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Title : L'Etablissement de la province de la Louisiane : poème composé de 1728 à 1742 / par Dumont de Montigny ; publié par le baron Marc de Villiers ; [d'après le manuscrit Ms-3459 de la Bibliothèque de l'Arsenal.]

Author : Dumont de Montigny, Jean (1696-1760). Auteur du texte

Publication date : 1931

Contributor : Villiers Du Terrage, Marc de (1867-1936). Directeur de publication

Relationship : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb41641926w

Type : text

Type : printed monograph

Language : french

Format : Fig., pl. ; in-8

Format : Nombre total de vues : 212

Rights : Consultable en ligne

Rights : Public domain

Identifier : ark:/12148/bd6t53355389

Source : Musée du quai Branly, 2021-336691

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Online date : 25/07/2022

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JOURNAL

DE LA SOCIÉTÉ DES AMERICANISTES (RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE)

NOUVELLE SÉRIE — TOME XXIII (Fasc. 2).

AU SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ 61, RUE DE BUFFON, 61, PARIS, V e

1931


FÉDÉRATION DES SOCIÉTÉS DE SCIENCES NATURELLES. Secrétariat général : M. J. Verne, Secrétariat de l’Association Française pour l'Avancement des Sciences, 28, rue Serpente, Paris (66). 1. — Faune de France, publiée par l’Office central de Faunistique. Volumes parus : Échinodermes, par Koehler, 150 fr. (ne se vend pas séparément). — Oiseaux, par Paris, 65 fr. — Orthoptères, par Chopard, 35 fr. — Sipunculiens, etc., par Guénot, 6 fr. 50.— Polychètes errantes, par P. Fauvel, 66 fr. — Diptères anthomyides, par E. Séguy, 100 fr. — Pycnogonides, par Bouvier, 14 fr. — Tipulides, par Pierre, 36 fr. — Amphipodes, par Chevreux et Fage, 72 fr. — Hyménoptères vespi- formes, I, par L. Berland, 62 fr. — Némalocères piqueurs : Chirono- midae, par Kieffer, 28 fr. — Némalocères piqueurs : Simuliidae, Culicidae, Psychodidae, par E. Séguy, 25 fr. — Diptères brachycères, par Séguy, 62 fr. — Diptères pupipares, par Falcoz, 15 fr. -— Diptères némalocères : Chironomidae, Tanypodinae, par M. Goetghe- buer, 20 fr. — Polychètes sédentaires, par P. Fauvel, 85 fr. — Diptères brachycères : Asilidæ, par E. Séguy, 40 fr. — Diptères némalocères : Chironomidæ, III, Ghironomariæ, par M. Goetghebuer, 36 fr.— Hymé- noptères vespiformes II, par L. Berland, 40 fr. — Coléoptères : Cerambycidae, par F. Picard, 36 fr. —Mollusques terrestres et fluvia- tiles, par L. Germain, t. I, 150fr.,t. II, 150 fr. S’adresserau Secrétariat général de la Fédération. II. — Année Biologique. Comptes rendus des travaux de biologie générale. Abonnement annuel : France : 75 fr. ; Etranger : 100 fr. S’adresser au Secrétariat général de la Fédération. III. — Bibliographie des Sciences géologiques, publiée par la Société géologique de France et la Société française de minéralogie. Prix : 20. fr. pour la France. S’adresser à la Société géologique, 28, rue Serpente, Paris (6 e ). IV. — Bibliographie botanique, publiée par les Sociétés botanique et mycolo- gique de France et distribuée avec les Bulletins de ces Sociétés. S’adresser à la Société botanique, 84, rue de Grenelle, Paris (7 e ). V. — Bibliographie américaniste, publiée par la Société des Américanistes et distribuée avec son bulletin, le Journal de la Société des Américanistes, 61, rue de Bulon, Paris (5 e ). Abonnement : 70 fr. (pour la France), 80 fr. (pour l'Etranger) ; Tirage à part de la Bibliographie : 25 fr. VI. — Bibliographie africaniste, publiée par la Société des Africanistes et distribuée avec son bulletin, le Journal de la Société des Africanistes, 61, rue de Bull’on, Paris (5 e ). Abonnement : 70 fr. (pour la France), 80 fr. (pour l’Etranger) ; Tirage à part de la Bibliographie : 25 fr. VII. — Bibliographie horticole, publiée parla Société nationale d'horticulture de France et distribuée avec le Bulletin de cette Société. S’adresser à la Société nationale d’Horticulture de France, 84, rue de Grenelle, Paris (7 e ). PRINCIPAUX ARTICLES PARUS DANS LES DERNIERS TOMES DU JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES. Tome XIX (1927), xxix-559 p. J. de ANGULO. Texte en langue porno (Californie). — E. CONZEMIUS. Los Indios Payas de Honduras. Estudio geogrâfico, histrico, etnogrfico y lingüstico.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE POÈME COMPOSÉ DE 1728 à 1742, PAR DUMONT de MONTIGNY, * PUBLIÉ PAR Le Baron Marc de VILLIERS. [Planche III)

AVANT-PROPOS. Les Mémoires Historiques sur la Louisiane, contenant ce qui est arrive de plus mémorable depuis l'année 1 687 1 jusqu à présent ; avec l'établissement de la colonie Françoise dans cette Province de VAmérique Septentrionale sous la direction de la Compagnie des Indes ‘ le climat, la nature et les productions de ce pays ; l'origine et la religion des Sauvages qui l'habitent .'leurs mœurs et leurs coutumes, etc. Composés sur les Mémoires de M. Dumont, par M. L. L.M. Ouvrage enrichi de Cartes et de Figures, furent publiés, en 1753, à Paris, chez le libraire CL J. B. Bauche. Cet ouvrage est bien connu de toutes les personnes s’intéressant à l’histoire de la Louisiane ou à l’ethnographie des Indiens de cette contrée ; toutefois, ce qui l’est beaucoup moins 2, c’est que Dumont, bien avant de confier à Le Mascrier 3 le soin de publier le résultat de ses observations 1. Le Mascrier racontant la découverte de l’embouchure du Mississipi par Cave- lier de La Salle, aurait dû mettre 1682. 1687 rappelle simplement la date de l’assassinat du grand explorateur. 2. Nous avons, cependant, déjà publié, en 1914, une notice sur le poème de Dumont, dans le Journal de la Société des Américanistes de Paris, tome XI, p. 35 à 56. 3. L’abbé Jean-Baptiste Le Mascrier (1697-1760) a composé, adapté ou traduit un Société des Américanistes, 1931. 18

Médiathèque

Musée du quai Branly


en Amérique, avait déjà composé un poème en quatre chants, épique et didactique, où il racontait le soulèvement des Natchez, et décrivait les mœurs des Sauvages de la Basse-Louisiane. Le manuscrit du poème, écrit tout entier de la main de l'auteur, se trouve conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal 1, et porte le titre de : Poème en vers touchant l'établissement de la province de La Louisiane, connue sous le nom de Mississipy avec tout ce qui s'y est passé de depuis[sic] 1116', jusqu'à 1141 : Le massacre des François au poste des Natchez, les Mœurs des Sauvages, leurs danses, leurs Religions, enfin ce qui concerne le pays en le général. La dédicace du poème, comme celle des Mémoires Historiques, est signée par Dumont, et on ne comprend guère comment Quérard, après avoir, d’abord indiqué Dumont (de Montigny) comme l’auteur de ce dernier ouvrage, peut ensuite, dans La France Littéraire, l’attribuer à Géo Butel- Dumont 3 « qui, dit-il, les composa sur les mémoires de Le Mascrier » 4. Les Mémoires Historiques contiennent un hommage à M. de Silhouette, qui, entre autres fonctions, remplissait, en 1752, celle de Commissaire du Roi pour les affaires d’Amérique, mais le Poème en vers est dédié « A l’illustre Ministre d’Argenson ».Les armoiries dessinées par Dumont, en tête de son manuscrit 5 , se trouvant timbrées d’une couronne de comte, ne peuvent certainement pas être celles du Marquis d’Argenson, Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères de 1744 à 1747, et cherchent à représenter maladroitement le blason de son frère, Marc-Pierre, Ministre de la Guerre de 1742 à 1757 5, Dumont n’indique nulle part l'époque à laquelle il composa son poème ; toutefois, diverses remarques et certaines descriptions, notamment celle de la Nouvelle-Orléans 6, montrent qu’une partie du premier chant certain nombre d’ouvrages : notamment la Description de V Égypte.. . composée sur les Mémoires de M. de Mallet, VHistoire de la dernière Révolution aux Indes Occidentales, l'Histoire générale des Cérémonies religieuses du globe, etc. 1. En rectifiant la numérotation, le manuscrit contient 175 pages de texte, deux cartes se dépliant, et 16 feuilles de dessins ; son format est de 210 millimètres sur 106. 2. 1719 aurait été beaucoup plus exact. 3. Butel-Dumont est l’auteur de l’Histoire et Commerce des Antilles anglaises, de l'Histoire du Commerce des Colonies anglaises dans l'Amérique Septentrionale, d’un certain nombre de traductions et de divers autres ouvrages. 4. Cette erreur a été reproduite par Barbier, dans son Dictionnaire des Ouvrages anonymes. 5. D’azur à deux lions léopardés d’or, passant l’un sur l’autre, couronnés de même, armés et lampassés de gueules. 6. A l’époque où Dumont décrivit la Nouvelle-Orléans, l’habitation des Jésuites était déjà construite, mais la ville ne possédait encore aucune espèce d’enceinte.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 275 devait être déjà terminée avant la révolte des Natchez, survenue le 29 novembre 1729. Les dernières pages du premier chant et la plus grande partie du second paraissent avoir été écrites à la Nouvelle-Orléans en 1736 ou en 1737 ; la fin du second et le troisième furent composés, à Port-Louis, de 1741 à 1742. La Description des mœurs des Sauvages semble avoir été versifiée à diverses époques, mais le passage du dernier chant, où Dumont parle de la nomination de Diron à Saint-Domingue 1 n’a pu l’être avant l’automne de 1742 et le poème se trouvait certainement terminé à la fin de la même année, car les vers suivants, tirés de la Conclusion, Tant que le sieur Bienville Sera, de ce pays, le maître de la ville, On n’y verra toujours que grande pitié... montrent que l’auteur ne connaissait pas encore le prochain retour du gouverneur, décidé tout au début du mois de janvier 1743. L’année suivante, Dumont dessina la Carte du Continent de VAmérique et de ses Isles principales, datée de 1744, rédigea la dédicace, fit relier son poème et l'offrit au comte d’Argenson. Le manuscrit passa ensuite entre les mains d’Antoine-René d’Argenson, marquis de Paulmy,dont la belle bibliothèque, vendue par lui au comte d’Artois, en 1785, sous réserve d’en conserver l’usufruit, fut confisquée pendant la Révolution, et forme, actuellement, un des fonds anciens les plus importants de la Bibliothèque de l'Arsenal. Les bibliophiles du xvm e siècle lisaient leurs livres, etPaulmy inscrivit, sur le premier feuillet, cette très juste annotation : « Les vers sont exécrables, mais il y a des choses singulières ». Le pauvre Dumont n’était, hélas ! pas même un rimeur de troisième ordre, et, pourtant le Poème en vers n’était peut-être pas son premier essai lyrique, à moins que ce vers de la Dédicace : Muses ! dont j’ai jadis éprouvé l’indulgence, ne fit tout simplement allusion aux premiers chants de son poème, composés en Amérique.

Les renseignements biographiques concernant Louis, François, Ben- I. Diron d’Artaguette, commandant de La Mobile, fut nommé Lieutenant du Roi à Saint-Domingue, en 1742.


