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LIBRARY
OF
PRINCETON UNIVERSITY
He/cc.'.e.ï'
ETUDE
SUE LÀ
LANGUE CRÉOLE EN LOUISIANE.
Beportons-nous, par la pensée, au temps de la
;raite des noirs ; assistons au débarquement de ces
esclaves, qui vont être employés les uns aux travaux
les champs, les autres à ceux du foyer domestique,
es voici en contact avec une autre race, dans un
îilieu tout différent de celui où ils sont nés et où ils
^nt grandi. Ils ne savent ni lire ni écrire ; ils parlent
Une langue qu’ils ont apprise d’instinct. Les mots
jont pour eux simplement des sons ; chaque son arri¬
vant à leur cerveau, par l’intermédiaire de l’oreille, y
eint une image à laquelle se rattache une suite de
ensées.
Il nous est assez difficile, à nous hommes civilisés,
habitués dès notre enfance à lire et à écrire, de nous
lettre à la place d’êtres humains pour qui les carac-
ères de l’écriture sont comme s’ils n’existaient pas,
E t pour qui le langage est une sorte de musique arti-
ulée. C’est cependant ce qu’il faut faire, si nous
oulons comprendre comment le nègre inculte, mis
n présence du blanc, devine d’abord, en l’entendant
>arler, ce qu’il veut de lui, et comment ensuite il
Dm pose, avec la langue de son maître, une langue à
on usage personnel.
Le nègre introduit en Louisiane a formé, avec le
inçais que parlaient ses maîtres, un patois qui se
I arle encore dans la partie franco-louisianaise (’é
otre population. Le maître, pour être compris de
esclave, parla lui aussi le langage inventé par celui-
V ^
O) , ^
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A 7
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ci; l’enfant blanc, confié aux soins de la négresse,
apprit à parler comme sa gardienne. Tous les petits
blancs d’origine française, en Louisiane, ont parlé ce
patois concurremment avec le français; il y en a
même parmi nous qui ont fait usage exclusivement
du dialecte des nègres, jusqu’à l’âge de dix ou douze
ans ; je suis un dé ceux-là : je me souviens de la ré¬
compense qui me fut accordée, le jour où je m’enga¬
geai envers mes parents à ne leur parler désormais
que le français.
Le patois des nègres, le créole, comme on dit, est
encore très répandu en Louisiane; il y a tout un
quartier de la Nouvelle-Orléans où l’on s’en sert,
dans l’intimité, en s’adressant aux domestiques et
aux enfants. Du reste, quiconque parle ici le créole
sait aussi s’exprimer en bon français ; il n’est pas de
petit nègre ou de petite négresse, dans les rues les
plus retirées, qui ne se fasse un point d’honneur, si
vous l’interrogez en français, de vous répondre dans
le langage que vous lui parlez.
Il m’a semblé intéressant d’étudier le créole dans
sa formation grammaticale. Il y a là, si je ne me
trompe, au point de vue de la psychologie et de la
philologie, de curieuses recherches à faire. Il y a
d’abord un fait important à constater; c’est la rapi¬
dité avec laquelle le nègre, importé en Louisiane,
oublie sa langue natale. Il y a pour cela deux rai¬
sons; la première, c’est que l’esclave pour com¬
prendre son maître et pour en être compris, est obligé
de se faire le plus tôt possible au langage dont celui-
ci se sert ; la seconde, c’est que son idiome africain i
n’étant pas une langue écrite, il n’a pas, pour con- i
server la tradition, la ressource du livre. Une langue '
dans laquelle on ne lit ni n’écrit, s'altère et s’oublie
rapidement. Nous avons, en ce moment même, un
exemple frappant de ce fait, dans ce qui se passe chez
nos franco-louisianais, qui, ne lisant et n’écrivant |
plus le français, se contentent de le parler; il est fa- |
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elle de prévoir, à la difficulté qu’ils éprouvent à s’é¬
noncer, que bientôt ils ne sauront même plus le parler.
Quant à l’Africain, son langage indigène a si bien
disparu qu’il n’en reste plus de trace; à peine pour¬
rait-on, en cherchant bien dans le patois créole, trou¬
ver six ou huit mots d’origine africaine.
Il va sans dire qu’il n’y a pas d’orthographe dans
la langue créole ; il n’y a que des sons. En nous ap¬
pliquant à rendre ces sons, nous emploierons aussi
peu de lettres que possible, laissant entièrement de
côté toute considération d’étymologie.
