DECOUVERTES
L’AMERIQUE
SEPTENTRIONALE
de M. DE LA SALE;
Mifes au jour par M. le Chevalier
T O N T 1 , Gouverneur du Fort Sains
Louis, aux Illinois.
A PARIS AU PALAIS,
Chez JEAN GUIGNARD , à l’entrés
4e la Grand’ Salle , à l’Image
faint Jean.
RP JC
EXTRAIT BV PRIVILEGE
du Roy .
P Ar Privilège du Roy , dorii
néàParis le 9. jourdeSep-
-tembre 1696. Signé par le Roy
en fon Confeil, Carpot : Il eii
permis à Jean Guignard, Li-
braire, d’imprimer ou faire im-
primer un Livre intitulé , Rela-
tion des dernier es Bécowvertes du
Sieur de la Sale , dans l’ Amérique
Septentrionale , rédigées & mi-
les au jour par le Chevalier
Tonti , Gouverneur du Fort S,
Louis aux Minois , &c. pendant
le temps de huit années , à com-
pter du jour que ledit Livre au-
ra été achevé d’imprimer pour
la première fois -, avec deffences
à toutes perfonnes de quelque
qualité quelles foient , d 'impri-
mer ou faire imprimer ledit L i-
vre , n’y d’en vendre de con-
trefaits fous quelque prétexté
que ce foit , à peine de confifca-
tion des Exemplaires contre-
faits, de trois mille livres d’amen-
de, & de tous dépens , domma-
ges &: interefts ; ainfi qu’il eft
plus au long porté par lefdites
^Lettres de Privilège.
Regifiré furie Livre de la Com -
munauté des Imprimeurs & Li-
braires de Taris , le to. Décembre
1 6$6. Signé , P. Aubqüin,<S>#<&V.
Achevé d’imprimer pour la
premier® fois , le ai. Janvier
i^7*
NOUVELLE
NOUVELLE RELATION
DE L'AMERIQUE
SEPTENTRIONALE.
B ES Relations ne font à
eflimer qu’autant qu’el-
les font fidelles &: fin-
ceres : çeHe-ci a l’un &c l’autre
caractère ; la maniéré même
dont elle ell écrite , le décou-
vre aifément ; on y voit d’abord
le motif qui engagea M. Cave -
lier de la Sale , natif de Rouen y
à pénétrer dans ces vaftes Con-
trées qui reftoient à découvrir
dans l’Amerique Septentriona-
le. Le Ciel qui l’avoitdoüé d’un
génie capable de toute forte
A
% Nouvelle Relation
d’cntreprifcs , lui fuggera le de£t
fein d’aller depuis le Lac appel-
le Frontenac , jufqu’au Golfe de
la Mer Mexique, En effet il fe
refolut d’entrer dans ces T erres
jufques alors inconnuës,pour fai-
re connoitre aux Habitans , mal-
gré leur barbarie , la vérité de
la Religion Chrétienne , & la
puiffance de nôtre grand Mo-
narque. Plein de cette idée , il
vint à la Cour pour la commu-
niquer au Roi. Sa Majefté ne fe
contenta pas d’approuver fon
deffein , elle lui fit expédier des
ordres , par lefquels elle lui ac-
cordoic la permiffion de l’aller
exécuter -, & pour lui faciliter
l’exécution d’un fi vafte projet ,
on lui fournit peu detems après,
les fecours neceffaires,avec liber-
té entière de difpofer de tous les
Pais qu’il pourroit découvrir.
En ce rems-là f après huit an*
de l f Amérique Sept . |
nées de fervice , tant fur Terre
que fur Mer > aïant eu en Sicile
une main emportée d’un éclat
de grenade , j’écois à la Gour , à
dedeind’y foliciterde l’emploi:
M. de la Sale après avoir obtenu
de nôtre genereux Prince tout
ce qu’il fouhaitoi: , & même
plus qu’il n’ avoir demandé, Ce
difpoloit à partir pour l’ Améri-
que. M. le Prince de Conti , qui
l’avoit beaucoup appuïé dans fa
demande , & qui m’honoroit de
fa proteélion , eut la bonté de
nie propofer à lui pour l’accom-
pagner dans fes volages. Il n’en
fâlut pas davantage pour enga-
ger M. de la Sale à me recevoir
au nombre de ceux qu’il vouloir
emmener avec lui pour fen ex-
pédition. Ce nombre qui pou-
voir aller à trente hommes , tant
Pilotes que Charpentiers ou au-
tres Artifans , étant complet ,
4 Nouvelle Relation
nous partîmes de ig. Rochelle le
14. Juillet 1678. &. nous arrivâ-
mes à £hiebec le ij. Septembre
fuivant. Nous y fejournâmcs
quelques jours , U. après avoir
pris congé de M. le Comte de
Frontenac , Gouverneur general
du Pais , nous montâmes le Fleu-
ve S. Laurent jufqu’au Fort de
Frontenac , & nous prîmes terre
au bord du Lac de même nom ,
à iîx vingt lieues de Quebec , Fur
le 44. degré de latitiide,
Laecte Ce Lac a trois cent lieuës de
îa° ntC " tour ou environ communique
avec quatre autres d’une pareille
ou plus grande étendue : ils Font
tous d’une navigation trés-çom-
niode,& Font fournis de toute
forte de pêche. L’entrée de ce
premier Lac eft défendue par
un Fort foutenu de quatre gros
battions, dans le fonds d’un baf-
fm , capable de contenir une
de P Amérique Sept. f
nombreufe flotte:Comme c’étoic
l’ouvrage de M. de la Sale, le Roi
lui en avoit donné la propriété
avee celle de tous les autres
Lacs & de leurs dépendances:Les
environs en font charmans,ce ne
font que belles campagnes , que
vaftes prairies , que grands bois
de haute fuftaïe, que coteaux
garnis de toutes fortes d’arbres
fruitiers. Ce fut-là le terme de
nôtre première courfe , & d’où
nous prîmes refolution de pouf-
fer nos découvertes jufqu’aux
dernieres contrées dé ce vafte
Continent.
Comme entre tous ceux qui
accompagnèrent Monfieur de la
Sale, nui n’eut plus de part que
moi à fes travaux , foit pour
m’être toujours fortement at-
taché à les féconder, foit pour
m’être vu chargé par fa mort
prématurée, de tout ce quiman-
£ Nouvelle Relation
quoic à l’accompliiTement de
fon deiïein , je puis me flater que
perfonne ne fauroit donner plus
de lumières que moi, fur une fi
glorieufe & fi importante entre-
prise; les Mémoires que j’ai faits
par jour , me ferviront de guide
pour en retracer toutes les par-
ticularitez ; je reprefenterai naï-
vement les chofes telles que je les
ai vûës -, & fi la neceffité de m’é-
loigner quelquefois d’auprès de
lui , m’en a fait manquer quel-
ques-unes, je ne les rapporterai
que fur le témoignage oculaire
des perfonnes , de la foi des-
quels je fuis garand comme de
la mienne. Qu/on ne s’attende
pas ici à des defcriptions pom-
peufes, dont on a coutume d’em-
bellir ces fortes d’Ouvrages j on
verra regner par tout une gran-
de fimplicité jointe à une gran-
de exactitude j mon ftile Semble-
de /’ Amérique Sept.
fa peut-être rude & groffier, SC
c’eft en cela qu’il pavoitra plus
conforme au naturel de ces Pais
ou de ces Peuples fauvages.
Cependant à conliderer la
grandeur de cette entreprife , les
périls & les difficultez qu’il a fa-
lu furmonter pour la conduire,
ou pour la confommer ; fans par-
ler même des avantages qu on
peut retirer de la connoilfance
deces climats éloignez , on peut
dire que cet Ouvrage mérité
bien la curiofité du Le&eur ,
puifque c’eft une découverte de
plus d’environ dix-huit cent
lieues , tant du Nord au Sud ,
que du Levant au Couchant ;
En un mot c’eft: cette grande
étendue de Terre qu’on a nom-
mée la Loüijïane , depuis qu’on
en a pris pofleflion au nom de
Loüxs le Grand.
Ces terres , toutes incultes
A iiij
$ Nouvelle Relatim
• quelles font, portent la plupart
J des fruits , que l’art & la natu-
re font naître dans les nôtres ;
les champs y produifent leurs
moiffons deux fois chaque an-
née fans le fecours d’une péni-
ble agriculture ; la vigne y por-
te en certaines contrées de gros
raifîns fans le foin du vigneron 5
les arbres fruitiers n’ont befoin
ny de la coupe , ny dés greffes
pour y donner les meilleurs
fruits; tout y vient fort naturel-
lement & en abondance; le fol
le climat y eft prefque par tout
doux & temperé ; on y voit cer-
taines Régions traverfées par une
grande quantité de ruiffeaux;
d’autres arrofées par de très-
grands fleuves , d’autres entre-
coupées par des valons , par des
montagnes , par des bois & par
des prairies ; Au travers de ces
vaftes forêts errent des animaux
de l'Amérique Sept. 5
de toute efpece ; des bœufs , des
orignacs , des loups communs ,
des loups cerviers , des afnes fau-
vagçs , des cerfs , des chevres ,
des moutons , des renards , des
lièvres , des caftors , des lou-
tres } de gros & de petits chiens,
avec une abondance infinie de
toute forte de gibier ; Sc tout
cela à la merci de ceux qui ont
la force ou l’adreffe de s’en ren-
dre les maîtres. On y a décou-
vert des mines de fer, d’acier,
de plomb ; l’on pourroit bien y
en trouver d’or & d’argent , fi
on fe donnoit la peine d’en
chercher ÿ mais ces hommes qui
habitent ces Régions , ne mefu-
rant le prix des chofes que par
rapport aux neceffitez de la vie,
& non par cette valeur imagi-
naire uniquement fondée fur l’a-
varice , fe font peu foucié de
ces tréfors , de ne fe font nulle-
îo Nouvelle Relation
ment mis en peine de creufeî
la terre pour les en tirer.
Mœurs Ces hommes au refte n’ont
àc fes prefque rien de l’homme que le
* ut)Iias ' nom j les noms mêmes en font
prefque auffi barbares que les
moeurs : Ils vivent fans loi, fans
art , fans religion; ils ne con-
noi fient ni fuperioricé , ni fub-
ordination ; l’indépendance & la
liberté font leur fouverain bien.
Leur vieefl prefque toujours er-
ran te;ils n’ont rien de fixe, rien de
borné dans leurs poffeffions, ni
même dans leurs mariages 5 ils
prennent une ou plofîeurs fem-
mes, félon leur fantaifie ; ils les
gardent ou les quittent quand il
leur plait; s’ils fe dégoûtent de
quelqu’une , un autre s’en ac-
commode ; ils en ufent à peu
prés de même pour les terres
qu’ils cultivent, ou qu’ils habi-
tent après les avoir quelque tems
de l’ Amérique Sept. ii
travaillées , ils les abandonnent
pour aller ailleurs ; alors un
nouveau-venu s’en empare, &:
faille à quelqu autre les fonds
qu’il vient de cultiver; ainfi cha-
cun choififl'ant à fon gré tantôt
une habitation , tantôt une au-
tre, & vivant tous dans une ef-
pecede communauté de biensjils
fe croyent tous égaux, & s’imagi-
nent que l’Univers n’elt fait que
pour eux r car chacun d’eux fe
croit le maître de la Terre.
Pour ce qui concerne la Reli-
gion, quoi qu’ils aient quelque Leu^
fombre idée d’unDieu,ils vivent Rel ®®
comme s’il n’y en avoit pas ; quel-
que puidant qu’ils croient ce
Dieu, ils le croient trop occupé
de fa propre grandeur , pour fe per-
fuader qu’il prenne le moindre
foin de leur conduite. Les uns
adorent le Soleil , les autres pen-
fent que tout eft plein de certains
Î2, Nouvelle Relatîoti
Efprits , qui préfident à toutes
leurs avantures ; iis croyent mê-
me que chaque chofe a fon gé-
nie particulier a ôc qu’elle ne
nous eft profitable ou nuifible,
que félon qu’il plaît à ce genie j
de-là viennent leurs folles fu-
peftitions pour leurs Iongleurs
ou pour leurs Monitous , qui
font comme leurs Prêtres , ou
ufcnt* 1 ' P^tôt i curs Sorciers,
qu’ils A l’égard de leurs âmes, la
te dc P^ u P art f° nt incapables de por-
ter leurs reflexions jufiques-là >
ou s’il y en a quelques-uns qui
fembîent perfuadez, de l’immor-
talité , ce n’efl: que fur les prin-
cipes de la Metempfycofe , dont
ils le forgent mi lie fonges creux,
cent fortes de rêveries imper-
tinentes. Je croirois me rendre
plus ridicule qu’eux, fi je voulois
entrer dans le détail de leurs ex-
travagances fur ce fuj et; ce qu’il y
de r Amérique Sept. 13
à de vrai, c’eft qu’ils font fi durs,
fi indociles fur le chapitre de la
Religion ou de la Divinité, qu’ils
ne font convaincus ni de leur
propre croïance , ni de .celle
des autres , & qu’ils ne prennent
que pour chanfons tout ce que
les plus faints Miffionnaires tâ-
chent de leur infpirer la-deffus. £eurs
Cependant au travers de cette bonne*
humeur brute & barbare , on te-
marque eneux un certain fonds
de bon fens , qui leur fait tres-
bien demcler leur propre inte-
reft d’avec celui des autres ,
qui les rend capables de négo-
ciation , de commerce , de con-
feil, qui leur fait enfin prévoir les
fuites des grandes entreprifes , &
prendre de juftes mefures , ou
pour en avancer l’heureux fuc-
cez, ou pour en détourner les
dommages; S’ils ont à délibérer
fur quelque importante affaire ,
H s Nouvelle Relation
cen eft qu’éranc tous .affis dansr
un lieu feparé du bruit, prenant ou
fumant du tabac, tout le monde
gardant un profond filence , tan-
dis qu un de la compagnie propo-
le avec beaucoup de gravité l’é-
tat de 1 affaire & fon fentiment.
manie- ^ ur < ï uoi 11 à remarquer
KS par- que quelque traité , quelque
tKuüc- accommodement qu’ils aient
a faire , ils ne font jamais
aucune convention , qu’aupa-
lavant ils ne fe foient fait des
prefens réciproques , & qu’ils
ne fe foient regalez. C’eft pour
cela qu’ils ont leur chaudière de
paix j & leur chaudière de cm er-
re ; ils annoncent la paix avec
un bâton ou pieu fiché en terre,
qu ils appellent Calumet, ou avec
des colliers, qui font le fymbole
de 1 union ; mais pour la Guer-
re, ils ne la déclarent que par
des cris & par des hurjemens
épouvantables»
de l'Amérique Sept. ïf
Ils favent non feulement
camper , mais fe retrancher , fe cn r ar t
palilTader , fe fortifier » & gar- ™ ,licai *
der même quelque efpèce d’or-
dre dans leurs attaques &: dans
leurs combats.
Quoi que la terre leur donne Leur
indifféremment toutes fortes de
grains & de plantes , comme ils C uSuie<
en ont obfervé quelques - unes
plus propres pour la nourriture
que les autres , ils prennent plus
de foin de les femer & de les cul-
tiver i de forte qu’ils ont leur fe-
maille & leur récolte comme
de leur bled d’Inde , dont ils
font une boüillie tres-nourrif
fante & d’un fort bon goût , de
leur T ouquo , dont ils font leur
caffave , & de certains navets,
dont ils font leur cajjimite.
Ils tirent de certains arbres On tco-
des baumes tres-excellens , ils d ^ s "
ont metne une efpece d’inftia£t firopiea
Ï6 Nouvelle Relation
pour connoître les (impies , tant
ceux qui leur font falutaires,que
ceux qui leur font nuifibles , &c
favent fort bien s’en fervir pour
fè guérir des plaies ou des mor-,
fureslesplus envenimées.
Cttono- Ce ne ^ P as touc y ils portent
mic. leur connoiflance jufqu’au Ciel ,
ils favent quel eft le cours du
Soleil , de la Lune & des autres
Etoiles ; par là ils prevoyent les
changemens des Saifons , des
jours & des vents.
ndreifc Ils joignentà ces lumières l.'a-
dreffe de faire dès ouvrages aufli
utiles que merveilleux î ils tra-
vaillent en certains pais à des
nattesd’un tiflu tres (în 3 tant pour
fe couvrir eux-mêmes que pour
orner leurs cabannes : En d’au-
tres endroits il y en a qui favent
apprêter les peaux pour s’en faire
des veftes ou des fouliers ; mais
leur induftrie excelle fur-tout
dans
en
de F Amérique Sept. 17
dans la conftrucUon de ces Ca-
nots qui n’enfoncent jamais : ils ^ ri ç
les fabriquent avec de l’écorce la con-
d’orme , de noïer ou de fureau,
longs de dix ou douze pieds , nots..
larges à proportion , les bords
vers le milieu tournez en de-
dans en forme de gondqle, pour
les faire alltr au lieu de raines
ou d’avirons : ils fe fervent de
deux battoirs comme des deux
mains ., avec quoi ils repouflerae
l’eau d’tin côté &T d’autre, ils
appellent cela > nage r -, & comme
le. Canot ne va qu’à fleur d’eau
à caufé de fa legereté naturelle,
ils voguent tant en montant
qu’en defcendant avec une vî-
telfe incroïable -, c’eft par le .
moïen de ces légers vaifleaux,
qu’ils parcourent ou remontent
les fleuves les plus longs , qu’ils
franchiflent les courans les plus
rapides , qu’ils affrontent même
i§ Nouvelle Relation
les mers fans craindre les écueils
ni les orages.
.JS . Pour Ieu / S voi ^ ,:s p ar terrc >
par ter' n y aianc dans ces immenfes de-
IC> fercs ni route certaine, ni ren-
tier fraie , ils fe conduifent par
quelques marques qu’ils gravent
de diftance en diftance fur 1 e-
corce des arbres ; c’eft à la fa-
veur de ces indices, que les fem-
mes mêmes vont quelquefois
rejoindre leurs maris à la chaf-
fe , ou chercher dans le fond des
bois le gibier qu’ils y ont laide ;
Rarement le Sauvage fe donne-
£-ü la peine de l’apporter -, il
charge fa femme du foin de l’al-
ler che cher, de l’apprêter & de
le boucanner,
Leur Je ne faurois me difpenièr ici
mena- <] e f a j re une ] e gere peinture de
leur maniéré d’agir , de fe loger,
de fe couvrir, en un mot de leur
ménage.
de P Amérique Sept, 19
Pour leur logement , s’ils en j o g C e “ r
ont , car il y en a beaucoup qui
errent dans les bois , ôc qui gî-
tent à l’avanture : s’ils ont un lo-
gement , ce ne font que des ca-
bannes faites de bouflilage ou de
branches d’arbres fichées enter-
re, entrelafiees de fort prés les
unes des autres , réünies par en
haut, ou recouvertes de feiiil-
les ou de cannes : le dedans eft
pour l’ordinaire a fiez propre-
ment natté ; le plancher eft ou
le fol même de la terre , ou une
efpece de parquetage foutenu
fur de gros troncs d’arbres , ou
fur des pieux.
Leurs lits font aufli bâtis de L .^ euia
quelques pièces de bois appuices
fur de greffes fouches , & entou-
rez de quelques claies , la plu-
part garnis de greffes peaux four-
rées de laine , ou remplies de
paille : pour couverture, ils ont
20 Nouvelle Relation
des fourrures ou des nattes $C-
fez bien travaillées.
ufkn UtS le font aufli des caves oit
cilcT de des huttes pour y garder leur
caifiae. bois, leur bledd’inde, ou leur
provifion ; toute leur batterie
confifte en quelque efpece de
vaifielle ou de poterie qu’ils fa-
çonnent avec de l’argile , &
qu’ils font enfui te recuire avec
de la fiente de boeuf : Au defaut
de moulins ils broïent leurs
grains & leurs bleds avec de
grolfes pierres rabboteufes, qu’ils
tournent, à force de bras , l’une
fur l’autre ; certaines pierres tren-
chantes leur fervent de cou-
teaux , à moins qu’ils n’en aient
par le commerce des Euro-
péans.
Leurs Ils ont pour armes l’arc & la
armes. fjé c he 5 l’ extrémité meurtrière
du dard eft garnie au défaut du
fer, ou de quelque pierre , ou
/
P'
de P Amérique Sept. zi
<!e quelque dent , d’une force &
d’une durecé à couc fracaifer ; ils
portent de grofles mafluës,ou de s
bâtons pointus au lieu d’épées
ou de hallebardes i ils favent
fe cuiralTer avec des corcelets de
bois, ou avec de grofles peaux
mifes les unes fur les autres , &
fe font des boucliers de mê-
me.
A l’égard des vétemens , la
plupart ne s’en fervent pas , &
vont tout nuds -, leurs corps font
accoutumez & endurcis à toutes
les injures de l’air , & leurs pieds
infenfibles aux cailloux & aux
épines î il efl; vrai que les fem-
mes par un relie de pudeur na-
turelle qui paroît au travers de
leur brutalité , portent au def-
fus des reins une grofle ceintu-
re d’où tombent deux peaux en
forme de banderolle , qui voi-
lent un peu leur nudité.
Lfcur*
vetc-
mens*
Soin du
ménage
partagé
entre
l'hom-
me & la
femme,
zx Nouvelle Relation
Au deflus de Quebec &C plus
avant vers le Nord où les froids
font extrêmement âpres, les Sau-
vages font couverts de peaux
d’ours, de cerf ou d’élan , qu’ils
coufent enfemble le mieux qu’ils
peuvent} mais dans les climats les
plus chauds, comme vers la Mer
Mexique, la plupart font vêtus
de certaines nattes tres-fines &
tres-déliées, tilfuës de leurs pro-
pres mains.
Le foin du ménage fe partage
entre le mary & la femme : ce-
lui-ci fe donne la peine d’aller
chercher la provilion , & de four-
nir à l'entretien de fa famille ,
foitpar la charte, foi t par le tra-
fic. La femme prend le foin de
cultiver la terre , & de recueil-
lir ce qu’elle a femé. Quelque-
fois elle va glaner dans les bois ,
foit pour y choifir quelque her-
be potagère ou quelque racine
de r Amérique Sept. 15
bonne à manger , foi't pour en
rapporter quelques fruits , com-
me figues , pommes , poires ,
melons , pêches , raifins , meures,
&c autres^
Dés que le Sauvage eft de Cequ«
retour dans fa famille , il prend
fa pipe, fume , & tout en fumant g C au
déclaré à demi-mot ce qu’il ^ ec< | ui:
veut , ce qu’il a fait, ou gagné ;
s’il a tué quelque bête , il indi-
que legerement l’endroit où il
l’a lailfée 5 fa femme comprend
d’abord ce qu’il veut dire, s’en
va & déméle parfaitement bien
les routes qu’elle a tenues.
On remarque dans le Sauvage Carae-
beaucoup de gravité & d’auto- ‘ C£C des
nte ; dans la remme beaucoup ges.
de fouplelfe & d’obéïflance ; Sc
comme ils ne fuirent en tout ce
qu’ils font que leur inftinél 3c
leur fenfualité ; leur maniéré
d’agir eft toujours fans fard 3Ç
Dt* fe-
r?æs fou-
lages.
14 Nouvelle Relation
fans affectation , & l’on peut di»
re que l’union conjugale entre
eux eft moins l’effet dune véri-
table amitié , que de cette incli-
nation qui nous eft commune a-
avec les animaux.
Leur vie étant toujours dans
faction , toujours dans les cour-
fes & dans les fatigues , on re-
marque que les femmes fauva-
ges font exemtes de ces incom-
moditez naturelles que les au-
tres femmes fouffrent ; mais ce
-qui doit le plus furprendre en
elles c’eft qu’on prétend qu’el-
les accouchent fans douleur^, du
moins c’eft fans aucun apparèil,
fans autre façon > chemin fai-
fanc ; tout leur ttouffeau n’eft
que leur propre ceinture , ou
quelques peaux qu’elles portent
en pareils cas.
La manière dont elles élevent
leurs enfans eft allez extraordi-
naire.
de V Amérique Sep. z$
Maire, fans linge , fans langes ; el-
les ont trouvé le moien de les
tenir mollement , &. à couvert,
bien propres , bien nets , fans
avoir prefque befoin de les re-
muer : Toute leur layette confi-
ée en une elpece de mâne ou de
huche pleine de poudre de ver
moulu ÿ on fait qu’il n’eft point
de duvet plus fin ni plus mol
<que cette poudre , rien n’efl: en
même tems plus propre à con-
sumer les ordures & les humi-
ditez j Elles pofent leur enfant
là-defîüs , le couvrent bien pro-
prement avec de bonnes fouru-
res , & le fanglent avec de for-
tes courroies pour l’empêcher
de tourner ou de tomber ; en-
fuite pour le changer elles n’ont
qu’a remuer cette poudre , & à
recoucher l’enfant ; il eft d’a-
bord à fec , & auiïi mollement
^'auparavant. Quand cette
C
leur
maniè-
re d'éle-
ver
leur>
enfans.
Nour-
riture
qu’elles
leur do
cent.
16 ! ''Nouvelle Relation
poudre a fuffifamment fervi , el-
les la renouvellent & continuent
le même manège jufqu’à tant
qu'elles l’aient fevré.
Elles continuent enfuite de le
nourrir avec leur boüillie de bled.
d’Inde : à peine peut-il le ler-
vir de fes mains & de fes pieds,
qu’ils lui donnent un petit arc ;
l’enfant s’accoutume à tirer, &:
fuivant fon pere & fa mere dans
les bois , il en apprend les rou-
tes, Ôc prenant incelfamment leur
même train il s’abandonne enfin
à ce libertinage fi naturel à tous
ces peuples , & fe fait à cette
vie fauvage , qui leur eft commu-
ne avec les bêtes.
Je ne finirois point fi je vou-
lois ici expliquer toutes les cou-
tumes & façons d’agir de ces
Sauvages ; ce que je viens d’en
dire,fuffi‘ pour faire comprendre
que leur Intelligence eft bornée
de T Amérique Sept, 27
aux feules neceilitez de la nam- inclina-
is qu’ils femblent s’être fait 11011 des
une loi de vivre fans lois ; étant g^ Uva
nez dans les bois , leur plus for-
te paffion eft pour la chaffe &
pour les armes 3 atiffi ont-ils tous
une férocité naturelle , qui les
anime fans celle les uns contre
les autres , &: qui les porte à fai-
re la guerre aux animaux, quand
ils ne peuvent pas la faire aux
hommes.
C’eft au travers d’un nombre m.&îi
innombrable de ces Nations Sakeâ-
barbares que M. de la Sale , ac-
compagne de trente hommes homes
tout au plus , entreprit de pé- £“ tr “
netrer dans le milieu de ces fpa- pï s .
tieufes Provinces , &: d’en tra-
verfer toute l’étendue 1 peut-être
croira-t-on qu’il ne s’y engagea
que tres-bien pourvu de tout ce
qui pouvoit lui être neceflaire
dans un fi long voïage. Ses meil-
C ii
2$ Nouvelle Relation
leures munitions confiftoient en
poudre , en plomb & en armes.
Il ne fit fonds pour fa bouche,
que fur ce que le hazard de la
chaflê ou de la pêche lui pour-
roit fournir , & fur quelque peu
de Cajfamite Ôc de lard pour le
temps de fa navigation ; toute fa
voiture ne fut au commence-
ment qu’une barque & quelques
canots. La plupart du tems fur
terre nous n’ayions que des traî-
neaux , avec lefqueîs nous é-
tions obligez de conduire nô-
tre équipage ; fouvent même
n’aïant ni Barque ni Canot nous
nous vîmes réduits à palier des
fleuves ou des rivières fur des
branches d’arbre entrelaflees en
forme de cayeu ; Pour tout gui-
de au milieu de ces vaftes de-
ferts &: de ces pais inconnus
nous a.vions feulement la bouf-
fole ou le genie de nôtre con-
de V Amérique Sept. 19
du&eur , qui félon les diverfes
inclinations de l’aiguille aiman-
tée , 5c par la fcience qu’il avoir
des étoiles 5c des vents , con-
noifloit à peu prés le climat où
nous étions , & fe formoit au
plus j ulle la route que nous de-
vions tenir.
C’ell avec ces foibles fecours
que nous parcourûmes ces va-
fles campagnes , tantôt forcez,
de combattre de petites Armées
de Sauvages , qui faifoient mi-
ne de vouloir nous arrêter, ou
plutôt nous devorer -, tantôt 5c
prefque toujours en peine de
nous défendre la faim ; contre
après un grand nombre de périls
& de travetfes nous eûmes la fa-
tisfaélion de trouver la mer Me-
xique comme le terme de nôtre
longue 5c dangereufe courfe ;
nous eûmes même la confec-
tion , après de très- grandes a£~
C iij
lac £i-
gciieur.
30 Nouvelle Relation
Aidions , de revenir au terme
d’où nous étions partis 3. mais
avant que d’entrer dans le dé-
tail de toutes nos avantures , il
faut dire d’abord que nous fûmes*
obligez de nous faire paflage au
travers de quatre grands Lacs,
qui font autant de grands Gol-
fes.
Le premier de ces quatre
Lacs eft fur le 47. degré de
latitude. On l’appelle Lac Su-
périeur y autrement Lac de Fron-
tenac -, fa traverfée eft d’environ
quatre-vingt lieues , & il en a
bien trois cent de circuit : il fe
joint avec un autre , nommé le
Lac Herié ou de Conti par un
canal de vingt lieues , dont le
courant fe précipité dans le pre-
mier Lac par un faut de cent
toifes de hauteur ; on appel-
le ce courant le Saut Niagara*
Le Lac de Conti fe communi-
de V Amérique Sept. je
que, par un autre détroit tres-
rapide , à un troilîéme nommé
des Hurons ou & Orléans : celui-
ci fe joint du côté du Sud par
un détroit d’environ quinze
lieues , avee un quatrième qu’on
nomme le Lac des Ijlinois , au-
trement Lac Dauphin , & du cô-
té du Nord avec le dernier & le
plus grand de tous, qu’on appel-
le Lac de Condé : nous laiflames
celui- ci à côté , mais nous paflâ-
mes les quatre autres.
Ce fut le 18. Novembre de Em!ja '5*
l’année 1878. qu’aprés un fejpur i'T-*
de quinze jours au Fort de Fron-
tenac , nous nous embarqua-
mes dans un V ai fléau de qua-
rante tonneaux , pour faire le
trajet du premier Lac ; ce fut
la première Barque qui ait ja-
mais paru fur cette petite mer;
nous eûmes toujours les vents
contraires , & après une très-
32. Nouvelle Relation
perilleufe navigation d’un mois,
. nous nous trouvâmes à J a hau-
teur d T un Village qui a nom
St, Onnontoüane , où M. de là
Sale en vota quelques Canots
chercher du bled d’Inde pour
nôtre fubfiftance : nous conti-
nuâmes cependant à faire voile
vers Niagara ; mais le courant
étoit trop impétueux , & d’ail-
leurs les vents trop contraires
pour en approcher de plus prés
que de neuf lieues ; ce qui nous
obligea de débarquer à un bord
affez commode , d’où nous al-
lâmes par terre jufqu’à Niagara j
ceft un Village fi tué fùr le Lac
Conti , auprès du Saut de même
nom , dans les Terres des Iro-
quois.
îro * Cette Nation la plus belli-
< ’ ü0lS ‘ queufe la plus cruelle qui foit
dans l’Amerique , s’étend depuis
Montréal , ou plutôt depuis le
de l* Amérique Sept . 33
«onfluent de deux rivières , qui
forment le fleuve St. Laurent,
jufqu’à l’extremité du Lac Con-
ti , dans l’efpace de plus de
deux cent lieues vers le Sud. Ce
peuple jaloux de la gloire , & de
l’honneur de commander à tous
les autres , dés qu’il fait qu’il y
en a quelqu’un qui fe rend plus
puiflant que les autres , ou par
le nombre de fes combattans, ou
par l’étendue de fes terres, ne
le fait pas une affaire de l’aller
chercher jufqu’à deux ou trois
cent lieues pour le dompter, &
pour le foumettre : Il eft infa-
tigable dans la peiné, intrépide
dans les dangers, d’une confian-
ce à l’épreuve de tous les fup-
plices : il ne fait ni ne deman-
de jamais quartier -, il fe nour-
rit du fang de les ennemis , &
joint à cette extrême cruauté
toute la rufe , toute l’adrefle ,
54 'Nouvelle Relation
& même toute la prévoïaBce
qu’on peut fouhaiter dans les
plus grands Guerriers.
Rcçoi- Cette Nation toute intrai ta-
rent bic ble toute farouche quelle eft ,
jois. ne laula pas de nous recevoir-
fort humainement: Nous cou-
châmes une nuit dans leur Vil-
lage, & le lendemain nous allâ-
mes à trois lieues plus haut
chercher un lieu propre à bâtir
un Fort. Après en avoir trouvé
un , M. de la Sale en fit le plan,
eh jetta les premiers fon dé-
mens s aulfi-tôt on y travailla
avec diligence -, mais les Iro-
quois en aïant conçu de l’om-
brage, nous jugeâmes à propos,
pour ne pas nous attirer un fi
puiflant ennemi , d’en interrom-
pre la continuation , mais feule-
ment de fortifier par de bonnes
palilfades ce qu’il y avoit de fait.
M. delà Salle ay oit déjà don-
' de t Amérique Sept. 3£
né fes ordres pour la conftru-»
étion d’une Barque , la faifon*
étoit avancée , le froid tres-ru-
de , & les rivières p ri fes par
tout : ces vaftes étangs n’étoient
plus qu’une grande campagne
glacee , fur laquelle on pouvoir
aller comme fur un marbre uni$
Content d’avoir connu le ter-
rain , il voulut aulîi reconnoître
les Habitans , & s’étant mis en
état de les tenir en refpeét par
fon ouvrage à demi-fait -, il vou-
lut, en attendant le Printems,em-
ploïer le refte de l’hyver à ra-
malTer des pelleteries , & toutes
fortes de munitions pour four-
nir aux frais de Ion voïage. C es.
raifons f obligèrent de s’en re-
tourner a Frontenac fur les gla-
ces •, il commanda auparavant
quinze hommes pour aller cher-
cher les Illinois , le devancer, Minois,
& lui préparer les voies & me
$6 Nouvelle Relation
laiflâ pour Commandant à Nia-
gara avec trente hommes & un
Pere Recollet.
Dés le printems il y fit tranf-
porter de Frontenac toutes fortes
de provihons & de marchan-
difes par la Barque qui nous y
avoit conduits j mais enfin le
malheur voulut qu’aprés pîu-
fièurs trajets , la Barque périt au-
près du rivage , par la faute du
Pilote; on en fauva les meilleurs
effets ; cette perte fut reparée
par le nouveau bâtiment qui fe
trouva achevé vers le commen-
cement du printems.
M. de la Sale qui avoit l’em-
preffement de revoir fa nouvelle
Barque , & de renouveller fes
liaifons avec les Iroquois , ne
tarda pas à nous venir rejoindre.
Il entra auflitôt en commerce
avec eux 3 tâcha par toutes for-
tes de voies de leur imprimer
de V Amérique Sept. 37
de la crainte & du refpeét pour
le Roi , s’accommoda de leurs
meilleures marchandées s en
remplit Ton nouveau magazin,
& m’ordonna cependant d’aller
àfix -vingt lieues de là reconnoi-
tre les côtes Sc les terres qui font
au delà des Lacs vers le Nord-
Eft. Je m’embarquai dans un Ca-
not avec cinq hommes ; après
deux jours de navigation , j’arri-
vai au détroit du Lac Herié :
C’eft un canal d’environ trente
lieues de long , par où ce Lac
fe joint avec celui des Hurons :
j’allai prendre terre à un de fes
bords du côté du Nord : étant
là je m’informai auflkôt de nos
gensj l’on m’apprit qu’ils avoient
pafl'é plus haut j le defir de les
rencontrer me fit faire une re-
veüe exacte du pais ; c’étoit une
efpece de prefqu’Ille en forme de
cœur compris entre ces trois
LacHe»
rié.
'Nouvelle 'Relation
Lacs. Apres avoir alfez parcou-
ru ces terres, je remontai dans
mon canot , pour aller rendre
compte de ma commiffion à M.
de la Sale , qui durant l’efpace
de mon petit voïage , étoit re-
parti pour Frontenac , où il por-
ta de nouvelles marchandifes, &
d’où quelque tems après il rap-
porta de nouvelles provisions èc
de nouveau monde à Niagara:
U y arriva le 7. Aouftde l’année
1679. accompagné de trois Peres
Recollets. Toutes ces courfes
l’occuperent non feulement le
Printems , mais une bonne partie
de l’Eté: En cas de nouveaux
établiffemens ce s frequentes re-
veuës font d’une necelfité indif-
penfable . j non feulement el-
les aftérmiflent les nouvelles
pofl'effions , mais encore elles
fortifient dans un commence»
pient d’habitation»
de V Amérique Sept. 0
M. de la Sale , étant de re-.
tour à Niagara, dilpofa tout
pour la continuation de Ion
ouvrage : nous montâmes au
nombre de quarante personnes
dans Ta nouvelle Barque vers
la mi-Aouft , & aïant heureule-
ment traverfé le Lac Herié ,
nous entrâmes dans le Lac des
H tirons , beaucoup plus grand
que les deux premiers : nous
emploïâmes le relie du mois aie
parcourir à caufe du mauvais
tems , & apres y avoir elTuïe la
plus afïreufe tempête qu’on
puifle éprouver dans les mers
les plus orageufes , nous vîn-
mes furgir aune rade delà con-
trée nommée Mijjilimachinac ,
c eft une efpece d’Ifthme d’envi-
ron vingt lieues de large &: de
plus de fix vingt lieues de long ,
îitué entre le Lac des Illinois
d’u» côté , & les deux Lacs
Saut
S te Ma-
de.
'40 nouvelle Relation
d’Orléans & de Conti de l’au-
tre i ce pais eft aufli riche par
l’abondance de la pêche, que
par la bonté de fon terroir.
M. de la Sale en fit une e~
xade reveûë , y trafiqua de
peaux, jetta les fondemens d’un
Fort, laiflale foin de le conftrui-
reà quelques-uns de fa troupe ,
& m’ordonna de remonter en
canot plus haut vers le Nord-
Eft, jufqu’à un détroit nommé le
Saut Sainte Marie, tant pour voir,
fi je ne decouvrirois pas quel-
ques-uns de Tes deferteurs , que
pour lui donner de plus amples
lumières touchant les terres qui
font au delà de ce Lac.
Ce Saut eft un double canal
qui fe forme à la derniere poin-
te du Lac par deux branches,
qui fe feparant l’une de l’autre,
laiflent dans le milieu une Ifle
d’une grandeur raifonnable , &c
de t Amérique Sept.
qui venant à fe réiinir, forment
un bras de riviere comme un
torrent tres-rapide , par où le
Lac des Hurons fe joint avec le
dernier plus fpatieux que tous
les autres. J’abordai bien-tôt fur
une des côtes du Lac des Hue-
rons prés du canal tourné au
Nord ; je découvris de- là un
tres-beau Pais , &: fuivant tou-
jours la côte , je pouflài jufqu’à
la riviere des Outa , qui fortant Riviere
de ce Lac, va fe jetter à plus de‘ dcs °®"
cent lieues de-là dans le fleuve
Saint Laurent. Le plaiiîr de
parcourir un fi beau rivage m’en
faifoit oublier la peine, je’ vi-
vais pendant ce tems-là , de
c halle plus que de mes muni-
tions : après huit jours de cour-
fêle long de ces côtes, je re-
montai dans mon canot , &z
aïant regagné la pointe du Lae B
j’entrai dans ce bras d’eau qui re~
42 . Nouvelle Relation
garde le Sud , & j’allai prendre
terre à un bord qui n’en eft pas
loin. Là je découvris une grande
plaine lituée entre le dernier
Lac & celui des Illinois. Les
Peres jefuites y ont une tres-
belle habitation.
Ce fut là que je joignis la plu-
part de nos deferteurs ; je les.
trouvai tous xnal intentionnés ,
j’eus pourtant le bonheur de les
ramener à leur devoir , en les.
•obligeant de me fuivre.
Cependant M. de la Sale,,
s’étant rembarqué,, & aïant levé
l’ancre à Mijjilimachinac vers la
fin ‘du mois de Septembre , tra-
verfa le canal qui va du Lac
des Hurons au Lac des Minois ,
& aïant paffé ce dernier Lac ,
il alla aborder à la Baïe des
P u ans vers le 8. d’Octobre.
Iiïe.îes Cette Baïe n’eit qu’un regon-
“ aa " Bernent du Lac des Minois, eau- -
de t Amérique Sept .
fé par l’embouchure d’une groR
Te riviere, nommée Onifconeing ,
qui prend ion origine d’un allez
grand Lac , à cent lieues de
là : Ce qu’il y a de merveilleux
en ceci, c’eft que de ce Lac
fort , par fon autre extrémité ,
une autre Riviere qui fe jette
dans le fleuve Mijjijfipi , ainfi il
peut être regardé comme un Lac
de communication entre les
deux grands Golfes de la mer du
Canada & de la mer Mexique,
comme il eft aifé de le voir en
jettant les yeux liir les cartes.
