


5 S° Nouvelle Relation 

trouvâmes dans la plus grande 
peine du monde ; le moins d’eau 
que nous avions , c’étoit jufqu’à 
demi-jambe. Il faloit dormir 
fur de gros arbres, & faire du feu' 
au de (lus. Nous fûmes heureux 
d’être munis de calfave, de bœuf 
& de cerf boucanné ; nous reliâ- 
mes trois ou quatre jours dans 
ces extremitez. De bonne for- 
tune , nous trouvâmes une pe- 
tite Ifle , que les eaux n’avoient 
pas inondée , nous-nous y re- 
tirâmes un jour & une nuit^nos 
chevaux s’y refirent un peu , & 
la terre s’étant bien-tôt delfc- 
chée par les grandes ardeurs de 
la laifon & du climat , nous re- 
gagnâmes en une journée le vil- 
Coroas lage des Coroas. Je ne faurois af- 
fauvage ^ ez exprimer les bons traitemens 
que nous reçûmes chez ce peu- 
ple : Us envoïoient tous les 
jours à la pefche & à la chafls 


de 1 Amérique Sept. fît 
pour nous regaler : Ils nous 
fournifïbient , avec abondance , 
des poules , des oycs , des pi- 
geons & des poulets d’Inde. Ce 
qui redoubla ma joie , c’eft que 
j’y trouvai deux de ces François 
que j’avois été chercher chez les 
Nouadiches, & que j’eus le plai- 
fir de réunir à ma troupe. Je 
quittai les Coroas le zo, Juillet,, 
& j’arrivai le 31. chez les Axan- 
céas , où la fièvre me prit ; ce 
qui m’obligea d’y fejourner jus- 
qu'au 15- d’Aouft. Après m’y 
être un peu rétabli , je repris 
ma route jufqu’aux Illinois,chez 
Icfquels j’arrivai au mois de 
Septembre. 

La paix des Taenias avec les 
Nachitoches » la fatisfadion de 
me voir très -bien reçu de 
tous ces peuples fauvages , & le 
plaifir de ramener deux Fran- 
çois que je eroïois perdus , fu- 
Ee ij 



33 1 Nouvelle Relation 

rent les fruits de mon dernier 

voïage. 

L’on peut voir,par cette Rela- 
tion , la richelle &r la beauté de 
toutes ces Terres habitées par 
tant de Peuples , qui font déjà 
prefque tout fournis , & qui 
font parfaitement prévenus de 
la grandeur de nôtre Monarque. 
On ne fauroit croire l’abondan- 
ce de ce Pais , tant en grains , 
en fruits , qu’en bétail. Il e ft 
entouré de tous cotez de gran- 
des Mers , dont les bords qui 
font très-profonds , fêmblent 
nous y prefenter des Ports na- 
turels : Trois ou quatre Havres 
fur le Golphe-Mexique nous 
en aflureroient indubitablement 
la pofleffion. Les François y font 
h fort aimez, que pour s’en ren- 
dre les maîtres , ils n’ont qu’à 
vouloir s’y établir. Ce qui y man- 
que , peut y être porté par nos 


de l’Ameriquï Sept. 
vaiflfeaux 5 comme aufll ce qui 
manque dans nos Terres , peut 
nousvenirde celles-là; c’eft d’ el- 
les que nous vient le principal 
Tecours de nos Pelleteries ; nous 
pourrions en tirer des foies , du 
bois pour des vailfeaux , & d’au- 
tres commoditez. S’il y manque 
du vin ic du pain , c’eft: moins 
par le défaut du terroir , que 
par le défaut de l’agriculture. 
Enfin , pour en retirer tous les 
tréfors de la Nature , il ne faut 
que les chercher , ou les culti- 
ver. Tel eft l’état des chofes en 
ce pais. Plaife au Ciel , qu’une 
heureufe Paix nous en procure 
bien-tôt une joüiffance parfaite 
&L tranquille ! 


table 

DES MATIERES-’ 

A 

A Kanci’as, Sauvages. Page 
161. leur climat , 161, abon- 
dance de leur pais s k>i. leur Re- 
ligion , 16}. 

'Mlarme caufée par un tambour ' 

ijS. 1 8 9 . 