C’est certainement chose curieuse que d’assister
aux opérations intellectuelles, par lesquelles le sau¬
vage de la côte d’Afrique, transporté sur un autre
continent, se compose une grammaire avec les mots
étrangers qui frappent son oreille. Nous nous ser¬
vons à dessein du mot grammaire ; oui, le nègre s’en
est fait une; les mots qu’il entendait sortir de la
bouche des blancs, se sont combinés dans son cerveau
de manière à y créer toutes les parties du discours
nécessaires à l’expression de sa pensée. En premier
lieu, il compose son verbe. Pour son présent de l’in¬
dicatif, quand celui-ci indique une manière d’être
fixe, il se sert du pronom et de l’adjectif qui qualifie
la manière d’être. Ainsi, pour exprimer l’état du
contentement, il dit : Mo contan , je suis content, pour
moi être content ; il supprime l’infinitif.
A proprement parler, il n’existe qu’un verbe, le
verbe substantif être ; les autres ne sont que des at¬
tributs. Par exemple, quand nous disons: Je lis;
c’est comme si nous disions : Je suis lisant. Ce parti¬
cipe présent lisant est en réalité un adjectif ; cela est
si vrai qu’en latin il se décline legens , legentis, legen-
tem , comme les adjectifs de la troisième déclinaison
sapiens , sapientis , sapientem .
Le présent de l’indicatif annonce ’que l’action ex¬
primée par le verbe, est en train de se faire. Vous
vous présentez à la porte d’une maison,.et vous dites
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à la négresse qui vient vous ouvrir que vous désirez
parler à son maître; elle vous répond qu’il dîne,
c’est-à-dire qu’il est dînant: pour faire son participe
présent, elle prend le pronom lui qu’elle prononce li,
elle le met devant la préposition après, apé; de ces
deux mots elle en fait un, lapé, qu’elle fait suivre de
l’infinitif dîner, lapé dinin , il est après dîner.
Cette préposition après, apé , joue un grand rôle
dans le dialecte créole. Autrefois, en France, on
l’employait dans le sens que lui donnent nos nègres ;
être après faire quelque chose , est même une locution
qu’on retrouve encore, croyons-nous, dans le Lan¬
guedoc. Il est probable que les colons de la Loui¬
siane, au dix-huitième siècle et au commencement
du dix-neuvième, en faisaient usage.
Ainsi, pour exprimer une manière d’être actuelle,
on emploie en créole le mot qui caractérise cette ma¬
nière d’être et on le fait précéder du pronom :
. Mo Je suis |
To Tu es 5- malade ,
Li II est )
Nou Nous sommes )
Vou Vous êtes S- malades .
Yé Ils sont )
Pour rendre une action en voie d’accomplissement,
on a recours au pronom joint à la préposition apé
que l’on fait suivre de l’infinitif, moi après, mo apé ,
lequel mo apé se contracte en mapé, De même to apé
se contracte en tapé; li apé en lapé; nou apé en napé;
vou apé en vapé ; yé apé en y apé :
Mapé
Tapé
Lapé
Napé
Yapé
Yapé
Je suis
Tu es
Il est •
Nous sommes
Vous êtes
Ils font
dinin.
après dîner.
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Comme on le voit, des pronoms moi, toi , lui , nous
vous , ils ou eu# (tyé), 11 ne reste plus, dans le créole,
par suite de la contraction, que la lettre initiale, ou
plutôt le son initial que cette première lettre repré¬
sente ; car, encore une fois, rappelons-nous que le
dialecte dont il s’agit ici, sort de la bouche de gens
pour qui les lettres n’existent pas.
Quand le blanc parle de choses qui se rapportent
à ün temps écoulé, le son tè est celui qui frappe le
plus souvent l’oreille de l’Africain : j'étais, tu étais , il
était , ils étaient Le nègre saisit ce son té; pour lui il
figure le passé. L’accolant aux pronoms, il forme
son imparfait de l’indicatif du verbe être :
Moté J’étais
Toté Tu étais
Lité II était
Nouté Nous étions
Voûté Vous étiez
Yété Ils étaient.
On voit déjà comment dans l’esprit du nègre réduit
aux seules ressources de l’audition, la langue raffinée
de l’homme civilisé tend à se simplifier.