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SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

jamin Dumont, ou Dumont de Montigny, se trouvent fort dispersés, et leur rareté s’explique aisément par suite de son rôle très effacé dans l’histoire de la Louisiane. Nous ne connaissons ni la date, ni le lieu de sa naissance et savons simplement, grâce à son acte de mariage, conservé sur les registres de l’église Saint-Louis de la Nouvelle-Orléans, qu’il était fils de Jacques du Mont, avocat au Parlement de Paris, et de Françoise Le Mare, «native de Paris, paroisse Saint-Côme ». Montigny devait être le nom de quelque terre appartenant à ses parents. On peut donc supposer que Dumont, fort jeune sous-lieutenant en 1719, était Parisien, et qu'il naquit dans les toutes dernières années du xvii e siècle. Le futur poète avait certainement suivi les cours d’un collège, car il cite Virgile, et savait assez de mathématiques pour lever un plan et pouvoir s’intituler géomètre ou ingénieur. Malheureusement ses maîtres ne lui avaient inculqué que de très vagues notions d’art poétique ! François Dumont de Montigny s’embarqua pour la Louisiane, en même temps que la compagnie deM. de Valdeterre, dans les derniers jours du mois de mai 1719; qualifié de sous-lieutenant, son nom figure sur la liste des passagers de la flûte La Marie, établie, le 28 mai, à La Rochelle. Le jeune officier participa à la seconde prise de Pensacola (16 septembre 1719), puis, pour une raison que l'on ne connaît pas, rentra en France quelques mois plus tard ; Dumont, dans les Mémoires Historiques, parle de son séjour à Lorient en 1720, et, au mois d’août delà même année, le ministre Le Blanc s'informa des motifs de son retour. Dumont fut placé, le 17 octobre 1720, « dans la situation de lieute- tenant réformé d'infanterie, attaché à la garnison de Port-Louis », et reçut, le lendemain, un brevet l’autorisant « à aller servir en Louisiane, sans que, pour cette raison, il put être sensé avoir quitté le service du Roy, ni perdre son rang 1 ». Bien que son nom ne figure pas sur la liste des officiers engagés spécialement par le Ministre de la Guerre pour aller mettre en valeur sa concession de la rivière des Yazous, comme Dumont s'y trouvait en 1721, il semble tout à fait probable qu’il s’embarqua au mois de novembre ou de décembre 1720 avec les soldats et colons envoyés par Le Blanc. Dumont, en tout cas, arriva chez les Yazous 2 pendant l’été de 1721 et prit part aux travaux delà construction du fort Saint-Claude. 1. Archives administratives du Ministère delà Guerre. 2. La rivière des Yazous, qui a conservé son ancien nom, tombe dans le Mississipi, tout près de l’emplacement actuel de la ville de Vicksburg.


l’établissement DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 277 En février, mars et avril 1722, le futur poète accompagna, en qualité de «géomètre», Bénard de La Harpe dans son exploration de la rivière de l’Arkansas ; toutefois il n’alla pas —• tant s’en faut — jusqu’à quelques journées de marche de Santa Fé, comme le prétendent les Mémoires Historiques 1. La région de l’Arkansas passait alors en France pour un véritable Eldorado, et les agioteurs de la rue Quincampoix spéculaient même, dit-on, sur la vente prochaine d'un merveilleux rocher d’émeraude 2, surplombant la rivière de l’Arkansas. L’expédition de La Harpe avait différents buts dont quelques-uns fort utiles ; néanmoins l’un deux consistait, très certainement, à rapporter, pour le moins, toute une collection d’échantillons des richesses minières de cette contrée. La Harpe prit possession, au nom du Roi, du pays des Touacaras, reconnut d'importants gisements d’ardoises, de plâtre et d’une sorte de « marbre, fort jaspé et dur comme le caillou», mais hélas ! «le rocher de Topaze », comme l’appelait poétiquement Dumont, était donc caché Soit par l’herbe fleurie, ou soit par le brouillard, et l’expédition ne réussit pas à découvrir la moindre trace de mines d’or ou de pierres précieuses. Par suite de cet insuccès, La Harpe cite une seule fois son ingénieur, et se borne à inscrire sur son Journal : « 6 mai [1722], nous avons entré dans la rivière des Yasous. . . J’y ai laissé M. Dumont de Montigny, que j'avois pris en passant, croyant qu'il m’eut été utile pour lever le plan de la rivière pour lequel j’allois faire la découverte ». Le Page du Prats s’est, heureusement, montré beaucoup moins discret. Les Mémoires Historiques ne perdant pas une occasion de lui reprocher « les descriptions chimériques et imaginaires » qu’il venait de publier dans le Journal OEconomique, Du Prats prit sa revanche, dans son Histoire de la Louisiane, en émettant quelques doutes sur l'habileté technique de Dumont. « Le chef des voyageurs 3, raconte-t-il, avoit pris avec lui un homme qui se disoit ingénieur, afin d’enlever plus facilement ce rocher par grands 1. Tome II, p. 282. La Harpe nedépassaguèrele confluent de l’Arkansas et du Cana- dian river. 2. Le Nouveau Mercure avait commencé, dès le mois de septembre 1717, à parler des mines d’émeraudes de la Louisiane. 3. Du Prats a soin de ne pas nommer La Harpe, mais toute sa description du cours de l’Arkansas est tirée du Journal de l’explorateur.


278 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISÉES morceaux. Pour s’assurer la réussite, ce soit-disant ingénieur inventa une machine qui avoit des ressorts très forts, puisqu’il falloit deux hommes pour les tendre. En se détendant, cette machine devoit faire le même effet que les béliers dont les Anciens se servoient dans les sièges de places fortes ; la tête, du côté qu’elle devoit frapper le rocher en question, avoit la figure d’un A majuscule. Je crois que, si avec un outil de cette façon on en eût détaché un morceau un peu gros, on auroit dû en faire un grand nombre de petits ; on auroit même réduit en poussière une trop grande quantité d’une matière si rare et si précieuse 1 ». Dumont avait peut-être dessiné le plan d’une machine de ce genre, mais il semble assez douteux que La Harpe ait eu le temps de la faire construire. L’ingénieur se trouvait encore aux Yazous au commencement du mois de juin 1722, quand les Chickachas attaquèrent la famille Riter, mais il quitta bientôt ce poste, probablement à la suite de quelques démêlés avec e commandant de Grave, car les Mémoires Historié/ zzes parlent « des vexa- itions et injustices » de cet officier 2. La façon dont le poète décrit le cyclone du 22 septembre 1722, semble indiquer qu’il se trouvait alors à la Nouvelle-Orléans. Dumont, alors sans emploi, ne tarda pas à tomber dans une profonde misère, et, en juin 1723, l'ordonnateur La Chaise dépeignait ainsi sa triste situation : « Il y a deux ans, on fit monter M. Dumont de Monti- gny, protégé de M. Le Blanc, aux Yazous. Il y est resté, et, après être revenu à La Nouvelle-Orléans, tout nu comme un malheureux, M. de Bienville lui refusa non seulement des vivres, mais encore des bas et des souliers ; il a pourtant été forcé de lui donner un habit de soldat depuis que nous sommes ici 3. Mais, pour vivres et appointements, il n’a jamais voulu lui en faire avoir... Il lui dit que s'il vouloit se faire soldat, qu’il lui feroit donner la ration, mais qu’il ne devoit pas compter d’être du nombre des officiers, parce qu’il étoit malpropre. Ce jeune homme faisoit pitié à tout le monde, étant obligé de mendier son pain; le sieur Du Puy Planchard, aide major, le prit chez lui par charité, en attendant que son compte fut réglé. Je n’ai pu le lui régler que jusqu’au 17 avril 1723, et, depuis lors, il lui est dû 140 livres, maisM. de Bienville ne veut point lui rendre justice, ni le faire payer du débit de son compte, ni lui donner des vivres. . . 4 ». 1. Tome I, p. 310. 2. Tome II, p. 24. C’est par une erreur manifeste que les Mémoires Historiques placent, en 1723, l’anecdote du jongleur qui fît tomber la pluie aux Yazous. 3. La Chaise, commissaire du Roi, était arrivé à la Nouvelle-Orléans au mois de mars 1723, muni de pouvoirs très étendus pour réformer l’administration de la colonie. 4. Arch. Nat. Colonies, C a 13, T. 8, f° 36.


Le Conseil de la Marine avait pourtant nommé, le 17 octobre 1722, Dumont enseigne aux Natchez dans la compagnie de M. de Barneval 1, mais Bienville,‘très autoritaire, se souciait souvent fort peu des ordres qu’il recevait de France. Ainsi pour n’avoir pas à remettre un brevet d’enseigne à Du Rouvroy, il s'empressa de réexpédier la pièce à Paris, après avoir inscrit en marge : «On le croit mort » ; or l’officier habitait alors la Nouvelle-Orléans ! Dumont participa à la première expédition contre les Natchez (octobre- novembre 1723), toutefois Bienville eut bien soin de ne pas inscrire le nom du futur poète sur la liste des officiers qui l’accompagnaient. En 1723, La Chaise envoya à Paris un Mémoire rédigé par Dumont ; malheureusement ce document semble perdu. Bienville, de son côté, avait dû expédier un rapport virulent contre son subordonné, car la Compagnie répondit, le 21 octobre 1723 : «Etant informée de la mauvaise conduite du sieur Dumont de Montigny, lieutenant réformé dans les troupes entretenues à la Louisiane, mande au sieur de Bienville de casser le sieur Dumont de Montigny, en le privant de sa charge et faisant défense aux troupes de le reconnoître à l’avenir en qualité d’officier 2 ». Les années 1723 et 1724 durent, sans doute, être fort pénibles pour lin- fortuné Dumont, mais, quand Bienville fut rappelé en France, le Conseil de la colonie s’empressa d’accorder, le 11 juin 1723, « une année d’appoin- tement d'avance au sieur Dumont de Montigny, lieutenant réformé, montant aux Natchez 3 ». Le poète toucha alors une somme de quatre cent cinquante livres, et s'apprêtait à rejoindre son nouveau poste, quand Véniard de Bourgmont descendit à la Nouvelle-Orléans avec toute une bande d’Indiens du Missouri qu’il allait exhiber à la Cour. Ce vaillant officier avait la plus grande confiance dans l’avenir du fort d’Orléans, qu'il avait fondé, l’année précédente sur le Misssouri, et chargea peut-être Dumont d’aller relever le plan de son établissement, mais, plus problablement, se borna à lui faire mettre au net ses croquis. Nous avons raconté, dans la Découverte du Missouri4, l’histoire de ce poste, mais n’avions pas encore découvert, à cette époque, la carte dessinée par Dumont. Nous l'avons publiée dans le numéro de janvier 1930 de la Revue Mid-America 5. Dumont passa ensuite près de quatre ans aux Natchez, en qualité de second officier, et Broulin lui laissait souvent le commandement du fort

1. Arch. Nat. Marine, B4, I. 37, f° 413.

2. Arch. Nat. Colonies, B, .I. 43, f° 355.

3. Arch. Nat. Colonies, Ca 13,T. 8, f° 280.

4. Paris, Champion, 1925.

5. Chicago, New Séries. Vol. 1, p. 259.


Rosalie quand il allait surveiller les travaux de la concession de Terre- Blanche, d’abord propriété du ministre Le Blanc, et ensuite du futur maréchal de Belle-Isle. Après le départ de Broutin, Dumont resta en fort bons termes avec son successeur Merveilleux ; mais, quand d'Etché- parre fut nommé commandant, Dumont, si on l’en croit, n’aurait pas tardé à entrer en conflit avec cet officier brutal, dont les exactions provoquèrent le soulèvement des Natchez. D’après les Mémoires Historiques — le poème ne souffle pas mot de cet incident — d’Etchéparre aurait fait mettre son lieutenant « aux fers, mais ayant eu le bonheur de se sauver et de parvenir à la capitale, il en porta ses plaintes au Commandant général, qui, sur-le-champ, fit venir des Natchez le sieur Chopart pour répondre de sa conduite. L’affaire ayant été instruite, ce lieutenant [Dumont] en eut satisfaction entière en plein conseil, où le commandant des Natchez fut obligé de s’avouer coupable 1 ». L’authenticité de cette histoire nous paraît fort sujette à caution, car Perrier protégeait malheureusement d’Etchéparre, et ne devait pas être très bien disposé à l’égard de Dumont, puisque une dépêche non datée, mais paraissant avoir été très probablement expédiée en 1728, porte : « La Compagnie se souvient qu’elle a déjà cassé le sieur Dumont de Montigny, ensuite rétabli, et que M. Perrier a mandé qu’il étoit indigne du caractère d'officier. Si cela est, il faut le casser ; si, au contraire, il s’est corrigé, on le fera monter à la place de sous-lieutenant qui est vacante 2 ». Nous ne connaissons pas la réponse de Perrier, mais le 3 juin 1729, la Compagnie envoya l'ordre de payer à Dumont une année d’appointements d’avance et de lui faire délivrer quelques nègres, aux mêmes conditions qu’aux autres habitants « sous condition toutefois qu’il cesse désormais d’être considéré comme attaché au service de la Compagnie ». On se perd en conjectures sur les raisons qui portèrent successivement Biènville et Perrier à montrer si peu d’estime pour le poète. Quelques vers de son poème pourraient laisser supposer qu’il aimait peut-être un peu trop le bon vin, d’autres indices qu’il semblait manquer d’ardeur guerrière. Dumont se trouvait encore aux Natchez à la fin du mois de novembre 1729, mais, soit par un heureux hasard, soit par ce qu’il se méfiait des dispositions des Sauvages, il eut l’heureuse inspiration de s’embarquer pour la Nouvelle-Orléans la veille même du jour où tous les colons furent massacrés.

