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Title : Les français en Amérique : Canada, Acadie, Louisiane / Jacques Feyrol
Author : Feyrol, Jacques (1846-1894). Auteur du texte
Publisher : (Paris)
Publication date : 1886
Subject : France -- Colonies -- Histoire
Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34139006z
Type : text
Type : monographie imprimée
Language : french
Language : French
Format : 1 vol. (239 p.) ; in-8
Format : Nombre total de vues : 244
Description : Collection numérique : Bibliothèque Francophone Numérique
Description : Collection numérique : Zone géographique : Amérique - Caraïbe
Description : Collection numérique : Thème : Les échanges
Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Rights : Consultable en ligne
Rights : Public domain
Identifier : ark:/12148/bpt6k5837811g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, LK12-1368 (A)
Provenance : Bibliothèque nationale de France
Online date : 12/07/2010
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£•&©■ FRANÇAIS M AHÉIilQUE
IBS FRÀKÇAIS EN ÀMKMQUE.
JAUQUKH lUn'ROL
LES FRANÇAIS
i:\'
AMÉRIQUE
CANADA — ACAIME — LOUISIANE
PARIS
H. LECÈM ET H. OÙDIN, ÉDITEURS
17, tt.UK UONAPAItTK, 17
LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
CANADA
CHAPITRE PREMIER
Jacques Cartier. — Les abandonnés clel'ile de Sable. — Champlain.. — Fondation do Montréal.— Dévouement de d'Aulne.—Frontenac.— Cavelliordo La Salle. — Traité do Saint-Gormain-en-Layo.
Pondant que les Espagnols, sous la conduite dos Pizarre ot dos Cortoz, s'établissaient dans L'Amérique du Sud et dans l'Amérique centrale, les Français ouvraient à la civilisation les immenses territoires de l'Amérique du Nord.
De la haie d'Hudson au golfe du Mexique, de l'océan Atlantique aux montagnes Rocheuses, ils parcouraient on tous sens le vaste continent, désignant avec une sagacité merveilleuse l'emplacement dos villes, aujourd'hui florissantes, qui font l'orgueil et la gloire des Etats-Unis.
La politique dos dernières années de la royauté pouvait seule nous faire perdre le fruit de nos conquêtes pacifiques dans le nouveau monde, aux Antilles et aux
us ruv\i;\»s i:\ \\!;;iU'jri;
Indes, en livrant nos immenses possessions aux mains de rAuglelerre ; c'est à la Franco que la (iraude-Rrolagno doit ses plus belles et ses plus riches colonies,
Mais la nationalité française est de celles qui ne s'absorboni pas : partout où ils oui passé, nos compatriotes ont laissé des souvenirs ineffaçables , parloul où notre race s'est implantée, elle a crû et multiplié ; elle a conservé ses caractères propres au point de former un peuple distinct au milieu des autres peuples.
Aux Flals-Fnis, des noms de villes, de montagnes, de rivières, rappellent la l'Yauee. Au Canada, en Aradio. dans la Louisiane, au milieu de ht nation anglaise et américaine, vit une nation française si nombreuse, si forte, si unie, que la persécution n'a rien pu contre elle; le vainqueur a dû compter avec ces Français dont le nombre augmente chaque jour, et respecter leur langue, leurs coutumes, leur religion, leur indépendance.
C'esl l'histoire de ces Français de la France transatlantique que nous allons raconter.
11 y a trois siècles et-demi, cherchant une route vers les Indes par le Nord de l'Atlantique, Jacques Cartier atteignit les bouches du Saint-Laurent. I! jeta l'ancre devant le village indien de StadaconiK défendu par les pentes abruptes de Québec, et devant la ville de Hoclwïaga, à l'ombre de la colline qu'il nomma Mont-Royal.
Du pont de son navire, Cartier admirait le spectacle qui s'offrait à ses regards : devant lui. le fleuve immense, calme et majestueux, roulant des eaux d'un bleu profond, verdàtres par places, comme des reliefs d'Océan ; à l'horizon, la foret sans bornes, sombre et silencieuse
I.I: cv.\\n\
que les paies l'ayons d'un soleil d'auloinue faisaient paraître plus sombre et plus vaste encore ; il résoluI de rosier dans ces parages jusqu'au rolourdu printemps.
Mais l'hiver fut rigoureux; un de ces longs hivers du Canada où la neige couvre le sol pendant cinq mois, où
Jacques. Cartier .sur sou navire.
le froid arrête le cours du Sainl-LauronI et le transforme en un amoncellement de blocs et de rochers de glace. Le scorbut, jusqu'alors inconnu des marins, fit dans ses équipages de nombreuses victimes, et les matelots saluèrent avec joie la débâcle du fleuve, qui leur permettait de faire voile vers la France.
8 u-s rit \NÇvis ivN AMi^niyr'iï
An retour» les hommes tirent le récit dos souflranecs endurées ; les forets impénétrables, la terre couverte de neige et te fleuve gelé, prévinrent mal on -faveur des << Terres iiouvos ». Au lieu do vaisseaux chargés d'or et de portos, Carfior no rapportaitque des fourrnros ; co fut surtout la le grand reproche qu'on lui adressa, La nouvelle de la découverte dit Pérou, la légende do rFidorado de la Guyane faisaient tourner toutes les tètes.
Cartier, cependant, fut renvoyé vers les Terres neuves, sous les ordres du chevalier do la Roque, seigneur de Roborval, q.ui s'était fait nommer vice-roi do la « Nouvelle-France »; mais celte tentative ne fut pas plus lieureuso que les autres, et de toute celte première période de ^histoire canadienne, il ne reste guère que le souvenir du nom de Jacques Cartier.
Quelques années plus tard, le marquis de la Roche entreprit do coloniser la Nouvelle-France et do convertir ses sauvages habitants ; trouver des mines d'or et d'argent, et répandre la religion du Christ, séduisait singulièrement lès gentilshommes de cotte époque, Los colons qu'emmenait de la Roclie n'offraient pas toutes los garanties désirables : outré ses équipages, il transportait quarante condamnés.
Les voyageurs s'embarquèrent sur un navire si petit et si bas sur l'eau, que dos bastingages les hommes 'pouvaient, sans ottorls, se laveries mains dans la mer, La Roche longea, los côtes de la Nouvelle-Ecosse, et atteignit, les îles basses et sablonneuses nommées îles de Sable y si redoutées des pécheurs basques, normands
I.lî CANADA M
et bretons qui fréquentaient ces parages bien avant Jacques Cartier ; elles sont encore aujourd'hui hi terreur dos marins. Il débarqua son monde sur un do ces ilôts, et se dirigea vers la Nouvolle-Ecosso pour chercher un emplacement convenable à l'installation de la colonie; après quoi, il devait venir les rej)rendre.
Un orage épouvantable le rejeta vers la haute mer et le força à rallier les côtes do France. Emprisonné dès son retour dans sa patrie, il ne put aller au secours des abandonnés,
Un sombre pressentiment s'empara des convicts quand s'éloigna le navire qui les avait amenés ; les jours, les semaines, les mois s'écoulèrent, sans que les malheureux, qui sans cesse interrogeaient l'horizon, vissent apparaître la voile tant désirée. Le doute n'était plus possible,
Que faire, perdus sur cet îlot désert, au milieu de l'Océan, à plus do cent cinquante kilomètres des côtes?...
L'île n'est qu'un banc de sable, long do quarante-cinq kilomètres, affectant.là forme cTiïn croissant : au centre, un grand lac ; sur la plage, quelques buissons d'épines et de tamarins ; pas un arbre, pas même un rocher pour s'abriter, pour chercher un l'efiigo contre les pluies, la noige ou les vents ; do loin eh loin sur la côte, la coque brisée d'un vaisseau naufragé, ou quoique épave rejetée par les flots, et au delà, jusqu'à l'horizon, l'Atlantique qui les enserre et les tient plus sûrement captifs que los murs épais ou los lourdes portes do leur ancienne prison,
Heureusement, ils purent employer les épaves pour se
u:s I-HA.NÇAIS I;N AMKIUyi'K
construire des huiles, et sur l'île ils trouvèrenl des moulons venus là sans doute à la suite d'un naufrage; ils se nourrirent de lotir chair, et quand leurs vétemenls usés les abandonneront, ils se couvrirent de peaux de bêles, Bientôt des querelles s'élevèrent en!re ces hommes réduits au désespoir ; au bout de peu de temps, ils n'étaient pins quedou/e ; les autres avaient péri assassinés par leurs compagnons.
Sept ans se passèrent ainsi ; enfin, un jour, ils aperçoivent les voiles d'un navire se dirigeant vers eux. Il était commandé par Chédoloî, un des marins do la Roche, envoyé par le Parlement de Rouen à la recherche des malheureux.
A leur retour en France, le roi Henri IV voulut les voir ; on les amena, velus comme on les avait retrouvés ;■■'" Jours barbes et leurs chevelures incultes les faisaient bien plutôt ressembler à des animaux qu'à des hommes. Le roi leur lit donner de l'argent, et les renvoya chez eux.
Le xvn° siècle débute par des essais do colonisation à l'embouchure de la rivière Sainte-Croix et à PortRoyal, dans la Nouvelle-Ecosse ; c'est rAcadie, Los noms de de Monts, Poutrincburl, Chaniplain , Lescarbot , hommes hardis et entreprenants, sont intimement liés à ces tentatives malheureuses, Alors que la lecture de leurs succès devrait nous arracher dos cris enthousiastes, elle no produit que tristesses et regrets. Comment pouvait-il eii être autrement ?,,. Tous ces essais de colonisation ne reposaient que sur la faveur royale et le monopole du gouvernements au lieu de s'appuyer sur
Ûî CANADA j I
l'industrie et l'initiative privée. Les colons étaient recrutés dans les bagues, ou parmi les misérables et les gens sans aveu : on refusait au seul véritable élément de colonisation de quitter la France ; aux protestants.
En Liai), l'amiral de Coligny avait conçu le projet de peupler les rivages do l'Amérique d'émigranls huguenots ; sa pensée élait d'assurer la liberté de conscience de ses coreligionnaires, tout en étendant, par leurs bras, la puissance de la France ; malheureusement, celle omvro fut étouffée dans son germe par l'hostilité des Espagnols qui pondaient les colons huguenots, « non comme criminels, mais comme hérétiques, :>>
Nommé .gouverneur, Champlain ne s'arrête pas longtemps sur les rives'do l'Acadie où il vient d'aborder; il comprend que c'est par le Saint-Laurent que la Franco peut plus facilement pénétrer au coMir du grand continent américain.
En 4G08, il fondait Québec, non loin du village de Stadaconé où, soixante-sept ans auparavant, Jacques Cartier avait hiverné.
Admirablement située pour le commerce, aussi bien défendue que possible, Québec devint immédiatement le centre de la Nouvelle-France.
Tant qu'il vécut, Champlain fut véritablement la tète, le coeur et le bras do la jeune colonie, et son nom mérite d'être inscrit à la première page, sur le livre d'or du Canada, non seulement parce qu'il fut grand et généreux, mais aussi pour les services qu'il rendit. Après Jacques Cartier, il a été le premier de cotte race d'hommes
1% I.KS FRANÇAIS EN A.MfoUQI'H
intrépides, laïques ou prêtres, nobles ou voyageurs, qui fouillèrent los solitudes du nouveau monde, donnèrent des noms français au* montagnes, aux rivières, aux lacs, aux forts, de Louisbourg aux montagnosRocheusos, de la baie d'Hudson h la Louisiane,
Le patriotisme le plus pur fut le seul guide de la politique do Champlain : malgré ses voyages et ses explorations, il tondit toujours vers le même but. Au nord, il s'avança sur l'Ottawa, jusqu'à l'embouchure du Mattawan ; à l'ouest, jusqu'au lac Nissiping et h l'immense lac Hurou. Poursuivant sa course au sud, le long des côtes de la haie do Géorgie, il atteignit la riche et populeuse contrée des Hurons, près du lac Simcoe. Son but était do réunir on une gmnde confédération, soumise àla Franco, les Indiens du Saguenay, de l'Ottawa, do la baie do Géorgie et du lac Erié. Il assurait ainsi, disait-il, la prospérité do Québec; les Indiens viendraient échanger leurs riches pelleteries contre les produits français ; l'influence de la Franco et dos missionnaires, qui la représentaient jusque dans les villages les plus éloignés, grandirait auprès de ces nations, et, pou à pou, notre puissance s'étendrait sur tous ces immenses territoires,
Un instant il put croire au succès de son oeuvre : déjà les tribus do l'Est, de l'Ouest et du Nord reconnaissaient la suprématie do la Franco et acceptaient la protection de Champlain, poussées qu'elles étaient par leur admiration pour les Français, par lé désir d'échanger leurs fourrures contre dos marchandises françaises et aussi par l'espoir de trouver en nous des alliés contre les Iroquois, Pour les encourager, Champlain se déclara franchement
Llv CANADA Ut
l'ennemi de ces derniers, ot ce fut là le côté faible de sa politique : il aurait dû se faire dos amis de ces terribles guerriers.
S'il eut fait cola, Champlain eût créé vérilabl mont la Nouvelle-France et, comme territoires, lui eût (tonné toute l'Amérique du Nord. Les Anglais, établis sur la côte , eussent été bloqués du côté do l'ouest, Il est étonnant qu'un homme comme Champlain, au lieu de perdre son temps en explorations vers le nord, n'ait pas plutôt tourné ses vues vers le sud. Seuls , les Iroquois barraient la route. Avec co peuple pour auxiliaire, il pouvait prévenir les Hollandais, qui, on 1613, s'établiront dans l'île de Manhattan, berceau de New-York ; à la rigueur, il pouvait les chasser.
Sans doute y Champlain ne connaissait pas la force véritable dos Iroquois ; il pensait que les tribus du Nord une fois organisées , les cinq nations ne sauraient lui résister. Pouvait-il prévoir que les Hollandais viendraient s'établir à Albany et fourniraient dos armes aux Iroquois pour lutter contre la France?
A Champlain succéda deMontmagny; c'est à cette époque que fut fondé Montréal (Mont-Royal), Le nouvel établissement , dans l'esprit de ses créateurSj n'était pas destiné à devenir la splendide cité de nos jours, avec ses vastes rues, ses quais immenses, ses maisons monumentales , mais une communauté religieuse, chargée de répandre la foi jusque dans les coins les plus éloignés de la Nouvelle-France. Ce projet d'établissement avait été conçu par M. JeanJàcqûes Olier , le fondateur du séminaire de Saint-
n
IA-.A JltA.M'.AlS KN AMHlUOUlv
tin Huîtiiciuih CJostUmc dis 1700*
SulpicOj aidé par des personnes dévouées. Des hommes de haute naissance .des femmes éleyécs dans le luxe et le bien-être avaient quitté la France, traversé l'Allali tique dans des navires infects, mal aménagés, -pour consacrer leur vie à instruire et à soigner les sauvages.
Au début, Moiitréai HO "coinposait de trois eoiiinumautés religieuses ! lui séminaire, un hôpital et une école. Le premier gouverneur de la nouvelle colonie fut M. de Maisoniieuve, ((pieux comme un saint, écrit un auteur anglais, aihiahi les aventurés et ajoutant à la bravoure innée chez tous les Français une prndèîïco cotji-..
Lti CANADA |>>
pàrable à colle d'un Indien, » Lorsqu'il vinf à Québec , le gouverneur cl le conseil lui représentèrent la folie de son entreprise et tentèrent, de le détourner de son projet. — C'est mon devoir de fonder une colonie à Moiitréal, répondit-il , et-;j'irai, chaque arbre du chonjiu Tut-il un Iroquois.
Quand on roUl l'histoire des premiers temps de Montréal , on se demande ce' qu'il faillie plus admirer : de la bravoure dés soldats , du dévouement, des prêtres ou de l'énergie du gouverneur. Les soldats vivaient comme dos prêtres* et les prêtres remplissaient leurs devoirs de soldats. Chacun louait c sa vie dans sa main. » Pendant le jour , les laboureurs allaient au champ Je-fusil sur l'épaulé, Lu nuit , derrière chaipie arbre , chaque accident (lé terrain se cachait un .iroquois , et malheur à ceux .qui s'aVeiiluraicnl à quelques pas do leur demeuré. Heureux celui [(jui pouvait s'échapper sanglant des mains d'un ennemi qui. faisait périr los blancs dans
'les tortures, prolongeant ta vie pour prolonger l'agonie! C'est aux sulpioieiis que l'on doit la fonda lion, do Moiiiréal ; l'espace occupé aujourd'hui par la ville, ifs l'ont conquis "s tir la forêt et les sauvages , restai»! pendant de longues années en butte à tours attaques et souvent iirrosanl Je sol .-de Jour sang, Chaque année* chaque moi*.
■ quelqu'un do ces braves tombait au pouvoir des féroces Iroquois ; son sort était à jamais ignoré* mais nul ne doutait que le maiheureUx n'eût péri dans d'atroces souffrances, L'abbé FaitloU a raconté (le nombi'oUsos histoires île cotte époque toUimontée; une surtout -'nous a paru
touiduinto ;.
!G LUS FRANÇAIS EN AMliÙIQUlî
En ltitiO, un jeune officier du nom de Adam d'Aulac, las d'attendre immobile les attaques des Iroquois, résolut de remonter la rivière et de s'embusquer à un endroit où ils devaient nécessairement passer et de los surprendre. Seize jeunes gens se joignirent à lui. .Maisonneuve, ouvrai chevalier, ne put qu'applaudira-cet acte de bravoure et donner a ces vaillants l'autorisation de partir.
Les dix-sept braves tirent leur testament ; puis, comme les anciens preux avant démarcher au combat, reçurent les derniers sacrements, et quittèrent Montréal. Au pied des rapides de Long-Saut, ils trouvèrent une palissade qu'ils fortifièrent, résolus h s'arrêter là pour vaincre ou mourir.
Attaqués par deux cents sauvages, ils tinrent pendant huit jours ; et quand sept cents Indiens réunis pour donner l'assaut ouvrirent une brèche dans ta palissade , les Français, l'épéc d'une main et la hache de l'autre , sortirent et se jetèrent au plus fort de la mêlée ; comme des foits^ ils combattirent jusqu'à ce que le dernier d'entre eux tombai sous les coups des Iroquois.
Un seul est l'esté debout : avant de mourir, il achève à coups île hache ses camarades blesses, alin qu'aucun d'eux no reste vivant aux mains de leurs féroces ennemis, puis , brandissant son arme roitgie du sang de ses compatriotes, il se jette tête baissée ait milieu des Iroquois, Ainsi périt cotte poignée de braves, comme les Spartiates aux Thermopyles,'])our obéir aux lois do l'honneur. Un lluron, témoin du combat, rapporta ces détails à Montréal,
Apres cette victoire, les Indiens abandonneront le projet
Steamer deseemlantj.es Rapides de ia Chine.
55' à*
S»
LE CANADA
d'attaquer Montréal ; ils étaient effrayés du nombre dos leurs tués par dix-sept Français, et la colonie fut pour quelque temps sauvée par l'héroïsme et le dévouement de ses enfants.
En 1680, sous le gouvernement de M. de Frontenac, un jeune homme, Robert Cavellier, sieur de La Salle, entreprit d'explorer le continent pour trouver, par le Far-West, une roule menant à l'océan Pacifique et assurant à la France le commerce dos Judos, l'eu de temps après l'arrivée de La Salle à Montréal, le séminaire de Saint-Sulpice lui avait donné un grande étendue de terrain située au-dessus des rapides connus sous le nom de Saint-Louis; il appela col établissement la Chine, pour indiquer qu'il considérait ce pays comme le point de départ du voyage qu'il voulait, entreprendre à l'oued, pour gagner tla Chine ; il devait y créer un avant-poste qui lui permit de signaler rapproche des Indiens.
Pendant qu'il était occupé sur ses ferres à défricher et à faire le commerce des fourrui'os. des Indiens do l'ouest lui parlèrent d'une grande rivière nommée Oluo, qui coulait vers l'ouest et le sud, pour gagner l'Océan. Convaincu que cet, Océan ne pouvait èlro que la « mer Vermeille » on golfe de Californie , il s'enflamma a l'idée do trouver enfin le passage conduisant en Chine et dans l'Inde. 11 se consacra lout entier h cette découverte.
Son premier soin fut d'établir sur le lac Ontario, qui devait être son point do départ, un contre de ravitaillement et une base, d'opération. Ayant i éussi à convaincre le nouveau gouverneur, il le décida h construire un fort
20 IHS |-H\N(.AIS ï.\ WKHIOt'K
à l'endroit même où le Saint-Laurent sort du lac Ontario, pour s'élancer à travers le dédale d'îlots appelés « les Mille lies. » Le nouveau fort fui bàli à l'embouchure du Calaraqui, à l'endroit appelé «J Tèfe-du-Poul-lîarraquos, » où s'élève aujourd'hui !;i "ville de Kingston.
Le fort de Frontenac devin! bien têt le contre commercial de foules les tribus des lacs supérieurs. Avant, leur trafic se faisait à New-York parle pays des iroquois.
Nous ne raconterons pas les voyages de La Salle, ni sou désespoir lorsqu'il s'aperçut qu'au lieu d'atteindre l'océan Pacifique, comme il l'avait supposé, il arrivait dans le golfe du Mexique ; ce que La Salle considérait comme un échec pouvait, an contraire, être regardé connue un succès.
En 107)1, le Père Marquette.avait atteint le « Père-desEalix » (Mississipi) par les rivières Fox el Wiscousiii ; en 1080. La Salle l'atteignit par .rilluiois. le descendit en canot jusqu'à son embouchure et prit possession de la vallée du Mississipi et de la cote au nom du roi Louis XIV. Il donna le nom de Louisiane à la vaste région qui s'étend du golfe au cours supérieur-(lu Missouri. La .Nouveile-F'raneo et la. Louisiane coin prenaient donc tout le continent nord américain , à l'exception de la côte de l'Atlantique, a l'est des Alleghallis , où les Anglais avaient des colonies naissantes. C'est dans cet immense territoire que tes Etats-Unis se constituèrent plus tard.
En 1082, poussés par les colons anglais, les Iroquois liront do nouvelles incursions sur nos possessions. En 1080, ils massacrèrent la plupart descolons do Montréal et
Le porfe-dfr. Kingston,
LE CANADA 23
se répandirent dans les campagnes, saccageant et brûlant tout sur leur passage.
A ces ennemis, si'.'redoutables■■ pour une colonie naissante, se joignirent les Anglais de.la/Nouvelle-Angleterre qui comptait 2Ô0,ÔÔ0 habitants, tandis que la NouVelleFraiiçe n'en avait pas plus do 15,000.
I)éjà eh 1029 , pendant le siège de La Rochelle, les Anglais avaient attaqué Québec ; manquant de vivres et de moyens de défense, la ville capitula avec tous les honneurs de la guerre, et Champlain fut emmené prisonnier en Angleterre. En 1032, le traité de Saint-Gèrmain-en-Laye rendit le Canada, l'Acadio et le Cap^Bretoh à la Franco, et Champlain fut renvoyé on qualité de gouverneur,
En 1090, sous le gouvernement de M. de Frontenac, les Anglais armèrent à Boston une Hotte nombreuse , montée par deux mille hominos , et vinrent mettre te siège devant Québec, lé 10 octobre,
La flotte remonta le Saint-Laurent sous le commandement do l'amiral Phipps, et jeta l'aticrc en vue de Québec, Le lendemain , un parlementaire fut envoyé à Frontenac ; Jl était porteur d'une sommation d'avoir à rendre ht ville ; dos soldats canadiens le reçurent sur le rivage, lui bandèrent les yeux et, après l'avoir promené longtemps autour des fortifications, l'introduisirent auprès du gouverneur.
Quand oh retira le bandeau, l'officier se trouva dans Une salle basse du château , on présence-de Frontenac entouré de nombreux officiers, Au dehors, les soldats uiêhaient grand bruit, battant lé tambour, manoeuvrant,
24 I.KS FitANGAlS KN AMKHIQUtv
faisant rouler des canons pour faire croire à la présence do troupes beaucoup plus nombreuses qu'elles ne l'étaient réellement,
Le parlementaire remit à Frontenac la sommation rédigée par Phipps.
— Je voudrais rendre la ville, dit le gouverneur après avoir pris lecture do la pièce, que tous ces braves gens ne me le permettraient pas.
L'oflicior demanda une réponse écrite.
— Allez , Monsieur, je vais répondre à Voire maître avec la bouche de mes canons ; qu'il apprenne que ce n'est pas dota sorte que l'on somme uii homme comme moi.
Aussitôt les batteries ouvrirent', le feu. Le premier boulet coupa le pavillon amiral et le précipita dans le lleU'Ve-.; malgré le canon et la fusillade anglaise , dos h oui niés se jetèrent a la nage et rapportèrent le drapeau anglais ; il fut placé daiis la cathédrale de Québec, et y resta jUsiju'ou J7?»0, où l'église fut iiicediée pendant le siège.
Après avoir bombardé..la- ville ■pendant plusieurs jours et tenté un assaut, les Anglais furent repoussés, JaissUnl plus de six cents hommes sur le champ de bataille et abandonnant toute tour artillerie sur le rivage. Lu autre corps d'armée. qui s'élaîf dirigé par terre sur Montréal , fut .complètement décimé par la petite vérole et forcé de regagner Bostofi,
Profilant do Ces succès, M. (le Frontenac donna le commandement de l'armée à M> d'Iberviile qui, dans
Llï CANADA 2il
l'été de 1090, s'empara de l'île de Terre-Neuve et, au niois de mai do l'année suivante, reprit les forts de la baie d'IIudson.
Le traité de Hyswick (loi)") mit fin à la guerre el restitua l'Acadie à la France.
À cetteépoque; l'Amérique du Nord semlila.il- bien plutôt destinée à devenir française qu'anglo-saxonne. Si Louis XlV avait pornos aux huguenots d'émigrer, il eût certainement atteint ce résultat. Eux seuls, à cette époque, désiraient quitter là France ; a eux seuls il était défondu de s'expatrier. Ils auraient été heureux de transporter dans le nouveau monde leur liberté religieuse , leur fortune, leur esprit de suite et d'entreprise.
Plus habile que la Franco, l'Angleterre permit à ses puritains de s'exiler et d'aller fonder Une autre patrie au delà dos niers, et c'est cette immigration qui a conslitué le noyau du .grand peuple américain.
Dans 'la-Nouvel té-France, les colons étaient .désignés parlé roi, et l'on envoyait tout le monde, excepté des huguenots ; de par la toi» aucun hérétique ne pouvait aborder sur le sol de la IVouvelle-FraUce. Ceux qui, persécutés, quittaient iu France, pouvaient aller enrichir là Itoliande, rAllemagnc , rAnglelèrre, tous les pays, excepté le Canada. Et quand vint l'heure de jouer la grande partie dont la possession du nouveau monde éfail l'enjeu, un dos doux combattants avait trois millions de sujets répandus sur le territoire, tandis que l'autre no comptait qu'une poignée de soldats, quelques indiens convertis, des coureurs des dois et une milice fournie par soixante ou soixante-dix mille habitants prêts à combattre
20 t,KS FRANÇAIS !ÏX AMtèlUQl'R
en héros pour la France, mais dont lès familles mouraient de faim» quand les chefs étaient enrôlés pour une longue période.
Tel était l'état de la NouVoUè-Franee au coniniencement du xvnie siècle, pendant lequel nous devions perdre nos colonies de PAmériqué dit Nord.
CHAPITRE II
Paix avec les Iroquois,—L'amiral du .Brouillard. — Traité d'Ùtreclit. — Traité d'Aix-là-Cliapelle. — Déloyauté de Washington.—" Franklin et les FrançaiSi —^ Montoalni. —Bataille de Carillon. — Bataille d'Abraham. — Mort de Montealhi. — Reddition de Québec; *— Traité de Paris. •■— Les héros dit -Canada'; ~ Les vols de l'intendant Bigot,
Avec le xviii 0 siècle, commence là seconde partie de l'histoire de la NoUveHo-France : la première période est consacrée tout entière a dos tentatives de colonisation, à la fondation dé villes et de villages, à l'établissenioiit de forts et do moyens de défense ; car les gouverneurs oiït compris que ïeUrs plus grands ennemis ne sont pas les Iroquois, niais bien f ennemi séculaire do la Franco : l'Anglais,
Cotte seconde période, qui va se terminer par la perte de notre colonie, on peut l'appeler la « période héroïque; >> les paysans normands, bretons, suinlongeois abandonnent la charrue polir' prendre le fusil ; le vieux sang gaulois qui coulé dans leurs veines se réveille ait Uioinoilt dti danger ; tous ces Français, soldats-nés, se battent aussi volontiers contre l'Anglais que contre lesloups, les fauves dos forêts canadiennes ou les Indiens Iroquois.
2H hKS l'IlAXCAIS i,N AMHIUOUI:
Beaucoup de ces mlons s'étaient avancés très loin dans l'iiilérieur : quelques-uns,élablis sur los territoires indiens, s'allièrent avec les Iribur- dont ils se faisaient estimer par leur bravoure et leur bonne humeur; en pende temps, ils eonquironl sur los peuplades voisines une puissante influence. Miehelel parle avec enthousiasme des alliances do nos aventuriers français, do mis coureurs des bois avec los indigènes:
« Ils n'avaient ni l'exclusivisme ni l'orgueil do l'Anglais, Us n'avaient point los goûts bas et avares de l'Espagnol.... Noire émigrant français, roturier en Europe, simple paysan morne, était noble là-bas. H épousait telle lille
de chef, parfois devenait chef lui-même L'n petit
nombre de Français où! pu créer ainsi un grand empire colonial, un grand empire métis, en se greffant par mariages sur le peuple indigène, le pénétrant d'esprit européen. Yériînhle colonisation, qui oùf sauvé et transformé la race de l'Amérique que le mépris sauvage des Anglais a exterminée. Us ont fait une nouvelle Europe, c'esl vrai, mais supprimé l'Amérique elle-même, anéanti le genius loti. Ce qu'il y aurait eu de fécond' dans son mariage volontaire avec la civilisation a péri pour toujours. Crime contre Bien, contre nature ! ( 1 ). »
Nous verrons ces capitaines de sauvages, coin me on les appelait alors , pondant les guerres di' l'Acadie.
Après de longs pourparlers, les représentants des cinq
(1 j Michblct, Histoire de Franco, t. XVItt, p. IbO,
l,K CAXAUA $[)
nations formant la confédération dos Iroquois se réiioiront à Montréal et signèrent, !è 8 septembre 1700, les préliniiîuuresd'uU traité de paix qui fut 'ratifié l'année suivante par lotis les chefs.
Cette cérémonie eut. lieu le i août 1701, dans la plaine, près de Montréal.
Ou éleva une vaste enceinte garnie de gradins ou prirent place les principaux habitants ; dos sièges étaient réservés pour les dames, Autour et formant la haie, los soldats,-;-au contre, assis sur des peaux de bisons, les délégués de toutes les nations qui occupaient les territoires entre le Saint-Laurent et le golfe du Mexique; ils étaient treize cents.
Colle assemblée présentait un coup d'oui curieux : ces treize cents chefs, à la peau rouge, zébrée de peintures et d'ornements bizarres, coiffés de leurs couronnes de plumes multicolores, los épaules couvertes de superbes peaux do bisons, fumaient on silence le calumet de paix, Ils prêtaient aux discours des Français une religieuse attention ; puis, leurs orateurs prirent la parole à leur tour. Presque tous ces sauvages ont une réelle éloquence ; ils s'expriment dans un langage imagé, enipreintd'une grande noblesse ol d'une grande poésie.
Le plus célèbre d'entre eux était le liât ; ce vieux chef huroh, qui tint si longtemps nos armes et notre diplomatie en échec, s'était enfin rallié à nous. Pendant son discours, il perdit connaissance, et l'on fut obligé do l'emmener , à l'hôpital, où il mourut le lendemain. Depuis quelque temps déjà il était converti à la religion chrétienne ; on l'enterra dans l'église de Québec, Son influence
'10 I.KS l'HANÇAIS |^X AMKlU^rK
sur sa tribuétait toile, que, contoriuéméut à ses dernièros vohmtés, jamais la nation huronne ne se sépara de la Franco.
Tranquilles du côté dos Indiens, les gouverneurs du Canada allaient enfui pouvoir diriger leurs etmrts vers l'amélioralion do notre colonie,'.quand éclata la guerre de la Succession d'Espagne. En 1711, une hotte anglaise forlo do qiuitro-vingt-quatre vaisseau x< commandés par '.Walkor. lit voile vers l'Amérique et vint assiéger Québec, Mais une tempête furieuse s'éleva sur le Saiht-Laui'oht ; la plupart des bâtiments périrent', los autres furent dispersés, et cotte armée navale dut regagner son point de départ,
Los habitants du bas Saint-Laurent, qui ont un goût très prononcé pour les légendes, en racoUtont une à l'occasion do ce désastre ; ils l'appellent Y amiral du Brouillard,
La flotte, avons-nous dit, était commandée par Walkor ; celui-ci venait d'être promu au grade# d'amiral par la reine Anne ; il quitta l'Angleterre avec sa Hotte ; VEdgar battait pavillon amiral. Quand il reçut son brevet, Walkor était à la veille d'épouser une jeune fille, pour laquelle il avait une vive affection ; il remmena avec lui, la lit embarquer sur un de ses navires, le Marchand de Smyrne, et fit voile vers l'Amérique, bien décidé à célébrer son mariage aussitôt que la prise de Québec aurait fait tomber la Nouvelle-France sous la domination anglaise,
La traversée s'opéra sans autre incident notable que la prise, en approchant do Terre-Neuve, d'un navire français commandé par un marin canadien, du nom dé
LE CANAJIA Mi
Paradis ; cet homme avait la réputation d'être le plus lin pilote du Saint-Laurent. L'amiral connaissait cette particularité. Aussi ordonna-t-il que Ton eût les plus grands égards pour sou prisonnier.
On pénétra dam le golfe et, le 22 août, les quatrevingts navires delà flotte se trouvaient par le travers-de VJie-auoe-OEit/s. Ce jour-là, l'amiral Walkor, tout radieux, arpentait gaimertt le polit do Y Edgar. Encore doux jours, trois au plus, et la flotte serait devant Québec, prête à bombarder la ville.
Appuyé sur les bastingages, le-capitaine Paradis, silencieux, fouillait l'horizon do son oui calme et tranquille. Un instant cependant, ayant aperçu un nuage blanc, léger comme la fumée, tranchant sur l'immensité bleue, le prisonnier tressaillit; mais ce ne fut qu'un éclair, et son visage reprit aussitôt son apparence froide et sa morne tranquillité.
Tout à coup, le vont fraîchit et sauta on plein sud ; toutes ses voiles dehors, Y Edgar lilait vont arrière, suivi de près par les autres navires. La nuit tombait ; on allait distribuer los hamacs, quand soudain, du gaillard d'avant, se lit entendre ce cri sinistre :
— Brisants par tribord devant !
L'officier de quart, épouvanté, commanda une manoeuvre d'urgence, tandis quel'amiral se précipitait vers Paradis.
— Capitaine, s'écria-t-il, il y va do notre vie à tous ; choisissez : prendre la barre du gouvernail ou danser au bout de la grande vergue.
— Il est inutile do vous résister, répondit le Canadien ; donnez-moi pendant, deux heures le commandement du
*12 1„»>S l'UANÇAIS EN AMKIUQI-R
vaisseau °L Sl"' mon âme, je vous promets qu'il no lui arrivera rien.
Puis il alla se poster au gouvernail.
Sur ces entrefaites, Je ciel s'était couvert, et l'ouragan se déchaînait sur le golfe, Sur l'horizon tout noir, la foudre traçait-de. fulgurants zigzags ; dans le lointain, éclatait comme une décharge d'artillerie le grondement du tonnerre, que couvrait aussitôt ta grande voix de l'Atlantique ou fureur.
h'Edgar courait plus vile, et déjà l'amiral se félicitait (ren être (juitto à si bon marché, quand .a l'arrière retentit le caiion d'alarme. On compta les coups d'abord, mais ils devinrent bientôt si pressés qu'ils roulaient, semblables aux éclats de la foudre. C'était les signaux do détresse des navires de la flotte ; dans le brouillard, ils n avaient pu suivre Y Edgar. aU l'un après l'autre, ils allaient se briser sur les écueils.