M. de la Sale, après avoir débar-
qué furie rivage de cette Baie,
prit de nouvelles mefures , &c
renvoya la Barque chargée de
pelleteries à Niagara , enfuite il
s’embarqua avec dix-fept perfon-
nes Sz un Pere Recollet, en divers
Canots , &z après avoir côtoyé la;
plus grande partie du Lac des
PÆdcs
Miamis
44 Nouvelle Relation
Illinois , il vint aborder le i. de
Novembre de l’année 16791
prés de l’embouchure de la
petite riviere des Miamis.
Ce pais fitué entre le jy. &
le 40. degré de latitude , con-
fine d’un côté à celui des Iro-
quois , èc de l’autre à celui des
Illinois à l’orient de la Virginie
& de la Floride : il efl: très abon-
dant en toutes choies , en poifi-
fons , en bétail , & en toute for-
te de grains &; de fruits. M. de
la Sale en vifita les Habitans ,
fonda leur efprit qu’il trouva
traitable ; tâcha de les gagner
par fa douceur, & par fes prefens;
les accommoda de fes marchan-
difes , profita des leurs , leur fit
concevoir par le moïen de fon-
négoce , le peu d’alïurance
qu’il y avoir pour eux, tant avec
les Iroquois , qu’avec les An-
glais ; & les ayant alïuré de la
de l' Amérique Sept. 45 :
prote&ion puiflânte du Roi , U
les porta à une loumiffion vo-
lontaire aux loix de nôtre grand
Monarque : Cependant ayant
reconnu que ce peuple étoit in- Natu-
confiant, infidèle incapable de reldecs
le ioutemr par lui-meme, mais
propre à fe laifler toujours en-
traîner par le plus p.uiffant , il
crut devoir y bâtir un Fort, tant
pour affermir l’autorité du Roi }
que pour s’y faire une habita-
tion folide , qui lui tint lieu en
même tems d’un petit arfenal
& d’un honnête magafin. Le
plan de ce Fort fut bientôt drefc
fé , & fon de fi.ein exécuté en
tres-peu de tems fur le bord
de la petite riviere des Miami s ,
qui fe jette dans le Lac des Illi-
nois..
Cependant l’impatience que
j’avois de rejoindre M. de la
Salle avec les quinze hommes ,,
¥ Nouvelle Relation
que j’avois retrouvez , me fai-
foi t pouffer à toutes voiles vers
les mêmes bords où il étoit i
mais le défaut de vivres &c les
vents contraires s’oppofant à mes
efforts , m’obligerent de relâ-
cher à trente lieues de-là, tant
pour tâcher d’y trouver de quoi»
fa ti s fa ire â la faim , que pour
laiffer un peu calmer l’orage.
Dés que nous fûmes à terre , le
premier fecours quelle nous»
©ffrit, fut une tres-grande abon-
dance de gland, enfuite quelques»
cerfs s’étant prefentés on en tua
deux , 8c j’eus la confolation de
voir mes gens fe rafraîchir ; ils
étoient h fatigués, que je ne pus
jamais les refoudre à fe rembar-
quer le même jour. Pour moi je
préférai à mon repos le foin d’al-
ler au milieu de la tempête
chercher nôtre Commandant.
Je quittai mes gens après leur
de P Amérique Sept. 47
avoir promis de revenir bien- tôt
vers eux pour les. ramener à
de la Sale. Je revins donc à la
voile , & malgré toute la fureur
des vagues , j’eus le bonheur de
rejoindre M. de la Sale, après fîx
jours de tourmente; Je lui rendis
un compte fidele de mon expédi-
tion & de mes découvertes ; il
me témoigna en être allez con-
tent , mais il me dit qu’il l’auroit
été beaucoup davantage, s’il
avoit vû fes gens avec moi.
Ces dernieres paroles me pa-
rurent un commandement : Je
pris dés ce moment congé de
lui , &C apres m’être fort legere-
ment rafraîchi , je repaflai dans
mon Canot. A peine fus-je avan-
cé environ quinze lieues vers ces
bords où j’avois lailfé moir mon-
de , qu’aulli-tôt , comme fi le
Ciel eut voulu pour jamais me
feparer d’avec ces perfides 3 je
4S Nouvelle Relation
fus accüeilli de la plus furieufe
tempête , qu’on puifïè effuïer fur
les plus grandes mers ; nôtre ca-
not balotté par les vents & par
les vagues , tantôt élevé dans les
airs , tantôt précipité dans les
abîmes, ne laijfloit pas de fe fou-
tenir toujours fur fon fond fans
tourner ; mais un coup de vent
Tarant tout d’un coup renverfé ,
nous ne fûmes où nous étions: La
violence du mal étoit au deflus
de l’art & de nos forces , lors
qu’un fécond coup releva nos
efperances , en redreffant nôtre
petit vaiffeau , & nous porta
dans un moment fur la rade on
nous nous jettâmes à corps per-
du : ainli nous voïant garantis
de la tempête par la tempête
même, nous continuâmes par
terre nôtre voïage , & le Pilote
& moi tirant nôtre Canot &
nôtre équipage fur des traî-
neaux^
de Y Amérique Sept. 4^
'feëaux , nous arrivâmes le lende-
main à l’endroit où nous avions
îaifle nos gens. Nous em-
ployâmes le relie de la journée
à les rallier, le calme étoic reve-
nu fur les flots , & nôtre petite
mer nous prefentoit uaenavi -
gation tranquille & commode î
nous nous y rengageâmes tous
enfemble , 8c en moins d’une
journée nous vînmes moiiiller
au pied du Fort où M. de la Sale
nous attendoit. C’étoit vers la
îîn du mois de Novembre de la
même année.
M. delà Salenous reçut avec
une entière fatisfadion , il avoir
compté fur cette petite recrue,
comme fur unfecours neceflâire
pour avancer fes affaires , &
pour achever fa traitte ; cepen-
dant ce furent ces malheureux
qui contribuèrent le plus à le
ruiner Sc à le perdre. Tel eft l’a-
E
fo Nouvelle Relation
veuglement des hommes , de
fonder le plus fouvent leurs ef-
perances fur ce qui dans la fuite
eft l’unique fource de leur mal-
heur.
Nôtre condu&eur aïant en
moins de deux mois tres-bien
fait fes affaires en ce pais , mit
fon nouveau Fort en état de dé-
fendre l’entrée du Lac , & de
d’ailleurs rempli fo
principaux de la Nation: Pour
retenir les autres dans l’obéif-
fance , il refolut de pouffer juf-
ques chez les Illinois à plus de
cent lieues du port où nous
étions. Pour penetrer dans le
cœur de cetteNation, il faloit
gagner à 40. lieues de là le por-
Riv : e- tage de la rivière des Illinois,
rc d« q U ’ on a depuis appellée Lac de
Iil nos ' segnelai. Elle prend fa fource
tenir en bride fes aïanr
très-bons effets , & g
de V Amérique Sept, 5$
a une éminence à fix lieues du
- c , des Minois , & va fe jetrer
«près deux cent lieues de cours ,
j ns / e fleuve MiJjiJJipi , qu’on a
depuis appelle Fleuve Colbert .
Nous pârtîmes de cecte con-
trée des Miamis au commen-
cernent de Décembre , aïant
feulement laide dix hommes
dans le Fort pour le garder. Il
falut conduire nôtre équipage &c
nos canots par des traîneaux. A-
près quatre journées de traite
nous nous trouvâmes fur un des
bords de cette riviere tres-navi-
gable ; nous nous y embar~
quàmes au nombre de quarante
perfonnes fans compter trois
Peres Recollets. Nous la deR
tendîmes à petites journées ,
tant pour nous donner le tems
de reconnoitre les habitans &
ies terres , que pour nous four-
nir de gibier ; il eft vrai que
ji Nouvelle Relation
tous Tes bords font aufli char-
mans à la veuë , qu’utiles à la
vie; ce ne font que vergers ,
bois , prairies ; tout y eft rem-
pli de fruits , en un mot on y
voit une agréable cônfufion de
tout ce que la nature a de plus
délicieux pour la fubliftance des
hommes &: pour la riouriture
des animaux.
Cette variété fi agréable qui
entretenoit nôtre curiofité, nous
faifoit aller lentement : enfin
après fix mois de navigation ,
nous arrivâmes fur la fin de Dc-
*' illage cembre à un Village des Illinois,
! nommé Pontdalansia , de plus
ban do- de cinq cent teux ; ce lieu nous
a'ïant paru vuide &: abandonné ,
nous y entrâmes fans refifiance j
toutes les maifons en étoient ou-
vertes & à la diferetion des paf-
fans : Les bâtimens n’étoient
que d’une charpente groffierc
de l' Amérique Sept.
avec de grolTes branches d’ar-
bres , recouvertes de diverfes
pièces d’écorce -, le dedans afifés
proprement natté , tant par terre
que par les côtés : chaque mai-
fon contenoit deux appartemens
capables de loger diverfes famil-
les;au delfous il y avoit des caves,
dans lefquelles étoit renfermé
leur blé d’Inde ; nous y en trou-
vâmes quantité , & comme les
vivres commençoient à nous
manquer , nous en fîmes nôtre
provifion.
De-là aïant pourfuivi nôtre
voïage jufqu’à trente lieues plus
bas , nous nous vîmes tout d’un
coup au milieu d’un étang d’en-
viron fept lieues de tour ; nous
y pêchâmes de tres-bon poiflon ,
& • nous laiflant infenfiblemenc
conduire au courant de l’eau ,
nous retombâmes bien-tôt dans
le lit de la riviere. A peine y
E iij
54 Nouvelle Relation
fumes-nous rentré , que nous»
nous trouvâmes entre deux
camps : tous les Sauvages s’étanc
partagés en deux corps d’armée „
campes d un côte $£ d’autre du?
rivage : Des qu’ils» nous eurent
apperçus , ils coururent aux ar-
ures >: &: apres avoir renvoïé leurs.
Minois acmrn es dans les bois, ils fe ran-
fe ran- gèrent en bataille , comme s’ils
E !y oie " c vouIu nous attaquer.
De notre côté nôtre petite flotte
en difpofition de fe bien
détendre. Les. Minois étonnés
d’une fi. fiere contenance , &
d ailleursplus portés à repouiîer
£ guerre qu’à la commencer 9
tîeman • contentèrent de nous deman-
^ Sr nous étions ; nous leur
g°e'car entendre par nos truche-
Sont les mens , que nous étions Fran-
F^j-qué nous n’étions venus-là^,
que pour leur faire connoître le-
vrai Dieu du. Ciel & de la Terre.
de r Amérique Sept.
& pour leur offrir la prote&ion
du Roi de Trame ; Que s’ils vou-
loientre foûraetreà Ton obéïflan»
ce , c’étoit l’unique moïen de
fe rendre heureux , & de fc met-
tre à couvert des infultes de leurs
ennemis ; qu’aïant en abondance
tous les biens de la terre, il ne
leur manquoit que l’art de s’en
(ervir utilement j que nous étions
prêts de leur faire part de nôtre
induftrie, pourvu qu’ils vouluf-
fent entrer dans nôtre commer-
ce & dans nôtre fociecé. Ils
reçurent nos offres & nos pro-
pofitions , non comme des Sau-
vages , mais comme des hom-
mes tout-à-fait civihfez : Nous
aïant donné des marques tres-
refpedueufes de leur vénération
pour nôtre augufte Monarque ,
ils nous prefenterent le Calumet %
c’eft , comme nous avons déjà
dit , le fignal de la paix parmi
E iiij
Bons
traits-
mens
Cj u’i s
leur fôt
î<5 Nouvelle Relation
tous ces peuples , ils fe fervent
des termes de chanter ou dan fer
le Calumet : on le chante, lors
qu’au pied d’un pieu , ou dun
bâton fiché en terre , chacun,
vient apporter les dépouilles de
fes ennemis en forme de trophée,,
ôc raconter fes exploits guerriers :
On le danfe lors qu’aprés toutes
ces harangues , on fait des dan-
fes tout au tour.
Pendant qu’ils faiforent toutes
ces ceremonies , nous ne man-
quâmes pas de répondre de no-
tre côté à leur demonftration
de joie par des prefèns &: par des
alfurances d’une amitié inviola-
ble : Nous leurpaïâmes leur blé
d’Inde en outils ou en eau de
vie ; convaincus par-là de nôtre
bonne foi , ils voulurent fortifier
leur nouvelle union avec nous
par de bons feftins à leur manié-
ré; ils firent revenir leurs fera-
de l'Amérique Sept. 57
mes & leurs enfans ; leurs chaf-
feurs revinrent chargés de
gibier ; on travailla d’abord aux
apprefts d’un grand repas : on y
étala le boeufs le cerf boucan-
né ; ce fut un ambigu merveil-
leux de toutes fortes de gibier
& de fruits ; l’eau de vie n’y fut
point épargnée de nôtre part j
pendant deux ou trois jours ce ne
fut que joie & que feftins , mais
au milieu de tous ces divertiffe-
mens deux ou trois décharges
de nôtre artillerie infinuerent
dans leurs efprits , avec ces com-
mencemens d’amitié , quelque
refpeét rnélé de terreur pour
nos armes * ils nous carefloient ,
mais ils nous craignoient en mê-
me tems j nous faifrons de nôtre
part tout ce que nous pouvions
pour les affermir dans leurs bons
fentimens ; chacun de nous fe
fit parmi eux des üociecez agréa-
Carac-
tère des
Iflinois,
î& Nouvelle Relation
blés : nous nous traitions tous
d’amis , de compagnons , de
freres , quelques-uns même des
nôtres furent adoptez par des
Principaux d’entre eux , fi bien
qu’au travers de cette inconftan-
ce commune à tous les Peuples
Ameriquains , nous reconnûmes
en ceux-ci beaucoup d’huma-
nité,& une très grande difpo-
fition au commerce delà focieté
civile.
En effet ce font des hommes
careffans , dateurs , complai-
fans au dernier point , mais auffi
fort rufez, adroits, vifs, prompts
& foupîes à toutes fortes d’exer-
cices ; il font tous fort bien faits ,
robuftes , de belle taille , & d’un
teint bafanné ; leur pafïion pour
les bois & pour la chaffe les
rend extrêmement libertins , &
tout-à-fait indociles : ils font
fort ardents pour les femmes, &
de t’ Amérique Sept.
encore plus pour les garçons ÿ
aufli deviennent-ils tousprefque
efféminez par leur trop grande
molleffe , & par leur abandon-
nement au plaifir , foit que ce
foitle vice du climat, foit que
ce Toit un effet de leur imagi-
nation pervertie. On remarque
parmi eux un grand nombre
d’H ermaphrodites.Cc qu’il y a de
merveilleux en ceci , c’eft que
malgré ce malheureux penchant
qu’ils ont pour ce vice infâme ,
ils fe font fait de-tres feveres loix
pour le punir: dés qu’un gar-
çon eft proftitué , il eft dégradé
de fa qualité d’homme , on lui
défend d’en porter l’habit &: le
nom , d’en faire la moindre fon-
ction ; la chaffe même lui eft
defenduë , on le renferme dans
le rang & dans l’occupation des
femmes ; eelles-cile haïilent au-
tant que les hommes le mépri-
&o Nouvelle Relation
fent , fi bien que ces mallieu-
reux fe voient en même tems
le rebut & l’opprobre de l’un &
de l’autre fexe. C’eft ainfî que
reconnoiffant eux-mêmes leur
brutalité naturelle, ils y lavent
mettre un frein , & que tout
libres de independans qu’ils font,
ils fe mettent au-deffus de leur
propre fcnfuali té par un effort de
leur raifon. C’eft aufli pouraffou-
vir leur fureur qu’ils fe permet-
tent de prendre plufîeurs fem-
mes; mais afin d’entretenir la
paix dans leurs familles , ils épou-
fent les fœurs , ou les parentes ,
& le mari fert d’un nouveau
nœud entr’elles pour redoubler
les liaifons du fang ; ils en font
extrêmement jaloux , &: s’ils les
furprennentdans la moindre in-
fidélité , ils les défigurent & les
puniffent tres-cruellement. Les
femmes de les garçons effemi-
de V Amérique Sept. €i
liez y travaillent une tres-fine &:
tres-belle natte, dont ils tapiflent
le dedans de leurs cabannes. .
Pour ce qui effc des hommes, les
uns y vont à la chafïe , les autres oceu-
défrichent la terre , la cultivent P ati ““
pour y femer du blé d’Inde , &C
en recueillent de fort bons
fruits. Leur contrée eft le long
de la riviere qui porte leur
nom : ils font difperfez en plu-
fieurs Villages , ils étoient envi-
ron dans celui-ci au nombre de
quinze cent , tant de l’un que
de l’autre fexe , tant jeunes que
vieux , & on y pouvoit compter
cinq cent combattans.
M. de la Sale aïant reconnu
l’étendue &C les forces de cette
Nation , crut devoir les fixer
dans robéïiTance &c dans la foû-
mi filon par une efpece de Fort
qu’il fit deffein de bâtir
fur une hauteur prés de la ri«
€1 Ko/tvelle Relation
viere* il fît fon plan , il donna
les ordres, on y travailla auffi-
£ot; &: comme les matereaux Sc
les hommes ne lui manquoient
pas , le batiment fut en peu de
tems fort avance. Cependant
©apprenant aucunes nouvelles
de la Barque qu’il avoir ren-
voïee du Lac des Minois à
Niagara, richement chargée, il
en etoit beaucoup en peine
^ la douleur r qtê’-il en conçut
jointe au chagrin que lui caufoit
l’impatience & la malice de
les gens 5 le conlumoit à veuë
doeil^ mais renfermant fes cha-
grins au dedans de lui -même ,
il fe contenta de les faire écla-
ter par le nom de Creve cœur s
qu il donna à fon nouveau Fort.
Julques-la nous ne pouvions
nous plaindre du Ciel ni de la
foi tune i nous avions heureufe-
ment ponde nos decouvertes
de t Amérique Sept. 6$
jufqu’à cinq cent lieuës au de là
du Lac appelle Frontenac ,
nous avions foutenu par d’affez
bons Forts les divers établiffe-
mens que nous avions faits en
plufieurs contrées- La plupart
des Sauvages s’étoient volontai-
rement rangez fous nos loix , &c
les moins traitables d’entre eux
nous avoient laide tranquille-
ment pouffer nos progrès ; car
nous ne trouvâmes point d’autres
ennemis que nous-mêmes , SC
ce fut dans nos diffentions que
nous rencontrâmes la fource de
nos plus grandes difgraces.
La plupart de nos gens, fati-
guez des longueurs d’un voïage
dont ils ne voïoient point la fin,
& rebutez de traîner une vie va-
gue au travers des bois & des ter-
res incultes , toujours parmi les
bêtes, ou parmi les Sauvages,fans
guide, fans voiture, ôl la plupart
Mécon-
tente-
ment
parmi
les Fia-
çois*
Nouvelle Relation
du tems (ans vivres , ne pou-
voient s’émpëcher de murmurer
contre le chef, ou l’auteur d’une
fi fatigante & fi perilleule entre-
prit* M. de la Sale à la péné-
tration de qui rien ne pouvoir
échapper , n’entrevit que trop
leurs mécontentemens & leurs
mauvaifes intentions ; il n’oublia
rien pour en prévenir les fuites j
les promefies , les bons traitte-
mens , la gloire , la raifon, l’e-
xemple des établififemens faits
par les Efpagnols dans l’Amé-
rique , tout fut mis en ufage
pour remettre les efprits dans
une bonne fituation , & pour
les tourner du bon côté , mais
tout cela fut inutile , rien ne fut
capable de les gagner , les ca-
refles, les confeilsyles raifonne-
mens ne failoient que les irriter
davantage. Quoi ,Je difoicnt-ils y
ferons-nous toujours les efclaves
de
de l’ Amérique Sept. 6$
peines que -nous avons eflbïées
jufqu’ici , nous foient un enga-
gement pour en fouftrir de nou-
velles ? Que fous pretexte qu’un
barbare nous tient ici tranfplan-
tez dans un nouveau Monde , il
nous traîne dans une fuite per-
pétuelle de fatigues & de mifie-
res ! Que nous revient-il de rou-
tes nos eourfes , qu’une efpece
d’efclavage, qu’une mal heur eufe
indigence & qu’un épuife-
ment entier de nos forcesîQifef-
perons-nous gagner quand nous
ferons arrivez aux extremitez de
la Terre îNous y trouverons des
mers inacceflibles, & nous nous
verrons enfin forcez de revenir
fur, nos pas autli vuides & auflî
miferables que nous le fommés
de fes caprices , toujours les
duppes de fes vifions , & de fes
folles efperances? Faut-il que les
à prefent. Prévenons un fi grand
66 Nouvelle Relation
malheur, & tandis que les forces
nous relient , fervons-nous-en
pour regagner les pats que nous
avons quittez ; feparons-nous
d’un homme qui nous veut per-
dre en fe perdant lui-même; a-
bandonnons-le à fes recherches
auflt pénibles qu’inutiles. Mais
quel moïen de pouvoir lui écha-
per > il s’ell fait de tous cotez des
intrigues ,, des intelligences ; il a
des forces , & des richelîès qu’il
ne doit qu’à nos peines & à nos
travaux ; li nous le quittons , il
laura bien-tâc nous r’ attraper &c
" nous punir enfuite comme defer-
leurs d’ailleurs où- aller làns-
proyifions, fans aucuns effets „
fans aucune redburce ï faifons
mieux , coupons l’arbre & la ra-
cine , fini-dons nos miferes par-
la perte de celui qui les caufe ,
& profitons- par fa mort des.
fruits de nos. courfes & de nos
de t Amérique Sept.. €y
peines. Voilà par quels difcours
ces efprits mécontens fe prépa-
raient & s’excitoient eux-mêmes
au plus deceftable complot que
la rage puifTe inventer. Mais foit
que l’horreur du crime , foit que
la crainte du fuplice les arrêtât ,
ils ne purent d’abord fe déter-
miner à un attentat fi horrible ;
ils prirent le parti de porter ce
peuple inconftant à un fouleve-
ment general contre lui pour le
faire périr par leurs mains , SC
recueillir par cemo'ien le fruit du
crime T fans- paraître y avoir au-
cune part.
Ils crurent donc devoir les fur-
prendre par de fauffes confiden-
ces jointes à tous les faux-fem-
blans de la plus fincere amitié ï
ils leur dirent qu’ils étoienttrop
fenûbles à leurs bons traitemens*
pour n’être pas touchez du péril
■qui les menaçoitj qu’ils croïoienîr
I i)
ÂrrifTre
des 'mer-'
contenu
6% Nouvelle Relation
être obligez par toutes fortes île
devoirs de les avertir que M. de la*
Sale étoit entré dans de tres-forts
engagemens avec les Iroquois ,
leurs plus grands ennemis; qu’il ne
s’étoit avancé jufques dans leurs
terres y que pour reconnoître
leurs forces ; que s’il avoir bâti
ce Fort j ce n’étoït que pour les
tenir en bride ; que le voïagc
qu’il meditoit pour Frontenac 9
n’étoit que pour aller avertir les
Iroquois de la difpofition où ils
étoient , & pour les preflfer mê-
me à venir faire une prompte
irruption fur eux , afin qu’unit
fane leurs forces avec les fiennes,
ils puilênt plus facilement en-
femble envahir de leurs biens „■
les réduire à l’efclavage , & par-
tager entre eux leur butin &
leurs conquêtes ; C’elï à vous
maintenant , leur dirent-ils , à
prendre vos mefures & à profi-
de ? Amérique Sept. 6$
ter des avis que nous vous don-
nons.
Jugez quelle imprefïion firent
de pareils difcours tenus par nos
gens mêmes , fur des efprits foi-
blés , légers & crédules. Auifitôc
des murmures ou des bruits
fourds fe répandirent parmi cc
Peuple foupçonneuxj nos gran-
des focietez fe rompirent , les
défiances &c les refroidiflemens
fuccederent aux emprefiemens
de fe voir. En un mot les Ifli-
nos conçurent une inimitié gé-
nérale contre nous y mais fiir-
tout contre nôtre Chef qu’ils re-
gardèrent dés-lors comme leur
ennemi capital , &; dans la perte
duquel ils mirent toute leur ef-
perance.
M. de la Sale ne manqua
pas de s’appercevoir d’un fi
grand changement &: de l’$x~
dème danger ou il étoit, craifit
f'ô Nouvelle Relation:
ou plutôt haï des liens , & d'ail-
leurs expofé à la fureur d’un
peuple barbare ; mais il ne pou-
voir augurer d’où venoit un fi
grand changement* il tâcha de
fonder les efprits , il preffa , il
conjura les uns & les autres # il
leur fit entendre qu’il nétoit ni
jufte ni raifonnable de prendre
légèrement l’épouvante^ & de
rompre fans fondement avec des
gens avec qui on étoit entré en
de fi grandes liaifons.
Les Illinois fe rendant à les
îaifons 3 lui déclarèrent que c’é-
toit de fes gens mêmes qu’ils ve«
noient d’êcre informez, de fou
intelligence avec desdroquois „
& qu’ils n’avoient pu fe défen-
dre de tomber en de pareils
foupçons après de telles ouver-
turcs.
iest raî- M. de la Sale leur fit d’abord
très dé- toucher au doiet la malice & la
«Souvet* &
tç*
de F Amérique sept. *n
perfidie de fies gens qui ne cher-
chant qu à Te défaire de lui fans-
infamie & fans danger y tâ-
choienc d employer des Etran-
gers pour le perdreÿiî leur fit con-
cevoir le peu d’apparence qu’il
y avoir , de Ion union avec une
Nation aufïï perfide y que celle
des îroquois ; qu’il y alloit non
feulement de la gloire de fo»
Piince y mais de l’intérêt même
de toute la Nation Françoife
de faire une telle focietét Quelle
feurete,, quelle gloire pour lui de
s ailocier avec des fauvages 3 . avi-
des du fang humain ,, fans foi ,,
fans loi y fans humanité , & qui
enfin ne fuirent que leur intereft
& leur brutalité ? qu’au furplus
h avoit déclaré fort fincerement
fes fentimens à toute la Nation
Iflinoife y qu il n’étoit venu que
pour leur faire connoître le
vrai Dieu , & pour leur o£-
jt. Nouvelle Relation
rrir la proteétion d’un Roi dont
le feul nom pourroit les mainte-
nir dans la paifible poifeffion de
leurs biens 6c de leurs terres.
L’afïiirance 6c la fincerité dont
il accompagna Tes difcours , dif-
fîpa leur défiance, raflura les
efprits , 6c remit le calme dans
toute cette multitude turaul-
tueufe.
Mais à peine ce mouvement
fut-il appaifé, qu’on en vit aufli-
tôt renaître un autre beaucoup
plus dangereux que le premier,
par l’arrivée d’un nommé Mau-
deMau rf°^ ea » f eclct Emiflaire des Iro-
foica quois, de la Nation voifine des
IflmoiT biafcontans , homme fin , élo-
quent 6c ledicieux. Cet homme
venant fous le nom d’ami , 6c
comme député de fa Nation, prie
à delfein l’entrée de la nuit pour
s’introduire plus fecretemént
dans le camp des Iflinois , 6c
pour
âe t Amérique Sept, jy
pour avoir le rems de mieux mé-
nager Tes pratiques , ou de mieux
conduire fa négociation} d’abord
il vifica les uns &c les autres , & Ses m~
aprés avoir attiré dans Tes inte- “‘S* 8 *’
refis Tes plus afïîdez, il convo-
qua les plus confiderables , en-
fuite pour autotifer fon ambafïa-
de, il fit divers prefens, & de- Ses âiC,
data à toute l’AfTemblée le mo- cour5 '
tif qui l’amenoit vers eux : il
leur reprefenta que ce n’étoic
pas feulement l’intereft commun
de tous les Peuples de l’Ameri-
que , mais celui de toute leur
Nation & de là fienne, qui avoir
engagé fon peuple à Fenvoïer
vers eux pour délibérer en-
femble fur le danger commun
qui les menaçoit ; Qu’ils étoient
tres-bien informez que les Fran-
çois n’étoient venus dans leurs
Terres , qu’en vue de fubjuguer
tous les peuples de FAmerique
G
74 Nouvelle Relation
Septentrionale jufqu’à la Mer
Mexique : Que pour paryenir à
leurs fins ils ne prétendoient pas
feulement fe fervir de leurs for?
ces , mais de celles des Ame-
nquains mêmes;Que nous avions
aflurément contracté de fecret-
tes alliances avec les Iroquois ,
leurs ennemis communs; Que ce
Fort que nous avions conflruit
far leur rivière , n’étoit qu’un
commencement d’une tyrannie
& d’une domination ufurpée, en
attendant que nous puflions a-
chever nôtre conquête par ladef
cente de nos Confédérés ; Qu’ils
n’avoient qu’à prendre leurs
précautions , ou plutôt que s’ils
attendoient que nous fufïions
tous unis j il ne feroit plus tems ,
jSc que le mal feroit fans remede;
mais que tandis que nous étions
en fi petit nombre , & qu’ils é-
toient les plus forts , il leur fe-
de V Anurique Sept .
roit aisé de nous accabler, & de
fe mettre à couvert de nôtre pré-
tendue conjuration. C’eftpar ces
fortes d’avis que Maufolea ma-
chinoit nôtre perte dans l’efprit
de ce peuple crédule , & tous ces
difcours avoient d’autant plus de
poids & de force, qu’ils conve-
noient parfaitement avec ceux
que nos François leur avoient
déjà tenus. Telle fut l’adrefle & A(Jre[re
la politique des Iroquois pour des ito-
nous troubler dans nos établi (Te- 1 U01S *
mens , & pour tâcher de s’em-
parer des terres des Illinois ; ils
fe gardèrent bien d’emploïer
quelqu’un de leur Nation , ils
n’auroient pas manqué de don-
ner par-là quelqu’ombrage aux
Illinois; ils fufciterent leurs voi-
fins pour jetter chez- eux des
foupçons contre nous , & ten-
tèrent de nous perdre par les
mains de nos Alliez , afin de pou-
Gij
yè Nouvelle Relation
voir enfuite plus facilement dé-
truire les autres. Cependant tou-
te la nuit fe pafla en confeil ,
en deliberation ; on y confpira
nôtre ruine , M. de la Sale qui
fe repofoit fur l’apparence d’une
parfaite réconciliation , ne fa-
voit rien de ce qui fe palfoit s
Impatient de mieux cimenteries
nœuds de fa réunion , il fe leva
dés la pointe du jour , & s’en alla
dans le camp des Illinois, accom-
pagné de fes plus fideles amis j
Il ne vit de tous cotez que divers
attroupement , qu’un tumulte
univerfel ; loin d’y rencontrer
cet accueil favorable qu’on lui
faifoit auparavant , ce n’étoit
par-tout que vifages glacez ,
qu’un morne lilence à fon ap-
proche, ou plutôt qu’un mur-
mure menaçant , quelques-uns
même lui tournoient le dos , &
jîe le regardoient qu’avec des
de l'Amérique Seft. 77
yeux pleins de colere & d’indi-
gnation. Surpris d’une telle ré-
volution, il ne fait que penfer, ni
même à quoi fe refoudre, ou s’il
ira fe retrancher dans fon Fort *
ou s’il tâchera d’entrer en de
nouveaux éclairciffemens -, mais
ne pouvant fouffrir l’incertitude ÿ
ni fe relâcher dans les occalîons
les plus perilleufes , il s’avança
dans le gros de l’aflemblée , èô
comme il parloit un peu la lan-
gue des Sauvages, il s’adrelfa aux
principaux de la Nation : Hé
quoi ! leur dit-il , mes amis , fe-
ra-ce toujours à recommencer ?
Vous verrai- je toujours dans des
défiances perpétuelles > hier au
foir dans le calme , & dans
une fituation paifiblej aujour-
d’hui dans l’allarme , dans la fu-
reur , prêts à vous foulever con-
tre moi : On me fuît, on me re-
garde avee des yeux menaçans ,
G iij
Dif-
cours de
M.dc la
Sa'e
aux If*
linois-
78 Nouvelle Relation
je vous vois alfemblez par trou-
pe , que s’eft-il paflé de nou-
veau depuis hier au foir , de
ma part , pour vous porter à un
û grand changement? ou plutôt
par quelle itnpofture , & par
quelle fuppofidonm’a-t-onnoir-
ci dans vos efprits > pour altérer
cette amitié fincere dont vous
m’avez donné jufqu’ici tant de
marques obligeantes ? Déclarez-
vous , je vous prie , je me livre
entre vos mains, & je confens
d’être vôtre victime fi vous pou-
vez me convaincre d’avoir ma-
chiné la moindre chofe contre
le bien de vôtre Nation. Ces
Barbares à demi persuadez par
fa contenance & par fa ferme-
té , ne tardèrent pas a lui mon-
trer Mau foie a , député de la part
des Mafeontans, pour les infor-
mer de fes pratiques Sc de fes,
conventions avec les Iroquois.*
de V Amérique Sept. jÿ
Auflî-tôt M.de la Sale s’adreflant M. delà
à Maufolea -, Quels témoins , ^“’ a ;
quels indices , quelles afluran- Mau'o-
ces avez- vous , vous & vôtre
Nation , de mes liaifons avec un
peuple aufli barbare , aulli perfi-
de que celui dont on me parle ?
Où font mes fecrets Emiflaires
envoïez vers ces peuples pour
m’en convaincre i Quels témoi-
gnages avez-vous contre moi ?
faites vos efforts pour me prou-
ver cette prétendue trahifon , je
ne demande pas mieux. Ce que
Maufolea prelTé par une fi vive Mau,f p
réponfe, ne manqua pas de lui fai- r “ ar j£
re entendre que dans des occa-
fions où il y va du falut ou de la
perte de tout unPeuple,il n’eft pas
toujours befoin de preuves pour
convaincre les gens fufpects *
que les moindres apparences
fuffifent pour obliger les perfon-
saes bien fenfées à prendre leurs
G iiij
8o 'Nouvelle Relation
précautions contre de pareilles
entreprifes s que comme toute
l’adrefle des efprics lêditieux &
turbulens confifte à bien diffi-
tuuler leurs projets , toute la pru-
; dence des bons politiques con-
fifte à les prévenir j que dan*
cette rencontre, tant Tes négo-
ciations paflees avec les Iro-
quois, que celles qu’il étoit
prêt de renouveller avec eux
dans le vo'ïage qu’il meditoic
pour Frontenac j que ce Fore
bâti fur la riviere des Illinois ,
® étoient que des témoignages
trop convaincans du delîein
dont on lefoupçonnoit , & qu’il
n’en faloit pas davantage pour
obliger leurs Nations à le tenir
fur leurs gardes, & à fe mettre à
Mdda COUverc des em bûches de ceux
Sale re- vouloient les perdre. Vous
prend la avez raifon , lui-dit d'abord M.
parole, de la Sale , il ell bon de prendre
de 1 Amérique 'Sept. Si
Tes précautions contre ceux qui
veulent nous détruire -, il^ faut
donc que les Illinois le precau-
tionnent contre les Iroquois }
& non pas contre nous , qui ne
fommes venus que pour les pro-
téger , que pour les maintenir
dans leurs terres } &: que pour
unir enfin tous les Peuples de
l’ Amérique leptentrionale fous
l’Empire du Roi des François. ^
Puis s’adrelfant aux Illinois, V ous | a a r ' x
n’avez que trop fouvent eprou- ifliaois*
vé , leur dit-il , l’avarice &: la
cruauté de cette Nation toujours
avide de votre fang &c de vos
biens ; nous prétendons mettre
un frein à leur orgueil , &£ rédui-
re ces barbares à vivre avec vous
comme vos égaux , non pas
comme vos tyrans ; ils ont déjà
fubjugué les Miamis , les £>uia-
qufrus , les Mdfcontans -, ils ont
fait de tous leurs voilins autant
te Nouvelle Relation
«1 efclaves , ils veulent en fafrif
autant de vous, mais ils n oferone
1 entreprendre tant qu’ils nous
verront unis enfemble. Leûr
première veuë eft de nous per-
dre pour vous détruire en fui te
plus facilement vous-mêmes j»
c’eft pour^cela qu’ils voudraient
rompre notre union pour mieux
furprendre vôtre crédulité, ils
vous font aujourd’hui donner
des avis par les Mafcontans vos
voifins. Profitez de leur exemple
plutôt que de leursdifcours, &
ne vous laiffez pas entraîner par
Votre facilite dans l’efclavage
ou ils font tombez eux-mêmes
par leur foiblefîe. On veut me
rendre fufpeét de quelque intelli-
gence particulière avec les Iro-
quoisparle commerce que j’ai
eu avec eux : tout ce commerce
ne s eft terminé qu’à négocier
quelques pelleteriesq’ai tâché en-
de t Amérique Sept. S|
fuite de ies brider par le Fore
de Frontenac , & par celui des
Miamis , ôe je n’entrerai défor-
mais en focieté avec eux qu au-
tant qu’ils fe foumettront aux
loix de nôtre augufte Monar-
que * fans cela point de paix ÿ
point de trêve avec cette Na-
tion: D’ailleurs fo'iez perfuadez
que fi je fais quelques liaifons
avec certains Peuples , ce ne
fera pas avec les plus forts pour
opprimer les plus foibles , mais
plutôt avec les plus foibles ,
pour dompter les plus forts 6c
les plus entreprenans. On me
fait un crime de ce Fort que j’ai
bâti fur vôtre riviere , hé com-
ment pourvoir à la fureté des
peuples que par ces lortes de
remparts, qui les mettent à cou-
vert des înfultes de leurs enne-
mis ? Si ce font des défenfes pour
appuïer l'autorité desSouverasnS*
$4 Nouvelle Relation
ce font aufli des ailles pour le'
Peuple j & des lieux d’ajïu rance
pour tout ce qu’il a de plus cher
dans les périls les plus grands s
c eft la conduite que nous avons
tenue jufqu’ici , & celle que 1
nous prétendons tenir dans tout
le cours de nos découvertes
Elle n’a rien de violent , rien de
tyrannique} en tâchant de nous
établir , nous ne voulons que
vous procurer un entier repos j
en vous propofant de vivre
fous le gouvernement de nôtre
Ptince , nous voulons plutôt
vous aflurer dans vospoflelfions,
que vous les ravir. Tant que
vous mènerez cette vie vague ,
fans foi , fans réglés , fans limi-
tes; tantôt dans une contrée,
tantôt dans une autre , chacun
faifant un Peuple à part , & vou-
lant avoir l’avantage fur ion
voiûn, vous courrez les uns fur
de V Amérique Sept. 8$
les autres, vous vivrez toujours ex-
pofez à de nouvelles incurfions ,
toujours dans les pertes , dans les
invafions , Sc dans le carnage ,
au lieu qu’étant réiinis fous la loi
d’un même Maître , vous vous
entretiendrez tous dans une
heureufe focieté ; les plus forts
feront arrêtez, les plus foibles
fecourus par l’autorite roiale s
& vivant tous fous les mêmes
loix , nous vous ferons part de
nos richelTes , comme vous nous
faites part des vôtres j nous vous
ouvrirons le commerce de nos
terres , & nous ne ferons parmè
vous que pour être le nœud de
la paix, de la concorde &C de
l’amitié. Voilà quelles font nos
intentions , c’eft à vous à les ac-
cepter ou à les refufer , a voir fi
vous devez vous défier de nous
comme de vos ennemis , ou
nous regarder plutôt comme
$6 Nouvelle Relation
vos freres, & vos fideles défen*
feurs.
Effetdu Ce difcours foutenu par cette
df C M. S ^ ermet é qu’infpire un bon cœur
de la & la bonne foi , fi c tout l’effet
SaIe ' que M. de la Sale en pouvoit
attendre. Maufolea lui-même
touché des bons fentimens
•qu’il reconnut dans nôtre chef ,
&c prefle par le témoignage de
fa confcience , avoüa que les
ïroquois avoient fait courir ces
faux bruits parmi les Mafcontans ,
pour les obliger à faire entrer
les Minois dans ces défiances ,
& peur exciter par cemoïenune
révolté generale contre nous :
Il demeura d’accord de la ma-
lice des ïroquois , & convint
avec M, de la Sale, que leur pro-
pre fureté & celle des Minois
dependoit uniquement de leur
union , & de leur intelligence
avec nous. Dés ce moment les
de l'Amerique Sept. 87
Illinois rentrèrent dans leurs
premiers fentimens, &: procédè-
rent de ne jamais renoncer à
nôtre alliance, ni à nôtre pro-
tection qu’ils nous fuplierent
avecinftance de leur continuer.
M. de la Sale content des
nouvelles < afliirances de leur a-
micié ne fongea qu’à poulTet
plus loin Tes découvertes ou Tes
conquêtes , car c’écoit à lui la
même chofe de découvrir un
pais, 3ç de le foumettre à la puil-
fance du Roi.
Se volant fur une rivière qui
Falloir faire tomber dans le mi-
lieu du grand fleuve Mijjijjlpi ,
il crut que pour pouvoir remplir
la vafte étendue de fes deflei-ns,
il n’avoit qu’à partager fes cour-
fes en deux parties ; l’une , après
avoir gacné ce fleuve , de le fui-
vreen remontant vers fa lource ,
& de côtoïer fes rivages poutre-
M.de h
Sale
partage
(es cour
fes ca
deux
pauic^
Ke fol li-
non
d'em-
podon-
ncr M.
de laSa-
le priiè
par fcs
gens.