Américains, leurs mœurs, 10. leur 
Religion, ii.ientiment qu’ils ont 
de leur ame , ja, leurs bonnes qua- 
tez , ij. leurs maniérés particuliè- 
res, i + . leur Science en l’Art mili- 
raire , en l’Agriculture & en la 
cormoiiïance des Simples, ij. de 
f Aftronomie , iô. leur adrefle , i& 
leur induftrie en la conftraâion 
des canots , 17, leurs voïages par 


DES MATIERES. 

terre , 18. leur ménagé , 18. leuf 
logement , 19. leurs lits & uften- 
ciles de cuifine , 10., leurs armes, 
io. leurs veftemens , 11. Soin du 

ménagé, partagé entre l’homme ÔC 

la femme ,22. 

•Amérique lêptentrionale , fertilité de 
ce païs , 8. de chaque contrée en 
particulier , 180. i8y. 

Animal extraordinaire 2,14. 

Armes du R.oy , arborées au bruit ds 
l’artillerie , ï 6 i. iSS. 

Aventures , 104. 31$, 

B. 

B Aïe des Puans , 42. 152. 

Baïe S. Loiiis ,145. 

Barque première vue fur le Lac fu- 
perieur , 

Marre ( M.de la) fon arrivée à Que- 
bec en qualité de Gouverneur , 21 1, 
de B eau jeu , fon retour en France, 
245. 

Bifcatonges , Sauvages furnommez 
Pleureurs , 255. cara&ere de, ceg 
peuples .257 

Bmfs , challe qu’on leur fait 141» vt 


TABLE 

Cadodaches y réception que ces Satf« 
vages font aux François , 1S6 . 

Calumet y lignai de la paix, 55. ïj 8. 
183. 211.327. On le chante & on le 
danfe , 

Canots dont fe fervent les Sauvages , 
17.. 

Cappa y Sauvages , font de bons trai- 
temens aux François , 158, 159. leurs 
mœurs & coutumes, 161. leur cli- 
mat , 161. 

Caflors , animaux amphibies 133. leur 
inftin& 134. chaflè qu’on leur fait, 
138. font en grand nom bre chez les 
Mentons , 188. 

Cavaliers . Rencontre de quatre Ca- 
valiers bottez ,251. 

Cavelier^f rere de M. de la Sale , 238. 
récit qu’il fait de ion voïage , 240. 

Cenis , Sauvages , 267.’ 

Chaleurs , bien reçus chez les Sauva- 
ges Chicacha , ijj. 

Chevaux farouches , 250, qualitez de 
certains chevaux fans eftre ferrez , 
* 74 * 

Chicacha T Sauvages , reçoivent bien 
deux chaffeurs , j ^ ce que c’eft que 
çetxe nation , leur caraftere , 29 i r 
Chinonoas 


DES MATIERES. 

ChlnonoM , Sauvages qui favent di- 
ftinguer les François d’avec les 
Efpagnols , z 60. 

C boumans , leurs Ambafladeurs , 269. 

Cibolas } elpece de gros bœufs : com- 
ment s’en fait la chaffè , 194. 

Collier prefenté, quel fignal c'eft , 103. 

Contretems fâcheux, 271. 

Ceroas , village de Sauvages , 18S. 

Coroas , Sauvages , bon traitement 
qu’ils font aux François , 330. 

Coupure apporre la nouvelle de la 
mort de M. de la Sale , 301. 

Crocodiles en grand nombre chez les 
Taencas , 164. Servent de nourritu- 
re > I 97> un Crocodile entraîne un 
homme dans l’eau , & le dévoré , 

Croix mife au haut d’un gros arbre, 
îpz. 

D. 

M. TTN A c a n envoie à la de. 

1^/ couverte des terres qui font 
le long du fleuve Miffifllpi,2i. Ses 
progrès ôcfacourfe, 95. 

Dan s’érige en Chef de la troupe , 
apres la mort de M. de la Sale, 311, 

Ff 



TABLE 

eft tué pat un Allemand , 311. 

Député vers les Iroquois , péril auquel 
il eft expofé , 105 , & Juiv. court 
rifque d’eftte égorgé , 108. eft ren- 
voie avec propofition de paix , 109. 
fon rapport aux Illinois , ni. Dé- 
puté vers le Chef des Taëncas , 1 68. 

E. 

D’ TTNonvilx.e j Marquis, nommé 
jC, Gouverneur de la nouvelle 
France, à L place de M. de la Bar- 
re , u8. 

F. 

F E m h 1 s fauvages , leur maniéré 
d’élever leurs enrans,ij. nour- 
riture qu’elles leur donnent , 16. 
leurs veftemens , 167. de quoi font 
curieufes , 170. 171. . 

Fermeté. Exemple d’une fermeté in- 
ébranlable, nj. 