Mais le désastre n'était pas encore complet. Soudain une gerbe de fou immense, qu'on eût dit vomie par le cratère d'un volcan sous-marin , éclaira de sa lueur sinistre l'horizon noir de cette lugubre nuit, montrant les coques béantes de huit frégates gisant évonlréos sur lès récifs do l'Ilér-aux-Q^ufs, Puis, pour couronner le tableau, une détonation épouvantable déchira l'aiiy dominant les mugissements de la tempête ; la mer se couvrit de morts et dé niôurarits.,'■ et tout retomba; dans la nuit profonde, '■■
La foudre venait de frapper le vaisseau poudrière de la flotte, consommant ainsi la ruine de cette autre Armada,, A peine quatre ou éiitq navires échappèrent à la
Mi CANADA 113
catastrophe, pour aller porter en Angleterre la nouvelle du désastre.
Au moment du sinistre, l'amiral affolé s'éfail précipité sur le pont, hurlant d'une voix rauquo :
— Le Marchand de Smgrne ! Qu'os! devenu le Marchand de Smgrne ?
Hélas! le Marchand de Smyme,i\\\\ portait la fiancée de Walkor, était un dos premiers qui eut touché sur les récifs. Et maintenant, les flots agités du Saint-Laurent roulaient vers les dunes du Labrador Je corps glacé et mouiv tri de la jeune lille.
h1 Edgar filait toujours, Le capitaine Paradis avait tenu parole : le vaisseau amiral était- sauvé , mais la flotte était détruite.
La douleur de l'amiral fut horrible. Plus lard, quand il revit los côtes de son pays, il ne voulut pas survivre à son malheur. Arrivé on vue de l'Angleterre, il mit le feu aux poudres de son vaisseau et sauta avec tout son équipage, Trois hommes, comme par miracle, échappèrent au désastre : le capitaine Paradis et deux matelots.
A quoique temps do là, ce même marin canadien , dont la main habile avait anéanti les projets de la Grande-Bretagne, se retrouva, par un soir de brouillard, sur le SaintLaurent, près de l'He-aux-GSufs. Il vit distinctement YEdgar, filant vont arrière, suivi do son convoi ; comme des vaisseaux fantônos, ilsglissaient sur les eaux du golfe, doublaient la Pointc-aux-Anglais , entraient dans la passe et venaient se briser sur les récifs.
Depuis, chaque fois que la brume descend sur le SaintLaurent, l'amiral Walkor, vous dira-t-on, revient croiser
LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE, 3
'H MvS FRANÇAIS |vN AMKIU0UR
près do la tombe de sa fiancée niorte, invitant, comme pour se venger, le* marins à le suivre.
(l'est pourquoi, ajoutent les pêcJicurs, les statistiques du bureau Veritas annoncent la perle do huit de navires chaque année dans ces parages.
Le site est bien fait lui-même pour inspirer une semhlablo légende.
Le bruissement dos hunes qui se brisent, couronnées d'écume blanche , sur les rochers de l'Uo-aux-OEufs, s'élève, dans le silence de la nuit, comme un chant lointain d'orgues d'église. On dirait un mystérieux De profundis soupiré au-dessus des llols, où dorment du dernier sommeil la fiancée de l'amiral du Brouillard elles quinze cents soldats de la reine Anne.
Le traité d'Ulrecht (1713) mit lin à la guerre. La France abandonnait à l'Angleterre la baie d'iludson , l'Acadie et Terre-Neuve, Nous gardions le Canada , File du CapBreton , toutes les ilos situées dans le golfe du Saint-Laurent, elle droit de pêche sur certaine partie des côtes do Terre-Neuve , droit que nous possédons encore aujourd'hui.
De 1711) à 1741, la Nouvelle-France, sous la direction d'habiles gouverneurs, se développa dans des proportions considérables : la population doubla, los villes se peuplèrent, les territoires voisins des établissements furent défrichés et transformés en fermes ; enfin , en 1737, les frères des écoles chrétiennes vinrent dans la colonie pour donner l'instruction dans les campagnes.
Pendant cette période do paix et de tranquillité , un grand nombre de voyageurs s'avancèrent vers l'ouest,
JM CANADA 3,'i
dans la direction du l'océan Pacifique. La plus remarquable do ces explorations est colle de M, de la Vorendryo. qui partit do Montréal on 1731 et parcourut, pendant un voyage qui ne dura pas moins de douze ans, la région «lu haut Missouri, los montagnes Bocheuses et tout le pays compris entre cotte chaîne et les lacs Winnipog et Supérieur, Plusieurs forts, élevés au cours do ces explorations, nous rendirent les maîtres incontestables do tout ce vaste, bassin où s'enfoncèrent bientôt les coureurs des bois elles trappeurs, pères des vaillants métis qui peuplent aujourd'hui toute celte région.
La guerre delà succession d'Autriche rouvrit les hostililés : on 171?), los Anglais s'emparèrent de Loiiisbourg, que les Français avaient fondé sur l'île du Cap-Breton. Trois ans plus tard , le traité d'Aix-la-Chapelle nous rendait cette ville ; mais, comme dans los autres traités, les frontières étaient mal délimitées; cotte question ralluma bientôt la guerre entre les colonies anglaises et les colonies françaises.
Des colons anglais s'étant fixés sur nos territoires, les Canadiens, malgré l'infériorité do leur nombre , se préparèrent à la lutte. Le signal du combat fut donné par un acte de déloyauté commis par Washington, le futur président dos Etuis-Unis, auquel la France devait plus tard prêter son appui pour conquérir l'indépendance des colonies anglaises.
Georges Washington, alors major dans los milices de la Virginie , fut envoyé , h la tête d'une colonne , pour occuper la vallée de l'Ohio ; los Français y étaient établis depuis quelque lemps déjà ot avaient construit le fort
30 J.ICS J'IiAN^AlS KN AMlîlUOltK
Diiquesno à l'endroit oh s'élève aujourd'hui la ville de Pillsburg. M. «le Conlroen'ur , qui commandait celte région , apprenant la marche des Anglais , fit arrêter l'avant-garde ennemie qui s'avançait sous los ordres d'un enseigne, M. Ward ; puis il envoya M, do Jumonvitlc en parlementaire au major Washington , avec « sommation de se retirer, attendu qu'il était sur le territoire français, » Washington , sous prétexte que l'on avait arrêté renseigne Wrard, ordonna de faire feu sur lu parlementaire, qui fut tué.
Cette violation du droit des gens excita chez les Français la soif do la vengeance : M. de Yillers, avec six cents Canadiens , se, mil à la poursuite des Anglais et, après un combat do dix heures, enleva le fort « Néccssilé » où Washington s'était réfugié avec sa troupe.
— Nous pourrions venger un assassinat, dit M. de Yillers à Washington, nous no l'imitons pas (1).
Ces événements se produisant en pleine paix, sans provocation de noire part, sans déclaration de guerre préalable, indiquent assez quel but poursuivaient los Anglais. Pour nous enlever le Canada, Washington et Franklin, ces deux hommes qui devaient, vingt ans plus tard, implorer le secours de la France pourchasser les Anglais d'Amérique, no craignaient pas de nous attaquer, à la manière des Indiens, cl non pas comme les chefs d'une nation civilisée.
Du reste, nous expulser du Canada était pour Franklin c< comme do détruire Cartilage pour Calon... ; il
il) Dussieux, Le Canada sous la domination française.
I.E CANADA 37
avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées delà jeune Amérique ; il la voyait du H>uint-Laurout au Mississipi peuplée do sujets anglais ou moins d'un siècle; niais si le Canada restait à la Franco, ce 'développement; de l'empire anglais on Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à los rallier en confédération et à los lancer sur les colonies (1). »
Ainsi engagées, les hostilités continuèrent : le 3 juillet 1753, à Bolle-Iiivièro, doux cent vingt Canadiens battaient un corps de doux nulle deux cents Anglais, leur tuaient treize cents hommes et leur enlevaient cinq cents chevaux et treize pièces de canon.
Pondant une année encore, presque chaque jour des combats se livraient entre les troupes anglaises et les milices franco-canadiennes ; et néanmoins, la France et l'Angleterre n'étaient pas ou étal d'hostilités ouvertes.
Cependant, la guerre de Sept Ans éclata le 18 mai 175G ; l'Angleterre avait déclaré solennellement la guerre à la France ; le marquis do Montcalm fut envoyé pour prendre le commandement des troupes du Canada : quatre mille hommes environ !
C'est une grande figure ([ne celle du général marquis de Montcalm, qui paya de sa vie l'honneur de défendre pied à pied le sol do la Nouvelle-France ; pendant trois ans, il lutta, avec une poignée do braves, contre une armée de trente mille hommes, et mourut l'épôe à la main ; il n'eut pas la douleur do voiries Canadiens vain-'
(I) Sainte-neuve, Causerie sur Franklin,
38 hV.H FRANÇAIS KN AMHIUQIÎR
eus, et le drapeau rouge de l'Angleterre llotler sur la vieille citadelle de Québec.
M, de Monloalm élai! né on 1712 ; soldai dès l'âge do 13 ans, il s'était ballu avec une rare bravoure en Allemagne, en Bohême, en Italie. Il débarqua à Québec on mai J7ob, amenant avec lui le chevalier do Lévis, plus tard maréchal do Franco ; je colonel do Bourlamaquo, qui s'illustra pendant colle guerre, et M. do Bougainville, alors capitaine de dragons, dont le nom fut célèbre dans los annales do notre marine.
La première partie de cette campagne, qui devait durer trois ans sous tes ordres de Montcalm, fut heureuse pour nos armes,
Le 13 août 173f), Montcalm s'emparait doChouagon, faisant treize cents prisonniers et prenant à l'ennemi cent treize canons et cinq bâtiments de guerre.
Le S août 1737, le fort William-Henry tombait on notre pouvoir. Le commandant du fort, le colonel Munro (1), après avoir vaillamment résisté, se rendit. Cette capitulation mettait, entre nos mains deux mille deux cent quatrevingt-seize prisonniers, quarante-trois canons, dos munitions et des vivres on quantité. Dans l'impossibilité où se trouvait Montcalm do nourrir ces soldats, il los renvoya, en leur faisant prêter serment de ne pas servir contre la Franco pendant, dix-huit mois.
(!) Femiïnôré GÔbper en a fait le héros de son rômari : Le der~ nier dès Mohicansi dans lequel il décrit le massacre de William Henry ; il parle de quinze cents; Anglais massacrés.
I.K CANADA 311
Malheureusement, pendant leur retraite, les Anglais furent nllaqués par les ludions, nos alliés, auxquels ils avaient commis l'imprudence do donner de l'oau-do-vie ; un certain nombre de soldats anglais, une vingtaine, furent tués. Malgré la bonne foi évidente de Montcalm, los Anglais profilèrent de ce qu'ils appelèrent notre « infraction » pour ne pas tenir les conditions de la eapilulation.
L'année suivante, l'armée franco-canadienne gagnait la bataille de Carillon, la plus brillante victoire do celte campagne. Ce n'est pas sans une émotion mêlée d'orgueil que les petils-fils dos vainqueurs do Carillon évoquent encore aujourd'hui le souvenir do cotte glorieuse journée. Commandée par Aborcromby, l'armée anglaise complaît seize mille hommes, dont sept mille de troupes de ligne, Montcalm, doLévis el Bourlamaque n'avaient que quatre mille soldats h leur opposer, Le combat dura tout le jour, et le soir los Anglais battaient en retraite, laissant sur le champ de bataille plus de morts que les Français no comptaient de soldats. Nous avions perdu trois cent soixantodix-sept hommes !
A partir do ce jour, hiforfunesomblanousabandonner : attaqués par des forces considérables, nos forts tombèrent, un à un au pouvoir de l'ennemi, et pour comble de malheur, les Indiens so tournèrent contre nous.
Voulant frapper un grand coup et on finir à tout prix avec une guerre qui la ruinait, l'Angleterre envoya, en février 1739, une Hotte do plus do trois cents voiles ; à son passage à Louisbourg, elle prenait le général Wolfe, avec huit mille soldats de renfort, et débarquait
50 l.i'.s FitvNc.Ais IN \Mi;iuon;
toutes ses forces à l'ilo d'Orléans, on vue de Québec,
Moulcahn ne put réunir plus do dix mille hommes, y compris les milices et les Indiens qui nous étaient restés fidèles, el, pour se défendre, il n'avait que des fortifications inachevées.
Le 31 juillet, Wolfe somma .Montcalm de rendre la ville ; sur le refus du marquis do Montcalm, le général anglais ordonna l'assaut. Il lança ses troupes, soutenues par le fou de cinquante pièces do siège el par l'artillerie do trois vaisseaux, dont un do soixante-quatorze canons. Nous n'avions que dix pièces pour répondre à celle attaque !
Malgré cotte infériorité, les Anglais furent repoussés avec des portos considérables,
Jusqu'au mois de septembre, les opérations se bornèrent à quelques escarmouches do pari et d'autre. Le 12, Wolfe remonta le Saint-Laurenl jusqu'au cap Bouge, et dans la nuit du 12 au 13, il redescendit le fleuve el débarqua ses troupes au pied des hauteurs if Abraham qui touchent aux murs de Québec. « En s'aidant des buissons et des ronces, les Anglais gagnèrent le sommet de la plate-forme, y surprenant une sentinelle qui n'eut que le temps do tirer un coup de fusil. Au point du jour, Montcalm apprenait avec douleur (pie cinq mille Anglais se trouvaient au niveau do la haute ville de Québec, prêts à l'attaque des fortifications, qui n'avaient, dès lors, rien de redoutable, tandis que leur flotle, toujours à l'ancre dans le Saint-Laurent, tirait dos bordées d'artillerie sur la ville. »
Il ne restait plus qu'un espoir de sauver Québec :
Mort du général Wolfe,
Mi CANADA 43
livrer une bataille rangée. Montcalm s'y décida ; à la tête de quatre mille cinq cents hommes qu'il avait sous la main, il marcha contre l'armée anglaise.
« Les troupes s'olancèreni avec beaucoup de légèreté, suivies des Canadiens ; mais après s'être approchée h portée de pistolet et avoir fait el essuyé trois ou quatre décharges, la droite plia et entraîna le rosle de ta ligne (1). »
M. doMontcalm, qui était à cheval,courul pourarrêlor et rallier ses troupes.
— En avant! cria le héros, ot gardons le champ de bataille!
Ace moment, il tomba mortellement blessé-d'une balle dans les reins.
Il expira le lendemain.
■—Au moins, dit-il avant do mourir, je ne verrai .pas' los Anglais dans Québec.
Presque à la même heure, Wolfe recevait deux.coups de l'eu, dont un lui fracassait le poignet et l'autre lui Imitait la poitrine ; il mourait quelques jours après,
Six jours plus lard, la ville de Québec se rendait. Il fui stipulé «pie la garnison serait embarquée pour la France, que les habitants conserveraient leurs biens, leur religion, el ne seraient point « Iransmigrés » comme l'avaient élé les Aeudioiis.
La prise do Québec no mît. cependant [)M lin à la guerre ; Tannée suivante, le chevalier de Lévis» a la télé do trois mille soldats français et do, doux mille Calut"
( 1) Relation du major Joanncs,
44 LUS 1-UANÇA1S liN AMliUlQUK
diens, ton la de reprendre la ville ; s'il n'y réussit .pas,' du moins vcngea-t-il la mort de Montcalm dans ces mêmes plaines d'Abraham où le général était tombé mortellement frappé. Les Anglais battus durent chercher un refuge derrière les remparts de Québec, laissant sur le champ de bataillé onze cents morts et toute leur artillerie. Le chevalier commença le siège de ht ville; mais rarrivée d'une flotte anglaise le força à se retirer sur Montréal, dont les Anglais s'emparèrent avec une armée de vingt mitie hommes, le 8 septembre 1700.
Trois ans plus .lard;-le 12 février 1703, le roi LoUis XV cédait à l'Angleterre toutes nos possessions du Canada.
Mi Achintro, un dos écrivains les plus brillants du Canada français, résume ainsi cette période héroïque de l'histoire du Canada ;
« Ainsi, ce fut à t'établissemèuf d'une Nouvelle-France que la France employa la valeur do ses capitaines et les talents de ses administrateurs, àluinles l'ois,, elle s'émut au récit dos aveiltures et des périls-'de cette poignée d'enfants que l'audace de ses marins et la sagesse d'un ministre avaient jolés) par délit l'Océan, comme t'avantgardo d'une ariiiée de pionniers,
« Mais 11 faut, hélas ! l'avouer, cette troupe, composée d'un petit nombre dé marins et de soldats, de quelques artisans et de laboureurs, bien (pie vaillante et dévouée, iio disposa jamais dés i'orces qu'exigeait sou oeUvre> Elle n'en soutint pas moins avec éclat, d'abord contre Thos^ tilile dès tribus indiennes, plus tard en face de l'ennemi séculaire, l'Aligiais, l'honiieur et les Intérêts do la métropole. La France* qui lui confia son drupeuii, n'eiif
M; CANADA 4ô
point lieu de s'en repentir : jamais mains plus loyales no le défendirent, jusqu'au dernier jour, avec plus de constance et de courage.
« Il ne tint pas qu'à eux de conquérir celte partiq de l'Amérique du Nord, comme les Espagnols l'avaient fait du Mexique et du Pérou. Los Cortez et les Pizarro lie manquèrent point h leur vaillance ; ce qui lit défaut, ce furent les services de la métropole ot, aux moments critiques; décisifs, l'appui, la voix de cette patrie alors muette v et qu'en dépit do son indifférence et de son abandon ils saluaient, expirant, d'un dernier cri de fidélité et d'amour.
« Celte époque que nous appellerons héroïque, et qui ombrasse entière la période coloniale française, est un tissu d'événements merveilleux, oh les prouesses, les combats, les découvertes et les aventures de tout genre se. détachent, comme les tètes d'apôtres ot do saints d'une fresque du moyen tige, sur le fond d'or d'un portique. C'est une suite de courts poèmes, dont la réunion.forme une épopée. Ition n'y manque. Les découvreurs se nomment : Jacques Cartier, Champlain, Koberval, Jolietto, Lamolhe-Cadillac, Cavollier de La Salle, Bienville, delà Verondrye.
« Los militaires : Tracy, de Callièros, do Frontenac, Lévis , Montcalm. Los héros : d'Anlac , d'Ibervillc > Saiulo-llélène ; une héroïne , M" 1" de Verchères î Cherchez-vous un grand administrateur ? Talon. Un prélat illustre? Monseigneur de Laval tic» Montmorency, la fige dos archevêques do Québec. Faut-il citer dos martyrs ? Les Pères do llrébuuif et Lalloniahd. Des
40 LRS FINANÇAIS KNAMlUQniC
victoires , des sièges ? On devrait rappeler chaque engagement, chaque assaut.
« Deux grandes ligures, deux caractères , résument cette épopée coloniale,
« L'un, le modeste, pilote de Saiht-Malo , représente la hardiesse d'esprit unie a la foi, la patience doublée de décision cl d'audace, vertus qui semblent s'exclure, mais qu'on trouve a un haut degré dans cette bourgeoisie déjà virile do marins et de marchands du ,xvi° siècle.
« L'autre, àme généreuse, canir intrépide, ayant servi sous le maréchal de Villars en Itttlio, porte sur les champs do bataille dit nouveau monde le courage chevaleresque dos soldats de Fontenoy. Chargé do livrer le dernier combat, et voyant ht victoire infidèle, Montcalm sut ravir encore, par l'héroïsme do sa mort, lilie part do la gloire do son vainqueur.
«C'est entre les lueurs dos éclairs jaillis do deux épéos françaises, presque aux mémos lioiix, bien qu'à deux siècles (i'inlerValle, que s'écoule cotte légende qui il nom l'histoire du Canada^ Sur la-première page, datée do loOo, Jacques Cartier, répéonue, étincelant ait soleil do juillet, ouvre ces annales. Entouré de son équipage agenouillé, il prend possession dé ces terres au iiom dèson souverain François F'i
« A l'épilogue, sous un ciel gris d'automne, en l'année 17t)9y oh aperçoit, au milieu dos plaines d'Abraham, le marquis de Montcalm qui, a pied, l'épée a ht main, conduisant ses troupes sur les bail elles aiiglàiseSj tohibè mortellement frappé, et scelle de son sang lé dernier foUiitef dé ce draille national 1 »
LE CANADA 47
Cotte période héroïque a inspiré à M. Louis Frochette, le poète canadien, une magnifique pièce de vers placée en tête de la 11° édition de l'oeuvre de Garneau, l'historien national du Canada. Nous on extrayons le passage suivant relatif à la prise de Québec :
Montcalm, hélas ! vaincu pour la première fois,
Tombe au champ du combat, drapé dans sa bannière ;
Lévis, dernier lutteur de la lutte dernière,
Arrache encor, vengeant la France et sa fierté,
Un .suprême triomphe à la fatalité !
Puis, ce fut tout. Au front de nos tours chancelantes
L'étranger arbora ses couleurs insolentes,
Et notre vieux drapeau, trempé de pleurs amers,
Ferma sou aile blanche.... et repassa les mers !
Montréal, mai .1983. FiUîciiETTii.
Par ce traité de Paris, qui fut le crime du règne de Louis XV, le continent nord américain devenait virtuellement anglais ; mais le Canada ef les colonies anglaises avaient été trop longtemps ennemis pour être maintenant unis ; il y avait eutio les habitants de trop grandes ■différences : les sentiments qui vibraient dans le coeur d'un de ces peuples ne trouvait pas d'écho dans le coeur de l'autre ; l'union ne pouvait être faite. Tous deux étaient courbés sous le même joug , mais jamais les Canadiens ne devaient oublier leur origine, ils devaient rester Français de coeur , de religion, de nioeurs et do langage; jusqu'à ce que l'Angleterre leur eut accordé .toutes ces libertés, dans chacun de ses sujets du Canada elle compta un ennemi.
Au milieu de celte pléiade do vaillants soldats ,
48 i,i« ritANÇAisKXAMÊiuoiiiï
.d'hommes dévoués, d'administrateurs intègres, apparaît un nom que la postérité a flétri : l'intendant Bigot.
En François Bigot, treizième et dernier intendant de la Nouvelle-France, s'incarnait toute la corruption brillante et audacieuse du xvni 0 siècle.
Ses rapines à Louisbourg, lors du premier siège, en 174o, avaient déjà provoqué dans la garnison des mutineries qui hâtèrent la capitulation de la place. Au lieu d'être puni, le coupable, bien appareillé, fut envoyé avec avancement au Canada.
Maître absolu dans fous Jos services de finance, Bigot créa une administration à son image;, et pour voler il eut, comme le géant de la fable, des mains par centaines ; chaque fonctionnaire pillait, depuis l'intendant et le contrôleur jusqu'au moindre cadet ; dans cette honteuse concurrence, le chef ne reprochait à l'inférieur (pie « do voler trop pour sa place. » Sur tout le Canada, il se répandit comme une épidémie de vols : vols sur l'approvisionnement des places, vols sur les transports, vois sur les travaux publics, vols sur les produits de. la traite dos pelleteries réservés au roi, vols sur les fournitures du matériel do la guerre et do l'équipement !
Mais c'était sur les marchandises livrées en présents aux Peaux-Bouges qu'on taisait les plus belles affaires ;. au fond do sa forêt, le pauvre sauvage était volé. Ce n'est pas tout : parfois le brigandage prenait un autre tour, el les employés de Bigot, devenus commerçants, opéraient, sous la protection de leur chef, d'immenses accaparements de toutes choses, qu'on revendait ensuite à l'Etat- et aux malheureux colons h lot) OlO de bénéfice.
LE CANADA 49
Enfin, arriva la famine : ce fut le bon temps....... La
famine, qUello aubàihe pour Bigot et sa bande ! Quels bons coups on faisait avec les blés accaparés do longue main (1) !
Mais si l'on gagnait de l'argent, il était galamment dépensé, « malgré la misère publique, en bals ot en un jeu effroyable, S> écrit à sa mère Montcalm indigné, lloreil, commissaire ordonnateur, ajoute dans une dépêche au ministre : € Nonobstant l'ordonnance de 1674 pour défendre les jeux do hasard dans les colonies, on a jbtiê ici, chezl'intendant, jusqu'au mercredi dos Cendres, un jeu à faire trembler les plus intrépides joueurs. M, Bigot y a perdu plits dotrois cent nulle livres (2), »
Tandis qu'à lciir retour en France, de Lévis et Bougainville étaient reçus avec honneur, Bigot ot ses coquins d'associés se virent l'objet d'accusations terribles : les officiers et les soldats du corps expéditionnaire eurent le mauvais goûl dé-faire relom.ber sur eux la responsabilité du désastre,
Une conlniissioii do magistrats, présidée par le lieutenant de police Sartuios, instruisit leur procès qui dura deu* ans. Los accusés étaient au nombre do cinquaiilè-cinq ; ils furent condamnés à restituer douze millions, Dans un mémoire justificatif, Bigot eut bien l'impudence d'attaquer Montcalm ; le veuve et los enfants
(1) Los vivres apportés par les rares navires qui échappaient àla Croisière anglaise étaient Vendus parlée agents de Bigot dans une maison do Québec a laquelle est l'esté le stimohi do a la Friponne. »
(?) Cli, de Bohnéchosc, Étbnïcatm et là Canada français, tÉë ÏHÀKÇÀÏS iîN AMKHIQUË. i
1)0 LES FIlANÇAlSiEN AMÉiUOjJÏÎ
du marquis obtinrent la condamnation de cet écrit calomnieux-,. .--.'.'■
Bigot, qui avait pour le moins mérité la corde, fut banni à perj)étuité du royaume.
Montcalm a son tombeau dans iiiie église de Québec ; les Anglais , pour honorer sa îiiénioiro, ont gravé son nom à côté de celui de AVolfe sur le monument élevé par lord Dalhoiisie, on 1827.
La Franco croit-elle avoir .-■rendu, à ces grandes figures de la colonisation du Canada l'hommage qu'elles méritaient en donnant à trois rues do Paris les noms de Jacques Cartier, de Champlain^ de Montcalm?
Grâce aux derniers défenseurs du Canada,l'honneur est resté sauf ; ce n'est ni sur rarmêè'nlsur le: pays que peso la responsabilité de la déuiito, mais sur le gouvernement do Louis X^, tombé en décrépitude.
CIIAPÎtBË 111
Cession du Canada à l'Angleterre. — Guerre de l'Indépendance. ^ Rébellion de 1837. — L'acte d'Union.
En abandonnant le Canada , le gouvernement français ne stipula que doux conditions en faveur des habitants:
■1° Les Canadiens conserveraient le libre exercice de leur religion.
2° Les anciens sujets de la France auraient le droit, pendant dix-huit mois, de vendre leurs propriétés et de se transporter où bon leur semblerait sans que les Anglais puissent les gêner.
L'Angleterre accepta volontiers ces doux clauses, la seconde favorisant singulièrement ses projets ; le gouvernement anglais sentait qu'il aurai! toujours des ennemis dans ces Canadiens-Français quiavuiouldéfendu si vaillamment le sot de leur nouvelle patrie,
Nous allons examiner rapidement les luîtes qu'eurent à soutenir les soixante-dix mille Canadiens-Français pour maintenir leur nationalité el obtenir la situation qu'ils ont aujourd'hui dans cette colonie anglaise dont ils font partie , maison , cependant, ils forment un peuple distinct d'opinion, d'usages et de langue ; une race qui ne sVsl jamais mêlée avec l'éléntenl anglais,
1)2 LES FUÀXÇAIS-:KN AMÉUIQÛlï
C'est encore à M. Acluntre que il eus empruntons le tableau do la situation faite à nos compatriotes pendant les premières années dé l'annexion :
« Au lendemain de la cession, commença pour eux (les Canadiens-Français) .une existence difficile, semée de pièges et d'embûches. Privés tout d'un coup do leurs chefs naturels, — car fous ceux qui avaient un nom , un poste ou quelque, aisance , nobles , officiers , fonctionnaires /notables , profilèrent dos stipulations du traité pour passer en France,—- ces braves gens, demeurés salis autre guide qu'un clergé , alors peu préparé aux luttes'qui allaient s'ouvrir, se rattachèrent énorgiquemoitt àleurs traditions el à leur glorieux passé.
« Disséminés sur d'immenses espaces , mais groupés autour do leurs pasteurs , et répugnant d'instinct a uiie assimilation à laquelle , dans un but facile [à comprendre ,: poussaifh» nouvelle métropole, les Canadiens se retrancherouf derrière l'infranchissable barrière qu'élève outre deux races la différence du culte et du langage, Aussi la conclusion delà paix, on suspendant les rencontres armées , laissa subsister les ressentiments. Calme à la surface, le pays demeurait au fond très agité.
« Chaque jour, les nouveaux.' occupants outrageaient cette population iiit sujet de ses croyances, ou la lésaient dans ses droits.
« La lutte se continua, latente, opiniâtre, Do militaire , elle devint politique* Lès délibérations secrètes dos conseils, les lentes procédures des assemblées ,ronipiacèrênt l'agitalion des camps et les coups de mains.
« Cette tactique nouvelle embarrassa d'abord les Culut*
LE CANADA 83
dicnS ; mïiis dans ces bouches, muettes au, début, la parole devint bientôt aussi dangereuse que i'épéo Tavait été dans les mains dé leurs pères, Ils Se servirent de la nouvelle armé légale avec alitant de prudence que d'habileté,..-.' \..y-:
« Pour ce peuple, demeuré fidèle à son origine et a sa foi, l'en joli (tu combat on valait la poino ; il n'y allait rien" moins que do son existence môme. Pour lui, il s'agissait de ne point se laisser enlever les deux biens qui, pour l'homnici représentent tout ici-bas i. envur et esprit, sentiment et raison ; c'est-à-dire sa langue et sa religion.
« Bavir à la fois le Dieu el le verbe d'un peuple, c'est plus que le détruire î c'est l'avilir ; car, dans la vie mécanique oh il s'agitera désormais, il ne conserve que juste le degré do sensibilité nécessaire pour ressentir l'insulte et la honte.
« Etre ou ne pas être, tel se posail le problème (1). »
L'Angleterre voulut employer ses moyens ordinaires en pays conquis : détruire la race ; car, soit orgueil, soit raideur naturelle, soif, maladresse, les Anglais ne savent pas, n'ont jamais su s'assimiler les races vaincues : pas plus au Canada qu'en Irlande, pas plus chez les créoles de Maurice que chez les Boors du Cap, les Anglais n'onf su se rattacher les populations eu leur gagnant le coeur.
« Los Anglais ne sauvent point, dit Michelol, ne -innscrvont point les races ; ils los remplacent seulement. »
Aussitôt ht paix signée, le gouvernement anglais pro(1)
pro(1) iîiXtra,it de la revue la NoumttG^Pmnce.
Oi l^S KllANÇAlS "iiX AMKIUOJIR
mulgua les lois qu'il croyait les jilus propres à tuer la nationalité dos Canadiens,
Los lois françaises furent abolies ot remplacées par la législation anglaise, « C'était, dit Carnoau, renouveler l'attentat contre los Aoadions, s'il est vrai de dire «pie la patrie n'est pas dans l'enceinte d'une ville, dans les bornes d'une province, mais bien dans los affections et les lions do famille, dans los moeurs et les usages d'un peuple. »
Puis on exigea dos habitants le serment do fidélité à la couronne britannique, sous peine do bannissement, On comprendra quel sentiment durent éprouver los Canadiens, ce peuple si religieux, quand nous aurons dit que ce serment comprenait la négation do certains dos dogmes fondamentaux de la religion catholique. Or, il ne faut, pas perdre do vue qu'à l'époque dont nous parlons, 1763, toutes ces populations étaient essentiellement catholiques, qu'elles avaient une foi naïve mais profonde, et qu'attaquer leurs croyances c'était toucher à ce qu'elles avaient de plus précieux au monde. Ces décrets exaspérèrent tellement la population, que le gouverneur Murray n'osa pas les faire mettre en vigueur. C'est ainsi que los Anglais comprenaient l'exécution de l'article du traité de Paris relatif à la cession du Canada, qui accordait aux habitantsla liberté de conscience.
En 1774, le Parlement anglais se vit dans la nécessité de rendre à la province do Québec, comme on appelait alors le Canada, le libre exercice dé la législation française. Il est bon d'ajouter, cependant, que si le gouvernement britannique agit do la sorte, il n'y avait pas lieu
|j; CANAHA 00
do lui on savoir gré : l'Amérique était à la veille de proclamer son indépendance, et l'Angleterre craignait do voir los Canadiens prendre los armes et grossir los rangs de ses ennemis. Bien plus, le gouverneur offrit aux Canadiens qui prendraient du service dans l'armée anglaise une prime considérable ; mais ces promesses ne purent décider los habitants à combattre pour leurs oppresseurs.
Lorsqu'on J77o les troupes américaines parurent sur le territoire du Canada, elles trouveront de puissants auxiliaires parmi los habitants et, grâce à eux, purent s'emparer do Montréal, de Trois-Bivièros et menacer un instant Québec, L'arrivée de renforts envoyés au gouverneur du Canada , Carleton, forcèrent les Américains à se replier. Après los avoir poursuivis quelque temps, Carleton envoya de nombreux détachements pour brûler los maisons dos Canadiens qui s'étaient joints aux rebelles ; « car los Anglais, dit Garneau, qui respectaient encore les propriétés des insurgés dans leurs anciennes colonies, suivaient leur vieille coutume dans le Canada habité par une race étrangère. En 1770, comme on 1750, comme en 1837, ils marchaient la torche de l'incendie à la main, comme si les Canadiens eussent mérité un châtiment plus cruel que les Américains (1).
Depuis cotte époque jusqu'en 1791, los Canadiens subirent une véritable persécution : c'était des proscriptions, dos arrestations, des emprisonnements continuels, sans
[■!) Tome III, p. 25.
,fH) LES FRANÇAIS EN AMÉ1U0JJE
motif apparent, et. sans que los victimes connussent le. crime donl ou les accusait.
Pour mettre lin aux divisions qui -existaient outre les anciens habilants français et les nouveaux colons anglais, l'Angleterre songea à donner une constitution libérale au Canada, En 1791, à l'instigation de Pitt, un acte du ■Parlement divisa le Canada on doux provinces distinctes qui prirent le nom de haut Canada et do bas Canada, avec Québec pour capitale, Dans chacune dos doux provinces, le pouvoir législatif fut confié h un conseil législatif ou chanibre haute, et à une assemblée législative ou chambre basse, Los membres do la çhambre 'Inutile étaient nomines à vie par le gouvernement anglais, ot ceux de la chambré basse élus par les comtés et les villes pour quatre ans, Le pouvoir exécutif appartenait au gouverneur, entouré d'un conseil nommé par lui.
Composée exclusivement d'Anglais , la chambre haute était en hostilité continuelle avec la chambre élective , où les Canadiens-Français se trouvaient en majorité ; les intérêts des Canadiens-Français étaient, on le comprend, toujours sacrifiés à ceux dos Canadiens-Anglais ; alors ([lie ceux-ci, aidés et soutenus par le gouvernement, pouvaient singulièrement développer leurs établissements et prospéraient, les Canadiens-Français vivaient dans; un état misérable ; mais ils no désespéraient pas, iJs avaient pour eux la force du nombre, ils se sentaient grandir ot comprenaient que bientôt ils seraient la majorité : les soixante-dix mille Canadiens do 1763 étaient quatre cent mille on 1830,
Habitation de paysan CaiiacHeh ^Français en 1S30.
LE CANADA i)9
Las d'adresser dos réclamations au gouvernement anglais, les bas Canadiens levèrent l'étendard de la révolte, L'insurrection éclata le 7 uevonibro 1837 à Montréal et so propagea bientôt dans toute la province. Ce mouvement porta le nom de rébellion do 1837,
En un jour, plusieurs milliers d'hommes se trouvèrent réunis, sans chefs, sans armes, sans munitions, sans organisation d'aucune sorte, Ce fut comme une seconde Jacquerie,
Les insurgés so battirent avec rage, avec héroïsme. Mais que pouvaient los faux, los fourches, les vieux fusils do ces bravos, y compris le seul canon de bois dont ils disposaient ? que pouvait cet attirail de guerre d'un autre âge contre une arméo régulière ? Ils furent vaincus, c'était fatal.
Une première victoire, colle do Saint-Denis, les avait comblés d'une folle joie ; quelques jours après, ils étaient battus à Saint-Charles, et le mois suivant taillés on pièces à Saint-Eustache. Deux cent cinquante do ces héros patriotes tombèrent sous los balles anglaises, puis le village fut abandonné au pillage ot livré aux flammes,
La répression fut terrible : sir John Colborne promena partout « la torche do l'incendie et ne laissa que ruines ot que cendres sur son passage, » Des cours martiales, assemblées par son ordre, jugeaient, en masse les prisonniers et les suspects. Quatre-vingt-neuf accusés furent condamnés à mort, quarante-sept à la déportation, les biens dos condamnés confisqués. La plupart virent leur sentence commuée ; mais douze d'entre eux furent exécutés.