S8 Nouvelle Relation
connoître les Nations qui font
au Nord-JEft de l’Amérique} l’au-
Gte de defcendre ce même fleu-
ve jufqu’à la mer Mexique , àc
de tâcher de foumettre tou-
tes les Nations iituées fur Tes
bords jufqu’à la mer 5 il fe refer-
va cette derniere partie, Ce
refolut de charger quelqu’autre
pet ionne de la première.
Pendant qu’il difpofoitainflfon
voïage , nos perfides ne fon-
geoient qu’à rompre le cours de
fes defleins , mais voïant que fa
prudence lui faifoit prévenir
tous leurs complots , ils re-
folurent de l’empoifonner. Pour
executer ce defiein ils choifirent
le jour de Noël de l’année 1 679.
&c pour en avancer le fuccez,
iis trouvèrent le moïen dejetter
dupoifondans la marmite, afin
qu’empoifonnant en même tems
& le Maître & fes aflidez , ils
puflenc
de l’ Amérique Sept. 89
pufleiit feuls fe rendre les maî-
tres & du Fore, & de tout ce
qu’il y avoit dedans.
Le dîner aïant été fervi , on
femità manger. A peine M. de
la Sale & tous fes conviez fu-
rent-ils fortis de table , qu’ils l u ; &
fe trouvèrent également atta- g«*
quez de convulfions, de fueurs
froides , &: de maux de cœur.
Ces marques trop fenfibles de
poifon les obligèrent à pren-
dre de la theriaque , & fans ce
promt remede , & fans la pré-
caution que chacun prit fur le
champ, il auroit été impoflîble
de fe garantir de la mort.
Le mal avoit trop éclaté pour Em aU
demeurer dans le filence : ces soeurs
fcelerats voïant que leur mali- P 1 *»™
ce avoit avorté , prirent la fuite * uuc *
dans les bois ; M. de la Sale les
fit chercher en vain , &c inutile-
ment les pourfuivit-on : N’aïain
H
JO Nouvelle Relation
pu les rencontrer , il prit en leur
place de jeunes Sauvages volon-
taires , qui fe dévouèrent à lui
avec une entière fidelité. Sa ré-
putation s’étoit fi avantageufe-
ment répandue de tous cotez
que non feulement plufieurs
François dirperfez dans les bois,
mais un grand nombre de Sau-
vages venoient de leur propre
gré fe foumettre à lui , & recon-
noître en fa perfonne l’autori-
té du Roi. L’accueil favorable
qu’il leur fàifoit , lui attirait fans
eeffe de nouveaux foldats de tou-
tes parts , fi bien qu’il repara
non feulement par-là le nom-
bre de fes fugitifs , mais il accrut
de beaucoup fa troupe , &
groffit considérablement fon
magafin par fon trafic & par fes
négociations.
Les chofes étant dans cette difi-
pofition chez les Illinois, M.
de T Amérique Sept., 51
4 e la Sale crut devoir mettre en
execution le defl'ein de fes dé-
couvertes } pour cet eftet il jetta
les yeux fur M. Dacan pour faire M. Da-
ta. découverte des terres qui font c / cho1 '
le long du neuve MiJJijjïpi, en tt- aller dé~
rant vers le Nord-Eft : il choilit ^°“ v o “ r
pourl’accompagner,le.PtrrZ0ÆÏ.f ve ll ss
Recollet, avec quatre François &: terres*
deux Sauvages. : les fournit d’ar-
mes , de munitions neceffaires s ,
& leur donna dequoi trafiquer
avec les Nations qu’ils rencon-
treroient. Ils s’embarquèrent le
Février de l’année 1680. for
la riviere des Illinois -, la des-
cendirent jufqu’au fleuve MiJJi -
Jfipi , poulferent leur traite
en remontant ce fleuve jjufqu’à
quatre cent cinquante lieues*
vers le Nord , à fept lieues de
fà fource, qp s’écartant de te ms
en tems d’un côcc & d’autre du
rivage pour reconnoitre les di-
9% Nouvelle Relation
verfes Nations qui les habitent,
Jf'flèî- Ce fleuve forc d ’ une grande
ve , Ta Source, du haut d une colline ,
Ipukc. qui borde une tres-belle plaine
dans le pais des Ifjliti , fur le
cinquantième degré de latitude j
A quatre ou cinq lieues de la
fôurce il fe trouve fi fort accru
par cinq ou fix rivières qui s’y
déchargent, qu’il eft capable
de porter bateau j les environs
en font habitez par beaucoup de
Nations, les Hanétons ,\e s ijjati y
les Oua , les Tintonha , les Na-
doüejfan , M, Dacan fut très-.
Sc ï bien re 9« tôus Ges Peuples ,
Dacan commerça ayec eux , y fit plu-
Jécotf S beurs elcl aves j augmenta fs
ycites. tioupe de plufieurs Sauvages
volontaires , &pofa à deux lieuës
de la fource de ce grand fleu-
ve, les Armes du Rojfur le tronc
d’un grand arbre à la veuë de
toutes ces Nations , qui les re*
de l’Amérique Sept. 9$
connurent comme celles de leur
Prince &: de leur Maître Souve-
rain 5 il y établit aulli plufieurs
habitations , l’une chez les
ou plufieurs Européens qui s’é-
toient joints à lui dans fa courfe ,
voulurent s’habituer ; une autre
chez les Hanétons ; une autre
chez les Oua , un eautre enfin
chez les Tintonha , ou gens de
rivière.
Charmé de la docilité de ces
Peuples, & d’ailleurs attiré par
le grand commerce des peaux ,
il s’avança dans les terres jus-
qu’au Lac des Arfenipoits ; c’efi: foi
un Lac de plus de trente lieues p 0 r it e f " 1 "'
de tour. Cette Nation toute fa-
rouche qu’elle eft, le receutfort
humainement. Il y fonda une
habitation pour les François y
& une autre chez les chongaf-
kabes , ou Nation des Forts,
Içurs voifins.
24 N o ave lie Relation
Pendant que le lîeur Dacara
M de la faifoit toutes ces découvertes &c
prend Ces etabliffemens , M. de la Sale
congé prit congé des Illinois pour
ifli- aller à Frontenac , le 8. Novem-
bre de l’annee 1680. tant pour
apprendre des nouvelles d’une
barque qu’il avoit fait depuis peu
eonftruire & équipper, que pour
faire une reveuë de fes magafins ,,
de les Forts Sc de fes habitations.
La troilîéme journée , il arriva
Son ar- au grand Village des Illinois y
Yilllgc a P r< ^ avoir .obfervé la litua-
«tcs.ifix- tion du pais , au milieu de plu-
aois ' lîeurs Nations , des Miamis , des,
Outagamis , des Kicoapous des
Ainom , des Mafcontans , & de
plulieurs autres , arrofé d’une
belle riviere, il crut devoir faire
bâtir un Fort fur une hauteur
qui commande à toute la
campagne , tant pour fe rendre
le maître de tous ces différons
de P Amérique Sept. $$
Peuples , que pour fervir de re-
traite & de rempart à nos Fran-
çois. Ce deffein quel qu’avanta-
geux qu’il pût être , eut pour-
tant de facheufes fuites.
Deux malheureux que M. de p er fy; e
la Sale avoir envoïez l’autom- de deux
ne derniere à Miffilimachinac ,
pour s’informer de fon nou-
veau bâtiment , feignirent de re-
venir lui rendre compte de
leur expédition , ils le rencon-
trèrent dans leur chemin à deux,
lieues du dernier Village , de
lui dirent qu’ils n’avoient rien
pu découvrir de fa barque; Ce-
pendant eux mêmes l’a voient
brutlée après en avoir vendu
tous les e tiers &; tout l’équipage
aux Iroquois. M. de la Sale fè
douta bien dés-Iors , que fa bar-
que étoit perdue, mais il n’en pa-
rut pas moins tranquille ; il m’é-
crivit fur le champ , m’envoïa
$<» Nouvelle Relation
avec fa lettre un plan du Fort
qu’il avoit defigné , & m’ordon-
na d’y venir inceflâmment tra-
vailler j enfuite après avoir re-
commandé l’union &c la paix à
ces deux nouveau - venus , il
continua Ton vo'iage.
Ces traîtres qui nous avoient
déjà vendus aux Iroquois , &:
qui n’attendoient que l’occafion
de nous livrer à ces barbares ,
impatiens de profiter de l’ab-
fence de nôtre Commandant }
fe hâtèrent de venir nous join-
dre : Dés qu’ils m’eurent don-
né la lettre , je me difpofai à par-
tir } eux de leur côté ne trou-
vant que trop de difpofition au
mé*contement dans les efprits dé-
jà mal intentionnez, firent confi-
dence à leurs anciens compa-
gnons, de leur fecrette corres-
pondance avec les Iroquois , ÔC
les firent bien-tôt entrer dans
leur
de l’Amérique Sept. $y
leur pernicieux deffein Tans me
défier , je leur recommandai a.
tous la concorde, &c aïant re-
mis le commandement du Fort
à celui que je crus le plus fidele,
je partis pour me rendre à l’en-
droit deftiné pour le Fort que
je devois entreprendre. C’étoit
un rocher fort élevé : fur fa
cime il y avoit un terrain uni,
étendu , & qui commandoit de
tous cotez à une tres-vafte
campagne ; j’avois déjà tiré quel-
ques lignes pour en jetter les
fondemens inceflamment, lorfil
que je reçus avis, non feulement
de la défertion de nos gens, ma s
du vol &c du pillage qu’ils avoient
fait detoutce qu’il y avoit déplus
confiderable dans le Fort. On
peut juger quelle fut ma d >u-
leur & ma furprife: Aulfi-tô je
quittai tout pour aller fur les
lieux, je trouvai le Fort pillé
I
9$ Nouvelle Relation
faccagéj il étoit encore gardé
par l'ept ou huit François , qui
in’ayoient pu refiCter à la violen-
ce de ces traîtres ; J’avotie que
je fus defolé de me voir avec une
poignée de gens ? à la merci des
Sauvages,fans fecours & fans mu-
nitions. Ce qui fait voir que lors
t ue les focictez font compofées
e differens efprits , la divifion
& la mefintelligençe y caufenc
plus de dommage , que les ar-
mes & la violence des propres
ennemis. Tout ce que je pus
faire dans une fi trille fituation ,
ce fut de drelfer un procez ver-
bal de l’état du Fort , de l’en-
voïer à M. de la Saie , avec un
fîdele récit de tout ce quis’étoit
palfé. Après cela je longeai à
me mettre en état de netre
point infulté. Le Fort étoit af-
fez bien fourni d’armes &: de
poudres je relevai le courage de
de l'Amérique Sept. 99
nos gens par l’efperance d’un
promc fecours, que notre Chef
ne manqueroit pas de nous en-
voïer,dés qu’il nous fauroit dans
le péril. Enfin je leur remontrai
que c’étoit dans ces grands re-
vers de fortune que paroifloit le
courage & la véritable fidelité;
que c etoit-là une occafion defe
fignaler. A l’égard des Illinois ,
je redoublai mes foins pour les
ménager , & pour les entretenir
dans les memes fentimens à nô-
tre égard ; alors chacun tâcha de
me féconder , & nous fîmes fi
bien , que nous trouvâmes par
leur moien dequoi nous con-
foler , &: dequoi reparer en
quelque maniéré les difgraces
que les nôtres nous avoient <Au-
fées par leur trahifon.
M. de la Sale a'iant receu ma
lettre , fit d’abord une exacte
recherche de tous ces fcelerats;
1 »j
ïoo Nouvelle Relation
les uns vinrent s’abandonner à
la mifericorde , les autres fu-
rent pris ; il en fie mourir une
partie , &c pardonna à l’autre. A-
prés cela, il travailla à faire quel-
que nouvelle recrue , & m’é-
crivit auffi-tôe de ne me pas dé-
courager , & de l’attendre de
pié ferme avec le peu de mon-
de qui me reftoit. Une année fe
palfa dans cette attente; pendant
ce tems-là ma petite troupe s’ac-
crut de quelques nouveau- ve-
nus , tant François que Sauva-
ges ; & nous ne manquions , grâ-
ces au Ciel , de quoi que ce
foit.
If . 0 ' A peine étions-nous relevez
quoi S J, / ,
viennéc a un li grand revers } que nous
pour 4t- nous vîmes retomber dans un
îcs ifljé pl us funefte danger. Environ le
nois. mois de Septembre de l’année
i68r. il parut tout d’un coup à
un quart de lieuë du Camp des
de l'Amerique Sept, ioi
Minois un gros de fix cens Iro-
quois , armez les uns de fléchés,
les autres d’épées , de pertuifan-
nes , quelques-uns même d’ar-
mes à feu. Les Illinois à cet af-
peét rentrèrent dans leurs pre-
miers ombrages contre nous , &
nous foupçonnerent plus que ja-
mais d’intelligence avec leurs
ennemis.
Me volant entre deux écueils,
foupçonné par les Illinois , pref-
fé par les Iroquois , je fis tous
mes efforts pour raffurer lespre^
miers : pour cet effet je m’of-
fris d’aller trouver les Iroquois
dans leur Camp , pour tâcher
de les arrêter, &: de les faire
entrer en quelque accommode-
ment ; en tout cas je proteftai
aux Illinois de partager tout le
péril avec eux , à quoi j’ajou-
tai qu’il n’y avoit pas de tems
à perdre, & qu’il faloit fur l’heure
Iiij
Leur ar-
mée di-
vifée en
deux
parties»
J@z Nouvelle Relation
fe mettre en défenfe. Perfuadefc
par ^ ce diieours qui témoignoit
nia nonne foi, üs me conjurèrent
défaire un effort pour tâcher de
porter leurs ennemis à la paixjme
donnèrent un efclave pour me
fervir de truchement , & un Mi-
nois pour être garant de tout ce
que j ayancerois de leur part , &
dés ce moment ils renvoïerent
leurs femmes Scieurs enfans dans
les bois ; apres cela chacun cou-
rut aux armes , & fe mit en état
de combattre.
L Armée des ennemis, divi-
fée en deux ailes , étoic com-
mandée par deux Generaux ;
1 un nommé T agan courte , chef
à^sTfonuontouans •> l’autre Agou-
Chef des Dejouatages ; cel-
le des Minois ne faifoit pas cinq
cens hommes ; nous n’étions
que vingt François tout au plus.
Nos gens mêlez parmi eux les
de l’Amerique Sept, iàj
âMoiént à bien dreffer leurs ba-
taillon^ , èc tâchoient de les en-
courager par leur exemple.’ Je
me détabhai de notre petite ar-
mée , avec un Illinois & deux
François feulément : Gomme je’
m’avançoiS vers les ennemis ,
leur aile gauche s’avançoit vers
nos gèns , qui les attendoient dé
pié fermé & avec beaucoup à<s
tefôfutioh.
Dés que ces Barbares me vi-
rent approcher , ils tirèrent fur
nous , mais perfonnc n’aïant été
bleffé y je confeillai à T Illinois
& à nos deux François de fe re^
tirer, & comme je n’allois pas
là pour combattre , mais pour
être le médiateur de la paix, je
voulus prendre £iit moi- tout le
péril de ma députation i je pre-
fentaï d’aufïi loin que je pus aux f cr vée
ennemis un Collier ; c’eft la cou-
tume parmi les Sauvages de ya g es ,
I iiii
104 Nouvelle Relation
faire leurs proportions de paix
avec des colliers y qui font chez
eux autant de marques d’allian-
ce & d union : je m’avançai fur
la foi de ce gage. A peine fus-je
entre dans leur Camp que je
me visfaifi par ces perfides > l’un
m anacha brufquementle collier
de la main., un autre me porta un
coup de couteau dans le fein ,
mais^ par bonheur le coup aïant
gîifle fur une côte 5 je ne fus
que legerement bleffé 5 & les
plus raifonnables de l’affemblée
m aïant donne quelque fècours,
ioitpar l’application d’un certain
baume , foit par le moien de
quelque bande on arrêta lefan^
&c api es m avoir donné le tems
de me remettre , on me condui-
fit jufqu’au milieu du Camp a-
vec mon Interprété. Là on me
demanda le fujet de mon arri-
vee ; mes forces etoient bien
de l’ Amérique Sept. joy
diminuées à caufe du lang que
j’avois perdu ; mais j’avois cou-
jours le cœur bon , &c fans m’é-
tonner , ni de leur grand nom- De P ut *
bre , ni de leurs menaces , je i ro -
leur reprefentai le tore qu’ils a- quois.
voient , d’avoir violé en ma per-
fonne le droit des Gens , qui doit
être refpe&é de tout le mon-
de , & l’injure qu’ils faifoient
au Roi mon Maître & à tous
les François , de venir fans fu-
jet faire la guerre à une Na-
tion qui étoit dans fon alliance
&: fous fa protection ; Que s’il
leur reftoit quelque confidera-
tion pour nôtre invincible Prin-
ce &. pour nous , ils fe deliltaf-
lent de cette guerre; qu’ils re-
gardaient les Illinois comme
leurs freres &c nos bons amis ;
que nous trouvant unis dans cet-
te rencontre, & ne faifant prefque
qq’un même corps avec nous ,
îoê Nouvelle Relation
ils ne pouvoient eonfpircr îeuf
perte , fans confpirer en même
tems la notre ; qu’il ne leur croit
hî glorieux de tremper leurs
mains dans le lang de leurs com-
patriotes ,ni trop avantageux pour
eux de s attirer de tels ennemis
que les François ; que quelque
grande que fût leur valeur,, le pé-
ril etoit bien égal dans cette oc-
eafion pour les deux partis , puif.
que les Illinois etoient au moins
au nombre de 600. combattans
&c que nous étions bien prés de
deux cent dans nôtre troupe^
( Il efl bon quelquefois de n’ac-
culèr pas tout-à-fait jufte , &
&r-tout à la guerre ; ) Qu’aitifi ce
n etoit ni manque de forces ni
defaut de courage, que je venois
les inviter à la paix , mais par un
pur principe d’amitié pour les
UI J S pour les autres. J’ajou-
tai a tout cela , que c’étoit ats
de F Amérique Sept, 107
nom de toute nôtre Nation, de
M. le Comte de Frontenac leur
Pere , au nom même de nôtre
grand Monarque , que je leur
faifois cette priere, & leur p ro-
te ftai en même tems que je ne
plaindrais pas le fang que j’a-
vois perdu dans cette négocia-
tion , fi j’avois le bonheur de
recevoir de leur part une favora-
ble réponfe.
Pendant que je leur tenois ce
difcours , ou que mon Inter-
prète le leur faifoit entendre , on
efcartnouchoit de part & d’au-
tre , & quelque tems après , un
de leurs gens vint donner avis
du combat à un des Generaux ,
& lui dit même que leur aile
droite commençoit à plier , &C,
qu’on avoir reconnu parmi les
Illinois quelques François qui
failoient grand feu fur eux. Ce
fut un contretems fâcheux pour
io8 Nouvelle Relation
moi ; je remarquai que ces Bar.
baies me regardoient d’un œil
feroce 5 & fans autre façon ils
commençoient à délibérer fur
ri^uc rt ce < l u lls Croient de ma perfon-
d eue c- ne : je me preparois à tout éve-
gorêé> cernent lorfqu’un de la com-
pagnie s’étancpofté derrière moi,
& tenant un rafoirdans'fa main,
me levoit de tems en tems mes
cheveux; Je me retournai vers
lui, & je vis bien à fa conte-
nance & à fa mine , que fon
delfein etoit de m’enlever la
chevelure , c’eft-à-dire de me
couper la gorge; car e’elt la
coutume parmi ces Peuples
fauvages , quand ils vont en par-
ti , ou à la chalfe, s’ils rencon-
trent un François , ou quel-
qu 'autre de quelque nation qu’il
pniffe être, de lui couper la
te te , & de lui enlever 1 a peau de
delïus le crâne avec les cheveux
de /’ Amérique Sept. 109
en forme de calotte; ce qui eft
chez ces Barbares le plus glo-
rieux trophée par où ils puiflent
fe fignalerjfi bien que m’étant ap-
perçù que ce jeune Iroquois
vouloir s’acquérir cette marque
d’honneur à mes dépens , je le
priai fort honnêtement de vou-
loir du moins fe donner un
peu de patience , & d’attendre
que fes Maîtres euffent déci-
dé de mon fort. Tagancourte
vouloir qu’on me fît mourir , A-
goujlot , ami de M. de la Sale,
vouloit qu’on me donnât la vie ;
celui-ci l’emporta fur l’autre , SC
ce fut une efpece de prodige
chez un peuple fx ! in humain ,
que la clemence prévaluft fur la
cruauté. En un mot ils conclu-
rent unanimement de me ren- Eftren;
voïer pour porter de leur part voïé a -
aux Illinois parole d’une paix
entière & d ’une parfaite réü- & paix.
«a Nouvelle Relation
nion. Soie qu’il y eût de la fin-
cerite ou de la diflimulation dans
cette propofition, le plajfir de
me tirer de leurs mains gué-
rit a demi ma bleflure ; cepen-
dant pour mieux me perfuader
de la bonne foi de leurs inten-
tions , ils me chargèrent 1 d’un
beau collier de porcelaine , com-
me d un gage d’union , &: me
plièrent de leur témoigner qu’ils
fouhaitoient déformais de vivre
avec eux en véritables frétés,
& comme enfans communs de
M. le Gouverneur ; j’étois ce-
pendant fi foible & fi fatigué ,
qu a peine pouvois-je me fou-
tenir fur mes pieds.
Je rencontrai en m’en retour-
nant le Pere Gabriel de la Ri -
bonde , & le Pere Hanoble Mem-
bré , qui venoient s’informer de v
mon fort* Dés qu’ils me virçi#
de P Amérique Sept. ni
pâle, défait, tout en fang , me
traînant avec peine , ils ne fu-
rent pas moins faifis de douleur
que d’étonnement ; ma blelfure
& la perte de mon fang les affli-
geoit , mais ils étoient un peu
confolez de me voir encore en
vie , &c ne pouvoient allez me
témoigner leur joie de ce que
ces Barbares ne m’avoient pas en-
tièrement tué. Nous allâmes cn-
femble trouver les Illinois ; je
leur répétai à peu prés les mê-
mes difeours que les Iroquois
m’avoient tenus , 6c leur pre- Ce qu’il
fentai de leur part , le collier
de paix. Cependant je leurs fis”,, 1
entendre qu’il ne faloit pas trop
fe fier à leurs propofitions , ni à
leur prefent , &c qu’autant que
j’en pouvoir juger , ils n’étoient
pas venus-là pour s’en retourner
fans rien faire ; qu’ils étoient
trop jaloux de leur gloire pour
Hz Nouvelle Relation
ne rapporter de leur courfe , que
l’honneur de s’être racommodez
avec un Peuple , qu’ils préten-
doient foumettrejQu^ainli à mon 1
fens , toutes ces belles paroles ,
toutes ces demonftrations d’a- !
midé n’étoient que des apparen- i
ces trompeufes pour les mieux
furprcndre.
Les Illinois n’eurent pas beau- i
coup de peine à croire & à fe per- i
e luader tout ce que je leur dis ; ils i
le mirent cependant en devoir ;
de répondre à leurs propolitions j
par des préfens réciproques & i
par une nouvelle ambaffade ; il ;
y avoit eu pendant tout ce
tems une fufjpenlion d’armes : les i
jeunes Illinois contens d’avoir ;
repoulîe , aux dépens de quel- I
ques-uns des leurs, les premières j
attaques de leurs ennemis , ne i
voulurent point s’expoler à un j
nouveau combat, & préférèrent le <
de l' Amérique Sept. 11 $
plaifir de la chafle à une gloire
perilleufe » ainfi la plupart pri-
rent ce moment pour décamper ,
& dçferterent i Ceux qui étoient
reliez , fe voïant abandonnez
des plus braves & apperce-
vant venir à eux les ennemis en
corps de bataille, ils n’eurent pas
I’alTurance de les attendre, com-
me ils ne fe croïoient pas aflez
forts pour fe défendre, ils prirent
le parti de leur abandonner le
terrain , & d’aller chercher ail-
leurs une nouvelle demeure } ils
allèrent rejoindre leurs familles
à trois lieues de là.
Les ennemis lé jetterent dans
leur camp entièrement aban-
donné ; quelques François qui
relièrent ,. deux Peres Recoîlets
& moi nous nous renfermâmes
dans nôtre Fort ;,aubouçdedeux
jours les Illinois aïant paru fut
une hauteur en alfez grand nom-
K
Média-
tion en-
tre les
Illinois
& les I-
îoCjUois
114 Nouvelle Relation
bre , 8c dans une contenance
afl'ez fiere , les Iroquois nous
foupçonnerent de quelque intel-
ligence^ avec eux , & crurent
que cetoit nous qui les avions
rappeliez. Gomme ils les
croïoiencen plus grand nom-
bre qu’ils n’étoient en effet , 8c
que d’ailleurs ils avoient éprou-
vé leur valeur dans la derniere
occalion , ils me prièrent de
vouloir être leur médiateur pour
tnoïenner encore un nouveau
traité de paix entre les deux
Nations : j’acceptai volontiers
cette médiation , ils me don-
nèrent un des plus confiderables
des leurs pour me fervir d otage*
j’allai trouver les Minois } & le Pe-
re Zenoble eut la bonté de m’ac-
compagner. Dés que je fus dans
le camp des Minois , je leur
propofai les offres de leurs enne-
mis , 8c leur dis qu’ils étoient
de V Amérique Sept, nj
prefts detouffer toutes fortes
d’inimitiez ; que j’amenois avec
moi, pour garant de leur bonne
foi, un jeune Iroquois des plus
eonfiderables de la Nation.
Les Illinois me coûtèrent avec
beaucoup de plaifir , me char»
gerent de les afTurer de leur en-
tière correfpondance , me laif-
fcrent le maître des articles de
la paix , &: me promirent de leur
envoïer fur l’heure un otage de
pareille considération , cepen-
dant ils me prièrent de ne point
perdre de tems , & d’aller in-
celfamment traiter cette affaire*
Je voïois les chofcs en trop
bon chemin pour ne pas me pro-
mettre un bon fuccés de ma mé-
diation. Après avoir pris un lé-
ger rafraichidement chez eux »>
je me hâtai d’aller concîurre avec
les Iroquois 5 je leur portai pa-
role d’un entier eonfentement
K i j
n6 Nouvelle Relation
de la parc des Minois , & leur
dis en même tems qu’ils a-
voient mis à ma difpofition cette
affaire; que, s’ils vouloient, nous
irions fur l’heure même travailler
aux conventions pour établir une
paix fiable , folide & de longue
duree. Là-deffus l’otage Minois
arriva , qui confirma les I-roquois
dans la cro'ïance de tout ce que
j’avois avancé , mais il gâta tout
SST P ar ^ on imprudence : car après
d’un if- avoir loiié leur valeur & leur
iinoi». généralité , il avoüa avec trop
d’ingénuité, que le nombre de
leurs combattans n’étant tout au
plus que de quatre cent, ils rece-
voienc leurs propofitions de paix
comme une grâce dont toute fa
Nation leur étoic tres-obligée »
& que pour marque de recon-
noiflânce ils écoienc prefts de
leur envoïer quantité de caftors
ôc nombre d’efclaves. Qui ne
de l’ Amérique Sept. 117
\ fait que lorfqu’U s’agit d’accom-
I modement , ou de traitté , le
trop de fincerité ou d’emprelîe-
ment recule fouvent les affaires
! loin de les avancer J En effet les
ennemis qui jufques-là fur ce
! que je leur avois dit , avoient eu
| la moitié de la peur, &£ qui mê-
i me croïoient le nombre de leurs
ennemis beaucoup plus grand
! qu’il n’étoit en effet , reprirent
toute leur fierté , &: me firent de
fanglans reproches de ce que
je leur avois fait les Illinois
j beaucoup plus forts & plus nom*
breux qu’ils n’étoient; que je
| leur avois arraché la vi&oire des
mains par cette tromperie , &
| qu’ils devroient me faire païer
aux dépens de ma vie la perte du
| butin qu’ils auroient fait , fans
i moi , fur leurs ennemis.
J’eus bien de la peine à me ti-
rer de ce mauvais pas , cepen-
lïf W (tavelle Relation
dmt je leur fis entendre que ce
que l'otage venait de leur dire y
n’avoit rien d’incompatible avec
ce que je leur avois dit j que dans»
le tems de leur arrivée, les Illinois
étoient du moins au nombre de
fix cent combattans , mais que
i>eaueoup avoient deferté qu’au
relie mes intentions avoient tou-
jours été tres-bonnes , & que
tout mon but n’avoit été qu’à
faire parvenir les- choies à un
fincere accommodement. Au fur-
plus je leur reprefentai qu’ils s’é-
toient rendus les maîtres de leur
camp & de leurs terres , qu’ils
étoient en état d’impofer telle
loi à leurs ennemis qu’ils fou-
liaiteroient ? Ne vous eft-il pas
alfez glorieux , ajoûtai-je , d’ac-
,corder la paix à des gens qui
s’offrent même de l’acheter ï
Les Iroquois fe rendirent , ou
plutôt firent femblant defe retv
de l’ Amérique Sept. uj
dre à mes raifons , me regar-
dèrent d’un œil un peu plus
riant, &c renvoïerent l’illinôis dans
le camp dire à ceux de fa Nation ,
qu’ils le prioient defe rendre le
lendemain dans le leur pour y
conclure une folide paix.
Les Principaux des Illinois ne Entrei>
manquèrent pas de le trouver jesiffi-
le lendemain au rendez-vous , «ois ss
avec leurs caftors & leurs efcla-
ves : les Iroquois les reçurent
fort honnêtement, leur promi-
rent de les remettre au premier
jour en polTeffion de leurs habi-
tations, & leur offrirent en même
tems divers colliers avec quel-
ques pelleteries. Par le premier
collier ils demandoient pardon
au Gouverneur des François de
ce qu’ils étoient venus troubler
une Nation qui vivoit fous leur
protection : par le fécond , ils
faifoient la même civilité à. ML
lz@ Nouvelle Relation
de la Sale ; & par le troifiémtf
ils juroientaux Illinois une éter-
nelle alliance. Les Illinois leur
firent les mêmes proteftations 9
apres quoi chacun fe retira.
Perfidie Pendant que ces deux Nations
desiro- le donnoient de mutuelles aflu-
guois. rances d’amitié } j’appris de bon-
ne part , que les Iroquois fai-
foient faire des canots d’écorce
d’orme , à deflein de pourfuivre
les Illinois le long du fleuve pour
les perdre & pour les extermi-
ner. Comme j’accompagnois
un des principaux Minois , il
me demanda ce que je penfois
de leur réconciliation ; je lui ré-
pondis franchement qu’il n’y
avoit pas grand fond à faire fur
la parole de ces perfides ; que
j’etois alluréqu’i 1s faifoient tra-
vailler à des canots pour les fui-
vi e fur leur ri viere ; que s’ils m’en
croïoient ils profiteroient du
tems-
de V Amérique Sept. 11%
teras , & fe retireraient en quel-
qu’autre contrée où ils tâche-
roient de fe bien fortifier pour
fè mettre à couvert de leur fur-
prife : l’Illinois donna dans ma
penfée , me remercia de mon
! confeil , & nous étant fepa-
rez , il s’en alla rejoindre fes
! gens , & je me retirai dans nôtre
l Fort.
1 Le huitième jour de leur arrivée
& le dixiéme de Septembre , les
Iroquois me firent appeller à
leur Confeil avec le Pere Zeno -
! b le , & nous aïant fait afléoir , .
ils firent mettre fix paquets de fo i des
caftors devant nous; enfui te ? re ^ Qb -
m’adreflant la parole , ils me di-
rent que leur Nation nous offrait
ces prefens, & nous prioit en
même tems de vouloir donner
de leur part les deux premiers
paquets à M. le Comte de Fron-
tenac 3 leur pere , & de l’alTurer j
! h " ï
Recon-
noiffan-
CC LjUc
les Fia
cois
leur en
témoi-
gnent.
ni Nouvelle Relation
qu’ils ne vouloienc plus manger
des Illinois, l'es enfans 5 qu’ils
me donnoient le troiliéme pour
fèrvir d’emplâtre à ma plaie;
que le quatrième nous ferviroit
d’huile , au Pere Zeioble & à
moi , pour nous frotter les jam-
bes dans le cours de nos v oïa-
ges ; que par le cinquième ils
nous exhortoient à adorer le So-
leil ; & qu’enfin par le lixiéme
ils nous fommoient de décam-
per le lendemain , &C de nous
retirer dans nos habitations fran-
manquai pas de les re-
mercier au nom de toure nôtre
Nation, tant de la confideratiôn
qu’ils avoient témoignée avoir
pour M. le Comte de Frontenac
& pour M. de la Sale, que du
bon traitement qu’ils avoient
fait aux Minois, nos bons amis,
ôç des bonnes huiles , ou em-
çoifes.
le n
de l’ Amérique Sept, 12,5
plâtres dont ils nous avoient gra-
tifiez, le Pere Zenoble & moi.
Je les fuppliai aulli de vouloir
toujours conferver les mêmes
fentimens pour les uns & pour
les autres ; après quoi je leur
demandai quand ils partiroient
eux-mêmes , &c quand ils re-
mettroienc les Illinois dans leurs
terres , félon leur promefle. Cet-
te demande leur parut un peu
brufque ou trop hardie : je ne
l’eus pas plutôt faite , quil s’é-
leva un grand murmure parmi
eux; il y en eut quelques-uns
qui me répondirent, que puifque
f étais f curieux , ils allaient me
le dire ; que ce ferait apres avoir
mangé quelques-uns de nos frè-
res , ou des Iflinois, Aïant en-
tendu ee difcours , je repouffai
avec le pié leur prefent, & leur
témoignai que puifqu’ils avoient
ce deflein , je n’avois pas befoin
Lij
I ' cîcfec
fâcheux
il 4 Nouvelle Relation
de leur prefent, loin de vouloir
l’accepter ; qu’au refte je parti-
rois fans leur ordre & fans leur
congé , quand il me plairoit.
Leurs chefs s’étant auffi-tôt le-
vez , nous dirent que nous pou-
vions nous retirer. Auffi-tôt un
Abenaguis qui étoit parmi eux ,
& de mes anciens amis , s’ap-
procha de moi pour me dire que
ees gens étoient fort piquez con-
tre moi , & me conleilla de me
retirer le plus vite que je pour-
rois. Je profitai de fon avis , nous
nous retirâmes , le Pere Zenoble
&c moi , & nous doublâmes le
pas vers nôtre Fort , où nous e-
tant renfermez , nous nous mî-
mes fur nos gardes durant la
nuit , réfolus de nous bien dé-
fendre en cas que nous fuffions
attaquez.
Quand nous nous vîmes en fu-
reté , nous raifonnâmes quel-
de l' Amérique Sept. nf
que tems fur la diffunulation &£
fur l’infidélité de ees peuples ,
fur l’état de nos affaires , &c fur
le péril que nous avions couru
dans ce dernier Confeil. Le Pc-
re Zenoble me blâmoit de ma
brufquerie, me difant qu il cil fermeté
quelquefois bon, & même ne- >^brâ-
ceffaire de fe ménager , quand
on 1 n’effc pas le plus fort s dans
l’efperance de trouver des occa-
fions plüs favorables : Mais je lui
dis que fouvent la fermeté qu’on
fait paroître , a fouvent un meil-
leur effet , que la bafleffe & la
foumiffion ; que les âmes cruel-
les ne s’attendrifTent jamais par
des {implications ,&c des aétions
rampantes , au lieu que fouvent
elles fe rendent à la vigueur Sc
a la refiftance ; qu’au relie , lorf-
qu’ily a du danger, il vaut mieux
prendre le parti d’un homme de
cœur, que celui d’un lâche j que
n6 Â T Quvelle Relation
dans cette deiniere oçcalîonj’a-
vois voulu repouflfer le mépris
par le mépris ; qu’aïaflc entre-
vu la mauVaile volonté des I-
roquois, accompagnée même de
rail erie , j’avois crû devoir re-
buter ce qu’i ! s ne me prefen-
toient que pour fe mieux ma.
quer de moi, & leur témoigner
par ma réponfe , ma fermeté
dans ie péril, pîûtôc que d’en
venir a des prières ou à des fla-
teries inutiles. Cependant voïanc
bien que nous n’étions pas en
état de rclRr plus long-rems,
nous s emrloiâmes le relie de la
nuira faire nôtre équipage pour
le lendemain ; nous étions en-
core quinze François dans le
Fort , les deux Peres Recollets
& moi. Cinq François voulurent
erre de ma compagnie, les au-
tres fe refolurent d’aller rejoin-
dre les Minois, ou d’aller chez
de V Amérique Sept. irf
quel qu’autre Nation Nous par-
tageâmes nos munitions , nos
armes nos effets , chacun fit
Ton paquet. f .
Le lendemain onzième Sep-
tembre de l’annee 1681. des la
pointe du jour , chacun prit Ion
ti , nous nous embarquâmes
les deux Peres , les cinq Fran-
çois & moi dans un canot , fur
la rivière des Illinois. Apres
cinq lieues de chemin nous mi-
mes à terre pour fcc hcr quelque
pelleterie , pour raccommo-
der nôtre canot qui prenoit eau
de tous cotez. Pendant cetems-
La le Pere Gabriel me dit qu’il i e Pere
s’en ail oit le long du rivage di- Gabriel
refon Office. Je l’avertis de ne crc par
point s’écarter à caufe que nous les San-
ctions entourez d’ennemis : La vd &- s -
beauté du climat , la douceur
de l’air , l’agrément & l’afpeét
de la campagne chargée de
L iiij
îig Nouvelle Relation
beaux arbres &: couverte de vi-
gnes l’engagèrent à aller un peu
trop avant , & le firent tomber
dans le piege que je lui avois pré-
dit. Cependant le jour finiffoir,
& voïant que ce Pere ne revenoit
point 5 feutrai dans quelque
chagrin de fbn retardement. Le
P ere Z enoble n en avoir pas moins
que moi; nous allâmes le cher-
cher de tous cotez avec un de
nos gens j nous rencontrâmes fa
pille 5 nous la fuivîmes quelques
pas , mais bien-tôt apres nous la
trouvâmes fcoupée par plulîeurs
autres qui nous empêchèrent de
ftuvre celle du bon Pere ; de
forte qu apres avoir couru de
tous cotez , au commencement
de la nuit nous fîmes un grand
feu fur le rivage pour lui fervit
de lignai : nous pafiâmes même
de 1 autre côté de la riviere ,
1 appellant de tems en teins à
de T Amérique Sept, iv
haute voix. Tous nos cris , tous
nos pas furent inutiles : ce Reli-
gieux aïant été malheureufe-
ment rencontré dans un lieu e-
carté , par une troupe de Sau-
vages nommez Jpjpïcapous > fut
entraîné dans le bois , & là il
fut mailacré par ces Barbares ,
qui lui coupèrent la tête , &
lui prirent fon Bréviaire qu’un
de la troupe vendit enfuite a un
Pere Jeluite , de qui nous avons
depuis appris ces particularitezj
Ainfi mourut ce bon Religieux
âgé de foixante dix ans , au mi-
lieu des prières & des canti-
ques divins , par les mains de
ces malheureux , pour le falut
defqueîs il étoit venu dévoiler
fa vie.
Après ces vaines recherches,
nous ne laiffâmes pas de l’atten-
dre le lendemain jufqu’à midi :
enfin n’y aïant plus d’efperance
tjo Nouvelle Relation
de le voir revenir,triftes quenous
étions, nous nous embarquâmes
fui - la même riviere , &c la re-
montâmes à petites journées ,
toujours dans l’attente du Pere
Gabriel. Après environ un mois
de navigation, nous “prîmes ter-
re à deux journées du grand Lac
des Illinois 5 nous y conduisî-
mes nôtre bagage par des traî-
neaux. Etant embarquez environ
le zo. Octobre fur ce Lac , nous
navigeâmes huit ou dix jours %
un coup de vent nous porta fur
un bord , à vingt lieues du grand
Traçoîs Village de Rotavalamia. Les vi-
vrcs nous manquant nous fû-
ner^das mes obligez de prendre terre ,
les b 0 js. <] e gi aner dans j es [, 0 j s; c om _
me j’étois extrêmement aifoibli
par une lièvre qui me con fu-
moir , & que d’ailleurs mes jam-
bes étoient fort enflées , nous ne
pouvions g uer es avancer : Ce-
de V Amérique Sept.
pendant à force de nous traîner,
nous arriva aies , à ia faine Mar-
tin, audit Village dont je viens
de parler, où nous ne trouvâmes
perfonne, & par confequent nul
fecours pour nous rétablir. Nous
avançâmes dans le defert , où
nous rencontrâmes heureufe-
ment du blé d’Inde, avec le-
quel nous fîmes de la boüillie
durant quelques jours : Etant
munis de cette petite provifion
nous regagnâmes le Lac , èc
nous y étant rembarquez , apres
deux jours de navigation un
vent de large nous porta à ter-
re ; nous abordâmes à une rade
où nous trouvâmes des traces
fraîches , qui nous conduisent
jufqu’àun autre Village des Pou-
toualamis y mâ\s, entièrement aban-
donné ; il y avoit cependant en-
core quelque relie de blé d’In-
de , &: quelque peu de cerf bou-
Nouvelle Relation
canné > nous ne négligeâmes paÿ
ce petit feeours , que le ha-
zard nous prefentoit , & nous
en étant fournis , le lendemain
nous prîmes le chemin de la
Baye des Puans , traînant tou-<
jours nôtre canot &: nôtre ba-
gage , & nous y arrivâmes vers
la fin du mois de Novembre.