Pour son parfait, il emploie l’infinitif précédé du
nom ou du pronom ; exemple : “ La nuit vint, il soupa ;
la nouite vini, li soupé .” Commet ce soupé s’appli¬
quent aux trois personnes du singulier et du pluriel ; ils
restent invariables. Cela est logigue. En effet, dès
que l’on a des pronoms pour signifier à quelle per¬
sonne du singulier ou du pluriel est le verbe, pour
quoi faire varier la terminaison de celui-ci ? Dans le
latin le pronom étant supprimé, on comprend la né¬
cessité de changer le son selon la personne qui ac¬
complit l’action indiquée par le verbe; ainsi, dans
amo, amas, amamus, amatis, o est le son qui appar¬
tient à la première personne du singulier, as à la se¬
conde, us à la première personne du pluriel, is à la
deuxième. Mais en français, le pronom suffisant pour
indiquer à quelle personne est le verbe, c’est faire en
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quelque sorte un pléonasme que de faire varier la ter¬
minaison de ce verbe.
Le nègre entend dire au blanc qui attend quel¬
qu’un : “ Il va venir ” ; aussitôt il s’empare de ce son
va, pour en faire le signe du futur. Pour dire, par
exemple, que ce gros bateau à vapeur ne pourra pas
descendre, quand l’eau sera basse, il s’exprime ainsi :
“Gro stimbotte-lapa capab décende can lo va basse.”
A ce son va il accole l’infinitif du verbe, pour déter¬
miner de quelle espèce est l’action qui sera faite, et
le pronom indique à quelle personne est le sujet.
Ainsi, va chanté annonce qu’on chantera. Qui chan¬
tera ? le pronom répond à cette question :
Mo 1
To
Nou va chanté.
You
Yé J
Telle est la forme primitive du futur créole; il ne
tarde pas à subir deux changements. D’abord, le son
va s’agglutine au pronom, et l’on a mova, tova, liva 9
nouva, vouva, yéva chanté ; ensuite, par une contrac¬
tion dans laquelle les sons ov, iv, ouv, év , disparais¬
sent, la lettre initiale du pronom s’unit au son radical
a et nous avons:
Ma 1
Ta
^ chanté.
Va
Ya
La condensation ne s’arrête pas là ; dans certaines
circonstances la consonne s’évanouit de na, va et ya;
la voyelle a reste seule pour représenter le futur.
Voulons-nous dire en créole que le temps est beau
aujourd’hui, et que les oiseaux chanteront plus
qu’hier? nous parlerons de la façon suivante : “Tanbel
zoi'di , zozo a chantéplice pacé 1er .” Dans un conte, dont
nous parlerons plus tard, Mlle Calinda dit à M.
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— 7 —
la ter*
l qnel-
ce son
re, par
ra pas
> ainsi:
détei-
lite, et
sujet,
clian-
il ne
e son
, liva,
atrac-
irais-
dical
aines
fc ya;
futur.
beau
plus
mbel
dont
à M.
Chevreuil et à M. Tortue : “ Vous tirerez une course de
quarante arpents.” Çomme elle parle créole, elle
s’exprime ainsi : “ Ouzote (vous autres) a galopé (galo¬
perez) dice foi cate narpan.”
Yéva et vouva se réduisant à la simple voyelle a,
cela peut paraître extraordinaire ; mais les diminu¬
tions de ce genre ne sont pas rares dans l’histoire des
langues, surtout quand un mot passe d’une langue
dans une autre. Dans le latin nous voyons l’impéra¬
tif ito, va, se contracter en i. Un mot grec de quatre
syllabes, episcopos , évêque, se rapetisse à mesure
qu’il marche vers le Nord ; arrivé en Scandinavie, il
est réduit à l’état de monosyllabe, ops.
En créole, pour l’impératif on se sert de l’inûnitif
précédé du nom ou du pronom : “ Que Jules vienne
avec vous, Jule viniavé vou ; viens demain, to vini
ditnin .”
L’infinitif employé comme impératif n’appartient
pas exclusivement au créole ; on le rencontre dans la
langue grecque, les poèmes d’Homère en offrent de
fréquents exemples. Nous-mêmes, en français, nous
donnons des ordres au moyen de l’infinitif; les mé¬
decins emploient volontiers, dans leurs ordonnances,
cette forme de langage.
La première personne du pluriel à l’impératif
créole, offre une particularité assez curieuse. Ici, le
nègre appelle à son secours l’impératif du verbe aller,
qu’il prononce anon; “Traversons cette rue, anon
traversé larue cila.” Il eût été bien embarrassé s’il
lui avait fallu dire à l’impératif buvons, dormons , cou¬
sons ; il échappe à la difficulté grâce à son invariable
anon qu’il je int à l’infinitif, anon boi, buvons ; anon
dromi, dormons ; anon coude , cousons.
Comme on peut le voir déjà, pour cet Africain in¬
culte, que l’on peut comparer à un grand enfant
obligé d’apprendre oralement une langue étrangère,
l’infinitif est l’ancre de salut ; il y revient toujours.