(H> l,KS FUANÇAIS EN AMÙlUol'E
A la suite de celle insurrection , le haut el le bas Canada furent réunis en une seule province, tout en conservant leur autonomie et leur administration séparée ; mais tes assemblées législatives ne formeront plus qu'un soûl Parlement, composé d'un conseil législatif, dont les membres étaient nommés à vie, et d'une assemblée législative de quatre-vingt-quatre membres élus on nombre égal dans les deux provinces,
Le but poursuivi par l'acte d'union (Union bill)des deux provinces était Yanglifhation dos Canadiens-Français ou l'anéantissement .do leur race, 11 renfermait une foule d'injustices qui ne firent .que s'aggraver par le développement prodigieux do l'élément français ; ils étaient alors huit cent cinquante mille! On ne pouvait espérer détruire un peuple aussi nombreux , aussi fort, aussi attaché à sa langue, a ses niteurs, à sa religion, à ses traditions. L'Angleterre résolut de l'utiliser pour son propre compte.
.Pour mettre fin aux luîtes continuelles des deux nationalités, on proposa, on 1800, la réunion en une seule confédération de toutes les colonies anglaises de l'Amérique du Nord. Ce projet , longtemps ajourné par les Canadiens-Français, qui se seraient trouvés inférieurs en nombre , finit par réussir. Le 27 mai 1867 , le Parlement métropolitain vota la confédération du haut et du bas Canada-, du Noiivcaii-Brunswik et de la NouvclleEcosso, réservant à toutes les autres colonies le droit de se faire admettre dans la confédération , la « Dominion. »
Le U\ juillet 1870 , les vastes territoires de la baie
l.l.-: CANADA
h!
d'Hudsoii furent adjoints à la confédération ! la Colombio anglaise envoya son adhésion le SO juillet 1871, el
Une habitation canadienne en 1885,
l'ite du prince Edouard, le l 01' juillet 1873. Seule, TerreNeuve est encore restée en dehors.
Aujourd'hui, les Canadiens-Français, au nombre de UN MILLION CINQ CENT MILLE environ, ont su con(|iiôrir toutes leurs libertés, leur indépendance, et conserver
4)â M<S FHAXÇAIS m AMtëlUmiE
leur caractère * leurs mmurs et leur hrope naturelle ; omo cent mille habitent Iftprovinée de Québec,lesautres «ont répandus dans 1» Nouvelle-Ecosse et les îles du BainF Laurent î ce sont les Acadions,
CIIAPITBF IV
Québec, — Vue de la ville.""--'Los aubergistes, — Le monument do Wolfe, — La Terrasso, — Les ea* lèches,— La Maison du Chien-d'Or
C'est dans le bas Canada,
devenu province de Québec, qu'est le contre de celte nationalité , soeur do la nôtre, pour laquelle los habitants ont si vaillamment combattu. Avec ses couvents, ses églises,
églises, hauts murs crénelés, ses maisons d'un autre âge, Québec, la ville de Champlain, l'antique capitale de la
Vue de Québec.
fii 1,.ES l'IlANÇVIS EN AMÛIUOJ'!-:
Nouvelle-France, est restée connue un souvenir du temps passé.
C'est une cité du vieux monde transportée sur le nouveau continent; à l'ombre do sa formidable citadelle, où flotte le drapeau de IvVngleterre, vit une population française pacifique el commerçante.
De quelque côté qu'on la regarde, Québec présente un spectacle qu'il suffit de voir une fois pour ne plus l'oublier : vue du lleiive, c'est un .amas confus de maisons, do murs, do rochers, de fortifications qui se drossent au-dessus du Baint-Lauronl.
La ville basse forme autour du roc .comme une ceinture do toits (pie coupent* de distance ou dislance, des escaliers, ou des rues gravissant oit zigzag los pontes abruptes du rocher,
lie la cifadollo, le coup d'mil est plus grandiose encore'.';.. fout eu bas, les pignons aigus, los hautes cheminées, los grands toits couverts do tuiles rouges ; au delà des murs, le port, puis le c< fleuve roi, » large de douze kilomètres, qui roule au milieu do la plaine immense, couverte do champs, do forets, de villages. Do hautes montagnes forment l'horizon, cachant aux regards émerveillés los solitudes sauvages qui vont, par delà des mondes connus, jusqu'aux régions des glaces éternelles.
La ville basse, c'est la vieille ville, avec ses rues étroites, monlueuses, contournées, mal pavées, bordées de maisons basses et massives, aux foits pointus, aux cheminées énormes. Toutes ces demeures ont un aspect tranquille, un air honnête qui n'existe nulle part ailleurs dans le nouveau monde el qu'on ne trouve plus guère
IV, ÇANAUA
tiîi
«jiii* dans les vieilles cilés normandes el brolniiuos. Los portes cochcres , toujours ouvertes, laissent voir l'intérieur dos cours, où les femmes vaquent à leurs occupations, entourées de nombreux enfants frais cl joufflus. Ici, c'est une vieille grantl'inèro coiffée du bonnet normand . ; là, c'est un ouvrier -qui. a transformé eu atelier
le rozrde-ehaussée de sa-maison,-comme dans nos villages. Los enseignes portent des noms français, el la plaque de 1er 4111 grince sur ses gonds , bal ancée par le vent, indique une auboriro , ou
une c< maison de !
i pension. »
« Los auberges
de Québec, qui
redira leur gloire ?
Toutes vous y ont
comme un vague
.Pilote indien sur le SninULiiuronl.
parfum de ces bonnes vieilles tavernes du Faucon-Noir et de la Pomme-de-Pin dont parle. Alexandre Dumas dans les Trois Mousquetaires. Ce sont los mêmes salles basses enfumées, et, tout au fond , les mémos cabareliors légendaires, trônant, parmi leurs bouleillos, derrière les
LES VHANOAIS KN AMNKTQUIC. fi
fit» LES l'ïlANÇAIS IvN AMl;HUOKH
mémos comptoirs d'élain,,,.. j)o loin, sur le pas de sa porto, l'amphitryon .vous sourit, vous accueille de sa courbette la plus engageante,-- Si vous êtes Français surtout, c'est-à-dire un frère dos vieux pays, sa joie ne conmiitrapIus.de bornes. Volontiers, n'était le respect qu'il vous doit, vous embrasserait-il sur les deux joues (1), »
Excepté le Canadien-Français, qui osl là chez lui, tout h; monde semble étranger dans ces rues où l'on no parle que français ; l'Anglais, dans son vêtement clair et de mauvais goût, se sent à l'étroit ; le Suédois a l'air d'un touriste ; le Norvégien attend l'heure de l'embarquement ; le Yankee cherche à « vendre quelque chose, »
Ce sont de vrais paysans normands qui apportent leurs légumes au marché, el des paysans fiers de leur origine ; le Canadien-Français, où qu'il vive, so nomme Y habitant ^ et là-bas, ce nom est synonyme de Français,
Et cette population française a eu le bonheur inappréciable de so couserver une ville on harmonie avec son caractère. Quand on traverse les rues do la ville basse, quand on passe sur la place du Marché, où acheteurs cl vendeurs discutent dans notre langue, il faut lever la tête et voir le drapeau rouge flotter au-dessus de la citadelle pour so rappeler que l'on est dans une ville anglaise.
La ville haute est surtout remarquable par l'admirable panorama qui s'offre au regard : au sud, le Saint-Laurent;
■(!} Sylva Clapin, Le Canada.
Llv C. AN Al» A
b7
au nord, la vallée do Saint-Charles et les pentes qui vont s'élovaut jusqu'aux premiers contreforts des montagnes, C'est Corolle qu'habitent les ludions, descendants
Québec vue dii S;uut-Laureut.
des fiers Durons ; Beaufort et tous tes villages français aux clocherslamés do zinc, qui brillent au soleil ; les chutes de Montmorency , puis los lacs qui baignent le pied des collines. Pou de, villes au monde peuvent se vanter de posséder des
environs comparables à ceux de Québec ; la scène qui se déroule aux yeux du spectateur enchanté est non seulement belle dans ses détails, elle est encore grandiose dàiis ses proportions;
C'est au milieu dé ces paysages charmants que s'élèvent les fernics et les demeures des Canadiens-Français.
Du côté du nord, les faubourgs de là ville ont un as-
08 LES ElkVNÇAIS EN ÀMftiUOjJ.E
pool particulier : on y voit surtout des maisons de campagne de style anglais, entourées de parcs el do jardins « anglais ; > ils s'éloudeul sur les escarpements qui dominent le cours du Saint-Laurent ou de ta rivière. Saint-Charles,
En approchant de ta ville, on traverse les plaines d'Abraham, où so drosse le monument élevé à la mémoire de Wolfe et de Montcalm, sur lequel on lil l'inscription suivante : « Mortem virtus< conimunem famam historia . monuntentum posteritas dédit ■» ( le courage Jour donna la mort ; l'histoire, une égale renommée ; la postérité, ci* monument).
Plus près de la ville encore esl la colonne érigée, sur le champ do bataifle où de Lévis vengea la mort dp Montcalm. Puis on rencontre le Palais du Parlement, quelques constructions modernes , el enfin les murs qui courent- sur les croies de rochers et entourent la ville.
On a démoli les vieilles portes, el on les a remplacées par do nouvelles, el, sur le vieux mur, on a l'ait un boulevard.
Le premier fort de Québec a été construit par Jacques Cartier ; les batteries, les palissades, les fortins oui été édifiés à diverses époques, après la fondation de la ville. Quanl aux fortifications actuelles, elles furent commencées par Wellington, en J821L
Nous voici sur la « Terrasse, » immense pluie-forme de six cents mètres de long, large dé cinquante ; elle est posée an flanc do la citadelle, à plus de soixante mètres au-dessus du Saint-Laurent, outre la citadelle et la ville basse. Le coup d'uni dont on jouit de la Terrasse
LE CANAItA
t»9.
■a été trop souvent décrit poiir: que. nous en parlions encore ; c'est (certainement Un des plus beauxpoints de vue du monde.
Le plateau sur lequel s'élève ht ville haute ■s'incline
•en pentes douces vers Saint-Charles ; los rues gravissent ces escarpemenls delà façon la plus pittoresque ; elles semblent encore suivre les souliers (racés par les Indiens cl. par les premiers ■colons.
A Québec , les •monastères . les couven fs sont nombreux ; les plus eu rieux sont le couvent, des Ursuliiies , qui date do ililltl ; le séminaire ot l'université de
; Là Vieille ^Mtc Sftîîit'JGaii,
Laval, dont les bâtiments sont (lu grand style du xvii siècle. 11 y a une chapelle et liti niùséé où l'on ihohtre au touriste de bons tableaux des'écolès italienne et française î
l.i.S liSAM \1S LA W\f,
des Philippe de Champagne, un Van-Diek ot de charmants porfi'aits de Marie Leczinska et de Mesdames, filles de Louis X.V, par Boucher el Vanloo.
L'hiver est véritablemruil la belle saison à Québec ; quand les froides solitudes du nord semblent descendre sur la ville pour-la bloquer , Québec prend son aspect le plus gai el le plus animé ; c'est une transformation complète.
Les montagnes ot la plaine se chaugonl en un désert de neige , au milieu duquel disparaissent tes villages aux blanches maisons. Les murs, les glacis dos fortifications , les croies de rochers sont frangés de longs pics de glace : seuls les hautes cheminées el les pignons pointus dépassent l'épais manteau blanc répandu sur la ville.
Los voitures, les calèches font' place aux traîneaux , traîneaux de toutes sortes et de foules les époques. Tous ces traîneaux sont couverts de fourrures, et les cochers disparaissent dans leurs nianlèaux de peaux de bêtes, serrés a la (aille par une ceinture rouge.
ïNous avons parlé des calèches ; « ht calèche "est à Québec ce que la gondole est à Venise, le hansom-cab à Londres , la volante h la Ilavant* , c'esl-à-dire le véhicule caraelérisliqiio de la ville. -En ehoreliaiil bien, on pourrait peiil-èli'e encore retrouver le dernier modèle de ces calèches dans quelques villages reculés du Perche el de la Normandie . pays d'origine de la plupart dos Canadiens. C'esl une voilure moulée sur doux roues dé grandes dimensions, et donl la caisse, en forme de balançoire . es! suspendue pur deux énormes courroies sur
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LE CANADA l'A
lesquelles elle oscille , au gré do la course . comme une barque so jouant sur la crête dos vagues. Cette comparaison est tellement juste , que beaucoup de personnes , avant d'être habituées à ce genre de locomotion , éprouvent de véritables attaques do mal de'mer quand elles s'en servent.
« A peine débarqué, la calèche vous assaille pour ne plus vous quitter. Sur chaque place publique, que dis-jo ! à chaque détour de rue . vingt , Ironie jéhus armés de longs fouets se dresseront soudain devant vous. s'écriant en même temps : « calèche ! calèche , Monsieur ! »
<f 'l'ont près, les calèches s'alignent * on ne peut plus inofVensives , avec leurs petits chevaux qui , l'air tout penaud', semblent dormir. Xe vous y liez pas trop , cependant. Tous ces petits chevaux canadiens, une fois lancés , filent comme le vont , grimpanl , grimpant , «pu» c'est comme une bénédiction , les raides poules de Québec , ou bien encore les descendant . comme si Salau en personne oui pris les rênes en niain, c'osf-u-dire avec un Iruîn d'enfer,
« tiare a vous alors, si vous êtes tant soit peu douillet. Par instants , la calèche sombrant dans une ornière , vous avez la sensation désagréable do quelque chose s'onvranf au-dessous de vous, of par où vous allez dispuruilre, Puis , l'instant d'après, grâce ù nue pointe do pavé plus saillante que tes autres , toute l'infernale machine so détend loul a coup avec violence , et vous devez vous arc-boiifer do votre mieux pour éviter d'être lancé par-dessus les loils.
74 LES l-'HANCAIS EN AMÛIUQtJK
« Vous sortez de là, harassé, moulu, rompu, jurant in petto tous vos grands dieux qu'on ne vous y reprendra plus, et.... vous y revenez à la prochaine occasion qui s'offrira (4). »
Un crépuscule neigeux donne à Québec un aspect étrange : une demi-obscurifé jette sur tout te tableau un fond gris sur lequel se détachent on noir toutes les saillies qui ne sont pas couvertes de neige ; la citadelle paraît plus haute encore, son sommet prend dos tons indécis et se fond dans le gris neigeux du ciel ; aux clochetons des églises, aux grilles des couvents, aux; canons des remparts, pondent dos guirlandes do givre ; la ville semble* plongée dans la nuit des régions polaires.
Mais soudain la scène change : le vent du nord a chassé le nuage qui voilait. la lune, et sa clarté vient éclairer la neige qui, sous ses pales rayons, paraît plus blanche encore ; los dentelles de glaçons s'irisent do mille couleurs ou scintillent comme dos diamants ; comme la terre rollèto la lumière, l'atmosphère elle-même semble lumineuse, ot tout s'éclaire sous la ligne bleue du ciel. **
La clochette d'un traîneau, la neige qui craque sous le pied d'un passant, sont les seuls bruits qui viennent troubler le silence do la nuit.
Kl là-haut, te sommet de la citadelle semble grandir ot loucher au ciel.
Outre les nionuuionls religieux dont nous avons parlé, il faut encore citer le palais du Parlement, dont la biblio(I)
biblio(I) Chipfn, Le Canada,
LE CANADA 7o
thôque renferme une très curieuse collection d'anciens ouvrages français relatifs au Canada, des réimpressions des plus importants et des plus rares d'entre ces ouvrages, et la collection dos brochures publiées depuis la conquête ; et puis l'hôtel de la Poslo, 1res bol édifice récemment édifié.
Il y a quelques années encore, existait à cet endroit — on l'a démolie pour construire la posto — une vieille maison connue sous lo nom do « Maison du Chicnd'Or. »
Cette maison, célèbre dans les traditions municipales, tirait son nom d'un bas-relief sculpté au-dessus de la porto, où l'on voyait un chien rongeant un os. Au-dessous» était la légende suivante :
lE SUIS VN CHIEN QVI RONGE L*OS }
EN LE nONGUÏANT Ilî PIUiNDS MON IU3P0S,
VN 10U11 VllSNDUA QVI N'EST PAS VENV
QUE ni MonuiiAV ovi M'AVIIA MOIIDV.
Ce bas-relief a son histoire :
Un marchand de Québec, du nom de Philibert, fut assassiné par ordre de Bigot, l'intendant prévaricateur du Canada. Son frère, ne pouvant lirer une vengeance immédiate de cet acte d'injustice, fit sculpter l'image et les vers, symboles de, su rancune. Plus tard, paraît-il, après la chutes de la domination française, il poursuivit le meurtrier de son frère jusqu'aux Indes, ot lo tua en duel,
Lo « chien d'or » el son inscription ont été replacés
7b LES El» VNÇAIS EN AMliUlyti;
aiHlossUsde là grande porte du bâtiment de la posté. Les caliiédrales anglaise cl; française, la douane, un palais de justice, eu partie brùlâ en I $72; tels sont les antres édifices de laA-ieille cité de 0hâmphùn/
V U K DU LAC DES BOIS
( l'u/zc: pii^'f VM>.)
CHAPITRE Y
Bon-Secours.— Los quais. — Montréal l'hiver, — Le Palais tic giaoe.— Le carnaval.-''-4- Los raquettes* ■'— Le. Toboggan.
Québec est restée la vieille cité du xvuu siècle, Montréal est la ville des contrastes. Nulle part, en Amérique, lo passé ot le présent se trouvent ainsi réunis.
Si l'on descend près du marché de lion-Secours, on quittant le steamer, tout est mouvement et vie; ouest en plein xixu siècle. Le vapeur vient de passer sous lo pont de Victoria qui traverse le Saint-Laurent, une des tentatives les plus hardies de notre époque, et do^nombreux navires sont rangés le long dos quais»
Mais si l'on s'engage dans la pofile rue qui conduit a l'église de Bon-Secours, on se trouve reporté à deux cents ans on arrière, Une image do ht Vierge fixée au mur indique soûle la vieille église qui, sans cela, so distinguerait à peine au milieu dos maisons séculaires qui J'entourent.
Lu pénétrant dans l'intérieur, on oublie qu'on est on Amérique ; on so croirait dans quelque ville anciennne de ht Normandie : los murs, l'aulel, la chaire sontmille fois
80 LES EIUXÇAIS i<;x A.MEiuyrÊ
pins curieux que les tours .massives, les dorures ot les ornements de Noire-Dame,.."que tout lo inonde va visiter, tandis que peu de personnes connaissent l'église do lion-Secours. L église primitive a été brûlée eu 17o4 ; mais celle qui.l'a. remplacée doit avoir été .reconstruite. sur le modèle de la première, tant est grand son cachet ■d'ancienneté...
l)é"-Bon-Secours-, en suivant la rue Saint-Paul, on atteint la -place.'Jacques-Cartier, ou s'élève aujourd'hui la statue de Nelson, placée là parle gouvernement anglais. Plus loin, c'est l'hôtel de ville, le Parlement, puis les grandes rues bordées desplondidos itiaisons, de magasins magnifiques, et enfin les ((nais si animés.
Une pronionude, au printemps ou eu été, sur los grands quais de pierre -qui bordent te Saint-Laurent , ■'SUÏfil pour se rendre compte do lluiporlance commerciale de Montréal : de nombreux navires de toutes les nationalités, d'énormes steamers transatlantiques, viennent se ranger le long dos machines ù Vapeur qui.-servent- ail chargement et au déchargement ; niais le contraste, -l'hiver, est terrible.
Les-quais, les docks, les entrepôts sont déserts ; le fleuve atteint le niveau des rilos basses, so gèle et se eottvro d'une épaisse coitcho .'do neige, qui le transforme ou une plaine immense, sur laquelle .s'élancent-; les traîneaux,
Un des plus beaux spectacles que puisse présenter le Saiiit-Lauront est celui de la débâcle.
Depuis décembre, lé llèliVo est recouvert d'une couche de glace do plus d'un mètre d'épaisseur ; à Montréal*
Les <iuai^iie.iIoiitréal en été.
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LE CANADA 83
surtout, où il mesure quatre kilomètres de largeur , l'effet est grandiose :
« Le fleuve jaillit soudain avec des révoltes inouïes de puissance, au milieu de craquements sonores comme des décharges d'artillerie, de. la prison qui le tient enfermé depuis décembre. La glace, soulevée par un gigantesque olforl, retombe brisée, éparpillée en milliers de blocs qui tous alors, connue affolés, tournoient un instant, puis se hissent les uns sur les autres , formant une barrière infranchissable. Mais le fleuve s'est mis à monter , grondant sourdement do colore. Bientôt il pèse , il pousse avec un redoublement de rage contre l'obstacle, qui enfin cède ot s'écroule, définitivement cette fois (1). »
Dans les rues,- on fraye un chemin à travers la neige que des hommes rejettent sans cosse des deux côtés , formant ainsi, dans les grandes voies, trois chemins : un de chaque côté pour les piéton», et un au centre pour los traîneaux.
C'esl, la saison favorite des habitants, aussi bien dans les villes que dans les campagnes ; c'est l'époque des exercices en plein air, dont les Canadiens raffolent.
La ville de Montréal so divise en deux parties : le côté oriental et le côté occidental ; les Canadiens-Français habitent le côté est, formant, comme une société à pari, dans la grande ville où ils sont en majorité. Les Anglais, les Ecossais vivent à l'ouest, et une infranchissable barrière semble s'élever entre ces deux classes de la popu(1)
popu(1) Glapin, Le Canada.
LES EltVNÇ US KN \MÈmol'
lation ; niais do-quelque côté do la ville que l'on se dirige, on sont toujours que l'on est dans une ville française, où la langue, les types .et les costumes français dominent.
Il est impossible de parler'do Montréal, sans évoquer le souvenir de son carnaval d'hiver.d'un genre si particulier, où tout est curieux, jusqu'au gigantesque- palais de glace, qui semble emprunté aux merveilles d'un coule de fées."
Au fond, l'ion n'est [dus simple que la construction qui se fait on un four de main. Le. Saint-Laurent, gelé en février sur un» 1 épaisseur di\i\ mètre," fournit les matériaux. Des machines attaquent la glace, la scient, la découpent en beaux cubes réguliers.,, que les ouvriers n'ont plus qu'à placer les nus sur les autres et que l'air vif se charge de .souder ensemble. Huit jours après, un. splendidc palais s'élève sur la place naguère déserte» el un vrai palais, dont les lours. les coupoles et les murs scintillent au soleil connue les facettes d'un gigantesque diamant,
Le monument " est assez vaste pour que l'on puisse donner des foies à l'inférieur pendant le carnaval. Certes, il n'est juls de spectacle qui vaille l'aspect do.-cotte salle do bal, quand, sous tes rayons électriques tombés dos voûtes et centuplés par la réverbération dos glaces, les couples tournoient el,'ibi.irbilhmnonL Un croirait assistera un ballot du royaume dos fées, comme l'imagination la plus vagabonde n'en a jamais rêvé.
Lo carnaval dure six jours ; pondant toute la journée, ce sOilf (les 'courses de patineurs , . de'v joules à'. fa
Le» quctLs,de MoutrcaL i: hiver.
LE CANADA $7
raquette et lo jeu du toboggan, puis lo défilé des équipages, traîneaux de toutes sortes recouverts de riches fourrures. Toutes ces distractions so prolongent jusque fort avant dans la nuit.
Lo patin canadien est lo mémo que celui dont nous nous servons on France; seulement, au Canada, lo patinage n'est pas seulement un amusement, c'est un art sérieux ot des plus utiles. Les jeunes gens emploient souvent le patin pour franchir do grandes dislances sur les rivières gelées, ot avec liiio rapidité vertigineuse. De là, dos écoles et des clubs do patineurs, qui se livrent à des joutes continuelles et dont les membres accomplissent souvent do véritables tours de force; ainsi, dernièrement, le vainqueur dans une do ces courses a parcouru, suivi de près par ses concurrents, vingt-cinq kilomètres en cinquante-neuf minutes et demie»
Le toboggan est. un véhicule étrange qu'on ne trouve qu'au Canada. C'est une planche de bois de frêne, 1res mince el recourbée à une do ses extrémités; elle mesure cinquante cenlimèlres de large et deux ou trois mètres de long, Cinq ou six personnes peuvent y tenir à l'aise accroupies. Ainsi chargé, le toboggan glisse sur une pente rapide, une montagne russe, préparée surles lianes du MonlBoyal.
« Le soir, le coup d'uûl est dos plus pittoresques. Entre deux rangs de torches, dont les flammes rouges s'entro-croisent de Ions côtés sur la neige, avec dos reflets fantastiques, les « traînes sauvages » bondées de joyeux giisseurs passent, rapides comme l'éclair, dans un brusque sifflement, pour disparaître ot se perdre aussitôt
88 LKS 1-HAXÇAlS EN AMÉIUQLE
plus bas dans les ténèbres. Une glissade en toboggan ne s'oublie plus : c'est l'enivrement des espaces que l'on sent se dérober sous soi; la sensation, pendant une minute , de la fuite irrévocable par delà les limites du connu... »
La raquette ou snow shae^ chaussure à neigé, se compose d'une étroite bande de bois de. froue recourbée en deux et dont on fait rejoindre les deux bouts en tes assujettissant fortement par une courroie. Deux petits bâtons posés ensuite en travers achèvent de donner à ce premier travail la forme voulue, c'est-à-dire colle d'un cerf-volant. Puis ou fait courir un entrelacement assez■-serré de lanières de cuir, en ayant soin délaisser, à un tiers de la hauteur, un espace, suffisant pour que le bout du pied puisse yjouor à l'aise. La raquette est alors prèle, et un marcheur habile s'en servira sans crainte pour s'aventurer par monts et par vaux dans la campagne, où il n'est pas rare de voir des bancs de neige atteindre jusqu'à six oit sept mètres d'épaisseur»'
La-raquolte est d'invention très ancienne, Les chroniques dli pays font nionfion de soldais du roi de France apprenant jadis à chausser la raquette, et en retirant do grands avantages dans leurs guerres avec l'Angleterre. Cédait mémo parfois le seul moyen de locomotion, el l'on cite un évoque de Québec qui faisait ainsi ses tournées pastorales-àti eieur do l'hiver; quoique chose connue'une promenade do trois cents lieues...»
Empruntons maintenant à Mi SylvaClupin le tableau brillant et animé d'Une journée dé carnaval à Montréal : ■<« Il fait froid, assez froid itièmo dans la matinée, mais
Uiic ïii'6 <i(> MçnjSvértl i!lii\'cïv
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l'air ost pur et soc, et le ciel sans nuages» Pas de veut.; les fumées de la ville montent toutes droites, effilées et bleuâtres ; un excellent augure, disent les connaisseurs. Partout ht neige durcie grince sous le pas dos piétons, sous los patins dos traîneaux, avec ce pétillement singulier, bien connu des Canadiens, qui indique infailliblement, cl sans qu'on ait besoin de consulter le baromètre, quota température vase tenir au « beau fixe. »
« Mais la journée s'avance, la foule grossit. Le soleil, maintenant, lorsque sonne h travers la cité le grand coup de midi , produit par tout l'espace comme l'effet d'un énorme foyer d'incendie, ot fait flamber au loin la nappe do neige avec des miroitements aveuglants d'or on fusion. La populace va se faire légion. Par les rues, peu ou point do masques, la rigueur du climat eii rendant le plus souvent l'usage difficile. Bien entendu, pas de bataille de confetti ni de bouquets» comme a Borne ou à Nice. En revanche, un admirable défi lé d'équipages d'hiver, comme il no s'en pou! sûrement pas voir nulle pari ailleurs. Tous les genres hmiginables : depuis lo traîneau national appelé bcrlot, point do couleurs vives , jusqu'au superbe cl élincclant four in haml traîné par ses quatre pur sang qui secouent orgueilleusement los sonneries argentines de leur attelage, Ce que l'on voit là de fourrures donnerait a penser que l'on a dévalisé les polo Nord pour le plus grand plaisir surtout des Montréalaises, qui so montrent extraordinairemeut friandes décos chaudoset moelleuses dépouilles opimes.
. « A mesure que le jour décroit, la clameur de la foule redouble d'intensité. Parfois une fanfare éclate, précédant
t)2 ' LES EHÀNÇAIS EN AMElUOCE
un club de ruquofteurs s'apprèlant à entrer on lice avec une association rivale, et chantant eu cadence :
Nous perpétuons lo nom, la mémoire
Des hardis trappeurs,
Héroïques sapeurs Dont l'historien raconte la gloire
Et qui, sans broncher,
Savaient toujours marcher.
« Los bravos . les vivat retentissent partout sur leur passage.
« Bien tôt le soleil s'enfonce et disparaît sous l'horizon. La multitude est devenue une marée humaine* Ça et. là, dans la nuit qui tombe, dos reflets, de feux de forge : ce sont les salons* ou débit-de-boissons spiriluèuses. aux largos baies ouvertes surhi rue commodes gueules de fournaise.
« Soudain, dix, vingt, cent flammes éehevelécs surgissent do tous côtés. Puis des milliers de flambeaux s'attli^- ■ment à lotir tour, répandant par huile la." ville comme les reflots de quelque colossal serpent de feu. Là-haitl. sur une éininenco, le palais de glace féerique . prodigieux, surnaturel, dresse ses tours et ses créneaux, (le Cristal, (fui projettent-uu loin tes fulgurantes irradiations de leurs foyers électriques,
« La ville foui entière n'est plus on ce moment qu'une énorme torchère. Le Mniil-lloyal même- est illuminé de milliers de zigzags incandescents. Ce sont les marcheurs en raquettes qui l'occupent, échelonnés depuis sa cime jusqu'à sa base, chacun tenant une torche-à la main» Les fusées, les bouquets de feux d'artifice passent et
Un miuatiâ à Monti'ùul.
Llî CA.NADA (Jo
repassent conlinuolloment dans l'air froid de la nuit, s'eiitro-croisaul, s'écrasant en pluie d'étoiles diaprées. Dans les skatiugs, la ronde des patineurs tourbillonne ot fuit rage ; les bals masqués sont dans tout leur éclat. Montréal, durant ces courtes' heures, n'est pas loin do se croire la reine de l'Amérique, que dis-joî de l'univers !
« Puis, une à une, s'éteignent los lumières, d'abord h longs intervalles , comme à regret ; par rues entières ensuite, comme soufflées par une seule el môme bouffée île vent. Les clameurs se fondent aussi, à leur tour, en un murmure à peine distinct, se perdant do plus on plus dans los lointains, llienlôl, c'est le calme absolu. La lune, un instant déchue de ses fmictions,, monte alors avec plus d'éclat vers le zénith , enveloppant los objets do ses blancheurs molles et argentées. C'esl la nuit, la pure, idéale ot sereine nuit dos solitudes enneigées du grand Nord !... (1). Ï>
Outre Québec et Montréal, Ottawa, Sherbrook et Toronto ont un grand nombre d'habitants français ; mais, dans ces trois dernières villes, los Anglais forment la grande majorité,
(1) Malgré sa longueur, nous ayons cru devoir donner cette description tout ëhtiôre, non seulemëiit a causé de son exactitude, mais àUs^l à cause do la fo si cher aux Ganàdiehs-lù'aiicjais.
CilAPITHE YI
Les Cana^iens-I/rançais. — La famille, — Gouvernement,— Législation, — l|eligion. — La langue française, —Les journaux. — Lalittérature canadienne, — Amour des Canadiens pour la Franco, —1870, —. Que deviendront les Canadiens ?
Le caractère le plus saillant de la race canadienne^ française est l'union intime qui réunit tous les habitants d'origine française, Los soixante-dix mille Français qui, on 1703 , passeront sous la domination anglaise, soptdevenus quinze cent mille, et malgré cet accroissement, presque sans exemple, les Canadiens-Français , où qu'ils habitent, sont restés nuis comme los membres d'une môme famille.
C'est à leurs moeurs qu'il faut attribuer ce fait: les familles sont '.nombreuses : douze , quinze enfants sont chose comnume , et il n'est ■ pas ; absolument. rare do voir dos ménages ayant vingt-quatre et mémo vingt-six descendants. D'aiis ce cas, c'est le curé de la paroisse qui se charge du vingt-cinquième enfant, le nourrit, l'élève , pourvoit à son éducation, l'adopte on un mot.
Ces enfants, quand ils sont mariés à leur tour, ne ' quittent ' guère. leurs parents ; ils s'établissent dans lo
LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE, 7
!IH LES EHVNÇUS EN VMÉIUOEE
voisinage o\ restent en communication constante avec la famille, do sorte (jue le lien n'est jamais rompu, les intérêts "sont les mêmes el. le eus échéant, ils sont unis pour les défendre. C'est grâce à celte union que les Canadiens vaincus ont pu imposer leur volonté au vainqueur,
Avec une opiniâtreté qui ne s'est pas démentie un seul instant, avec un courage héroïque, ifs oui lullé pour obtenir les Irois libertés qui sont la base de leur organisation sociale el les rendent pourainsi dire indépendants : liberté politique, c'est-à-dire l'accès nu Parlement cl aux charges du gouvernement ; liberté de conscience, c'est-à-dire le droit de pratiquer sansenfraves leur religion, el, ce à quoi ils attribuaient un prix énorme, l'emploi de la langue française dans les tribunaux, les conseils législatifs et les actes do l'élaf civil.
Le gouvernement du Canada esl essentiellement parlementaire : un gouverneur général représente la reine ; il esl assisté d'un conseil privé et gouverne par l'entremise d'un conseil exécutif, composé de douze ministres,
Le pouvoir législatif appartient au sénat el a la chambre des communes.
Le sénat se compose de soixante-dix-sept membres nommés à vie parle gouverneur et pris en nombre variable dans chacune des huit provinces.
La chambre des communes compte deux cent six membres élus par les collèges de chaque province.
Chaque province esl administrée par un lieutenant-gouverneur ; elle a ses ministres, son conseil législatif et son assemblée législative.
ShcrUrook,
LE (UNAU'A 101
Dans le gouvernement, dans le Parlement et dans les tribunaux, les Canadiens-Français sont presque partout en majorité,
Les Canadiens-Français jouissent de la libre pratique de leurs lois civiles codifiées, en 18(iG, à l'instar du code civil français, La législation criminelle est la môme que colle de l'Angleterre,
Au Canada, il n'y a pas de religion d'K.tat, par conséquent pas de budget des cultes. Les Canadiens-Français sont essentiellement catholiques ; s'il y a quelques protestants parmi eux, c'est la grande exception, et nous devons ajouter que malheureusement ils sont très mal vus par leurs compatriotes, quoique ceux-ci vivent on très bonne intelligence avec los protestants d'une autre origine que la leur,
Les Canadiens-Français entretiennent leurs pasteurs par des générosités, par des taxes en nature prélevées sur la propriété foncière et par unodimé du vingt-cinquième dos récoltes ; do môme que le prêtre so charge du vingt-cinquième enfant, le Canadien donne au prêtre le vingt-cinquième du produit de sa terre.
Le clergé canadien est très riche par lui-même ; cependant, les dons no lui font jamais défaut, car rien n'est plus cher aux Canadiens-Français que leur église. Partout où ils forment un groupé, ils transportent avec eux l'organisation paroissiale. Avant de construire lino mairie, ils élèvent d'abord une église qui leur sert de salle do réunion, en attendant que la petite colonie soit devenue plus prospère.
Çomiriè leurs moeurs, surtout dans les villages, leur
102 LES 1-llANÇ.US EN AMÉlUgi'B
religion a conservé beaucoup do la naïveté des temps passés ; do mémo (tue les Bretons leurs aïeux ouf sainte Anne d'Auruy, les Canadiens-Français ont leur sainte Anne, à laquelle ils vouent un culte tout particulier; le sanctuaire de la patronne du Canada est au petit village de Beaupré ; on s'y rend do fort loin en pèlerinage. Ha fondation remonte à l'an lbo8,
Un habitant de Petit-Cap. donnai! l'un dos prêtres de Québec un petit coin de terre, à condition que celui-ci y commencerait une église, la îhênio année. Le gouverneur français d'alors posa la première pierre, el l'édifice fut consacré à sainte Anne, la patronne des matelots,
On a souvent reproché aux Canadiens de parler un ■français dégénéré, une sorte de patois, plutôt que notre langue. « La vérité est que le Canadien des rives du SaintLaurent -n'a jamais parlé autre chose que la langue de llacine, sa seule ot vraie langue maternelle, à lui léguée par ses ancêtres, venus 'delà Yieillo-Franco ot qu'il conserve avec un soin jaloux, comme un joyau d'un prix inestimable. »
La langue française, telle que nous la parlons actuellement en Franco, est la langue que parlent tous les Canadiens-Français sans exception, Et ce n'est pas là-une des moins agréables surprises pour lo Français en débarquant au Canada.