Cette Baye eft un regorge-
ment du Lac au dedans des ter-
res ; l’embouchure en eft étroite,
& va toujours en s’élargiflant :
fon circuit eft de plus de dix
lieues : il y a dans fon enceinte
une avance du lac , qu’on ap-
pelle, l’ance à V e (large on. Cel-
le-cy s’appelle l’ance à l'ettur-
geon , parce qu’il y a dans cet en-
droit plufieurs poiflons de cette
efpece. Nous nous y repofâmes
quelques jours avec des Sau-
vages qui faifoient la chafle des
Caftors aux environs ; c’eftoient
de r Amérique Sept. 135
des Poutoualamis qui nous re-
galerent de bœuf &£ de cerf
boucanné , &c qui nous voulu-
rent bien donner le plaiflr de
la ChalTe.
Comme tout ce pais eft cou-
pé par un nombre infini de ruifi-
feaux , ou de petites rivières
bordées de gros arbres , &: que
les bois y font pleins de trem-
bles , dont les petites feiülles &
les branches les plus tendres
fervent de nourriture aux Ca-
ilors , ces animaux s’y plaifent
! fort , & y font en très-grand
nombre.
Ce font , comme l’on fait , caftors
des amphibies , qui ne peu- am -
~ ^ 11, j î> • maux
vent le palier de I eau , de I air, am phi-
& de la terre : ils font prefque bics.
aufli gros que des moutons,
mais beaucoup plus petits ; leurs
jambes font courtes , leur qua-
tre pattes approchent de celles
IJ4 Nouvelle Relation
des Singes , pour leur fouplef.
fe ; leur muleau eft long, ar-
mé de dents tres-fortes, leur
coips eft revecu d’une foie lon-
gue & fine , mais leur queue
eft un aflemblage de plufieurs
cordons très-durs , qui eftant
d un fort petit volume fur le
croupion 5 fe développent enfui-
te ? & forment en s’élargiffant
la bafe d’un triangle , elle leur
1ère comme de mafle ou de
leur * lue ^ e P our Ca per la terre moî-
I e - Leur inftinct admirable pa-
roît dans leur bâtiment.; ils fe
logent dans de petites caban-
nes qu ils fe bâti lient eux-mé-
mes ; & quand il eft queltion
de le loger , ils cherchent en-
lernble un lieu commode pour
leur habitation. C’eft pour l’or-
dinaire dans le lie de quelque
riviere qui ne foit ni trop large,
lu trop profonde, fur le bord
de ï Amérique Sept. itf
de laquelle il y au quelque gros
arbre , dont le tronc panche
vers l’eau. Quand Us ont trou-
vé un lieu qui leur convient,
ils font entre eux un cercle;
ils fe regardent comme s’ils
| voulaient tenir confeil. En effet,
on remarque qu’ils s’affembient
j toujours en nombre impair, tels
que (ont; cinq, fept , neuf , onze,
| comme s’ils vouloient qu il y en
eût un qui décidât ; enfuite , la
première chofe qu ils font , c eft
de couper l’arbre qui eft au bord
! de !a rivière ; ils le prennent
ordinairement à un pie & de-
mi de terre , & le tranchent
tout au tour de haut en bas ,
fi bien qu’aprés l’avoir coupé,
! l’arbre tombe toujours dans
l’endroit dans le fens qu’ils
! veulent ; & c’eft juftement au
travers de la riviere pour en
arrefter , ou du moins pour en
Nouvelle Relation
rallentir le cours ; fi les bran-
ches de l’arbre empêchent qu’il
n’appuïe bien contre le fonds ,
ils ne manquent pas de les cou-
per bien-tôt , &: de faire un bon
ciment d’un côté & d’autre a-
vec des pierres , des branches,
&; du limon , pour former exa-
ctement le paffage à l’eau : Si
l’arbre n’a pas allez de longueur
pour joindre les deux bords ,
ils en vont couper un autre au
rivage oppofé , ou s’ils n’en
rencontrent pas , ils font des
elpeces de batardeaux, pour ar-
rêter le cours de l’eau 5 mais
comme la riviere pourrait inon-
der , ou rompre la digue par
là violence , ils lai lient de di-
ftance en diftance quelques ou-
vertures à la chauffée par où
l’eau puiffe s’écouler ; c’elt ain-
lî qu’ils commencent leur bâti-
ment , enfuite ils fe mettent à
maffonner
de t’ Amérique Sept. 137
mafibnner au pié d e leur ou-
vrage : pour tour ciment ils pre-
neur du limon qu’ils battent <3£
rebattent avec leur queue ; ils
le mettent couche lur couche,
jufqu’à ce qu’ils ayent élevé leur
édifice trois pieds de haut ; ils
le voûtent , le polifiènt en de-
dans d’une maniéré ttes-proprej
ils fe font ainfi trois petits pa-
villons , qui communiquent les
uns aux autres ; l’un eft pour
leur gîte; l’autre pour garder leur
provilion ; ôc le dernier pour leur
neceflité 5 ce qu’il y a de plus
merveilleux en ceci , c’elt que
dans l’un de ces appartemens,
ils creufent un badin , une ef*
pece d’aqueduc, ou de canal
fouterrain qui va jufqu’à la ri-
vière; ce b a lin fertde refervoir
dans lequel ils mouillent tou-
jours leur queue , faute de quoi
ils mourroienc bien-tôt ; Ik en
M
ChafFe
aux ca-
itors»
138 Nouvelle Relation
cas de péril , leur canal leur 1ère
de refuge, & de chemin dérobé
pour gagner la riviere. Si pen-
dant qu ils bâtiflent , quelqu’un
<le la troupe a écorché fa
queue a force de taper la ter-
re , il renverfe fa queue fur fon
dos , pour montrer au refte de
la troupe , qu’il n’eft plus en :
état de travailler. ;
Leur digue & leur cabanne é- 1
tant faites, les Sauvages pour les i
en chalTer, n’ont qu’à courir les
pentes rivières , & dés qu’ils ap-
perçoivent la chauffée , ils peu-
vent compter que la cabanne
du Caftor n’eft pas loin : ils s’en
approchent d’auffi prés qu’ils
peuvent ; dés que le Caftor voit
ou entend les chaffeurs , il s’en-
fonce dans fon badin , Sc fui-
vant le courant de l’eau par def-
fous terre , il fe retire dans le
lit de la riviere 5 mais comme
de ï Amérique Sept* 13 #
il ne peut Te paffer d’air , il le-
vé de temps en temps la tete
hors de l’eau , & le Sauvage
prend ce moment , fi ceft en
été , P° ur tuer ^ ans * ea j m f"
me , & ne manque pas de^ le
percer de fon trait ; ou .fi celt
en hvver , quand les rivières îont
glacées , n’y ayant pas moyen
de le tirer , le chaffeur fait di-
vers trous dans la glace, dei-
pace en efpacc , & «= “uche
tout auprès fur le glacis ; le Ca-
ftor paffant par deflous , leve la
tête hors du trou pour refpirer,
alors le chaffeur enfonce Sighffe
la main fur le corps du Caftor
qui nage 5 mais quand 1 a P a ,, e
ifqu’à l’endroit où la queue se-
largit , le chaffeur fert la main,
l’empoignant fortement , e
tire Si le jette fur la glace, com-
me il ne marche que fort lente-
ment , on lé ratrape auffi-tot, Si
Mi)
Ho ^ N ouve lie Relation
J on 1 aliomme. On trouve quel,
qu croîs des huit ou dix chauf-
iees dans lefpace de deux iieuës,
aucun caftornen échappe. Nous
eûmes le plaifir de cette charte
pendant huit ou neuf jours
quoique le temps fuit extrême-
ment froid.
Après nous être un peu re-
faits , & munis de quelques pro-
filions , nous nous remîmes fur
le Lac le 7. Décembre , & ayant
pus a droite pour aller à Miffu
Imachinac , un vent contraire
nous arrêta pendant huit jours
& nous força d aller relâcher
au meme endroit d’où nous é~
tions partis : par malheur les
Sauvages n’y étaient plus „ mais
lh y avoient lailTé quelques telles
de cerf boucanné, nouscabanna-
mes du mieux que nous pûmes ,
nous allumâmes grand feu
pendant toute la nuit, mais nous
de Puimericfue Sept. 14 *
fîmes une tres-méchante chere;
cependant le vent changea t &Z
nous crûmes pouvoir faire voile
le lendemain ; mais l’ance se-
tant trouvée toute glacée , il fa-
lut fe réfoudre d’aller par terre.
Comme nous étions dans ce def-
fein, la maladie d’un de nos
François nous arrêta. Je me dif—
pofai à chercher du fecours dans
le bois avec quelqu’autre de là
troupe. Dans ce même moment s ^ 0UîS
! deux Sauvages Ontnoùas fe pre-j cux
fenterent , & s’offrirent de nous **»**-
conduire dans un village voifin, ^
où ils nous aflùrerent que nous ftaa-
I ferions bien reçus : notre mala- $ 01S '-
de prît cou âge , ayant entendu
| des offres il agrcables , & nous
partîmes à l’heure même. Âpres
trois bonnes heures de chemin ,
nous arrivâmes à un village des
! FouioiiaUmis , où nous fîmes
rencontre de plufieurs François
141 Nouvelle Relation
habituez avec ces Sauvages , &£
les uns & les autres nous y fi-,
rent un accueil favorable.
Habita- Après deux jours de féjour *
jefuitcs Pere Zenoble ayant appris que
les Jefuites avoient une belle ha-
bitation au fond de la baye , &C
croïant qu’il étoit plus féant à
un homme de fon caraétere ,
d’aller dans une maifon rcli-
gieufe , que de demeurer parmi
des Sauvages , hommes liber-
tins, il alla hyverner avec ces Pe-
res : pour moi je palfai agréa-
blement le refte de l’hyver avec
ma troupe dans ce même villa-
ge , jufqu’au commencement du
Printems.
chaire Vers le milieu du mois de
Mars de l’année ié8z. l’herbe
étant déjà grande dans les prez,
j’y pris quelquefois le diverti f-
fement de la chafle aux Bœufs:
Ces animaux font de la moitié
de P Amérique Sept. 145
plus grands que les nôtres ;leur
poil eft une efpece de toifon
tres-fine , & fore longue -, leur
paleron eft d’une grandeur ex-
traordinaire ; leurs cornes recour-
i bées font d’une hauteur prodi-
gieufe ; leurs yeux font grands à
| faire peur > ils vont toujours at-
troupez, la moindre troupe eft
i de trois ou quatre cent ; quand
ils défilent , ils font de grands
chemins battus , où l’herbe eft
toute foulée : au refte , ils font
| fi fauvages , qu’ils s’effarouchent
au moindre bruit , ou à la moin-
dre approche des hommes ; ils
paiftent dans de vaftes prairies,
1 où l’herbe eft extrêmement hau-
te. Pour en faire une bonne
I chalTe , les Sauvages les entou-
! rent de loin ; cependant l’un
| d’eux fe glirte fous l’herbe juf-
qu’au milieu du troupeau , & dés
| qu’il eft venu là , il s’élève tout
fï44 Nouvelle Relation
! d’un coup en furfaut en fâU
fane un grand cri , les bœufs
prennent aulïi-tôt l’épouvante #
les uns courent d’un cote , & les
autres d’un autre ; les Sauvages
rangez en cercle les tirent de
toutes parts , & comme ces ani-
maux , tout blelTez qu’ils font,
ne 1 aident pas de courir fur ce-
lui qui les a tirez , pour préve-
nir ce danger , le chafleur a-
droit les vife à la cuiffe, ou â
la hanche , ou à quelque jambe,
& ne manque pas de leur fra-
calïer l’os ; ce qui met l’animal
dans l’impoffibilité de courir a-
prés le coup; Comme aucun
trait ne porte à faux , autanc de
coups tirez font autant de bœufs
par terre ; de forte que vingt
ehaffrurs blefleront quelquefois
plus de quarante ou cinquante
bœufs , qu*ils vont en fui te af-
fommer à coups de mafl'uë. Ce
de l'Amérique Sept. 147
qu’il y a de merveilleux en ce-
ci , c’eft le fracas que faic le
trait tiré par le Sauvage: carou-
! tre la juitefle & la rapidité du
! coup , la force en eft furprenan-
te , d’autant plus que ce n’eft:
! ou qu’une pierre , ou qu’un os ,
; ou quelquefois un morceau de
| bois tres-dur', mis en pointe, &:
ajuflé au bout de la flèche, avec
de la colle de poifl’on , lequel
fait ce terrible effet. Quand les
| Sauvages vont à la guerre , ils
empoifonnent la pointe, ou l’ex-
j trémité de leur dard ; en forte
que s’il refte dans le corps , il
faut mourir s l’unique relïource
! qu’il y a en cette occafion ,
j c’eft d’arracher le trait par l’au-
tre côté de la plaie , en cas qu’il
traverfe y ou s’il 11e traverfe pas,
! c’eft de faire une contre-ouver-
jture , & de l’arracher; apres
îquoi ils conuoilfent par inftinct
! N
146 Nouvelle Relation
certaines herbes , dont l’appli-
cation emporte le venin , éc les
guérit,
je reliai le mois de Mars dans
Ce même lieu : le Pere Z e noble
vint m’y retrouver au Printems,
& nous eftant allez rembarquer
à Tance que nous avions quit-
tée, nous allâmes enfin aborder à
Mtjfüimachinac , au commence-
ment d’ Avril , à delTein d’y at-
tendre M. de la Sale.
Depuis l’onzième de Septem-
bre 1681, que nous prîmes con-
gé des Illinois , jufqu’au 1. d’A-
vril , fept mois s’étoient écou-
lez : Pendant cet intervale , M.
de la Sale , fur l’avis que je lui
avois donné par ma lettre , étoit
defeendu chez les Illinois , avec
une bonne recrue , dans le delà
fein de nous fecourir. Les Iro-
quois avertis de fa defeente,
craignant de fe trouver entre
de r Amérique Sept, iqj
deux armées , s’en écoient re-
tournez , & les Iflinois étoient
rentrez dans leurs pofleflions.
M. de la Sale n’en trouva pour-
I tant que quelques-uns , les au-
tres étant allé hyverner dans
; les bois; il exhorta ceux qui é-
! toient reliez, de rapelîer leurs
| gens , les aflurant qu’il alloit
bâtir un Fort , qui les mettroit
j à couvert de l’invalion de leurs
ennemis ; vifita celui de Creve-
cœur, qui étoit toujours en mê-
me écat , y mit une petite gar-
j nifon de quinze ou feize Fran-
çois , avec un Commandant ,
des munitions & des armes.
En fui te il remonta la riviere
j jufqu’au grand village , où plu-
lieurs familles Minoifes étoient
I revenues ; travailla aux encein-
I tes de Ion nouveau Fort , &
| a'iant appris par quelques cou-
reurs de bois , que j’avois pris
N ij
Fort Je
Creve-
cosar*
148 Nouvelle Relation
ma. route vers Mi fjilimachitiac, il
jfe remit en chemin pour me ve-
nir joindre , aïant cependant laif-
fé quelques foldats, & quelques
ouvriers au Fort déilgné , pour
continuer Ton ouvrage & pour
défendre ce porte.
Il n’arriva qu’environ le iy.
Aoull de l’année i6Sz. à MiJJi-
limachinac , lui fixiéme 1 là nous
prîmes de nouvelles mefures
pour achever la découverte que
nous avions commencée : Il fa-
lut d’abord fonger à faire de
nouvelles provihons pour un
voyage de rt long cours. Ce fut
1 ' & a .. / r
dans cette vue qu apres ux jours
de repos , M. de la Sale partit
en canot, pour aller à Fronte-
nac ; nous l’accompagnâmes , le
Pere Zenoble & moi ; Après a-
voir heureufement vogué le pre-
mier our, nous allâmes prendre
terre à un village, nommé Te-
de P Amérique Sept , 149
jagou , appartenant aux Iroquois.
I M. de la Sale y trafiqua quelques
pelleteries , &C m’aïant ordonné
| de l’attendre-là avec le Pere Ze-
j noble , il fe remit en canot pour
Frontenac. Il trouva fa barque
i en état , s’y munit de beaucoup
de munitions & de vivres , y fit
quelques nouveaux foldats , ôc
m’envoïa huit jours après, fa bar-
que chargée de nouveau mon*
I de , de bonnes marchandées, &
de chofes les plus necefifaires.
Nous la montâmes le Pere ÔC
moi , & allâmes le premier jour
aborder à Niagara , au deflfous
du Saut; là il falut mettre nôtre
bagage &c nos marchandées fur
| des traineaux , & les conduire
i jufqu’ au lac Hyereo , où nous
| nous rembarquâmes en canot au
nombre de vingt perfonnes^tant
: foldats que matelots , avec nos
meilleures marchandées. Après
! N iij
ïjo N ou<velle Relation
trois jours de navigation , nom
allâmes prendre terre au bord
de la riviere des Mi ami s , où.
nous étant cabannez , j’eus le
tems d’y rafiernbler quelques
François , quelques Sauvages
Abenaguis , Loups , £hùcat>ous, 8c
autres. J’y augmentai nos muni-
tions par le fecours de la chaffe,
8c j y trafiquai quelques-unes de
nos marchandises pour du blé
d’Inde.
Ce fut là que M. de la Sale
vint nous rejoindre vers la fin
de Novembre s le jour même de
fon arrivée , nous defccndîmes
en canot la riviere des Miamis ,
jufqu’à l’embouchure d’une au-
tre nommée Chicacou , 8c nous
la remontâmes jufqu’à un por-
tage , qui n’eft qu’à une lieuë
de la grande riviere des Illinois.
Ayant mis à bord en cet en-
droit, nous y palfâmes la nuit
de l’ Amérique Sept. ifi
avec un fort grand feu ; car le
froid fut fi rude , que le lende-
main les rivières furent glacees
& impraticables. Il falut encore
i avoir recours au traineau, pour
conduire nôtre bagage jufqu au
I village des Illinois, où nous trou*
vâmes les chofcs dans le meme
j état où M de la Sale les avoir
laiifées ; le village étoit cepen-
! dant plus peuplé -, ce qui nous
donna occafion de nous remet-
tre un peu de nos fatigues „ &
d’y renouveller nos provilions*
Les rivières demeurant tou-
jours glacées , nous nous vîmes
obligez dç recommencer notre
chemin par terre ; le troilîeme
| de Janvier 1683. nous pouflâmes
nôtre traitte jufqu’a trente lieues
| au deffous. Là , le tems fe radou-
i cit , & les glaces fe fondirent f
| ainfi la navigation nous aïant
paru commode , nous nous mi*
Nouvelle Relation
mes en canot le 24. Janvier , èc
nous defeendimes la riviere des
Minois , jufqu’au fleuve Mijfiffi-
P > °ù nous arrivâmes le z. Fé-
vriar \ A confîderer la riviere des
nus. Illinois , depuis Ton premier por-
î 3 8 e 5 j eifqu a fon embouchure
dans ce fleuve, elle a bien cent-
foixante lieues de cours naviga-
ble : Les environs en font aulîi
délicieux , que fertiles 5 on y
voit des animaux de toutes ef-
peces , cerfs , biches , loups-cer-
viers , orignacs , bœufs fauvages,
chevres , brébis , mourons , liè-
vres, & une infinité d'autres,
mais peu de caftors : Pour des
arbres , ce ne font que bois à
haute fuftaïe, avec de grandes
allées , qui femblent tirées au
cordeau 5 outre les ormes , les
heftres , les platanes, les cedres,
les noyers , les châteniers , on y
voit des plaines toutes couver-
de V Amérique Sept. ifj
tes de grenadiers , d’orangers ,
de citronniers , en un mot de
toutes fortes d’arbres fruitiers.
En plufieurs endroits on y voit
! de grands ceps de vignes , donc
les farmens confondus parmi
! les branchages des plus grands
arbres , foutiennent des grappes
I de raifin fufpenduës , d’une
grolfeur extraordinaire.
Nous étanc embarquez fur le
Miffijfîpi, nous fuivîmes ce grand
fleuve -, à fix lieues de l’embou-
chure de la riviere des Illinois ,
j nous rencontrâmes celle des
Otages , dont le rivage & les Riviere
environs ne font ni moins agréa- d cs o~
! blés , ni moins fertiles ; il eft vrai za â eSi
I que fon eau charrie une fi gran-
! de quantité de limon , quelle
! altéré celle du Mijfijfîpi , &c la
! rend toute limoneufe jufqu’à
! plus de vingt lieues après fon
embouchure ; fes rivages font
Rivière
des
Ouaba-
chi,
IJ4 Nouvelle Relation
bordez de gros noïers ; on y voie
une infinité de chauflées faites
par les caftors , & la chafle y
eft tres-grande & fort commune
en remontant vers fa fource ; fes
bords font habitez par des Sau-
vages qui trafiquent beaucoup
en pelleteries; nous paflames u-
ne nuit à l’embouchure de cet-
te riviere.
Le lendemain , apres dix lieues
de navigation , nous trouvâmes
le village des Tœmaoas , nous n’y
rencontrâmes perfonne , les Sau-
vagess étant retirez dans les bois
pourhy verrier; nous y fîmes pour-
tant quelques marques pour leur
faire connoître que nous y a-
vions palfé. Enfuite continuant
nôtre route , nous tombâmes ,
après trois jours de courfe, dans
l’embouchure de la riviere des
Ouâbachi , qui vient de l’Eft , &
qui fe jette dans le MiJJiJjipii à
de r Amérique Sept,
quatre- vingt lieuës de celle des
i Illinois : c’eft par cette rivière
que les Iroquois viennent fai-
■ re la guerre aux Nations du
Sud. Nous cabannâmes une nuit
i dans cet endroit ; apres foixante
lieuës de courfe , fuivant tou-
; jours nôtre grand fleuve , nous
! prîmes terre a un bord habite
par des Sauvages , nommez
1 chicacha. Ce fut - là que nous
perdîmes un François de nôtre
fuite , nommé Prudhomme La
recherche que nous en fîmes
^ pendant neuf jours , nous don-
na occaflon de reconnoitre plp-
fieurs Nations , & de bâpir un
Fort en ce lieu , pour fervit aux
! François d’entrepaufe &C d habi-
. ration dans un pais auffi beau
que celui-là.
Durant cet intervalle , deux
de nos Chafleurs firent rencon-
tre de deux Sauvages Chicacha,
Deux
Chaf-
feurs
bien ie m
Nouvelle Relation
lauva? ‘N 1 ^ eur omirent de les condui-
gechi. 1- e dans leur village. Nos pens
«cha. entraînez par un efprit de curio-
fité , les fuivirent ; ils furent fort
bien reçus , enfuite comblez de
prefens , & priez par les Princi-
paux de faire en forte que nôtre
Chef les honorât d’une vifîte.
Nos gens tres-fatisfaits de cet
accueil , en firent leur rapport
à M. de la Sale , qui le lende-
main même s’y tranfporta avec
dix de fa troupe ; il y reçut tous
les bons traitemens qu’on peut
attendre de peuples les pins ci-
vilifez, & n’eut aucune peine de
leur infpirer les fentimens de
foumiffion d’obeïfiance pour
le Roy. Ces Sauvages même con-
fentirent volontiers à la perfe-
ction de nôtre Fort.
dcsTk^ ^ etCe Nation efi; fort nora-
cacha. ^reufe , & peut mettre deux mil-
le hommes fur pié ; ils ont tous
de r Amérique Sept. 157
la face platte comme une affiet-
te , ce qui eft un trait de beauté
! parmi eux -, c’eft pour cela qu’ils
j prennent foin d’applatir le vifa-
ge de leurs enfans avec des ta-
blettes de bois , qu’ils appli-
quent fur leur front , & qu’ils
fangîent fortement avec des ban-
des : toutes ces Nations jufqu’au
bord de la mer fe donnent cette
figure : tout abonde chez eux ,
blé , fruits , raifin , olives , pou-
i les domefiiques , poulets d’Inde,
outardes. M. de la Sale y a'ïant
reçu de fi bons rafraichiflemens,
êc apres leur avoir fait, par recon-
1 noiflance , prefent de quelques
' couteaux, Sc de quelques haches,
i s’en vint retrouver fes gens. En-
I fin après neuf jours d’attente,
j rrudhomme qui s’étoit perdu
dans le bois , où il n’avoit vécu
que de gibier , revint nous re-
joindre. M. de la Sale le chargea
Pru-
dhÔmc
perdu
dans les
bois,
yientre-
ij 8 Nouvelle Relation
joindre du foin d’achever le Fort , qu’il
ç 0 S if 5 ' nomma de Fon nom , & lui en
donna le commandement ; après
quoi il reprit Fa route Fur le mê-
me fleuve , vers la fin du mois
de Février.
Allât- Nous Fûmes trois jours Fans
fée C ar" ^ e ^ arc l uer > quatrième , après
un «m- avo * r Fait cinquante lieues, nous
bour. arrivâmes au village des Cappa :
a peine eûmes-nous mis pié à
terre, que nous entendîmes bat-
tre le tambour. D’abord croïant
voir les ennemis à nos troufles ,
nous nous jettâmes dans nos ca-
nots, & paFsâmes à l’autre bordj
ainfi nous Fîmes aulfi-tôt une re-
doute , pour nous mettre à cou-
vert de toute furptiFe. Les Sau-
vages vinrent nous reconnoître
en canot 5 nous leur envolâmes
Bons ^elqu’un de nos gens au devant,
traite- pour leur preFenter le Calumety
h,ens lIs Faccepterent volontiers , s’of-
de l’Amérique Sept. 159
frirent en même tems de nous 9“*^
S conduire dans leur habitation, [ cs
&: nous promirent toutes fortes Sauva-
de fecours. M. de la Sale ne ba- | e * pfa
| lança pas à y aller ; cependant
l’un des deux Sauvages prit le
| devant , pour donner avis de nô-
tre arrivée à ceux de fa nation.
Leur Chef accompagné des
principaux s’avança pour nous
| recevoir ; Dés qu’il vit M. de la
Sale , il vint le faluer d’une ma-
niéré fort grave , d’ailleurs ref-
pe&ueufe ; lui offrit tout ce qui
| dépendoit de lui , &C de fa na-
tion ; Sc l’aïant pris par la main,
il le conduifit dans fa cabanne.
M. de la Sale marchant avec
lui , témoigna combien il étoit
fenfible à fes honnêtetez , & lui
I fît entendre fon deffein & fes in-
| tentions , qui ne tendoient qu’à
I la gloire du vrai Dieu, & à lui
faire connoître la puiffance du
160 Nouvelle Relation
Roi des François. Etant arrivez
au village , nous vîmes une tres-
grande multitude de peuple, au
milieu de laquelle étoient plu-
lieurs archers rangez par file. Le
Chef, s’ellant quelque tems ar-
rêté, déclara à toute l’alFemblée,
que nous étions envoïez de la
part du Roi de France , pour
reconnoître l’Amérique Sep-
tentrionale ,& recevoir fes Peu-
ples fous fa prote&ion. Il fe fit
alors une acclamation generale,
par laquelle ce peuple parut té-
moigner fa joie : & aufii-tôt le
Chef a dura M. de la Sale de la
parfaite foumifiion de tout fon
peuple aux ordres du Roi ; le
conduisit dans fa cabanne , &
lui fit tous les bons traitemens
pollibles, auiîi-bien qu’à ceux de
fa troupe ; outre cela , il lui fit
des prefens fort conliderables -,
par exemple , beaucoup de blé
d’Inde,
de l* Amérique Sept. 1S1
! d’Inde , 6c d'autres provifions ne-
| celfaires , dont M. de la Sale fut
fort content , auffi-bien que de
toutes fes honnêtetez. Cette Na- Mceurs
I tion n’a prefque rien de fauvage; & cou-
! ds jugent par leurs loix 6c par
| leurs coutumes ; chacun y jouît pa.
! de fon bien en particulier , dans
| l’étendue de fa terre.
A huit lieuës de -là font les Nation
j Akancéas , dont les terres ont Ka s n „ “
plus de foixante lieuës : ils font ceas.
divifez en plufieurs villages , de
diftance en diltance. Les Cappa.
j nous donnèrent deux guides
pour nous mener jufqu’au pre-
mier , qu’on appelle Togengan:
il eft fur le bord d’un fleuve ,
| nous y fumes très- bien reçus :
à deux lieuës de celui-ci , nous
defcendîmes en canot à celui de
I Tournant ; 6c à fix lieuës de ce
? dernier , dans un autre appelle
CzMoni. Nous fumes par tout
O
Armes
«lu Roi
arbo-
rées au
bmic
de lar-
tillçrie.
Climat
de lc
pais, '
Nouvelle Relation
également bien reçus j & com-
me notre arrivée avoit déjà fait
du bruit dans toute la Nation ,
nous trouvâmes une fort nom-
breuse aflemblee de peuple dans
celui-ci j ce qui obligea M. de
la Sale d y faire arborer les Ar-
mes du Roi , au bruit de nôtre
Artillerie. L éclat 8c le feu de
nos armes imprima un tel ref-
peét , 8c jetta une telle confter-
nation parmi toute cette multi-
tude , que leur Chef nous jura
de la part de fa Nation , une in-
violable alliance. Ce climat, &
celui des Cappa eft le même; il
eft fur le 34 . degré de latitude ;
le pais abonde generalement
par tout, en grains, en fruits,en
gibiers de toute nature 8c de tou-
tes efpeces : la température de
1 air y eft merveilleufe ; on n’y
voie jamais de nége , très peu de
glace ; leurs cabannes font bâties
de V Amérique Sep, ■
! de bois de cedre , coûtes nattées
I, en dedans : ils nont aucun culte
déterminé ; ils adorent touces dc c r *|‘°
fortes d’animaux , ou pour mieux Habi-
| dire , ils n’adorent qu’une feule tans *
Divinité , qui fe manifefte dans
| un certain animal , tel qu’il plaît
! à leur Jongleur ou Prébitre , de
le déterminer; ainfi ce fera tan-
tôt un bœuf, tantôt un orignac ,
| tantôt un chien , ou quelque au-
tre ; Quand ce Dieu fenfible eft
mort , c’eft un deuil univerfel ;
mais qui fe change bien-tot en
; une grande joie , par le choix
qu’ils font d’une nouvelle Di-
vinité mortelle , qui eft toujours
prife d’entre les Brutes.
Environ foixante lieuës au
deflous de cette Nation, font les Taco-
Taencas , peuple qui ne cede ni cas *
en force , ni en beaute de cli-
| mat à aucun autre de 1 Ameri-
' que. Les Akancéas nous donne -
! Oij
Croco-
diles en
grand
oobre.
164 Nouvelle Relation
rent des guides pour nous y
conduire; nous étant mis en
canot , nous fuivîmes toujours
le cours du grand fleuve. Dés
la première journée nous com-
mençâmes à voir des Crocodiles
le long du rivage ; ils font en
très -grand nombre fur ces bords,
& d’une grofleur prodigieufe ,
il y en a de vingt ou trente pies.
A voir un animal fi monftrueux,
qui croiroit qu’il ne vient que
comme un poulet , & qu’il foie
éclos d’un œuf ; auffi on remar-
que qu’il croît tous les jours de
fa vie. Nous obfervâmes qu’ils
nous fuioient quand nous les
pourfuivions ; & que lorfque
nous les fuirons , ils nous pour-
fuivoient ; nous les écartâmes à
coups de fufil , & noirs en tuâ-
mes quelques-uns. Le jour fut-
vanr, étant arrivez vis-à-.vis du
premier village des Taencas . 3
de l* Amérique Sept. 1^5
- M. de la Sale me députa vers le
! Chef, pour lui apprendre fon ar-
rivée,^ me donna les deux gui-
des Akancéas , avec deux Abeua-
\ guis , pour me fervir de truche-
ment.
Comme ce village eft au-de-
là d’un lac qui a huit lieues
de tour , à demi lieue du bord;
il nous faiut porter un canot
d’écorce pour le traverfer , nous
le palfâmes en deux heures. Dés
que nous fumes far le rivage , je sc
fus furpris de- voir la grandeur
| du village, & la difpofition des
cabannes: elles font difpofées à village
divers rangs , & en droite ligne
autour d’une grande place* tou-
tes faites de boulîilîages,. & re-
couvertes de nattes de canne;
| Nous en remarquâmes d’abord
1 deux, plus belles que les autres;
| l’une étoit la demeure du Chef;
& l’autte le Temple 5 chacune
i66 Nouvelle Relation
avoir environ quarante piés en
quarré ; les murailles en étoienc
hautes de dix piés , & épaifles
de deux : le comble en forme
de dôme étoit couvert d’une
natte de diverfes couleurs : De-
vant la maifon du Chef étoienc
une douzaine d’hommes armez
de demi-piques : comme nous
nous prefentâmes , un Vieillard
s’adreffa à moi , & me prenant
par la main , il me conduifit
dans un veftibule , ôc de-là dans
une grande falle en quarré , pa-
vée &: tapiflée de tous cotez
d’une tres-belle natte ; au
fond de cette fale , en face de
l’entrée, étoit un tres-beau lit>
entouré de rideaux , d’une fine
étoffe , faite & tifluë de l’écorce
de meûriers. Nous vîmes fur
ce lit , comme fur un thrône, le
Chef de ce peuple , au milieu
Taécas de quatre fort belles femmes.
de l’ Amérique Sept. î6j
environné de plus de foixante
vieillards armez de leurs arcs &
de leurs flèches; ils étaient tout
couverts de cappes blanches &
fort déliées ; celle du Chef
étoit ornée de certaines houp-
pes d’une toifon différemment
colorée ; celles des autres
étoient toutes unies. Le Chef
portoit fur fa telle une thiare
d’un tiffu de jonc tres-induf-
trieufement travaillé & relevé
par un bouquet de plumes diffe-
rentes ; tous ceux qui étoient au-
tour de lui » étoient nud-tête ;
les femmes etoient pare es de <j C sfem~
vefles de pareille étoffe ; por- mes <fe
toient fur leurs têtes de petits
chapeaux de jonc , garnis de °
diverfes plumes : elles avoient
encore des braffelets tifïus de
poil j Sc plufieurs autres bijoux»
qui relevoient leur ajuftement »
O iiij
i£8 Nouvelle Relation
elles n’etoient pas tout-à-fait
noires , mais bifes , le vifage un
peu plat , les yeux noirs , bril-
lons , bien fendus , la taille
fine & dégagée , & toutes me
parurent d’un air riant & fort
enjotié.
Surpris , ou plutôt charmé
des beautez de cette Cour fau-
vage , j’adreffai la parole à ce
coiSÎ- venerabie Chef, Sc lui dis au
dtcffé nom deM. de la Sale, qu’aïant
au chef l’honneur d’être envolés de la
Sauva- P ar c du Roi de France , le plus
ges. puiffant des Rois de la terre,
pour reconnoître toutes les Na-
tions de l’Amerique , &pour les
inviter à vivre fous la domina-
tion d’un fi grand Prince, nous
venions leur offrir nôtre allian-
ce & nôtre proteélion , fous la-
quelle toutes les Nations d’en-
haut
de l’ Amérique Sept. 169
haut s’étoient déjà rangées : que
fi nous prétendions nous établir
dans ce pais , c’étoit moins pour
| les afifujettir fous un joug rigou-
reux , que pour les maintenir
j tous par la force de nos armes,
dans les bornes de leurs pofifef-
; fions, & pour leur faire part de
nos plus beaux Arts &c de nos
’ ri ch elfes -, moins pour leur ravir
leurs tréfors , que pour leur ap-
prendre à s’en fer vir; moins pour
| leur ôter leurs terres , que pour
leur enfeigner à les bien culti-
ver , &: pour leur ouvrir par la
navigation le commerce des nô-
| très ; moins enfin pour être leurs
! Souverains & leurs Maîtresse
| pour être leurs amis &c leurs frè-
res.
| Le Chef après m’avoir attcn-
i rivement écouté , & un de nos
I Abenaguis lui aïant expliqué le s
fens de mon difcours , m’embraf ponte,
j P
170 Nouvelle Relation
fa , me répondit d’un air doux
& riant , que fur le rapport que
je lui faifois de la grandeur de
notre Monarque , il avoir déjà
conçu pour fa Majefté tous les
fentimens de vénération 8c de
refpcd qu’on devoir à un fi
grand Princes qu’il auroit le
lendemain l’honneur de voir M.
de la Sale , &: de l’en aflurer
plus particulièrement. Là-deffus
Prefens î e oflris de la part de M. de
quon la Sale, une épée damafquinée
~ m c ' d’or 8c d’argent , quelques étuis
garnis de rafoirs , cifeaux 8c
couteaux, avec quelques bouteil-
les d’eau de vie. Je ne faurois a£
fez exprimer avec quelle joïe il
Une de re çut tous ces petits prefens : Je
fès fem- m’apperçus cependant qu’une
moi- de les femmes maniant une paire
gncntfî- de cifeaux , 8c en admirant la
P ro P r eté , me fourioit de tems
quelle a en tems , 8c fembloit m’en de-
de l'Amérique Sept, iji
mander autant ; Je pris mon a ’ avo ^ r _
tems pour m’approcher d’elle , re de
& aïant tiré de ma poche un pe- eifeanx.
tit étui d’acier travaillé à jour ,
où il y avoit une paire de cifeaux,
& un petit couteau d’écaille ; S>C
faifant femblant d’admirer la
blancheur & la finefle de fa vef-
te , je lui mis finement l’étui
dans la main : En le recevant elle
ferra fortement la mienne , &
me fit concevoir par-là y que ces
femmes n’ ont pas tout-à-fait le
cœur fauvage , &: qu’elles pour-
roient bien s’apprivoifer avec
nous.Une autre de lacompagnie, Uueau*
«ui n’étoitni moins propre , ni trefetn -
moins agréable que celle-ci , man d c
nous étant venu joindre, me des -é
fit entendre , en me montrant P in S 1 *’
les épines qui lervoient d’at-
tache à fa juppe , que je lui ferois
plaifir de lui donner des épin-
gles; Je lui en donnai un rouleau
. p n
i?i Nouvelle Relation
de papier garni , avec un étui
d aiguilles, & un dé d’argent.
Elle reçut ces colifichets avec
une joie tout-a-faic grande: j’en
donnai autant aux deux autres»
La mieux faite, & celle qui pa-
roifibit la plus aimable , aiant
pris garde que j’admirois le col-
lier qu’elle portoit à fon coû ,
elle le détacha adroitement, &
me 1 offrit d une maniéré tout-à-
fait honnefte : Je me défendis
quelque temps de l’accepter :
mais le Chef lui aïant fait ligne
de me le donner , je ne pus me
difpenfer de le recevoir , à def-
fein de le prelènter à M. de la
Salle. Pour lui témoigner ma
reconnoifiance , je lui donnai dix
brades de rafade bleue, quelle
me parut eftimer pour le moins
autant.
donne 11 Cependant comme le jour de-
oaHC ‘ clinoic , je voulus prendre con»
de l'Amérique Sept. i/$
gé du Chef de cette Nation ; p« îes
mais il me pria fortement cl at-
tendre au lendemain , ôc me re-
mit entre les mains de quelques-
uns fes Officiers , avec ordre de
me faire bonne chere. Je n’eus
pas beaucoup de peine à me
rendre à fes offres ; &: l’envie que
j’avois d’apprendre leurs mœurs
& leurs maximes , me fit refter
avec plaifîr. On me conduifit
d’abord dans un appartement
meublé à peu prés comme celui
du Prince: on m’y donna une col-
lation mêlée de gibier & de fruit,
je bus même quelques liqueurs.