Fon commencé chezleslroquois, 34. 
chez les Miamis, 45. 206. chez les 
"Illinois 61. Fortappeilé Crevecœur, 
62. Fortpillé,97. Fort vifué par M. 
de la Sale, 147. Fort Prudhomme, 


DES MATIERES. 

ÏOJ. Fort Saint Jofeph , nS. 
f rançais égorgez par un parti de 
Naches , ji. 8. 319. 

Coup de ftifil tiré, jette l’épou- 
vante parmi des Sauvages } 

G. 

G Abriel, Religieux matîâcré 

par les Sauvages , 117. 

H. 

TT Ermaphrodites en grand nom». 
jITX bre parmi les Illinois , 

I. 

J Bsuites , leur habitation par- 
mi les Sauvages , 41, 142,. 
Incident fâcheux , 125. 

Irj fmis , naturel de ces peup les , 32. 
3 2 * 71 . réception qu’ils font aux 
François, 34, leur politique envers 
eux 75. peuples qu’ils ont fubjuguez. 
Si» viennent pour attaquer les 
Illinois , 100. leur armée divifée 
en deux parties , 102. Député vers 


TABLE 

ces Barbares , 105. eft renvoie avec 
proposition de paix > 109. fe jettent 
dans le camp des Illinois entière- 
ment abandonné , 113. envoient un 
Médiateur de paix encre eux& les 
Illinois , 114.. leur entrevûe avec les 
Illinois , 119. leur perfidie, no. font 
des prefens aux François , m. cara- 
ctère de ces Sauvages 5 203. traite- 
ment que leur font les autres peu- 
pies , 205 tâ:hent de s’oppofer à 
nos établiflemenschez les Illinois, 
2.09. guerre déclarée aux Iroquois , 
&i 6 . Ce joignent avec les Anglois 
pour nous faire la guerre, 230. dief- 
fent une embufcade , 232. fe met- 
tent à la raifon , 236. 

IJlinols commercent avec les François 
3j { 36. leur riviere jo. 152. leur vil- 
lage abandonné , 52. fe rangent en 
bacaille 5 54.1eur demande, & la ré- 
ponfe qu'on leur fait , 34. prefcn- 
tern le Calumet,, 55. bons traite- 
mens qu’ils nous font ,56. naturel 
de ces peuples , 58. loix Lveres 
qu’ils fe font impofées pour punir 
le vice infâme » 59. peuvent épou- 
fer plufieurs femmes, 60. font fort 7 


DES MATIERES. 

jaloux , 60. à quoi les femmes & les 
garçons effeminez s’occupent, 60 . 
occupation des hommes. 61. éten- 
due de leur païs. 61. les Illinois con- 
çoivent une inimitié contre nous. 
69 font defabufez. 70. 71. fe voïenc 
fur le point d’eftre attaquez par les 
Iroquois.ioi. députent vers ces peu- 
ples. 102. & fuiv, prennent le di- 
vertiflement de la chaife. 115. les au- 
tres fe retirent plus au loin. 115 mé- 
diateur de paix entre eux tk les ïro- 
quois. 114. imprudence d’un Illi- 
nois. 116. entrevue des Illinois ôc 
des Iroquois. 119. 

L. 

L Àc de Frontenac. 4. autre- 
ment dit Supérieur. 30. fa tra- 
verfée ôc fon circuit. 30 fe joint 
avec un autre lac* 30. lac de Coatis 
30. 31. lac des Hurons. 31 39. lac dèr 
Illinois. 31. lac de Condé. 31. lac Hé* 
rié. 37. lac des Arfenipoits.93. 
Lantelot , le jeune, égorgé par les 
Sauvages. 304. 

Lamelot s’érige en chef de la troupe^ 

Ff iij 


TABLE 

âptés avoir tué M. de ïa Sale, jn 
eft tue par un Anglois. 312. 

L oïtifiAne % 7. 

M. 

M . de k M a r n e fe baigne & 
ienoïe, 287. fa fepulture. 288. 
Maufolea , (ecret Emiiîaire des.Iro- 
quoi?, fon arrivée chez les !flmois, 
72, fes intrigues & fes difcours. 73. 
fa réponfe à M. de la Sale. 79. 
Mentons , Sauvages , leur opinion, 
touchant les armes à feu. 288. 
Miarnis 3 fertilité du païs de ces peu- 
ples. 44. leur naturel. 45, 
Miffîlmœchinac , efpece d’ifthme. 39* 
fertilité de ce païs. 40. 