1. Tome II, p. 127.

2. Arch. Nat. Colonies, B. I. 43, f° 815.


Dumont accompagna l’expédition de représailles contre les Natchez, commandée par le chevalier de Lomboey (janvier -février 1730), puis, dès son retour, à la Nouvelle-Orléans, épousa le 19 avril 1730, Marie Rous- sin, née Baron 1, dont le mari et l’enfant avaient péri dans le massacre des habitants du fort Rosalie 2. La jeune femme en avait été quitte pour un esclavage d’une dizaine de semaines chez les Natchez, et se remaria quatre mois seulement après la mort de son premier époux 3. Pendant l’hiver 1730-1731, Dumont prit part à l'expédition dirigée contre les Natchez, réfugiés alors sur les bords de la Rivière Noire, affluent de la Rivière Rouge, puis revint ensuite habiter la Nouvelle- Orléans. C’est, du moins, dans cette ville que sa fille Marie-Françoise et son fils, Jean-François, furent baptisés le 23 novembre 1731 et le 2 janvier 1733. Bienville était fort rancunier, et son retour en Louisiane, au mois d’avril 1732, semble avoir été une véritable catastrophe pour l’infortuné Dumont. Les accusations et les calomnies contre Bienville, dont le poème est rempli, montrent que l’ancien lieutenant ne dut guère avoir à se louer de ses procédés autoritaires. Il est même à peu près certain que Dumont prit part, comme simple soldat à la malheureuse campagne entreprise, en 1736, contre les Chickachas. La façon dont le poète raconte les péripéties du voyage de la petite expédition, chargée d’aller ravitailler, en 1735, le poste des Illinois, indique qu’il fit partie du convoi. Dans un passage des Mémoires Historiques, où il parle des grenouilles géantes de la Louisiane, Dumont raconte qu’il en tua une « à sa première habitation, à dix lieues au dessous de la Nouvelle-Orléans ». Cette concession devait donc se trouver un peu en aval de celle des Chaouachas, dont l’ingénieur a dessiné le plan. Le 4 mai 1735, Dumont adressa au Conseil Supérieur de la Colonie, une requête pour obtenir la remise d’une, dette contractée, deux ans auparavant, pour un achat de riz au magasin du Roi, et qui, d’après lui, aurait dû se trouver acquittée par son travail, dont il n’avait jamais réclamé aucun salaire. Ce document, dont quelques passages, traduits en anglais, ont été reproduits dans Louisiana Historical Quarterly 4, semble maintenant malheureusement perdu. 1. Dans l’acte de mariage, son père, Jacques Baron, est qualifiédebourgeoisdeMor- tain. 2. « Jean Roussin et son enfant » se trouvent marqués sur la liste des colons massacrés. 3. Ni l’ancien droit français, ni les règles de l’Eglise catholique n’imposaient aux veuves de délaide viduité, eton cite le cas d’une femme qui se remaria, aux xvre siècle, trois jours seulement après la mort de son premier mari.

4. Tome V, p. 399.


Le poète, qui proteste contre l’accusation de travailler seulement au jour le jour, habitait alors sur les bords du bayou Saint-Jean 1 et louait un nègre au prix de 20 sols par jour. Cet essai de culture ne dut pas l’enrichir, et le pauvre colon toujours persécuté par la malchance, prit, quelques mois plus tard, le parti de quitter définitivement la Louisiane. De retour en France, Dumont réussit à se faire réintégrer dans l’armée, et se trouvait, au mois d’avril 1738, attaché à la garnison de Port-Louis, en qualité de lieutenant réformé. Le 3 mai, il adressa la pétition suivante à M. d'Angivilliers, ministre de la Guerre : « Représente qu’il a été entretenu en qualité de lieutenant réformé dans la garnison du Port-Louis par ordre du 7 octobre 1720 2, que, par conséquent, il n'a pas dû perdre les appointements attachés à cetemploy : d’autant plus qu’il n’en a touché aucun dans ladite colonie de la Louisiane, ny reçu aucune récompense des services qu’il y a rendu en qualité d’ingénieur, et qu’il a été près d'y périr dans le massacre des Natchez, ou il a perdu tout ce qu’il avoit ; ce qui l’a forcé de revenir à son service de lieutenant réformé au Port-Louis, où il continue à servir avec le même zèle ». « Appointements en retard pour 17 ans de service, du 1er janvier 1720 au mois de décembre 1737, sur le pied de 240 livres par an, soit 4,080 livres. 3 ». Quelques vagues promesses avaient dû être faites précédemment à Dumont, car une note, inscrite en marge de la requête, porte : « Malentendu, dire que Mgr. a laissé espérer une gratification de 300 livres ». A côté, et probablement de la main du ministre, se trouve écrit : « Bon pour 300 livres ». Dumont exagérait vraiment en prétendant n’avoir reçu aucune solde en Louisiane, mais il ne dut plus en toucher à partir de 1731, Le péril couru par le poète aux Natchez avait été simplement rétrospectif, et, s’il y perdit quelques mauvaises hardes, il y gagna par contre de pouvoir épouser la veuve d’une des victimes du massacre. Les loisirs de la vie de garnison permirent à Dumont de terminer, à Port-Louis, son poème, commencé quinze ans plus tôt. En 1742, le pauvre lieutenant, malgré ses nombreux déboires, appelait encore la Louisiane un Second Paradis, seulement il avait perdu toutes ses illusions sur la

1. Le bayou Saint-Jean prend sa source dans les faubourgs actuels de la Nouvelle- Orléans et se jette dans le lac Pontchartrin. Une partie de son cours était navigable aux canots et servait de voie de communication entre La Mobile et la Nouvelle- Orléans.

2. Nous avons déjà reproduit, en partie, cet ordre.

3. Ministère de la Guerre. Archives administratives.


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justice, et la bonne Thémis de la Nouvelle-Orléans, si « traitable » ou si « affable » en 1728, se trouve jugée fort sévèrement à la fin du quatrième chant. Le riche est toujours le plus fort, Et, malgré tout le droit, dans l’Hôtel de Justice, On trouve que le juge a reçu des épices... Ne crois pas, cher Lecteur que ce soit médisance Cela n'est que trop vrai, j’en ai l’expérience. D’un chant à l’autre, la haine du poète contre Bienville va toujours en s’accentuant, et finit même par le pousser à accumuler les mensonges et les plus odieuses calomnies. Dumont dédia son Poème en vers à d’Argenson, évidemment dans l’espérance de s’attirer sa protection ; malheureusement pour lui, si le ministre se donna la peine de le lire, il dut considérer l’auteur comme un bien piètre libelliste. Le fait que les Mémoires Historiques furent dédiés à M. de Silhouette ne semble pas indiquer que Dumont ait eu beaucoup à se louer de la générosité de d’Argenson. Le poète vivait encore en 1754, mais on ignore la date de sa mort. Dumont était un cartographe assez habile, et il ne faudrait pas juger ses talents uniquement d’après les très médiocres spécimens illustrant le Poème en Vers. La petitesse du format du manuscrit l’a probablement gêné, puis un séjour de vingt années en Louisiane et la misère l’avaient, peut-être, prématurément vieilli. On doit à ce dessinateur, souvent maladroit, mais toujours consciencieux, un assez grand nombre de cartes ou de plans conservés aux ministères de la Guerre et des Colonies, aux Archives Nationales, aux Archivés Hydrographiques, et on vient de découvrir récemment aux Etats-Unis une carte, très intéressante de Dumont, intitulée Plan du cours de la Rivière du Missoury, avec le fort d'Orléans. .. avec la situation des villages sauvages 1 . Grâce à l’ingénieur-poète, nous possédons plusieurs cartes détaillées des Natchez et de la Nouvelle-Orléans, et des plans du fort Saint-Claude, du fort d’Orléans, des Tonicas, etc. Malheureusement, l’encre dont Dumont s’est servi pour écrire a souvent pâli, et l'abus des teintes les plus criardes, rend parfois très difficile la reproduction de ses cartes par des procédés photo typiques. 1. Reproduite, partiellement, dans Missouri Historica.1 Society Collections, 1927, tome 5, p. 268.


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Composer un poème de 4692 vers était, hélas ! une entreprise dépassant de beaucoup les aptitudes, assez peu littéraires, du pauvre géomètre, et, s’il lui fut assez facile de compter le nombre de lignes de son œuvre, aucun calcul ne permettrait d’évaluer la quantité de licences, moins que poétiques, contenues dans ses alexandrins, dont le nombre de pieds varie de onze à quatorze ! Dumont ne semblait pas d’ailleurs se faire de grandes illusions sur ses talents : Vu que, dans ce pays, le meilleur y manquant, Je n’ai pu que fournir, en fait d’art poétique, Que des vers du Pont-Neuf, à la mode publique. Le « meilleur — l’auteur y revient au commencement du quatrième chant — était « la rouge liqueur », le chaleureux vin de France, qui lui manqua, paraît-il, trop souvent. Pour suppléer à son manque d’inspiration, le poète, à court de rimes, adressait des appels suppliants aux Muses ou à Apollon, mais le Missis- sipi coule trop loin du Parnasse, et les divinités n’entendirent évidemment pas ses invocations. Nous ne comptons pas étudier le poème au point de vue littéraire ! Signalons simplement que Dumont, qui pourtant décrit les Sauvages sous un aspect fort peu flatteur, a cru devoir néanmoins esquisser un petit couplet sur la vie heureuse menée par les Peaux-Rouges avant l’arrivée des Européens. Ce second Paradis, Qui donc l’habitait avant la Colonie? C'étoient des habitants qui passoient là leur vie A vivre de la chasse, et passoient tout leur temps Sans envies, ni chagrins, étant de tout contents. D'autres, avant Dumont, avaient déjà parlé de l'âge d’or des habitants de l’Amérique, mais, en 1742, « le bon Sauvage » n’avait pas encore encombré la littérature. Si le poème de Dumont paraît, trop souvent illisible littérairement, il a eu, du moins, le grand mérite de donner à Le Mascrier l’idée de rédiger les Mémoires Historiques, œuvre d’un intérêt capital pour l’histoire de la Louisiane. Le Poème envers lui a servi de canevas, mais l'abbé eut soin de se faire donner par l’auteur les renseignements nécessaires pour décrire d’une façon beaucoup plus détaillée les mœurs des Sauvages et les productions