Pendant ce tems-là je m’en- Lellt
tretenois avec un vieillard , qui devoû
me fatisfit fur tout ce que je
lui demandois. Pour ce qui con- leur
cernoit leur Politique , il me dit thtf-
qu’ils ne fe gouvernoient que
par la feule volonté de leur
Chefj qu’ils le reveroient corn-
P iij
l 7 4 Nouvelle Relation
me leur Souverain •, qu’ils recon-
noifloient les enfans comme les
légitimes Succelîeurs •, que lors-
qu il mouroit , on lui facrifioit
la première femme , fon pre-
mier Maître-d’hôtel , &■ vingt
hommes de fa Nation , pour
1 accompagner dans l’autre mon-
de : Que durant fa vie, perfonne
ne buvoit dans fa talle , ni ne
mangeoit dans Ion plat, nin’o-
feroit palTer devant lui quand il
marche : qu’on prend foin non
feulement de nettoïer le che-
min par où il palfe , mais de
le joncher d’herbes & de fleurs
odoriférantes. J’obfervai dans
le peu de tems que je fus en la
prefence, que s’il parloit à quel-
qu’un , avant que de lui répon-
dre , il faifoit de grands hurle-
mens ; Je priai ce bon vieillard
de m’en dire ia raifon : il me
dit que ces hurlemens étoient
des marques d’admiration & de
de l’Amérique Sept < 175
refpect. A l’égard de leur Reli-
gion , il me die qu’ils adoroient gion .
le Soleil, qu’ils avoient leurs
Temples , leurs Autels' & leurs
Prêtres ; Que dans ce Temple
ils y entretenoienfci-ua feu per-
pétuel , comme le fymbole du
Soleil ; qu’à tous les déclins de
| la Lune , ils portoient par for-
me de Sacrifice , à la porte du
Temple , un grand plat de leurs
mets les plus délicats, dont leurs
j Prêtres font une offrande à leur
Dieu ; & qu’enfuite ils l’empor-
j toient chez eux pour en faire
grand’-chere.
| A l’égard de leurs Coûtâmes, ^
que tous les Printems ils vont mcs .
j en troupe dans quelque lieu e-
! carté, défricher un grand ef-
! pace de terre , qu’ils piochent
! tous au fon du tambour ; qu’en-
fuite ils prennent foin d’appla-
nir la terre , d’en faire un grand
1 7 & N ouvelle Relation
champ , qu’ils appellent le De-
fin , ou le Champ de l'ejprit.
En effet, c’eft-là qu’ils vont en-
tretenir leurs rêveries , &c atten-
dre les infpi rations de leur pré-
tendue Divinité. Cependant
comme tous les ans cet exerci-
ce fe renouvelle , il arrive qu’ils
défrichent infènhblemen; toutes
leurs terres , & qu’elles leur
rapportent par-là de plus grands
revenus. En Automne iis cueil-
lent leur blé d’Inde > ils le gar-
dent dans de grands panniers
jufqn’à la première Lune du
mois de juin de l’année fuivan-
te. En ce tems-là les familles
s afîemhlent , & chacun invi-
te les amis ou les voifins à
venir manger de bons gâteaux,
à quoi ils joignent de la vian-
de , &: ainfi ils paflent la journée
en feflins.
V oila tout ce que je pus ap-
de V Amérique Sept. ijj
prendre ce jour-là de leur Re-
ligion , de leur Gouvernement
& de leurs Coutumes. Le len-
demain j’eus la curiofité de voir Lcür
leur Temple avant mon dépare, Téple.
le même vieillard m’y accom-
pagna : La ftruélure en dehors
en eft toute femblable à celle de
la maifon du Chef ; Il eft en-
fermé dans le circuit d’une gran-
de muraille , l’efpace qui eft en-
tre-deux , forme une efpece de
parvis , où le peuple fe prome-
né ; on voit au dcftlis de cette
muraille un grand nombre de
piques , fur la pointe defquelles
on met les têtes des ennemis ,
ou des plus grands criminels :
Au deflîis du frontifpice on voit
un gros billot fort élevé , entou-
ré d’une grande quantité de
cheveux , & chargé d’un tas de
chevelures en forme de trophée.
Le dedans du Temple n’eft qu’u-
178 Nouvelle Relation
ne nef peinte ou bigarrée en
haut par tous les cotez , de plu-
lîeurs figures differentes. On
voit au milieu de ce Temple un
grand foïer qui tient lieu d’au-
tel, où brûlent toujours trois
groffes bûches mifes de bout
en bout , que deux Prêtres re-
vêtus de grandes cappes blan-
ches , prennent foin d’attifer.
C’eft autour de cet Autel en-
flâmé , que tout le monde fait
fes prières , avec des hurlemens
extraordinaires. Ces prières fe
font trois fois le jour , au lever
du Soleil , à midi , & à fon cou-
cher. On m’y fit remarquer un
cabinet ménagé dans la murail-
le 5 le dedans m’en parut tres-
beau , je n’en pus voir que la
Voûte, au haut de laquelle é-
toient fufpendus les corps de
deux aigles deploïées & tour-
nées vers le Soleil} je demandai
de /’ Amérique Sept, vjy
à y entrer; mais on me dit que
c’étoit-là le Tabernacle de leur
Dieu , & qu’il n’étoit permis
qu’à leur grand-Prêtre d’y en-
trer- J’appris cependant que c’é-
toit-là le lieu deftiné pour la
garde de leurs tréfors & de leurs
richeifes , comme perles fines ,
pièces d’or & d’argent , pierre-
ries , & même plufieurs mar-
chandées européennes , qu’ils
trafiquent, avec leurs voifins.
Après avoir vu toutes ces cu-
riofitez , je pris congé de ceux
quim’accompagnoient. Je m’en
retournai avec mes deux inter-
prètes vers M. de la Sale , à qui
je rendis un compte fidele de
tout le bon traitement, que j’a-
vois reçu du Chef des Tacucas,
de fa magnificence , &c fur tout
de la difpofition où il étoit de
reconnoître l’autorité du Roi.
Quelque tems après, nous le
1S0 Nouvelle Relation
Kt m!” v * mes . ârr ‘ ver dans une pi roque
de la magnifique, au fondu tambour
Saie ‘ & de la mufique des femmes qui
1 accompagnoient s les unes é-
toient dans fia barque , les autres
voguoienc à côté de la fienne.
M. de la Sale le reçut avec un
relpect mêlé d’un certain air de
gravité , qui repondoic au cara-
élere qu il devoir fioutenir en
cette rencontre ; il le remercia
de l’honneur de fia vifite , & lui
témoigna qu il ne la recevoir
qu au nom du Prince , de la part
duquel il étoit envolé ; Que ne
doutant pas qu’il ne fût dans les
fenriraens de reconnoître la
pui fiance , il l’afiiiroit de fia pro-
tection & de fion amitié roïale.
Le Chef des Tacucas répondit ,
que ce qu’il avoit appris de la
grandeur du Roi des François ,
& de la valeur de fies Sujets ,
ne lui avoit pas permis de balan-
de V Amérique Sept . 1S1
cet un moment lur les homma-
ges qu’il venoit lui rendre en fa
perfonne; &que tout Souverain
qu’il écoit , il fe foumettoit vo-
lontiers à la puiflance de nôtre
grand Roi , & qu’il feroit ra-
vi de mériter par Tes fervices
nôtre p'roteûion & notre allian-
ce. Après ces proteftations d’a-
imicié de part & d’autre , ils le
firent des prefens réciproques.
M. de la Sale lui offrit deux
jb rafles de rafade , &C quelques
étuis pour fes femmes. Ce Chef
des Sauvages lui donna fix de
fes plus belles robes , un collier
de perles , une piroque toute
remplie de munitions &c de vi-
vres; après quoi l’on apporta une
douzaine de caraffes d’eau de
| vie préparée avec le fucre & le
■noyau flamande &: d’abricot. La
'Santé du Roi y fut bue au bruit
de nôtre artillerie ; enfuite cel-
ï 82 Nouvelle Relation
ie du Chef des Tacucas ; après
quoi il remonta fur fa piroque ,
S£ s’en retourna tres-content.
Nous reliâmes encore fur ce
bord toute la journée; nous prî-
mes hauteur , & nous nous trou-
vâmes au vingt-cinquième de-
gré de latitude. Le lendemain
2,2. Mars de la même année 1683.
nous allâmes coucher à dix lieues
de-là.
M. de la Sale , a'iant apperçu
une piroque qui venoit nous re-
connoître , m’ordonna de lui
donner la chaffe. Je courus d’a-
bord vers elle; mais comme j’é-
tois fur le point de la prendre,
plus de cent hommes parurent
fur le bord de l’eau , l’arc bandé,
tout prêts à nous tirer. M. delà
Sale me fit faire ligne par de
grands cris , de n’aller pas ou-
tre ; & m étant aullî-tôt venu
joindre avec Ion monde, nous
de l' Amérique Sept. 185
allâmes nous camper vis-à-vis
d’eux , le moufquet en jolie.
Cette contenance les aïant é-
tonnez,ils mirent les armes bas ;
j& je fus fur le champ comman-
dé pour leur aller porter le Ca-
lumet. Après les avoir abordez,
je leur offris le collier de paix ;
iis l’acceprerent de bonne grâce,
ttfembrafferent , & me firent
connoître qu’ils vouloient être
de nos amis. M. de la Sale, aïant
remarqué la manière obligean-
te dont ils rn’avoient reçu , vint
jnous joindre au même bord;
Aulfi-tôt ces Sauvages,l’aïant re-
connu pour nôtre Commandant,
lui rendirent toutes fortes d’hon-
neurs. Il leur témoigna qu’il
n exigeoit rien d eux qu une re-
connoifiance & qu’une foumif-
fion volontaire aux ordres de nô-
s tre grand Monarque : à quoi il
ajouta l’exemple des Nations fu-
Naches
parta-
gez en
deux
domi-
nations.
184 Nouvelle Relation
perieures , & fe fervic des mê-
mes raifons dont il s’étoit fervi
en de pareilles occalions. Ils lui
répondirent qu’ils avoienc leur
Chef, & qu’ils ne pouvoient
rien faire que par fon ordre ;
qu’ils s’offioient de le faire ve-
nir vers nous , ou de nous con-
duire jufqu’à fort habitation. M.
de la Sale toujours fort aife de
reconnoître la fi tu a don , les
mœurs , & les facultez de tou-
tes ces Nations, prit ce dernier
parti. Leur village étoit à qua-
tre grandes lieues du bord du
fleuve ; nous n’y fûmes pas plu-
tôt arrivez , que le Chef vint
nous recevoir : Il nous condui-
fit dans faeabanne, où il nous re-
gala tres-bien. C’étoit le Chef
de la Nation des Naches. Ce
peuple eft partagé en deux do-
minations i celle-ci étoit la moin-
dre ; leurs terres ne vont pas à
igy de l’ Amérique Sept. i%6
plus de vingt lieues à la ronde.
Le Prince qui commande à ces
Peuples , pria M. de la Salle de
vouloir bien accepter quelques pre.
fensdu pais. M. de la Salle lui donna
une hache , une marmite , & quel-
ques couteaux. Nous en reçûmes en-
core quelques prcvifîons , & nous
nous feparâmes très - fatisfaits les
uns des autres. Il nous fit donner deux
guides pour nous accompagner juf-
ques dans l'autre Nation du même
nom , qui eft dix lieues plus avant
dans les terres.
Nous étant mis en chemin fous la Autres
conduite de nos guides, nous arriva- Peuples
mes , le foir même , au village des appelles
JSIaches. Cette Nation peut mettre en
tout tems trois mille hommes fous les
armes. Leurs terres portent du blé
d’Inde, de toutes fortes de fruits", des
oliviers & des vignes On y voit de
vaftes prairies , de grandes forêts , de
joutes fortes de beftiaux ; la pefcbe
10 7 nouvelle Relation
gM, C r heftl , mS re Ç U 5 aveC jOÏe; HOUS
*E prefent de provifions de bouche
& nous regala de tout ce qu’il avoir
de meilleur. Le lendemain de nôtre
arrivée , nous y arborâmes les Ar-
mes du Roi au bruit de nos mouf-
quets ; après quoi , nous prîmes con-
ge de leur Chef , qui nous aflura
dune parfaite foumiffion.
Etant rentrez dans nos canots,
apres huit lieues de navigation
nous defcendimes au village de Col
Coroas, roas. Le Chef nous y fie le même
dS- fait ? 611 qUC kS aUtrCS n ° US avoient
Le lendemain , 27. Mars 1681.
La Sa- j,° US caban names à l’embouchure
bloniere d u » e rIvler e , qui vient de l’Oüeft :
rivière ° n la nomme U Sabloniere. A dix
divifée lieues de là, nous remarquâmes
canaux 5 q “ elle f e P arCa S e en ^ois canaux. Je
canaux. pns ceJm de k droite> dfi j F J
de l Amérique Sept. i $9
r et celui de la gauche , & M.
de la Sale celui du milieu.. Nous
luivîmes chacun nôtre canal,
environ dix lieues , & peu de
tems apres , nous nous trouvâ-
mes reünis par une elpece de
confluent fur le meme fleuve. A
peine eûmes - nous fait fix
lieues enfemble y que nous ap-
perçûmes des pefeheurs fur le
bord de l’eau : côtoient des
. Des qu'ils nous vi-
rent approcher , ils allèrent a- P 1 ^^
vertir leurs gens ; auffi-tôt nous g Cs .
entendîmes battre le tambour,
& le rivage fut bordé de Sauva-
ges armez d’arcs de fléchés*,
nous voulûmes envo'ier quatre
François à la découverte, mais
ils furent rudement repou (fez à
force de traits * quatre de nos
Sauvages voulurent s avancer de
même, ils furent également trai-
tez * de forte que M. de la Sa-
190 Nouvelle Relation
le ne voulant rien rifquer, &
ii étant point d’humeur à forcer
ces gens-là , il trouva plus à
propos de les 1 aider en repos ,
que de paffer outre.
A douze lieues des JjfmnipiJJas,
nous tombâmes fur la droite,
£& dans le village de Rangibao \
lagc. nous le trouvâmes pillé, faccagé
& quantité de corps morts en-
taflez les uns fur les autres. Ce
Ipeétacle nous fit frémir , & ju-
geant bien qu’il ne faifoit pas
bon fur ces rivages , nous payâ-
mes plus loin ; & après dix lieues
de chemin, nous commençâmes
a nous appercevoir que l’eau
éto^t falée, la plage nous parut
plus étendue ,& toute femée de
coquilles différemment figurées,
les unes en gondoles , les autres
en pointes fpiralés , & toutes
ornées de plufieurs couleurs.
Nous allâmes plus avant , & a-
de /' Amérique Sept. ip%
prés une heure de navigation s
nous nous mîmes en un canoc
fur la mer , nous côtoîâmes le
rivage , environ un grand quart
de lieuë , pour mieux connoître
les bords , & nous revînmes en-
fin prendre terre à l’embouchu-
re de nôtre fleuve.
Ce qui arriva le 7. Avril de Terme
l’année 1^83. D’abord nôtre pre-
mier foin fut de rendre grâces don.
à Dieu y de nous avoir fi heu-
reufement conduits ju (qu’au ter-
me de nôtre voïage , après plus
de huit cent lieues de naviga-
tion &: de courfe avec fi peu
de monde , fi peu de munitions»
& au travers de tant de Nations
barbares , que nous n’avions pas
feulement decouvertes , mais en
quelque façon foumifes. Nous
chantâmes le Te Deum-, enfuite
de quoi , portant nos canots &
nôtre équipage fur des traîneaux»
I9i Nouvelle Relation
nous allâmes cabanner un peu
au dellus de la plage, pour nous
mettre à couvert du reflux qui la
couvre toute entière , après l’a-
voir laiflee à fec pendant flx
heures.
Aïant choifi le lieu de notre
nouveau campement , nous at-
tachâmes une Croix au haut d’un
gros arbre , & nous y arborâ-
mes les Armes de France j apres
quoi nous conftruisîmes trois
ou quatre cabannes auprès, au
milieu de quelques retranche-
mens. Enfuite M. de la Sale prit
Les points de hauteur pour de-
Miffif- term iner l’embouchure du Mifi
fipi, fon JtJfipi. Les Efpagnolsqui l’avoieüt
X b r° U futilement cherchée , avoient
déjà donné à ce fleuve le nom
del Rio afcondido : Selon le cal-
cul de M. de la Sale , c’efl: en-
tre le zz. & zj, degré de latitu-
de , qu’il Le jette dans le Golphe
Mexique
de l’ Amérique Sept 193
Mexique, par un gros canal qui
a deux lieues de largeur , qui
eft profond, 8c tres-praticable.
Avant que de quitter fes bords, s«
M. de la Sale voulut un peu les kords.
reconnoître.Ileft confiant qu’au-
prés de la mer ils font inhabi-
tables, tant à caufe desfrequen-
tes inondations du Printems ,
que pour la fterilité de la plage.
Ce n’eû par tout ce pais , que
cannes , «onces , & bois ren-
verfez ; mais environ une lieue
8c demie dans les terres -, c’efl
le plus beau fejour du monde ;
grandes prairies , bois francs ,
remplis de meuriers , ndiers ,
chaftaigners. On y voit des cam-
pagnes couvertes de toutes for-
tes d’arbres fruitiers , d’orangers,
de citronniers, de grenadiers ; des
coteaux chargez de vignes ; des
champs qui portent deux fois
l’an du blé d’Inde. On voit
R
CihoUs }
cfpece
de gros
bœufs .
Cornet
s’en fait
îa ch ai-
le.
194 Nouvelle Relation
dans les étangs , ou fur les riviè-
res, toutes fortes d’oifeaux aqua-
tiques , comme canards , oyes ,
macreufes , plongeons ; dans les
bois &c dans les campagnes tou-
tes fortes de volatiles , perdrix,
faifans , cailles ; d’animaux à qua-
tre piésde toutes efpeces, fur-tout
de gros bœufs qu’on appelle Ci -
kolas: ils font beaucoup plus gros
que ceux dont nous avons déjà
parlé, & boffus depuis le chignon
du coû, jufqu’au milieu du dos:
ils paillent dans les cannes , &
s’attroupent jufqu’au nombre de
quinze cent. On en fait la chafl'e
d’une maniéré allez particulière ;
Comme ils font au milieu de ces
cannes dans des forts impéné-
trables , les Sauvages font un
grand circuit autour, & y met-
tant le feu par divers cotez, fur-
tout quand le vent fouille un
peu plus fort quà l’ordinaire ,
de T Amérique Sept* 195
;ils excitent un grand incendie,
tout l’air eft d’abord rempli de
fumée , laquelle fe change
en flâme en un moment ; &c la
rapidité du feu jointe au bruit
efftoïable que fait cette forêt
fragile & brûlante , jette l’épou-
vante dans le troupeau. Ces gros
bœufs effraïez fuient de toutes
parts -, les Sauvages perchez de
diftance en diftance fur des ar-
bres , dardent les uns,tirentfur les
autres , & en font une bouche-
rie incroyable. Par un hazard
fortuné , les Sauvages Tangibao ,
Jguinipijj'as , Naches , ( car plu-
fieurs Nations fe joignent en-
femble pour cette chalfe ) firent
une chaflê pendant notre fejour,
& nous y profitâmes de trois gros
bœufs , qu’ils nous abandonnè-
rent-, & les aïant dépecez, nous
en fîmes bonne -chere pendant
«ois jours , & nous en eûmes
i #6 Nouvelle Relation
encore de refte pour le jour de
nôtre départ.
M. de la Sale voulant aller
faite part de les decouvertes à
M. le Comte de Frontenac , &
défilant confirmer les peuples
qu'il avoit reconnus,dans les bons
fentimens qu’ils avoient déjà
conçus pour nôtre Nation, refo-
lut de remonter le même fleuve
vers les Illinois ; de là regagner
les Lacs , pour aller à J? 'uebec ,
& enfuite faire voile en France,
à deflein d’informer la Cour de
fes voïages & de fes découvertes.
L’onzième d’ Avril de la mê-
me année 16.83. nous nous remî-
mes en canot fur le même fleu-
ve : Nous étions au nombre de
foixante perfonnes. Comme ce
fleuve, environ cinquante lieues
au deflus de 5 la mer , fe divife
en trois grands canaux , qui fe
réünilTent en un fe.ul , npus ar-
'• /
de l’Amérique Sept. i 97
rivâmes dés la première journée
au confluent de ces trois ras,
& la fixiéme après , à la pointe
de fa divifion. Laies vivres aiant
commencé à nous manquer , 1
falut pourvoir à cette neceflite.
Nôtre première reffource furent
les Crocodiles -, nous en tuâmes ( ],; es f cr .
d’abord deux d’une médiocre
prandeur -, la chair en eft terme, £u , c<
blanche &: d’un tres-bon goût-,
elle a la fermeté du Thon, & la
douceur du Saumon > nous nous
en régalâmes pendant quelques
purs , mais le courant du neuve
nous paroiflânt de jour en jour
plus rapide, nous fumes obligez
d’aller par terre , &c de condui-
re nôtre équipage avec des
traîneaux jufqu’aux ^uiniptjjas.
Comme ce peuple nous avoit
tres-mal reçu en defccndant 5
nous crûmes devoir prendre nos
mefures pour nous le rendre
R iij
i5>S Nouvelle Relation
plus traitable ; c’eft pourquoi
nous envoiâmes deux Ahena-
guis , & deux Loups à la décou-
verte. Ceux-ci n’aïant rencontré
©uatre ^ ue < l ua£re femmes , nous les
femmes amenèrent le loir même. Cet-
* 3 . . te capture nous fit piaifir, &
pàias nous elperames pouvoir par-là
paies, réduire ces Sauvages à tout ce
que nous voudrions. II eft vrai
que nous en niâmes à l’égard de
ces femmes avec toute la difere-
tion l’honnêteté pofïible ; &
le lendemain nous étant appro-
chez de leur village 3 nous leur
en ren volâmes une avec quel-
ques prelens , pour leur témoi-
gner que nous ne voulions que
leur amitié , & quelque fecours
de vivres. Elle leur fit montre
de quelques paires de cifeaux
de quelques couteaux que nous
lui avions donnez ; leur fit rap-
port de nôtre bon trairementj&t
i,rAn,eri<tM.S't'- W
«le nos intentions. D abord qna
tre des Principaux de leur Na-
tion vinrent nous apporter quel-
ques munitions ,& nous inviter a
venir nous réjouir dans leur habi-
tation.Nous remîmes les trois au-
tres femmes entre leurs mains
comme nous les avions pnfes ; &
nous nous approchâmes d eux, en
nous tenant toujours fur nos gar-
des. Dés que nous fûmes arrivez
à leur village, ils nous prelente- Cara>
rem de leurs fruits , & quelque^
oifeaux de rivrere allez bien ap- g»
prêtez. Après nous être remis ôl ^
nous nous retirâmes environ çepe '
©as â l’écart , & cabotin âmes ce
foir entre leur village Sc le neu’
ve. Dés la pointe du jour » ces
traîtres nous environnèrent , &C
nous attaquèrent ; mais ils ne
nous trouvèrent point endor-
mis ; nous avions fait fentmelle
toute la nuit , & dés leur pre-
R ni)
zeo Nouvelle Relation
miere approche , nous fûmes m
ctat c les repoulfer ; nous en
je«.tames d abord cinq ou fix par
terre , le refte prit la fuite , &
les axant pourfuivrs , nous nous
contentâmes d’en tuer encore
d f ux , ou trois autres , & leur
c e ^ c | ure nous fervit à faire un
trophée.
Delà nous pouffâmes iufques
aux Nacbes ; nous y avions ca-
che du blé d’Inde en dépen-
dant , nous l'y retrouvâmes en
fort bon état; le Chef nous y
vint auflj-tôt recevoir. M. de la
oale , après les premières civili-
tez, lui prefenta les chevelures
oes ^mmpijfas , les plus grands
ennemis de fa Nation. Ce pre-
fent ne lui déplut pas, & lui fi c
concevoir que nous n’étions pas
gens a nous iaiffer infulter impu-
nément. II nous ht d’abord pre-
f enter quel ^ues rafraîchiffemens*
de PAmerique Sept- ^oï
i|Ue nous acceptâmes volontiers.
Cependant nous prîmes garde
qu’il n’y avoit point de femmes
dans leur village -, ce qui nous fit
foupçonner quelque méchant
deflein de leur part : Nous man-
gions & buvions à bon compte,
comme gens qui ne fe mêlent
de rien , cependant fans quitter
nos armes. Quelque tems apres.,
nous vîmes arriver à la file grand
nombre de combattans ; nous
nous mîmes d’abord endefenfe;
le Chef nous pria de ne point
entrer en aucune défiance. Il
s’avança vers fes gens, leur com-
manda de faire alte à une cer-
taine dilfance , & revint nous a £
furer que c’étoit quelques-uns
des leurs qui venoient de la pe-
tite guerre contre les Iroquoisj
& que toute leur Nation n’avoit
d’autre defiein , que de fe main-
tenir dans nôtre amitié. Il ac-
f©* 'Nouvelle Relation
eompagna Tes paroles de quel»
ques prefens , & de quelques
nouvelles provisions ; & les aïant
acceptées de bon cœur , nous
iaiflâmes par reconnoiffance une
partie de nos canots , qui nous
embarafloient ; Sc nous nous re-
tirâmes Tains & fauves ; mais
nous n’en fûmes redevables qu’à
nôtre précaution.
Enfuite nous continuâmes nô-
tre route vers les T acucas , les
Akancéas, qui nous firent les mê-
mes honnêtetez qu’en defeen-
dant. C’eft ainfi que paflant au
travers de tant de differens-
peuples , nous éprouvions la fi-
delité des uns, & l’infidélité des
autres ; & que joignant la vigi-
lance à la douceur & à la fer-
meté , non feulement nous nous
mettions à couvert de leurs em-
bûches , mais encore nous la-
vions les mettre à la raifon s , U-
de f Amérique Sept, iop
les réduire à- nôtre obeiffance.
Nous prîmes congé des Jkan~
èéas le ri. jour de Mai; Nous
pouffâmes jufqu’à l’embouchure
de la riviere des Illinois j enfuite
nqus continuâmes nôtre route le
long de fes bords, en remontant
jufqu’au Fort Prudhomme , où M.
de la Sale tomba dangereufement
malade. Le Pete Gabriel relia
auprès de lui , avec une bonne
partie de Ton monde ; &£ )e tus
commandé avec vingt hoînmes,
pour aller a Mi jjiliwachindC ,
mettre ordre a Tes affaires. Je
me feparai d’avec lui le ij. Mai
de la même année 1683.
J’allai coucher la première
journée chez les Ouabaches , qui
me reçurent très -bien.
A vingt lieuës pins haut , je fis iro-^
rencontre de quelques Iroquois. ^ u u ° t IJ c ’ a .
Ces Sauvages fi terribles d ail - ra&ets..
leurs , paroiffent doux quand ils
£<*4 Nouvelle Relation
font les plus foibles , & font gen§
fans picie , quand ils ont l’avan-
tage. Ceux-ci qui n’étoient qu’au
nombre de cinq , me dirent que
j allois bien-côt donner dans u-
ne troupe de plus de quatre
cens hommes bien armez. Cet
avis m’obligea de me tenir fur
mes gardes : En effet , à peine
eumes-nous fait un quart de
Iieuë , que nous découvrîmes
une petite armée. A la vérité,
il n y a pas plaifîr de trouver
fur Ces pas ces Barbares attrou-
pez , fur-tout quand ils n’ont
pas fait coup ; nous ne laiffâmes
pas d’aller nôtre chemin. Ils
nous parurent d’abord des Iro-
qucis , &c ce n’étoit que des Ta-
varoas , qui s’étoient joints avec
quelques Illinois. Eux de leur
cote nous vo’ïant avec nos ar«
mes a feu , nous prirent au (S
pour des Iroquois , & firent mine
deT Amérique Sept. lof
de nous vouloir envelopper , à
deffein de nous brûler ; car c eft
le moindre châtiment qu’on fait ^ c ™ te *
fouffrir à ces barbares, quand qucieur
on les tient : Telle eft l’horreur foiit les
que toutes les Nations ont pour pci) pi e!?
eux; mais les Illinois nous aïant
reconnusses Tavaroas débandè-
rent leurs arcs , nous firent
part de leurs munitions. Nous
pourfuivimes nôtre route jufqu’à
lâ rivière ebicacou ; & âpres
vingt journées de traitte , nous
arrivâmes enfin vers le commen-
cement du mois de Juillet a
Miffdimachinac , où nous atten-
dîmes M. de la Sale , qui nous
•y vint joindre au mois de Sep-
tembre de la même année. Il n’y
refta que trois jours, pour don-
ner quelque ordre à fes affaires.
Il me chargea du foin d’aller
achever le Fort S. Louis , m’en
accorda le Gouvernement, avec
ZG6 Nouvelle Relation
im plein pouvoir de difpofer dei
terres des environs 5 & remit
tout Ton monde fous mon com-
mandement , à la referve de fîx
François qu’il prit avec lui pout
I accompagner jufqu’à Qmebec.
Nous partîmes le même jour 9
lui pour le Canada , moi pour
les Illinois.
Je pris d’abord mon chemin
vers les Mi ami s , à la tête de
quarante hommes , tantFrançois
que Sauvages. J’y arrivai le fi-
xiéme de Janvier 1684. J’en vi-
ciiez les ^tai Fort qui étoit en fort bon
Miamis état. J’y 1 aidai dix hommes de
ma troupe bien, armez j enfuite
m’étant remis en chemin , je me
rendis à la fin du mois au Fort
Louis ; j’y fis travailler auiîî-
tot ; & en moins de deux mois
je le mis dans fa derniere perfe-
dlion. J’invitai auffi-tôt toutes
les Nations voifines à y venir.
de l'Amérique Sept. i®7
Je n’eus pas beaucoup de peine
à les y attirer * la beauté du
païs , la fécondité des terres 3 la
commodité d’une rivière très-
marchande , le voifinage de cent
Nations differentes , la proximi-
té de ces étangs ou plutôt de
ces petites mers, qui ouvrent le
commerce à toute l’Amerique
-Septentrionale , depuis le fleuve
S. Laurent, jufqu’au Golphe
Mexique : Enfin , la fituation a-
vantageufe de ce nouveau Foir tÿ
qui devoir fervir de rempart aux
nouveaux habitans de ces Ter-
res , contre rirruption des Bar-
bares , il n'en faloit pas davan-
tage pour inviter toutes les Na-
tions des environs a. y venir
Taire des habitations. On vit en
tres-peu de tems plus de cinq
cent cabannes bâties fur ces
bords ; Sc en moins de deux
mois il v eut un concours mer~
J V
to§ Nouvelle Relation
veilleux de tous ces peuples dif
ferens. Cela feul peut facilement
faire comprendre avec quelle
facilité l’on pourroit hnmanifer
ces Nations fauvages , G l’on fe
donnoit la peine de les apprivoi-
ser par de petites Colonies de nos
Europeans : car en quelque pe-
tit nombre qu’ils puiflént être ,
ils font parmi ces Barbares com-
me le ciment de la concorde ÔC
de la focieté civile.
deAidc ^ e P en dant M. de la Sale é-
IaSai'e à tant arrivé à Québec , eut le cha-
^uebec. grin de n’y pas rencontrer M. le
Comte de Fontenay ; il étoit re-
palfé en France"par ordre de la
Cour. Dés fon arrivée , il ne
manqua pas d’informer toute la
Ville de fes grandes découver-
tes , & de la foumifîion volon-
taire de tant de Nations diffe-
rentes à la puiflance du Roi. On
chanta le Te Deum } en aélion de
grâces
de l’Amérique Sept. zo$
grâces pour cec heureux accroil-
fement de gloire à îa Couronne.
L’emprelfement qu’avoir M. de
la Sale , d’aller faire parc au Roi
& à fes Miniftres , du fuccés de
fes voïages , l’obligea à prefler
fon départ. Il partit du Canada
au commencement d’Oétobre
de l’an 1684. Mais avant que de
faire voile , il m’envoïa M. le
Chevalier de Bogia , comme un
homme qui lui avoir été forte-
ment recommandé ; il vint tne
trouver au Fore S. Lotus , je le
reçus du mieux qu’il me fut pof-
fible j & lui fis tous les bons trai-
temens,que l’état où je me trou-
vois , me permirent de lui laite.
Le vingtième de Mars de la ^ oiS
même année, aïant eu avis que -,
les Iroquois , jaloux de notre des’op-
nouvel établi {fement chez les
Illinois , venoient avec des for-
ces considérables, pour nous faire me “ s -
S
2io Nouvelle Relation
Ja guerre , j’envoïai un Exprès;
vers M. de la Durontai , Com-
mandant au Fort de Mijjilima-
chmac , pour lui demander du-
Fecours. Cependant je fis faire
de nouvelles fortifications au
Fort, & mis le village en état
de fe défendre, par de bons
folléz , par des remparts , & par
tous les ouvrages capables d'ar-
rêter les attaques des ennemis.
Ils parurent le 28. Mars , au nom-
bre de cinq cent. Dés leurs pre-
mières attaques ilsfurent repou f-
fez vigoureufement. Enfin, après
fix mois de fiege , ils furent for-
cez de fe retirer avec une perte
de plus de quatre-vingt des leurs,
& fans aucune perte des nôtres.
Ils prirent quelques efclaves des
environs , pour pouvoir feule-
ment fe vanter qu’ils n’étoient
pas venus fans coup férir , &
qu’ils ne s’cn recournoient pas
de ï Amérique Sept, zm
fes mains vuides : Mais comme
ils étoienc fur le point de leur
enlever la chevelure , ces pau-
vres malheureux eurent l’adretle
de fe fauver de leurs mains , de
vinrent nous rejoindre dans no-
tre Fort. -,
Vers le quinzième d Avril
M. de la Burontai , de le Pere
Baloy Jefuite, accompagnez de
foixante François , vinrent me
fecourir , mais ce fut apres coup,
de fans aucun befoin. Cependant de r ^
M. de la Barre étoit arrive a dck
Qoebec, pour y prendre la pla- km*
cc de ML le Comte de t onte en
nac Ce changement fut un îitéde
coup de foudre pour toute i la- ^
Nouvelle-France , qui regardoit
M. de Frontenac comme fon pe-
re de fou patron ? mais il ne fut
pas moins accablant pour moi.»
A peine ce nouveau Gouverneur*,
ami ou parent de M- le Chevar
Si}
2.12. Nouvelle Relation
lier de B agi a , fut arrivé, qu’il
lui expédia des Lettres de Gou-
verneur du Fort S. Louis , lequel
avoit été commencé & confom-
me par mes foins. Il les adrefla
à M. de la Durontay , pour me
les faire tenir. Celui-ci me li-
gnifia delà part du nouveau Gou-
verneur , l’ordre donné en fa-
veur du Chevalier , pour être à
ma place. Je n’eus point d’autre
parti à prendre dans cette occa*
fion , que celui d’obéir. Je lailfai
quelques effets eonliderables
dans le Fort ; j’en fis un Inven-
taire, M. le Chevalier eut la
bonté de le ligner; & je partis
le même jour avec ce que je pus
emporter de plus important & de
plusneceflaire. Je pris d’abord le
chemin de Montreal , & delà je
me rendis à Quebec , où je n’ar-
rivai qu’au commencement du
mois de Juillet. Je ne pus me
de F Amérique Sept . zij
difpenfer d’aller faire la reveren-
ce à M. le Gouverneur ,, de lui
rendre un compte fidele de l’é-
tat & de l’importance de la Pla-
ce , que j’avois quittée par fon
ordre * en un mot , de la difpo-
fition de toutes chofes dans ce
pais. Il m’écouta favorablement,
m’offrit tel autre établiffement
que je voudrais dans l’Ameri-
que , & m’affura de fa prote-
ction en tout ce qui dependroit
de lui. Je le remerciai de fes
offres , & lui dis que je me ferais
toujours un très grand plaifir d’o-
béir à fes ordres *, mais que j’é-
tois refolu de ne prendre d’éta-
bliffement qu’aprés le retour de
M. de la Sale. Ce fut a peu
prés tout l’entretien que nous
eûmes enfemble.
Dés mon arrivée , je ne man-
quai pas de mander à M. de la
Sale , l’état de mes affaires , &
Ïï4 Nouvelle Relation
de lui reprefenter l’injure que je
croïois qu’on m’ avoir faite , cm
m’ôtant d’un polie où il m’avoit
placé lui-même : A- quoi j’ajou-
tai le danger qu’il y avoic que
ces peuples , habituez depuis peu
auprès du Fort , ne s’accommo-
dant pas d’un nouveau Com-
mandant, n’abandonnaflent tout,
ou ne fiflent quelque delordre»
J’écrivis, encore à M. de la Fo-
ret , mon ami , pour recomman-
der mes intérêts à nôtre com-
mun protecteur. Ces lettres fi-
rent tout I’diet que j’ên avois
pu efperer ; j’en reçus réponfe
par M. de la Forêt lui-même ,,
que je vis revenir à Québec fur
la fin du mois de Juillet de l’an-
née 1684. J’eus le plaifir d’ap-
prendre de fa bouche le favo-
rable accueil que l’on avoir fait
à là Cour à M. de la Sale, &C
les confîderabies fecours que le
de l\ Amérique Sept. à$
Roi lui avoir accordez pour
établir des Colonies dans les
Terres nouvellement découver-
tes , 2c Ton nouveau rembarque-
ment pour le Golphe Mexique.
Mais ce qui acheva ma fatisfa*
faction , ce fût d’apprendre de 1
lui-même mon rétabliifemcnt ait
Fort S. Loiiis ,, en qualité de'
Gouverneur 2c Capicaine , par
une Lettre exprefle, que M. de*
la Sale avoir obtenue, en ma fa-
veur , de Sa Majefté. j’avoue
que le plaifir de triompher de
mes ennemis fît la plus grande
partie de ma joie.
Je m’équipai auffi-tbt d’ar-
mes , de linges , d’étoffes 2c de
toutes les autres chofes neceffai-
res , tant pour la fortification de
mon pofte , que pour mettre ma
Compagnie fur pié. j’emplo'iai
vingt mille francs à mon équi-
page ; Et après nous être fou-
Nouvelle Relation
vent regalez à Quebec , M. 4e
la Forelt &c moi , nous partîmes
enfemble le premier jour de No*
vembre , lui pour Frontenac y
dont il avoit été fait Gouver-
neur , & moi pour les Illinois.
Les glaces aïant interrompu
notre voïage fur le fleuve Saint
Laurent , nous fûmes obligez de
relâcher , & de pafler l’hyver à
Montreal , jufqu’au Printems de
l’année fuivante i68j. Dés le
commencement d’ Avril nous
remontâmes le fleuve jufqu’au
Fort de Frontenac , où je pris
congé de M, de la Forêt. Je
me mis en canot fur le premier
lac y jufqu’à Niagara ; d’où après
avoir franchi le Saut, je gagnai
Miÿilimachinac , &c delà les Mia-
mis ; enfuite étant arrivé jufqu’à
l’embouchure de la riviere des
Illinois , je me rendis au Fort S.
LoUis*
de V Amérique Sept „ %vf
ILoiiis , environ le quinze de Juin
de la même année.
M. le Chevalier de Bogia m’y
♦reçue d’abord -avec toutes les
marques de joie & d’amitié pof-
libles ; Je répondis à Tes civili—
tez du mieux que je pûs ; mais
enfin après -l’avoir inftruit de
l’embarquement de M. de la
Sale & de toutes les autres
nouvelles je ne pus me dJ-
penferdelui prefenter mes Let-
tres patentes de Capitaine de
.Gouverneur du Fort S. Loiiis ,
dont le Roi m’avoit honoré. Il
reçut cet ordre avec -beaucoup
de fourmilion, me remit la Place
entre les mains , avec tous les
effets que je lui avois confiez,
m’affuraet qu’il n’en étoit ni
moins mon ferviteur , ni moins
mon ami. Nous paffâmes le re-
lie de la journée enfemble , &C
le lendemain il partit lui troi-
Zi8 Nouvelle Relation
fiéme pour la ville de Québec.
Cependant les Miami s les
Jjlinois peuples voifins , & nos
amis étant brouillez enfemble
pour quelques légers intérêts ,
je fis des démarchés pour les
accommoder, je reçus même de
part & d’autre des otages & des
gages de leur bonne foi.
Au commencement de l’Au-
tomne , étant fort inquiet de
ne point entendre parler de M.
de la Sale , je me tranfportai à
Misfilimachinac , pour en ap-
prendre des nouvelles. Là je fûs
M. d’E- que M. le Marquis d’Enonville
noviüe avoir relevé M. de la Barre , en
iuapTa 6 qualité de Gouverneur de la
cedeM. Nouvelle-France ; j’eus même
Barre, ^honneur de recevoir une Lettre
de fa part , par laquelle il me
témoignoit vouloir entrer en
conférence avec moi , fur le défi
fein qu’il avoit de faire la guerre
de P Amérique Sept, zi}
jaux îroquois : Il m’alluroit en
même tems que M. de la Sale
«tant depuis long-tems fur mer,
dévoie être déjà entré dans le
Golphe avec quatre bons vaif-
feaux , que le Roi lui avoit
donnez > &c qu’apparemment il
Revoit avoir abordé à l’em-
bouchure du Mifiisjipi , ou a
quelque autre bord.
Cette Lettre ne fit que redou-
bler la paillon que j’avois de
l’aller joindre ; je me mis d’a-
■bord en devoir de lui mener
tout le fecours que je pourrois }
j’équipai une vingtaine de Cana-
diens , & m’étant remis en che-
min vers les Illinois avec ma
nouvelle recrue , j’arrivai en
un mois au Fort S. Louis. Après
avoir donné ordre à tout , je
lailTai le commandement de la
Place au fieur de Belle fontaine ;
je partis avec quarante hommes
izo Nouvelle Relation
pour le Golphe de la Mer Me-
xique. Nous defcendîmes nôtre
riviere jufqu’au grand fleuve
MijJisJ/pi , dont nous fui vîmes
le cours jufqu’à la mer. Nous
fûmes environ deux mois à faire
ce vorace.
yj.-
Etant arrivé au bord de la
Met, ne découvrant point ce que
je cherchois , ni perfonne qui
puft m’en donner des nouvelles,
j’envoïai deux canots , l’un
vers l’Eft , l’autre -vers le Sud»
Oüefl; , pour voir s’ils ne dccou-
vriroient rien : Ils voguèrent en-
viron vingt lieues , d’un côté &
d’autre , le long de la côte ;
n’aïant rien apperç-u , ils furent
obligez de relâcher faute d’eau
douce , & revinrent nous join-
dre apres deux jours de coude,
fins aucun éclairciffement fur ce
que je fouhaittois ; Pour toute
confolation , ils m’apporterçnt
de t Amérique Sept.
an Marfoüin ,. &: quelques e«
cailles de nacre , tres-belles
qu’ils avoicnc prifes for uo
rocher.