Nous allons le voir s’y cramponner encore pour fa-
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briquer son conditionnel. Souvent son oreille est
frappée d’un certain son, qu^nd son maitre parle
d’une chose qui serait ou se ferait moyennant une con¬
dition : il lui entend dire que s’il avait plu davantage,
la canne à sucre serait plus avancée ; que s’il fai¬
sait beau, il chasserait Ce son srè étant pour lui
le signe du conditionnel, il s’en empare ; il le met entre
le nom ou le pronom et l’infinitif, et cette combinai¬
son ingénieuse va lui suffire pour exprimer sa pensée,
dans les circonstances où l’accomplissement d’un fait
dépend de l’existence d’un autre fait. Pour dire qu’il
fumerait s’il avait du tabac, il parlera ainsi: Mo sré
fumin si mo sré gagnin taha .” Veut-il faire entendre
que s’il faisait plus froid, les bécassines seraient déjà
arrivées ? Il dira : “ Si sré fé pli frette, bécassine sré
dija rivé .”
Le conditionnel passé marque qu’une chose aurait
été faite dans un temps passé, si la condition dont elle
dépend avait été remplie. Ceci est passablement
compliqué, et l’on se demande si cette fois le nègre,
qui ne sait seulement pas ce que c’est qu’un verbe,
pourra se tirer d’affaire. Il y parvient néanmoins.
Pour cela il combine le son qui représente le passé,
té, avec celui qui représente le conditionnel, sré . Il
veut nous apprendre qu’hier il serait allé à la chasse,
s’il n’avait pas fait si chaud ; il dira : “ Ier mo té sbé
court à la chache si té sr Épafé si tan cho
Notre présent de l’indicatif, dans certains cas de
généralisation, embrasse à la fois les trois temps, le
passé, le présent, le futur. On demande à quelqu’un
quels sont ses moyens d’existence, il répond : “ Jq
coupe du bois ” ; cela veut dire qu’il coupait du bois
hier, qu’il en coupe aujourd’hui, qu’il en coupera de¬
main. Le nègre connaît cette nuance. Vous lui
adressez la question : “Que faites-vous pour vivre?
il répond : Mo coupé di boi moi couper du bois.
Quelquefois le participe présent est précédé de la
préposition en exprimée ou sous-entendue ; alors on
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l’appel gérondif . Le gérondif existe dans le créole ;
mais il se manifeste sous une autre forme qu’en fran¬
çais. Ici, comme toujours, le nègre appelle à son
secours son grand sauveur, l’infinitif, qu’il fait pré¬
céder de la préposition après , apé . Il veut dire à un
enfant qu’en jouant longtemps au soleil il prendra la
fièvre ; il parle ainsi : Ta pranne la fièvre apé joué Ion -
tan dan soleil .”
Le français, en se créolisant, tend à la simplifica¬
tion, et acquiert quelquefois une concision qui lui
donne de la force ou de la grâce. Dans mainte cir¬
constance le verbe être ou le verbe avoir disparaît :
Li vaillan , il est vaillant ; li papeur , il n’a pas peur.
Les particules négatives surabondent dans le fran¬
çais ; c’est un des défauts de la langue. Voyez, dans
cette petite phrase il n'a pas peur , il y a deux néga¬
tions ne et pas , Le créole n’en a qu’une, et il dit en
trois mots, li pa peur , une chose pour laquelle il faut
cinq mots en français. Mais la différence sera bien
plus sensible, si l’on compare les deux phrases sui¬
vantes :
“Je commence à être fatigué; je crois qu’il est
temps de nous en retourner.” Quatorze mots.
“ Mo comancé lasse; mo cré tan nou tournin.”
Huit mots.
La suppression de la préposition a et de la conjonc¬
tion que donne de l’agilité à la phrase créole : “ Je
vais dire à Madame que vous êtes là ; via lé di Ma¬
dame vou la. 1 ’
n.