du pays. Si les Mémoires Historiques ont été rédigés par la main plus expérimentée de Le Mascrier, tous les chapitres, sauf trois ou quatre, traitant d'histoire, de géographie ou de généralités, lui ont été, en quelque sorte, dictés par Dumont, et, somme toute, assez peu d’erreurs peuvent être relevées dans cet ouvrage. L’homme de lettres a, pourtant, laissé, parfois, courir sa plume un peu trop au gré de son imagination, et on peut lui reprocher, comme on le verra plus loin 1, d’avoir contribué, en l’enjolivant encore, à propager la légende imaginaire de la grande conspiration des Sauvages, rendue célèbre par Les Râteliez de Chateaubriand. Quelques vers, où Dumont parlait simplement du caractère foncièrement barbare des Sauvages et de leur traîtrise naturelle, ont également incité Le Mascrier à imaginer le massacre de son mari par la « Princesse des Missouris », simplement pour démontrer, d’une façon beaucoup plus saisissante, que la filleule de la Duchesse d’Orléans, mariée en grande pompe à Notre Dame avec le sergent Dubois, née Indienne, devait fatalement redevenir une véritable Sauvagesse 2 . Malheureusement, pour la véracité de cet épisode, Mme Dubois n’ac- compagnait pas son mari quand le détachement qu’il conduisait fut surpris par les Renards; les Missouris ne se soulevèrent jamais contre nous, enfin la « Princesse » vécut toujours parmi les Français, et finit même par se remarier avec un officier de la garnison des Illinois. Citons encore, parmi les fantaisies de Le Mascrier, les exploits, complètement imaginaires, accomplis, soit-disant, par un Illinois, quand les Chickachas attaquèrent, en 1722, l’établissement des Yazous 3. Si Le Mascrier s’est permis quelques additions assez fâcheuses, il a par contre eu grand soin de ne pas reproduire les accusations, fort injustes, portées par Dumont contre Bienville. Les coupures qu’il a pratiquées sont presque toutes très judicieuses ; pourtant on peut glaner, dans le Poème eu vers certains petits détails, divers noms propres, voire même quelques anecdotes, jugées, probablement, par le compilateur sans intérêt ou, peut-être, trop réalistes. Pour ne citer qu’un exemple, on chercherait en vain, dans les Mémoires Historiques^ le récit de la mort affreuse d’un pauvre Suisse, blessé en 1736, lors de l'attaque contre les Chickachas. Après l’échec de l’expédition, l’armée battit rapidement en retraite, ramenant une soixantaine de blessés, parmi lesquels un soldat doué 1. Voir page 305. 2. Voir Découverte du Missouri, Op. cit., chapitre X. 3. Voir page 403.


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d’une telle corpulence que ses camarades se plaignirent bientôt d’avoir à le transporter. On réunit alors une sorte de conseil de guerre, les médecins condamnèrent le pauvre Suisse, le Père Baudouin s’empressa de le confesser, puis, sans doute pour que personne ne puisse avoir à se reprocher d'avoir versé son sang, on se hâta de l’enterrer vivant ! Ces quelques exemples montrent qu’il est donc toujours fort utile, et souvent même nécessaire, de comparer, très soigneusement, le texte du poème de Dumont avec celui des Mémoires Historiques toutes les fois que l'on désire préciser quelques points de l'histoire de la Louisiane.

Toute la ponctuation du manuscrit se réduit à quelques rares virgules, remplaçant parfois les points, signes dont l’auteur ne semblait même pas connaître l’existence ! L’abus des inversions et l’excès des phrases incidentes, nous a obligés, pour faciliter la lecture du poème, d’ajouter quantité dépeints ou de virgules, et même, parfois, d’abuser de la ponctuation. D’une façon générale, sans être toutefois systématique, nous avons, sauf quand la quantité ou la rime s’y opposait, uniformisé et modernisé un peu l’orthographe très fantaisiste de Dumont, qui écrit indifférem- ment épée ou éppée, voile ou voille, pays ou pais, etc. Eu et Eurent ont partout remplacé les formes de ùt et de ûrent ; ache, tens, gué, alte, dessin, sexe, qu’en, chaos, etc, sont devenus hache, temps, guet, halte, dessein, secte, quand, cahot, etc. Nous avons également parfois, corrigé, quelques étranges pluriels ou quelques fâcheux féminins quand il suffisait de changer un ou deux mots: ainsi; « Mais, d’une grande orage... » a été transcrit : « Mais, d’un très grand orage ». Des centaines de vers auraient pu être très facilement améliorés, mais les textes, même barbares, doivent être respectés, et nous nous sommes simplement permis, par égard pour les oreilles de nos lecteurs, de supprimer parfois un certain nombre de treizièmes, voire même de quatorzièmes pieds. Les deux hémistiches suivants : « Je vas te le faire voir » — et — « Qui étoit avec grand soin, » sont, à titre d’exemple, devenus : « Je vas te faire voir » et « Qui étoit à grand soin ». Malgré ces légères corrections, certains passages du poème, dont quelques-uns semblent avoir été écrits en patois nègre de la Louisiane, restent encore assez peu compréhensibles. Dumont avait réuni toutes ses notes à la fin du manuscrit dans une sorte de petit dictionnaire, nous les avons replacées au bas des pages. Une table analytique facilitera les recherches dans cette œuvre un peu décousue.


POÈME EN VERS TOUCHANT L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOÜISIANNE CONNÜEE SOUS LE NOM DU MISSISIPY AVEC TOUT CE QUI S’Y EST PASSÉ DE DEPUIS 1716 JUSQU’A 1741 ; LE MASSACRE DES FRANÇOIS AU POSTE DES NATCHEZ, LES MOEURS DES SAUVAGES, LEURS DANCES LEURS RELIGIONS, ENFIN CE QUI CONCERNE LE PAYS EN LE GÉNÉRAL.






Société des AMÉRICANISTES,

Planche III.

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IMP-Y"** 2** , . / ad 4- AF s alal ou /4u9

r. "CARTE* (PWDv continent d oeoprLameriQvE “ PEtdeses isleJ^riricipiles Les ports havres K le ^eboiLcpsemeii/àu ctLnil de bah /entrée u/leuveou messisipy nuec les postes î)ujrajuoû> etaài en ce Jays. .


Permettez grand Ministre, illustre d’Argenson, De vous offrir d’ici mon occupation ; Vous vivez en lisant. Comme la Compagnie A, par ses grands travaux, establi colonie Dans le Missisipy, vous y verrez comment On a perdu de monde à l'établissement; Enfin, vous y verrez le sujet de la guerre Qui dure et se poursuit sur cette vaste terre. Vous connoitrez, de plus, toutes les actions Des Sauvages du lieu, leurs danses, leurs façons D'agir en chaque chose, enfin la manière D’enterrer leur grand chef — elle est singulière. Les faits de nos François, en ces vastes cantons, Paroitront à vos yeux, sans beaucoup de façons. En lisant ce recueil, fruit de mon voyage, Vous connoitrez dedans, le mal et l’avantage Que l’on peut retirer de ce charmant pays, Qu’on pourroit appeler le Second Paradis, Si, parmi ces endroits et cette vaste terre, On n’y ressentoit pas les effets de la guerre. Ce qui me fait plaisir, c’est que la vérité S’y trouve tout du long avec pure équité ;


Société des AMÉRICANISTES, 1931.

Planche III.

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“unt :

F CARTE* (WDv continent tae tels r Z’a me riQy K e PEtdeses isle^principile^ Les ports havres K 1206 Le cfevoiLcpieniejit'^u cina/de baJ^ /entrée ufleuveou iHûûsipy auec Les postes 'dafra/uci* établi, en ce ays .

1ER du NORD

Carte du continent de l’Amérique.


Fig. 38. — Armoiries du comte d’Argenson.

Permettez grand Ministre, illustre d’Argenson, De vous offrir d’ici mon occupation ; Vous vivez en lisant. Comme la Compagnie A, par ses grands travaux, establi colonie Dans le Missisipy, vous y verrez comment On a perdu de monde à l'établissement; Enfin, vous y verrez le sujet de la guerre Qui dure et se poursuit sur cette vaste terre. Vous connoitrez, de plus, toutes les actions Des Sauvages du lieu, leurs danses, leurs façons D’agir en chaque chose, enfin la manière D'enterrer leur grand chef —- elle est singulière. Les faits de nos François, en ces vastes cantons, Paroitront à vos yeux, sans beaucoup de façons. En lisant ce recueil, fruit de mon voyage, Vous connoitrez dedans, le mal et l'avantage Que l’on peut retirer de ce charmant pays, Qu’on pourroit appeler le Second Paradis, Si, parmi ces endroits et cette vaste terre, On n’y ressentoit pas les effets de la guerre. Ce qui me fait plaisir, c’est que la vérité S’y trouve tout du long avec pure équité ;


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Pouvant même affirmer qu’il n’y a nulle fable, Que tout ce que j’y dis y doit être croyable. Illustre d'Argenson, je serois trop heureux S’il peut vous délasser, le trouvant curieux. Mais, au moins, croyez moi, que c’est pour assurance De mes humbles respects, de ma reconnaissance, Que je vous le présente, étant, avec grand cœur, Humble soumission, votre humble serviteur. Dumont.

POÈME PREMIER. AVERTISSEMENT AU LECTEUR. Ne vous étonnez pas, si ce présent ouvrage, Qui ne renferme en lui que des faits de Sauvages, Est simple en ses discours, n’étant pas éloquent, Vu que, dans ce pays, le meilleur y manquant, Je n’ai pu que fournir, en fait d'art poétique, Que des vers du Pont-Neuf à la mode publique. Marot dit, dans ses vers, que, pour un bon rimeur, il doit boire du lait, de la rouge liqueur 1 , Mais, dans ce pays là, l’abondance en est rare, Le peu même. Le peu fait que l’on est avare De ce riche métal qui fait, en peu de temps. Ouvrir portes, verroux, au gré de nos amants.

INVOCATION. Un établissement, en la Nouvelle France 2 , Mérite, dans ce jour, quelque peu d’éloquence, Pour mettre, par écrit, les faits des Commandants, Et les faits de la guerre et des gouvernements. Muses, dont j’ai jadis éprouvé la clémence, Et vous, bel Appollon, voyant mon indigence. Accourez et venez donner à mon esprit Tout ce que je dois dire et mettre par écrit ; Fondé, tel que je suis, de votre complaisance, Sans tardé un moment, j'écris et je commence :

I. Dumont confond sans doute Marot avec François Villon.

2. Dumont, naturellement, ne parle pas ici du Canada, mais de la Louisiane.


FAIT. L’isle Massacre* éLoit un poste assez charmant, Choisi pour le premier de l’établissement. La Compagnie de l'Inde envoyoit de la France Vaisseaux pleins de soldats, vivres en abondance, . Tant en vin que farine et marchandises aussi, Car, sans un tel secours, le monde auroit péri. On ne vivoit alors que de viande salée, Qui étoit, à grand soin, au peuple délivrée, Par ordre, et par mesure, aussi bien que le pain. De cinq jours en cinq jours, falloi t faire ce train ; Mais si, par accident, il manquoit un navire D’arriver à ce poste, on étoit encore pire. On retranchoit le pain, car chacun avoit peur De sentir de la faim la cruelle rigueur. Celui qui fut choisi pour gouverner cette isle Est un Canadien que l’on nomme Bienville'. Après ce gouverneur, le sieur Le Gac 2 étoit Celui qui, par écrit, toute chose donnoit. En outre, l’on avoit Hubert pour Commissaire 3 , Homme rempli d'esprit, et le juge ordinnaire Etoit Chartier de Beaune ordonné par le Roy Pour régler la justice, et tout, selon le droit. La guerre, déclarée entre nous et l’Espagne, Fit résoudre nos gens à se mettre en campagne; Leur gouverneur choisit trois ou quatre bateaux, Dans lesquels il fit mettre et soldats, caporeaux Officiers, sergents, et Bienville lui même, * Isle Dauphine ou bien Massacre, premier poste étably par M. Croisac [Cro- zat], avant l’établissement des colonies françoises. Le nom de Massacre rappelait un combat, livré entre Sauvages, peu de temps avant l’arrivée des Français. Les premiers habitants apercevant de tous côtés des ossements, baptisèrent File Massacre ; seulement, comme ce nom semblait fort ma choisi pour attirer les colons, il fut bientôt changé en Dauphine. 1. Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville, frère de d’Iberville, le fondateur de la colonie. 2. Le Gac était alors Commissaire-directeur de la Compagnie ; il fut rappelé en 1721. 3. Hubert était un des deux Directeurs généraux envoyés en Louisiane par la Compagnie d’Occident; il fut ensuite nommé Commissaire-Ordonnateur et rentra en France en 1722. 4. Chartier de Baulne, nommé procureur général en 1719.