Voïant donc qu’il était mutile
d’attendre~là plus long-tems , je
délibérai avec les plus fages delà
compagnie , touchant le chemin
que nous prendrions pour notre
recour. j’aurois fouhaitté foivre
lu côte jufqu’à la Meuade ,, eC pe-
lant par-là découvrir toujours
quelque nouveau- Pais, ou faire
quelque bonne prife :• mais la
plupart furent davis contrai-
re , foutenant qu’il étoit plus fur
d’aller par un chemin connu, que
par un autre qui ne l’étoit pas,&
qui d’ailleurs ne pouvoir être que
tres-difficilo , tant a caufe des
terres qui s’elevoient fur la co-
te, qu’à caufe du grand nombre
de rivières , qui fe déchargent
dans la mer ; ce qui nous obli-
Quini-
piilas fe
racconr
moct*: m
avec ics
^ raçois
ut Nouvelle Relation
gea de prendre le parti de" re*'
tourner fur nos pas.
Avant que de nous mettre en-
chemin j axant remarqué que'
l’arbre, fur lequel M. de la Sa-
ie avoit fait arborer la Croix, &
les Armes du Roi, é toit fur le
point d’être renverfé par les
grofles eaux , & par la violence
des vents , nous remontâmes un-
peu plus haut ,, où aïant drefle
un grand Pillier , nous y atta-
châmes un Croix , au deffous*
un Ecullon de France. Nous ca-
bannâmes cette nuit en ce lieu-
la. Le lendemain qui étoit le
Lundi d’après Pâques , de l’an-
nee i68j. nous-nous mîmes en
chemin, & nous fuivîmes par ter-
re, les rivages du fleuve MtJJlJJipi.
A la fîxieme journée, étant ar-
rivez chez \esjpptimpijfas 3 \e, Chef
vint au-devant de nous, & nous
aïant offert le Calumet , il nous
de F ÀwiênrfMi Sept»
demanda pardon du mauvais
accueil qu’ils nous avoienr raie
au dernier voïage , & nous pria
de les vouloir bien recevoir au
nombre de nos Alliez. Nous re-
pondîmes d’un ton afiez fier a
leurs civilitezj &£ apres nous etre
tin peu rafraîchis chez eux , nous
continuâmes notre route.
rante lieues au-deflus , nous dé-
couvrîmes dans les Terres une
Nation qui nous avoir échappée
dans nôtre première defeente :
C’étoit celle des Otmas , les plus 0tmM ,
braves de tous les Sauvages. Des P«P^
qu’ils nous virent , il eft vrai qu a ge
l’afpeét de nos armes ils furent
frappez d’un certain étonnement
mêlé de refpeét , qui defarma
toute leur férocité , & qui les
obligea de nous promettre une
parfaite foumiffion. Ils nous don-
nerent de nouveaux rafraichille-
mens , de nous offrirent tout ce
T iiij
% H . Nouvelle Relation
qui était en leur pouvoir. Ce fur
dans ces Terres que nous remar-
quâmes un Animal extraordinai-
re." l e > qui tient du Loup & du Lion 3
Il a la tête & la taille d’un gros
Loup , la queue & les griffes
d un Lion ; il dévoré toutes les
Betes , & n’àttaque jamais les
hommes ; quelquefois il empor-
te fa proie fur fon dos , en man-
ge une partie, cache l’autre fous
des feuilles ; mais lès autres ani-
maux 1 ont en une telle horrepr,
qu’ils ne touchent jamais à fes
reftes ; on appelle cet animal .
Michibiihi.
Apres les Oumas , nous trou-
a Kan- vâmes les Jkance'as. Toutes ces,
contrées font Ci belles , & fî en-
richies dés productions dè la na-
ture , que nous ne pouvions af.
fez les admirer ; les bois d’une
hauteur extraordinaire y fem-
Ment être plantez à la ligne. 1%
ie r Amérique Sep. i%f
Campagne eft couverte de bons
grains , de toutes fortes d arbres
fruitiers , & par-tout fournie de
toutes fortes de gibier a poil &£
à plume ; mais auffi on y trouve
beaucoup de gros Chats fauva-
ges , qui dévorent tout ce qu ils
trouvent. Nos François charmez
de la beauté de ce climat 5 me
demandèrent la liberté de s y
établir; comme nôtre intention
netoit que d , humanifer & de ci-
vilifer les Sauvages par nôtre fo-
cieté , j y confentis volontiers#
Je formai le plan d’une mai fou
pour moi chez les Akancea r. J ÿ?
Büffai dix François dé nia trou*-
pe, avec quatre Sauvages 5 pour
en avancer la conftruéBon ; & je
leur donnai la permiifion de s’y
loger eux-mêmes , & d y culti-*
ver autant de terre quils pour-
raient défricher. Gette petite
Colonie s’eft depuis tellement
Guerre
décla-
rée aux
Iro-
îz6 Nouvelle Relation
accrue & multipliée, qu’elle 1ère
d’entrepaufe aux François qui
voïagenc dans ce pais.
Delà je continuai mon che-
min le long de la riviere des Illi-
nois - r de après trois mois de
îraitte , j’arrivai au Fort Saint
Loiiis , vers la S. Jean , moins
fatigue de la longueur du che-
min , que de l’incertitude dtî
deftin de M. de la Sale.
Comme je n’avois pas encore
rendu mes devoirs à nôtre nou-
veau Gouverneur , après avoir
Çris quelques jours de relâche ,,
je partis des Minois à la fin de
Juin, & j’arrivai à Montreal vers
le quinze de Juillet. J’allai d’a-
bord y laluer M. le Gouverneur,
& je reçus ordre de fa part , de
faire publier chez nos Alliez la
guerre contre les Iroquois , &:
de les fommer de fe rendre au
Fort S. Loiiis , pour le fuecés
de t Amérique Sept. %Vf
d’une pareille entreprife.
Chargé de cette commif*
fion , )e pris bien-toc congé
de M. d’Enonville 5 je me ren-
dis le quatrième Septembre
chez les Minois , d’où je dépê-
chai aulfi-tôt de tous cotez di-
vers Couriers, pour informer les
Nations voifines de nôtre defl'ein
&: pour les inviter à fe trouver de
bonne heure au rendez-vous.
Tout le monde y fut aflemble fut
la fin du mois de Mars de l’année
i6$6, tant Islinois , que Choua-
tiQus , N tamis ou Loups. Toute
cette troupe faifoit environ qua-
tre cens hommes :J’y joignis foi-
xante François de ma Compa-
gnie ; j’en laiflai quarante dans
le Fort, fous le commandement
de M. de B elle font aine. Cette
petite armée campoit à un quart
de lieue du village. Là aïantfait
mettre tout le monde fous les
kt-S Kouvelle‘ Relation'
sues, je leur déclarai la volonté
du Roi , &• les ordres de nôtre*
Gouverneur ; je les exhortai tous
à rappelles leur force & leur-
courage pour reprimer l’or-
gueil des Iroquois, nos ennemis
communs.
Ce difcours fut fuivh des ac-
clamations de tous ces Peuples,,
êc fur le champ m’étant mis à
leur tête, je commonçahma mar-
che vers le canal qui joint les
dieux Lacs des fuirons &sdes 1 flp.
ftois. Il y a en cet endroit un
Fort s. ® orc v nommé, le Mort S-^lofiph y!
Ji%h. qui fert de défonfe à toutes ces
petites mers. M. de la Durontay
en étoit le Commandant; j’en-
voïai vers lui un denos François,
pour l’informer de mon arrivée ;
il commanda auffi-tôt à fon Lieu-
tenant de me venir joindre avec
trente hommes , &: le lendemain
Mai-même m’en amena autan®.
de T Amérique Sept, xif
fsïous campâmes fur les bords de
ce détroit ; il nous arrivoit-là des
provïfions de tous cotez. Deux
jours après, M. de la Forêt, Gou-
verneur du Fort de Frontenac #
& M. ckLud-e , -Commandant de
celui des Miamis, chacun à la tê-
te de fa compagnie, vinrent nous
joindre. Etant tous affemblez a
nous tînmes confeil de guerre ,
pour favoir quelles mefures
nous prendrions -, l’on fut d’a-
vis de partager l'armée en deux
corps , que M cs de la Durontay
& de Lude commanderoient ,
l’un pour garder les avenues de
Miffil-imachinac , Sc pour défen-
dre les côtes du Lac Herié ,
jufqu’à Niagara , où nous avions
deflein d’achever un Fort déjà
commencé , pour tenir en bride
les Iroquois , qui s’y étoient tou-
jours oppofez s Que M. de la
Forêt èc moi commanderions
Nouvelle Relation
l’autre , pour entrer dans les ter-»
res des Ennemis.
&iroi S ^ cs chofes ainfi dilpofées,
giaois u- M. de la Durontay, étant furies
fcmble C ^ tes Misfilimachinac , trou-
pourfii- va un gtos parti des ennemis,
xcla compofé de plus de cent hom-
ST mes > tant Anglois qu’Iroquoisi
Jxâfois ( On peut dire en palîant , que
ces deux Nations, quand il s’a-
git d’aller en guerre contre nous,
s accordent fortbien enfemble. )
Il les attaqua 11 vigoureufement,
qu’il en relia plus de la moitié
fur la place , fit quelques pri-
fonniers , & mit le relie en fuite.
De nôtre côté, à vingt lieues
de Niagara , nous fîmes rencon-
tre d’un nombreux parti d’An-
glois , de Hurons , d’iroquois ,
d’Ouabaches , qui fous la con-
duite du Major Grégoire , tranf-
portoient une grande quantité
d'eau-de-vie, de munitions &dë
de V Amérique Sept, %yt
fnatchandifes , aux habitations
Iroquoiles. Nous les chargeâ-
mes s & après avoir tué la plu-
part des Iroquois & des autres
Sauvages , nous leur enlevâmes
leur bagage Sc leurs marchandi-
fes s nous nous rendîmes les
maîtres de plufieurs efclaves, SC
nous emmenâmes prifonniers
plus de vingt-cinq Anglois. A-
prés cette 'petite victoire , nous
continuâmes nôtre route vers
Niagara , où nous achevâmes
le Fort , â la vûë des Iroquois,
&C même au pié de leurs habita-
tions.
Ces premiers progrès nous en-
gagèrent à députer vers M. le
Gouverneur , pour l’informer
de tout ce qui s’étoit paflfé. M.
de la Forêt , qui voulut bien
accepter cette commilïion, partit
aufli-tôt. M. d’Enonville reçut
cette nouvelle avec plaifir, en
Nouvelle Relation
fit part à tout le Canada ; & nous
envoïa un nouveau fècours de
HuronSjde Pfonnonteaus , d’Q-
taoiias ,qui nous vinrent joindre
au pié du Saut , avec une barque
très- bien équippée.
Renforcé par cette nouvelle
recrue , je m’avançai dans les
terres des ennemis; nous avions
parmi nous un Iroquois , qui
feignant d’être mécontent de fa
Nation , paroifldit nous être fort
affe&ionné : ce traitre nous aban-
donna j pour aller fie rendre à,
l’armée des ennemis -; leur don-
na avis de nôtre marche , & les
avertit des marques de nos Sau-
vages , pour ne pas s’y laiifer
tromper. Comme nous avancions
toujours j nous nous trouvâmes,
cade Uf " au -delà d’un Marais, à trois lieues
drcfféc du Camp des Iroquois.. Là quel-
P ar Ies ques-uns des leurs nous drdfie-
auois. renc une embufcade , où nous
' perdîmes
de ' 1 Amérique Sept. 2.33
perdîmes fept hommes, du nom-
bre defquels , étoit mon. Sous-
Lieutenant. Auffi-tôt nous étant
rallier, nous les repouflfâmes a-
vcc vigueur v &£ apres avoir tue
plus de trente des leurs , nous
les pour fui vîmes jufques dans
les bois ; mais n aïantpû les join-
dre , &c ne croïant pas devoir
nous engager plus avant , de peur
de tomber dans quelques piégés,
nous nous contentâmes de piller
un de leurs villages- , où nous
pafsâmes au fil de l’epee , tout
ce que nous y pûmes rencon-
trer.
Nous campâmes-la quelques
jours, & l’armée commandée par
M. de Lu de &de la Durontay fe
vint joindre à la notre- Le len-
demain de leur arrivée, nous ne
balançâmes pas un moment à
nous refoudre d’aller forcer les
ennemis dans leur Camp, mais
V
*34 Nouvelle Relation
aïant été avertis de nôtre defleinj
par leurs efpions , ils ne jugè-
rent pas a propos de nous atten-
dre , ils décampèrent bien vite.
Nous trouvâmes dans leur Camp
quelques relies de blé d’Inde,
& d’autres munitions, dont nous
profitâmes ; nous paflâmes lanuit
dans leurs tentes , ou plutôt dans
leurs cabannes, la fâifon étant
déjà allez avancée. Dés le lende-
main nous renvoïâmes nos Al-
liez, chacun dans les terres, avec
ordre de fe raflembier à la pre-
mière convocation ; & M. de Lu-
ds &c de la Durontay prirent la
route de leur Gouvernement.
Comme j’étois en marche pour
aller dans le mien , je rencon-
trai quelques Hurons , qui me
donnèrent avis , que j’allois être
invefti par l’armée entière des
Iroquois. Il n’y avoit plus moïen
de recourir à M rs deLude ôc de
de l’ Amérique Sept. itf
U Durontay , qui s’étoient déjà
embarquez fur les Laes en ca-
not. Je fis faire alte a mes gens,
&; m’étant retranché le mieux
qu’il me fut pofiible , j’envoïai
fur l’heure même à Niagara , de-
mander un prompt fecours au
Commandant du nouveau Fort:
Par hazard M. de la Valrome t
qui y commandoit, nous croiant
aux prifes avec les Iroquois, nous
amenoit cinquante fuzeliers. Ce-
lui que je lui avois envoie, l’aiant
rencontré , lui dit 1 état ou j e-
tois ; ce qui lui fit hâter fa mar-
che ; fon arrivée nous railura ,
les ennemis parurent , nous ran-
o-eâmes nôtre petite armée en
bataille, & nous étant avancez
vers eux , à la portée du mou -
quet , ils n’eurent pas le coura-
ge de nous attendre , ils nous
tournèrent le dos ; nous les pour-
fuivîmes quelque tems , il en
2,jg Nouvelle Relation
refta environ cent fur la place, le?
refte fe fauva dans les bois. Je
rappel Jai au ffi- tôt mes foldats,&
a'ïant efcorté une partie du che-
min M . de la Valroméje crus de-
voir aller hyverner à Misfilima *
shinac , & là attendre le retour 5
de la campagne fui vante, en car
<que la guerre continuât.
Jro Les choies changèrent de*
«]uwsr c ^ ace : Les Iroquois nous cede-
matent rent leurs habitations voifines 1
ion. ^ Niagara} firent prefent à M;
îé Gouverneur , de leurs meil-
leures pelleteries , & nous pro-
mirent de ne plus inquiéter les
Nations qui feroient fous nôtre 5
proteétion & dans nôtre al-
liance. Ainfi la paix aïant été
conclue , je repris au commen-
cement du mois d’Avri! 1687. le
chemin des Minois, Je ferois re-
venu très -content de ma cam-
pagne , fi l’abïènce de M. de la
db t 'Amérique Sept '.
Sale , & l’incertitude de fa délia-
née ne m’eut point'; toujours in-
quiété: Il é toit parti de l'Amé-
rique en Sc nous étions en
1687. quatre années- s’étoiene
prefque écoulées , - fans en avoir
eu d’autres nouvelles , que celles •
de fon rembarquement , ou de
fon départ de là Rochelle , pour
le Golphe-Mexique , mais fans
en apprendre aucune de fon re-
tour. J® ne favois- que. penfer 1
Seroit-il péri:, me d,i fois* je , pac
quelque . naufrage , ou plutôt
n’auroit-il point abordé fur quel-
que rivage habité par des Barba-
res , qui l'auront peut-être maf-
facré ? Agité par de {^terribles
penfées , je ne pouvois prendre
aucun repos, ni tenir aucune rou-
te 1 allurée ; & me lai {Tant condui-
re plutôt par mes gens, que les
eonduifant moi-même , j’arrivai
ïtu Fort Saint Louis y vers la
Æjf 'Nouvelle Relation
fin du mois de Mai.
Je fus bien furpris, à mon ar-
rivée , de trouver en ma maifon,
M. Chevalier , propre frere de
M. de la Sale. A la vérité , je
ne vis point en lui cet air ou-
vert <k riant , qui paroît à la pre-
mière entrevue de deux amis ,
après une longue feparation.
Mais les premiers tranfports de
ma joie ne me permettant pas de
faire de plus longues reflexions,
je l’embraffai d’abord , & lui de-
mandai en même tems des nou-
velles de M r fon frere. A ce
difcours il me parut tout-inter-
dit ; un regard vers le Ciel , un
foupir étouffé, certain effort qu’il
me parut faire fur lui -même.,
me furent autant de finiftres pre-
fages. Je le priai avec inftance
de ne me rien çeler. S’étant un
peu raffuré , il me dit d’un ton
aifez ferme, que M. de la Sale*
de l’ Amérique Sept,
fon frcre , étoit en parfaite fan-*
té ; mais que le malheureux fuc-
cés de fa navigation l’avoit fi
fort accablé ,, qu’il n’avoit prefi*
que pas le courage de continuer
fa route; que revenant à petites
journées , il fe faifoit un plaific
de négocier avec les différentes
Nations qu’il rencontroit; & que
l’aïant chargé de prendre les de-
vants pour m’informer de fon
arrivée , il étoit refté entre les
Naches & les Aieancéas , pour
acheter des uns èc des autres
quelques marchandifes.
L’affurance avec laquelle il
me parloit , jointe à une fim pli-
cité qui lui étoit naturelle ÿ
d’ailleurs la faintecé de fon ca-
ractère , car il étoit Prêtre, ne
me permirent pas d’entrer dans
la moindre défiance , ôc me ralfu-
rerent un peu contre mes prelfen-
timens. Je le priai donc de me
Nouvelle Relation’
faire le reeic de fon voïage
me dire* depuis quand ils s’étoient
rembarquez , &c en quel tems ils
avoient abordé» Comme je lui
ouvrois par-là- un fort grand
champ à parler fans dégmfe-
ment &> fans contrainte , il me
parut entrer* dans ce récit avec
beaucoup plus de liberté»
Il me dit d’abord , que toute
la Cour aïant été charmé© des
grandes- découvertes de M. de
la Sale , le Roi n’avoit nullement
balancé* à lui accorder les Re-
cours qu’il avoir demandez; fans
parler des titres* d’honneur, qui
lui donnoient plus d’autorité
dans fes nouveaux Etablifle-
mens : Qu’ils étoient partis de
France le zq. du mois de Juil-
let 1684* avec quatre v aideaux
tres-bien équippèz,& avec plus
de deux cens hommes , tant fol-
dats y qu’artifans de toutes for—
de V Amérique Sept. 2,41
tes de métiers ; que cependant
par un excès de malheur, toute
leur flote Te trouvoit réduite à
quelques canots ; &c ce grand
nombre de perfonnes à fept ou
huit François , qui efeortoient
fon frere dans Ton retour.
Etonné d’un H grand revers ,
je ne pus m’empêcher de vou-
loir apprendre à fond le détail
de leurs avantures : Audi- tôt
reprenant fon hiftoire depuis le
commencement de leur naviga-
tion , il me dit qu après quel-
ques jours de calme , à la hau-
teur de 5. Domingue, ils furent
furpris d’une rude tempête ;
qu’alors un de leurs vailfeaux
chargé de plus de trente mille
livres en marchandifes , fut em-
porté d’un coup de vent, & en-
fuite enlevé par quelques piro-
ques efpagnoles : que le refte
de la dote alla mouiller à un
X
±42, Nouvelle Relation
bord de cette même Ifle , où ils
fe refirent bien-tôt par les nou-
velles provilîons qu’ils y chargè-
rent, & les marchandées qu’ils y
achetèrent ; mais que leurs gens,
s’y étant un peu trop licentiez,
y avoient contracté de tres-fâ-
cheufes maladies.
Que de-là aïant vogué vers
les Ifles de Calmant , ils allèrent
faire eau à i’Ifle de Cuba , où
aïant trouvé à l’abandon plu-
fieurs tonneaux de vin d’Efpa-
gne , de bonne eau-de-vie , du
lucre & du blé d’Inde ; ils en-
levèrent tout , & firent fur les
Efpagnols une reprife qui les
confola de tout ce qu’ils leur
avoient pris auparavant : Qéen-
fuite après s’être bien munis de
toutes chofes, ils remirent à la
voile ; &: qu’ aïant toujours eu un
vent tres-favorable , ils étoient
entrez dans le Golplie de la Mer
de t Amérique Sept, 2.43
Mexique 5 mais qu’y aïanc trou-
vé des courans tres-rapides , &c
des écueils tres-ftequens , ils fu-
rent obligez de tenir le large;
ce qui empêcha M. de la Sale
de rencontrer au jufte le point
de hauteur pour l’embouchure
du MiJfiJJlpi ; de forte que pour
ne pas * ? expofer à de plus grands
pénis , il alla prendre terre à
la Baie du S. Efprit, cinquante
lieues au deftous du fleuve qu’ils
cherchoient : Mais que deux
jours après , dans l’efperance de
le trouver , ils remontèrent fur
leurs vaifleaux , & reprenant
toujours le large , pour éviter
les bancs & les écueils , ils aile*
rent enfin aborder beaucoup
plus haut , à une Ba'ie qu’on a
depuis nommée U Baie S. Louis.
Cette Baïe eft d’une profon-
deur aflez commode pour un
Port j mais l’abordage en eft pe-
Xij
i _44 Nouvelle Relation
rilleux , tant à caufe des banc$
qui l'environnent , qu’à caufe
des rochers dont elle eft bordée.
Ce n’eût été rien pour nous ,
continua-t-il , d’avoir manque
Tennée du fleuve; car après a»
voir une fois abordé fi prés de
fan embouchure , il n’eût pa§
été difficile de la trouver, du
moins par terre ; d’y conduire
enfuice nos vaiffeaux , d’y bâtir
un havre , pour ne pas s’y trom-
per une autre fois , &: d’y con, r
llruire un Port pratiquable ;
mais le malheur voulut qu après
queM .de Beau jeu qui comman-
doit un de nos trois vaiffeaux ,
nous eût mis à bord , nos deux
autres s’y perdirent , tant par la
méchante manœuvre du Pilote,
que par la négligence des Ma-
telots. Le premier échoua à l’en-
trée de la Baye , contre un banp
de fable , d’où quelques fecours
àè ï Arhefîque Sept. ±4 f
||ü‘è nous pûmes y apporter ,
il nous fut impolïîble de le re-
tirer. Nous eûmes , a la vérité, la
eonfolation d’en fauver 1 équi-
page , & nos meilleurs effets}
l’autre fut brifé dans le Porc mê-
me contre un rocher , avec per-
te de la plupart de nos mate-
lots 5 heureufement nous en a-
vions débarque' toutes nos pco-
■Vifiorïs &2 nos marchandises :
D’ailleurs , la plupart de nôtre
monde & de nos eftets avoit ete
mis à terre par M. de Beaujeuy
qui après avoir été le témoin de
nos defordres , tourna les voiles
pour s’en retourner en France.
Tel fut , dit-il , le deffin de no-
tre flote.
A compter depuis le 14. Juil-
let 1684. jour de nôtre départ de
la Rochelle, jufqu au 18. Février
de l’année fuivante 1685. que
«tous débarquâmes à la Baie 0.
X iij
Nouvelle Relation
Loiiis , il s’étoit paffé envirô»
fepc mois. Mon frere aïanc re-
cueilli le débris de nos vaifleaux,
& après avoir reconnitla fituation
avantageufe du pais à l’embou-
chure d’une tres-belle riviere y
Rivière jionimée la Riviete aux Vaches,
cher. âu m ilieu de plufieurs autres, qui
viennent Ce jetrer dans la même
Baie , & d’un grand nombre de
Na dons très bien peuplées ; les
environs charmans par la beau-
té des terres , par l’abondance
des fruits, & par la multitude
des befliaux , ne balança pas un
moment à s’y faire une belle
habitation II dreffa d’abord le
plan d’un Fort , en deflîgna le
circuit , & fît d’abord mettre la
main à l’œuvre j la neceffité de
fe loger, jointe à la commodité
du bois & du ciment , fît fi fore
avancer l’ouvrage > qu’il fut con-
fommé en moins de deux mois»
de l’ Amérique Sept . 447
Cependant M. de la Sale plus
impatient que jamais de retrou-
ver le Miffiiîipi , couroit de parc
& d’autre pour le reconnoître ;
comme tout ce pais elt coupé
par beaucoup de rivières qui fe
jettent d’efpace en efpace dans
la Baïe , il faifoit Tes courfes,
tantôt à pié , tantôt en canot,
accompagné de dix ou douze
François armez de bons fuzils:
il trouvoit de diftance en diftan-
ce diverfes habitations de Sau-
vages , &: par tout une abon-
dance de toutes chofes neceflai-
res à la vie , jufqu’à des volail-
les domeftiques.
Enfin , après quinze jours de
recherche , il rencontra un gros
& large fleuve : Il en fuivit le cou-
rant durant lept ou huit lieues,
jufqu’à fon embouchure dans
la mer , 8c reconnut que c’étoic
jullement celui qu’il avoit tant
I
Nouvelle Relation
cherché , 8c dont ii n’avoir pu
rencontrer l’embouchure; il prit
encore une fois la hauteur, pour
ne plus la manquer, en cas qu’il
revint une autre fois par le Gol-
phe.
Content de l’avoir rencontré*
& plus fatisfait encore de la fé-
condité des campagnes qui l’en-
vironnent , il revint à fa colo-
nie nailfante ; mais par un fur-
croît d affliction , il trouva que
les uns a voient fuccombé à la
longueur de ces maladies qu’ils
avoient contractées à S, Domin-
i ue y & fl üe plus de quarante a-
voient été égorgez par les Sau-
vages. Cecte perte le toucha
îenhblement ; mais s’étant for-
tifie contre fa douleur , il ap-
pella ceux qui reftoient : ( leur
nombre nalloit pas à cent;) il
les encouragea, les exhorta à
faire fi bien par leur travail, pat
de 1 ‘ Amérique Sep. 2.4^
leur concorde, par leur induftrie ÿ
& par leur bonne conduite avec
ces Barbares , qu’ils puffent pro-
fiter des richefles que la Nature
leur prefentoit avec abondance»
Comme les nouvelles decou-
vertes paroifloient a M. de la
Sale des Provinces conquifes >&C
que toutes les pertes qu’il pou-
voir faire 5 ne lui fembloient
rien en comparaifon d’une Na-
tion volontairement foumife , il
chercha à fe confoler par de
nouveaux voïages 5 ainfi aiant
pris une nouvelle refolution 3 il
voulut aller reconnoître ces va-
ûes contrées , qui font entre le
Mifliilipi & le Golphe-Mexi-
que y vers le Su i-Eft.
Le ii. Avril de l’année 1^85»
|1 partit de la Baie S. Lotiis pour
cette nouvelle traite ; il ne prit
avec lui que vingt hommes
en tout y au nombre defquels
Che-
vaux
farou-
ches.
îjo Nouvelle Relation
étoient nos deux neveux Cave-
lier , & de Moranget , un Pere
Receler & moi. Nous avions
pour tout équipage deux canots,
& deux traîneaux , pour porter
nos provilîons de nos marchan-
difes.
Le premier jour, nous paflames
plus de vingt rivières , dont les
environs nous paroifloient un
pais enchanté , & au travers de
peuples bien-faifans , qui ne nous
refufoient rien. Ce que nous
trouvâmes de particulier dans
ces contrées , c’eil: que parmi le
bétail à corne, nous apperçûmes
dans les prairies un grand nom-
bre de Chevaux, mais fi farou-
ches , qu’on ne pouvoit les ap-
procher.
Dés la fécondé journée, nous
commençâmes à vivre de la
chafle; Nous tuâmes fur lefoir
un chevreuil , de nous cabannâ-
de t Amérique Sept. ift
mes cette nuit en pleine campa-
gne au milieu d’un petit retran-
chement. Dés cette nuit nous
nous fîmes une loi de prendre de
pareilles précautions , en quel-
que endroit que nous publions
nous trouver.
Le troisième jour nous trou-
vâmes fur le midi , quatre Ca- 4 ca-
valiers bottez , qui nous acco-
lièrent tres-humainement ; ils
nous demandèrent qui npus e-
tions , & où nous allions : Nous
leur déclarâmes que nous étions
François , &c que nous ne.vo'ia-
gions dans ces Terres, que dans
l’intention de reconnoître les
divetfes Nations de l’ Amérique,
& de leur offrir la protection du
Roi des François , le plus grand
Roi de l’Univers : Que s’ils vou-
loient fe foumettre à fa puiffan-
ce , ils reffentiroient bien-tôt
des effets de fa protection pas
$£•*-
$***■>>
Nation
de S au*
Tnges.
Nouvelle Relation
le moïen de fes v ai fléaux. Eux'
de leur côté, nous prièrent auflîv
toc de vouloir accepter leurs
maifons , Sc de les fuivre jufques*
dans leur village > nous y con-
sentîmes avec plaifir ; nous y fû-
mes parfaitement bien reçus, &.
très- bien régalez.
G’étoit la Nation des Ji>uoa-
quis , ou des Mahis. Les hom-
mes y font fort bazannez, & les
femmes de même. Ils ont les
cheveux noirs & allez beaux ; le
?ifage plat ; les yeux grands
noirs , bien fendus les dents
tres-blanches ; le nez écaché >
d’ailleurs, fa taille libre & dé-
gagée. Les hommes y font vê-
tus de corfelets d’un double cuir,
à l’épreuve de la flèche : Us por-
tent depuis la ceinture jufqu’au
genou, une efpece de ringrave de
peau d’ours , de cerf, ou de loupÿ
leur tête eft couverte d’une ma-*
de l’ Amérique Sept., £53
«were de turban fait cje mêmes
peaux ; ils ont des bottines de
peaux de bœuf, d’élan , ou de
cheval , tres-bien pafl'ées. Pour
leur équipage à cheval , outre
leurs corfelets ,, leurs bottines ,
£1 leurs boucliers couverts de
peaux les plus dures , ils ont des
Telles faites de plufieurs cuirs,
ajuftez & collez les uns fur les
autres ; des brides comme les
nôtres ; des étriers de bois ; des
brides des mords de dents
d’ours ou de loup.
A l’égard des femmes , elles
portent en guife de cliapcau, un
tiffu de jonc ou de cannes, diffé-
remment coloré 5 leurs cn.eve.ux
tantôt cordonnez , tantôt notiez.
Leur corps eft couvert d’une ve»
lie d’un tiflu tres-fin jufqu’à de-
mi-cuiffe ; elles font chauffées a
peu prés comme les hommes ,
avec des bottines à fleur de jam-
Leurs
fc.iuncs
'Rfher i
rivière,
pour-
quoi
ainfî
cernée.
244 Nouvelle Relation
Nous ne fîmes que coucher
chez eux , mais toujours fur nos
gardes, en nous relevant de feu-
tinelle de tems en tems. Le len-
demain , les Principaux nous
vinrent trouver avec quelques
jprefens de blé d’Inde, pour nous
alfurer qu’ils feroient toujours
bien-ailes de vivre dans nôtre
alliance , & fous les loix du Pan-
ce que nous reconnoi liions. De
nôtre côté, nous leur fîmes pte-
fent de quelques couteaux , &
de quelque brade derafade pour
leurs femmes; Apres quoi nous
prîmes congé d’eux , & nous
nous remîmes en chemin.
A deux lieues de-là,nous nous
trouvâmes fur les bords d’une
tres-belle Riviere , que nous
nommâmes Riber , du nom d’un
homme de nôtre fuite, de pa-
reil nom , lequel s’y noïa. Sur
fes bords paillent de nombreux
de V Amérique Sept. ztf
troupeaux de Cibolas 5 nous en
tua nés dans un moment trois,
que nous fîmes boucanner pour
nous fervir de provifion.
A une lieuë de cette Riviere,
nous en remontâmes une autre
beaucoup plus rapide , à qui
nous donnâmes le nom de H te us, Rjvîere
nom d’un Allemand de nôtre
compagnie , qui demeura trois
purs perdu aux environs , pour
s’être trop avant engagé dans les
bois , par le plailîr de la chaffe.
Ainli continuant nôtre cour-
fe , tantôt dans des plaines, tan-
tôt au travers des ravines & des
ïivieres , que nous pallions avec
nos canots ; nous tombâmes au
milieu d’une Nation allez ex- Bifca.
traordinaire , qu’on appelle les tmges,
Bifcatonges -, nous leur donna- ac Sau .
mes le nom de Pleureurs -, par- vag«,
ce qu’à la première approche
des Etrangers , tout ce peuple , ti*»-
u murs ,
%.j6 Nouvelle Relation
tant hommes que femmes , fç
mettent à pleurer amèrement.
La raifon en eft allez particu-
lière ; ces pauvres gens s’imagi-
nent que leurs païens ou amis
decedez , font allez en volages
& comme ils en attendent tou-
jours le retour , 1 abord des nou-
veaux-venus renouvelle leur idées
mais comme ils ne retrouvent
pas en eux ceux qu’ils regrettent,
leur arrivée ne fait qu’augmen-
ter leur douleur. Ce qu’il y a
de plaifant, & peut-être d’aflez
raifonnable dans cette croïance,
e eft qu’ils pleurent beaucoup
plus a la naiflance de leurs en-
fans, qu’à leur" décès ; parce qu’ils
ne regardent la mort que com-
me un voïage, dont on revient
apres un tems ; mais qu’ils re-
gardent leur naiflance comme
une entree dans un champ de
périls &c de malheurs -, Quoi qu’il
m
Jet Amérique Sept, zp
ÜEl foit ce premier torrent de
larmes étant palTé , ee ne fut
parmi tout ee peuple qu’un vifa-
ge ferain , cârelïant & rempli de
tendreffejOn nous conduifit dans*
des cabannes tres-proprement
nattées , où l’on nous offrit du
bœuf & du cerf bouçanne , avec
de la Saguvite , leur pain ordi-
naire ÿ qu’ils font avec une ra- pa j Bj / i
cine nommée Toquo , efpece de
ronce > On la lave , on la feche,
©n la broie , & on en fait une
pâte , qui étant cuite , eft d’un
fort bon goût , mais d’un ali-'
ment aftringent.Nous joignîmes-
à leur regai un peu de notre eau-"
de-vie ; nous leur en donnâmes*
une couple de -petites bouteilles;;
ils nous firent prefent de plufieurs-
peaux bien paffees y qui nous-
fervirent à faire de bons loulierS’.*
Ces Peuples n’adorent point
d’autre Divinité que le Soleil*
zj§ Nouvelle Relation
&' c’efl prefque la Divinité d<
toutes ces Nations. A propos de
quoi, nous leur dîmes que nôtre
Prince étoit le Soleil des autres
les Rois i que fon éclat fe répan*
doit dans toute l’Europe, & mê-
me dans plritieurs contrées de
l’Amerique ; que s’ils fe foumet-
toient à fa puiffance , ils fenti-
roient bien-tôt quelques effets
de fa grandeur &: de fa bienveil-
lance ; ils fe fournirent volon-
tiers , & nous jurèrent une éter-
nelle amitié.
A'iant parte deux jours chez
cette Nation pleureufc , nous-
nous remîmes en chemin. La
première journée nous fîmes dix
grandes lieuës , prefque toujours
dans les bois -, enfuite nous nous
trouvâmes à la vue d’un grandi
village , à l’entrée duquel nous'
apperçumes un gros Chevreuil,
fpf un chaouanous de nôtre fuite!
de l' Amérique Sept.
tira , &; tua d’un coup de fulil.
L’éclat du bruit &c de la flâme en
parut fi terrible à ces Habitans,
qu’au premier a'pect de nôtre
troupe & de nos armes , ils pri-
rent tous l’épouvante &c la fuite:
Le Chef &c trois de fes en-
fans s’étant montrez plus fermes,
les firent revenir de leur ter-
reur; ils s’avancèrent vers nous,
nous offrirent quelques rafrai-
chiflemens, & quelques-unes de
leurs cabannes pour y palier la
nuit ; mais mon ftere n’aïant pas
jugé à propos de s’y fier , nous
cabannâmes un peu à l’écart,
félon nôtre coutume : Heureux
d’avoir pris cette précaution -, car
le lendemain à la pointe du jour,
nous apperçûmes un grand nom-
bre de cette canaille cachée dans
des cannes , avec des flèches ;
Aulfi-tôt M.de la Sale, les aïant
fait coucher en joue , les obii-
Coup de
fufîl ti-
ré, jette
l'épou-
vante
parmi
des Sau-
vages,
%6o N oHvellé R dation *
gea a demander quartier. Iis en?
furent quittes pour quelque pro* ,
viiion de blé d’Inde , que les- -
fils de leur Chef nous apporte»
rent & nous prîmes aufii-tôtle
contrâmes une autre habitation
de plus de trois cent cabannes
cfsino- fi a bitée par les chinonoas -, ils-
tuas h nous firent un accueil tresTa-
ft'iguét vora ôle. Toutes ces contrées
les *F.'â font prcfque fur la côte orien-'
î^fes" t3 ^ e Mer*Mexique > les Ef-
Efpa- p a gnols paflént jufques dans
gnols. leurs terres & leur font de très-
cruelles vexations.. Ces Sauva-
ges furent d’abord nous diftin-
guer d’avec eux par notre air y
par nôtre langage, par nos ma*
wieres ; & l’horreur qu’ils avoient
conçue contre tous ceux de cet-
te Nation , ne fît que redoubler
leur amitié pour nous ; Nous nq
de t Amérique Sept. z6t
tardâmes pas à leur faire enten-
dre que les Espagnols & nous ,,
*»’ étions gueres d’accord enfem-
ble j & qu’ils croient nos enne-
mis jurez. Sur quoi nous aïant
offert tout ce qui étoit en leur:
pouvoir y, ils nous prièrent de-
vouloir nous unir avec eux, pour-
leur aller faire la guerre : Nous-
leur dîmes que nous n’étions pas»
pour lors en cet état ,, mais que
nous pourrions bien-tot revenir
les joindre en plus grand nom-
bre pour les féconder ; de forte
qu’aïant paffé fort tranquille-
ment la nuit chez eux, nous nous»
retirâmes le lendemain charge»
de beaucoup de blé d’Inde
de tres-belles peaux-
A peine eûmes-nous avancé
une lieuë dans nôtre route,qu’un
nommé N ica, de nôtre fuite, fc Home’
fentit piqué d’une vipere, il fit ^11
îuffi-tôc un fort grand cri j> en vipere.,
2.6z Nouvelle Relation
moins d’un demi-quart d’heure.
Ton corps s’enfla prodigieufe-
ment, & devint tout livide : On
fît d’abord de grandes incifions
fur fa plaie ; nous la frottâmes
avec de l’eau-de-vie , & du fel
de vipere ; nous lui donnâmes
de l’orvietan , & apres deux
jours , il fe trouva parfaitement
guéri.
„ _ Nous étant remis en chemin.
Pâflà^e , x / -j
d’une noils nous trouvâmes, apres deux
rivicre jours de marche , fur le bord
M P lcie . d’une rivière tres-rapide ; il fa-
lut la pafler , & nous étions fans
canot ; parce que les nôtres pre-
nant l’eau de tous cotez , nous
avions été forcez de les aban-
donner. Nous n’eûmes point
d’autre expédient que de faire
un caïeu de cannes & de plu-
fieurs branches d’arbres entre-
laflées , & couvertes de nos
meilleures peaux. Mon frere èù
de l’ Amérique Sept. i6%
nos deux Neveux Te mirent del-
fus avec deux Sauvages pour le
conduire; je reliai avec le relie
de nos gens fur le rivage. A pei-
ne furent-ils au fort du courant,
que la rapidité de l’eau les
emporta dans un moment , SA
les fit difparoître à nôtre vue r
Par un bonheur fingulier,le caïeu
fut arrêté à une grande demie
lieuë de-là, par un gros arbre qui
fiottoit fur l’eau à demi déraci-
né ; fes branches qu’on accrocha
avec le fecours de quelques
perches , leur donnèrent moïeu
de gagner le bord; fans quoi in-
failliblement U rapidité du fleu-
ve les eût emportez à la mer.