Voici ce que raconte à cet égard M, Gorbié :
« A bord du paquebot qui faisait la traversée- do -Liverpool à Québec, quelques Anglais «'étant-informés do Tcndroit oh nous allions, et apprenant que nous nous rendions a Québec : « Ah î diront-ils, là vous trouverez des
LE CANADA jtKJ
descendants dos anciens colons français, Ils soûl peu nombreux, à la vérité, et parlent si mal que vous les comprendrez à peine, »
Fntré on rade do Québec, nous no tardâmes pas à débarquer, et 'aussitôt un grand garçon de s'approcher de nous et do nous dire :
-- Vous faut-il une voiture, Monsieur ?
Sur notre réponse affirmative :
— Où sont vos bagages ?
A son allure tout à fait française ot à son accent, nous crûmes avoir affaire à quelque cocher transplanté dos bords de la Seine sur les rives du Saint-LaurenL et nous lui demandantes s'il y avait longtemps qu'il était au Canada.
—- Mais je suis Canadien-Français, nous répondit-il.
~ Ah ! et toUs parient comme vous ?
— Certainement, et nous sommes près de deux millions qui parlons de même.
Ce fut la, nous l'avouerons sans honte, notre première leçon de géographie sur lo Canada, »
Il y a plus : cotte langue française, -le Canadien s'efforce do la parler le plus purement possible, ot l'on est forcé d'avouer qu'il s'acquitte do sa tâche avec le plus grand honneur. Los salons de Québec surtout ont tenu à rester lé foyer conservateur delà vraie langue française; et n'était certain puritanisme do langage, .'conséquence dit contact continuel avec los Anglais, et qui fait qu'on trouverait d'un goût douteux, là-bas, les mille petits traits, épicés do sol gaulois, qui forment on France la menue monnaie do la conversation courante,
104 LES EUANÇAIS EN AMÉIUQI'E
n'était ce puritanisme, ou croirait, eu entrant dans un salon de Québec, pénétrer dans un des plus aristocratiques hôtels de Paris ; c'est-à-dire au soin de toutes les élégances, de tous les raffinements de la civilisation, de toutes les bienséances du beau langage,
Un grand nombre de Canadiens, surtout dans les villes — dans les villages on no parle que le français — connaissent aussi l'anglais ; c'est là une do leurs supériorités sur les Canadiens-Anglais, qui 'dédaignent d'apprendre notre langue,
Au Parlementy dans los tribunaux, les discussions ont lieu indifféremment on français ou en anglais, et les fonctionnaires sont tonus de connaître les deux idiomes. Tous les actes du gouvernement, ainsi que la Gazette officielle, sont rédigés on français ot on anglais.
Do cotte facilité do parler les doux langues est résulté l'introduction de certains anglicismes contre lesquels la presse elles maisons d'éducation font une guerre acharnée : tous les hommes instruits du Canada, et ils sont nombreux, luttent pour conserver intactes la beauté et la pureté do notre langue !
Los Canadiens-Français sont puissamment secondés par los journaux elles littérateurs : les écrivains de talent sont nombreux au Canada, et leurs oeuvres sont écrites et pensées d'une façon originale, qui leur est personnelle, M. Sylva Clapin, que nous avons déjà eu l'occasion de citer, compare la littérature canadienne à la littérature russe. Il n'y a pas si loin, après tout, des bords glacés do la Neva, aux rives enneigées de Saint-Laurent ; une nature hivernale à pou près identique et de même
LE CANAUA |0*>
durée a pu intïuer également sur l'imagination et l'esprit des écrivains dos doux peuples, « De bonne heure les écrivains canadiens reçurent et gardèrent l'impression de celle grandiose nature hivernale qu'ils avaient sous les yeux pendant cinq mois. Leur phrase so déroulait calme, imperturbable, souvent majestueuse, pleine, de meta* phores hardies, la plupart du temps respirant une extrême mélancolie,.-.que. parvenait bien rarement à secouer la pétulance du sanggaulois. »
Malheureusement, le cachot d'originalité qui faisait le charme principal de la littérature canadienne tond à disparaître chaque jour ; ce changement est dfi certainementà l'influence des productions de la Franco ; los écrivains du Canada ont subi la séduction, et ils cessent d'être oux-mémos pour devenir des copistes de nos autours àla mode.
C'est dans le journalisme surtout qu'on trouve le plus grand nombre do littérateurs ; c'est là qu'ils font tous leurs premières armes. Cela s'explique par le fait que le. livre est poil répandu ? le journal ot la revue le remplacent. Les hommes d'affairés, los artisans, les agriculteurs n'ont pas toujours le temps do lire un volume ; niais ils trouvent tout ce dont ils ont besoin dans les journaux.
Le nombre dos publications périodiques est considérable ; oh ne compte pas moins de quarante journaux ou revues rédigés en français.
Cette situation particulière oblige chaque feuille à aborder toits lès sujets, ceux purement littéraires, aussi bien que les questions politiques, économiques et so-
100 LES EHANCAIS EX AM^IUOLL
cialos. Tandis que dans beaucoup de pays la presse n'est que le reflet de l'opinion publique, un Canada, c'est le cour traire ; elle ou est le guide, En un mot, los journaux sont la plus grande puissance du Canada.
La liberté do la presse est sans limite et sans contrôle ; aussi, les polémiques y sont vives, les allaques poussées à fond, dépassant la limite de ce que nous voyons on Franco,
« A côté des invectives violentes qui s'étalent parfois dans maints journaux canadiens-français, dit l\ï, Sylva Clapin , les plats les plus épicés, servis journellement aux lecteurs du « Cri du Peuple » oit do « la Bataille, )> paraîtraient fados et refroidis. Seuls, certains rédacteurs dos Ftats-Unis, en temps d'élection présidentielle, pourraient pcut-êtro lutter avantageusement sur ce terrain, »
Il est juste, cependant, do faire -remarquer que, depuis quelques années surtout , les écarts regrettables que nous venons do signaler tendent à disparaître. Los dirocfours de journaux;, ceux qui tiennent la tête do la presse canadienne, iniposent à leurs rédacteurs plus (le modération, les empêchent de s'engager dans des 'luttes pou courtoises, exigent d'eux nue grande correction do stylo, ot surtout font une guerre acharnée aux anglicismes, qui menaçaient de dénaturer entièrement -nôtre langue. Les feuilles parisiennes les mieux rédigées tour servent en cela do modèlei
Ce sont là, certes, autant d'indices dos pliis heureux ot dont lés Canadiens-Français no sauraient trop se réjouir, La couleur locale y perdra bien un pou, mais
I.lï CANADA 107
le prestige et la dignité de tous los citoyens y gagneront ; ce qui vaut bien la peine que los intéressés continuent dans la voie de réformes où ils se sont engagés.
Dans les..arts, lo goût naturel des Canadiens-Français est non moins accusé, et c'est encore vers l'art français qu'il est dirigé, Ils aiment 'beaucoup le théâtre; malheureusement, ils ont peu d'occasions do fréquenter la scène française ; presque toutes los pièces jouées le sont par destroupes anglaises ou américaines do passage qui pillent et estropient outragousomont notre répertoire..'
En peinture ot on sculpture■, les Canadiens-Français ont produit des oeuvres d'autant plus dignes d'être remarquées, que leurs autours so sont, pour la plupart, formés tout seuls.
Pour les .Canadiens-Français, la langue est restée le trait d'union entré la pairie nouvelle et la patrie ancienne, entre lo Canada ot la France, pour laquelle ils ont conservé une affection sincère ; ils ne laissent du reste passer aucune occasion de la témoigner.
Lors dos guerres du premier Empire, les journaux canadiens-français priront hautement la défense de Napoléon Ior, quand ils le virent tomber sous les coups de F Angleterre ; on 1870, la nouvelle do nos défaites trouva un douloureux écho dans lo coeur do tous los Canadiens-Français.
— C'est pour faire do l'opposition, s'écrièrent quelques sceptiques.
Les faits suivants répondront :
En 1B6G, une frégate française, la Capricieuse, entra en rade de Québec ; c'était le premier navire français qui,
108 LES FltANOAIS EN AM^IUQEE
depuis la cession du Canada, eût déployé los couleurs de la Franco sur les eaux du Saint-Laurent. Qui peut dépeindre l'enthousiasme qui s'empara dos Canadiens-Français à la vue de noire pavillon ? Co fut commel'explosion d'un patriotisme trop longtemps comprimé ; seuls, les officiers et les matelots de la Capricieuse pourraient dire l'accueil que leur liront les habitants de Québec, Il n'est pas jusqu'aux habitants des villages isolés qui ne voulurent venir contempler ces soldats do la France, de la môic-palrie. C'est ainsi que plusieurs Canadiens-Français allèrent s'enrôler pour combattre au Mexique à j'ombredu drapeau tricolore, et nousr-momes, nous on avons rencontré plusieurs dans l'armée d'Afrique, alors que nous avions l'honneur d'on faire partie,
Plusieurs années s'écoulèrent sans qu'aucun navire de guerre français remontât le Saint-Laurent. Puis vint 1870,
L'anxiété fut grande au Canada, ot co fut une heure navrante que colle où les Canadions-Français apprirent que le sort dos armes nous avait trahis.
Quand la France demanda à chacun de ses enfants mie obole pour libérer lo territoire, los Canadions-Fràn-* çais furent les premiers à envoyer leur offrande,;; et depuis longtemps déjà là listé était close, que les donS arrivaient encore a Paris.
Et la démonstration faite au consulat de France, àQué~ bec, par les jeunes Cahàdiens-Frànçais! Nous en empruntons le récit àun poète canadien-français:
« . , , ',-',■ . ....... Or> tandis que la France,
Jouant sur un seul dé sa dernière espérance/
LE CAXA0A 100
Se raidissait ainsi contre le sort méchant, Ui\ poème naïf, douloureux et touchant, S'écrivait en. son. nom sur un autre hémisphère, Tandis que d'un oeilsoo d'autres regardaient faire — D'autres pour qui la France, ange compatissant, Avait cent fois donné le meilleur do sou sang —*> Par delà l'Atlantique, aux champs du nouveau monde Que le bleu Saint«Laaront arrose do son onde. Des fils de TArmoriquo et du vieux sol normand, Des Français qu'un roi vil avait vendus gaiment, Une humble nation qu'encore à peine née Sa mère avait un jour, hélas ! abandonnée, Vers celle que chacun reniait, à son tour Tondit les bras avec un indicible amour ! La Voix du sang parla ; la sainte idolâtrie, Que dans tout noble coeur Dieu mit pour la patrie, So réveilla chez tous ; dans chacun dos logis, Un flot de pleurs brûlants coula dos yeux rougis ; Et, parmi les sanglots d'une douleur immense, Un million de voix cria : Vive la France !
Sous les murs do Québec, la ville aux Vieilles tours. Dans le creux du vallon que baignent les détours Du sinueux Saint-?Charle aux rives historiques, Autour de vingt clochers se groupent vingt fabriques. C'est le faubourg Saint-ltoch, où vit en travaillant Une race d'élite au,coeur fort et vaillant. Là sùrtout> ébranlant ces poitrines robustes, Où trouvent tant d'écho toutes les causes justes, Retentit douloureux ce cri de désospoir : La France va mourir !,,.
Oe fut navrant.
Un soir, Un de ces soirs brumeux et sombres de'l'automne Où la bise aux créneaux chante plus monotone, De ces donjons, à l'heure où les sons familiers De la cloche partout ferment les ateliers, La haute citadelle avec sa garde anglaise Entendit tout a coup tonner la Marseillaise , Mêlée au bruit strident du fibre et du tambour... Lés voix montaient au loin ; c'était le vieux faubourg
110 LES EllANÇAlS EN ' AJIlSiUOjnEQui,
AJIlSiUOjnEQui, comme un flot que l'ouragan refoule, Gagnait la haute ville et se ruait en foule Autour du consulat, où de la France on pleurs, Symbole vénéré, flottaient les trois couleurs.
Celui qui conduisait la marche, un gars au torse
D'Hercule antique, avait, sous sa rustique écorce,
Comme un lion captif grandi sous les barreaux,
Je ne sais quel aspect farouche de héros.
C'était un forgeron à la rude encolure,
Un fort; et, rien qu'à voir sa calme et fière allure
Et son regard honnête, et son grand front serein,
On sentait battre, là, du tuelir sous cet airain.
Il s'avança tout seul vers le fonctionnaire,
Et, d'une voix tranquille où grondait lo tonnerre»
Dit:
— Monsieur le consul, oii nous apprend là-bas Que la Franco trahie a besoin de soldats. On ne sait pas, chez nous, ce que c'est que la guerre; Mais nous sommes d'un sang qu'on n'intimide guère, Et je me suis laissé dire que nos anciens Ont su ce que c'était que les canons prussiens. Du reste» pas besoin d'être instruit, que je sache, Four se faire tuer ou brandir une hache : Et c'est la hache en main que nous partirons tous ; Car la France, Monsieur*,., la France, voyez-vous..,
Il se tut ; un sanglot l'êtreignait à la gorge. Puis, do son poing bruni par le fou de la forge, So frappant la poitrine, où son col entr'ouvert D'un scapulaire neuf montrait lo cordon vert :
— Oui, Monsieur lo consul, reprit-il, nous ne sommes Que cinq cents aujourd'hui ; niais, tonnerre I des hommes Nous cil aurons, allez !,.. Prenez toujours cinq conte, Et dix mille demain vous répondront': Présents I La France, nous Voulons, épouser sa querelle, Et fiers d'aller combattre et de mourir pour elle, J'en jure parle Dieu que j'adore à genoux, L'on ne trouvera pas de traîtres parmi nous !,..
LE CANADA 111
Le reste se perdit... Car la foule en démence Trois fois aux quatre vents cria : Vive la France (1) !
Ces sentiments ont-ils changé chez les CanadiensFrançais? Non j et nous n'en voulons donner pour preuve que la-campagne-récente entreprise par la presse canadienne en favoiir de notre armée.'allaquée par les journaux anglais, et la façon dont les Français qui vont au Canada sont reçus par'leurs compatriotes de la Franco transatlantique.
Fst-it possihle de ne pas'.comparer les sentiments qu'éprouvent.:les- Canadiens-Français pour la Franco , leur .ancienne patrie, avec ceux qui uniment les Américains polir leur ancienne pairie, l'Angleterre? Les uns ont abandonné le tille do colonie française parce que la France affolée les vendait pour prix de sa 'défaite.'; la niéro-patrio les a rojetés de sou sein. Les autres ont pris les armes contre la métropole ; ils ont combattu pour se séparer de l'Angleterre, et aujourd'huinno haine profonde divise les Yankees et les Anglais. Pour les Canadiens, la France c'est la pairie perdue qu'on aime ot que l on aimera toujours ; pour les Etats-Unis, l'Angleterre c'est l'ennemi.
Mais , nous dlra-t-on, comment concilier ces vives sympathies pour la Franco avec la loyauté à la couronne britannique ? Les Canadiens oiil-iîs donc oublié ?
Non» les Canadiens so souviennent. Mais le jour où la
(1) Nous avons cru devoir citer ce morceau on entier. Les sentiments d'ardent patriotisme qu'il respire feront passer sur la faiblesse do tplelcptes-tUis des vers.
412 LES FRANÇAIS EN AMÉIllOjUE
Franco los a abandonnés, ils so sont trouvés dans cette alternative : accepter la domination anglaise , s'unir pour gagner le maximum de libertés possibles , et rosier Canadiens-Français à l'ombre du drapeau de l'Angleterre ; ou bien, so jeter dans les bras des Etals-Unis, avec la certitude d'être absorbés, annihilés, de perdre leur indépendance, et jusqu'au droit de parler leur langue ; ils n'ont pas hésité. Pendant la guerre do l'Indépendance d'Amérique , alors que nous envoyions l'élite do notre jeunesse verser son sang pour créer les Etals-Unis, les Canadiens refusèrent d'écouter les promesses de Washington et de Franklin ; car ils savaient que ces hommes étaient leurs pires ennemis, et ils so souvenaient des paroles de Franklin :
« La paix no sera jamais assurée sur le continent américain , lanl qu'il y aura des représentants de la race française. »
Voila l'homme que, dans notre enthousiasme aveugle, nous avons glorilié, que nous avons couvert de lauriers et que nous avons immortalisé sur la scène du ThéatroFrançais.
Los Canadiens-Français ont montré un patriotisme plus éclairé que le noire.
En acceptant ta domination anglaise, ils évitaient un danger immédiat ; plus lard, ils ont lutté et ils ont obtenu la constitution qui est la sauvegarde de leur nationalité et de leurs libertés au dedans et au dehors.
Voila pourquoi los Canadiens-Français peuvent être a. la fois les sujets loyaux do l'Angleterre et nos amis dévoués qui pleurent sur nos désastres, se réjouissent
LE CANADA 113
dé nos succès , s'eiiorglioillissent de nos gloires ; nos compatriotes et nos frères qui nous appellent pour aller grossir leurs rangs, pour aller renforcer chez eux l'élément français. S'ils rie manifestent point le moindre désir de faire partie de notre domaine colonial, c'est parce qu'ils savent que nous ne pourrions leur donner dos libertés que nous rie possédons pas nous-mêmes,
Mainteharit, quel avenir est réserve aux CanadiensFrançais ? Quel sofa ce peuple dont la population a vingt fois décuplé en cent vingt ans ? Viendra-t-il un jour .où , puissant ptir le nombre ,- il secouera pacifiquement le joug déTAiîgloterro par le seul fait de sa volonté et se déclarera indépendant ; où bien sera-t-il absorbé par les États-Unis?
Sans doute, une nation qui s'est développée de la sorte aspire à devenir un Etat indépendant ; mais les Canadiens-Français ne sont pas encore assez nombreux pour cela ; les charges qui pèsent sur un peuple indépendant sont trop lou^ encore, Ils ont du reste tout Intérêt à ne s'éniànéiper que le plus tard possible > puisque l'Angleterre leur permet de progresser à leur aise. Leur avenir dépend donc dé leur nombre: plus leurs rangs seront serrés, plus leur union sera forte , plus leur avenir sera brillant y plus grande sera l'influence qu'ils exerceroht dans la confédération canadienne et dans les différentes provinces qui la composent*
Seront-ils annexés par les Etals-Unis? Non » h moins (ju'ils n'y soient contraints pat ht force des armes > à ntuins que les Élats-tîhis no leur garantissent leshiômos
LES rtlANOAlè Kîf AMElitQUËi 8
114 LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
droits que l'Angleterre leur donne aujourd'hui. Et les Canadiens-Français savent bien que jamais ils ne les obtiendront, alors (pie dix millions d'Allemands , établis sur les territoires do l'Union, n'ont pu obtenir que l'allemand fût enseigné dans les écoles sur lo mémo pied que l'anglais.
Quoi qu'il en soit, la nationalité canadienne-française subsistera toujours. Aujourd'hui elle est formée ; elle sait d'où elle vient , elle sait oh elle va. Une race aussi lidèle à son passé , douée d'une force d'expansion aussi grande et d'une telle vitalité, peut regarder l'avenir avec confiance ; pour elle il est brillant et plein do promesses.
CIIAPITKE Vit
Vliàbilnni. — Normands et Bretons, — Une maison.— La vie. — Les fêtes de l'hiver.'— La guitjnolée. — Les chansons. — Les légendes.
Au Canada, il n'y a pas de paysans ; lo Canadien-Français^ qu'il vivo dans les villes, qu'il habile les villages des bords du Sailit^-Laurent ou qu'il'peuple les solitudes de 1 oiieSt, se noniniè YhaÙitanti
a iïahilant esl synonyiiie de Canadien-Français, ci ce dernier nom signilio indépendance et volonté do se l'aire respecter, l'optiiatioii gonahto*
((C'est nous qui avons créé ce titre pour exprimer une situation nouvelle.dans un pays nouveau. Il est intimement lié aux annales d'une colonie dont les origines sont irréprochables^ n'en déplaise aux autres nations, Mous n'avons pas voulu du nom de paysans. Celui-là esl bon poUr l'ÉUropo. Que ceiix qui veulent so mettre un boulet au pied lo portent,
Sol canadien, terre chérie, Par des braves tu fus peuplé ; Us cherchaient loin de leur patrie Une terre de liberté.
11(1 LES ÈHANÇAlS EN AMÉfUQEE
« Voilà ce que le poète a pu dire salis exagération.
« C'est le.fils, do riiabitant qui exerce les professions libérales, qui va au l*arlenientf qui construit dés chemins do fer et dos maiiiifaclures. Los habitants n'ont jamais été domesiiquos dans îoslaùbourgs dos grandes villes d'Europe.'..
« Chez nous, chacunlait sa pa.i'l do l'oeuvre commune ; néanmoins, nous sortons tous de ^habitant, Nous n'ompiiihtons pas aux oiseaux de passage dos plumes plus ou moins brillantes , mais qui rie sont que des plumes^ après tout. Ce qui nous caractérise, c'est que iiotis Som> mes hoiis-inoïiics et que nous savons d'où ïious venons ot 011 nous allons (i)i»
■ Oh'.s'imagine difficilement la sommé de bonheur et de bién-ètré qui est départie à lliabitarit canadien ; pour l'apprécier, ilfaUt lé Voir chez lui, dans sa niaisoh) dans sa formé, sur ses terres qu'il tient dé ses aïoUx, Autant le paysan d'Europe travaille, site, 4)éinè et vit dans Un état de sujétion eontiiiUelioj autant l'habitant a la vie large, aisée, ihdépéiidànlo* Cotte situation a heureusement influé sur son tehipéraiuent : habitué au bien-être, à la liberté^ à la facilité qu'il a do Se tailler des chàinps dans les immenses espaces* il est devenu bionveillanL L'égoïsnio et l'a "prêté au gain, qlti çonslititciit le fond du caractère du paysan européen^ sont remplaces chez lui par un grand dévouement pour son semblable ; quelque chosoeomnie la jovialité de l'ht iiilnè qui â bien dirié et
(I) SÙllOj'/.a Minerve de Montréal (?3 février iS8l)<
LE CANADA 1 17
qui esl sur de faire chaque jour un bon repas, quoi qu'il arrive. Celui qui ne manque do rien n'esl-il pas toujours plein d'indulgence et d'une douce commisération pour autrui ?
Les descendants des Bretons et des Normands qui sont venus les premiers coloniser le Canada ont conservé les principaux caractères do leur race : les Bretons, leur loyauté, leur force de volonté, nous allions dire leur entêtement, ot leur grande vigueur corporelle ; les Normands, leur rouerie en affaires, leur gaieté, leur humeur sociable, leur goût invétéré pour les procès, leur besoin de luxe et d'ostentation. Les doux races no so ressemblent que sur deux points : attachement irrésistible aux moeurs et coutumes dos ancêtres, résistance à l'envahissement du progrès moderne.
Les Bretons sont surtout établis sur los bords du SaintLaurent, lo plus près possible do son embouchure, là oh lo fleuve, par sa prodigieuse largeur, leur donne l'illusion de la mer, dont leurs aïeux aimaient tant la voix grondante et monotone. Beaucoup sont pécheurs, ot c'est parmi eux que. se recrutent les marins et les pilotes du Saint-Laurent.
Los lits dos Normands, au contraire, demeurent sur le haut IleuVe ou sont disséminés dans l'intérieur ot aux environs dos villes ; ils possèdettl tes grandes el les petites fermes, font l'élevage du bélaîl, cultivent les céréales.
En quelque endroit du Canada qu'il vive, l'habitant de la classe aisée, c'est-à-dire la plus nombreuse , occupe partout une demeure à peu près semblable. Une maison
l!8 LES FRANÇAIS EN AMÈfUQlJE
basse, on bois, blanchie à la chaux, aux volets verts ou rouges ot au toit recouvert de minces bardeaux. C'est, la maison normande ou bretonne.
Le rez-de-chaussée se compose d'une seule et vaste pièce, Yappartement, comme on dit encore en Normandie, servant à la fois de cuisine, de salle à manger, de salle de réception et do chambre à coucher.
Au contre, un énorme poêle ; près d'une fenêtre, une lourde table de bois brut ; dans un coin, le lit de famille, large, et si haut qu'on n'y peut monter sans le secours d'un escabeau ; un baldaquin supporte des rideaux de perso bleue, rouge ou violette représentant un village, avec d personnages plus grands que le clocher de l'église ; tout près, los berceaux des plus petits.
Dans un autre, coin, le dressoir en bois brut garni de plais ot d'assiettes multicolores ; aux murs, quelque image d'Epiual, grossière enluminure > représentant le Christ, Napoléon Ier ou le martyre d'un saint quelconque ; au fond du lil, un crucifix surmonté du rameau bénit. Aux poutres noircies par la fumée est accroché le vieux fusil à pierre, avec la. corne à poudre et le moule à balles. C'est lo vieux « fusil français*, » dont l'aïeul s'est servi jadis dans les excursions de chasse ; c'est avec cette arme qu'il repoussait l'Indien et combattait l'Anglais.
Près do ht fenêtre aussi, lo vieux rouet do l'aïeule ; chez les plus aisés, le mélier à tisser et le grand coffre de bois, qui sort d'armoire et de siège d'honnoti r.
L'habitant est matinal ; à quatre heures en été, à six heures en hiver, il se mot au travail jusqu'au déjeuner ;
LE CANADA 119
ce premier repas se compose de lait, do pain do sarrasin et do charcuterie. A midi, le dîner : une soupe aux pois, du lard, des pommes de terre, du lait et du fromage, Le soir, au souper, viande de porc, oeufs, fromage arrosé d'une infusion do thé ou do café.
La saison préférée de l'habitant canadien est l'hiver , dans les campagnes comme dans los villes. Malgré la rigueur du climat, on ne souffre pas du froid au Canada, tellement on possède l'art de se vêtir, et tellement, dans los maisons, los gros poêles entretiennent une douce température ; l'air est du reste toujours parfaitement sec : à vingt degrés au-dessous de zéro, on souffre moins du froid qu'à Paris on décembre et en janvier.
L'hiver dure cinq mois, pendant lesquels la campagne revêt un épais manteau do neige ; les lacs et los rivières sont gelés pondant tout ce temps ; mais l'air est soc et vivifiant. Bien no saurait se comparer avec la splendeur du ciel en décembre, janvier cl février. La neige tombe par intervalles pendant doux jours, puis dos vents violents balayent les nuages, et alors le ciel se teint (Fini bleu profond; les nuits, criblées d'étoiles, sont d'une clarté merveilleuse : la lune ot la réverbération de la neige aidant, on y voit souvent, comme on plein jour,
Pendant cette saison, l'habitant a tout le temps de se livrer à ses plaisirs favoris : ses prés et ses champs, couverts de neige, Ue sauraient l'inquiéter* Quelques menus travaux d'urgence vite expédiés réclament seuls son attention, Tout le reste est donné aux plaisirs : châsses, courses en raquettes et patinage, puis aux
120 LES FKANÇAIS EN AMÉIUOUE
amis, que l'on réunit autour de sa table ou que l'on va visiter.
Dans les villages, dans les rangs ou fermes isolées, on se réunit en bandes nombreuses, et les traîneaux glissent comme le vont, emportés par do petits chevaux ardents, qu'excite encore lo tintement des clochettes do leur attelage. On va ainsi d'une maison amie vers une autre, à travers la campagne toute blanche, sur la surface gelée des rivières, lo long dos hautes forêts do sapins.
A l'intérieur dos maisons, les femmes el les jeunes filles se tiennent prèles à recevoir les visiteurs ; la table, toujours dressée, croule sous le poids des victuailles : co ne sont que pyramides do saucisses ot de boudins, entassements de tourtières (pâtés de charcuterie), do jambons, do volailles ; montagnes de beignets (gâteaux frits au saindoux) et de croquignoles (variété de beignets)., Ces festins de (iargantua n'effraient pas l'estomac de nos compatriotes qui sont grands mangeurs, et dont l'appétit, est surexcité par la course ot l'air si vif du dehors.
Lo repas terminé, les pipes s'allumenl, lo wishey circule et les chansons commencent ; vieilles chansons que l'on retrouve encore dans lo fond de la Normandie, du Perche ot de la Bretagne.
Quelques-unes sont tellement répandues qu'il n'est pas un Canadien-Français qui no los connaisse et n'en fredonne sans cosse le refrain ; enlro antres, La claire Fontaine, qu'on pourrait presque considérer comme un chant national :
LE CANADA 121
A la claire fontaine M'en allant promener, J'ai trouvé l'eau si belle Que je m'y suis baigné.
J'ai trouvé l'eau si belle Que je m'y suis baigné ; Sous les feuilles d'un chêne Je me suis fait sécher.
Sous les feuilles d'un chêne Je me suis fait sécher ; Sur la plus haute branche Le rossignol chantait, etc...
C'est une chanson absolument normande, ainsi que. celle appelée : Par derrièr' chez mon père»
D'autres sont chantées seulement par une certaine classe d'individus, telles que colle dos bûcherons.
Toutes ces réjouissances atteignent leur ..apogée pou-' dant los quelques jours qui précèdent Je jour dé l'an, époque ou l'on court la Guignolet 1 (1), dans là nuit môme du ÎM décembre ; celle coutume, qui rappelle les qttôtoS que los enfants font à Pâques dans les villages de Normandie, consiste à aller dans chaque maison prélever iiiie dihie on nature pour les pauvres, afin qu'eux aussi puissent commencer gaiement la nouvelle année.
Les jeunes gens, munis de grands sacs, se'-réunissent un certain nombre dans chaque village ot so mettent eti route, précédés d'instruments de musique ; arrivée devant
(i) 11 est certain que Gkiignoléc est une corruption de (jui l'an neuf, Un Fràneëj encore datis certains départements, les eiïfants Cdurèht les ruesj le premier janvier* en disatit acéùx qu'ils rencbutréiit :« iDonne^ïnoimaf/Ui'i'an-tioi/. ».
122 LES FHANCAtS EN AMÉRIQUE
'chaque porte, la bande s'arrête, -et; en choeur, la troupe chante :
La guignolée, la guignatoche, Mettez du lard dedans ma poche ! Et du fromage sur mon pal n ; Je reviendraiTarihé'qui vient, Si vous voulez rien nous doniier,
i)it'és-:noiisié-B;":-:;'-' Une fois fan c'est pas grand'ohos'
îJour l'arrivée Qu'un petit morceau de chigtlée,
Si vous vouléz-é.
La porte s'ouvre, la bande joyeuse pénètre dans la maison, reçoit les dons qu'on veut bien lui faire, souhaite la bonne année aux propriétaires et sort pour aller recommencer à la demeure voisine.
Il ne faudrait pas supposer, d'après les détails (pli précèdent, que los Canadiens-Français passent les cinq mois de l'hiver on fêtes et en festins ; ces réceptions se font à certaines époques, ot, le reste du temps, la famille reste chez elle ; le jour, les hommes chassent, s'occupent dans l'intérieur de la maison, et le soir réunit tout le monde, après souper, autour du grand poêle, pour la veillée ; alors l'aïeul ou le père raconte dos histoires, des légendes, dont le sujet, neuf l'ois sur dix, est cmprunlé aux époques héroïques do l'histoire canadienne ; la guerre contre les Indiens et contre les Anglais sert de thème à la plupart do ces récils, La légende do l'amiral du Brouillard, que nous avons citée dans notre deuxième chapitre, en donne un exemple.
CHAPITRE Vllt
Lés voyageurs* — Les chantiers. -^ Les exploitations de bois. — Leis squatèfs. — La naissance d'une ferme*
Le Canadien-Français ({tic nous venons de voir forme le fond de la population fixe , stable des villes et des villages : c'est l'habitant. À côté de celui-là, il y en a tin autre , le voyageur. Nous le rencontrons sur la route du Manitoba, chasseur, canotier, manoeuvre, surtout bûcheron. Eh ! c'est bien aussi un Canadien-Français , parlant français, et le type le plus vigoureux de celte race forte. C'est dans la vallée de i'Oltawa que se réunissent le plus grand nombre de bûcherons ; les Anglais tes appellent lumbermen.
C'est pendant l'hiver, alors que la neige durcie offre aux transports des facilités que Ton demanderait vainement aux routes les mieux entretenues, que se fait la grande exploitation des forets canadiennes.
À la fin de l'automne , plus de vingt-cinq mille hommes se dirigent vers les bois , s'enfoncent dans leurs profondeurs, pour ne sortir de leurs retraites qu'au printempst
12i LUS KHANI;AIH KN AMKIUOJ'I:
Ils parlent, chantant une chanson qui leur est particulière, et dont voici le premier couplet :
Dans les chantiers nous hivernerons.
Voici l'hiver arrivé,
Les rivières sont gelcos.
C'est le temps d'aller au bois,
Mangor du lard et dos pois !
Dans les chantiers nous hivornorons (bis).
« Celle véritable armée de travailleurs, dit M. Tassé, se disperse dans l'intérieur le plus reculé do ces vastes régions, Rien ne les arrête. Ils atteignent maintenant des lieux que l'on croyait inaccessibles. Torrents, précipices, rapides dangereux, rochers abrupts, aucun obstacle no les effraie. Aussi les retrouvo-t-on par bandes jusqu'aux confins des régions boisées, sur les bords lointains du lac Tomiscaminguo ou des nombreux afHuent» do l'Ottawa, A
Aussitôt que les voyageurs sont rendus sur le théâtre de leurs opérations, ils se construisent une longue habitation formée de poutres grossières, pour s'abriter contre la rigueur de la température. Elle doit pouvoir donner place à quarante ou soixante hommes pendant six à neuf mois, Cette demeure est nécessairement très froide, et la brise y soufde librement. Pour y entretenir un peu de chaleur, on établit au milieu la cambuse ou cuisine, et des pièces de bois énormes alimentent sans cesse Fàtre pétillant.
Ce travail préparatoire terminé, on organise les hommes en bandes distinctes : ce sont les coupeurs, les scieurs, les équarrisseurs, les charretiers, et enfin le cul-
LR CANADA {25
sinier, dont le choix doit être fait avec grand soin, car il faut qu'il soit habile, prévenant et pourvu d'une patience à. toute éprouve, Lorsque la neige tombe ou abondance et que le terrain est ainsi nivejé, on réunit le bois abattu sur remplacement le plus favorable à rembarquement. Lie transport se fait au moyen do solides traîneaux à quatre patins, traînes par des clievaux ou dos boeufs.
Tout travailjqur doit quitter le chantier (1) avant le jour,'et n'y rentrer qu'à la nuit tombante. Il est rare que ta rigueur du froid ou le mauvais tenips retienne au logis, mêmepoiu' un seul jour, ces Imhajnes courageux et durs à la fatigue ; mais il est juste d'ajouter que si l'on exige d'eux un labeur pénible, on pourvoit sans parcimonie à tous leurs besoins, La viande salée, qui leur sert do nourriture iiabituelio, leur est livrée à discrétion ; le pain, cuit dans le chantier môme, est excellent ; la soupe de pois, que l'on mange à la fin de chaque journée, est apprêtée avec goût ; le thé, dont on arrose le repas, est de fort bonne qualité. Ce sont ces mots et ces breuvages qui font les xlélicos gastronomiques des ouvriers et la gloire du cuisinier.
Assurément, c'est un pénible travail que celui d'abattro Incessamment les géants do la foret ; mais il n'offre guère dé périls, C'est au printemps, lorsque les énormes billes éparpillées sur la plage doivent être jetées dans l'eau pour
(4) Le chantier, c'est le lieu de réunion, le logis des hommes, et non, comme en France, remplacement où l'on travaille, Au. Oanîida, les exploitations, prises dans leur ensemble, portent aussi le nom do chantiers.
I2b' I.I:S FIANÇAIS ES \MI:;UIVI I:
le Ilollage, qui 1 commencent les dangers réels du bûcheron. Il lui faut alors passer de longues heures à l'eau, franchir des précipices sur détroits radeaux , descendre des rapides semés d'écueils, n'échapper à un danger que pour en affronter un plus terrible, éviter la mort cent fois pour la trouver trop souvent dans un abîme.
Aussi, quelle l'or le et vigoureuse population que celle qui va, pendant l'hiver, peupler les chantiers î Tels sont les intrépides « voyageurs » dans la foret, tels on les retrouve sur les radeaux, lorsqu'il leur faut mameuvrer ces lourdes rames qui t'ont mouvoir de véritables niasses de bois, courageux eu face du danger , joyeux et insouciants après la besogne île la journée.