JMiJfîJfipi 5 fleuve , fa four ce. 92. peu- 
ples qui habitent fes bords. 92, (on 
embouchure. 192. fes bords. 195. 
'Mormgêt aflbmmé d'un coup de ha- 
che. 30 j. 

N. 

N A c h e s , Sauvages partagez en 
deux dominations. 184. 187. 
Najfonis y Sauvages. 270. 


DES MATIERES. 

Niagara , village fitué fur le Lac 
Conti. 31. 

Nica , homme picjué d’une vipere. 
16 1 . 

No'ùadiebes , Sauvages, propofition 
qu’ils nous fout. 183. offrent le Ca- 
lumet. 3.7. 

O. 

S. /'■'vNnontoüane , village. Jt. 

VJ Wntno'kas, Sauvages. 14t. 
Ouabachi , leur rivière. 154.. 

Oumas , les plus valeureux d’entre 
les Sauvages. 113. 

O^age/ jleur riviere. W 

P. 

P Euples qui parlent du gofier .79 
Plongeurs en grand nombre chez 
les Mâches. i8j. 

TonddamU , village de cinq cent 
feux abandonné. 51. 

Por.toualamis. 131.14.1. 

Prudhowrns égaré dans les bois , re- 
vient retrouver les François. 15:7. 
Titans. Bave des Puans. 41.131. 

F f iiij 


table 

Qc 

Q Uanoati NOS, Sauvages redou- 

tez des Iroquois. 279. 

, Sauvages ne^permet- 
tenc point 1 entrée dans leur païs. 
189. quanede leurs femmes prifes, 
J? 8 - caraderedeces peuples. i 9 /. 
fe raccommodent avec les Fran- 
çois, 222 

Qu/ïçqiiis > Sauvages^ 252. leurs vête- 
mens. 252. leur équipage à cheval. 
2j$, leurs femmes. 255. 

Q^oàddicjuio 5 Sauvages , joints avec 
deux autres nations. 324. leur lan« 
gue & leurs habitations, jic leur 
occupation & leur trafic, jz/. leur 
maniéré particuliere.jij. 

R. 

R Et 1 g 1 on. Vertiges de la vraie 
Religion chez quelques Sau- 
vages. 170. 

Rivières de l'Amérique feptentriona. 

le. 

Outa. 41. 


DES MATIERES. 

Onlfconeing , 43. 

la Sabloniere , divifée en trois ca- 
naux. 18S.279. 

Riviere aux vaches. 246. 

Riber , pourquoi ainfi nommée. 254. 
Rieus , d’où ainfi nommée. 255. 
Pafiage d’une Riviere rapide. 262. 
Maligne , malheur arrivé fur fes 
bordSj 275. 

Riviere aux Cannes ^ d’où ainfi nom- 
mée. 278. 

Riviere Rouge, 326. 

S 

S A gavite , efpece de pain , 257. 
Salle , ( Monfieur de la ) part de 
la Rochelle 4, entreprend avec 
trente hommes d’entrer dans FA- 
meriquefeptentrionale. 27. fes pro- 
vifions 8 c i a voiture. 28. fes guides. 
28. s’embarque pour faire le trajet 
du Lac fuperieur. 31. envoie quel- 
ques canots chercher du blé d’Inde 
pour fa fübfiftance.32.s , en retourne 
à Frontenac 38. à Niagara, 39. tra- 
fique à Miflîlnnachinac^o.aborde 
à la baie des Puans. 42. s’embarque 


TABLE 

pour aller chercher les Miamis 43, 
44. trafique avec eux, 44. tâche de 
les foûmettre. 43. fe refout d’aller 
chez les Illinois jo. dilTention par- 
imi fes gens mécontens 63. leurs 
plaintes, 64. leurs artifices 67. 
M. de la Salle le trouve en une fâ- 
cheufeconjon<5ture.7o. découvre la 
perfidie de fes gens. 71, va dans le 
camp des Illinois. 7 6, fon dilcours 
aux principaux de la nation. 77. 
s adrellè a Maulolea. 79. 80. aux 
Illinois. 81. effet de fon difcours. 86. 
partage lès courfes en deux parties. 
87. fes gens prennent la refolution 
de l’empoifonner. 88. lui & fes 
gens empoilonnez 89. fes empoi- 
sonneurs prennent la fuite. 89. en- 
voie M. Dacan à la decouverte 
des terres qui font le long du fleuve 
Milîîlïïpi^ 91. prend congé des Illi- 
nois pour fe rendre à leur grand 
village. 94. perfidie de deux de lès 
gens. 9j. vifite le Fort de Creve- 
cœur 147. part pour Frontenac. 
148. eft vifité par le chef des Taën- 
cas. ï8o. prefente au Chef desNa- 
ches . quelques chevelures des Qui- 