Fig. 39. — 1. Ile Dauphine. — 2. Environs de Pensacola.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE Pendant toute la nuit, avecque peine extrême, Se rendirent par mer devant la garnison De l’isle Sainte Roze*, et, marchant à tâtons Sans être reconus du soldat sentinelle, Se saisirent de lui, de toute la séquelle De ceux qu’on avoit mis pour défendre le fort, Et empêcher aussi le passage du port. ■S’étant saisi de tout, ils passèrent encore Du côté du grand fort au lever de l’aurore, Entrant comme Espagnols, prirent le gouverneur, L’habitant, le soldat, et, sans aucun malheur, Se rendirent ainsi de ce pays les maîtres ! . La crainte que l’on eût de n’avoir pas, peut-être, Nouvelles de vaisseaux, vivres, soulagements, Fit prendre le parti, dans ce même moment, D’embarquer l’ennemi, le rendre au Roy d’Espagne, Et lui faire ascavoir que, dans cette campagne, Les François avoient mis leur poste sous leur loy, Et qu'il éloit, pour lors, au domaine du Roy. Le sieur de Riquebourg 2 conduisit ce navire A l’isle de Cuba, mais il trouva du pire : Son équipage et lui furent mis en prison, Sans vouloir écouter ni rime, ni raison. Là, sans aucun support, on les tenoit aux chaînes, Souffrant avec la faim mil chagrins et mille peines. L'Espagnol inhumain venoit les insulter, Sans cesse leur disant : « Je parle à cœur ouvert : Ah ! prenez avec nous parti contre la France, Rien ne vous manquera, vous aurez abondance De tout ce qui peut seul contenter vos désirs; En outre, vous aurez le plus grand des plaisirs

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* Petite isle, vis-à-vis de Pensacolle, aux Espagnols. Bien que fort étroite, l’île Sainte-Rose ne mérite pourtant guère ce qualificatif de petite, car elle a soixante-dix kilomètres de long. Le fort se trouvait situé à la pointe occidentale, et défendait l’entrée de la baie de Pensacola. 1. 14 mai 1719. Le rapport officiel de la prise de Pensacola parle d’une courte canonnade qui, d’après le récit de Dumont, pourrait bien être quelque peu imaginaire; toutefois, à cette époque, le poète n’était pas encore arrivé en Louisiane. 2. Le lieutenant de Richebourg commandait alors le fort de Biloxi. Il accompagna, peut-être, Chaleaugué à La Havane, mais le Maréchal de Villars et le comte de Toulouse étaient commandés, le premier par Méchin, le second par M. des Grieux, capitaine qui avait, quelques années auparavant, conduit en Louisiane Avril de La Varenne et la fille Quantin, dont les mésaventures donnèrent à l’abbé Prévost l’idée d’écrire Manon Lescault. Voir, à ce sujet, notre Histoire de la Fondation de la Nouvelle-Orléans. Paris, Imp. Nat., 1918.


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Le Grand Diable, un bateau, fut, à l’isle Dauphine. Pour chanter aux François vêpres ou bien matines. Etant presque arrivé, l’on l’aperçut d'abord ; Le Philippe, vaisseau mouillé dedans le port, A grands coups de canon défendoit l’abordage; A terre, les soldats défendoient le village. L’Espagnol ne pouvant qu’avec un grand danger Descendre du bateau, faisoit que louvoyer De l’un et l’autre bord. Malgré toute sa rage, il ne put desur nous tirer de l’avantage ; Perdant beaucoup de temps, et n’avançant en rien 1 , Fut, chez un habitant*, enlever tout le bien. Après ce bel exploit, revint donner l’alarme A ceux qui se tenoient au guet et sous les armes; Ce fut dans ce temps là qu'une escadre arriva. L’an mil-sept-cent-dix-neuf, la terreur augmenta; il parut cinq vaisseaux, beaucoup chargés de monde, Qui, par un petit vent,sembloient faire la ronde Quatre étoient inconnus aux gens de ce pays 2 ; L’autre on le connoissoit pour le brave Japys 3 ,. Vieux routier de la mer et qui, pendant sa vie, Avoit tué forbans; il montoit la Marie, Laquelle, parmi tous, fit penser, sur le champ, Qu’étant des Espagnols, ils l’avoient pris devant. D’abord Bienville crut que, sans nulle hyperbole, Tout cet escadre étoit du parti espagnole, Puisqu’au haut du gaillard on voyoit pavillon Que met, pour assurer, pareille nation. La chaloupe du bord s’en fut se rendre à terre Et tirer nos François de leur triste misère. On fit débarquer tout; au bout de quelque temps, A Pensacolle, on fut, pour retirer nos gens Et reprendre le fort, tâcher de le détruire, Pour mettre cet endroit, et tout, sous notre empire.

1. La flottille espagnole croisa devant l’île Dauphine du 18 au 26 août 1719. * C’était un nommé Miragouen, où presque toutes les richesses des habitants de l’isle Massacre avoient été transportées. Son habitation se trouvait située un peu à l’ouest de l’entrée de la baie de La Mobile.

2. L’Escadre de M. de Champmeslin, composée de V Hercule, du Mars et du Triton, s’était augmentée, à Saint-Domingue, de L'Union et de la Marie. Elle arriva devant Biloxi, le premier septembre.

3. Pénicault l’appelle Japy ; Beaurain, Chappy, certains documents, Japie.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 297 Le septième septembre 1, arrivèrent enfin Nos vaisseaux à la voile; ors c’étoit le matin. Les Espagnols surpris se mirent sur leurs gardes, S’armant de tous côtés, et, vers les palissades, Se rangeant de manière à soutenir combats, Les uns, vers le grand fort, ne crient que des hahas, Mais les autres, sur l’isle, appelée Sainte-Roze, Se préparent bien vile à soutenir leur cause. Avec nous, nous avions l’illustre Ghamelain 2 Pour chef de cet escadre et chef de ce dessein ; Nous entrâmes au port, afin de mieux nous battre; Sept voiles et deux forts étoient contre nous quatre 3 ; Outre tous ces vaisseaux, à terre, les François Marchoient, avec leur chef, pour tout le même fait. Il avoit avec lui, de plus, pour avantage, Le sieur de Saint-Denis 4 et plus de cent Sauvages. Trois heures on se bat de très belle façon, Tant à coups de fusil qu’à grands coups de canon. Celui qui commandoit le grand fort du rivage, Sur le premier discours, craignant fort le Sauvage, Se rendit à l’instant, sans en venir aux coups. Les vaisseaux ennemis tiroient toujours sur nous. Mais, à la fin pourtant, imitant le modèle Du commandant peureux, ôtèrent la bandelle" ; Mais, malgré tout cela, l’on se battoit très fort Sur l’isle Sainte-Roze, et, méprisant la mort, Celui qui commandoit, quoique jeune par l'âge, Soutenoit tout lui seul, et, rempli de courage, Ne se rendit que lors, que la poudre manquant, Ne pouvant soutenir par la mort de ses gens, Vint à bord de YHercule, et, présentant l’épée Au sieur de Ghamelain, grand chef de notre armée : « Ah ! je viens, lui dit-il, me rendre sous ta loy, Dans toi, reconnoissant le pouvoir de ton Roy, Grand chef, digne sujet de l'honneur de la France,

1. Le 14 septembre 1719.

2. M. de Champmeslin.

3. Parmi ces navires, se trouvaient le Maréchal de Villars, le Comte de Toulouse elle Saint-Louis. Les deux premiers avaient été saisis, avec une insigne mauvaise foi, par les Espagnols à La Havane; le dernier se trouvait en rade de Pensacola quand les Espagnols reprirent cette ville.

4. Juchereau de Saint-Denis. C’était M. de Longueville qui commandait les Sauvages.

5. Petit pavillon.


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Rien ne peut résister à sa toute puissance. Pardonnes, tu le peux; c’étoit là mon devoir Contre toi, combattant, et contre ton vouloir. » Alors, de Chamelain le caresse, l’embrasse, Lui rend aussi l’épée et lui donne une place Dans son même vaisseau, non comme un ennemi, Ni prisonnier d'état, mais comme son ami ; Ors, celui du grand fort fut d’une autre manière Reçu, car il le fut, méritant l’étrivière. Regardé comme un lâche, ainsi qu’un fanfaron, Qui mérite le fouet pour sa belle action; On lui donna un garde et les murs les plus pires, Sitôt son arrivée sur un de nos navires. C’est ainsi que l’on prit, pour la seconde fois, Le fort de Pensacolle et tout au nom du Roy. Nos soldats désarmés furent chargés de chaînes, Et, quatre jours après, souffrirent, pour leur peine, D’être, au bout de la vergue, étranglés à l’instant. Ils tirèrent au sort pour subir ce tourment; La moitié y périt, l’autre fut condamnée D’être esclave au pays, et ce, pour dix années L Pendant que nos vaisseaux étoient dedans le port, il parut un bateau qui côtoyait le bord ; On hissa pavillon et la flamme espagnole ; il entra dans la rade et, sans autre parole, Croyant que tout l’escadre étoit de nation Ainsi qu’il en étoit, à grands coups de canon Commence à saluer. Quelle fut sa surprise De se voir, au moment, au nombre de la prise ! Il jeta ses paquets bien vite dans les flots; Un soldat se lança dans la mer aussitôt. A force de plonger, avec danger extrême, A la fin, il les trouve, et les porte lui-même Au sieur de Chamelain, qui, dans le même instant, De soldat qu’il étoit, le fit faire sergent. Ces lettres contenoient que le grand Roy d’Espagne, Ne doutant nullement que, dans celte campagne, Par leur seul valeur, ses sujets, ses amis, N’eussent pris les François, et aussi leur pays, Qu’il faisoit ascavoir que, peur de la famine, il faisoit envoyer les François à la mine. Ors, dedans ce bateau, c’étoit un beau présent, Que, de l’isle de Cube, avoit le commandant 1. Trente-cinq déserteurs furent pris, et douze d’entre eux .pendus.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 299 Envoyé tout exprès au chef de Pensacolle. On peut fort bien juger qu’il n’en eût pas obole, Qu'au contraire, cela servit à nos vaisseaux Pour finir leur voyage, étant desur les eaux. Dans ce combat donné, l’on n’eut qu’une personne Des nôtres de tuée. Que cela ne t’étonnes, Car l’ennemi troublé visoit à tout hasard, Sans oser appointer, se retirant à part ; C’étoient nos déserteurs, qui, de fureur, de rage, Amorçoient les canons et faisoient cet ouvrage. Voulant vaincre ou mourir, plutôt que de tomber Dans les mains d'un vainqueur, qui ne peut pardonner A de lâches François, qui, par un fait horrible, Méritent le supplice et la peine terrible, Qui doit être le prix d’un lâche déserteur, Qui court, en désertant, à son triste malheur. Parmi les Espagnols, la clareté fut ravie A quarante des leurs qui perdirent la vie, Et sept estropiés, et onze déserteurs, Qui la perdirent aussi, mais bien avec honneur. On abattit le fort, on réduisit en poudre Logements, bastions. Chamelain, comme un foudre, Ayant, par sa valeur, mis tout en bon état, Embarqué prisonniers, en France retourna. On laissa garnison pour garder cette place, Afin que l’Espagnol n’eut plus aucune audace. Quand la paix fut signée, on ne fut pas longtemps Sans les voir revenir avec des bâtiments ; On leur rendit l’endroit 1 ; l’amitié fut jurée, Et, depuis ce temps là, on ne l’a violée. Mais pour lors, nous étions toujours au même endroit Où chacun y vivoit en faisant son emploi. On continuoit toujours d’envoyer force monde Pour cultiver la terre et la rendre féconde Et Massacre, n’étant qu’un endroit fort étroit, On résolut, pour lors, de chercher autre endroit. L’on choisit, pour cela, M. de Valdeterre2, Qui fut, avec soldats, visiter une terre Propre à placer le monde, et faire, en cet endroit, Une espèce de ville et y tenir convoi.