Il y a de pornbreux points de similitude entre le
créole et le français primitif. Cela devait être ; de
même qu’il y a nécessairement entre deux enfants du
même âge des ressemblances physiologiques et intel¬
lectuelles, de même il y a des analogies naturelles
entre deux langues au sortir du berceau. Le créole
naît du français comme celui-ci naît du latin. Com-
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ment faisait-on dans le français du douzième siècle,
pour rendre le génitif latin ; par exemple, pour dire
la fille du roi ,filia regis ? On n’employait pas l’article
du; on disait simplement la fille le roi . Nous ne par¬
lons pas autrement en créole : “ Quelle est cette belle
maison ? c’est la maison du docteur Clark. Ki bel
mézon la ? cémézon docter Clark”
M. Littré, dans son Histoire de la langue française,
cite ces deux vers du douzième siècle :
Adelbred out avant un fit
De la fille cunte Théodriz;
Adelbred eut auparavant un fils de la fille du comte
Théodriz. Nous dirions de même en créole, sans l’ar¬
ticle du : “ Adelbred divan té gagnin ainfi avéfie conte
Tèodriz . ”
Dans le français primitif on voit l’article s’agglu¬
tiner au nom et former avec lui un seul mot. u Le
mot lierre, dit M. Littré, vient du latin hedera au fé¬
minin ; il reste féminin en provençal edra , en espa¬
gnol yedra , en portugais liera , en italien edera. Edre
est devenu, dans la langue postérieure, lierre ou hiere
qui a été conservé dans plusieurs patois ; puis l’ar¬
ticle s’y est agglutiné et a formé le lierre ; c’est au
seizième siècle que l’agglutination s’est faite.”
Nous faisons donc un pléonasme, quand nous disons
le lierre; rigoureusement parlant, il faudrait dire
l’ierre. La même remarque peut s’appliquer aux
mots luette et lendemain . Autrefois on disait uette 9
une uette, du latin uva ; endemain, un endemain , du
latin indè manè. Pour être correct il faudrait donc
dire Vuette , Vendemain t avec une apostrophe.
Les agglutinations de l’article et du nom four¬
millent dans le créole : ain larue, une rue ; mo labou -
che , ma bouche. On demande à un nègre si c’est le
second coup de cloche* ou la seconde cloche qui sonne
pour le dîner : “ Oui , répond-il, cé segon lacloche . ”
Une cuisinière demande à sa maîtresse quelle soupe
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—11 —
elle veut aujourd’hui, la souos au-bœuf ou la soupe
aux écrevisses : “ Ki lasoupe vououlé? lasoupe befou
lasoupe crïbiche ? ”
L’agglutination, dans certains cas, se fait entre
l'article au pluriel et le nom au singulier; pour un os
ou dit ain dézo, pour un œuf ain dézef. On dira en
parlant au singulier: “ Dézo mo bra apé fé moin mal;
l'os de mon bras me fait mal. Fou poul té pondi ain
dézef dan mo jardin, votre poule a pondu un œuf dans
mon jardin.”
En passant d’une langue à une autre, ou d’un idiome
à son patois, un mot change la place d’une de ses
lettres; le dissyllabe grec nevron, en se latinisant
fait passer son r du second au premier rang nervus;
dans le Berry on dit fromi pour fourmi , et dans la
vallée de l’Epte, en Normandie, flaïbe pour faible.
Le même fait s’observe dans le créole : Can mo rivé
li té encore apé dromi, quand j’arrivai il dormait en¬
core ; Mamzél apé coude on la garlie, Mademoiselle
coud sur la galerie.
III
Il y a, dans le créole, des locutions qui paraissent
bizarres; on se demande, par exemple, d’où peut
venir celle-ci : “Xi parti couri , ” il partit courir, pour
ü s’en alla. Est-elle sortie spontanément de la bouche
du nègre? c’est fort possible. En tout cas, on sera
peut-être surpris de voir que cette façon de parler se
trouve presque mot pour mot dans Homère. Elle de¬
vait être familière aux Grecs du temps de la guerre
de Troie; on la rencontre fréquemment dans l’Iliade
et l’Odyssée. Entre autres vers où elle se trouve,
citons celui-ci :
Bê dè théein pard te klisias kai nêas ’Achaiôn ;
Mot à mot : dè donc, bê il partit (il s’en alla), théein
courir, pard te klisias et vers les tentes, kai nêas et les
navires, f Achaiôn des Grecs ; il partit courir vers les
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— la¬
tentes et les navires des Grecs. Ce vers se traduit
admirablement en créole :
“Li parti covri coté tente é batiman Grecs
Dans le dialecte louisianais on se sert aussi du datif
pour exprimer la possession : ziés à moin t mes yeux;
tchor à li, son cœur. Nous devons cette manière de
parler aux émigrés de St-Domingue. Ce datif mar¬
quant la possession est souvent usité par Homère.
Thétis, en parlant à Achille, ne dit pas mon enfant ,
mais enfant à moi , * à moi têknon émàn , ô mon enfant à
moi , comme une négresse dirait ô cher piti à moin.