DES MATIERES. 

nipiflàs, loo. Ton arrivée à Que- 
bec. io S. fon départ du Canada, 
209. incertitude de fadeftinée. 237, 
fon fécond départ de France.240.ce 
qui lui arriva pendant fa route. 241, 
reçoit à latefte delà compagnie les 
Principaux de la nation des Cenis, 
268. tombe malade 272. fe remet 
en marche 274. la nouvelle de fa 
mort. 301. Auteurs de fa more. 30 1* 
& 307. eft regretté j©8. 

Saut Niagara. 30. 

Saut fainte Marie. 40. 

Sauvage. Ce que fait le Sauvage au 
retour de la chaffè. 23. cara&ere 
des Sauvages. 23. leur inclination* 
27. un Sauvage monté fur un cheval 
s’informe qui nous fommes s 265. 

Sel . Différend entre les Taënfàs St 
les Nachitoches > au fujet du Sel. 
319. 

Soleil adoré dans toute T Amérique. 
2.37. 320. 

T. 

T Aencas , Sauvages. 165. gran- 
deur de leur village. 165. leur 


. , table 

chef. i(S6. Député qu'on lui envoie. 
1 , re P onfe qu’il fait. 16c,. préfens 
qu on lui fait. 170. Regai qu’il fait 
aux François. 172 173. devoüement 
de les peuples pour lui. 173. leur 
Religion & leurs Coutumes. i 7 e. 
lei l r temple. 177, leur Chef rend 
vifite a M. delà Salle. 180. 
Tambour caufe uneallarme. 139.189. 
Tanpbao , village pillé & abandon- 
ne. 1^0. 

V. 

V Ai sseaux perdus parla né- 
gligence des matelots. 24.4. 

Y. 

Y Ataches Sauvages joints avec 
deux autres nations. 321. ré- 
ception qu ils font aux François. 321. 

Fin de la Table des JHatieres. 


LIVRES 


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livres novveavx 

Imprime^& qui fe vendent 
chez, le meme Libraire. 

L E S Egaremens des Paffions > 8c 
les chagrins qui les fuivent 3 in 
U. 1697. 

Modèles de Converfations pour les 
Perfonnes polies. Par M. l'Abbé de 
Bellegarde. in douze. 

Reflexions fur le Ridicule 3 8c fur les 
moïens de l’éviter ; ou les mœurs 8c 
les dÆrenscaraéteres des perfon- 
nes de ce fiecl cfontreprefente^. Par 
M. l'Abbé de Bellegarde. Seconde 
Edition de beaucoup augmentée. 
in doufe 1697. 

L’Efprit de l’Eglife dans l'ufage des 
Pfeaumes 5 en forme de priere ou 
d'exhortation In douze 2. vol. 1697. 
Traité des Droits Honorifiques' des 
Seigneurs dans lesEglifes * par feu 
M. Mirefchal Avocat en Parle- 
ment , nouvelle 8c derniere Edi- 
tion , augmentée d’un Traité du 
Droit de Patronage , de la Préfèn- 

# 



tation aux Bénéfices ,8c des Droits 
Honorifiques des Seigneurs dans 
les Egiifes . Par M. Simon , in dou- 
> X? > £• Vol. 1697. 

L Hiftoire & les Avantures de Kemif- 
ki Géorgienne, ln douze 1697. 

La Connoiilànce du Monde , Volages 
Orientaux , Nouvelles purement 
hiftoriques , contenant THiftoire 
de Rhecima Géorgienne ; Sultane 
difgraciée ;Etde Rufpia, Mingre- 
liennc , fa compagne du Serai! 
avec celle de; la fameufe Zi%* 
Circafjienne. Dédié 4 Madame la 
PrincelFe Douairière de Conty , un 
# volume in doul^e 169 y. 

L Art de bien elever la Jeknejfe , pour 
les divers états de la vie 5 // ^ 

traite des principes de l’E ducat ion $ 
du choix d’un Gouverneur, & des 
quajitez qu’il doit avoir ; de l'Art 
de connaître lesEfprits ; Dialogue 
entre le Solide & le Délicat ; de Té- 
ducat ion d’une Fille de qualité ; de 
l ètablijfement des En fans, de l' hon- 
nête Homme • des états de la vie , 
des principes de la Politique t & 
de l'Art de voyager, in douze. 








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