C'est généralement au mois de mars. lors de la débâcle, que l'on descend le bois llollésur les nflluenls de l'Ottawa : arrivé au fleuve, il est divisé en sections que l'on appelle cribs. ayant chacune vingt-quatre pieds de longueur ; soixante-dix. qualre-vingts, quatre-vingt-dix et même cent cribs forment un train de bois ou cage, qui se compose ordinairement de quatre-vingts à cent. mille pieds cubes. Chaque crib comprend vingt-trois h trente-six pièces de bois et huit cents à mille pieds cubes.
Les radeaux évitent la plupart des cascades qui interceptent le cours de la rivière en descendant des glissoires construites à grands frais par le gouvernement ; — ce sont d'étroits canaux à forte pente, dont les talus et le fond sont garnis de madriers qui amortissent les chocs cl régularisent la vitesse du courant. — Lu crib seul peut trouver passage dans ces glissoires, et ii faut
Klotta.tro du bois sur les afHuents de .l'Ottawa.
I.I-: CANADA 120
tous les détacher afin d'en opérer la descente l'un après l'autre, Lorsque la chute est tournée, les eribs sont de nouveau reliés ensemble et la descente du train de bois continue, Celle opération, très longue, fait perdre beaucoup de temps et soumet la patience des « voyageurs »à de rudes épreuves. Il y a treize stations de glissoires sur la seule rivière de l'Ottawa.
Presque tout le bois équarri se rend à Québec, d'où on l'exporte sur les marchés européens, et surtout en Angleterre. .Douze cents navires, montés par environ quinze ou vingt mille matelots, le transportent de l'autre cAté de l'Atlantique, Les billots sont en général destinés aux seieries mécaniques établies à la chute des Chaudières, l'un des plus beaux pouvoirs d'eau du monde, Ils y sont sciés et débités en planches et en madriers.
Ces « voyageurs » sont d'une douceur proverbiale, d'une politesse toute française, surtout à l'égard dos étrangers, elles querelles sont rares parmi eux.
« Après le bûcheron, le squater. Lorsque les aventureuses expéditions du premier ont révélé quelque part dans la forêt l'existence de terrains propres à la culture, les concessionnaires de « limites » y établissent d'ordinaire une sorte de ferme provisoire destinée à produire quelques vivres pour la consommation des chantiers voisins. Si ces terres arables couvrent une grande étendue de pays, si un cours d'eau navigable ou seulement une route de construction rudimentaire peut les mettre promptement en communication avec les établissements anciens, alors viennent les arpenteurs du
LES FRANÇAIS EN AMERIQUE. 9
J3U llvS FitANCAIS KN AHÛIUOÏK
Convenu meut qui divisent le sol en « townships » ou cantons d'une régularité géométrique (I). »
Les nouveaux colons peuvent alors acheter le terrain à des conditions très libérales, quarante centimes l'acre (deux francs l'are, environ) ; mais la grosse allaire est de lutter contrôles arbres géants qui couvrent un lot en « bois debout, » comme on dit au Canada.
C'est un spectacle curieux (pie celui de ces établissements primitifs. Le squater se construit à la hâte une grossière cabane faite do troncs d'arbres non équarris. Les joints sont remplis de mousse et de terre argileuse ; une porte en planche, une ou deux fenêtres, des madriers égalisés pour le plancher, et voilà la maison construite. Le squater se met aussitôt au travail : les gros arbres sont abattus, les branches et les broussailles rassemblées autour des souches trop puissantes pour être extirpées du sol ; puis le feu est mis à cet amas de combustible, et bientôt, sur toute rétendue du défrichement, il ne reste plus que des fûts à demi carbonisés de deux ou trois pieds de haut, et des cendres que l'on jette sur la terre fraîchement remuée, pour on augmenter la fertilité.
Les gros troncs , préalablement débiles, sonl réunis en un énorme bûcher que dévorent les flammes ; mais leur s cendres, soigneusement recueillies et lavées, donnent une solution riche en sel dépotasse que l'on extrait
(I) MÏ II. do Lariiolhë, Excursions au Canada età la rivière lîoufje dunord.
I.ir CANADA LU
par l'ôvaporation et dont la vente Vient augmenter les produits de la première année d'exploitation.
Il existe souvent, dans le lot à défricher, des bouquets d'érables à sucre, l'arbre ualioual du Canada, qui en a placé les feuilles dans sonécusson.à côté de l'industrieux castor,
Le squater les épargne pour en tirer plus tard le plus grand profit possible. Au mois d'avril, après les fortes gelées de l'hiver, il.pratiquounolégèro entaille dans l'écorce et l'aubier, à trois ou quatre pieds du sol, La sève sucrée, recueillie sur une goudrelle de bois, tombe goutte à goutte dans une auge placée au-dessous. Quand les auges sont pleines, on place leur contenu dans une chaudière suspendue au-dessus d'un feu clair, alimenté avec des éclats de cèdre ou de sapin. Lorsque le liquide est suffisamment évaporé. on le laisse un peu refroidir , puis on le verse dans des moules, d'où il sort solidifié en pains d'une belle couleur jaune clair ; ce sucre remplace, dans les campagnes du Canada, le sucre de betterave et de canne.
Après quelques années d'un travail opiniâtre, le lot défriché est devenu une belle propriété ; une demeure confortable a remplacé la Imite de troncs de sapins, l'aisance règne au loyer et le pauvre squater est devenu un riche propriétaire. Ainsi se colonise peu à peu par des Canadiens-Français cette riche vallée de l'Ottawa. Nos compatriotes gagnent incessamment du terrain, augmentent en proportion beaucoup plus considérable que leurs rivaux et, à la longue, ceux-ci cèdent, avec la place, l'influence sociale et politique.
L'tè LUS I'nANÇAJS KN AîlKlUOl'K
« L'Anglais se sent mal a l'aise dans le Voisinage de colons étrangers ; il inet sa terre en vente et cherche un asile où les french langitage and ciistoms (les cou* tûmes et le langage français] no viennent point blesser son oreille et froisser ses sentiments. C'est ainsi que, malgré leur énorme émigration vers les manufactures de la JXouvelle-Aiigléterre (il y a quatre cent mille Canadiens aux Klats-Unis) et les prairies de l'Ouest, les Français du Canada rèconquièronf pied a pied les territoires dont la fortuné des armes semblait avoir irrévocablement dépossédé leur race (t). »
(1) H, de Lçmiothe, déjà cité.
CIIAPITim IX
La Grande Terre do solitude,-— La Compag-tuo do la baie d'IIudsbii, -^ Do la Verendryo, — La Compagnie du Nord^Qiiost, >— Le combat dos Sept-Ohénes. — La çliansou do Pierre Faîcon.— Réyôlte des méti«, — Louis Biol ofc Guillaume le Morfondu, — Annexion du Nord-Ouest au Canada. —i Los derniers événements, — Mort de Lotus Riol,
Longtemps inaccessible h tout autre qu'aux coureurs des bois, aux trappeurs et aux chasseurs canadiens, le grand Nord-Ouest est maintenant ouvert à tous, colonisé et habité par un grand nombre de CanadiensFrançais,
Le capitaine Butler donna le nom de <x Grent Loue Land », Grande Terre de solitude, à l'immense lerriloire que traversent la rivière Rouge et le Sascatchewan avant do se jeter dans le lac Winnipeg, et la rivière Nelson, qui porte ses eaux dans la baie d'ITudson. Plus au nord-ouest encore, s'étend la vaste région arrosée par les rivières Peace et Mackensie ; il l'appelle la « Wild northland, »la terre sauvage du nord. Ces doux contrées forment le Nord-Ouest canadien.
Charles II, roi d'Angleterre, concéda au prince Uupert
V,i\ LF-S rUANÇAlS BX AMÉIUQIW,
et à ses associés, appelés « gouverneur et compagnie d'aventuriers anglais trafiquant dans la baie d'Hudson, » des territoires considérables el sans limites définies, aux conditions suivantes; « Il sera remis au roi deux cerfs et deux castors noirs chaque fois et aussi souvent que nous, nos héritiers el successeurs, pénétrerons dans lesdites contrées, territoires et pays concédés, »
Le roi d'Angleterre , quoiqu'il n'ait pu leur fixer de limites, réclamait ces solitudes, sous prétexte que Sébastien Cabot, grand pilote d'Henry Yïlt, avait le premier découvert la baie d'Hudson ; que Martin Frobisher et le capitaine Davis avaient croisé dans ces parages, et que Henry lludson <« avait pris possession de ces territoires au nom du roi d'Angleterre, trafiqué avec les sauvages el donné dos noms anglais aux caps, aux baies, aux côtes'jusqu'alors innommées. »
Pendant que, se basant sur ces arguments, le roi d'Angleterre réclamait la possession de ces contrées, le roi de France les revendiquait, du Saint-Laurent au pôle nord, par suite de son occupation du Canada. Considérant les Anglais établis sur les bords de la baie d'Hudson comme des intrus, les Canadiens les attaquèrent,'détruisant les 'forts et les factoreries fondés par la Compagnie pour le commerce avec les Indiens.
Le traité d'Utrecht remit tous ces postes aux mains de l'Angleterre, qui en reprit possession; mais les agents do la Compagnie ne tentèrent pas de pénétrer dans l'intérieur ; ils restèrent près des rivières Albany, Nelson et Churchill, et sur les rives glacées des baies de Saint-James et d'Hudson. Le véritable explorateur
I.I-; CANADA !'{;>
de la région de ta rivière ilouge et du Saseatehewan fut le brave de la Vereudrye, seul, sans le secours de son pays ou d'une Compagnie.
Pierre Gaultier do Vareunes , sieur de la YcrenITn
YcrenITn indien sur les ri vus du Pacifique.
drye , esl une de ces grandes et nobles ligures qui méritent d'être mises en lumière et (le figurer parmi les plus glorieuses sur le livre d'or du Canada. Il combattit à Malplaquet et , selon le témoignage du maréchal de Contades , « au milieu de ses compagnons qui liront des merveilles de bravoure , sa valeur brilla d'un éclat
131) I-HS J'UANÇAIS KN AMftiugrii
incontesté. » Laissé pour mort sur le champ de bataille où la France éprouva une glorieuse défaite, il guérit de ses neuf blessures et reçut une lieutenance. Attiré comme tant d'autres à cette époque par l'amour des découvertes, il partit pour le Canada, où il obtint le commandement d'un poste au nord du lac Supérieur. Los Indiens qui venaient trafiquer avec ses hommes lui parlèrent d'une rivière qui coulait vers l'ouest. ; il s'imagina que ce devait être la rivière du Couchant, si longtemps cherchée, el qu'en suivant ses bords il atteindrait ce grand Océan de l'ouest, au delà duquel est la (mine,
La Verendrye lit part de son projet d'exploration au gouverneur ; mais la France appauvrie ne put lui donner d'argent, mémo pour cette entreprise qui devait soulever le voile de ce grand inconnu. 11 résolut d'agir seul , avec ses propres forces.
11 avait quatre, fils et un neveu aussi braves , aussi ardents, aussi dévoués «pie lui ; ils avaient construit des forts sur le lac de la Pluie et sur le lac dos Rois, — cette admirable nappe d'eau qui marque le point de séparation entre les roches escarpées des Laurontides, à l'est, et les immenses plaines d'alluvions fertiles qui s'étendent à l'ouest , jusqu'au pied des montagnes Rocheuses. De ce point ils s'avancèrent jusqu'au Winnipeg , le long do la rivière Rouge et de l'A ssiniboine, créant des forts et trafiquant avec les indigènes de celte vaste région. Leurs bénéfices étaient consacrés à pousser plus loin leurs explorations,
Leur but était de porter la domination et le commerce de la France jusqu'aux rives du grand Océan. Inspirés
M; CANADA j;{7
par leur vaillant chef, ils supportèrent, des privations et affrontèrent des dangers que peuvent seuls apprécier ceux qui connaissent le climat el les étendues dit ■'■grand Nord-Ouest. Mais tous les cinq étaient des braves commandés par un héros.
La Verendrye leur avait communiqué son zèle et son ardeur. 11 leur apprenait à faire des caries pondant ta nui relie ; il établissait des luises d'opération, faisait des traités de paix avec les peuplades indiennes, ouvrait des roules, soutenait le courage des engages et surveillait la marche de l'entreprise.
Lu de ses fils, à la tète d'un parti de vingt hommes , fut massacré par les Sioux dans une ile du lac des Rois ; le jour même où La Verendrye recevait cette fatale nouvelle, il apprenait aussi la mort de son neveu, son plus sur et plus intelligent auxiliaire. Mais le découragement n'avait pas de prise sur cette nature énergique ; il fit partir ses autres fils pour une expédition plus lointaine et plus périlleuse encore. Ils atteignirent , au sud-ouest , le Missouri et ses nombreux tributaires, jusqu'au pays dès Indiens-Mandan ; accompagnés de deux autres Français, les deux fils aînés de La Verendrye gagnèrent les montagnes Rocheuses par la rivière. Yellow-Slone et arrivèrent ainsi à ce pays dont la découverte rendit fameux , dans toute l'Amérique, Lewis et Clark qui, les premiers, y plantèrent leur drapeau au commencement du xix° siècle, à la tète d'une troupe do soldats des Clals-Unis. Ils avaient atteint ces montagnes Rocheuses; devant eux se dressaient leurs sommets neigeux, du haut desquels ils allaient enfin voir le grand Océan de l'Ouest ; an moment
L'18 LUS FRANÇAIS KN AMI':UIQI:K
de toucher au but, leurs alliés indiens les abandonnèrent, et ils durent revenir sur leurs pas. Toujours poursuivis par le désir de résoudre le problème, ils se dirigèrent au nord-ouest, jusqu'au Sascatehowanelà l'Athabasca.
Pendant que La Verendrye et ses fils sacrifiaient leur vie dans ces solitudes pour la gloire de la France et l'extension de la colonie, des ennemis les desservaient à, Québec ; ils prétendaient que le seul but des La Verendrye était de s'enrichir dans le commerce des fourrures,, et traitaient de fables les récils de leurs voyages el de leurs découvertes. Las de sacrifier sa fortune el la vie de ses cnfanls, brisé par la maladie, poursuivi par des créanciers impitoyables. La Verendrye revint à Québec et remit ses pouvoirs aux mains du gouverneur. Sa. pauvreté et l'insuccès de ceux qui tentèrent de l'imiter imposèrent silence à ses ennemis. Le ministère demeura convaincu « que les explorations coulaient plus cher et imposaient plus de fatigues et de dangers que la guerre ; » mais, comme on allait rendre justice au vieux héros, comme lui-même se préparait à continuer l'entreprise à laquelle il avait consacré sa vie , la mort vint le surprendre ; elle enlevait h la Nouvelle-France le dernier de ses exploraleurs, digne, par son courage, défigurera côté de Champlain et de La Salle. Onze ans après sa mort (17o2),le Canada n'appartenait plus à la France,
Pendant longtemps, après l'occupation du Canada par l'Angleterre , ces régions éloignées furent oubliées : lu plupart des postes furent abandonnés par leurs chefs, el d'aventureux coureurs des bois prirent la place de l'organisation régulière établie par La Verendrye ; mais le
LU CANADA
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commerce était trop tentant pour rester longtemps dans de telles mains...'; il fut repris par la Compagnie du NordOuest.
Fondée par des Canadiens, cette Compagnie poussa le commerce et les découvertes avec une vigueur incroyable ;
thï îiioîiutuiîht iiîititi'oî fku' là riVitgb do l'CJoétih Paeilir(uc.
ses voyageurs se répandirent sur la moitié du nord du continent, du Minnesota à l'Orégon, du lac Supérieur au Sascalchcwan, ail nord jusqu'à l'océan AreliqUo, au UordOuesl jusqu'à rAlasku*
Pendant tout ce temps, la Compagnie de la baie d'Hudsoii concentrait ses opérations dans leurslîmiles anciennes, près de la côte; Mais le succès de la nouvelle Compagnie engagea ses agents às'uVaUcordans l'intérieur; se basant sur la charte délivrée àRupeiî, elle réclama tout le Nord-
1 \() LRS I-IIANÇAIS EN AMtèlUQL'IÎ
Ouest et alla môme jusqu'à traiter les gens de la Compagnie rivale en braconniers ; durant deux années, les deux compétiteurs restèrent en lutte ouverte, en apparence dans l'intérêt des indigènes ; mais, au fond, à leur plus grand déI riment.
Les deux rivaux les recherchaient sur les lacs et sur les bords des rivières ; créaient dos postes pour être à leur portée ; les engageaient et au besoin les forçaient à ne pas porter leurs fourrures à la Compagnie rivale; leur donnaient le prix qu'ils demandaient et, ce qui leur plaisait davantage, lespayaienlcn rhum. Les Compagnies armèrent leurs voyageurs et leurs agents, et bien souvent les querelles se vidèrent les armes à la main, dans des endroits où la justice n'avait pas de pouvoir.
C'est pendant cette période que fut livré le combat des Sept-Chcms, le 19 juin 1810, dans lequel le gouverneur Somplc fut tuéj avec une dizaine d'hommes de su troupe, par les Rois-Rrûlés français.
Celle « bataille » est restée populaire parmi les métis français du Nord-Ouest, et voici la ballade que chaulent encore les descendants des acteurs de ce drame, sur les canots et dans les expéditions de chasse, de la rivière Rouge aux montagnes Hocheuses :
Voulc!ï«vous écouter ohnnier
Une chanson do vérité ?
Le dix-neuf juin les Bois-Urûlés sont arrivés
Comme dos bravos guerriers.
Un arrivant à la grenouillère, Nous avons fuit trois prisonniers t Des Orojiinits ! ils sont ici Pour piller notre pays.
LIS CANADA lit
l*jtant sur le point de débarquer,
Deux de nos gens se sont écrié :
«f Voilà l'Anglais qui vient nous altucpier ! »
Tous aussitôt nous nous sommes dévircs
Pour aller les rencontrer.
J'avons cerné la bande de grenadiers,
Ils sont immobiles ! Ils sont démontés !
J'avons agi comme des gens d'honneur.
Nous envoyâmes un ambassadeur :
« Gouverneur, voulez-vous arrêter
Un petit moment, nous voulons vous parler, »
Le gouverneur qui est un enragé, 11 dit à ses soldats : ce Tire/. ! » Le premier coup l'Anglais le tire. L'ambassadeur a presque manqué d'être tué. Le gouverneur, se croyant l'empereur, A son malheur agit avec trop de rigueur.
Ayant vu passer les Bois-Urûlés, Il est parti pour nous épouvanter : Étant parti pour nous épouvanter, Il s'est trompé ; il s'est bien fait tuer Quantité do ses grenadiers.
.l'avons tué presque toute son armée ;
De la bande quatre ou cinq se sont sauvés.
SI vous aviez vu les Anglais
Ut tous les Bois-Brûlés après;
De butte en butte les Anglais culbutaient.
Les Bois-Brûlés jetaient des cris de jouiiic !
Qui en a composé la chanson ?
C'est Pierre Falcon, le bon garçon !
l'ille a été faite et composée
Sur la victoire que nous avons gagnée !
l'Jlle a été faite et composée :
Chantons la gloire do tous ces Bois-Brûlés !
N'est-il pas remarquable que ht langue française ait pu se conserver à ce point parmi ces populations de chasseurs nomades?
-142 LES FRANÇAIS KN AMIÏIUyrjK
Le début, qui menaçait de se prolonger indélinimenL, aurait certainement amené la destruction: dès Indiens et la ruiné des deux Compagnies, lorsqu'on 1821 , elles se fondirent en une seule : la Compagnie de la baie d'Hudson. A l'époque delà fusion, la .'Compagnie anglaise avait trente-six stations, la Compagnie canadienne en avait quatre-vingt-dix-sept, preuve irréfutable de la façon dont la dernière avait conduit ses affaires. La Compagnie de la baie d'Hudson devint alors le seul représentant de la civilisation sur la moitié du continent et la seule souveraine aussi.
Au point de vue commercial et aU point de vue de l'organisation, celte association était fort remarquable. Elle donnait de magnifiques dividendes à ses actionnaires et payait largement les Indiens» Une discipline et une hiérarchie admirables» un esprit de corps pariait régnaient entrc*scs trois mille officiers, voyageurs ou servants, tels qu'ils existent dans bien peu de régiments.
Mais la Compagnie voulait conserver lés plaines de la rivière Rouge et de la Sàscaléhowun comme une réserve pour ses animaux à fourrure ; dans ce but, elle défendait à ses agents de révéler la fertilité de cette contrée; les étrangers n'élaieiit pas admis à in parcourir ; ils répandirent sur les stations éloignées les bruits lés moins engageants : ils disaient que, pendant des mois entiers, le mercure restait à l'élut solide dans le thermomètre ; que lés arbres étaient durcis par la gelée, ait point que la hache se brisait comme verre contre leur éeorce; qtic là terre était gelée si profondément que les étés les plus chauds avaient peine à amollir sa surface»
Ltî CANADA | 43
En J8o7, une commission du Parlement, chargée d'étudier cette question, ne put se procurer de renseignements certains. Appelé comme témoin, sir Georges Simpson donna dès informations désavantageuses sur le pays; mais un membre do la commission lui lit alors observer que dans un ouvrage qu'il avait écrit, sous le titre : « Un Voyage autour du monde, » il avait donné une .description toute différente de la rivière des Pluies. Sir Georges Simpson était tout confus; il déclara que les beautés du site étaient exagérées et, à part lui.il dut regrctlcr amèrement d'avoir cédé au désir d'écrire Un livre.
En 1809, le Canada acquit, pour la somme do sept millions cinq cent mille francs, les droits territoriaux de la Compagnie, qui de ce jour cessa d'être un monopole et une puissance*
A celte époque, la rivière Rouge, appelée ofticiellenlent colonie d'Asslniboino, comptait à peu près onze mille habitants, dont la moitié étaient, des inélis français ou Rois-Brûlés, nés des alliances des coureurs des bois avec les indigènes de diverses tribus indiennes» Presque lous les Français vivaient entre Pembina et Fort-Garry, sur les deux rives de là rivière Rouge, dans les paroisses de Sàinle-Agathe, Saint-Norbert, Saint-Vital et S>ainb-Roniface, et aussi sur l'Assihibdino ; aussitôt après l'achat parle Canada, ces territoires prirent le nom de province de Manitoba. A peine l'arrangement conclu avec la Compagnie de lu baie dilutlsoli était nolilié, qu'une armée d'urponleurs se répandait dans la colonie et désignait l'emplacement des itilurs settlements * envoyés par la législature anglaise du haut Canada, sans tenir compte
144 LUS FRANÇAIS KN' AMÉlllQt'.fî
dès propriétés que les Rois-Brûlés possédaient de temps immémorial.
Une inquiétude sourde d'abord, bruyante ensuite, se manifesta dans le pays. l)es conciliabules furent tenus, dans lesquels Louis Riel, jeune métis de 26 ans, élève du collège de Montréal, ne tarda pas à se faire remarquer.
En 1809, la nouvelle se répandit que M* William MaçDougall était nommé gouverneur do la province; aussitôt, les métis se décidèrent à résister, môme par la force; à toute tentative de changement ; ils se constituèrent en comité national. Un Rois-Brûlé écossais, .îohii Bruce, fut nommé président et Louis Riel secrétaire. Le premier acte de ce gouvernement provisoire fut d'envoyer au-devant de Mac-Dougall tin messager qui remit au nouveau gouverneur une protestation rédigée eh français, lui faisant défense de pénétrer sur le territoire du nord-ouest sans une autorisation du comllê. Mac-Dougall dut passer l'hiver dans une maison de bois qu'il lit élever à la halo à Penibina,et; dans des conditions tellement pou favorables, qu'il fut surnommé : << llio fro/on William, Guiilàuinc le Morfondu. »
'Cependant, les Canadiens-Anglais, espérant trouver leur bénéfice dans la nouvelle réparlitioii des terres, essayaient de soulever tous les habitants de langue anglaise contre les métis français ; ceux-ci, pour prévenir une attaque, occupèrent le fort Garry, Dans une première échauffouréo, les Anglais furent battus et le docteur Sehultz fait prisonhiei'i C'est alors que Màc-Dôugalt se laissa entraîner à un acte qui lui attira plus lard le plus humiliant désaveu; il sollicita contre lés métis français, sujets britanniques,
LE CANADA | 4o
le concours des Sioux, la plus féroce des tribus indiennes.
Eii présence de cette situation, le comité national se déclara gouvernement provisoire, et Louis Riel. fut élu président , avec un Irlandais, O'Dondhue, pour premier minisire,-et un métis, A.mbroisc Léplne, pour adjudant général. Ce gouvernement prit pour drapeau le drapeau blanc fleurdelisé, au milieu duquel se détachait la harpe d'Irlande.
Le gouverneinent canadien . à la nouvelle de ces faits, ■réprimanda vertement 'Mae-Dougatl. et envoya des délégués pour traiter avec les métis de l'entrée de la province de 'M a ni loba dans la confédération, en proniollanf à ceux-ci la reconnaissance de tous leurs droits.
Tout allait être arrangé, quand, le docteur Scluillz, qui Vêlait évadé de prison, attaqua de nouveau avec quatre ou cinq cents hommes les métis français ; son avant-garde fut défaite par Lépine à la tête de trente cavaliers. Les prisonniers faits furent enfermés au fort Garry ; un seul fut condamné par le gouverneinent provisoire el exécuté, un iipnimé Scott, (pli avait plusieurs fois frappé les hommes commis à sa gardé.
A lin cloïKicilior la nouvelle province, sir Garuett Wolseloy fut envoyé avec des troupes ; à son arrivée, les métis se soum relit.
Conïuie les autres provinces du Canada, celle de Manitoba reçut un lieutehant-gouveruour, des ministres responsables, et nomma deux chambrés, l'une élective el l'attire à vie.
140 LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
A partir de ce moment, la tranquillité de la province ne fut plus troublée que dans ces derniers temps par l'émeute soulevée par Louis Riel, et qui se termina par sa condamnation à mort et son exécution. =•
Nous n'avons pas l'intention de soutenir Louis Riel ; si, en 1809-1870, il a su faire respecter l'indépendance des métis français et les défendre contre les vexations des Anglais, il a eu tort assurément de continuer son opposition au gouvernement canadien, puisque les mélis jouissent des mêmes prérogatives que les autres sujets britanniques ; néanmoins , son exécution n'était pas nécessaire, et le gouvernement anglais a versé inutilement le sang d'un Français.
Depuis plusieurs années, Riel n'avait plus toute sa raison ; il se figurait qu'il était appelé à jouer non seulement un rôle politique, mais aussi un rôle religieux ; volontiers il se prenait pour un réformateur, pour un prophète envoyé par Dieu pour réformer la religion qui, selon lui, a besoin d'être modiliée tous les trois cents ans, 11 prit le nom iVExovide et son conseil s'appela YEoeomdat. On aurait dû renfermer, parce que, grâce à l'influence qu'il avait su prendre sur les populations, il était dangereux et pouvait troubler la paix publique ; mais le tuer, non.
Malheureusement pour lui, Riel, par son apostasie, s'était fait des ennemis de tout le clergé canadien, et il a eu contre lui ceux qui auraient dfi le défendre et intercéder pour le pauvre insensé. Au bruit du soulèvement des métis, des Indiens campés dans le voisinage ont allaquê les établissements, massacré quelques hommes,
LE CANADA 147
^et parmi eux deux missionnaires ; ces deux martyrs, joints à l'apostasie de Riel, étaient plus que suffisants pour assurer sa condamnation cl son exécution.
Depuis 1870, Riel habitait aux Etals-Unis, dans l'Etat do Missouri, où il remplissait les modestes fonctions d'instituteur ; c'est là que des agitateurs, mécontents du gouvernement canadien, sont venus le chercher pour le mettre à la tôle du mouvement. Riel s'est laissé entraîner ; peut-être ce pauvre esprit faible, ce pauvre cerveau brisé par ses luttes do 1870, par son exil, par la situation plus que modeste où il vivait, a-t-il pris son rôle au sérieux el pensé qu'il était appelé à proclamer l'indépendance de ses frères BoisBrùlôs français ?
Quoi qu'il en soit, il de faut pas oublier que c'est à Louis Riel que les métis français doivent leur situation et la liberté dont ils jouissent au Canada»
Campement din&ïens sur:TAssîniboine.
CllAPltRiCX.
Winnipeg'.—- IJÔ (Jauadien-Pacilicpic. — Los métis. — Le bison. — Chasseurs et trappeurs, — Le Wolvorino. ^— Là traite des pelleteries. — Los ttidieiiM.—- La Colombie anglaise. —Les rivés du Pacifique.
A l'époque de l'enlrée du Maniloba dans la confédération, Winnipog, la capitule du Maniloba, située au confluent de la rivière Rouge el de l'Assiniboine, n'était qu'une misérable bourgade comptant deux cent cinquante habitants h peine, un fortin, quelques maisons de bois el des wigwams indiens.
Quinze ans se sont écoulés, et, à l'endroit même où l'Indien fumait Irauquillemcnl son caluinel, s'élève aujourd'hui une ville de plus de quarante mille habitants, couvrant une superficie de vingt kilomètres carrés, et sa population tend à augmenter tous les jours. Elle a jeté des ponts et lancé des bateaux à vapeur sur les grandes rivières qui l'entourent. De nombreux édifiées, des magasins somptueux» des Ihéàlros» des banques surgissent du sol comme par enchantement, et dans Télé de 1882 seulement, t..'108 maisons ont été construites*
loO LUS FRANÇAIS IÎN ÀMWHlOUli
Mais ce n'est pas seulement Winnipeg, c'est Brandon» Emerson, Regina, Edmonfou, pour ne citer que les plus importantes ; les bords des rivières se couvrent de villages, de formes, d'exploitations agricoles^ et partout on retrouve les Canadiens-Français venant s'établir de préférence dans les campagnes, el formant déjà une population compactédo \)lns de dou&e mille dmes*
Ce développement incroyable est du à la création du chemin de fer du Cauadièh-i'aciiiqUè, destiné à relier les deux Océans, à joindre la Colombie britannique à la province de Québec.
Le seul reproche que les étrangers puissent faire à cette région, c'est le climat ; l'hiver, la neige tombe en .abondance au point d'inlorecpièr là voie du chemin defer ; et quand se produit le phénomène appelé Cliasse-neigçt, quand, poussée par lèvent du nord, la neige arrêtée par un obstacle s'entasse en monticules de plusieurs mètres d'épaisseur, le train est quelquefois retenu longtemps prisonnier. L'été, les chaleurs sont excessives dans ce grand désert où les arbres sont rares et où rieli ne vient apporter uiipctt d'ombre.
Pour retrouver le vrai Canadien-Français , l'habitant, il faut s'éloigner du tracé du chenu ii de fer et suivre le cours des rivières» Le métis français, au contraire, est un pou au nord, dans de petits villages, loin des villes, dû il peut s'ttdbhiier à la chassé et à là pèche, ses plaisirs et ses travaux favoris. Là, il a conservé ses coutumes, sa vie simple et primiliVOj sou adressé, son habileté, sa vigueur. Rien n'est curieux eoniùio le métis voyageant dans sa charrette traînée par un boeuf; c'est
LE CANADA
15L
que ce véhicule est merveilleusement approprié a la nature et aux accidents du terrain qu'il doit traverser.
La caisse de la charrette est très petite, et posée sur des roues hautes de six à sept pieds, sans un pouce de
Le C'àtiàdteii-I.*jiciiîqùo pïès Whliiipeg,
fer. Ce mode de construction leur permet de traverser la prairie couverte de hautes herbes, ou les terrains marécageux dans lesquels le léger chariot ne saurait couler profondément.
Avec ce genre de voilure , les rivières ne sont pas un obstacle : les doux roues sont démoulées et mises dans la voiture; le lotit est placé sur une peau de buffle el. la charrette est changée en bateau que halo lebteuf misa la nage el attaché à l'esquif.
Du reste , la peau du bison est mise à chaque instant en réquisition; elle fournil le cuir et le vêlement; coupée en minces lanières, elle remplace la corde, les clous, la
l'të
Lies riiAMjAis I:N AMiïiuyri-:
colle : par le mol provision , dans le nord-ouest, on entend peiumiean , c'est-à-dire viande de bison bouillie , sécliée . e| conservée ; les meilleures lentes sont faites de peau de bisou : c'est dans h» cuir de col animal qu'on
Train nn'Citû dans les iietees,
taille les .vêtements les plus '.solides ; une peau de bisou tient plus chaud «pie la plus chaude ■.couverture» La chasse dit bison est la grande distraction de l'Indien, qui ne comprend pas un pays sans bisons ; aussi, pour s'expliquer pourquoi nous quittons nos pays si riches, nos villes luxueuses, nos maisons confortables pour venir chez eux, les Indiens ne trouvenl qu'une bonne raison: «dans leur pays, ces gens ivoiit pas dé bisons. »
Sans être aussi exclusif dans ses occupations , le métis est uh fanatique de chassé ; c'est un « voyageur » par excellence, un tràppéiir éniéritè et un pécheur non moins habile. L'hiver, quand la iieige recouvre la terre ,
l.i-; r.ANÂUA
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il va dans les grands bois du .Nord tendre ses pièges et ses trappes pour prendre des renards de foules couleurs, jaune, blanc, noir croisé, argenté; des lynx, des martres, des visons, des loutres, des loups blancs, gris et noirs,
Moiis traversant; la riviùrè Koiïge.
dos gloutons ou carcajous. Ce dernier animal est l'cimenti juré du trappeur.
Souvent le chasseur, se tramant à genoux sur la, neige jusqu'à ses pièges, les trouve renversés cl l'appât mangé, ou bien détendus, et l'animal qui s'y était pris
lîi-i I.I:S IIUNÇAIS v,s AMftutgrK
enlevé; c'est le earcojou ou wolverine qui a commis ee méfait, On no saurait croire rhabileté de ce maraudeur, el l'on nous taxerait do,.,,, chasseur, si nous disions avec quelle intelligence surprenante le wolverine s'at* lâche aux pas du Irappeur, le guette londre ses pièges el, aussitôt l'homme parli , enlève délicatement l'amorce sans jamais se prendre; c'esl à un loi point que, quand un trappeur a reconnu des traces de carcajou, il quitte la contrée et va tendre ses pièges ailleurs.
MM. Milton el Cheadle, qui ont longtemps chassé dans celle région, imaginèrent un jour d'introduire avec nu tuyau de plume de la strychnine dans les morceaux de viande qui devaient servir d'appuis. Lorsqu'ils vinrent le lendemain pour visiter leurs pièges, ils s'aperçurent que tous les morceaux empoisonnés avaient été laissés de côté par le glouton.
Les métis vont avec les Indiens dans les forts et factoreries de la Compagnie de la baie d'Hudson pour vendre le produit de leurs chasses. Il est difficile do préciser le prix des fourrures, parce que le tarif change d'un forl h l'autre ; l'unité monétaire est la peau de castor, que les Anglais appellent made-beaver. el les Canadiens-Français pelu ou peluche, ce qui veut dire : peau garnie de son poil, polisson. Col étalon-monnaie peut être considéré comme notre franc, mais sa valeur n'est pas immuable ; généralement, il représente deux shellings, ou 2 fr. oO.
Plus on s'éloigne de Winnipog, en se dirigeant à l'ouest vers les montagnes Rocheuses, plus le pays devient accidenté, et beau : la. dans ces régions à peine
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fréquentées par tes Européens, on retrouve aussi les tribus indiennes ; la plupart, cependant, mil suivi les
Pbiifc indlend'iiis IeNbl-d-pucst.
troupeaux de bisons qui ont fui devant la civilisation ; ils ont été s'établir sur les contreforts des montagnes Rocheuses, où ont remonté au nord.
ll>(> MIS NUANÇAIS KN AMIvlUylilv
En parcourant cette région, on trouve les restes de ces Itères peuplades, Stoux, Pieds-Noirs, Pannies. Eris, maintenant réduits à un petit .nombre, décimés et abrutis par le rhum el Veau de feu que la Compagnie de la baie d'Hudson leur donne en échange de leurs fourrures. Réfraclaires à-l'agriculture .les Indiens préfèrent s'adonner' à la chasse ou à ta pèche, ou même servir comme canotiers ou porteurs dans la Compagnie do la baie d'Hudson, quede cultiver te sol fertile (le leurs territoires ; seuls, ceux que les .■missionnaires ont convertis à la religion chrétienne commencent à cultiver quelques pièces do terre.
Au delà des montagnes Rocheuses, entre celte chaîne et l'océan Pacifique, s'étend la Colombie anglaisé. Longtemps cette vaste province lit partie du territoire de la Compagnie do la baie d'Hudson. La'.découverte de l'or, en 1858, attira sur les bords de la rivière Fraser des emigranlsde tous les pays ; en 1871, la Colombie britannique entra dans la Dominion^^
C'est la province qui possède le plus petit nombre de Canad iéns-Français : un millier tont au plus. Quoique son sol soit excessivement fertile, il est relativement peu cultivé^ à cause de la situation même de la province, à l'autre extrémité du continent américain.