Cependant nous étions fort
en peine de ce qu’ils étoient de-
venus ; nous fuivîmes toujours
nôtre bord , portant nos yeux
aufli loin que nous pouvions, &
criant de toutes nos forces pour
■
x&4 Nouvelle Relation
lâcher de les rappeller , ou pou?
les découvrir. Nous- fumes un;
jour & une nuic dans ces inquié-
tudes* : le lendemain nous re-
commençâmes le meme train »-
à la fin ils nous répondirent, S£
nous les apperçûmes de l’autre
côté : e’étoit une meceflîté de les
aller joindre; Sc pour cela il fa-
ïoit nous expofer au même dan-
ger. Nous fîmes un nouveau
caïeu, car le premier s’étoit tout
délié, & ne tenoit plus à rien-,
nous le fîmes beaucoup plus
fort que l’autre ; & nous étant
munis de bonnes perches, nous*
paffâmes tous à diverfes reptiles
fort heureufoment. Toute la
troupe s’étant ainfi réunie , nous
pourfuivîmes nôtre route fous la
conduite de mon frere , qui n’a-
voit d’autre bouflole que fon gé-
nie. Un de nos chaïleurs s’écarta
pour chalfor , nous le perdîmes
durait
de l'Amerique Sept, zbÿ
durant un jour , le lendemain
nous le revîmes chargé de deux
chevreuils boucannez, il venoic
d’en tuer un autre qu’il avoir
lailfé à un demi-quart de lieuëj
après nous avoir abandonné les
deux , il alla fur Tes pas, avec un
Abenaguis , chercher l’autre ; &
nous l’aïant apporté , nous nous
régalâmes d’une partie de fa
chafle , Sc gardâmes le relie pout
nôtre provision.
Etant de là palfez dans des Sauva-
terres plus delicieufes & plus f' 1 ”, 0 "'
peuplées que toutes les autres , un chc
après lîx ou fept lieues de mar-
che , nous vîmes venir à nous un quinous
Sauvage à cheval , avec une fem-
° r • ■ 1 mes.
me en croupe , luivi de quatre
efpeces d’efclaves , qui étoient
fort bien montez. Cet homme
nous aïant abordé , s’informa
qui nous étions , & de ce que
nous cherchions en ce pais:
z66 Nouvelle Relation
Mon frere lui fit entendre tant
par lui-même, que par les Sau-
vages de fa fuite , que nous é-
tions François , 5c que nôtre in-
tention n’étoit que d’offrir à
tout le peuple de leur Continent,
jufqu’à la Mer-Mexique , nôtre
alliance , 5c la protection du
Roi de France. Ce Sauvage mit
auffi-tôt pié à terre j offrit fon
cheval à mon frere , le força,
même par fes inftantes prières ,
de l’accepter , 2c de vouloir ve-
nir dans leur 'Habitation ; failli-
ra qu’il y feroit tres-bien reçu ,
ëc que fes propofitions y feroient
favorablement écoutées. Mon
frere , après l’avoir fort remer-
cié de fes honnêtetez , lui fit
connoître, qu’avant que de faire
cette démarche , il feroit bien-
aife d’apprendre le fentiment de
toute fa Nation par un Envoie
de fa part. Le Sauvage reçut
de F Amérique Sept. 2
ette réponfe ; de fore bonne
;race ; & par un furcroît de ci-
ilité , il lui laifl’a fa femme &
inde fes efclaves en otage. Mon
irere lui donna fon Neveu Café-
ier , &c deux Cbaouanous. Le
•auvage monta fur le cheval
l’un de fes efclaves , & mon
sfeveu Cavelier fur celui qui
ivoit été donné à mon frété.
_e lendemain y nôtre Envoie-
evint avec nos. deux çhaoua- :
ions y montez chacun fur un
)eau cheval , l’un & l’autre
;hargez de toutes fortes de pro-
/îfions ; & fit un rapport auffi
igreable que furprenant , du
3.0 n accueil qu’il avoir reçu de
:e Peuple, qu’on nomme Cenis. Ccnîs,
Leur habitation a vingt lieues
d’étendue ; elle eft divifëe en V ages.
plufieurs hameaux , prés l’un de
l’autre. Leurs cabannes ont qua-
rante ou cinquante pies de hau-
Z ij
t6% Nouvelle Relation
teur , faites de grofles branches
d’arbres , qui fe rejoignant par
en haut , forment une efpece
de voûte ; le dedans eft tres-bien
natté , & d’une propreté char-
mante.
M. de la Sale , informé de
leurs bonnes intentions,ne man-
qua pas de s’y tranfporter le len-
demain. A deux cent pas du
village , il vit venir au devant
de lui, les Principaux de la Na-
tion , tout empanachez 5 &: cou-
verts de leurs plus riches peaux.
Mon frere les reçut à la tête
de la Compagnie. Le premier
abord s’étant palfé en civilitez
réciproques , il fut conduit par
le Chef jufqu’au village , au tra-
vers d’une tres-belle jeunelfe ,
rangée fous les armes , & par-
mi un très-grand concours de
v>' _ ,
peuple ; on l’emmena lui & la
troupe dans un quartier qui fem-
de l’ Amérique Sept. 169
bloit faire un hameau a part. On
nous y regala tres-bien. Le Cher
convaincu de la magnificence
de nôtre Prince , par les éloges
que lui en fit M. delà Sale , le
reconnut comme fon Souverain,
& fit à mon frere un prefent de
fix bons chevaux , &C de fes plus
belles peaux. M. de la Sale lui
donna des haches , quelques
étuis de ci féaux , des couteaux ,
& des rafoirs qu’il reçut avec
toute la joie imaginable* H y
avoit en ce tems-la chez eux des
Arnbaflàdeurs d’une Nation ap-
pellée les choumans^ : Le fujet
de leur Ambaifade étoit une li-
gue qu’ils prétendoient former
entre eux , pour faire la guerre
aux Efpagnols , leurs tyrans &
leurs perfecuteurs. Ils nous ren-
dirent vifite,& nous convièrent
de vouloir y entrer ; nous leur
donnâmes parole de nous join-
Z iij
A mbaf-
fadeins
des
Chou-
mans.
2 7° Nouvelle Relation
dre avec eux après nôtre voïa»
8 e i nous jurèrent, comme
les autres , une amitié inviola-
ble.
Naflo- Les Najpmis font à une j’our-
tioa^c' nC / ^ CS ^ en is‘ Nous pouffâmes
Sauva- jnicjues cnez eux ; nous en reçû-
mes un pareil traitement , une
meme reconnoifiànce , & une
même protection d’amitié. Ils
ont tous une égale antipatie
pour les Espagnols. Leurs pâtu-
rages y font remplis de chevaux
& de bœufs. On voit dans tou-
tes leurs familles de gros cha-
pons , des poules, des poulets,
& de gros pigeons d’Inde. Nous,
reconnûmes chez eux aufli-bien
que chez les Cenis , quelque
teinture de nôtre Religion. Les
uns y faifoient le ligne de la
Croix ; les autres nous expri—
m oient par certaines marques
le S. Sacrifice delà Méfié. Nous
de V Amérique Sept. 2,71
vîmes bien que c’etoit 1 effet de
quelques Millions efpagnoles 5 ,
mais il n’y a point de doute que
le fruit en feroit beaucoup plus
grand , fi ces premières femen-
ces de Religion leur avoient été
infpirées par des perfonnes qui
leur fuflent moins odieufes. En
effet , nôtre Pere Recolet avec
quelques Images , quelques
Croix , & quelques Agnus-Dei ,
qu’il difttibua aux uns &C aux au-
tres, leur faifoit concevoii & croi-
re tout ce qu’il leur enfeignoit,
tant ces peuples font dociles.
Au milieu de toutes les fatif- Contre
faétions que nous avions iujet chsu;i
d’avoir parmi ces Sauvages, nous
y eûmes deux fâcheux contre-
tems ; l’un fut la defertion^ de
quatre de nos François -, & l’au-
tre , la maladie de mon frere.
A l’égard de ces quatre défen-
seurs , on ne fait û entraînez par
Z iiij
V7% Nouvelle Relation
la beau te de ces contrées , ils
•allèrent chercher à s’établit chez
quelques-unes de ces Nations
voifines j ou G peut-être attirez
par les flatteufes amorces des
Sauvagelfes , ils s’en retournè-
rent chez les Cents , ou s’ils Ce
retirèrent chez les Nafonis. La
venté eft , que depuis qu’ils fe
virent en polleffion d’un che-
val , ils ne crurent plus être par-
mi les Sauvages , on ne put les
retenir , & nous n’entendîmes
plus parler d’eux.
Pour la maladie de mon frè-
re , ce fut aflurément une fuite
du chagrin , que la defertion de
fes gens lui caufa. Il tomba ma-
lade Je 24. Aouft de l’année
apres trois mois de courfe , Sc à
deux cent lieues de la Baie S.
Louis. Sa maladie fut prefque
en même teins fuivie de celle
de M 0 range t nôtre Neveu.Nous
de l' Amérique Sept. z7$
eûmes dans cette affliction la
confolation de trouver parmi les
Sauvages tous les fccours que
nous aurions pu trouver en Eu-
rope , excepté des Médecins.
Nous avions tout ce que nous
pouvions defirer , le veau , le
mouton, des poules, des pigeons,
des ramiers ; & avec tout cela ,
toutes fortes de bonnes herbes ,
tant pour les boitillons, que pour
les ptifannes , èc autres remedes
neceflaires aux malades. Nous
avions avec nous deux Chirur-
giens , qui nous furent d’un
grand fecours :■ Les Sauvages
mêmes , tant hommes que fem-
mes , nous donnèrent du gibier,
de la viande , des volailles ; en
un mot , grâces à la bonté du
Ciel , & à nos foins , nos deux
malades recouvrèrent leur fan-
tc , après un mois de maladie.
Dés que leurs forces furent ce*
2,74 Nouvelle Relation
tablies,mon frcre croïant devoâ?
s’en tenir à Tes dernieres décou-
vertes j & ne pouvant même
s’engager plus avant fans rencon-
trer les Terres des Efpagnols ,
d ou félon toutes les apparen-
ces , nous ne ferions jamais re-
venus , prit le parti de s’en re-
tourner en fa nouvelle Colonie.
Nous nous remîmes en mar-
che vers la fin du mois de Sep-
tembre iéBj. L’avantage que
nous eûmes dans nôtre route,
fut de nous en retourner à che-
val ,,311 lieu que nous étions ve-
nus à pie ; Ce qu’il y eut de
furprenant dans cette nouvelle
voiture, c’cft que nos chevaux,
fans être ferrez , avoient le pie
fi bon , qu’ils franchiffoient tour,
& la bouche fi fine, qu’ils o~
béïflbient à la bride , comme
s’ils y avoient été dreffez. Cha-
cun de nous, étoit raifonnable*
de V Amérique Sept,
ment monté, &c les chevaux que
bous avions de relie , nous (en-
voient ou de relais , ou de che-
vaux de charge , pour porter
nos munitions , nos canots
nôtre équipage ; ce qui nous
fut d’un fort grand loulagement.
Cependant comme les chofes
les plus utiles font quelquefois
les plus funeftes jfoit par le ha-
zard , loit par le manque d’a-
drelfe , il arriva qu’un de nos
chevaux fut la caufe de la perte
d’un de nos Sauvages.
Sur les bords de la Maligne ,
cette riviere , fur laquelle mon
frere courut rifque de fe perdre,
un cheval s’étant cabré à la
vue d’un gros Crocodile , jetta
fon cavalier dans l’eau : A peine
fut-il tombé , que cette bête
avide l’entraîna , èc le dévora à
nos yeux. Ce fpeclacle nous cau-
fa une tres-grandc douleur t mais
UnCr©-
codile
entraî-
ne dans
] eau un
homme
& le de-î
vore^
nouvelle Relation
il eft malaifé que dans les voïa-
ges de long-cours , il n’arrive à
ceux qui les entreprennent, quel-
que accident funefte ; le plus
fur eft de s’y préparer , en don-
nant ordre à la confcience, &:
en fe remettant entre les mains
«îe notre Dieu tout- puiftant, qui
nous guide & qui nous conferve.
Ce malheur étant fans reme-
de , nous continuâmes nôtre
chemin * & après trois mois de
marche , nous arrivâmes au com-
mencement de Janvier de l’an-
nee 1 6 %$. à la Baie S. Loiiis. Aux
premières approches de nôtre
Colonie , nous apperçumes que
tous les environs en étoient dé-
frichez , & même très- bien cul-
tivez. Nous y trouvâmes grand
nombre de femmes, & les Ha-
bitations remplies de nouvelles
familles : chaque famille avoir
les petites provifiom, fan jar»
de V Amérique Sept. 17 7
din & Tes polfelfions ; en un mot,
tout y promettent un heureux
accroilfement, & une nombreufe
multiplication. Mon frere y fut
reçu comme le pere commun de
ce peuple naiflant , & nous eû-
mes un fort grand plaifir de voir
ces commencemens de focieté
de nos François avec les Sauva-
ges , & le bon ufage que chacun
faifoit des avantages de ce nou-
vel établiflement.
Comme la prefence de mon
frere étoit necelfaire en ce pais,
tant pour la confommation du
Fort , que pour donner quelque
reglement à ce nouveau peuple ?
nous y fejournâmes encore en-
viron trois mois. Ce tems étant
écoulé , il refolut de repalfer
en France , pour obtenir de nou-
veaux fecours de la Cour , ôc
pour demander quelques ren-
forts d’artifans & de laboureurs.
Pla-
ceurs
Riviè-
res.
Nouvelle Relation
tant en faveur de cette derniers
Colonie , que pour toutes les
autres qui font répandues en di-
vers endroits de l’AmeriqueSep-
tentrronale. Aiant donc pris con-
gé d’un chacun , il partit accom-
pagné de vingt François pour
le Canada, & prit fa route vers
les Illinois par les terres , fur la
fin du mois de Mars de l’année
1686.
Cette route , quoique la plus
pénible , nous fervit , non feu-
lement a reconnoitre le cours
des rivières , dont nous n’avions
que vu l’embouchure, en des-
cendant le Mijfijjipi, mais d’ob-
ferver de plus prés tous les peu-
ples qui en habitent les bords,
& de contracter avec eux de
nouvelles alliances. Nous tra-
verfâmes d’abord la Riviere aux
Cannes , ainfi nommée , à çaufe
du grand nombre de Canards,
de V Amérique Sept.
dont elle eft couverce. Après
celle-cij nous paflames la Sablon-
niere , qui n’a pour lit qu’une
vafte campagne fablonneufe. En-
fuite le Robec , dont les rivages
font habitez par des peuples qui
parlent tous du gofier. Après
celle-ci , la Maligne , aux envi-
rons de laquelle font les 'ua -
noatinos , Peuple auiîi redouta- nos,
ble aux Iroquois par leur valeur,
que par leur cruauté : Car ou- vages»
tre qu’ils combattent fans quar-
tier , ils fe font une loi parmi
eux d’en faire brûler autant qu’ils
en peuvent prendre. Allant tou-
jours plus avant , nous trouvâ-
mes les Taraba , les Cappa , les
Palaquejfons , tous ennemis dé-
clarez des Efpagnols.
Je n’entrerai pas dans un plus
ample detail des parti cularitez
de toutes ces Nations, Sc de
toutes ces Contrées ; Je me con-
tSo Nouvelle Relation
tenterai de dire , que bien que
ces pars foient beaux , generale-
dfdc*" ment P ar ^ anc 3 on remarque en
chaque c ^ acun deux fon abondance ôc
çôtsée. fa beauté particulière. Les uns
abondent en blé d’Inde , dont
on fait de la boüillie ; les autres
en Tonquo -, les autres en CaJJave }
dont on fait une efpece de pain.
On voit une multitude innom-
brable de Cibolas chez les Peu-
ples qui approchent le plus de
la Mer. Les Cajlors font par trou-
pe chez les Ouadiches , les Oua-
baches , les Akancéas , les Iro-
quois , & dans beaucoup d’au-
tres Cantons de l’Amerique. Les
Ours font tres-frequens dans les
pais du Nort Pour des Chevaux,
on n’en voit que chez les Peu-
ples voifins des Efpagnols ; mais
prefque par tout on voit des
Orignacs , des cerfs, des élans,
des loups , tant cerviers que
communs;
de P Amérique Sept. zos
communs ; de gros béliers , des
moutons Sc des brebis , qui ont
une foie beaucoup plus fine que
les nôtres.
Ce fut au travers de toutes
ccs Plaines , que nous reconnu-
mes une infinité de Sauvages ,
qui nous reçurent tous avec
beaucoup d’humanité , Si avec
une enaere foumillion aux loix
de nôtre grand Monarque. Nous
trouvant entre les P alaquejfom ,
& les Nouadiches , les provisions
nous manquèrent » nous eu r.es
recours à la cbafle : trois ou qua-
tre de nos cha (leurs fe détachè-
rent de la troupe pour aller dans
les bois ; ils n’y furent pas long-
rems fans rapporter du^ gibier.
La beauté du pais fitué encre Borné
deux Nations tres-atfedionnées
pour la nôtre; la campagne a- entre
bondante en blé d’Inde , en tou-
tes fortes de fruits Si de gibier „ pies.
2.82, Nouvelle Relation
les pâturages remplis de bétail
de toute efpece , & fur-tout de
chevaux : Tous ces grands avan-
tages firent naître à mon frere
l’envie d’y faire un établiflement.
Dans cette penlee , il trouva ài
propos de me faire prendre les.
devants vers les Minois , tant
pour vous informer de fon arri-
mée , que pour d’autres raifons
que je vous dirai dans la fuite..
Il me donna le Pere Anaftafe *
Cavelier mon neveu, M. de U
Marne , quatre autres François,,
êc deux efclaves pour me fervir
d rnterpretes , avec deux canots,,
deux chevaux de charge, & nos
munitions neceflaires. Nous
nous feparâmes le xy. Mai de
l’année 1686. & nous prîmes nô-
tre chemin par les terres , tant
pour la commodité de nos che-
vaux, que pour les frequens Ce-
cours que nous tirions des SàftJ
de t Amérique Sept. 2.85
Vages , autant zelez pour nous ,
qu’ils font ennemis des Iroquois
èc des Efpagnols.
Dés la première journée, nous Noua-
allâmes coucher chez les Noua- dkhes
diches , qui nous reçurent a bras de Saa .
ouverts & qui nous invitèrent vages.
à nous joindre avec eux pour
faire la guerre aux Efpagnols :
Ils nous aifurerent qu il y avoir
beaucoup d’or &£ d argent chez
eux y qu’ils nous abandonne •
roient volontiers toutes ces ri-
chelfcs,& qu’ils ne pretendoient
s’en referver que les femmes &£
les enfans pour en faire des ci-
el aves. Quelque peu d amitié
que nous eulhons pour les Efpa-
gnols , nous ne iailfâmes pas ae
fentir de la répugnance â cette
propolition ; nous ne pûmes con-
fentir que des Chrétiens devint
fent efclaves de Sauvages. Pour
çolorer nôtre refus , nous leur
A a ij,
Nouvelle Relation
répondîmes que nous n’étions pas
nombre fuffifant pour leur être
de quelque feeours dans cette
guerre , mais que nous allions
trouver le Capitaine Tonti , à
qui nous ne manquerions pas
de reprefenter les mêmes con-
ditions qu’ils nous offroient , &
que fins doute il les accepteroit.
Cette reponfe les fittisfît ; ils
nous donnèrent des vivres en
abondance , & nous logeâmes
dans leurs meilleures cabannes,
plu— -L e lendemain nous pourfui-
(îcurs vîmes notre route vers les Ce—
Peuples n j s & - es N a JJonis . Ceux-ci nous
donnèrent des guides pour nous
conduire jufques chez les Na~
oirii & ceux-ci pour aller juf-
ques chez les Naauji, Nous fû-
mes également bien reçus de
tous ces Peuples ; & nous trou-
vâmes par tout les mêmes diA
polirions a vivre dans nôtre al»
de t Amérique Sept, lîf
ïiance , & fous la prote&ion de
nôtre Prince.
Les Terres y font fertiles Ferûli-
le climat heureux pour la vi- c p é ^ ccî
gne , les feps y viennent d’eux-
mêmes i l’on voit parmi les or-
mes le raifin fleurir , & croître
à l’ombre de leurs feuillages. On
ne fauroit faire trois lieues v .
qu’on ne rencontre quelque ruif-
feau ou quelque riviere », les
Caftors y font par troupes ; tout
le peuple généralement y adore
le Soleil ; & n’ont d’autre cou-
verture qu'un certain tiflu de
jonc , ou des nattes tres-fines ,
qu’ils bigarrent de certaines
peintures du Soleil , d’oyfeaux»
& de fleurs. Pour armes , ils
ne connoiflent que l’are & la
flèche ; un coup de fufil ou de
piftolet , leur paroît un coup de cado-
foudre précédé par fon éclair, taches»,
Nous paflames des Naaaji ’
chez les QaÀoMm * nous, y fu-
s8<3 Nouvelle Relation
qu’ils mes reçus d’une maniéré toutdU
r°ran UX g enere ule > ce ne fut pas un
cois, accueil , mais un triomphe. Les-
Principaux de la Nation vinrent
au devant de nous ; on nous
conduisit entre deux rangs de la
jeun elle armée, jufques dans les
eabannes tres-propres : Le relie
du régal fut aulîl grotefque que
fauvage des femmes bazan-
nées , mais tres-bien faites , &c à
demi-nues , nous lavèrent les
pies dans des auges de bois ; on
nous fervit de differens mets
tres-bien apprêtez.. Outre la*
boiiillie & le cerf boucanné,
mets ordinaire à tous ees Peu-
ples , on nous prefenta un grand
rôt de poulets d’Inde , d’oyes,,
de canards, de ramiers ; fans y?
oublier les pigeons à la grillade;
Parmi cette grande réjoüilTance,.
il nous arriva un mortel déplai-
ftc ; Comme les chaleurs étoienc
grandes 3 tant à raifon du die
de F Amérique Sept. zg/
mat que de la faifon, M. de la M
Marne eut envie de s’aller bai-UMat-
gner dans une riviere , qui paflè “®.^ c
le long du village ; Pour cet ef- &. k
fet il chercha un lieu à l'ombre,, noïc *
pour y prendre tranquillement
le bain ; L’aïant trouvé , il fc
jetta à l’eau ; mais par malheur
il tomba dans un abyme-, où il
fut englouti à l’inftant même
Quelque tems apres, ne le voïant
point revenir , nous voulûmes
nous approcher du lieu où il sé-
toit retiré- , il n’y étoit déjà plus *,
nous eûmes la penfée que peut-
être quelque Crocodile l’au-
roit dévoré ; mais des gens du
lièu,a ! iantvû l’endroit où il s’é-
toit jetté , ne doutèrent plus:
qu’il ne fe fût perdu dans ce
gouffre. En effet, l’aïant pefché
fur l’heure même , on le retira
mort & tout défiguré.
Jene puis allez exprimer quel
*' \
Z.88 Nouvelle Relation
fut nôtre regrec à la vue d’un £
trille fpecbacle : La femme du
Chef vint elle-même fenfeve-
li r j nous lui rendîmes les der-
niers devoirs ; & apres l’avoir
pieufement inhumé nous mî-
mes une Croix fur fa fepulture.
Les Sauvages , témoins de nos
ceremonies J: joignirent leurs lar-
mes avec les nôtres & tâchè-
rent de nous confoler par tou-
tes les honnêtetés qu’ils nous
purent faire.
Le jour fuivant nous trouvâ-
mes fur la même riviere les Nar-
Anttes cboas , les Ouidiches ; nous vîmes
havJ e . S * cinq lieues plus bas les Cabin-
es.- vio , & les Mentons. Ces Peu-
ples ne fachant ce que c’étoit
que nos armes y nous prenoicnt
pour les maîtres du Tonnerre 5 &
nous craignoiepr en même ceins.
Les Caftors font en très grand
nombre dans leur pais } mais fur-
tout
de F Amérique Sept,
tout chez les Oz,otheoas , qui font
obligez d’en brûler les peaux ,
tant elles font communes chez
eux.
Ces Peuples nous donnèrent
■deux guides pour nous conduire
chez les Akanceas , dont ils dé-
pendent. Ce fut -là que nous
commençâmes à nous recon-
noître : Nous vîmes une Croix
élevée : au milieu étoient atta-
chées les Armes du Roi 5 à quel-
ques pas de-là , nous apperçu-
mes une belle maifon à la Fran-
çoife , habitée par un nommé
Coujlure , qui nous y reçut hon-
nêtement , & nous apprit que
cette habitation vous apparte-
noit avec toutes fes dépendan-
ces.
Après nous y être repofez
deux jours , nous p affames dans
les villages des Torimans , des
Dogirtga , des Cappa , pour
B b
A Kau»
céas.
i$o Nouvelle Relation
gagner le Miffiflipi ; ces derniers
Peuples nous accommodèrent
d’une piroque pour deux che-
vaux que nous leur donnâmes.
Fatigué de nos courfes par
terre , je pris le parti de remon-
ter le Mifliffipi , jufqu’à la rivière
des Minois ; le Pere Anafiafe fut
fort aife d’entrer dans le même
canot que moi. Cavelier mon
neveu î’e joignit à cinq autres
François ; Sc s’étant contenté
d’un Sauvage, il m’en lailfa un
autre pour me fervir d’Interpre*
te & de Rameur. Nous étant
donné rendez-vous chez les
Miamis , nous nous feparâmes;
il fuivit lçs plaines , & je m’em-
barquai fur le Mifliffipi , vers le
quinze d’Aoufl: de l’an i6%6.
Il feroit inutile de parler ici
de toutes les Nations que nous
rencontrâmes > je ne ferai men-
tion que de celles que nous ne
de Y Amérique Sept, zyx
reconnûmes pas dans nôtre des-
cente. Les Chicacha furent les ch
premiers, que nous trouvâmes à cîu
trente lieues des Akancéâs -, ce
font des Peuples tres-dociles ,
mduftrieux , braves, guerriers, &
en affez grand nombre pour
mettre en tout tems deux mille
çombattans fous les armes.
Nous continuâmes de-Ià nôtre
route vers les Ouabaches : à dix
lieues de leur riviere , on voit
celle des MajJ'ourites & des Ota-
ges , qui n’eft ni moins rapide,
ni moins profonde que le Miffif-
fipi. Nous la remontâmes pen-
dant deux jours , tant à delfein
de reconnoître les Nations qui
font fur fes bords, que pour nous
fournir de nouvelles provifions.
Nous rencontrâmes, en la remon-
tant, les villages des Panivacha ,
des Fera , des Panaloga , des
Mat g tante s , des Otages ; tous
B b ij
i9t Nouvelle Relation
Peuples braves , nombreux, SC
bienfaifans ; & qui parmi les
bons mets & les bons fruits, dont
ils nous regalerent > nous firent
manger des raifins d’un goût mer-
veilleux.
Le troifiémç jour , apres avoir
remonté cette riviere , nous al-
lâmes regagner le Milliffipi , où
cous étant rembarquez en ca-
not , nous le remontâmes pen-
dant quelques jours , jufqu’à la
riviere des Illinois ; Et après tren-
te jours de navigation, nous arri-
vâmes au pié du Fort de Creve-
cœur ; de- là nous retournâmes
au Fort S. Loüis,
Nous eûmes d’abord le cha-
grin dç ne pas vpus y rencon-
trer; mais à prefent nous avons
la confolation de vous y voir en
parfaite famé. Là-deflus aïant
renouvelle nos embraffemens, je
demeurai quelque tems fans lui
de l’ Amérique Sept. 2.93
îiefi dire, ne Tachant pas bien
moi-même en quel état j etois
pour lors. D’un cote , la perte
de nôtre dote , & de la plupart
de nos François , m’ avoir fort
attrifté ; de l’autre, l’aflurance
qu’il m’avoit donnée de la Tante
de M. de la Sale , & le Tuccés
de tant de belles découvertes ,
m’avoientfait pafier delà triftefie
à la joïe. J’écois même dans un
étonnement qui tenoit de 1 ad-
miration i mais auffi 1 abTence
d’une perTonne , pour qui )’a-
vois une reconnoififance, &£ une
amitié auffi tendre que refpe-
cfcueufe , dont j’attendois le re-
tour depuis un fi long-tems &Z
avec tant d’impatience > d ail-
leurs le regret de n’avoir pas ete
le témoin & le compagnon de
fes voïages , me penetroit d’u-
ne douleur que je ne pouvois
jfurmonter, Auffi ne pouvant
B b iij
4 Nouvelle Relation:
retenir les chagrins de mon
cœur : Hélas ? lui dis-je , com-
ment fe peut - il faire que M 0
de la Sale , mon unique Prote-
cteur , & mon appui , foit de-
puis deux ans, de retour en Amé-
rique ; & que j’aie été pendant
tout ce tems-là, non feulement
prive du plailir de le voir , mais
de recevoir de fes nouvelles 5,
& que même encore , il ne me
foit pas permis de l’embraflêr?
Je vous avoue , que quelque joie
que vôtre prefence me donne,
je me trouve làifi en vous volant,
d’une plus grande douleur ; puif.
çjue plus je vous regarde , & plus
je relions de chagrin de ne le pas
voir. Ah Ciel ^difois-je toujours y
M. de la Sale eft depuis deux ans
dans F Amérique, &c je ne puis
encore le joindre , ni lui parler?
Helas rce n’a pas été ma fautes
Des que j’ai crû qu’il pouvok
de l’Amérique Sept. 2.9$
avoir touché quelques-uns de
ces bords du Golphe-Mexique,
je fuis defcendu vers ces con-
trées ; j’ai vifité tous les Caps,
tons les rivages de cette Mer,
tant du côté de la Mulcoline ^ que
du côté de la Mexique -, j’ai par-
couru tous les Peuples qui lont
fur ces bords , les Picheno , les
OT^embogu , les Tdngibao , les
Oftonoos , les Mdttfilèas , les Mou-
Ja : Je leur ai demande a tous
M. de la Sale , &£ pas-un ne
m’en a jamais fû rien dire 5 ju-
gez de ma peine & de ma dou-
leur.
Le moïen, me difoit-ilpour lors,
que vous pufîiez nous rencon-
trer? Vous allâtes nous chercher
à l’embouchure du Miffilppi &
aux environs , Si nous n’abordâ-
mes qu’à vingt-cinq lieuës au
delïus. Vous fuivîtes le cours de
çe fleuve dans votre delcente &C
B b iiij
Nouvelle Reïatïen
ans verre retour ; & nous noifî
eearriom toujours, tirant vers le
Siid-Eft, & le long, du Golphe-
Mexique. Quel moïen de nous
trouver en fuivant des routes H
oppofées ? Pour le moins , lui
^ S j e 3 dévoie- il ni eovoïer quel-
«[uun pour m’informer de fon
retour. U e lf vrai , me dit-il
auffi l’auroit-il fait , s’il l’avort
pu : Mais qui de ces nou-
veaux-venus auroit pû démê-
ler les chemins au travers de
tant de Barbares , & dans une:
fi grande^ diftance l Et pouvoir-
P a der de lès deux neveux
m de moi ? D’ailleurs, l’elperan-
ce qu^il avoir de vous revoit
bien-rôt en perfonne,I'ui Ht tou-
jours différer à vous informer de
fon arrivée. A la bonne heure,
Im dis- je , on ne peut remedier
au pafléj ce qui me réjoüit, c’eft
de favoir qu’il fe porte bien , &
de V Amérique Sept. Z97
à peu prés où il eft : nous nè
ferons pas , Dieu aidant , long-
cerns à l’aller retrouver. Ce-
pendant je me reflbuviens , lui
dis-je , que vous aviez encore
quelque chofe de plus particu-
lier à me communiquer de fa
part v je vous prie de me le dé-
clarer , afin que je puifle pren-
dre au plutôt de juftes rnefures
pour mon voïage.
C’eft , me dit-il , que mon
frere impatient de donner les
fecours neceffaires à l’affermifte-
ment &L à l’entretien de fa nou-
velle Colonie , ÔC de faire bâtir
deux Ports & deux Havres,
f un à la Baie S. Loiïis , &
tre à l’embouchure du Mifln-
fini , dont il a tres-bien obfer-
vé le fond &C les bords , ne ma
détaché d’avec lui, que dans le
delfein de me faite inceflam-
p.pnr. repalfer en France , tant
Nouvelle Relation
pour informer la Cour de foft
dernier établiflfement, & de fes
grandes découvertes , que pour
préparer les efprits à lui accor-
der ce qu il faut pour des chofes
fi prellantes & fi necefiàir es»
C eft pour cela qu’il m’envoie à
Québec, & qu’il m’a chargé de
venir vous trouver pour vous de-
mander quelque argent i je vous
en donnerai un reçû, & mon frè-
re vous en tiendra compte.
Ce^ aifcours fut accompa-
gné d’une Lettre bien cachettée
du Cachet de M. delà Sale: A
1 égard de l’écriture , je n’y fis
point de reflexion jleurs caractè-
res étant d’ailleurs fi approchans
q«?l eût été mal-aifé d’en con!
noître la différence. Jelûs cette
Lettre avec un extrême plaifir
elle contenoit à peu prés la mê-
me demande, avec des protefla-
lions d une entière confiance, &
de T Amérique Sept.
d’une parfaite amitié. La joie
où j’étois d’apprendre de fes nou-
velles , la fimplicité de la per-
fonne qui me prefentoit cette
Lettre , & le dévouaient que
j’avois fait de tout ce que je pof-
fedois , aux volontez d’un hom-
me , à qui je cro'iois tout de-
voir , ne me permirent pas de
balancer. Je demandai auffi-tot
à M. Cavélier ce qu’il fouhaitoit;;
Il me dit qu’il croïoit que fon
frere avoit fixé la forome a celle
de fept mille livres. Il eft vrai,,
lui dis-je , mais s’il vous en faut
davantage , vous n’avez qu’à me
le demander ; tout ce que j’ai»
eft à vôtre fervice. U me remer-
cia fort honnêtement , & me dit
qu’en cas q.u’il eut befoin de
quelque chofe de plus, il le pour-
voit trouver en France ; De forte
que je lui comptai fur l’heure
snême cette femme d’argent rit
joo Nouvelle Relation
voulut m’en faire fon reçu, fui-
vant 1 ordre qu’il me dit en avoir
de fon frere. J’y donnai volon-
tiers les mains ; 8c comme il me
ptotefta qu’il vouloir partir le
lendemain, je rafraîchis fon é-
quipage & fes munitions : nous
pa fl a oies le refte de la journée
le moins mal qu’il nous fut pof-
lible i 8c le jour fuivant , il prie
congé de moi, du grand matin,.
8c partit avec un Pere Recolet ,
& un efclave , à deflein de paf-
fer chez les Miamis.
Je me difpofai à partir le jour
fuivant par la riviere ; tout étoit
réglé pour cela. Après avoir paffé
le refte du jour avec aflfez d’in-
quietude, le lendemain comme
j’allois embarquer mon petit é-
quipage, environ les neuf heu-
res du matin, je vis arriver le St
Coufiure , mon Lieutenant parmi
ks Aicancéas , chez lefquels
de V Amérique Sept* 30 1
Mrs Cavélier , oncle & neveu,
croient allé fe repofer. j’eus d a-
bord un vrai plaifir de^ le voir ,
mais un moment après , il me
■jetta dans un terrible accable-
ment. je lui demandai auffi-tot
en quel lieu il avoit laide M. de
la Sale. M. de la Sale, me dit-
il ? Ne favez-vous pas quil
eft mort? M. delà Sale eft mort, Mort
mécriay-je? Cela n’cft que trop
vrai , me dit-il , il eft mort $ il
a été aflaffiné par Tes gens , en-
tre les Palaquejfons & les Noua-
diches. Que me dites-vous là ?
Cela eft-il poflible ? Hé ! Quoi,
fon propre frerç M. Cavelier
vient de prendre congé de moi;
bien loin de me rien dire de ce-
la , il ni a rendu une Lettre de
fa part , & ne m’en a pas témoin
gné la moindre douleur. C’eft de
lui même que je le fai, me d't-ih
Tes larmes & celles de fon ne-
3 02 - Nouvelle Relation
yeu Caveher , ne me l’ont que
trop confirmé ; & je fuis au de-
fefpoir de vous dire le premier
«ne fi méchante nouvelle. Je
fus fi conjflerné par cette répon-
Je , que je tombai dans un acca-
blement extrême. Je ne pus ni
parler ni pleurer j je me trouvai
fi faifi , que je ne favois que de-*
venir. Quelques momens après,
je me levai, en difant: M. de
la Sale , mon unique Patron ejl
mort s JJ affiné par les f/ens ! iujle
Ciel ; Cela fe peut-il ? mais puis-
je /avoir qui /ont les malheureux
qui ont porté leurs mains parri-
cides fur un fi bon pere ? Ce font
Auteurs fieux coquins, Dan & Lantelot ,
defa me dit-il. Ah i les feelerats ,
m’écriay-jei Par quel motif, ou
plutôt quel démon a pu les
porter à commettre un forfait
fi terrible ? Je le priai de me di-
re tout ce qu’il en favoit. HelasJ
de l'Amérique Sept. 303
me dit-il , je vous le dirai de
point en point , comme on me
l’a raconté.
M. de la Sale , revenu d’une
fort grande maladie , avoit re-
gagné fa derniere Colonie , au
Fort S. Louis , & enétoit repar-
ti le z 6 . Mars de l’année 168 6.
dans le deffein de revoir fcs an-
ciens établiflèmens , accompa-
gné d’environ trente perfonnes ,
du nombre defquels etoient fon
frere , fes deux neveux , les
deux freres , Lantelot Sc Van ,
un Sauvage Choouanou , deux
Flibuftiers Anglois , &c un cer-
tain Ili eus , Allemand de Na-
tion.
Dés la première journée, M.
de la Sale s’étant apperçû , que
le plus jeune des Lantelot , en-
core foible d’une grande mala-
die , ne pouvoit fuivre le refte
de la troupe , voulut le renvo'ier
304 Nouvelle Relation
à la Baie. Quelques inftantes
prières que Ion frere fit pour
îie fe pas feparer d’avec lui , M.
de la Sale ne voulut point s’y
rendre j le jeune Lantelot fut
ainfi obligé des’en retourner à la
Baie. Ces maniérés qui parurent
hautes & imperieufès,furenr diffi-
ciles à digerer à un homme de
cceur.Par malheur il arriva que ce
jeune homme fut rencontré en
chemin par quelques Sauvages ,
neLan- < l u * l’égorgerent. La nouvelle
ceiot é- en vint le jour même à Ion fre-
ins re a * R é 3 nc P ut diffimuler
Sauva- fa douleur. Il en jetta d’abord
£“* la faute fur M. de la Sale. Dés
ce moment , pénétré de fureur
& de reflêntiment , il jura fa
perte. Après s’être laifl'é aller
aux plaintes & aux regrets , il é-
touffa tout d’un coup fa colere,
méditant de la faire éclater dans
l’occafion. Il fuivit le relie de la
troupe;
’de V Amérique Sept. 3.0 y
troupe; & après deux mois de
marche , les vivres leur aïant
manqué entre les Palaque/fins ,
& les Noadiches, Dan & Lance-
lot firent une partie pour aller
chafler dans les bois ; ils enga-
gèrent le fieur M orange t , à fe
joindre avec eux. Celui-ci , fans
entrer dans aucune défiance, ou
plutôt par complaifance , fe mit
de leur partie ; les deux autres
qui lui en vouloient depuis long-
tems, tant par la jaloufie qu’ils
a voient de Ton mérité, que par la
haine implacable qu’ils portoient
à Ton oncle , l’aïant infenfible-
ment attiré à l’écart, affouvirent
leur rage fur lui ; pour cet eftet ils
lui donnèrent un coup de hache
fur la tête , donc il mourut deux
heures après , en bon Chrétien,
pardonnant de tout fon cœur à
fes ennemis. Ce fut-là le pre-
mier coup de leur vangeance.
Ce
Mer an -
g« ar :
fomme
d’un
coup de
hache.
30 <? Nouvelle Relation
Le jour étant fini , &: M. de-
là Sale ne voïant pas revenir
fon neveu , ni ceux de fa com-
pagnie , pafià la nuit en d’étran-
ges inquiétudes. Le lendemain
il alla lui-même vers l’endroit ,,
où il jugea qu’ils pouvoient a-
voir été ; il ne fut pas long-tems
à le trouver; le Pere Anaftafe,
fon frere &: fon laquais le fuivi-
rent prefqu’auiïi-tot.Etant arrivé:
dans une prairie , qui eft fur le.*
rivage du Miffilfipi , il entrevit
au travers de l’herbe fort haute,
le valet de Lantelot ; d’abord il
lui demanda où étoit Moranset
O
fon neveu, Ce coquin lui répons-
dit avec impudence , qu’il pou-
voir l’aller chercher à la dérive.
En effet , le corps de cet infor-
tuné jeune homme é toit-là éten-
du, & deux vautours voltigeoient
au-defl'us , pour en faire leur cu-
rée : Cependant ces deux per-
de t Amérique Sept. 307
fidfes étoienc couchez cachez
dans l’herbe , le fufil bandé:
Comme M. de la Sale voulut
approcher de ce valet , pour le
mettre à Ton devoir , il le (en rit
atteint de trois balles à la .tête,,
d’un coup de fufil que lui lâcha
Lancelot : Il tomba a terre , le
vifage tout enlànglanté. Le Pere
Anafiafe &: fon frere a'iant en-
tendu le coup , coururent d’a-
bord à lui , ils trouvèrent qu’il
fe mouroit ,, mais encore avec
quelque eonnoilfance. Leur dou-
leur ne les empêcha pas de lui
donner les derniers fecours , du
moins pour le falut de fon ame ;
& il eut affez de tems & de for-
ce pour fe confefler , & faire à
Dieu un facrifice de fa mort.