Quand Homère nous montre Junon emportée par la
colère, il ne dit pas que la déesse ne put retenir sa
colère , mais bien que le cœur à Junon ne retint pas la
colère , ‘Ère ouk ’ékade sthêthos chôlon; en créole
tchor à Jïnon pa tchombo colère.
Le parler créole suffit aux besoins ordinaires de la
vie; il se prête au récit, il excelle dans le conte. On
traduirait facilement en langage nègre des passages
entiers de l’Iliade et de l’Odyssée. Cela n’a rien de
surprenant. Comme on a pu le voir d’après le peu qui
a été dit plus haut, le créole et le français primitif se
ressemblent; or, M. Littré a prouvé, par un exemple
célèbre dans les annales de la philologie, que la
vieille langue de France était la meilleure pour repro¬
duire le vieux poète grec. On mettrait en créole, avec
une facilité encore plus grande, les fables de La Fon¬
taine; cela même a été fait, je crois, pour un certain
nombre d’entre elles, en créole de St-Domingue ou
de la Martinique. La simplicité du récit, dans ces
petits poèmes, et la naïveté du style, s’adapteraient
heureusement à notre dialecte, qui, né d’hier, garde
encore les caractères propres à l’enfance.
Dès que la pensée s’élève dans la sphère de l’abs¬
traction, le parler créole ne peut plus la suivre ; on
dirait que la présence de la métaphysique le frappe
subitement de paralysie.
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— 13 —
Il y a une différence sensible entre le langage créole
de la campagne et celui de la ville ; ce dernier se
rapproche davantage du français, surtout quand la
personne qui le parle sait lire et écrire. Le créole des
champs est plus naïf; il a gardé la couleur primitive;
c’est à lui que nous demanderons un modèle, en finis¬
sant, pour justifier ce que nous avons dit au cours de
cette étude.
La lettre r disparaît souvent dans le créole ; on a
pou à la place de pour, * apé pour après, di pour dire,
cate pour quatre, etc. Le son de Vu est remplacé par
celui de Pi ; on a torti pour tortue, jige pour juge. Le
pronom personnel tu a disparu entièrement, il est
remplacé par to et toi. Ces remarques ne doivent pas
nous étonner; on sait quelle peine la langue de l’en¬
fant éprouve souvent à exécuter le roulement qu’exige
la lettre r; il y a des peuplades qui ne le prononcent
pas ; la tribu de nos Chactas lui substitue la lettre l.
Quant à Pu, dont le son nous paraît si simple, à nous
qui parlons le français, vous savez quel temps il faut
aux Anglais et aux Italiens pour s’en rendre maîtres.
Le son ou paraît plus naturel que u ; les Africains
prononcent la nuit la nouite , tout de suite tou souite.
Le son eu se rapprochant d’u, il le change en air ; il
dit lonair pour l’honneur. Le j et le g dans les mots
©n ja, jou , gé , le gênent, il les transforme en z; il
dira zalon pour jalon, touzou pour toujours, marné
pour mangé. Le pronom personnel je n’existe pas
pour lui, il le remplace par mo. Quand un mot lui pa¬
raît trop long, il l’ampute sans façon ; d’embarrassé
il fait baracé , d’appelé pélé, d’oublié blié.
Nous allons maintenant donner un conte nègre. Il
ne reproduit pas seulement, avec fidélité, le langage
créole, il donne aussi une idée du genre d’esprit qui
caractérise l’Africain. Il s’agit du mariage de Mlle
Calinda. Courtisée par compère Chevreuil. et com¬
père Tortue, elle hésite ; elle ne sait auquel donner la
préférence : compère Chevreuil est plus vaillant, mais
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compère Tortue a si bon cœurl Enfin elle déclare
qu’elle prendra pour mari' oelui qui sera vainqueur
à la course. Compère Tortue ne se déconcerte pas ;
il se rappelle que, dans un combat de vitesse, son
grand-père l’emporta sur compère Lapin. Il va donc
consulter un vieux crocodile, qui était si malin qu’on
l’avait surnommé l’avocat. Le oonseil que donne le
vieux crocodile, prouve combien il est passé maître
dans l’art de tirer les gens d’embarras. C’est là que
l’on voit l’intention du conteur; sous un air de grosse
bonhomie il raille avec finesse l’habileté inventive
de Messieurs les avocats. Grâce à l’ingénieux avis du
vieux crocodile, compère Tortue épouse Mile Calinda.
s*
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CONTE NÈGRE*
Mabiagb Mlle Calinda.
Dan tan lé zote toi, compair Chivreil avê compair
'orti té tou lé dé apé fê lamou à Mamzel Calinda.