Mais il est probable que, quand le Canadien-Pacifique aura diminué les distances, les Canadiens-Français, suivant le mouvement qui les porte vers l'ouest, étendront l'influence française dans ces régions habitées maintenant par les Anglais en majorité ; peu à peu, comme ils le font dans la vallée de l'Ottawa, dans lé Manitoba, dans
I.K CANAUA J;»7
le Nord-Ouest, ils s'avanceront cultivant les terres, changea ni on plaines fertiles tes forets impénétrables el les déserts arides; partis des bords do l'Atlantique, ils formeront jusqn'uux rivages de l'océan Paoilique une population forte et unie, française de cieur, de nueurs el de langue; leur nombre, nous voulons l'espérer, sera grossi encore par les Français de France qui iront làbus rejoindre leurs frères el travailler avec eux à établir l'influence française à travers le continent nord américain.
Déjà, depuis la création de Winnipeg, les CanadiensFrançais émigrés aux Etals-Unis reviennent au Canada el vont s'établir dans le Maniloba el dans le Nord-0 uest ; bienlotj là comme sur les bords du Saint-Laurent, ils seront en majorité, ces terres fertiles seront cuit ivées par eux, el le grand Nord Ouest sera relié à la Chine et à l'cxtrème-Orient par un cordon de CanadiensFrançais.
L ÀG^DIE
CHAPITRE PREMIER
Découverte doTAcadte, — Les capitaines de sauvages. — Le baron de Saint-Castin. --Prise de Port-Royal. — 1755. - Expulsion des Acadiens. —Cruauté dos colons anglais. — Longt'ellow,
Les premiers Français qui s'établirent en Acadie furent un singulier mélange de matelots et de pécheurs hivernants, de traitants aventuriers, d'artisans et même de cultivateurs, amenés successivement par les hommes entreprenants qui présidèrent à la fondation de cette colonie, et les coureurs de fortune qui, à diverses reprises, y tentèrent la chance d'un nouvel établissement,
En lb04, M. de Monts vint s'établir dans la presqu'île appelée aujourd'hui Nouvelle-Ecosse, et qui portait alors le nom d'Acadie ; il y créa Port-Royal, dans la baie de Fundy; deux ans après, M. de Pôulrincourl y amena des colons, principalement des agriculteurs. Malheureusement, les côtes do l'Acadie étaient voisines de la Nouvelle-Angleterre et, à peine créée, notre nouvelle
•HiO i.i'.s riiA\i.:.\is r:x wmiugn:
colonie eut à subir les vexations des Anglais qui ont rempli sa courte histoire,
Dès 10CI, sous un prétexte fulile, le capitaine Argall s'emparait de Porl-Royal et le détruisait, ruinant ainsi tes malheureux colons, Les habitants qui s'étaient réfugiés dans les bois eurent bientôt reconstruit leurs maisons de troncs d'arbres ; mais à la suite de celle invasion el durant un demi-siècle ci» malheureux pays resta en proie aux attaques continuelles des Anglais el aux luîtes qui s'élevaienl entre les possesseurs de liefs. Au début. i'Acadie était soumise au système féodal : en l(i.'J2, elle fut divisée en trois seigneuries, dont les premiers titulaires étaient Razilly, Charles de Saint-Etienne, chevalier de La Tour , el .Nicolas Denys. Peu de temps après, Razilly mourut el fut remplace par d'Aulnay de Chamisay. Ces seigneurs étaient en désaccord constant pour la délimilation de leurs frontières et souvent ils en venaient aux mains. Une des luttes les plus sanglantes fut celle de Chaniisay et de La Tour.
Celui-ci ayant quitté un instant ses domaines, Chamisay vint met Ire le siège devant le château de L'a Tour, où se trouvait seule Mu!e de La Tour, avec quelques serviteurs ; la courageuse châtelaine repoussa l'attaque de Chamisay et le força à lever le siège.
Peu de temps après , il revint à la charge et s'empara du château, après une lutte de plusieurs jours. Honteux d'avoir été tenu en échec par une femme'et quelques' paysans, il condamna toute la garnison à être pendue et força l'héroïque châtelaine à assister à l'exécution , les mains liées derrière le dos, la cordeau cou.
I.'ACAIUI: IIH
Les fatigues du siège», jointes aux émolionsel à la douleur de voir ses serviteurs livrés au supplice , la liront tomber dans un tel état de langueur qu'elle mourut peu de temps
après.
Privé de son domaine, M. de La Tour erra longtemps dans l'Amérique septentrionale. Ayant appris la mort de M, de Chamisay, il revint en Acadie et épousa sa veuve pour rentrer en possession de ses biens el acquérir ceux de sou ancien rival.
Ce n'est guère que de. 1667, lorsqu'au retour (les Stuarts en Angleterre l'Acadie nous fut rendue, que datent rétablissement sérieux et les progrès suivis de l'Acadie. En 1671 , le gouverneur, M. de (Irandfontaino. fil exécuter un recensement; il ne se trouvait que quatre cents habitants dans toute la presqu'île acadienne.
Cette population, presque entièrement abandonnée à ses propres ressources, durant quatre-vingts ans ne reçut, que deux cents émigrants de France ; elle s'accoutuma de bonne heure à se suffire à elle-même , el montra , tant dans ses établissements agricoles que dans ses opérations militaires , un esprit d'entreprise et d'initiative tout particulier. Toujours en guerre avec les Anglais , les Acadiens prirent promptoment l'habitude de relancer l'ennemi jusque chez lui , las qu'ils étaient de voir sans cesse dévaster leurs terres et leurs récoltes. De concert avec les Abenakis, leurs alliés, ils couraient sus à l'Anglais sur mer comme sur terre, et rapportaient souvent de leurs expéditions un riche butin.
« L'un dos chefs les plus notables de ces capitaines de sauvages, comme on les appelait alors, fut un avenI.ES
avenI.ES EN AMÉRIQUE. 11
162 I,I:S i-'iiANCAis I;N AMI;:IU<,U-K
turier béarnais, le baron do Saint-Castin, type fortement accentué des colons aventuriers que la France jetait alors sur tous les points du globe. Ancien capitaine au régiment de Carignan, qui venait d'être licencié au Canada après la guerre des Iroquois, l'existence do colon militaire once pays lui avait paru sans doute trop vulgaire el trop fade ; il était venu s'installer dans les rochers abrupts oîi demeuraient lesAbenakis,
« Rruve, vigoureux, admit à tous tes exercices du corps, doué d'un esprit d'entreprise et de ressource, il devint en peu de temps l'idole de ses hôtes sauvages. Sa réputation s'étendit dans toutes les montagnes, et il épousa la tille d'un chef (1). »
A son appel, toutes les tribus de l'Acadie et des frontières de la Nouvelle-Angleterre déterraient la hache de guerre, et venaient se ranger sous la bannière do SaintCastin. Il vivait dans son petit fort de Pentagoët, à la manière des barons du moyen âge, entouré d'une cour d'aventuriers français qui avaient attaché leur fortune à la sienne.
Il -retarda de trente ans l'installation des Anglais sur ces rivages, et les chroniques puritaines de l'époque sont pleines des hauts faits du Béarnais et de malédictions lancées contre lui.
Vers 1708, Saint-Castin retourna en France pour recueillir un héritage, laissant sa tribu et son fort sous les ordres de son lils aîné. Celui-ci se montra le digne successeur de son père : bien après la cession de l'Acadie à
(1) Rameaux, La France aux Colonies.
I. ACAMK 163
l'Angleterre, il continuait sa guerre de partisan, faisant de fréquentes incursions sur InTorriloire anglais, Vn jour, cependant, il tomba dans une embuscade et fut pris par les Anglo-Américains. On ne sait comment il parvint à s'évader el à regagner la France; toujours est-il qu'il y arriva fort h propos pour recueillir l'hérilage paternel.
Il y a tout lieu de supposer que l'humour vagabonde, du baron de Saint-Castin ne put s'accommoder de la vie tranquille dans le Béarn, car, en 1731, nous le retrouvons à la tète de ses Abenakis, guerroyant sur les 'frontières de l'Acadie,
C'est vers cette époque seulement (pie les Acadiens abandonnèrent leurs expéditions pour se liver à la culture ; un certain nombre de familles allèrent s'établir au fond de la baie de Fundy, à l'abri des courses et des expéditions anglaises, dans une contrée d'une grande fertilité, et y fondèrent les plus riches et les plus populeuses paroisses de la Nouvelle-France *, les Mines, Beau-Bassin, la Grand'- Prôe.
Tandis que ces Acadiens s'installaient à l'abri d'un calme relatif, créaient dos cultures, multipliaient les villages, les Anglais s'emparaient de nouveau du Port-Royal, et malgré les termes de la capitulation par laquelle le vainqueur s'engageait à respecter les demeures des habitants, la ville était détruite de fond en comble (16110). Los habitants l'eurent bientôt relevée de ses ruines. De cette époque à 1707, les Anglais attaquèrent trois fois encore la petite ville ; deux fois ils furent repoussés avec des perles terribles ; mais à la troisième attaque. Porl-lloyal, com-
64 J.KS l'IUNÇAlS IvX ÀM'lîlUQl'l'.
mandé par Snbercase, dut capituler après une défense héroïque qui dura deux jours.
Les termes de la capitulation élaient des plus honorables :
« La garnison sortira en ordre de bataille, avec armes et bagages, tambours battant el couleurs au vent ; il lui sera fourni des navires et des vivres en quantité suffisante pour se rendre à La Rochelle ou à Rochefort, Elle emmènera six canons et deux mortiers à son choix,
« Les habitants qui demeureront dans le rayon de Porl-Royal auront le droit de conserver leurs héritages, récoltes, bestiaux et meubles, en prêtant serment d'allégeance ; s'ils s'y refusent, ils auront deux ans pour vendre leurs propriétés et se retirer dans un autre pays, oie.,. »
La garnison française se composait de cent cinquante-six hommes, y compris les officiers ; les Anglais comptaient quatre nulle combattants, marins el soldats,
Quand le commandant anglais Nicholson vil défiler devant lui la pelite garnison amaigrie par de longs jeunes, fatiguée par les travaux de la défense, il dut regretter de s'être tant pressé de signer la capitulation ; quelques jours plus tard, Snbercase et ses hommes se seraient rendus sans condition.
À cette époque, et malgré les perles occasionnées par la guerre, la population de l'Acadie atteignait le chiffre de 1,484 habitants,
Après le traité d'Utrecht (1713), qui donnait l'Acadie à l'Angleterre , les cantons dos Mines et do BeauBassin, situés près de l'isthme qui joint la NouvelleEcosse au continent, étaient restés français de fait ; ils
I/ACAIUIÏ 163
étaient, par ferre, en communication avec le Canada ; ils restèrent donc pendant quarante-deux ans relativement tranquilles et comme en dehors des conflits.
Celte période de paix relative, fut mise à profit par les habitants; leur chiffre atteignait 6,432 dans les deux seuls cantons des Mines et do Beau-Bassin ; ils avaient desséche des marais, conquis sur la mer de grands territoires et transformé en une contrée fertile ces régions naguère entièrement désolées,
.Cet état de choses se prolongea jusqu'en 1733. Un recensement 'fait vers celte époque donna le chiffre de 9,2Hi habitants, L'accroissement continuel do cette population ne laissait pas que d'inquiéter u-s Anglais ; tout d'abord ils songèrent à contrebalancer l'influence française en'-fondant la colonie d'Halifax, sur la côte sud-est; mais cette mesure no leur parut pas suffisante pour calmer leurs inquiétudes, et surtout pour satisfaire leur haine contre les Acadiens. Exaspérés par la sympathie que ceux-ci conservaient toujours pour la France, les Anglais résolurent d'expulser complètement de la péninsule cette race si vigoureuse.
Le gouvernement britannique était, du reste, fortemont poussé dans cette voie par le désir de s'emparer des magnifiques cultures créées'par les. Acadiens' ; ht. convoitise des colons do la Nouvelle-Angleterre était excitée par Faisauco qui régnait chez nos compatriotes.
C'est en 1753 qu'eut lieu cette infâme éternelle spoliation qui marquera d'une tache indélébile la gloire et l'honneur de l'Angleterre , tache dont elle ne pourra
166 IJîS l'HANÇAlS KN AMlïlUQfH
jamais se laver aux yeux delà postérité, et qui, malheureusement, a plus d'un pendant dans son histoire.
La population de l'Acadie s'élevait à, cotte époque à seize mille âmes ; huit mille avaient émigré déjà dans plusieurs directions. Le reste vivait paisiblement dans la presqu'île, sur les terres qui les avaient vu naître, que leurs pères avaient défrichées, qu'ils cultivaient avec amour, donnant l'exemple de lotîtes les vertus.
« Leurs nueurs étaient extrêmement simples , dit Itaynal. JL n'y eut jamais de cause civile ou criminelle assez importante pour èlre portée à la cour do justice établie à Anapolis (Port-Royal). Les petits différends qui pouvaient s'élever de loin en loin entre les colons étaient toujours terminés à l'amiable par les anciens. C'était les pasteurs religieux qui dressaient tous les actes, qui recevaient tous les testaments. Pour ces fonctions profanes, comme pour celles de l'église, on leur donnait volontiers ht vingt-septième partie des récoltes. Elles étaient assez abondantes pour laisser plus de facultés que d'exercices à la générosité. On ne connaissait pas la misère, et la bienfaisance prévenait la mendicité,.,.
« Dès qu'un jeune homme avait atteint l'âge convenable au mariage, on lui construisait une maison, on défrichait, on ensemençait des terres autour de sa demeure; on y mettait les vivres dont il avait besoin pour une année. Il y recevait la compagne qu'il avait choisie el qui lui apportait en dot des troupeaux. Cette nouvelle famille croissait et prospérait a l'exemple des mitres. »
Une proclamation habilement rédigée convoquait , dans chaque paroisse, tous les habitants pour lu 3 sep-
I/ACAIHK 167
tembre 1733, à l'effet d'entendre une importantecommucation du gouverneur.
La ruse n'eut pas partout un succès égal: à Beau-Bassin, la population écouta la proclamation avec méfiance, et la plupart des habitants s'enfuirent dans les bois. Les gens d'Auapolis n'attendirent pas non plus lo dénouement du drame, et dès le premier jour se retirèrent dans les montagnes.
Dans le district des Mines, lopins riche et le plus populeux, les Anglais apportèrent un tel luxe de précautions que le complot réussit parfaitement. Moins défiante, moins avancée peut-èlre, cette population répondit à l'appel du gouverneur. Pendant que les habitants étaient réunis dans l'église, le dimanche, à l'heure de la messe, les troupes les cernèrent; on signilia à ces malheureux qu'ils étaient prisonniers de guerre, quêtons leurs biens, meubles et immeubles, étaient confisqués au nom du roi, excopié, toutefois, l'argent elles effets personnels, et que, le 10septembre, ils seraient tous embarqués et transportés dans une colonie anglaise,
Cette affreuse nouvelle, tombant comme un coup de foudre au milieu de ces pauvres familles, les frappa de stupeur ; sans armes, sans défense, entourés de soldats, les Acadiens subirent la Loi atroce du vainqueur.
« Le 10 septembre fut le jour fixé pour L'embarquement. Dès le point du jour, les tambours résonnèrent dans les villages, et à huit heures le li'iste son de la cloche avertit les pauvres Français que le moment de quitter leur terre natale était arrivé. Les soldats entreront dans les maisons et en liront sortir tous les habitants,
168 LES FIIANÇA1S ' 15N'AMÉHloeiï
qu'on rassembla sur la place. .îusquc-là, chaque famille était restée réunie et Une tristesse silencieuse régnait parmi le peuple. Mais quand le tambour annonça l'heure de rembarquement, quand il fallut -abandonner, pour toujours la. terre où ils étaient nés , se séparer de leurs mères, de leurs parents, de leurs amis, sans espoir de les revoir jamais; emmenés par des étrangers, leurs ennemis ; dispersés parmi euxdonl ils différaient par le langage, les 'coutumes, la religion; alors, accablés par le sentiment de leurs misères, ils fondirent en larmes et se précipitèrent dans tes bras les uns dos autres» dans un long et dernier embrasseniont.
« Mais le tambour battait toujours et ou les poussa vers les bâtiments stationnés dans la rivière. Deux cent'soixante jeunes gens furent désignés d'abord pour être embarqués sur le premier bâtiment ; mais ils s'y refusèrent ; ils déclarèrent qu'ils n'abandonneraient 'pas leurs parents et qu'ils ne partiraient 'qu'au milieu de leurs familles. Leur demande fut rejolée, les soldats croisèrent ht .baïonnette, et marcheront sur eux; ceux qui voulurent résister furent blessés , et tous furent obligés de se soumettre à cette horrible tyrannie,
« Depuis l'église jusqu'au lieu d'embarquement, la roule était bordée d'enfants, de femmes, qui, à genoux, au -milieu de pleurs et de sanglots, bénissaient ceux qui passaient, faisaient leurs tristes adieux à leurs maris, à leurs lits, .-leur tendant une main tremblante qu'ils parvenaient quelquefois à réunir, mais que le soldat brutal venait bientôt séparer.
« Les jeunes gens furent suivis parles hommes plus
L'ACADUS 169
îtgés qui traversèrent aussi à pas lents cette scène déchiranle ; toute la population ■mule des Mines fut jetée à bord, de cinq vaisseaux de transport stationnés dans la rivière Gaspareaux. Chaque bâtiment était sous la garde de six officiers et quatre-vingts soldats.
« A mesure que d'autres navires arrivèrent, les femmes et les enfants y furent embarqués et éloignés ainsi en masse des champs de lu INouvelle-Ecosse. Le sort aussi déplorable qu'inouï de ces exilés excita la compassion do la soldalesque mémo.
u Pendant .plusieurs, soirées consécutives, les bestiaux se réunirent autour des ruines fumantes, et semblaient y attendre le retour de leurs maîtres, tandis que les chiens hurlaient près des foyers déserts (1). »
Le nombre des prisonniers ainsi enlevés dans le district des Mines fut de quatre mille environ; c'est-à-dire,-tout ce que les émigrations dernières avaient laissé dans ce pays, car bien peu purent s'échapper.
Les Anglais brûlèrent dans ce seul district quatre cents maisons,.cinq cents étabies; enlevèrent deux mille boeufo, trois mille vaches, cinq mille veaux, six. cents chevaux, douze mille moutons oUtuit cents porcs.
Les colons américains» qui depuis longtemps poussaient à celle mesure, se tirent concéder les terres en plein rapport, ainsi que les nombreux troupeaux ; aussi, n'avaiton rien négligé pour réussir dans ce canton. H était plus riche que tous les autres.
Malgré les précautions prises par les Anglais, une
(1) Noy, Revue des Deux-Mondes, 183t.
170 LKS FUANÇA1S KX AMKlUm'B
certaine' quantité d'Acadiens échappèrent à cette proscription en masse : les gens de Beau-Bassin se replièrent sur les gros bourgs de Mémérancougos -, Pécondiak et Chipoudy ; les habitants les recueillirent et se retirèrent aveccux dans les bois, ofi M. de Boishebert vint bientôt les rejoindre, accompagné de quelques hommes armés.
Lorsqu'ils vironl leurs maisons livrées aux flammes , une grande colère s'empara de ces malheureux ; n'écoulant que leur rage et leur désespoir, ils se jetèrent sur les soldats ennemis qui, rompus par cette furieuse attaque , durent se rembarquer a la îiàte .après avoir perdu quarante-', cinq des leurs.
Ceux de la rivière d'Anapolis s'enfuirent dans les bois; ils étaient habitués de longue date à cette nianauivre ; mais cette fois cône fut pas un orage passager après lequel on pouvait regagner les champs et relever ses maisons de bois. Les Anglais leur liront une chasse opiniâtre ; ils les traquèrent dans les fouri'és comme des bêtes fauves, Une partie fut obligée de se rendre ; les autres se réfugièrent vers le sud-est de la presqu'île, où les pêcheurs acadiens les recueillirent.
'"■« Là , pendant plusieurs années , ils parvinrent h cacher leur existence au milieu des inquiétudes et des privations ; dissimulant soigneusement leurs petites barques , n'osant se livrera la culture, faisant le guet quand paraissait tin navire Inconnu, et partageant avec léursamis, les Indiens de-l'intérieur , les ressources précaires de .lâchasse.et de la pêche, »
Cependant la persécution s'apaisa ; les Acadiens purent enfin profiter d'une certaine ■ tolérance pour s'ins-
VACAIUK 171
tallor ouvertement sur les côtes qui leur avaient servi do refuge.
C'est laposition de ces malheureux exilés qui a inspiré au poète américain Longfellôw les vers suivants :
«Stitt stands theforest prime val; but undertlipshadéofits branches,
Bwells nliotherracéi withothér eustoms and language,
Only amông the sliores of the niorii'ftilt and m.faty Atlantic,
Linger a few Àcadian poasants/whose fafchers fVotti exile
Waiïdcred baclc to tlieir native land to die ita bosom.
In the fisliermancot, the \yhècl and te loorn are still busy ;
Maiden stillwearthèir normaiv caps and their kirtlesol'hoinespun
And by the evening ftro repeat Kvangclinos story
Whiio frotnVjfts rockycaverns the deapvoieed, nèigboitring Océan
Speaks>aud in accents disconsolateanswerstliowailofthe forest.»
(fimnyetine, TaleofAcadia. Lotigfcllow.)
« La forêt vierge est encore debout ; mais sous son ombre vit Une autre race > de moeurs et de langage différents» De rares paysans Acadiens languissent encore sur les plages tristes et désolées du brumeux Atlantit|ùe; pour mourir sur ht terre notule, leurs pères revinrent du pays de l'exil. Dans ta cabaiie du pêcheur, le rouet et le fuseau tournent toujours ; les jeunes tilles portent leurs bonnets normands et leurs jupes tissées à là maison, Le soir auprès du feu, elles redisent l'histoire d'Evahgelihe, tandis que de ses cavernes rocheuses, l'Océan fait ehtendro sa voix profonde el répond, on accents inconsolables, au gémissement plaintif de ta forêt. »
tel est le triste épisode qui termine l'histoire de l'Acadie» Malgré la ''.proscription, l'exil et les cruautés
•172 MÎS KHANÇAIS KN AMIÎHIOJJIï
dont il fut victime, ce petit peuple a subsisté ;"] s'il n'habite plus les terres défrichées par ses aïeux, nous le retrouverons dans toute la région voisine plus fort, plus nombreux el plus français (pie jamais.
tJiï, Àërtdioii,
ClIAPMtE il
Dispersion des Acadiens. —Les Français a l'étranger.— Le fleuve Saiiit-Jeait» -— Les rivesi du golfe de Saint-Laurent. — L'ite du Oap-Breiibli. -- lié> du Priiice-rjdounrd. —• 'ferre-Neuve. — Saiht-I'ierre et Miqueion.
Arrachés violemment à leurs foyers, à leurs familles, à leurs affections, jetés sur des vaisseaux, dans l'anxiété d'un avenir inconnu, les Acadiens n'avaient pas même pour se consoler l'espoir de la pairie ; car derrière eux ils ne laissaient que ruines fumantes, villages détruits, champs bouleversés ; la patrie était morte ; il n'y avait plus d'Acadie !
Mais partout oà ils se trouvèrent transportés , ces hommes courageux s'implantèrent ; à force de travail, d'économie , de dur labeur, ils se reconstituèrent une famille et, en quelque sorte , une patrie. ; leur race crût et multiplia; ils restèrent unis par l'amour de la France, par leurs croyances religieuses , par leur langage , et partout restèrent les Acadiens-Français, C'est ainsi que, dans toute l'Amérique septentrionale, on trouve des colonies d'Aeadîeiis ne parlunt pas d'autre langue, que la nôtre; nous allons lès suivre dans leurs pérégrinations.
176 Mis niAxçAis KX AMI5IU(JI:K
Dirigés sur les colonies anglaises de l'Amérique du Nord, on eut sur plusieurs points l'inhumanité de no les point accueillir : quinze cents furent repoussés de la Virginie , et cet exempte eut des imitateurs dans la Caroline. Quatre cent cinquante hommes , femmes et enfants destinés à la Pensylvanie, échouèrent sur la côte, non loin de Philadelphie ; le gouvernement de colle province, pour se dégrever des secours nécessaires à ces pauvres naufragés , n'eut pas honte de vouloir les VKNimu COMMIÎ KSCLAVKS (I). Celle bassesse inqualifiable couronna dignement la conduite des colonies anglaises* Auteurs de la ruine des Acadiens, héritiers avides de leurs champs, de leurs terres, de leurs biens, ils eurent le eojur de refuser les secours el même les égards dus au malheur»
Ainsi repousses des côtes , quelques-uns se rendirent maîtres des navires qui les transportaient (les Anglais ont qualifié de piraterie cet acte de juste rébellion) et se réfugièrent dans les lies du golfe de Saint-Laurent ; mais le plus grand nombre furent conduits eu Angleterre, ofi ils restèrent prisonniers jusqu'à la lin de la guerre ; ceux qui purent résister aux souffrances endurées pendant celte longue el cruelle captivité passèrent ensuite en Franco, et de là à Saint-Domingue, où ils ibn(I)
ibn(I) dans IViutoûr anglais llàlibùrtoiile détail de l'inliuihanitê des[.habitants dé Pensjlvahie et du Massachusetts h regard dès Acadiens ; et le mémoire adressé par ces malheureux au roi d'Angleterre pour protester contré le projet fornié par le gouvernement de la colonie de les Vendre comme esclaves.
LAC.AWE
177
'■dorent la paroisse de liqmbardonopolisi D'autres reçurent de M: le marquis do PerUsse un territoire considérable, paroisse d'Ârçhigny, canton de Ploumàrlin, près ■';GiuVicUera:ït3tit.»■' -'tïUii^^ié'-'clê^ï'temoiït";':dô.. la Yienhe» Ils s'y
Quartier fraisais a Kc\v»Yôi'k,
groupèrent, construisirent des maisons, défrichèrent des landes où leurs polits-énfants vivent encore aujourd'hui, conservant précieusement la tradition de leur origine,
de leurs malheurs et de l'Acadie perdue* : Ms I'ÎIÀNÇÀIS I:K'Àiiisiuri'eii, '-.:'■■.'■'■'-■ ' 12
I7S LES KIIANCÂISKN AHÉinOUK'
Deux mille environ purent cependant débarquer dans lès colonies anglaises ; quelques-uns s'y élablireiU,
Un fjuarticL' fmiu;ius ù Xe\v-Yoïk,
tandis que d'utilres gagneront lu Louisiane. Ils retrouvèrent, dans leMaryland.la Géorgie et l'Étal de NewYork, leurs compatriotes émigrés volontairement vers 17W ; ils se joignirent à
eux et ionuerent ces groupes que plusieurs voyageurs ont rencontrés aux ÉUits-lJnis, qui se composent dei villages . entièrement français, où Ton n'entend parler que celte langue. 11 est du reste remarquable que, partout
LACAini: ["({)
où vont nos compatriotes, ils ne se mélangent pas à la population indigène; ils forment une société à part, tandis quo les autres peuples, les Allemands, par exemple, se laissent rapidement absorber, s'identifient au peuple chez lequel ils s'installent.
Quelle est la grande ville du inonde qui ne possède pas un ce Quartier Français ? » A New-York, qui est la ville cosmopolite par excellence, non seulement les Français vivent à part, niais il y a des rues entièrement françaises, où les enseignes des boutiques et des magasins sont en français, et.où l'on ne vend quelles marchandises françaises.
Nous avons dit que, plus soupçonneux que les autres, un certain nombre ' d'Acadiens, prévoyant une catastrophe, s'étaient sauvés avant la dispersion de leurs compatriotes (1748 à 1755), et que, au nombre de neuf mille environ, ils échappèrent aux Anglais.
Ces éniigrants suivirent-deux voles ; les uns, soit par l'isthme, soit en traversant la baie de Fundy, gagnèrent la côte opposée, et s'établirent à la rivière Sainte'an, d'autres à Shcdiak, à Mira?nichi, A.'-sur lu baie des Chaleurs^ (tans le golfe du Saint-Laurent. Les autres s'embarquèrent sur la côte nord de l'Acadie, et gagnèrent les Mes du Golfe, l'Ile du Cap-Ureton, l'Ile Saint"Jean et les lies Saint-Pierre et Miquelon,
Nous allons suivre chacun de ces groupes dans le lieu où ils se fixèrent, et nous verrons que, là encore, ils ne furent pus complètement .'à l'abri de la haine de l'Angleterre.
Les Acadiens qui traversèrent la baie de Fundy s'ar-
180 LES l'UAXÇAlS EN AMIÏJUCji;iï
'fêlèrent dans le Nouveau-Brunswick, à l'endroit où s'élève aujourd'hui ht ville de Fredorickslown ; ils y trouvèrent une colonie acadienne fondée en 1686. Les nouveaux arrivants se mirent courageusement au travail, défrichèrent des terres nouvelles, et eurent bientôt créé un centre populeux. En 1784, l'administration anglaise jugea à propos de s'emparer d'?s cultures et des habitations de ces pauvres gens pour les donner à des soldats congédiés.
Comme indemnité, on concéda aux Acadiens un désert sauvage, au centre des montagnes duNouvoau-Driuiswick el du Maine, sur le cours supérieur du fleuve Sainf•lean. Ce nouvel établissement prit le nom de Madawaska.
C'était lu seconde ibis qu'en trente ans ces malheureux étaient arrachés à leurs foyers, dépouillés de leurs biens et transportés dans un pays sauvage, parleurs cruels conquérants.
Les Acadiens de Madawaskaont créé une. colonie quia prospéré dans ces montagnes, el qui fait honneur à la race qui l'a fondée.
Sur les deux rivés du golfe du Saint-Laurent, les Acadiens ont formé un nombre considérable de paroisses qui vont rejoindre les premiers villages bas-canadiens et s'étendent depuis le liarachois, au nord do l'isthme aeudien, jusqu'à Miramichi, et Nêpisigny, sur la rive sud. Sur la rive nord, les villages, habités parles Acadiens, appartiennent au comte de Bonaventure, qui fait partie du BasCanada.
Les habitants de cette région partagent leur temps
L ■ ACAUllï
181
enlre la pèche et la culture ; beaucoup vont aussi travailloi* dans les forets, pour le compte do négociants anglais qui viennent exploiter ces contrées presque désertes. Mais, comme la pèche et le commerce des bois ont perdu beaucoup de leur importance, ils sont forcés de s'adonner presque exclusivement à l'agriculture.
La population jouit d'un grand bien-être ; mais elle n'est point riche ; les capitaux sont aux mains des Anglais. Cependant, grâce au mouvement incessant qui la rapproche do la l'ace canadienne, il y a tout lieu do penser que cette branche de la famille acadionne, .qui s'accroît tous les jours, acquerra bientôt l'importance légitime qui lui ■appartient.
Un Aciuliou dus îles dti golfe du Snilit-Latuolit,
Dans le golfe do Saint-Laurent, lés Acadiens foui
182 LES FRANÇAIS EN AMÉRIQUE
rent plusieurs établissements; c'est là que se réfugia le plus grand nombre de ces malheureux proscrits. Leur colonie la plus importante fui l'île du Cap-Breton.
En 171Î1, pour compenser la perte de l'Acadie, la France voulut faire de l'Ile, du Cap-Breton une position stratégique. On dépensa trente millions de francs pour construire et fortifier Louisbourg ; somme considérable qui eut été .employée avec bien plus de profil, si elle eût servi à transporter des colons dans ce pays.
Jusqu'à celle époque, l'Ile du Cap-Breton n'avait pas été habitée d'une façon continue : brumeuse et aride, elle servait, de refuge aux pécheurs normands, basques et bretons qui fréquentaient ces parages. Pour les peupler, on lit appel aux populations françaises établies à Tcrre-Neuvo et aux Acadiens ; mais ceux-ci n'avaient pas encore subi la tyrannie do l'Angleterre ; ils préférèrent demeurer dans leur pays, espérant sans doute que plus tard ils retourneraient à la France.
L'île resta donc à pou prés déserte : à part Louisbourg, où un certain nombre de négociants se donnèrent rendezvous. Port-Toulouse, aujourd'hui Saint-Pierre, SainteAnne et la baie des .Espagnols, oh on exploitait des mines de charbon, il n'y avait guère d'habilanls, ni sur les côtes, ni dans l'intérieur.
En 1744, l'Angleterre, profilant d'une révolte do la garnison française de Louisbourg, s'en empara et déporta on France les habitants, à l'exception peut-être do quelques familles dispersées sur la côle» La paix d'Aixla-Chapelle (1748) nous rendit Louisbourg el toute l'île, ainsi quo l'île Saint-Jean, aujourd'hui du Prince-Edouard.
I/ACAIUK IH.'l
On comprit alors en France la nécessité de peupler ces îles, et l'administration s'adressa une seconde fois aux Acadiens ; ceux-ci, 'qui commençaient à souffrir de la domination anglaise, répondirent à cet appel, el, de 1748 à 17»*), quatre ou cinq mille Acadiens vinrent se fixer dans les deux îles, surtontà l'île Saint-Jean,beaucoup plus fertile que la première.
En 17îi7, les Anglais s'emparèrent encore une fois de Louisbourg, et, selon leur coutume, transporteront tous les habitants en France. Il ne resta dans l'île, comme en 1744, que des familles isolées ; les Anglais eux-mêmes jugèrent inutile d'occuper celle île bruineuse et stérile. Elle ne fut véritablement peuplée qu'en 1764, lors de l'expulsion dos Acadiens de l'île Saint-Jean au nombre de quelques centaines ; aujourd'hui, ils sont plus de quinze mille.
Actuellement,- l'île du Cap-Brclou présente; le groupe le plus compact de celte race que d'incessants malheurs ont dispersée en une infinité de petites fractions sur foutes les côtes et ilos voisines. Par leur silnation le long dos côtes de la. Nouvelle-Feosso, les Acadiens.du Cap-Breton communiquent facilement avec leurs frères du continent et môme avec ceux de toutes les îles du golfe. Il semble donc (pie, si la nationalité acadienne. doit se réveiller et former quelque part un centre, l'Ile du Cup-lîreton présente le point le plus naturel pour exercer colle action.
Dès 17111 et 1720, quatorze familles do pécheurs bretons et saintongeois étaient déjà fixées au Port-Lajoye et à Saint-Pierre, dans l'île Saint-Jean, et deux familles
184 LES KHANÇ.US EN AMÉIUOI'E
aeadioiines : les Haché dit. Galand, et les Martin, qui devinrent les souches d'une nombreuse postérité.
Chaque année, depuis celle époque, un certain nombre d'Acadiens émigruient à l'île Saint-Jean et, en 171M, après la proscription qui désola l'Acadie, le nombre des habitants était de sept à huit mille. Celte population laborieuse avait exécuté de grands travaux de culture et transformé en plaines fertiles toute l'étendue de l'île. Ce motif élail plus que suffisant aux yeux des Anglais pour s'emparer de toutes ces bonnes terres : « elles sont trop bonnes, disaient-ils, pour des Acadiens ; » ils chassèrent les habitants cl se partagèrent leurs propriétés.
On n'a pas do détails sur la façon dont fut accomplie cette exécution ; il. est évident que le gouvernement anglais a cherché à cacher autant que possible cet événement. Afin de n'être point taxé de partialité, nous nous contenterons de citer l'opinion d'IIalliburlon , l'historien anglais; il signale l'impossibilité où l'on est de se procurer des documents à cet égard , et ajoute : a 11 n'est pas facile do s'expliquer pourquoi on a cherché ainsi à cacher lesparlicularil.es de cet événement, à moins, toutefois, ce (pli est concevable, que les acteurs intéressés n'aient eu honte de leur ouivre» »
Il a fallu, cependant, que cette proscription lut bien rigoureuse , puisque, dos huit mille Acadiens qui habitaient l'île Saint-Jean on 1760, il n'en restait pas six cents en 1770. On ignore absolument où furent transportés ces sept mille individus, et .l'on n'a pu suivre la trace que de quelques-uns qui se rendirent dans l'île du Cap-Breton.
Néanmoins, les six cents Acadiens restés dans l'île du
V ACADIE 18o
('ap'Brelon suffirent pour la repeupler ; aujourd'hui, leur nombre dépasse seize mille !