1. La remise de Pensacola aux Espagnols, par suite de divers retards, n’eut lieu qu’au mois de septembre 1722.

2. Drouot de Valdeterre, commanda d’abord l’île Dauphine et ensuite Biloxi.


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Fig. 40. — 1. Le Vieux-Biloxy. — 2. Le Nouveau-Biloxy.


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Pendant vingt-quatre jours, cinquante-deux personnes Travaillèrent, brûlant une place assez bonne ; Ors la chose fut telle, en cet endroit choisi, Connu, depuis longtemps 1 , pour le Vieux-Biloxi. Par le moyen du feu, l’on nettoya la place. On auroit eu besoin d’avoir un peu de glace ! C'étoit un brasier et un feu très ardent Qui, brûlant tous les bois, nous rendit fort content. Pendant que tout brûlait, l’air étoit enfumé, Le soleil même avoit sa splendeur enflammée. La fumée et la flamme en brasier ardent, Ensemble se mêlant, sembloient, en cet instant, Vouloir jamais cesser et ne jamais se rendre, Détruisant, brûlant tout, et mettant tout en cendre. A la fin cependant, nous trouvâmes un champ Propre à y faire un fort et autres logements 2 ; Les uns faisoient des trous, plantoient des palissades, Les autres, bâtissant, faisoient des corps de gardes; On choisit un endroit, c'étoit un beau plafond, On y fit, pour le chef, logement, pavillon, Aussi, pour les soldats, magasins et caserne. On y fit, sur la butte, une belle citerne ; Le sieur de Valdeterre avoit les yeux partout; Par ses veilles, ses soins, il fit si bien, qu’au bout De deux mois et demy, cette place nouvelle invita de Bienville et toute sa séquelle D’abandonner Massacre et venir, par bateau, Pour demeurer ensemble à ce poste nouveau. Au déménagement tout le monde travaille, On fit tout embarquer, et la vieille féraille. N’est pas même oubliée. On laissa garnison, Non pas un officier, mais le sergent Pignon, Afin que, s’il venoit un bâtiment de France, On put lui indiquer le lieu de résidence. On ne fut pas six mois à ce poste élably Que l'on nomme Vieux-Fort ou le Vieux-Biloxy, Qu'un nommé Joli-Cœur, sergent de compagnie, Ayant bu trop d’un coup, et sa raison ravie, Avec sa pipe ardente, et dessus un charbon, Mit le feu dans la paille et brûla sa maison.

1. Connu ensuite serait plus exact. Biloxi était le nom d’une petite nation sauvage habitant sur le littoral, un peu à l'ouest de l’embouchure de la baie de La Mobile.

2. Novembre 1720.


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Comme c’éLoit la nuit, et tout dans le silence, Le feu gagna partout avecque violence La sentinelle crie, on s’éveille en sursaut, On court donner secours, on jette force d’eau Sur les bois des maisons. L’embrasement horrible Augmentoit à vue d’œil : c’estoit chose terrible, Attendu que ce bois, propre à faire goudron, Est rempli de bitume et de graisse à foison. Plus on jetoit de l’eau, car c’est son ennemie, Plus il se rallumoit et reprenoit la vie. L’on eut beau travailler pendant toute la nuit, Ce grand embrasement, onze maisons détruit. Vers ce même temps là, onze vaisseaux arrivèrent Pleins de concessions pour cultiver la terre ; On débarqua le monde au Nouveau-Biloxi. Chacun prit le canton qu’on lui avait choisi, Et comme, en cet endroit, les concessionnaires Ne pouvoient nullement faire nulles affaires, Sans aller, au Vieux-Fort, y voir le gouverneur, Pour y chercher son ordre, en craignant le malheur, Cela détermina Le Moyne de Bienville D’établir, à ce poste, une nouvelle ville. Sitôt dit, sitôt fait; on quitte le Vieux-Fort; Pour la troisième fois, on s’établit encor. Le soldat, l’habitant, ce poste ils abandonnent, Suivant l’état-major et leur chef en personne. Le ministre Le Blanc 1, là, sa concession Y étoit établie dans le meilleur canton, Composée d’ouvriers et de trois compagnies De soldats, d’officiers et d'un chef de régie. Coly 2 , Mézière3 et Law avoient aussi leur part De ces cantons donnés, et chacun, à l’écart, S’étoit bien établi. Malgré la prévoyance D’envoyer au pays des vivres de la France, On ne put éviter des malheurs le plus grand. La farine, le vin, tout d’un coup nous manquant, Le peuple, les soldats", tous s’en furent aux villages Que, pour lors, avoient faits les barbares Sauvages, t. Secrétaire d’État du Ministère de la Guerre. 2. Daniel de Kolly s’intitulait « ancien conseiller des finances de son Altesse électorale de Bavière ». 3. Le marquis de Mézières. Après sa mort, sa veuve, tout en restant en France, continua à faire exploiter sa seconde concession, qui fut plus .tard ravagée par un parti Natchez.


Qui donnoient aux François force sagamité 1, Et tout avec plaisir et affabilité. Tout ce monde, pour lors, pendant cette misère, Ne vivoit que comme eux, restant dessus leur terre ; Au bout de quelques mois, la Vénus arriva Qui fit un grand plaisir, nous tirant d’embarras. Le Conseil du pays, aux concessionnaires Leur donna, pour toujours, de bons contrats de terre, Afin que, séparés, chacun vécut du sien, Et que, par le travail, on fit venir du bien. Chaque concession se retira bien vite Et fut, à son endroit, défricher, faire gîte. Nous pouvons comparer à la Tour de Babel 2 Ce dernier campement, et, pour être fidèle, Disons que, dans ce poste, on étoit pêle-mêle, Quoi qu’on fit le service avec un très grand zèle. Chaque établissement n’étant pas éloigné D’une lieue l’un de l'autre, en un pays sablé, Ne produisoit de biens, que fort peu de légumes, Sujet à de grands vents, qui causoient force ruines. Ce qui fit, qu’à la fin, on jugea sainement Que chacun, à part soi, fit établissement, Afin que, dans la suite, en un temps de disette, Celui, qui, par bonheur, auroit fait grande emplette, Tant de blé que de riz, put aider son prochain, Et l’empêcher, du moins, à ne mourir de faim. Ah ! j’avois oublié de dire qu’en ce poste On fit bâtir un pont de bois de telle sorte Que, pour le construire, il en coûta beaucoup, Et qui, disons le vrai, n’en valoit pas le coup 3 . Je ne décrirai point de ces concessions Les logements divers, leurs faits, leurs actions. Je dirai seulement que, sur la grande terre. Ils s'établirent tous le long de la rivière ’, Eloignés, plus ou moins, de l’établissement,

1. La sagamité était une sorte de bouillie de maïs, à laquelle on ajoutait parfois un peu de viande.

2. Un grand nombre d'Allemands, parmi lesquels se trouvaient d’ailleurs beaucoup d’Alsaciens et quelques Suisses, avaient été envoyés par la Compagnie pour coloniser la Louisiane. La population comptait également de nombreux déserteurs espagnols.

3. Ce pont avait été construit par l’ingénieur de Boispinel; Dumont ne devait pas être de ses amis.

4. Rivière de La Mobile.


Fig. 41. _ 1. L a Nouvelle-Orléans en 1719. — 2. La Nouvelle-Orléans vers 1 735.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 305 Du conseil supérieur et du gouvernement. Je suivrai, pas à pas, dans ce petit ouvrage, Le changement d’état, qui seul nous encourage. Revenons à Bienville et mettons par écrit Qu’il est, avec son monde, au Nouveau-Biloxi. Cependant, onavoit une petite ville Sur le fleuve’ établi par quelques gens habiles; Ce poste se nommoit la Nouvelle-Orléans, il fut encore choisi, pour l’établissement. Un lieutenant du Roy, depuis venu de France, Eut ordre de partir pour faire résidence; R y fut en effet, et choisit cet endroit Pour le lieu capital, pour la dernière fois. Son nom étoit La Tour 2 ; un esprit très sublime, De belles qualités, une âme magnanime, Composaient sa personne ; il fut ainsi choisi Pour venir de la France établir le pays. Etant ingénieur et, dans l’art, fort habile, De ce petit bicoque, il en fit une ville, Et quiconque en vouloit en avoir un canton, L’ordre étoit d’entourer et bâtir sa maison. A fermer ses terrains, tout le peuple s’empresse, Lorsqu’au mois de septembre 3 , une horrible tempête Et, pour mieux l’expliquer, un terrible ouragan, Qui survint tout d’un coup, fit trembler l’habitant, Renversa les maisons. Au vent, à la poussière, La grêle se mêlant d’une telle manière Qu’elle fit craindre à tous, en ce triste moment, Que l’on alloit avoir le Dernier Jugement. Les arbres, dans les bois, se sentent de l’orage, Et même les oiseaux tomboientsur le rivage ! L Aventurier^ vaisseau mouillé dedans le port, Appréhendoit beaucoup d’aller briser son corps Sur quelque tas de bois, ou même contre terre ; Chacun étoit à plaindre en sa triste misère. Ce vent ne dura pas pour un jour seulement ; Pendant trois jours entiers, on souffrit l’ouragan, Et la perte du bien fit jeter maintes larmes

1. Le Mississipi.

2. Le Blond de La Tour était ingénieur en chef de la colonie, mais, quoiqu’on dise Dumont, son opinion était d’établir la capitale à La Mobile, et ce fut l’ingénieur Adrien de Pauger qui traça le plan de la Nouvelle-Orléans.

3. Le 12 septembre 1722. Société des Américanistes, 1931. 20


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A ceux qui, par ce coup, se trou voient en alarmes. Le quatrième jour, la tempête cessa, Et le beau temps survint, qui, de joie, nous combla. On se mit à bâtir à l’envi l’un de l’autre, S'entrepoussant chacun comme de bons apôtres ; On fit tant, qu’à la fin, cet établissement Fut propre à recevoir Bienville et tous ses gens. Adieu donc, pour ce coup, les anciennes demeures, Car les voici rendus, Grands Dieux! à la bonne heure Dans une capitale, après des changements Qui, toujours, ont perdu des vivres et du temps. Trois postes différents, établis avec peine, Sont délaissés ; la chose est très certaine. En cette ville, on tient le Conseil du pays, Pendant les douze mois, les premiers samedis ; Le clerc et l’avocat n'y sont point nécessaires, Le procureur non plus. Chacun dit son affaire, Les procès sont jugés sans aucune longueur; On ne peut rappeler du Conseil supérieur. Thémis, en cet endroit, est assez bien traitable, Avec un peu d'amis, on se la rend affable. Le juge du conseil est le sieur de Salmon 1 , Le procureur du Roy, c’est Fleurieau 2 ; Le Breton 3 , Avec dix conseillers, qui sont nommés de France, Composent la justice et tiennent la balance. Parmi ces conseillers, on en voit deux ou trois Qui, dans l’occasion, pour recueillir leurs voix, Ne savent nullement ce que c’est que de lire, Ignorant encore plus ce que c’est que d’écrire, Et Henry 4, le notaire, écrit le jugement Qui se fait du procès. On n'est pas présent, Quand on en vient aux voix, l’un et l'autre adversaire Sortent du conseil, l'on juge leurs affaires, Et, pour un acte simple, il en coûte six francs 5. Le juge du Conseil, en outre, est commissaire, Charge dans le pays, utile et nécessaire.