Mamzel Calinda té linmin mié compair Chivreil»
ofair li pii valan ; mé li té linmin compair Torti ou-
ite, li si tan gagnin bon tchor!
Popa Mamzel Calinda di il :
“ Mo fie, li tan to maïé ; fo to soizi cila to oulé.”
Landimin, compair Chivreil avé compair Torti rivé
>u yé dé coté Mamzel Calinda.
Mamzel Calinda qui té zonglé tou la nouite, di yé :
“ Michié Chivreil avé Michié Torti, mo popa oulé
10 maïé. Mo pa oulé di aîn dan ouzote non. Ouzote
galopé ain la course dice foi cate narpan ; cila qui
3 rti divan, ma maïé avé li. Apé dimin dimance,
uzote a galopé.”
Yé parti couri, compair Chivreil so tchor contan ;
ompair Torti apé zonglé li-minme :
“ Dan tan pacé, mo gran popa bâte compair Lapin
ou galopé. Pa conin coman ma fé pou bâte com-
air Chivreil.”
Dan tan cila, navé ain vié, vié cocodri ki té gagnin
lice pacé cincante di zan. Li té si malin, yé té pélé li
ompair Zavoca.
La nouite vini, compair Torti couri trouvé compair
lavoca, é conté li coman li baracé pou so lacourse.
lompair Zavoca di compair Torti :
“ Mo ben oulé idé toi, mo gaçon ; nou proce minme
amie ; la tair avé do lo minme kichoge pou nizote.
la zonglé zafair cila. To vini dimin bon matin ; ma
i toi ki pou fé.”
Compair Torti couri coucé ; mé li pas dromi bou-
ou, li té si tan tracassé. Bon matin li parti couri coté
ompair Zavoca.
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Compaîr Zavoca dija diboute apé bol so café.
“ Bouzou, Michié Zavoca. ”
“ Bouzou, mo gaçon. Zafair cila donne moin boucou
traça ; min mo cré ta bâte eompair Chivreil, si to fé
mékié ma di toi.
“ Vouzote apranne jige jordi pou misiré chimin au
ra bayou ; chac cate narpan raété zalon. Oompair Chi-
vreii a galopé on la té ; toi, ta galopé dans dolo. To
ben compranne ça mo di toi ?
“O oui, eompair Zavoca, mo ben coûté tou ça vapé
di.
“ A soua, can la nouite vini, ta couri pranne nef
dan to zarni, é ta caché aine dan zerb au ra chakène
zalon yé. Toi, ta couri caché au ra la mison Mamzel
Calinda. To ben compranne ça mo di toi ?
“O oui, eompair Zavoca, mo tou compranne mékié
ça vou di.
“ Eben ! couri paré pou sové lonair nou nachion.”
Compair Torti couri coté eompair Chivreil, é ranzé
tou kichoge compair Zavoca di li. Compair Chivreil
si tan sire gagnin la course, li di oui tou ça compair
Torti oulé. Landimin bon matin, tou zabitan semblé
pou oua gran la course.
Can lhair rivé, compair Chivreil avé compair Torti
tou lé dé paré. Jige la crié : “ Go ! ” é yé parti galopé.
Tan compair Chivreil rivé coté primié zalon, li hélé :
“ Halo! compair Torti.
“ Mo la, compair Chivreil.”
Tan yé rivé dézième zalon, compair Chivreil sifflé :
" Fioute I ” Compair Torti réponne : “ Croak ! ”
Troisième zalon bouté, compair Torti tinkàtink
avé compair Chivreil.
“Diabeî Torti la galopé pli vite pacé stimbotte; fo
mo grouyé mo cor.”
Tan compair Chivreil rivé coté névième zalon, li
oua compair Torti apé patchiou dan dolo. Li métê
tou so laforce dihior pou aïen ; avan li rivé coté bite.
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Il tendé tou moune apé hélé : “ Houra ! houfa t pbd
compair Torti.”
Tan li rivé, li oua compair Torti on la garlie apé
brassé Mamzel Calinda. Ça fé li si tan mal, li sapé
dan boi.
Compair Torti maïé avé Mamzel Calinda samedi
capé vini, é tou moune manzé, boi, Jika yé tchiak.
Le Mariage de Mlle Calinda.
i>ans le temps d’autrefois, compère Chevreuil avee
compère Tortue étaient tous les deux après faire l’a¬
mour à Mlle Calinda.
Mlle Calinda aimait mieux compère Chevreuil,
comme le plus vaillant; mais elle aimait compère
Tortue aussi, il avait si tant bon cœur!