Terre-Neuve , qui se ' partageait autrefois entre la France et il-Angleterrc, comptait, en 1706, deux cent cinquante habitants, et trois cents en 1711» Par le traité d'IItrecht (17111), la France cédait Terre-Neuve 'à l'Angleterre, qui.n'inquiéta pas outre mesure les Acadiens établis sur les rives de cette île ; leur nombre s'accrut encore en 17o5, e.l>-quelques.'années après, ils formaient une population :de quinze mille âmes , établie sur toute la partie de la côte ou nous avons conservé le droit de pèche.
a Les îles Madeleine, écrit-.un auteur anglais, furent données , au siècle dernier, par l'Angleterre à l'amiral Coflin. A. l'exception de l'île Enlry, elles sont habitées par des Aeudicns-Frunçais qui ont conservé tous les signes caractéristiques de leur race..Actuellement, la population est do quatre mille trois cent seize .habitants.
« C'est un fait vraiment curieux que 'ces Français, quoiqu'ils" n'aient fait qu'un court séjour on Acadie, aient conservé un-souvenir si vif de leur nouvelle patrie et de la brutale expulsion dont ils ont été l'objet, que ces braves gens visitent le Canada comme les Américains visitent l'Angleterre ; ils croient retourner dans leur patrie. »
Pendant siamois de l'année, les habitants sont enserrés dans les glaces, et Toute communication avec le monde extérieur est arrêtées C'est à la pèche qu'ils demandent tour seul moyen d'existence, et quand la saisonest mauvaise, ce qui arrive malheureusement trop souvent, leur situation est'dés plus-pénibles.
186 LES KHANÇAIS EN AMÉlUQliE
En 1883. éclata une famine qui menaça de décimer la population : la saison de pèche avait été déplorable ; le navire chargé , à la fin de l'été , de porter dans les îles la provision de farine pour l'hiver , avant la formation de la glace., avait fait naufrage. Quand vint le printemps , les habitants étaient à la veille de mourir de faim , et un grand nombre d'entre eux eût certainement péri, si un grand'butimonl chargé, de vivres n'était venu s'échouer sur l'Ile Coffin.
En peu de temps, la nouvelle se répandit dans le pays comme une traînée de poudre ; quittant leurs demeures, les malheureux affamés se précipitèrent sur le théâtre du sinistre; ils trouvèrent dans le pillage du navire un soulagement momentané à leur faim,
Malgré ces terri Ides hivers, les habitants sont attachés à leurs îles, car là esf leur patrie. Cependant, un certain mouvement d'émigration se produit depuis quelques années ; les insulaires se dirigent vers les côtes plus hospitalières du Labrador, et vers le Canada.
Les Acadiens qui vinrent se fixer dans les lies SaînlPîerre et Miquelon les trouvèrent déjà occupées par des pécheurs hivcrnants.hu traité de Paris, qui nous enlevait nos colonies Nord-Américaines , laissait , pour tout asile à nos pécheurs et à nos malelols, ces deux ilols; mais la paix ne devait pas régner longtemps sur cette terre.
« Pendant la guerre de l'Indépendance américaine , les lies furent prises parles Anglais, qui emmenèrent tous les habitants en captivité, el ce n'est qu'en 178.'1, à la suite du traité de Versailles, que les colons furent rendus à la France el rapatriés aux frais de VFlaf,
il'ACADIE 187
« En 1793, Saint-Pierre et Miquelon sont enlevées de nouveau par les Anglais ; mais celle fois le gouvernement britannique embarque tous les habitants, qui sont déportés sur le sol français.
« Lorsqu'on 1802 ,1e 27 mars, cette colonie nous fut rendue, la plus grande partie des familles retourna aux îles dont nous reprenions possession ; mais ce. fut pour peu de temps, car, le 20 mars 1803, nous reperdions Saint-Pierre et Miquelon.
« Enfin , le traité de Paris nous ayant rendu , le 30 mai 1814, nos pêcheries d'Amérique avec lous tes droits et privilèges do pèche sur les côtes de Terre-Neuve, les îles voisinesetcell.es du golfe de Saint-Laurent, la rétrocession définitive des îles eut lieu lo 22 juin 1816.
« La population s'élève à quatre mille neuf cents habitants ; elle est entièrement composée des Bretons et surtout des Normands venus d'Acadio (1). »
La majeure partie des habitants sont marins. Ce sonl ces rudes pécheurs, honnêtes etrobusles, qui, méprisant lo danger sans cesse affronté , vont, au milieu do périls sans nombre, demander à l'Océan de quoi subvenir aux. besoins de leur famille. Populations laborieuses , qui « vivent mouillées, » a dit un grand poète, et dont toute l'histoire tient entre le (lot qui monte et la vague qui. s'en va.
L'été , sur les goélettes , les waris et les pirogues, tous sont employés à la pèche de la morue, soit pour
(1) Fernund tïUc et Georges llatirigot, Nos.Petites Colonies, 1 Vbl.'."ïii-12, 36 édition (Paris, 4880, Lecèhé et OudihK
188 LES FRANÇAIS EN AMÉiUQL'E-.
leur compte, soit comme embarqués ; leurs fils sont mousses, et commencent dès IVige do huit ans le rude apprentissage de la mer. Les femmes, non plus, ne restent pas inaclivos. Dès qu'apparaît le capelan, elles vont ramasser sur le rivage des myriades de ces poissons que le flot y dépose en abondance ; et quand vient la saison des encornets (1), elles se livrent avec ardeur à la pèche de cet appât.
Quand l'hiver a suspendu les travaux extérieurs, quand les bateaux, désormais'.inutiles, dorment hàlés sur ht grève ; quand la banquise enserre les îles et les sépare du reste du monde ; quand la neige a recouvert le sol d'une couche épaisse et rendu les 'communications impossibles, l'a. femme répure les dommages éprouvés par la garderobe pendant la rude saison qui vient de finir ; elle tricote bas et vareuses pour là campagne prochaine, dont on attend l'ouverture avec impatience. Le mari raccommode, met en ordre les engins, fabrique ces longs filets à mailles 'étroites .dontvil se sert pour la pèche aux harengs.
Que le vent du Nord cesse de souffler un instant, que le poudrin disparaisse, dé pêcheur qu'il était, notre homme devient chasseur ; il ira poursuivre ces grosses perdrix, grises l'été,''blanches'- l'hiver, que l'on ne rencontre (pte dans les régions boréales; ou bien, armé d'une lourde canardière, abrité contre la bise par un
(1) Lo capelan et les encornets sont do petits poissons qui...-servent d'appâts pour la pèche de la niorue. Pour plus'do détails sur cette pêche, consulter l'intéressant ouvrage de MM. Fcrnand lltie et G. Ilauriuôt, cité ci-dessus.
L'ACAUIE 1 m
quartier de roche, il se tiendra à l'affût, sur la plage, pendant des heures entières, pour tirer des maullacs, des cacaouitcs et les oiseaux aquatiques qu'un chien do TerreNeuve, dressé à cet effet, ira chercher, au milieu des lames froides et toujours agitées.
La guerre aux loups marins est non seulement une distraction et une occupation pour les longs jours d'hiver, mais encore une chasse productive, à cause de l'huile que l'on extrait de cet amphibie.
Plus heureux que leurs compatriotes des îles du golfe de Saint-Laurent, les habitants de Saint-Pierre et de Miquelon sont restés Français.
ClIAPITUEllI
La population aeadieone. — Situation physique et morale. — Agriculture: .-* Les abboiteaux. — Les villages.-- Evangelinc, —- Les pêcheurs*— La malle.— Le courrier^ — Instruction.— Le clergé irlandais.'.-;■■;
A l'heure actuelle, et malgré les persécutions dont ils furent victimes, plus de cent mille hommes revendiquent, le litre d'Acadieus ; ils réclament ce nom dont leurs pères oui payé la propriété au prix do leur sang et des plus cruelles souffrances ; el pur le seul mouvement ascendant de la natalité dans ce peuple vigoureux et sage, avant quarante ans ils auront dépassé trois cent mille âmes.
N'est-ce pas là une preuve irréfutable que les nationalités, même les plus opprimées, même les plus faibles$■ ne sauraient périr quand elles conservent au coeur l'amour de la patrie, du sol natal?
Fn dépit de la dispersion de ce petit peuple, en dépit des haines cruelles qui l'entouraient, il a survécu partout, et chacun de ses fronçons est devenu l'origine d'une petite ou d'une grande Iribu acadienue, conservant toujours sa langue* ses moeurs, sa tradition el son identité.
02
LES FliANÇ.MS KX AMEIHOIE
C'est dans la mauvaise fortune, dit-un, que s'éprouve le caractère des hommes et des peuples;' celui des Acadiens montre assez combien il était vigoureusement trempé. Les qualités les plus saillantes du caractère des Acadiens sont la spontanéité de leur existence sociale, résultai de la grande liberté dans laquelle ils ont vécu ; puis, une énergie, une ténacité admirables dans leurs entreprises ; en lin, el par-dessus tout, 1111 attachement, inébranlable à leur nationalité, à leur langue, à leurs coutumes, attachement qui leur a fait accomplir des sacrifices héroïques dont rii'isloire (dire peu d'exemples.
Le délaissement dans lequel les laissa toujours le-'gouvernement français,- s'il les empêcha "de. prospérer comme ils l'auraient du, eut au moins pour eux cet avantage, qu'il les mil dans la nécessité de pourvoir à tous leurs besoins, de se suffire à eux-uièn.ies. De là, un esprit de ressource et une puissance d'action qui oui sans doute été la cause de ta vitalité don! ils oui toujours fait preuve.
Il-est difficile de rétablir l'histoire intérieure de.cette petite société : leurs archives, leurs documents oui été brûlés; les traditions ont été rompues par la dispersion même des habitants, el l'ignorance forcée où l'ont plongée ses malheurs, a achevé de faire disparaître ses clironi(pies écrites ou parlées. On ne peut-guère juger ce qu'ils ohl été que par ce qu'ils sont maintenant, et surtout par les souvenirs qu'ils ouf laissés partout où ils sont liasses»
« Ils ohl été,'en-effet, plus remarquables encore comme peuple industrieux el agriculteur, qu'ils ne s'étaient distingués comme partisans militaires. Nous avons vu comment peu fi pou les familles se portèrent au fond, de- la
i! euito fille vAèadté'ii'tc
îilW rliÀNOAIS" KX AMKlîïQUK,
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L'AÇADIE 105
baie de Fundy pour s'y livrer à la culture. Ce pays présentait, sur le bord de la mer, de vastes étendues basses el noyées en partie, mais qui renfermaient un sol d'une admirable fertilité. Comment les Acadiens furent-ils -conduits à présumer les richesses de ces marais ? Pourquoi s'atlachèront-ils à la mise en culture difficile et dispendieuse de ces terrains, lundis qu'il leur était aisé de défricher les haulcs terres? C'est ce que nous ignorons ; mais il est certain qu'ils y appliqueront leurs efforts dès le principe, qu'ils continuèrent à se répandre le long des côtes. et que jamais les cultures n'ont pénétré fort avant dans l'intérieur, »
Ce genre de travail n'était pas une médiocre entreprise; il s'agissait d'endiguer la mer. à l'instar des Hollandais, d'établir des digues assez fortes pour résister à l'action incessante de la vague.
Pour établir ces digues, ils employèrent un modo-"de terrassement économique et solide, 11 y a tout Hou de croire que c'est, un secret qu'ils conservaient, entre eux, car les Américains, qui les dépouillèrent de leurs propriétés, furent incapables de continuer el mémo de réparer leurs travaux. Ils ne trouvèrent, que la misère, là où les Acadiens vivaient dans l'aisance et même dans la richesse.
« Ces marais, entourés de digues ou abboiteaux, étaient le caractère essentiel et la base de toutes les colonies acadiennes. Elles conquirent ainsi, de vastes terrains, poussant toujours sur la mer, et plaçant de nouvelles digues en avant des anciennes, si bien qu'llalliburlon compare leurs marais à une ruche de miel entrecoupée de ses compartiments. »
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MiS FUAXÇA1S 'EN. AMÊlUQUf;
La Grand'Prée, au pied du village des Mines, avait été conquise ainsi tout entière sur l'Océan , pied à pied, et elle contenait doux mille cent acres (1.000 hectares)
La 0i-fiiicl'Pl'idti et lé/cflp Bîoiiliclori.
de terres, admirablement cultivées en herbes, en lin et en chanvre, qui pouvaient être desséchées ou arrosées à volonté,
Leurs demeures s'élevaient sur les hauteurs, en vue des marais ; les maisons on bois, couvertes de chaume, s'entouraient d'un petit verger, et le village tout entier ,
i. ACADIH 107
la paroisse, s'encadrait de nombreux bouquets de saules, qu'ils semblaientallectionnor particulièrement.
Des roules nombreuses sillonnaient lo pays ; ils avaient construit beaucoup do ponts, et ils circulaient en bateau dans l'intérieur de leurs marais, au moyen de petits canaux ménagés entre les digues, Tout démontre l'existence d'une îmUonticonom et industrieuse. Les auteurs anglais estiment que leurs cultures étaient parfaitement entendues, et disent qu'elles étaient dans un ; Ilight slate ofculttvatidn (haut degré de culture),
Ce mode d'agriculture suppose, non seulement dos travailleurs habiles, mais encore une organisation intérieure assez complète ; la construction des digues, leur entretien, la réparation dos irrigations, une certaine complication-.d'intérêts à protéger et à satisfaire ; tous les témoignages s'açcordont à rendre hommage à la. grande harmonie qui régnait parmi eux. Tous les écrivains qui ont parle dès Acadiens ont rendu témoignage du calme heureux et prospère de leur régime intérieur. Le poète américain Longfellow, qui a chanté les malheurs de i'Àcadio, a fait une ravissante description do cette petite société ;
« Dans les terres de l'Acadie, sur les rives du bassin dos Mines, s'élevait, dans un heureux isolement, au milieu d'une vallée fertile, le petit village du Grand-Pré. De vastes prairies qui s'étendent à l'est donnent au village sort nom et fournissent un pâturage à do nombreux troupeaux,
« Des digues, que les laborieux cultivateurs avaient élevées, et qu'ils maintenaient avec une constante sollici-
IM FIIANÇMS KN AMKlUgiUï
tude, arrêtaient les flots agités ; mais, à des époques fixées, les écluses s'ouvraient et laissaient la mer se répandre dans les prairies,,,,,
« C'est là. nu. milieu de ces fermes, que reposait le villuge aeudien, Ses maisons étaient, solidement construites on charpentes de chêne ou do noyer, comme celles (pie les paysans de Normandie bâtissaient sous le règne do Henri, Les toits en étaient de chaume ; elles recevaiepl. le jour par des lucarnes, et le pignon, formant un auvent au-dessus do la muraille, protégeait et ombrageait la porte, Sous ce porche, dans les calmes soirées d'été, aux heures où le soleil couchant éclairait la rue du village et dorait te faite des cheminées, les matrones et les jeunes filles, coiffées .do leurs bonnets blancs comme la neige, ornées do leur jupon rouge, bleu et vert, se tenaient assises, tournant dans leur main la quenouille chargée de chanvre, qu'elles filaient pour les métiers ; et doT'in■ té-rieur, les-navettes venaient mêler leur bruit au bourdonnement des rouets , et aux chansons des jeunes filles.
<< C'est alors que les laboureurs revenaient des champs; le soleil qui se couchait à l'horizon -faisait; place au crépuscule ; bientôt YAïigclus se faisait en tondre au beffroi, et l'on voyait s'Ôléver au-dessus dos toits du village dos colonnes d'une fumée bleuâtre semblables à dos nuages d on cens qui sortaient d'une centaine de foyers, séjours dé
paix et de bonheur.
« C'est ainsi que vivaient lès simples cultivateurs acadiohs réunis dansTamour do Dieu et de riiomnie.,,.. Point do serrures à leurs portos! point de barreaux à
I.'AC.AMK IÎH>
leurs f'euèlres, leurs demeures étaient ouvertes comme le joùrel comme le couir de leurs maîtres (t.). »
Los Mines, avec son petit fortin de pierres et les maisons groupées autour de cette minuscule capitule, formait une petite ville avec notaires, médecins et négociants ; niais le plus grand nombre vivait dispersé dans la campagne ; d\\ reste, il y a tout lieu de supposer (pie, comme au Canada, le prêtre, à ses fonctions de pasteur, joignait celles d'officier de l'élut civil, et souvent était l'arbitre des ditîéreinls. qui pouvaient s'élever entre les habitants.
Le sentiment de la famille était tellement puissant chez les Acadiens, que les enfants, même quand ils étaient mariés et avaient constitué une famille à leur tour, no quittaient rpoint leurs parents; ils se groupaient autour de la maison paternelle et hirniiiient ainsi des hameaux, quelquefois même des villages dont tous les habitants étaient alliés et portaient le même nom; c'est ainsi que l'on retrouve les (races du village des liébcrts, du P(Mt-aux^ÏÏuots,dm Richards,
Ils vivaient ainsi dans la plus grande liberté, sans roi ni gouverneurs, ïv'ayant pour but que le travail et pour loi que les bonnes pioeurs etd'antour du prochain,
Il semblé, lorsqu'on relitThistoire des jours heureux de ce petit peuple, que l'on soit transporté en plein âge d'or de la fable,
Leur industrie ne se bornait pas à la culture; après
..(!)■ Longfellow, Ecangeline,
201) MvS FRANÇAIS RN AMÛMOJ'H
leur dispersion, ceux qui furent jetés sur les côtes arides dos bords de l'Océan ou dans les îles du golfe, ou la terre manquait , devinrent pêcheurs, et dans celte nouvelle carrière, ils apportèrent l'adresse, l'intelligence et la persévérance qui les avaient distingués dans leurs travaux agricoles : ils devinrent les premiers pécheurs du monde. Les moyens leur manquant pour acheter des navires, ils se firent constructeurs.
Lu pauvre matelot acadien n'est point embarrassé d'aller dans la forêt choisir les arbres nécessaires pour la construction de sa petile goélette : nul autre que lui et ses enfants n'y met Ira la main, et le même bras qui aura façonné la quille et les membrures tiendra le gouvernail et commandera la manmuvre. Dépourvus de science, sachant à peine lire et écrire, presque sans capitaux, on en a vu d'assez hardis pour entreprendre la construction d'un navire de deux cents tonneaux, cl, chose, surprenante, ces navires, produits de l'intelligence et de l'adresse naturelle, ne le cèdent on rien aux meilleurs voiliers qui sillonnent les eaux du golfe du SaintLaurent.
Aujourd'hui, les Acadiens sont ce qu'ils étaient il y a un siècle ; ils ont conservé religieusement les moeurs ot jusqu'aux costumes delà vieille France : ainsi les femmes portent la coiffe normande ou bretonne, la cotte et le manlelet.
Lo type français des régions d'où parfirent leurs ancêtres s'est également conservé d'une façon remarquable. Généralement, l'Acadien est de faille moyenne, trapu, vigoureux, à la chevelure noire et les yeux noirs ou bleus.
I/ACAIUK 2ut
Mais les types que l'on rencontre le [dus souvent sont ceux du Gascon et du Béarnais,
Leur situation matérielle s'est sensiblement améliorée, et bon nombre d'Acadiens sont à la tête d'importantes pêcheries: telles sont celles de la maison Hobin et Ci 0 et le Jlouleillier do Paspebiac, dans, la baie des Chaleurs ; elles emploient une armée de pêcheurs et d'ouvriers, et leur Hotte transporte le poisson salé sur tous les marchés de l'Europe et de l'Amérique du Sud. Cependant, intellectuellement, cette race ne s'est pas développée comme elle aurait pu le faire, Cela tient à plusieurs causes:
Les habitants des îles, c'est-à-dire le plus grand nombre, sont, pendant tout l'été, absorbés par les travaux de la pêche ; l'hiver, ils sont enfermés chez eux, séparés du reste du monde par la banquise qui empêche l'accès do leurs côtes. Du mois de janvier au mois d'avril, non seulement les lies sont recouvertes d'une épaisse couche de neige, mais encore le détroit est gelé ; la seule communication (pie les habitants aient avec la terre se fait par la malle ; c'est un canot muni d'une double quille en forme do patins que dix hommes traînent sur la glace, le mettant à Ilot dès qu'ils trouvent un petit espace do mer libre.
Quelquefois un steamer construit d'une façon spéciale, et armé à l'avant d'un éperon d'acier, essaie de se frayer un chemin à travers l'épaisse couche de glace. Souvent, la glace est si épaisse que lo navire ne peut la briser et reste emprisonné pendant dos jours et des semaines, dérivant sous l'influence dos courants el. du vent. En
202
l.IvS FRANÇAIS m ..uiftiuguF,
18B2, un de ces steainers , le ïforthcrn-lJght'., jnil trois semaines pour aller (je Piéton à Georgetown , une distance de vingt-cinq lieues environ, Le bâtiment , engagé entre les glaçons, resta pris ; qiiol(|Uèlois, le coiirant ronTmîucati;
ronTmîucati; de çhiensr
tramait près de là côte , mais pas assez près , cependant, pour qu'il pût se ravitailler , et les vivres manquaient; Ce n'est que quaiid toutes les cloisons dès cabines furont brûlées poilr en(rèton i r un pou do clïaleur à bord, e t qûànd on ouf dévoré lé dernierbiscuit, que, demi-morts de faimv les passagers purent atteindre le port.
I/ACADIIV 20;t
Chaque année , à l'approche de l'hiver, les habitants voient se dresser peu à pou là terrible barrière qui va les séparer du monde pour cinq mois, Pendant cette longue séquestration, ils n'ont, pour toute distraction, que les courses en traîneaux attelés de chiens, le. patinage cl la chasse aux phoques ou loups marins,
Celte chasse se fait de différentes manières :
Aux iles Madeleine, c'est une véritable industrie : les .habitants capturent souvent dans mu} seule saison jusqu'à 30,000 de ces animaux ; leur .poursuite prend quelquefois les proportions d'une véritable guerre, et c'est toujours un événement marquant dans la vie monotone de ces terres désolées.
La glace forme, autour dos îles, une ceinture large de plusieurs kilomètres. Les phoques n'ont point d'endroits spéciaux pour atterrir ; ils apparaissent n'importe où, Des vedettes sont placées sur les bailleurs avec mission d'explorer du regard lo champ de glace et do signaler la présence des animaux dont les corps noirs, se détachant sur la blancheur de la neige, sont visibles à une grande distance.
Aussitôt que l'appariiion d'un troupeau est annoncée, les hommes accourent do tous les quartiers, armés de coutelas, de lances et môme de bâtons; bien souvent, ou traînés par leur ardeur, quelques-uns s'aventurent au loin jusque sur dos glaçons détachés ; alors, survienne un coup de vont, et les imprudents sont emportés à la dérive,
Chaque année , plusieurs hommes périsseiil de la sorte, Il y a trois ans, trois malheureux furent ainsi
201 l.KS FtUNÇAIS m AMtflUOUK
entraînés devant les yeux de leurs compagnons, impuissants à leur porter secours,
Une autre occupation hivernale des habitants est la construction de leurs bateaux de pêche: ils se rendent dans la foret, abattent les arbres et font leur bateau ; puis, quand il est terminé, ils viennent demander à leurs voisins de les aider à le transporter jusqu'au rivage ; tout le monde s'y met, et bientôt le petit navire reposé sur la glace, ou il reste jusqu'au dégel ; il prend alors la mer tout seul, Celte opération donne lion à dés réjouissances qui se terminent par dos danses et une distribution de rafraîchissements d'où les boissons alcooliques sont sévèrement proscrites,,
A Saint-Pierre et a Miquelon, où lès loups marins sont moins nombreux, lâchasse so fait tout autrement
et plus spécialement sur la, petite Miquelon, ou Languide,
Los loups marins viennent par tmndes do cent à cent cinquante individus dans le grand barrachois (le Langlado ; ils attorrissent sur la plage et y prennent souvent leurs ébats ; mais ces animaux , que lo voisinage de l-hommo et les dangers qu'il leur fait courir ont rendus défiants, no se hasardeni sur là grève qu'avec d'infinies précautions. Longtemps avant d'aborder, ils inspectent le terrain, ne laissant voir à la surface do l'oauqUè leur grosse tète brune ; ils sont alors fort difficiles à tirer, car, outre qu'ils ne présèntont a la vue qu'une très petite partie do leur iridividtij il est toujours à craindre qtiè là hôte blessée, mémo mortellement, lie soit perdue pour le chasseur, Il est donc préférable d'attendre qu'ils à îeïU
Î/AGAMK Wt>
pris terre ; mais ||s ne se laissent pas approcher, et au moindre danger, signalé par les maies placés en vedettes sur les flancs du troupeau, ils se précipitent dans la mer et disparaissent sans retour,
C'est à ce moment que l'on peut les capturer à l'aide de Tèrro-INouves qui, laissant fuir le gros delà bande, attaquent les traînards et les étranglent, avant qu'ils aient eu le tenips de rejoindre l'élément liquide.
Un fermier, établi au Goulet do Langlade, possède une monte do ces molosses parfaitement dressés à ce genre de chasse, el, chaque hiver, il capture un nombre suffisant de loups niarins, pour retirer un assez grand profit de la veille dos peaux et de IMiuilc qu'il on extrait,
En relation continuelle, pendant l'été, avec les marins anglais, les Acadiens mélangent au français un grand nombre do iiiols anglais, Ce fait n'a rien de bien surprenant : n'ayant ni instituteurs, ni gens instruits parmi eux, les Acadiens restèrent longtemps sans recevoir d'instruction d'aucune sorte. Les Canadiens ne savaient pas au juste ce qu'étaient devenus leurs frères de l'Acadie ; ils ne pouvaient leur venir eu aide et, jusqu'en 180.-), ils n'ourent jamais la possibilité de faire élever leurs enfants dans des écoles françaises,
A celle époque, le clergé catholique français du Nouveau-Bruns wick fonda, à Memrameôok, un collège où tous les cours étaient faits en français. Un deuxième collège se fondait, il y a quelques années, à Saint-Louis, également dans le NouVoau-Bruriswick ; niais cotte institution ne tarda pas à être ferméo, à là suite do difficultés survenues entre les professeurs français du collège et
201» I.ICS FRANÇAIS lï.\ AMlÇlUCjl'H
l'évêque du diocèse qui est Irlandais ; celui-ci, ainsi que les prêtres de mémo nationalité, sont opposés à la diffusion de la langue française ; ils voudraient même, afin d'assurer l'exécution de leurs projets, que les paroisses acadiennes fussent desservies par des prêtres irlandais.
Lo différend nous semble facile à trancher : pourquoi ne pas donner aux Acadiens des instituteurs français laïques ? Affranchis de la discipline ecclésiastique, ils n'auront plus à craindre, comme los prêtres français qui-' fondent dos écoles, d'èlrç déplacés et envoyés dans dos paroisses entièrement anglaises,
Nous voulons croire que c'est inconsciemment que los évéques irlandais se sont faits les complices de la politique inaugurée par l'Angleterre en 178r>, et dont le seul but était l'anéantissement do la race française,
La conservation do la langue française doit être l'objectif do tous los Canadiens qui s'occupent do leurs frères d'Acadie ; c'est la le plus ardent désir de ces pauvres dispersés -, témoin là conversation suivante rapportée par M. Gerbié :
« Nous étions à Moilcton'-,-, causant on anglais avec plusieurs personnes, lorsque l'une d'elles interrompit la conversation pour nous faire compliment, on excellent français; sur la manière dont nous parlions l'anglais, Nous crûmes d'abord à une plaisanterie dé la part de cette personne qui s'empressa d'ajouter :
— Mais oui, monsieur, je voudrais parler l'anglais comme vous,
« Cette fois", notre curiosité fut vivement excitée, car
I.'ACAIHK 207
notre interlocuteur parlait l'anglais très correctement, et avec un accent on no peut plus britannique,
« Nous lui demandâmes pourquoi cotte question.
-— Oh ! nous répondit-il, au moins on no douterait pas do mon origine française,
« C'était, on en conviendra, poùf ilattenr pour notre prononciation anglaise ; mais, à coup sur, nous goûtâmes sans réservé le plaisir do recueillir nu aveu aussi naïf et aussi touchant de son affection pour la France,
« Encore un Acadien séparé de la Franco depuis près do deux siècles ! »
La condition matérielle de la niasse des Acadiens est (telle de tous les pêcheurs qui ne se livrent pas à l'agriculture ; elle est précaire.Ces hommes sont en général imprévoyants , et leur travail est exploité par les marchands, Anglais pour la plupart.
Une instruction sagement répandue parmi ces populations aurait d'abord pour but do tes réunir en leur faisant connaître leur nombre ; la majeure partie ne soupçonne pas qu'ils dépassent lo chilfro do cent huit mille (exactement 108,021), Certaines colonies acadiennes ignorent qu'à cinquante kilomètres d'elles sont d'autres colonies aussi importantes et aussi peuplées que les leurs, Donc, manque, d'unité , de direction , et influence à peu près nulle au Parlement.
En second lion, l'instruction conduirait vite les pêcheurs acadiens à comprendre les avantages qu'ils 'trouveraient à so livrer à la culture dos plaines fertiles qui entourent leurs établissements ; ils s'affranchiraient'; du joug des marchands , redeviendraient leurs maîtres et pourraient
208
hiîs t'HÀNçÀis va Àwk\\Uwu
redevenir, à l'image des Cumulions, un peuple uni, fort el vaillant, parlant notre langue, qui viendrait, à un moment donné, grossir les rangs de leurs frères du Canada el ajouter un poids de plus à l'influence que ceux-ci ont déjà gagnée un Parlement , dans la politique et dans lesatfaires.
LA LOUISIANE
CX'K MAISON FIUNÇAISE
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NOUVELLE-ORLÉANS
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LiA BQIJISIANE
CIÏAPITHE PHEMlEll
Le Cavollicr de La Sàllë. — Son assassinat. — D'IboiVilto. — : Concession de la Louisiane à M. Gronat. — Jean La\y< —' La Compagnie dos Indes,—-Là banqueroute. — ltévoite desGhactas.— 'Cession de la Louisiane a■!.'Lspagne, — Là Louisiane sous le gouvernement eslDAgnbl.^ï^e cruel O'Hcilly. ■—Rétrocession de là Louisiane àlàFraiicoi-^V'eiifco do la iiouisiano àtix Ltats-thus-.
C'est un Français, le sieur Le Cavcl lier de La Salle, nous t'avons vu, qui, parti de Montréal à ht recherche d'une rottto conduisant à la mer Vermeille, le passage du Nofd-Obèsl, pour gagner ïo Jàpoii, ht Chine et les Indes, découvrit lé Misstssîpi, descendit soit cours, et arriva au golfe <ltl Mexique^
11 donna lo npiii de Louisiane à toute celte immense région^ arrosée par lé « Père des Eaux. » Su découverte et la prise de 'possession do ces territoires donnaient à la Franco tout le continent Hord américain, à l'exception d'Ûiio étroite ligne dé côtés sût 4 lès bords dèrAlluntiquo, dé là Floride et dit Mexique, occupée pur lés Espagnols el lès Anglais*
212 LES FRANÇAIS EN AMl'llU.QUiî
Dieu avant que Le Cavollicr de Là Salle descendit le cours du Mississipi, un Espagnol, Ferhand do SoloK quiU tant les.côtes de la Floride, avait exploré lés bouches (lu grand neuve, dans l'espérance do trouver uii nouveau Pérou. Après (rois ans do vaines recherches, il ni ou ru 1, et son corps , enfermé dans un tronc d'arbre creusé par ses soldats, ful jeté dans le Mississipi, (pli lui servit de tombeau.
A son',retour,eii France, en 1083, La Salle fut reçu par lé roi Louis XIV, qui le chargea de la colonisation dé la Louisiane, La llolle , emportant cinq cents hommes , colons ot marins, partit dç la Hochello le Ûi juillet 1084 ; la traversée/' ne, lut pas heureuse ; tin dos navires tomba au pouvoir des Espagnols qui croisaient dans ces parages , et, pour comble de malheur , quand oh arriva dans le golfe du Mexique, on no put retrouver les bouches du Mississipi, faute d'instruments astronomiques.
Lus do chercher l'entrée dit lïeuvo> La Salle fit débarquer sa troupe dans la baie de Saint-Bernard, au Texas', et après 'bien des vicissitudes commença l'installation de la colonie. Li'S débuts ne furent pas heureux : on butte aux maladies, à lu lièvre» les colons se virent encore aHuqués par lès bêles féroces et lès indigènes,
Là Salle, après avoir formé le projet do rochercliér le Mississipi, se'décida à remonter jusqu'au Canada pour demander du secours ; il partil avec seize hommes, laissant lès vingt autres survivants de t'oxpédition à la. garde du fort Saint^Louis, Après une marche nu nord de qiieiques jours? La £àlle fut assassiné par ses hommes;
LA LOUISIANE 2U1
Quant à la troupe restée à Saint-Louis, elle fut .massacrée parles sauvages; à l'exception de cinq.
Ces derniers ,uugnientés de quelques-uns des compagnons de La Salloqui aVaienl déserté au moment dudépurlj tombèrent entro les mains des Espagnols, que l'entreprise des Français inquiétait. Les rapports de ces prisonniers les tranquillisèrent ; niais ceux qui pouvaient /fournir des renseignements Utiles furent jetés dans les mines, au Nouveau-Mexique; Doux chfàhts, fils d'un Canadien nommé Talon* ^'°P jeuiies pour fournir des observations sur le pays, furent pris sotis la protection du vice-roi, qui plus tard les fit entrer dans la marine espagnole. Après des péripéties sahs nombre, qui tiennent bien plus du roman que derliistoire, ils parvinrent à regagner la France.
Eu 1090, le brave ntariii dTberviile, parti de Brest avec doux liavit'es, péiiétràit dàlis l'embouchure du ilississipi, romonlait le ileuvo jusqu'au village de lîayagoulas ; il fit élever ttii fort dans la baie do jîiloxi, entre le Mississipi et Mobile, et feutra en Françev
Au mois de janvier 1700, dTberviilo revenait avec le titre do gouverneur général de là Louisiane. 11 remonta le Mississipi jusque chez les Nalchez, oà il projeta de bâtir-, ithe ville. Pendàiif qu'il était dans cette tribu, lin violent orage éclata^ et la foudre tomba sur le temple et l'onfïànihià. Tous ces sauvages accoururent aussitôt, donnant les marques du plus affreux désespoir ; ils s'arrachaient les cheveux, se frottaient lé corps et lé visage do terre, levaient les bras ait ciel, poussant dés hurlements terribles". Les mères jelaieiit leurs enfants dans lés (lu tûmes, connue pouf apaiser le courrouk du étél.
1214 LUS ritANÇAis UN AMI;:IUOI;K
Malgré les efforts d'Iberville et de ses compagnons pour empêcher ces actes de barbarie, dix-sept enfants périrent sous les ruines embrasées du loin pie.
En fort, construit à Mobile, fui le seul résultat de cette lenlalive de colonisation. La mort de d'Iberville vint d'ailleurs arrêter toute intervention en faveur de cet établissement dont on ne parla plus jusqu'en 1712.
Les premiers colons de la Louisiane furent, comme nous l'avons dit, des Canadiens ; car, à celle époque, le Canada s'étendait de la baie d'Hudson au golfe du Mexique, le long du cours du « Pore des fictives, j> et les Canadiens jalonnaient ses rives sur un espace de. plus de douze cents lieues. « Ils disputaient les bords glacés de la baie d'Hudson aux traitants anglais , ou guerroyaient contre les Espagnols, presque sous le ciel brûlant des tropiques. La puissance, française en Amérique semblait, reposer uniquement sur eux » Au nom de leur roi, ils obéissaienl
obéissaienl calculer ni les sacrifices, ni les conséquences, et nous verrons, dans les pages qui vont suivre, que c'est à eux principalement que la France dut la conservation de la Louisiane, connue elle leur devait celle du Canada depuis un quart de siècle.
En 1712, ht Louisiane fut concédée à un négociant français du nom de Crozat ; mais cette entreprise commerciale n'eut aucun succès : tant que les colons avaient fait du commerce pour leur compte, ils avaient facilement trouvé chez les Espagnols des débouchés aux marchandises de traites achetées chez les sauvages ; mais, du jour où une grande compagne fut formée, constituant un monopole, les Espagnols refusèrent l'entrée de leurs
LA LOlilSlANH 2|o;
ports du Mexique el des lies aux navires français,
Complètement désillusionné sur les avantages de la Louisiane, Crozat rendit sa concession au roi. Le régent la concéda aussitôt à la Compagnie d'Occident.