1. Gatien de Salmon, commissaire de la Marine, puis commissaire-Ordonnateur.

2. François Fleuriau se démit de sa charge en 1726.

3. Louis Le Breton, d'abord écrivain principal, fut, plus tard, nommé conseiller.

4. Nicolas Henry était notaire et greffier.

5. Six francs rimaient primitivement avec jugement et présent; seulement, au lieu d’ajouter trois vers pour introduire deux rimes féminines, Dumont s’est contenté d’ajouter un simple distique.


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Parsesloix, il contient toute chose en état Et quiconque a besoin, tant éloigné que là, De quelques marchandises, il court à sa personne Qui signe le mémoire ; en payant, on vous donne Au magasin du Roy. La ville est tout le bien, Et la source de tout, et, de tous, le soutien. Les Pères Capucins, dans cette capitale, Sont les seuls possesseurs d'église principale. Les Ursulines ont là un très beau bâtiment Elevé tout en brique, et c’est là leur couvent. La jeunesse du pays, par ces bonnes bigotes, Apprend, par leur avis, à devenir dévotes. Vis-à-vis de la place, est des vaisseaux le port. Point de retranchements, nul bastion, nul fort Qu'un seul petit endroit, où se trouve abondance De la poudre à canon qu’on apporte de France, Qui se trouve flanqué de quatre bastions, Pour la mettre à l’abri des feux avec raison ; Éloigné de la ville, on y met sentinelle Le jour, aussi la nuit, car, pour dire, sans elle, On ne verroit point tant de Sauvage chasseur, Ni même de François; c’est le vrai bonheur De ceux qui peuvent avoir si bonne marchandise, Avec laquelle ils font de si belle entreprise. Elle vaut au pays quelque fois un écu, Quelquefois aussi moins; elle a grandes vertu, Les François l'aiment bien, de même le Sauvage ; ils vont, parmi les bois, faire quelque voyage Pour tuer soit de l’ours, du chevreuil ou des bœufs, Les vendent à leur retour, ce qui les rend heureux. Le long de la rivière, on a fait la Levée*, L’habitant, desur elle, vient vendre sa denrée. Si quelqu'un vient aux mains, par contestation, Le coupable, aussitôt, est conduit en prison. Ah ! j’oubliais de dire, en écrivant de suite, Qu'on avoit, pour voisin, le bon Père Jésuite; Leur maison est très belle et l’habitation, Sur laquelle il y vient toute chose à foison. N’ayant pas le pouvoir de diriger les âmes, De leur charité même en répandre les flammes, ils ont soin de leur bien, et passent tout leur temps A semer, à cueillir, achetant et vendant.

* C’est un fossé dont la terre, rejetée d’un côté, forme un parapet d’au moins de 24 pieds. —La première levée protégeant la Nouvelle-Orléans fut terminée en 1727.


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Devant que d’établir en cet endroit la ville, On en avoit fait une au Fort de La Mobile, Où là, quelques soldats, ayant eu leurs congés, Se tirent habitants, et, s’étant mariés Au sexe féminin ramassé de la France, Envoyé en ces lieux en très grande abondance. Grands Dieux! c’étoit avoir très grande charité De songer, en ce temps, à notre humanité ; Sans ce secours, hélas! cette terre, peut-être, N'auroit point profité, si l’on eut pas vu naître En ce pays charmant quelques beaux rejetons Du sang de nos François ou d’autres nations. Ces habitants, soldats, après leur mariage, Obtinrent du Conseil des terres en partage ; Les uns à La Mobile et les autres aux Natchez, Tellement que s'étant tous ainsi dispersés, Pour se mettre à couvert un peu de la misère, Travaillaient à plaisir à cultiver la terre. Ors les Natchez étoient un pays très charmant, Eloigné de cent lieues du grand gouvernement. A faire le voyage, la peine en est terrible ; il faut monter le fleuve; il est large et rapide ; il faut ramer sans cesse et, toujours sur les îlots, On travaille le jour ; la nuit est le repos. Sitôt que la nuit vient, on se met tous à terre; Après avoir mangé, l’on dort dessous un berre 1 ; Sans cette couverture, on ne pourroit dormir A cause des brûlots 2 , ni même soutenir Contre les maringouins. Il faut, sur le rivage, De même que sur terre, avoir quelque branchage Pour chasser moucherons qui percent votre peau Par leur subtile trompe, et causent mil maux. Aux habitations, et même dans la ville, On n’est pas même exempt de cet insect agile ; Et, lorsque le soleil se précipite en mer, Cet insecte commence à se lever, voler, Et, pour se garantir, même dans la tanière, il faut fermer le tout d’une belle manière, Et puis alors brûler un peu de bois pourri Ou fiente de bœuf. Voilà le bon parti Qu’il faut prendre eu ceci. Un seul dedans la place, Ou même dans un lit, auroit assez d’audace

1. Sorte de tente, formant moustiquaire.

2. Très petits moustiques, piquant surtout pendant le jour.


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Pour empêcher quelqu’un de pouvoir reposer, Piquant, suçant le sang dès qu’il vient se poser. Mais il est très certain que la seule fumée Les pourchasse bien loin. Aussi, dès la nuitée, On ne voit que partout brouillards de tous cotés; Dans les bois, les maisons, même dans les fossés, Aux habitations, partout sur cette terre, Et même desur l’eau, on sent cette misère. Aux Natchez, je l’ai dit, un établissement Avoit été formé par soldats, habitants. Cent lieues de chemin en partant de la ville, On arrive, à la fin, à ce poste fertile. Il faut, arrivé là, monter un grand écore 1 ; Au dessus, sont bâtis maisons, église et fort. Les habitations en sont fort dispersées, Et deux concessions en étoient éloignées : L’une étoit à Le Blanc, l’autre étoit à Colys ; ils possédoient chacun quatre lieues de pays. Entre ces deux terrains, étoit un grand village Où demeuroit alors la nation sauvage Qui donnoit aux François, pour un peu de butin, Des volailles, du blé et des secours de main. Elle trafiquoit tout, servoit à l’ordinaire A tous les habitants à cultiver la terre. Ah ! disons avec droit, que ce beau poste là Est propre à cultiver la plante du tabac. L'indigo y viendroit avec plaisir extrême, Le blé, la vigne aussi, sans tant de peine même; En un mot, cet endroit est celui du pays Digne d’être nommé le Second Paradis. Mais ce charmant pays, cette fertile terre Est, en ce jour, désert par une horrible guerre. Avant que de marquer ce funeste accident, Voyons donc le sujet de cet événement. En mil-sept-cent-vingt-deux, un coup très téméraire, Donné par un Sauvage, a déclaré la guerre. Un François fut blessé d’un coup tiré sur lui *, Et un autre habitant tué pendant la nuit. Un Sauvage, voulant s'attirer de la gloire, Lève, avec les cheveux, la peau ; c’est la victoire.

1. Berge escarpée ou hauteur. C’étoit M. Guénot, officier de la concession de Sainte-Catherine, appartenant au sieur de Coly.


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Fig. 42. — 1. Environs de la Nouvelle-Orléans. —- 2. Concession de la Terre-Blanche.


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A peine cela fut fait, que, dans le même instant, A la ville, on dessend le dire au commandant ; On bat la générale, et, la troupe assemblée, On choisit bons soldats pour composer l’armée ; Ou embarque la poudre et tous les instruments Dans pirogues, bateaux, Bienville et tous ses gens. A la force des bras, quelquefois à la voile, On court, on vole, on vient où la gloire nous appelle ; On se débarque tous, on se rend chez Colys Par différents chemins et par divers partis. Le lendemain matin, le deuxième de novembre, Au village ennemi les troupes vont se rendre; Mais, en chemin faisant, on trouve une maison Sur laquelle on tire de très belle façon. Ces habitants surpris, tout d’un coup se retirent, S’arment, ferment leur porte et, sur nous autres, tirent : Ne vous étonnez pas s’ils pouvoient nous blesser, Autour de leurs maisons, ce n’est que trous ouverts [sic). Un soldat habitant que la colère emporte, Voulant vaincre ou mourir, fut arracher leur porte, il l’arrache, en effet, avec un grand effort, Mais, malgré sa valeur, il y trouva la mort. Un Sauvage, en dedans apercevant sa belle, La tire, le coup va tout droit dans sa mamelle 1 ; La porte s’ouvre enfin en tombant sur son corps, L’habitant, le soldat, foncèrent tous d’abord ; Les barbares tués, les femmes prisonnières Et les bras attachés, suivoient l’armée derrière. Après ce bel exploit, on brûla la maison Et le corps du François. En voici la raison : On apréhendoit fort, qu'en lui laissant la tête, Cela servit un jour pour sujet de conquête, Et, pour mieux expliquer le sujet de ce fait, Si l’on l'eut laissé là, l’on auroit très mal fait : Parmi ces nations, chevelure levée. Rend celui qui la prend riche d’un beau trophée, Car une chevelure, arrachée d'un François • Par la main d’un Sauvage, est portée à l’Anglois ; Ce dernier la leur paye, en bonne marchandise, Autant de dix écus une telle entreprise. Le François donne autant de celle de l’Anglois 1. Cet épisode est raconté dans les Mémoires Historiques d’une façon beaucoup plus compréhensible.


312 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Ou d’un autre ennemi 1. Grand Dieu ! de telles lois Font que, dans ce pays, il faut la méfiance Si l’on veut bien jouir d’une bonne assurance. Ayant ainsi réglé, on parcourt les bois Sans trouver en chemin de quoi faire d’exploits. Le jour prêt de finir, s'en retourna l'armée A la concession; ce fut sa journée. On y resta deux jours, après quoi l’on marcha Devers nos ennemis ; le chef des Tonicas 2 , Avec sa nation accompagnant l'armée, Fut un fatal malheur en cette matinée, Car, à peine arrivé desur un haut vallon, Sur lequel on voyoitune grande maison, Qu’un de nos ennemis le blessa à l'épaule, Mais il eut l'avantage, et tirant, tua le drôle, Et, pour dire le fait, c’est que, par un bonheur S’étant vu tous les deux de rage et de grand cœur, Tous les deux coups tirés ne firent qu'un ensemble : L’un frappa dans l’épaule et l’autre dans la tempe. Ce coup ainsi donné, découragea nos gens ; il fallut s’arrêter et faire, en cet instant, Un brancart pour porter le chef des Sauvages, Et le conduire ainsi, de crainte des outrages. On partagea l’armée ; un parti va devant, Le chef est au milieu, le reste le suivant. Pendant que nous marchons, le jour se précipite, On reste dans un champ, de même qu’un ermite ; On allume du feu, l’on y passe la nuit, Sans aucun seul repos, avec beaucoup d’ennui ; Mais, par bonheur pourtant, le jour vient à paroitre Et chacun, dans le camp, commence à se connoitre. On reprend le chemin, sans aucune action ; Toujours en défilant de la même façon, L'armée arrive enfin, assez bien fatiguée De marcher lentement et passer la nuitée A veiller sur un champ et garder un blessé, Et, le pire de tout, sans boire et sans manger. Le lendemain matin, chacun prend son bagage Et retourne aux Natchez, au fort, à son village. On quitte cet endroit de la concession ;

1. Les Chactas étaient même passés maîtres dans l’art de faire deux chevelures avec un seul scalp.

2. Les Tonicas, nos fidèles alliés, habitaient, sur la rive gauche du Mississipi, la région de Manchac, située à l’ouest du lac Pontchartrain.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 313 On y laissa pourtant soldats en garnison, Pour veiller l’ennemi, pour arrêter l’outrage ; Et soutenir enfin la ruse du Sauvage. La paix fut demandée après cette action, Bienville la donna, mais à condition Qu’on lui livre en deux jours, pour marquer ses conquêtes, D’un nègre déserteur et du Vieux-Poil 1 les restes, Ors ce Vieux-Poil étoit soi-disant un mutin, Chef de la nation, auteur de l'assassin. Enfin, tout apaisé, notre chef Bienville, Après ce bel exploit, s’en revint à la ville. Je ne décrirai point les faits des habitants ; Je mettrai par écrit, les divers changements Tant du gouvernement que les faits de la guerre, Qui nous ont, un moment, réduits à la misère, Qu’aujourd’hui l'on ressent partout dans ce pays. Sans t’arrêter Lecteur, je continue, j’écris : Sachons que notre chef résolut en personne De quitter le pays, passer dans la Bellone Pour s’en aller en France ; un fatal accident Empêcha tout d'un coup cet accomplissement; La chose fut ainsi, car sans vent, ni orage, Avec le plus beau temps, le vaisseau fit naufrage 2 . Par ce fatal malheur, ce digne commandant Revint desur ses pas à l’établissement; Mais, peu de temps après, il quitta là son monde, Et, selon ses désirs, passa sur La Gironde 3 . Avant que de partir, le sieur de Boisbriant 5 Fut, par nous, reconnu pour notre commandant. Il ne tint pas longtemps la barre souveraine, Car il ne resta pas un an dans cette peine Qu’un navire arriva nous amenant Perier»; Il arrive à la ville et vint le relever. On étoit aux abois, par les bourgs, la ville, Ce nouveau gouverneur conseille, nous réveille.