Le père de Mlle Calinda lui dit :
“ Ma fille, il est temps de te marier ; il faut choisir
celui que tu veux.”
Le lendemain, compère Chevreuil avec compère
Tortue arrivèrent tous les deux près de Mlle Calinda*
Mlle Calinda qui avait réfléchi toute la nuit, leur
dit:
“ M. Chevreuil avec M. Tortue, mon père veut que
je me marie. Je ne veux pas dire à l’un de vous autres
non. Vous autres galoperez une course dix fois
Quatre arpens ; celui-là qui arrivera devant, je me ma¬
rierai avec IuL Après-demain dimanche, vous galo¬
perez.”
Ils partirent s’en aller, compère Chevreuil son coeur
content ; compère Tortue en réfléchissant en lui-même :
“Dans le temps passé, mon grand-père battit com¬
père Lapin au galoper. Je ne sais comment je ferai
pour battre compère Chevreuil.”
Dans ce temps-là* il y avait un vieux, vieux crooo*
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dile qui avait plus de cinquante dix ans. 11 était
si malin qu’on l’appelait compère Avocat.
La nuit vint ; compère Tortue courut trouver com¬
père Avocat, et lui raconta comme il était embarrassé
pour sa course. Compère Avocat dit à compère Tor¬
tue:
“ Je veux bien t’aider, mon garçon ; nous sommes
proche même famille ; la terre avec l’eau sont la mê¬
me chose pour nous autres. Je réfléchirai sur cette
affaire-là. Viens demain matin ; je te dirai ce qu’il
y a à faire.”
Compère Tortue courut se coucher ; mais il ne dor¬
mit pas beaucoup, il était si tant tracassé ! Le matin
il partit courir du côté de compère Avocat.
Compère Avocat était déjà debout, après prendre
son café.
“ Bonjour, Monsieur Avocat.
“ Bonjour, mon garçon. Cette affaire là m’a donné
beaucoup do tracas; mais je crois que tu battras
compère Chevreuil, si tu fais le métier que je te dirai.
“ Vous prendrez juge aujourd’hui pour mesurer le
chemin au ras du bayou; chaque quatre arpens;
mettez un jalon ; compère Chevreuil galopera sur la
terre; toi, tu galoperas dans l’eau. Tu comprends
bien ce que je te dis ?
“Oh! oui, compère Avocat, j’écoute bien tout ce
que vous êtes après dire.
“ Le soir, quand la nuit viendra tu iras prendre neuf
de tes amis, et tu en cacheras un au ras de chacun
de ces jalons. Toi, tu iras te cacher au ras de la mai¬
son de Mlle Calinda. Tu comprends bien ce que je
te dis?
“ Oh ! oui, compère Avocat, je comprends bien tout
le métier que vous me dites.
“ Eh bien ! va te préparer pour sauver l’honneur
de notre nation.”
Compère Tortue alla vers compère Chevreuil, et
arrangea tout ce que lui avait dit compère Avocat.
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Compère Chevreuil était si sûr de gagner la course,
qu’il dit oui à tout ce que voulait Compère Tortue.
Le lendemain, de bon matin, tous les habitants s’as*
semblèrent pour voir la grande course.
Quand l’heure arriva, Compère Chevreuil et Com¬
père Tortue étaient tous les deux prêts. Le juge cria :
“ Allez! ” et ils partirent à galoper.
Quand compère Chevreuil arriva au premier jalon,
il appela :
“ Hé ! compère Tortue.
“ Je suis là, compère Chevreuil.”
Quand ils arrivèrent au deuxième jalon, compère
Chevreuil siffla :
“ Fioute ! ”
Compère Tortue répondit:
“ Croack! ”
Le troisième jalon atteint, compère Tortue était
toujours tingue à tingue avec compère Chevreuil.
“ Diable! cette tortue-là galope plus vite qu’un ba¬
teau à vapeur; il faut que je remue mon corps.”
Quand compère Chevreuil arriva au neuvième jalon,
il vit compère Tbrtue qui plongeait dans l’eau. Il
mit toute sa force dehors pour rien ; avant qu’il arri¬
vât au but, il entendit tout le monde crier :
“ Hourra! hourra! pour coïnpère Tortue.”
Quand il arriva, il vit compère Tortue sur la galerie,
embrassant Mlle Calinda. Ça lui fit tant de mal,
qu’il s’échappa dans le bois.
Compère Tortue se maria avec Mlle Calinda, le
samedi suivant, et,tout le monde mangea et but si
bien qu’on se grisa.
De. Alfred Mercier.
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