Voilà le dernier coup de leur
rage , & la fin tragique de nôtre
illuftre Chef , & de vôtre bon
M de
la Sale
cil bien
legrctté
308 Nouvelle Relation
Ces derniers mots me ferre—
rent fi fort le cœur , que je n’eus-
pas la force de me plaindre. Je
demeurai muet , immobile pen-
dant quelque tems -, mais enfin
la violence de ma douleur me
faifant revenir de ma confier-
nation , par un foudain déborde-
ment de larmes: ô Ciel ïdis~je T
quoi «je ne reverrai plus M. de la.
Sale ? Quel efpoir ? Quelle refi»
fource merefle-t-il ? Que devien-
dront toutes ces familles naif-
fantes , dont il étoit le pere , le
foutien & là feule eonfolation h
Quel defefpoir pour elles ? que
de travaux perdus ? que de per-
fonnes defolées par la perte d’un
féal homme ? Helas ! fë peut-if
qu’une perfonne fi venerable par
fa vertu, fi utile à la France par
fes grandes découvertes ; quün
homme fi refpeéfé fi chéri des.
Peuples les plus barbares , ait
de l’ Amérique Sept, jof
lté malfacré par les liens ? Eft«
il de fupplice allez grand pour
ces meurtriers , pour ces mifera-
bles ? mais où les trouver l Ah !
fi jamais je puis les découvrir î
C’en elt fait , me dit alors Cou-
ture , ces fcelerats font déjà pu-
nis , s’ils peuvent l’être alfez pat
feur mort. Comment y lui-dis-je t ,
la Terre les a t-elle englouti ,
ou le Ciel les a t’il foudroie ?
Non , me dit-il , leurs camarades
leur ont rendu juftice. Ces mal-
heureux , apres cet attentat, vou-
lurent encore faire main-balfe
• fur tout le relie , pour ne point
lailfer de témoins de leur cri-
me ; mais les deux Anglois fei-
gnant d’entrer dans leur intérêt,
&: de foutenir leur aêlion , ob-
tinrent grâce pour le Pere & le
neveu qui reftoient , avec la li-
berté d ? enfevelir les deux corps.
Pendant que ces deux païens
fio Nouvelle Kelatïm
affligez avec ce bon Religieuse
s’acquittoient de leurs devoirs-
envers les défunts y , ces perfides»
coururent s’emparer du refte des
effets , & des marchandifes de'
M. de la Sale ; le tout confi-
âoit en dix chevaux T quelque
linge , & environ deux mille
©eus en marchandifes. Dés qu’ils-
fe f urent faifis de tout ,, le refte
de la troupe fe vit obi igé de fai-
re de neceffité vertu , & de fe
joindre à eux.. Le frere & le
neveu , qui avoient racketté leur
vie par le filence ,, & par un a-
bandonnement volontaire de
coût, fe virent forcez de fuivre
le torrent. On arriva au village’
écsNouadiehes ; quelques Fran-
çois qui avoient deferté du vi-
vant de M. de la Sale , s’étoient
habituez parmi ce peuple. Ces
peuples vo'iant arriver cette
nouvelle compagnie affez bien
filç t j^YHCYl S t p T: ^£3
armée , & médiocrement équi-
pée , n’eurent pas moins de joie
de les voir,que les François ; ils
leur firent un tres-bon accueil >
& les invitèrent dés le premier
abord à aller avec eux faire la
guerre aux £hu>anantinos .. Il fa-
lut s’accommoder au tems 8c au
befoin r tous entrèrent dans cet
engagement , à la . refer ve des;
deux M IS Cavelier , éc du Pere
Recolet.
Cependant Lantelot , & Dafë
qui s’étoient érigez en chefs de
la troupe , faifoient logement à
part , difpofoient abfolument
de tous les effets de feu M. de
la Sale , s’en divertiffoient , 8C
faifoient bonne chere.
On attendoit de jour en jour
le départ des Sauvages. L’An-
glois 8c r Allemand qui n’avoienc
eu aucune part aux depoüilles
du défunt , 8c qui avaient nean-
fï2 'Nouvelle Relation
moins un grand befoin de s'é-
quiper, allèrent bien armez trou-
ver leurs prétendus chefs dans
leur eabanne , les prièrent de
Vouloir les accommoder de
quelque linge pour leur nouvel-
JST le expédition. Lantelot les re-
Danaf- çut brufquement ; T Angiois lui
fafline® réitéra fa demande ; l’autre lai
Anoio'L & un fécond refus encore plus
& un brufque que le premier : là-def-
mind. PAnglois lui dit : Ru es un
miferable ; tu as tué ton Maître’
de le mien ; & dans- le même
inftant tirant un piftolet de la
ceinture , il lui enfonça trois
balles dans les reins, dont il le
porta par terre. Ban voulut aufli-
tot courir à fon fufil , mais l’Al-
lemand le coucha en joue , lui
eafla la tête, & le tua tout roide.
On accourut auffi-tôt à ce bruit,,
Je Pere Anaftafe trouva l’un
snort , l’autre qui fe mouroit : H
confeila
de ï Amérique Sept . 313
tonfelfa celui-ci qui étoit le
meurtrier de M. de la Sale. A
peine lui eût il donné l’abfolu-
tron , qu’un François vint lui
brûler les cheveux d’un coup de
piftolet fans balle ; le feu prit
auffi-tot à fa chemife qui étoic
affez gradé ; & ce malheureux fe
vit mourir dans les fiâmes. C’eft
ainlî que périrent ces meur-
triers , dont l’aétion étoit trop
noire pour relier long-tems fans
punition. On ne doute point que
ceux qui liront cette Relation ,
ne conçoivent de l’horreur con-
tre de pareils alTafims.
L’Allemand &C l’Anglois fe
rendirent enfuite les maîtres de
leurs dépouilles -, & ils offrirent
le tout à la difcretion de M r *
‘Cavclier, qui n’en prirent qu’au-
tant qu’il leur en faloit pour
leur voïage ; & qui après leur
avoir abandonné le relie , vin-
Dd
314 Nouvelle Relation
renc me trouver chez les Akan -
céas ; ils écoient l’oncle & le ne-
veu, M. de la Marne,M. Jouftel,
&: un chaouanou ; c’eft de leur
propre bouche que j’ai appris
tout ce que j’ai rapporté. Je fus
témoin de leurs regrets de
leurs larmes; ils fe repoferent
deux jours dans vôtre maifon ; &
le troiliéme jour fuivant,ils parti-
rent pour les Illinois. Voilà,
Monfieur, tout ce que j’en fai.
Je n’ai vu , lui dis- je alors , que
l’oncle & le Pere Recolet 5 pour
ce qui eft du neveu, de M. jou-
ftel , & du Chaouanou , je ne
les ai point vus. A l’égard de M.
de la Marne , il me fouvient que
M. Cavelier m’a dit qu’il s’étoic
îioïé. Cependant je ne puis reve-
nir de mon étonnement, quand je
longe à la confiance & à la tran-
quillité ave* laquelle il m’a con-
té tout fon voïage, & toutes fes
de V Amérique Sept. $if
avantures : l’on dit que les gran-
des douleurs font muettesje n’o-
ferois douter de la fincerité de la
fi en ne , mais je fuis fur qu’il a
bien démenti cette maxime. Il
avoit befoin de dilfimuler , me
répondit alors Coufiure ; il vou-
loir difliper fa douleur par de
longues hiftoires s & d’ailleurs
il avoit fes vues & fes raifons
pour cela.
Je comprens fort bien vôtre
penfée,/#/ dis- je jil vouloir tirer
de l’argent de moi j &: il appre-
hendoit que je ne lui en donnalfe
pas , s’il m’apprenoit la mort
de fon frere, Mais, helas 5 j’é-
tois trop redevable à fon nom
& à fa famille , pour lui rien re-
fufer. Plût à Dieu n’avoir rien
au monde , & n’avoir pas perdu
mon cher Protecteur, mon cher
Maître , & mon plus fidele ami J
Dd ij
$ lé Nouvelle Relation
Mais , helas i tous nos regrets
font vains : Si nous ne pouvons
reparer cette perte, armons-nous
du moins de confiance : T âchons
de voir finir ce qu’il a fi heureu-
fement commencé.
Dés ce moment je me raffer*
mis dans le deflein d’aller , non
feulement porter du fecours à
ces pauvres François abandon-
nez fur le bord de la mer , mais
même d’aller faire quelque nou-
velle entreprife , qui me donnât
fujet de me confoler de la perte
que j’avois faite. Je fis mes pré-
paratifs pour une nouvelle des-
cente vers la mer , & vers tou-
tes ces Nations reconnues nou-
vellement par M. de la Sale , ôc
dont fon frere m’avoit parlé.
Dans cet entre-tcms je re-
çus une Lettre de M. le Mar-
quis d’Enonville,nôtre Gouver-
neur, par laquelle j’appris qu*
de F Amérique Sept. 317
flous avions la guerre avec les Guer j* s
Efpagnols , & par laquelle il me
donnoir une entière liberté d’en- gnois,
treprendre fur eux tour ce que je
pourrois. Cette Lettre jointe a
ce que M. Cavelier m’avoit dit
au lujet de ces Nations qui dé-
voient leur faire la guerre, m’a-
nima d’autant plus à preffer mon
voïage. Je partis donc le trqi-
fiéme jour de Décembre 1687*
accompagné de cinq François ,
de quatre chaouanous , Sc de
quelques autres Sauvages. Je
laiflax mon couiin de Liette pour
Commandant au Fort S. Louis.
Ma première journée fe termina
au village des Illinois. Je trou-
vai qu’ils venoient de la guerre
contre divers peuples voifins ,
dont ils ramenoient cent trente
prifonniers.
Je palîai de-là chez les Cap-
qui me firent une fort bonne
D d iij
fi 8 Nouvelle Relation
réception. Les Toginga , les Te*
rimans me reçurent avec une
pareille demonftration d’amitié
êc de confideration.
n I>e-là je fus chez les Ojjotoüe y
cù j’avois ma maifon de com-
merce. J’y paflfai cinq ou fix
jours , pendant lefquels j’y fis de
nouvelles emplettes , &: augmen-
tai mes munitions.
Je partis» de ma maifon fur la
fin du mois de Février i688‘. je
regagnai après quelques jour-
nées, le grand village de Taen-
fis . Dans le cours de cette trait-
te , un de mes chaouanous fut
attaqué par trois cbachouma , il
en tua un, 5c fut bleffé lui-mê-
me legeremenc à la mammelle,
d’un coup de flèche. Il nous ar-
riva un malheur bien plus grand
dans cette route : Deux François
de ma troupe , s’étant écartez
dans les bois pour chaflfer , fu-.
de ï Amérique Sept, 31 9
r-ent attaquez pa.t un parti des
Naches , & furent malheureu-
fement tuez. Ce déplaifir fut
d’autant plus grand pour nous ,
qu’il nous fut impoffible de nous
en vanger , ne pouvant joindre
ees Sauvages.
Etant arrivé chez les Taen- Dift -
fis, les Principaux de la Nation
m’informèrent de la quere.le Xacn .
qu’ils avoient avec les Nachtto - fes & ^
chesfi raifon du fel , dont ceux- chito-
ci ne vouloient point leuv faire eues-, -
part , &c me prièrent de • vouloir ^v £i _
me mêler de leur accommode-
ment. 3’accepcai volontiers cette
médiation : Trente Taenfas le
joignirent à nôtre troupe ; nous
arrivâmes apres huit jours do
marche au village des Nachtio-
ehes : Cette Nation ne fait qUim
Peuple avec deux autres qui font
les Ouafita , &£ les C api c ht s. Los
Chefs des trois Nations s’étant
D d ni)
32.0 Nouvelle Relation
afiemblcz , on nie fît afleoir au
milieu : Les trente Taenfas , a-
vant que de prendre leur place,
demandèrent la permiffion d’al-
ler au Temple implorer le fe-
cours de leur Dieu pour en ob-
tenir une bonne paix. Le Soleil
eft la Divinité la plus ordinaire
de tous ces P euples. Ils furent
conduits au Temple ; & après
avoir fait leur priere , ils furent
ramenez à l’Aflemblée , oùs’é-
rant preientez , ils prirent leur
Dieu a témoin de la fincerité de
leurs intentions pour la paix j
prefenterent leurs prefens aux
trois Nations, & me prirent pour
garant de leur bonne foi. Je fis
valoir du mieux qu’il me fut
polit b le, leurs interets dans l’ef-
prit de ces trois Peuples * je por-
tai les chofes à un bon accom-
modement , qui fut caufe que
ceux-ci leur promirent de leur
de ï Amérique Sept . 311
fournie *du fel en échange de
leurs peaux &c de leurs grains.
Ces conventions faites , ils fe ju-
rèrent une paix mutuelle , &c l’on
danfa le Calumet. Je pris enfuite
congé des uns & des autres.
Les Nachitoches me donnèrent
cinq guides pour me conduire
au village des Yataches\ je mon-
tai, pour y aller , lariviere Ono -
royfie environ trente lieues.
Nous trouvâmes dans nôtre
route quinze cabannes de Na*
ches. Nous y pafïames la nuit ,
nous tenant toujours fur nos gar-
des } le lendemain en aïant ren-
contré une douzaine à l’écart ,
nous ne les épargnâmes point ,
§c nous vangeâmes fur eux la
mort des deux François qu’ils a-
voient égorgez. A quelques
journées de-là , nous arrivâmes
chez les Yatacbes , joints avec
deux autres Nations , qui font
3*2, Nouvelle Relation
trois villages enfemble ; à fa*
voir , les Tataches , les Onadao &
les choyé. Comme ils apprirent
notre arrivée , ils vinrent trois
lieues au-devant de nous , avec
de bons rafraichiflemens. Nous
allâmes de compagnie à leur vil-
lage ; les Chefs nous firent plu-
fieurs feftins ; je leur fis quelques
prefens , & je leur demandai des
guides pour me conduire jufques
chez les 'uodadicjuio . Ils eurent
bien de la peine à m’en accor-
der > parce que depuis trois jours
ils avoient maffacré trois de
leurs Ambafîâdeurs ; mats à
force de prières & de protesta-
tions de les défendre > ils nous
en accordèrent cinq.
Quand nous fumes proche
des trois villages , nous décou-
vrîmes lur les chemins, des pi-
lles d’hommes Sc de chevaux.
En effet nous rencontrâmes le
de /’ Amérique Sept. 51$
matin quelques Cavaliers qui
s’offrirent à nous y conduire.
J’étois accompagné de vingt
bons fufiliers , & ainfi en état de
tenir en refpect ces Sauvages.
Dés que je fus dans le village , Avan-
une femme qui tenoit le premier tur «*
rang dans cette- Nation : vint à
moi , & me demanda vangeance
de la mort de fon mari , qui
avoit été tué par les Tataches .
Une autre vint me faire les mê-
mes plaintes , c’étoient jufte-
ment les femmes de ces Ambaf-
fadeurs, que les Tataches avoient
malfacrez. Tout le peuple fem-
bloit s’intereifer dans leur mort*
& comme l’on fe fert de tout,
je promis à ces femmes &c à tout
ce peuple de vanger le fang de
leurs maris &c de leurs Ambaffa-
deurs. Ils me conduifirent d’a*
bord dans leur Temple , me la-
werent le vifage avec de l’eau ,
Peuples
finis cn-
icaablc.
5H Nouvelle Relation
avant que d’y entrer j & apres
y avoir prié Dieu lefpace d’un
quart d’heure , l’on me ramena
dans la cabanne d’une de ces
femmes , où je fus magnifique-
ment traité. C’eft-là que j’ap-
pris que les fept François qui
setoient détachez d’avec M.
Cavelier , après la mort de M.
de la Sale , étoient encore par-
mi les Nouadiches. Cette nou-
velle me donna beaucoup de
plaiûr i & j’efpcrois être au bout
de mes peines , fi je pouvois
les rejoindre. C’eft pourquoi
aïant pafie le refte de la journée
chez les Jjhtadodiquio , je les
priai de me donner des guides.
& les aflurai , qu’à mon retour,
je leur ferois faire raifon par les
Yataches , ou que je vangerois
le fang par le fang.
Les Jjhtodadiquio font joints
avec deux Nations , à favoir les
de V Amérique Sept.
TSupgitoche , & les Najfonis , fi-
tuez fur la riviere Rouge. Ces
trois Nations parlent une même
langue : Elles ne font pas aflem-
bleés par villages, mais par habi-
tations alTez éloignées les unes
des autres : Leurs Terres font
fort belles , ils ont la pefche & la
chaiïe en abondance, mais il y a
fort peu de bœufs. Ces peuples
font une guerre cruelle à leurs
voifins ; aufli leurs villages ne
font-ils gueres peuplez. Je n’ai
pas reconnu qu’ils filîènt d’au-
tres ouvrages que des arcs &C
des flèches , qu’ils trafiquent
avec des Nations éloignées. Ils
ont tous de fort beaux chevaux,
qu’ils appellent CavÆos. Les
hommes & les femmes font pi-
quez au vifage , & par tout le
corps } ils croient en être plus
beaux ; telle eft la bizarrerie de
l’êfprk des hommes ; car ce qui
32.6 Nouvelle Relation
fait la difformité dans un pais,
, fait la beauté dans un autre.
jtsuge, Leur Riviere s’appelle Rouge ^
*^ TiCie parce qu’eiFeûivemenr elle jette
un fable qui la rend rouge corn-
me du fang.
3’en partis le fixiéme d’Avril
1650. avec deux efclaves qu’ils
me donnèrent pour les Nouadi-
ches. Nous étant remis en che-
min, nous trouvâmes quelques
Sauvages Nouadiches àlachaffe,
qui m’aflurerent qu’ils avoient
laifle nos François chez eux ; ce
qui me donna beaucoup de joïe ;
mais j’eus en même tems le cha-
grin de perdre un jeune François
de ma fuite; Trois jours après, il
revint à moi , n’aïant plus fon
havre-fac , où j’avois mis la
meilleure partie de mes muni-
tions ; ce qui me mit dans une
fort grande peine ; Cependant
ne croïant pas à propos de lui eû
de V Amérique Sept. 317
rien témoigner , nous allâmes
coucher à une demie-lieue du
village des Nouadiches , où les
Chefs nous vinrent trouver. Je
leur demandai auflï-tôt des nou-
velles de nos François , ils me
dirent qu’ils fe portoient fore
bien ; mais ne les voïant point,
je n’en augurai rien de bon. Le
lendemain étant arrivé chez eux,
pas un d’eux ne fe prefentant à
moi , je m’en défiai davantage :
les Principaux de la Nation ne
manquèrent pas de me venir of-
frir le Calumet ; je ne voulus rien
accepter de leur part , qu’ils ne
me reprefencaflent les François:
Voïant que je m’opiniâtrois à
cela , ils m’avoüerent que nos
François, les aïanc accompagnez
à la guerre contre les Efpagnqls,
avoient été invertis par la Caval-
leric, que trois avoient été tuez,
& que les quatre autres s’étant
Nouvelle Relation
retirez chez les JQuoanantims ,
ils n’en avoient plus entendu
parler. Je leur répondis qu’affu-
rément c’écoient eux-mêmes qui
les avoient tuez ; ils s’en défen-
dirent fort , & moi les en accu-
fant toujours , leurs femmes Ce
mirent à pleurer , & me firent
connoître par leurs larmes , que
leur mort n’étoit que trop véri-
table. Les Nouadiches firent ce
qu’ils purent pour s’en difculper,
& m’offrirent une fécondé fois
le Calumet ; je leur dis que je
ne l’accepterois qu’ après avoir
appris à fond leur innocence fur
cet article ; que cependant fi je
pouvois leur être utile à quel-
que chofe j ils trouveraient en
moi une fidelité inviolable. Le
Chef répondit à mes avilirez
par un prefent de dix beaux che-
vaux affez bien harnachez. Je
lui donnai fept haches , & une
brade
de l’ Amérique Sept. $19
b rafle de grofle rafade.
Nous quittâmes leur pais le
19. du mois de Mai , & nous a-
vançâmes julqu’à une journée
des Pahquejfons. Ce fut-là que
nous apprîmes que la derniere
Colonie établie par M. de la
Sale , fur les bords de la Mer-
Mexique,n’aïant pu fe maintenir
dans une parfaite union , s’étoic
toute difperfée ; que les uns s’e-
toient confondus avec les Sau-
vages, &c que les autres avoienc
pris le parti de remonter vers
les habitations Françoifes. G’eil
pourquoi n’a'iant pas crû devoir
les aller chercher où ils n’étoient
plus, je me refolus de revenir fur
mes pas ; je tâchai de gagner le
village de Coroas ; mais une
inondation prodigieufe étant
furvenuë par des pluies extraor-
dinaires , qui durèrent trois
jours confecutifs > nous -nous
5 S° Nouvelle Relation
trouvâmes dans la plus grande
peine du monde ; le moins d’eau
que nous avions , c’étoit jufqu’à
demi-jambe. Il faloit dormir
fur de gros arbres, & faire du feu'
au de (lus. Nous fûmes heureux
d’être munis de calfave, de bœuf
& de cerf boucanné ; nous reliâ-
mes trois ou quatre jours dans
ces extremitez. De bonne for-
tune , nous trouvâmes une pe-
tite Ifle , que les eaux n’avoient
pas inondée , nous-nous y re-
tirâmes un jour & une nuit^nos
chevaux s’y refirent un peu , &
la terre s’étant bien-tôt delfc-
chée par les grandes ardeurs de
la laifon & du climat , nous re-
gagnâmes en une journée le vil-
Coroas lage des Coroas. Je ne faurois af-
fauvage ^ ez exprimer les bons traitemens
que nous reçûmes chez ce peu-
ple : Us envoïoient tous les
jours à la pefche & à la chafls
de 1 Amérique Sept. fît
pour nous regaler : Ils nous
fournifïbient , avec abondance ,
des poules , des oycs , des pi-
geons & des poulets d’Inde. Ce
qui redoubla ma joie , c’eft que
j’y trouvai deux de ces François
que j’avois été chercher chez les
Nouadiches, & que j’eus le plai-
fir de réunir à ma troupe. Je
quittai les Coroas le zo, Juillet,,
& j’arrivai le 31. chez les Axan-
céas , où la fièvre me prit ; ce
qui m’obligea d’y fejourner jus-
qu'au 15- d’Aouft. Après m’y
être un peu rétabli , je repris
ma route jufqu’aux Illinois,chez
Icfquels j’arrivai au mois de
Septembre.
La paix des Taenias avec les
Nachitoches » la fatisfadion de
me voir très -bien reçu de
tous ces peuples fauvages , & le
plaifir de ramener deux Fran-
çois que je eroïois perdus , fu-
Ee ij
33 1 Nouvelle Relation
rent les fruits de mon dernier
voïage.
L’on peut voir,par cette Rela-
tion , la richelle &r la beauté de
toutes ces Terres habitées par
tant de Peuples , qui font déjà
prefque tout fournis , & qui
font parfaitement prévenus de
la grandeur de nôtre Monarque.
On ne fauroit croire l’abondan-
ce de ce Pais , tant en grains ,
en fruits , qu’en bétail. Il e ft
entouré de tous cotez de gran-
des Mers , dont les bords qui
font très-profonds , fêmblent
nous y prefenter des Ports na-
turels : Trois ou quatre Havres
fur le Golphe-Mexique nous
en aflureroient indubitablement
la pofleffion. Les François y font
h fort aimez, que pour s’en ren-
dre les maîtres , ils n’ont qu’à
vouloir s’y établir. Ce qui y man-
que , peut y être porté par nos
de l’Ameriquï Sept.
vaiflfeaux 5 comme aufll ce qui
manque dans nos Terres , peut
nousvenirde celles-là; c’eft d’ el-
les que nous vient le principal
Tecours de nos Pelleteries ; nous
pourrions en tirer des foies , du
bois pour des vailfeaux , & d’au-
tres commoditez. S’il y manque
du vin ic du pain , c’eft: moins
par le défaut du terroir , que
par le défaut de l’agriculture.
Enfin , pour en retirer tous les
tréfors de la Nature , il ne faut
que les chercher , ou les culti-
ver. Tel eft l’état des chofes en
ce pais. Plaife au Ciel , qu’une
heureufe Paix nous en procure
bien-tôt une joüiffance parfaite
&L tranquille !
table
DES MATIERES-’
A
A Kanci’as, Sauvages. Page
161. leur climat , 161, abon-
dance de leur pais s k>i. leur Re-
ligion , 16}.
'Mlarme caufée par un tambour '
ijS. 1 8 9 .
Américains, leurs mœurs, 10. leur
Religion, ii.ientiment qu’ils ont
de leur ame , ja, leurs bonnes qua-
tez , ij. leurs maniérés particuliè-
res, i + . leur Science en l’Art mili-
raire , en l’Agriculture & en la
cormoiiïance des Simples, ij. de
f Aftronomie , iô. leur adrefle , i&
leur induftrie en la conftraâion
des canots , 17, leurs voïages par
DES MATIERES.
terre , 18. leur ménagé , 18. leuf
logement , 19. leurs lits & uften-
ciles de cuifine , 10., leurs armes,
io. leurs veftemens , 11. Soin du
ménagé, partagé entre l’homme ÔC
la femme ,22.
•Amérique lêptentrionale , fertilité de
ce païs , 8. de chaque contrée en
particulier , 180. i8y.
Animal extraordinaire 2,14.
Armes du R.oy , arborées au bruit ds
l’artillerie , ï 6 i. iSS.
Aventures , 104. 31$,
B.
B Aïe des Puans , 42. 152.
Baïe S. Loiiis ,145.
Barque première vue fur le Lac fu-
perieur ,
Marre ( M.de la) fon arrivée à Que-
bec en qualité de Gouverneur , 21 1,
de B eau jeu , fon retour en France,
245.
Bifcatonges , Sauvages furnommez
Pleureurs , 255. cara&ere de, ceg
peuples .257
Bmfs , challe qu’on leur fait 141» vt
TABLE
Cadodaches y réception que ces Satf«
vages font aux François , 1S6 .
Calumet y lignai de la paix, 55. ïj 8.
183. 211.327. On le chante & on le
danfe ,
Canots dont fe fervent les Sauvages ,
17..
Cappa y Sauvages , font de bons trai-
temens aux François , 158, 159. leurs
mœurs & coutumes, 161. leur cli-
mat , 161.
Caflors , animaux amphibies 133. leur
inftin& 134. chaflè qu’on leur fait,
138. font en grand nom bre chez les
Mentons , 188.
Cavaliers . Rencontre de quatre Ca-
valiers bottez ,251.
Cavelier^f rere de M. de la Sale , 238.
récit qu’il fait de ion voïage , 240.
Cenis , Sauvages , 267.’
Chaleurs , bien reçus chez les Sauva-
ges Chicacha , ijj.
Chevaux farouches , 250, qualitez de
certains chevaux fans eftre ferrez ,
* 74 *
Chicacha T Sauvages , reçoivent bien
deux chaffeurs , j ^ ce que c’eft que
çetxe nation , leur caraftere , 29 i r
Chinonoas
DES MATIERES.
ChlnonoM , Sauvages qui favent di-
ftinguer les François d’avec les
Efpagnols , z 60.
C boumans , leurs Ambafladeurs , 269.
Cibolas } elpece de gros bœufs : com-
ment s’en fait la chaffè , 194.
Collier prefenté, quel fignal c'eft , 103.
Contretems fâcheux, 271.
Ceroas , village de Sauvages , 18S.
Coroas , Sauvages , bon traitement
qu’ils font aux François , 330.
Coupure apporre la nouvelle de la
mort de M. de la Sale , 301.
Crocodiles en grand nombre chez les
Taencas , 164. Servent de nourritu-
re > I 97> un Crocodile entraîne un
homme dans l’eau , & le dévoré ,
Croix mife au haut d’un gros arbre,
îpz.
D.
M. TTN A c a n envoie à la de.
1^/ couverte des terres qui font
le long du fleuve Miffifllpi,2i. Ses
progrès ôcfacourfe, 95.
Dan s’érige en Chef de la troupe ,
apres la mort de M. de la Sale, 311,
Ff
TABLE
eft tué pat un Allemand , 311.
Député vers les Iroquois , péril auquel
il eft expofé , 105 , & Juiv. court
rifque d’eftte égorgé , 108. eft ren-
voie avec propofition de paix , 109.
fon rapport aux Illinois , ni. Dé-
puté vers le Chef des Taëncas , 1 68.
E.
D’ TTNonvilx.e j Marquis, nommé
jC, Gouverneur de la nouvelle
France, à L place de M. de la Bar-
re , u8.
F.
F E m h 1 s fauvages , leur maniéré
d’élever leurs enrans,ij. nour-
riture qu’elles leur donnent , 16.
leurs veftemens , 167. de quoi font
curieufes , 170. 171. .
Fermeté. Exemple d’une fermeté in-
ébranlable, nj.
Fon commencé chezleslroquois, 34.
chez les Miamis, 45. 206. chez les
"Illinois 61. Fortappeilé Crevecœur,
62. Fortpillé,97. Fort vifué par M.
de la Sale, 147. Fort Prudhomme,
DES MATIERES.
ÏOJ. Fort Saint Jofeph , nS.
f rançais égorgez par un parti de
Naches , ji. 8. 319.
Coup de ftifil tiré, jette l’épou-
vante parmi des Sauvages }
G.
G Abriel, Religieux matîâcré
par les Sauvages , 117.
H.
TT Ermaphrodites en grand nom».
jITX bre parmi les Illinois ,
I.
J Bsuites , leur habitation par-
mi les Sauvages , 41, 142,.
Incident fâcheux , 125.
Irj fmis , naturel de ces peup les , 32.
3 2 * 71 . réception qu’ils font aux
François, 34, leur politique envers
eux 75. peuples qu’ils ont fubjuguez.
Si» viennent pour attaquer les
Illinois , 100. leur armée divifée
en deux parties , 102. Député vers
TABLE
ces Barbares , 105. eft renvoie avec
proposition de paix > 109. fe jettent
dans le camp des Illinois entière-
ment abandonné , 113. envoient un
Médiateur de paix encre eux& les
Illinois , 114.. leur entrevûe avec les
Illinois , 119. leur perfidie, no. font
des prefens aux François , m. cara-
ctère de ces Sauvages 5 203. traite-
ment que leur font les autres peu-
pies , 205 tâ:hent de s’oppofer à
nos établiflemenschez les Illinois,
2.09. guerre déclarée aux Iroquois ,
&i 6 . Ce joignent avec les Anglois
pour nous faire la guerre, 230. dief-
fent une embufcade , 232. fe met-
tent à la raifon , 236.
IJlinols commercent avec les François
3j { 36. leur riviere jo. 152. leur vil-
lage abandonné , 52. fe rangent en
bacaille 5 54.1eur demande, & la ré-
ponfe qu'on leur fait , 34. prefcn-
tern le Calumet,, 55. bons traite-
mens qu’ils nous font ,56. naturel
de ces peuples , 58. loix Lveres
qu’ils fe font impofées pour punir
le vice infâme » 59. peuvent épou-
fer plufieurs femmes, 60. font fort 7
DES MATIERES.
jaloux , 60. à quoi les femmes & les
garçons effeminez s’occupent, 60 .
occupation des hommes. 61. éten-
due de leur païs. 61. les Illinois con-
çoivent une inimitié contre nous.
69 font defabufez. 70. 71. fe voïenc
fur le point d’eftre attaquez par les
Iroquois.ioi. députent vers ces peu-
ples. 102. & fuiv, prennent le di-
vertiflement de la chaife. 115. les au-
tres fe retirent plus au loin. 115 mé-
diateur de paix entre eux tk les ïro-
quois. 114. imprudence d’un Illi-
nois. 116. entrevue des Illinois ôc
des Iroquois. 119.
L.
L Àc de Frontenac. 4. autre-
ment dit Supérieur. 30. fa tra-
verfée ôc fon circuit. 30 fe joint
avec un autre lac* 30. lac de Coatis
30. 31. lac des Hurons. 31 39. lac dèr
Illinois. 31. lac de Condé. 31. lac Hé*
rié. 37. lac des Arfenipoits.93.
Lantelot , le jeune, égorgé par les
Sauvages. 304.
Lamelot s’érige en chef de la troupe^
Ff iij
TABLE
âptés avoir tué M. de ïa Sale, jn
eft tue par un Anglois. 312.
L oïtifiAne % 7.
M.
M . de k M a r n e fe baigne &
ienoïe, 287. fa fepulture. 288.
Maufolea , (ecret Emiiîaire des.Iro-
quoi?, fon arrivée chez les !flmois,
72, fes intrigues & fes difcours. 73.
fa réponfe à M. de la Sale. 79.
Mentons , Sauvages , leur opinion,
touchant les armes à feu. 288.
Miarnis 3 fertilité du païs de ces peu-
ples. 44. leur naturel. 45,
Miffîlmœchinac , efpece d’ifthme. 39*
fertilité de ce païs. 40.
JMiJfîJfipi 5 fleuve , fa four ce. 92. peu-
ples qui habitent fes bords. 92, (on
embouchure. 192. fes bords. 195.
'Mormgêt aflbmmé d'un coup de ha-
che. 30 j.
N.
N A c h e s , Sauvages partagez en
deux dominations. 184. 187.
Najfonis y Sauvages. 270.
DES MATIERES.
Niagara , village fitué fur le Lac
Conti. 31.
Nica , homme picjué d’une vipere.
16 1 .
No'ùadiebes , Sauvages, propofition
qu’ils nous fout. 183. offrent le Ca-
lumet. 3.7.
O.
S. /'■'vNnontoüane , village. Jt.
VJ Wntno'kas, Sauvages. 14t.
Ouabachi , leur rivière. 154..
Oumas , les plus valeureux d’entre
les Sauvages. 113.
O^age/ jleur riviere. W
P.
P Euples qui parlent du gofier .79
Plongeurs en grand nombre chez
les Mâches. i8j.
TonddamU , village de cinq cent
feux abandonné. 51.
Por.toualamis. 131.14.1.
Prudhowrns égaré dans les bois , re-
vient retrouver les François. 15:7.
Titans. Bave des Puans. 41.131.
F f iiij
table
Qc
Q Uanoati NOS, Sauvages redou-
tez des Iroquois. 279.
, Sauvages ne^permet-
tenc point 1 entrée dans leur païs.
189. quanede leurs femmes prifes,
J? 8 - caraderedeces peuples. i 9 /.
fe raccommodent avec les Fran-
çois, 222
Qu/ïçqiiis > Sauvages^ 252. leurs vête-
mens. 252. leur équipage à cheval.
2j$, leurs femmes. 255.
Q^oàddicjuio 5 Sauvages , joints avec
deux autres nations. 324. leur lan«
gue & leurs habitations, jic leur
occupation & leur trafic, jz/. leur
maniéré particuliere.jij.
R.
R Et 1 g 1 on. Vertiges de la vraie
Religion chez quelques Sau-
vages. 170.
Rivières de l'Amérique feptentriona.
le.
Outa. 41.
DES MATIERES.
Onlfconeing , 43.
la Sabloniere , divifée en trois ca-
naux. 18S.279.
Riviere aux vaches. 246.
Riber , pourquoi ainfi nommée. 254.
Rieus , d’où ainfi nommée. 255.
Pafiage d’une Riviere rapide. 262.
Maligne , malheur arrivé fur fes
bordSj 275.
Riviere aux Cannes ^ d’où ainfi nom-
mée. 278.
Riviere Rouge, 326.
S
S A gavite , efpece de pain , 257.
Salle , ( Monfieur de la ) part de
la Rochelle 4, entreprend avec
trente hommes d’entrer dans FA-
meriquefeptentrionale. 27. fes pro-
vifions 8 c i a voiture. 28. fes guides.
28. s’embarque pour faire le trajet
du Lac fuperieur. 31. envoie quel-
ques canots chercher du blé d’Inde
pour fa fübfiftance.32.s , en retourne
à Frontenac 38. à Niagara, 39. tra-
fique à Miflîlnnachinac^o.aborde
à la baie des Puans. 42. s’embarque
TABLE
pour aller chercher les Miamis 43,
44. trafique avec eux, 44. tâche de
les foûmettre. 43. fe refout d’aller
chez les Illinois jo. dilTention par-
imi fes gens mécontens 63. leurs
plaintes, 64. leurs artifices 67.
M. de la Salle le trouve en une fâ-
cheufeconjon<5ture.7o. découvre la
perfidie de fes gens. 71, va dans le
camp des Illinois. 7 6, fon dilcours
aux principaux de la nation. 77.
s adrellè a Maulolea. 79. 80. aux
Illinois. 81. effet de fon difcours. 86.
partage lès courfes en deux parties.
87. fes gens prennent la refolution
de l’empoifonner. 88. lui & fes
gens empoilonnez 89. fes empoi-
sonneurs prennent la fuite. 89. en-
voie M. Dacan à la decouverte
des terres qui font le long du fleuve
Milîîlïïpi^ 91. prend congé des Illi-
nois pour fe rendre à leur grand
village. 94. perfidie de deux de lès
gens. 9j. vifite le Fort de Creve-
cœur 147. part pour Frontenac.
148. eft vifité par le chef des Taën-
cas. ï8o. prefente au Chef desNa-
ches . quelques chevelures des Qui-
DES MATIERES.
nipiflàs, loo. Ton arrivée à Que-
bec. io S. fon départ du Canada,
209. incertitude de fadeftinée. 237,
fon fécond départ de France.240.ce
qui lui arriva pendant fa route. 241,
reçoit à latefte delà compagnie les
Principaux de la nation des Cenis,
268. tombe malade 272. fe remet
en marche 274. la nouvelle de fa
mort. 301. Auteurs de fa more. 30 1*
& 307. eft regretté j©8.
Saut Niagara. 30.
Saut fainte Marie. 40.
Sauvage. Ce que fait le Sauvage au
retour de la chaffè. 23. cara&ere
des Sauvages. 23. leur inclination*
27. un Sauvage monté fur un cheval
s’informe qui nous fommes s 265.
Sel . Différend entre les Taënfàs St
les Nachitoches > au fujet du Sel.
319.
Soleil adoré dans toute T Amérique.
2.37. 320.
T.
T Aencas , Sauvages. 165. gran-
deur de leur village. 165. leur
. , table
chef. i(S6. Député qu'on lui envoie.
1 , re P onfe qu’il fait. 16c,. préfens
qu on lui fait. 170. Regai qu’il fait
aux François. 172 173. devoüement
de les peuples pour lui. 173. leur
Religion & leurs Coutumes. i 7 e.
lei l r temple. 177, leur Chef rend
vifite a M. delà Salle. 180.
Tambour caufe uneallarme. 139.189.
Tanpbao , village pillé & abandon-
ne. 1^0.
V.
V Ai sseaux perdus parla né-
gligence des matelots. 24.4.
Y.
Y Ataches Sauvages joints avec
deux autres nations. 321. ré-
ception qu ils font aux François. 321.
Fin de la Table des JHatieres.
LIVRES
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chez, le meme Libraire.
L E S Egaremens des Paffions > 8c
les chagrins qui les fuivent 3 in
U. 1697.
Modèles de Converfations pour les
Perfonnes polies. Par M. l'Abbé de
Bellegarde. in douze.
Reflexions fur le Ridicule 3 8c fur les
moïens de l’éviter ; ou les mœurs 8c
les dÆrenscaraéteres des perfon-
nes de ce fiecl cfontreprefente^. Par
M. l'Abbé de Bellegarde. Seconde
Edition de beaucoup augmentée.
in doufe 1697.
L’Efprit de l’Eglife dans l'ufage des
Pfeaumes 5 en forme de priere ou
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Traité des Droits Honorifiques' des
Seigneurs dans lesEglifes * par feu
M. Mirefchal Avocat en Parle-
ment , nouvelle 8c derniere Edi-
tion , augmentée d’un Traité du
Droit de Patronage , de la Préfèn-
#
tation aux Bénéfices ,8c des Droits
Honorifiques des Seigneurs dans
les Egiifes . Par M. Simon , in dou-
> X? > £• Vol. 1697.
L Hiftoire & les Avantures de Kemif-
ki Géorgienne, ln douze 1697.
La Connoiilànce du Monde , Volages
Orientaux , Nouvelles purement
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de Rhecima Géorgienne ; Sultane
difgraciée ;Etde Rufpia, Mingre-
liennc , fa compagne du Serai!
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PrincelFe Douairière de Conty , un
# volume in doul^e 169 y.
L Art de bien elever la Jeknejfe , pour
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traite des principes de l’E ducat ion $
du choix d’un Gouverneur, & des
quajitez qu’il doit avoir ; de l'Art
de connaître lesEfprits ; Dialogue
entre le Solide & le Délicat ; de Té-
ducat ion d’une Fille de qualité ; de
l ètablijfement des En fans, de l' hon-
nête Homme • des états de la vie ,
des principes de la Politique t &
de l'Art de voyager, in douze.
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