Un aventurier écossais, .louu Luw. vint en France, et proposa au gouvernement de relever les finances de l'Etal. La situation déplorable- où se trouvait alors le trésor public explique seule la confiance qu'inspira ce financier. Le moyen qu'il proposa était d'abord la création d'un papier-monnaie, des billets de banque ; mais comme lu valeur représenté!» par ce papier ne se trouvait pas en espèces dans les caisses du trésor,, et que l'Etat eut été, par conséquent, daiis l'impossibilité de rembourser tout le papier-monnaie en circulation, la valeur de celui-ci était à peu près nulle ; au bout de peu de temps, il perdait le tiers, la moitié cl même les deux tiers de sa valeur nominale.
Luw ne s'arrêta pas pour si pou : sous te nom de Compagnie des Indes, il réunit los monopoles accordés pour les diverses colonies françaises du monde entier, et lit une émission d'actions payables eu papier-monnaie, que l'on recevait à sa valeur nominale, Le capital, fixé à cent millions, fuf souscrit en un instant ; les porteurs de papiermonnaie croyaient faire une spéculation magnifique , en l'échangeant au pair contre des actions qu'on leur rembourserait eu or, extrait des mines imaginaires de la Louisiane.
On envoya immédiatement de nombreux colons sur les rives du Mississipi; tiiie ville fut créée à trente lieues de t'emlioUchufe du fleuve, la Nouvelle-Orléans, aujourd'hui
210 LKS rUANÇAIS EN AÀlKlUOtlk
une dés plus populeuses et des plus riches dés Etats-Unis.
EiïJ720varrivà la banqueroute, i'éçiHnjletnoiit/du sysïèmo dé LavvV ruinant des nii^ la Conipagniè ait été utile à la colonie de la Louisiane.
Pendant la giierrc avec l'Espagne (171$)'.-* notre colonie fut attaquée par Garascosà'}' niais, grâce ttl'habileté do îîiéhville et de ses lieutenants, et à la bravoure des colons, Gàhadiéns pour la plupart, cette campagne/fut; latàle à l'Espagne,
C'est vers cette époque 1 qu'éclata là fameuse conspiration des Nàiohez, qui èftt pu côàter la vie à fou s les /îr^ùiiçttlH ' do,. In-, db.idtiiç. ;"■ "Qiiolçjiio;si " lïabUti|itâ'-.fiiroiit;.: sôiila.'- massaei'és, et les autres contres de population, prévenus à lemps, purent se défendre et inlliger une sanglante leçon aux Natcliez.
De faibles détachements de soldats français avaient suffi pour réduire ce petit poujde ; niais ces victoires àfïuiblissaiènt lés Français et la colonie dépérissait, En J 731 ^ là Compagnie remit son privilège au rdi, qui déclara le commerce libre.
Cependant, tics colons cherchaient toujours les mines d'or annoncées par Làw ; c'est au pays des Illinois que les imposteurs avaient placé ces mines* qu'ils disaient plus riches et plus abondantes même que celles du Mexique, « Plusieurs familles, dupes çi'tïrio erfêur presque générale, y avaient tfàiispdfté leur fortune. Elles trouvéfent ", au lieu de trésors cachés dans les entrailles de la tefroj un sol d'une fertilité inépuisable, un des plus doux climats du nionde, dos rivières navigables, qui toutes auraient pu être décorées du nom (le belle rivière
LA LOUISIANK 217
qu'on donna à l'Ohio. Les colons, revenus de leurs illusions, s'adonnèrent à la culture; cette petite partie delà, Nouvelle-France lit dès lors de grands progrès (I). »
La guerre qui, pendant ce temps, éclata entre la France et l'Angleterre, surprit la Louisiane sans soldats et sans fortifications. Les ('bâclas, gagnés pur los Anglais, poussèrent leurs courses jusque sous les murs de la NouvelleOrléans, et s'emparèrent, pour lo compte de l'Angleterre, d'une partie des cotes, qui nous furent rendues par le traité d'Aix-la-Chapelle. « Ceux qui eurent du bon sens, dit un mémoire du lemps, se hâtèrent de quitter un séjour où la liberté el la vie étaient exposées à de continuelles révolutions. »
Pour combler les vides causés par ces émigrations , le ministère envoya des troupes et. de nouveaux habitants ; mais ces colons étaient .recrutés dans les basfonds de la population parisienne, el les soldais étaient presque tous des déserteurs. Pendant plusieurs années, la Louisiane, fut le théàlre de désordres causés par ces transportés,
Telle était lu situation de notre colonie, lorsqu'on I7o0 la France reprit dti nouveau la guerre, contre l'Angleterre. Les Antilles et le Canada furent bientôt envahis, et la. Louisiane était menacée. Dénuée de secours, elle paraissait une proie, facile pour los Anglais , quand AL de Kerlerel, alors gouverneur, trouva, dans ses alliances avec los peuplades indigènes, à élever une barrière contre les envahisseurs.
('l)-'i3ai'bé4tai'bdls, Histoire de La Louisiane,
218 LKS MIANÇAIS UN AMl'lItlQlll-' :
Eclairés par. les. fautes .'.commises par leurs prédécesseurs, les gouverneurs-de la Louisiane avaient encouragé l'agriculture, et ils commençaient à recueillir les fruits de la nouvelle direction donnée aux habitants,', 'lorsqu'un "vaisseau vin!, le 21 avril 1704, apporter à M. d'Abadie, gouverneur, Tordre de remettre la Louisiane aux mains des Espagnols. Cet administrateur éprouva un tel chagrin de.celte'cession, qu'il en mourut ; il fut remplacé par M. Aubry.
Peu de temps après, d'tjlloa, officier général espagnol, vin! prendre possession du pays au nom du roi d'Espagne.
Par une circonstance singulière J cet officier n'était porteur d'aucun ordre écrit de sa cour; il avait, reçu l'ordre verbal du gouverneur de Cuba de se rendre à la Nouvelle-Orléans.
Al. d'iîltoa, sentant le coté faible desa position, s'attacha à gagner le commandant français, imaginant qu'il entraînerait le reste des suffrages ; mais cet officier jouissait lui-même do peu de sympathie parmi la population ; il en résulta des troubles , des 'désobéissances, aux ordres d'Ulloa, Les habitants, ayant appris que 1 officier espagnol n'avait pas do lettre patente -'de son gouvernenionL lui adressèrent une pétition , signée par les principaux d'entre eux, dans laquelle, ils lui demandaient de produire le titre qui. Lui donnait pouvoir de commander ,'-assurant qu'aussitôt qu'il l'aurait fait, tous rentreraient, dans le devoir ; mais que, faute par lui.de satisfaire' à colle réclamation, ils étaient décidés à rejeter les lois prohibitives qu'il avait imposées , et lui enjoi guaiont de quitter la colonie sous trois jours.
LA LOUISIANE 20)
Lîlloa comprit immédiatement le danger de sa situation ; il quitta la Nouvelle-Orléans , et vint en Espagne rendre compte de sa mission. Il peignit les Français comme des révoltés dont ou ne pourrait venir à bout par la douceur et contre lesquels il faudrait employer les plus grandes rigueurs. La cour d'Espagne , qui avait hutc de faire exécuter le traité, choisit lo général O'Heilly pour aller à la Nouvelle-Orléans ; il parfit muni de pleins pouvoirs.
O'Hcilly était Irlandais ; il avait quille sa pairie pour la cause du roi Jacques cl servi, en France, sous les maréchaux d'Eslrée el de Broglie ; puis, passant en Espagne, il était arrivé, grâce à déliantes protections , à la grande situation d'inspecteur général de l'infanterie.
L'ordre du-roi d'Espagne vint le trouver à la Havane ; il partit en toute haie, emmenant une Hotte de vingt-quatre navires et trois mille hommes de troupes.
O'Heilly crut entrevoir, dans la mission dont il élail chargé , l'occasion de paraître utile au rétablissement de. la paix de la colonie ; par la douceur de ses ordres , on n'eut pas pu , à ce qu'il pensait , apprécier suffisamment sa vigueur el sou énergie, et dès son départ, il résolu! « de faire un coup d'éclat qui put en imposer, lui donner la réputation d'un homme de tète, , etil jugea parfaitement que dos malheureux qu'on rejetait du sein de la pairie, y trouveraient peu de vengeurs ; ce fut dans ces principes qu'il arriva à l'embouchure du ileuve Mississipi.
« Du moment que l'on sut son arrivée à la NouvelleOrléans, on dépêcha AL de la Fresnière, procureur gêné-
220 LKS NUANÇAIS KN AMÉHIQL'IÏ
rai, pour le recevoir et l'assurer de la soumission de tous les habitants. O'Iteilly le reçut avec les plus grandes marques de bonté, lui annonça les ordres du roi d'Espagne,
Le Cabildb et lu l'iaco d'AriïiêS,
('ssàyant de traiter tous les Français comme des sujets qii'il désirait acquérir, Ces premiers moments rassureront les esprits s le Français, naturellement eniportéj se rend toujours à la justice et ne passe que trop rapide-
LA LOUISIANE 221
ment delà colère la plus violenle à la confiance la plus dangereuse.
« d!Uèilly observait tout, marquait ses victimes, et lui seul connaissait le moment ofi il devait faire écla 1er ses proscriptions. Il avait cominencé par lairo appliquer les règlements français, et ce début aurait entraîné la multitude. Lorsqu'il se crut assuré do ses moyens^ il hasarda de faire quelques èhangcmonls, qui éprouvèrent de la part do la justice des représentations positivés, O'Ileilly dissimula encore pouf être à portée de juger des iniprcssioits que forait sur chaque particulier le système qu'il voulaitélablir.
« O'Ileilly comprit parfaileinont que la Fresnière, par l'exactitude de ses principes, serait toujours un obstacle invincible à ses projets coiioussioiinaires ; il détermina le jour de ses atteiitats ; ses ordres furent donnés de manière que rien ne transpirât, ; et lorsque tout fut prêt, il manda chez lui lesr principaux habitânls podr lixer ayee" eux, il!iiire. manière irrévocable, les règlements qui dorénavanl feraient la loi de la colonie,
« Douze Français furent choisis pour représenter.ht. nation ; chacun d'eux y apportait le désir (le l'uiiion et de là concorde, et la colonie attendait eii silence le résultat de Celle délibération décisive.
« Lés députés étaient réunis ait Oabildo, chez O'Ileilly, et ils altendai.elit diuis la salle .d'audience son arrivée, quand) lotit a coup, les Iroupés prirent les urines et parurent aux environs du gouvcrnenieiit; les portes s'ouvriront^ Oltoilly parut ariné ail milieu d'une Iroiipo do satellites ; et avec une figure dèconiposéiv par l'éuorniité
222 LKS HIANÇAlS KX AMKIUiJl Iv
du crime qu'il était à l'instant de commettre, il bégaya quelques reproches vagues sur l'esprit de révolte .qui régnait dans la colonie, en déclara les députés auteurs, el termina sa criminelle harangue par les condamner tous à la mort,
« Ils furent à l'instant chargés de fers et conduits dans d'affreux cachols.
« Celte, nouvelle avait, volé rapidement dans la ville et y avait jeté ta consternation et le désespoir,
« O'Ileilly se renferma, dans son douvernement et refusa do voir qui que ce fui, jusqu'à ce qu'il oui consommé son crime ; cependant sept des malheureux Français qui attendaient la morl, furent élargis, et personne ne douta du motif qui détermina leur grâce ; l'avidité d'O'Hoilly el la manière dont il s'est conduit ne laissent aucun doute sur les moyens dont on se servit pour lo loucher (1). »
Les six condamnés qui subirent le dernier supplice furent : la Fresnièro, Noyanl, Carrosse, Villerot, Marquis et Millet.
a Tous ces infortunés, continue le même mémoire, souffriront Jour supplice avec la fermeté qu'on devait attendre de v'ertuoux citoyens qui n'avaient rien à se reprocher, La Fresnièro, avant d'être fusillé, protesta de son innocence, encouragea ses concitoyens à mourir sans témoigner aucune faiblesse; il d'il à Noyant d'en(1)
d'en(1) ~~ Mémoire màimserit adressé au rot Louis XVI sUr la Louisianei (Propriété do.l'auteur*)--.-..
LA LOflSIAXfv 22ît
voyer son écharpo à sa femme pour qu'elle put la remettre à son fils, quand il uurail vingt ans ; il commanda luimême aux soldats de faire feu, et il mourut comme un héros, en abandonnant à ses remords le cruel O'Hoilly, »
En 1770, O'Hoilly quittait la Nouvelle-Orléans avec ses troupes, après avoir, par la terreur, organisé la colonie selon la loi espagnole,
La Louisiane végéta, sous lo gouvernement do cinq administrateurs espagnols, et'quand, on 1778, la NouvelleOrléans fut ravagée par un incendie, c'est aux Français de Saint-Domingue que Carondelet s'adressa pour avoir des secours,
Continuant son système de prohibition , l'Espagne défendait aux navires étrangers l'entrée! du Mississipi, et ce n'est qu'on I7i)!l que le gouvernement des Etats-Unis obtenait do l'Espagne l'ouverture de ses colonies an commerce européen et américain. Deux ans plus tard , en 17!)î), un autre traité signé à Madrid concédait aux Américains la libre navigation du Mississipi ; ceux-ci on profilèrent pour venir enfouie s'établir dans toute la Louisiane, qui n'était plus espagnole que de nom. Cet étal se prolongea jusqu'en 1800,
Le premier acte diplomatique de Napoléon avec l'Espagne avait été d'obtenir la rétrocession de la Louisiane ; et, le 21 mars 1801, la Louisiane faisait retour à la France en échange du petit royaume italien d'Etrurie.
Le 20 mars 1803, M. Laussat débarqua à la NouvelleOrléans pour préparer l'arrivée du général Victor avec un corps de troupes considérable, Pendant que la Franco reprenait possession de sa colonie, on agitait, au congrès
m.
\,m risANÇAfs i-:,s AMKUIOI-IV
de Washington, la question do savoir si l'on proposerait au premier Consul do lui acheter colle possession, ou si l'on s'en emparerai! fout simplement par la foret;. MM. Moiiroe e! Livingston furent délégués pour aller faire à la France des propositions de cession,
A celle époque, Honaparte élail A la veille, de déclarer In guerre à l'Angleterre, et il n'ignorait pas «pie la flotte anglaise allait attaquer la Nouvelle-Orléans.
— Les Anglais, disait-il à ses ministres, ont vingt vaisseaux de guerre dans h» golfe du Mexique, et je n'ai pas un moment à perdre pour mettre la Louisiane hors de leurs attaques. Ces plénipotentiaires américains ne me demandent qu'une seule ville dans la Louisiane ; mais je considère la colonie comme déjà perdue,
Quelques jours plus fard, se promenant dans le jardin de Saint-Cloud avec Marbois, dans lequel il avait plus do confiance que dans M. de Talloyrand, il lui dit ;
— Vous èlos chargé du trésor, Monsieur ; et» bien , demandez-leur cent millions et qu'ils prennent fout le pays,
Marbois voulut faire quelques objections en faveur des colons,
— Portez, lui dit le premier Consul, vos théories sur le marché de Londres.
Le prix définitivement lixé pour la cession fut de quatrevingts millions, sur lesquels les Américains en prélevèrent vingl pour payer les indemnités dues par la France», aux citoyens américains. M. Marbois et MM. Livingston et Monroe signèrent le traité le 30 avril 1803.
Quand ils se levèrent, après la signature, les plénipotentiaires si» serrèrent la main.
LA LOmSIANL 22it
— Nous avons vécu longtemps, dit Livingston, mais c'est la meilleure besogne de toute notre existence.
Le 30 novembre 1803, devant les troupes-rangées sur la place d'armes, au bruit des décharges d'artillerie, Saleodo avait remis à M. Laussal les clefs de la Nouvelle-Orléans, tandis (pie Casa Calvodéchirait les habilantsdo la Louisiane relevés du sermonl d'allégeance envers Sa Majesté le roi d'ISspagno ; les couleurs espagnoles, flottant au nuit de pavillon, avaient été amenées, et remplacées par le drapeau tricolore ; la Louisiane passait sous la domination de la France.-
Le lundi 20 décembre 1803, avec te même cérémonial, Laussal romotta it los clefs de la ville, emblème de la propriété de toute la province, à MM, Claiborne et AVilkinson ; le drapeau tricolore, qui avait flotté pendant vingt jours sur la place d'armes, était remplacé par l'étendard étoile et barré (stars and strips), et la Nouvelle-Orléans devenait uiio ville américaine,
Les formalités remplies, les commissaires des deux puissances purent être témoins d'un incident produit par les dernières impressions que causait ce changement,
«Al'arrivée do M, Laussal, neuf mois avant son rappel, la colonie avait pu se croire de nouveau française, et peu de temps avait suffi pour ranime-* dans les coeurs (le quelques vieux habitants des sentiments qu'une aussi longue séparation n'avait pu éteindre. Us les manifestèrent à l'occasion du changement de pavillon.
« Pendaiil les vingt; jours que dura la domination franLKf>
franLKf> EN 'AMÉRIQUE.-' 15
220 LLS dUNCAIS KN AMKIUQIHC
eniso , celui de France avait flotté sur la maison de ville. Des soldats français, retirés depuis quelques années à la Louisiane, d'autres amenés de diflérents lieux au Mississijii par dos destinées et dos intérêts divers, s'étaient réunis à la vue des couleurs nationales, Au nombre de cinquante, ils s'étaient, de leur propi'e mouvement, constitués gardiens d'un drapeau illustré par tant de victoires, et ils veillaient à sa garde comme si elle leur eût été consignée, »
Le changement des pavillons se lit par l'élévation dé l'un et la descente de l'autre. Lorsqu'ils furent à mihaulèur, on les y arrêta ."quelques instants, et l'artillerie et les fanfanis célébrèrent cotte union, Quand on vit celui (les États-Unis s'élever au hallt du mat et se déployer dans les airs, les Américains exprimèrent leur joie par les cris accoutumés ; on mémo temps, lés couleurs do la Hépublique française descondaionl et furent reçues dans les bras des Français qui les avaient gardées : leurs regrets éclàtôrenf;'.•; et pour rendre un dernier hommage à ce signe, qui n'était plus celui do la souveraineté du pays, le sergent-major s'en enveloppa comme d'une écharpo et, après avoir parcouru la villo, il s'àcïiemina vers la maison du commissaire français,
La petite troupe raccompagnait ; elle fut saluée en passant devant les lignesi des Américains qui leur présentaient les armes, battant aux champs, drapeaux déployés. Les officiers des milices! la plupart Français de naissance ou d'origine, suivaient oh corps.
Laussàt les reçût, et ils lui dirent : / —- Nous avons voulu rendre à la France un dernier
;LA/LonisùNK--/ ■'■■"// : 227
témoignage do l'affection que nous lui. conserverons toujours. C'est dans vos mains (pu», nous déposons ce. symbole du lieu qui nous avait rattachés passagèrement à elle,
Laussal répondit :
•— Que lu prospérité de la Louisiane soil éternelle 1 Quand un peuple est vaincu sur les champs do bataille, quand, pour prix de sa victoire, h» vainqueur exige lu cession d'une province, on plaint le sort des malheureux que la destinée contraint à changer de nationalité, el la pairie pleure ses enfants séparés d'elle, Mais que dire de toute une province qu'un souverain vend à l'étranger pour quelques millions ?
CHAPITRE II
La Nouvelle-Orléans, — LesFrançaisà la Louisiane, — Los créoles. -- Les planteurs.
Dans ht grande confédération qui occupe presque tout le continent Nord américain et dont les Etats reçoivent et absorbent olia([uo année le trop-plein dos autres nations du monde, il eu psi un, peuplé d'hommes de race latine, intelligents, instruits, bravos et indépendants , qui. lutte victorieusement contre toute tentative d'absorption par là race anglo-saxonne.
Dans la Louisiane, vit une population qui envoie ses représentants au congrès fédéral, célèbre le 1 juillet, et dix jours plus tard, avec un èpthotisiasmo bien plus grand , fête l'anniversaire de là prise de la Bastille : ce sont les créoles, lès Louisianais-Frahçais,
BiTott/vlraco une ligne imaginaire do l'extrémité sudouest àl'extrémité nord-est de la Louisiane, puis que , descendant le: cours du Mississipi jusqu'à Balon-Bougo, on trace une ttutro ligne allant jusqu'à la baie do la, Chandeleur, dans le golfe du Mexique, on aura formé un immense triangle habité par une population de langue française.
230 ; I.LS J-UANOAIS EN AMKIUQOn
DUIIK toute colle région , s'élendoiil de magnifiques prairies, des champs de cannes à sucre, de colon, dé blé ; (lads ses pâturages paissent dos troupeaux nombreux ; ceux qui cultivent ces campagnes parlent français, et ont on général ht chevelure blonde el fou! bleu clair du Français duNord.
Là ./les noms des bayous, (les rivières, dos lacs, dos villages, des plantations sont français ; les paroisses portent des noms do sainls ou do fêtes do l'Eglise ; et bien que, depuis cinquante ans , les Anglo-Aniéricains, parlant l'anglais; deviennent do jour en jour plus nombreux dans cette .'-partie de l'Etat, cepondaul, dans leurs écoles, lès -enfants apprennent encore le français al, no parlent que colle langue,
La habitent les petits-fiis des malheureux colons do la Nouvelle-Ecosse arrachés à leur patrie par los; Anglais, on 17">*> ; ils portent encore le nom d'Acadiens. Dans les immenses prairies d'Attapakas et d'Opelousàs, ils formont la înajeure partie de la population, et çonlmo partout où ils se sont établis, un peuple à part.
Ainsi s'exprime un auteur américain au début d'unohistoiro des créoles de la Louisiane,
On évalue à plus de cinquante mille le chiffre dès Français établis à la.Louisiane depuis plusieurs générations : ce sont les créoles,
Outre ces habitants v maintenant citoyens dos ÉtatsUnis, un grand nombre do nos compatriotes se sont Fixes soif à la Nouvelle-Orléans, soit-sur les rives du bas Mississipi, où ils sont commerçants, ou bien où ils
LA i.onsiAM-: 231
possèdent de vastes exploitations agricoles appelées plantalions.
La iNouvello-Orléans , la « Ville du Croissant » . se divise en doux parties bien distinctes; la ville américaine el la ville française, que sépare Canal-Slreel,
Dans la ville française, toutes les maisons, basses, en pierres de taille ou en briques, sont les unes revêtues d'une couche de stuc, les autres peintes à l'huile. A chaque fenêtre esf appliqué un balcon de 1er sur lequel descendent des jalousies. Ces demeures des riches Français de la Louisiane ont toutes une porto cochère donnant accè-i aux voilures dans une (tour intérieure plantée comme un jardin, el embellie des plus belles (leurs du monde,
Toutes les rues du quartier français ont conservé non seulement des noms qui rappellent la vieille Franco — lloyale, Chartres, Bourgogne, Castries, du Hempart. Dauphino —mais encore un aspect spécial et un cachet particulier : à côté de magasins modernes , tenus par des Français et ressemblant absolument à ceux de Marseille, de Bordeaux et du Havre, on retrouve de vieilles constructions remontant à l'époque de notre occupation de la Louisiane ; des coins de rues avec l'antique réverbère , que l'installation du gaz dans toute colle partie de la ville n'est pas encore parvenue à faire disparaître.
Est-il besoin de dire que partout on parle français, et (pic, si les Louisianais-Français sont obligés d'employer la langue anglaise dans leurs relations avec les Américains, chez eux, ils n'emploient pas d'autre idiome que le nôtre?
232 I.HS KIIANCAIS KN AMKIUOI'K
Dans le quartier français aussi, sont les cafés luxueux, qui conlrastenl siugulièreiueul avec les bars américains, où l'on avale à la bille et debout des boissons épioées. des snndwiohos el des tranches do jambon, el les restaurants renommés pour lu succulence de leur cuisine.
A la Nouvelle-Orléans, les Français déjeunent à dix
heures cl dînent a quatre, à cause de d'heure où commencent les représentations au Ihéîïlre ; les créoles ont conservé' de la mèrepairie un go ni très prononcé pour huit ce qui louche à l'art drumnliipie. Il suffit, pour s'en convaincre , de se rendre un soir au (1 rund-Thentre, à Si-Charles ou aux Variétés.
Un ouiude lfi ruoilo Castrii s^liinslequfii'lioi'l'raii'.'fiis.
Ces salles regorgent, de inonde, et l'on pourrait se croire, transporté dans un Ihéàlre de Paris, en entendant des acteurs français jouer dos pièces françaises, et surtout en regardant les spectateurs. Los rares Yankees
LA 'L0ÛIS1.AMÎ233
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qui s'aventurent dans ces réunions y seul aussi déplacés •pie los Anglais dans nos théâtres de Paris, et se font, tout comme eux, remarquer "par lourtoi.no,,., incroyable,
U.CStaUKUlt flV.lK'iUS.
Depuis quelques années, la ligne de démarcation outre les Anglo-Américains al les Louisianais-Français tend à disparaître: les deux races semblent vouloir se fondre ; mais ce n'est, pas la race américaine qui absorbe l'autre ; c'est bien plutôt la race française qui. petit, à petit, a
234 LUS rUANÇAlS LN AMÛIUQIW
imposé ses goûts, ses coutumes et son genre (te vie à l'Américain. Et de fait, partout où il voyage, l'Américain du Sud'se distinguo de. ses autres compatriotes par son type, par son esprit moins positif, son caractère plus gai, ses idées plus généreuses • il y a du Français dans tous ces gens du Sud.
Ne font-ils pus prouvé pendant la guerre civile (les Elal-Fnis, en 181)2-181)3? Un auteur américain écrivait à celle époque que dans l'armée sudiste on retrouvait la bravoure , le courage , la générosité chevaleresque des Français du xvu° siècle, qui étaient venus fonder une colonie française sur les rives du Mississipi, qualités inhérentes à notre race, et qu'un séjour de plusieurs générations sur la terre américaine n'avait pu faire perdre aux descendants des premiers colons,
Personne n'ignore, du reste, que la paix signée depuis vingt et un ans entre les Etals du Nord et ceux du Sud n'a pu éteindre complètement l'hostilité qui existe entre ces deux races,
Aux environs de la Nouvelle-Orléans, depuis la mer jusqu'à celle • i'; :f en remontant le cours du Mississipi, ».' ;.i de nombreux villages entièrement habités par des Français ; quelques-uns descendent des Canadiens qui, les premiers, sous la conduite d'Iberville, vinrent s'établir on Louisiane; d'autres sont les fils d'Acadions transmigres par les Anglais en 1755 ; d'autres enfin, et c'est lopins grand nombre, ont émigré à une époque plus récente.
A coféde ces villages, s'étendent d'immenses exploitations agricoles, des plantations appartenant à des créoles
LA LOUISIANE
233
français : c'est eux -que l'on nomme les ."planteurs* Autrefois, leurs vastes propriétés étaient .cultivées parles esclaves ; depuis la guerre de Sécession, qui a amené l'abolition de l'esclavage sur fout le territoire dos Etats-Unis, les nègres sont libres; mais la plupart sont restés comme
Maison d'un planteur français, à Marigny, '.habitée par L.pulsd>l)iiippe on 1798,
ouvriers sur les plantations ou ils étaient attachés ; ce qui tondrait à prouver que les esclaves, tout au moins ceux employés par lés Français, n'étaient pas aussi maltraités que quelques au tours se sont plu à récrire,
La vio des planteurs est des plus agréables : aux coutumes apportées de France par leurs aïeux, ils ont ajouté les usages des pays chauds, modifiant leur genre do vie suivant les exigences du pays. Ils ont conservé los
236 LES FtlANÇAIS UN AMÉUlOlUÏ
grandes traditions de générosité et d'hospitalité qui distinguaient leurs ancêtres, traditions qui se cont perpétuées dans toutes nos colonies et sont pour, ainsi dire devenues légendaires;
Mais, avant tout, les créoles français, à quelque classe de la société louisiauaisc qu'ils -appartiennent.:', riches planteurs, propriétaires de terrains immenses, ou laboureurs disséminés dans les paroisses, ont conservé l'amour du nom français; ils se font gloire de leur origine , tout/ comme leurs frères du Canada ;.,-' comme les Acadiens, comme leurs compatriotes répartis sur tout lo continent Nord américain. Leur sort a été commun: une même politique les a tous, à des époques différentes, rejetés du sein de la mèrc-palrio ; tous ont voulu /protester contre cet abandon ; ils ont voulu montrer ait monde qu'on pont, Soutenu par l'amour de la Franco , courber le front sous lo joug de l'étranger, vivre à l'ombre d'un drapeau qui n'est pas le sien, et, cependant, ne jamais abandonner ce qui constitue l'essence d'un peuple, sa langue, ses coutumes, ses croyances.
Ces vaillants, les fils do ces/braves qui avaient; été par delà les mers pour conquérir le continent américain, pour fondeiy de l'autre côté de l'Océan, une Franco nouvelle:x une France transatlantique, n'ont pas réussi : trahis par le sort désarmes, ils n'ont pu conserveries territoires ; mais, unis dans une même pensée, ils ont formé 11 n> peuple) les
FllANÇAtS l^VMtiiUQUK,
T AELE DES MATIERE S
LE CANADA
Cil A PI TRIO PU 10 M 1ER
Jacques-Cartier. — Les abandonnés do rilc-dc-Sablc. — Champlain. — Fondation de Québec. — Dévouement do d'Aulac. — Frontenac. — Le Cavellier de La Salle. — Traité do Saint-Gcrmain-cn»Laye, 5
CIIAPIT11K II
Paix avec les Irocpiois, «— L'amiral du Brouillard. — Traité (rutrecht. — Traité d'Aix-la-Chapelle. — Déloyauté do Washington. — Franklin et les Français, — Montcalm.— Bataille de Carillon. — Bataille d'Abraham. — Mort de Montcalm.-- Reddition do Québec— Traité do Paris. — Les héros du Canada. — Les voleries de l'intendant Bigot. 27
CHAPITRE III
Cession du Canada à l'Angleterre. — Guerre do l'Indépendance. — Rébellion do 1837. — L'Acte d'Union. . . . 51
CHAPITRE IV
Québec, — Vue de la ville — Les aubergistes. — Le monument de Wolfe. ~ La terrasse. — Les calèches, — La maison du Chien-d'Or 03
CIIAP1TRM V
Montréal, — Non-Secours. ~ Montréal l'hiver. — Le Palais de glace, — Lo carnaval. — Les raquettes, — Le Toboggan* — Ottawa, — Slierbl'ook. — Toronto. - i, • . . . . 7!}
2(18 TAIILIÏ DES -MATl'l'ïlUÎS.' v.•'-•'. '.
CHAPITRE VI
Les Canadiens-Fiançais. — La famille. — Gouvernement. —.Législation.'— Religion.— La langue française.—Les journaux. — Littérature canadienne. — Amour dos Canadiens pour la France.— 1870. — Que deviendront les Canadiens?. . , . ....... .'■-.-' .... 97
CHAPITRE Vit
L'habitant. — Normande et Bretons, — Une maison. — La vie. — Les fêtes de l'hiver,— La Guiijnolàc. -- Les chansons. — Légendes. ■* .'-.. ... -... . ■'. . . « . . t.in
CHAPITRIO Vît
Los .voyageurs.— Los chantiers. — Los exploitations de bois. — Les squalers. — La naissance d'une ferme»-'. . ïT>i
CHAPITRE IX
LaGrandc-Tcrrc do solitude.— La Compagnie du Nord-Ouest. •—Le combat des Sepi-Chênes.~Li\ chansoiide Pierre Falcon. —Révolte des métis de la rivière Rougo. — Louis Riel. --■Guillaume lo Morfondu. — Annexion du Nord-Ouest nu Canada.-- Los derniers événements,"''— Mortde Louis Riel. RU)'
CHAPITRE X
Winnipeg. — Le Canadien-Pacifique.'— Les métis. — Le bison, — Chasseurs et trappeurs. — Le wolverine. — Lit traite dos pelleteries,■■■— Les Indiens, — ,La Colombie britannique» — Les rives du Pacifique, /.'..'' .- ... .-.-.. 141)
L'ACADIE
CllAPITlîF PREMIER
Découverte de l'Acadie. — Los capitaines do sauvages. — Le baron de Saint-Castin,— Prise de Port-Royal,—1755. — Expulsion dos Acadiens. — Cruautés dos colons anglais. — Longfellow. ... . . . . ...... 150
CilAPlTRtO II
Dispersion des Acadiens,— Les Français h l'étranger. — Lo fleuve Saint-Jean.'■—« Los rives-du golfe du SaintLauroiit, — L'ile du Cap-Breton, — llodu Princedildouard. Terre-Neuve. — Sniiit-Plerrc et Miquelon. . . ...'■• . 175
TAULE DISS.MATIÈHKS. '/"■'... - 2!lt)
CHAPITRE III
La population acadienne. —* Situation 'physique, et morale, •—Agriculture» — Los ■nbboiteaux, — Les villages. — .iOvangoli.no.— Les Pêcheurs —■'■La malle. — Le courrier. — Instruction. — Le clergé irlandais. , -.'■ , . , ... 101
■..'■ LA LOUISIANE ■
CHAPITRE PREMIER
Le Cavellier de La Salle. — Exploration dans l'intérieur. Assassinat do La Salle. '— D'Iberville..— Crozat. — Jean Law. — La Compagnie des Indes. — La banqueroute; — Révolte des Chacias. — Cession de la Louisiane à l'Espagne, — Ultoa. — O'Ileilly. — Ses cruautés. - La Louisiane rendue à la France, —Vente.de la Louisiane aux Etats-Unis. , , ... , . . . . '■'..". . . . . Sll ■
CHAPITRE II
Les Français <ï la Louisiane, — La Nouvelle-Orléans. — Population. — Les planteurs. — La guerre do Sécession, , 221)
TABLE DÉS GRAVURES
Frontispice. —La citadelle de Québec. . ..''■ . /■ , - . ,'..-. 2
Jacques Cartier ..-. . .... . ...,..,. 7
Un sulpioien en 1700. . ."'... > .... .-.'.' . . . 1/|
Steamer descendant les rapides de la Chine,.-'.-.,'-, . . . 47
Le port do Kingston. , » ... ■'. .. . . ".. • • . . 21
Mort du général Wolfe. .... . ; ■". Y Y* * • *^
Habitation d'un Catiactien-Français en 1830. . .-' .....-''. 57
Habitation d'un Canadiend,1rançais en 1885. . -.--..- . v fit
Vue de Québec. .' ... .-'.- .... . . . . . . . fui
Pilote indien sur lo Saintt-Laureut. . ■'.'-/-.■-.. Y . . < .05
Québec vue de Saint-Laurent. . . », .... . . 07
La vieille porto Saint-Jean, . . . .,-.'. , . . » . , 09
Une foire à Québec, . . .. ;, ■-. . . . . .-'*. . ;. . • -71
Une vue du lac des Bois. .. . , , -, . » . , -Y.- 77
Les quais do Montréal on été. .. . . . '.'"-. .-'-.- .". 81
Les quais de Montréal en hiver. . . .-■ . . . . ,- . > 85
Une rue do Montréal l'hiver. .'■-,'.. '...;-, » ..' . . . , . 89
Un marché a Montréal, . -, .... ....... 93
Sherbrook. . ., . Y , . . . . . . . . . ...-■■". '■'." 99
Flottage du bois sur un affluent de l'Ottawa, ... . '■"'.' 127
Un cimetière indien sur les rives du Pacifique, . ... 135
Un monument naturel sur l'océan Paciiique, ".,... ;.:. . . 139
Campement d'Indiens sur l'Assiniboine. . ..... ... U8
Le Canadien-Paeifique près Whinipég. Y . . » ... 151
Tr in arrêté dans les neiges."-. . . . . . , , » » » 152
Métis traversant la rivière Rouge. . . ... . .".-.,... 11)3
Polit indien dans le Nord-Ouest, ,. . . . .... 155
Un Acadien, . . . . , . Y. , , . ... ... 174
Quartier français à New-York. . .... . ... .177
Autre quartier français à New-York. . Y- ■ • v '• ♦ • ^78
Acadien des îles du golfe du Saint-Laurent. , . . . . .181
Jeune fille acadienne. . . . . . . . ... . . . 193
La Grand'Préo et lo cap Blomidon.' . . . . ... .190
Traîneau attelé de chiens, Y , , . . . ... . » * 20$
Une maison française à la Notivctle-Orléans. . . . ..209
Le Cabildo et la placo d'Armes. ... . . . . . , . 220
Réverbères et enseignes françaises, , , ... ... 23£
llcstaurant français à la Nouvelle-Orléans, . » .'. ... 233
Maison de planteur français à la Nouvelle-Orléans. Y . Y 235
Poitiers, — Ty[,ogrnphlo OuJi.ii»