1. Le Vieux-Poil était le chef du village de la Pomme.

2. La Bellone coula en moins d’une demi-heure, par suite de la pourriture d’une partie de son bordage, devant l’île Dauphine, au moment même où Bienville allait s’embarquer (avril 1725).

3. Bienville s’embarqua au mois de juillet 1725.

4. Le capitaine Dugué de Boisbriant commandait auparavant l’établissement des Illinois.

5. En octobre 1726.


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On se baltoit alors pour se rendre habitant On donnoit des déserts où le défrichement Se faisoit à toute heure, avec un zèle extrême ; Des nègres on livroit, et l’officier, lui même, Se faisoit un plaisir de se voir établi Le long de ce beau fleuve ou du Missisipy. Cette terre, en un mot, faisoit nargue à la France, On y vivoit fort bien, et tout en abondance, Chacun voyoit venir, dans l'habitation, Le coton, le tabac et de belles moissons. Ce digne gouverneur, à tous, étoit propice, Et rendoit à chacun le droit et la justice. Mais ce temps n’est plus, un fatal accident A retiré ce chef. Aujourd’hui, l’habitant Se trouve abandonné, réduit à la misère, Qui l’oblige à quitter sa maison et sa terre. Il faut donc, cher Lecteur, décrire, en ce moment, La perle de ce poste et cet évènement. Grand Dieux ! si je pouvois effacer ma mémoire De ce fatal malheur, de cette triste histoire, Je pourrois, aujourd’hui, me croire fort heureux. Un poste sur son pied, les habitants chez eux; Il faut qu'il fut écrit que ce poste dut être Détruit de fond en comble en commençant de naître. Par les mêmes bontés de ce grand commandant 1 . Le Natchez commençoit de venir florissant, Car, par un bon labeur, cette terre féconde Produisait à plaisir et contentait son monde. Mais, par un grand malheur, en ce charmant endroit, Le nommé de Chépart * en roy le commandoit ; En roy, cela veut dire en très grande puissance. Eloigné qu’il étoit de cent lieues de distance De la Cour de justice et du chef commandant, il devint, en un mot, orgueilleux et tyran, Maltraitant le bourgeois et même les Sauvages, Leur ordonnant de plus de quitter leurs villages. C’estoient de beaux endroits, c’estoient de bons cantons, il s'en vouloit saisir, et le tout sans raison, Pour n’avoir pas la peine, ainsi qu’à l’ordinaire, Lorsqu'on veut s’établir, de défricher la terre. 1. Le gouverneur Perrier. * Il étoit capitaine commandant et basque de nation. — Son véritable nom était

d’Etchéparre.


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Des nègres il avoit, et, s’il eut réussi, il se seroit trouvé tout d’un coup établi, Cabanes, magasins, la terre défrichée. Cela méritoit bien une juste pensée, Digne d'un vrai François et digne d’un humain, Mais son poste l’avoit rendu fier et vain ; Ors, par malheur, Lecteur, cet ordre fut funeste A lui non seulement, mais même à tout le reste. Ils obtinrent pourtant encorde lui deux mois, Avant que de quitter pour aller dans les bois. Ils furent condamnés de payer cette grâce En lui donnant volailles, sacs de blé à la place. Hélas ! cette injustice et condamnation Fit prendre à ces gens la résolution De tuer les François pour conserver leur terre. Ils l’ont fait en effet, en voici la manière : L’an mil-sept-cent-vingt-neuf, la galère arriva, Pleine de bons effets pour tout ce poste là. —Le soir devant ce jour, Bailly, le commissaire 1 Avec le sieur Chépart, disant avoir affaire Au village sauvage, allèrent bien fournis D’eau-de-vie et de vin. Ricard 2 y fut aussi ; ils furent bien reçus du Grand Chef des Sauvages, Se divertirent bien, avec ces avantages Qu’ils donnoient l’eau-de-vie avec profusion. Après avoir soupé, sans aucune raison, Demandèrent au chef, pour passer la nuitée, Quelques filles sauvages, et, elles accordées, ils couchèrent ensemble. On ne voyoit donc là Que joies et plaisirs, et aucun embarras. Ors, dès le fin matin, au fort ils se rendirent. L’habitant, l’officier, l'interprête lui dirent 3 Qu’ilfalloit ordonner de charger le canon, Puis armer les soldats, de peur de trahison, Vu que quelques amis du parti des Sauvages Les avoient avertis du projet d’un outrage ; Ils furent aussitôt envoyés en prison, Sans vouloir écouter ni rime, ni raison ; « Quoi donc, leur disoit-il, moi qui sort du village, Je n’ai vu, tout partout, qu’un amoureux visage.

1. Perrier avait nommé Bailly juge-commissaire à la place de La Loire des Ursins. Ce dernier, fort aimé des Natchez, n’aurait jamais permis l’expulsion des Sauvages.

2. Ricard était garde-magasin ; il eut la chance de pouvoir se sauver.

3. La démarche des habitants avait eu lieu la veille.


Carte des habitations du poste des Natchez.


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Qui pourroit m’indiquer que vous m'anoncez vrai ? Vous êtes des poltrons, et vous avez mal fait De venir m’avertir. Sachez que, sur ma vie, Je n’aime de tels gens, pleins de poltronnerie. Allez, allez aux fers. Vous verrez, ce matin, Si les Sauvages ont eu un si mauvais dessein ». Dix heures du matin, le vingt-neuf de novembre, Quelques uns du village au fort vinrent se rendre. D’autres se dispersent enfin de tous côtés, Avec mauvais projets, et tous très bien armés ; Le chef et tout le reste, avec réjouissance, Le calumet au vent, et marchant en cadence, Vint chez le sieur Chépart, en véritable ami ; C'éloit le loup couvert d'une peau de brebis ! « Je te viens, lui dit-il, faire la révérence Et fumer avec toi, pour notre bienveillance. Reçois donc, ô grand chef, tous ces petits présents Que je viens t'offrir avecque tous mes gens ». Ors ces présents étoient de l'huile 1 , des volailles Et des peaux de chevreuils, données en représailles A ce jour, tout d’un coup, pour leur avoir permis De demeurer chez eux pendant deux mois précis; A peine de Chépart vit-il l’abondance D’un si joli présent, qu’il donna l’ordonnance Que les gens, détenus aux fers et en prison, Fussent tous élargis, mais, à condition, Qu’ils viendroient tous chez lui voir leurs ennemis, Avouer au moins qu’elle étoit leur folie. Cet ordre, à peine donné, qu’une bande, au rivage. Tire sur la galère et fait un grand carnage. Ors c’étol le signal du massacre. Partout Les Français sont tués par de funestes coups ; De Chépart, à ce bruit, reconnoit la surprise, Se jette de son lit et, courant en chemise Au milieu d’un jardin, appelle à son secours. Mais il n’étoit plus temps, les Sauvages, autour De lui, sont en suspens pour lui ravir la vie. Aucun ne veut frapper, n’ayant aucune envie, Se disputant l’un l’autre et disant : « C’est un chien, indigne de l’honneur et du coup de ma main ». Cependant, il le fut ; le moindre des Sauvages, Regardé comme rien, en eut cet avantage. Dans un logis tout proche, en repos dans son lit, 1. De la graisse d’ours.


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Un Sauvage tua notre juge Bailly. Dans le premier moment de cette tyrannie, Des femmes, des enfants y perdirent la vie. Le coup ne fut pas seul aux habitations, On le reçut aussi dans les concessions, Et le sieur de Coly 1, qui venoit de la France, Pour jouir, en repos, des fruits de sa finance Qu'il avoit tant livrée pour sa concession, Se trouva, par malheur, dans cette trahison ; il fut tué chez lui, son fils le fut de même. Partout on entendoit, dans ce péril extrême, Que cris, gémissements, que des coups de fusils Lâchés sur les François par la main des Amis, Et le sieur Des Urzins, que l’on nomme La Loire, D’un esprit sage et bon, qui mérite la gloire D’avoir été un juge, irréprochable en tout, Ne fut pas exempté de ce funeste coup. Surpris, dans son logis, d’entendre untel vacarme, Ne doutant nullement que les soldats en armes Se défendoient au fort, monta vite à cheval Et, à bride abattue, ainsi qu’un Annibal, Gagne vite le fort ; mais quelle est sa surprise De voir que les soldats, égorgés, sans chemise, Nagent, de tous côtés, au milieu de leur sang. Il retourne en arrière et veut gagner les champs, Mais, lorsqu’il dessendoit sur le bas de la plaine, On tira desur lui, dont il reçut sans peine, Et sans jeter un cri, le cruel coup de mort. Ce fut là, de cet homme, ah ! le funeste sort 2. On ne dira jamais jusqu’où la Barbarie A porté les Sauvages à priver de la vie Tant de monde à la fois, et même leurs amis 3 . Ils avoient engagé les autres du pays A frapper tout partout. Par un bonheur extrême ils manquèrent leur coup; il faut que Dieu lui-même Nous aye secouru. Les femmes, les enfants, Les nègres, tout le bien, furent pris au moment,

1. A la mort d’Hubert, Kolly avait acheté sa concession, mais il la faisait gérer par un agent. Il était arrivé la veille avec son fils dans la galère.

2. Les habitants de la concession de Sainte-Catherine furent les seuls qui eurent le temps de se mettre en état de défense. Ils repoussèrent pendant toute la journée les attaques des Sauvages et, le soir, profitant de leur ivresse, parvinrent la plupart à se sauver en canot.

3. 138 hommes, 35 femmes et 56 enfants furent massacrés. Une vingtaine d’hommes seulement parvinrent à se sauver.


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Et, de tous les François, ils gardèrent deux hommes A qu’ils ne tirent rien. Le chef mort de la Pomme L Qui, pour la paix première étoit décapité, Peut dire que sa mort par ce coup fut vengée. Ces deux hommes gardés, ce fut en conséquence De les faire servir à chose d'importance ; il falloit que les biens fussent conduits chez eux. Pour en venir à bout, sache que l'un des deux Etoit un bon charretier; ainsi, par son travail, il les contentoit bien, ne gagnant nulle maille. L’autre étoit un tailleur ; des habits des François Dont ils avoient en plein, pour se rendre grivois, il leur faisoit l’habit et le rendoit en forme, Qu’ils paroissoient dedans de véritables hommes 2 . En un mot, on peut dire, avecque vérité, Que le Sauvage au moins avoit assez pensé A conserver pour lors, en ce cruel carnage, Ceux qui pourroient un jour lui servir davantage. Car, avec le chariot, on mena le canon, Butin, vivres, la poudre et le tout à foison, Le vin et l'eau-de-vie, en leur propre village. Quelques jours écoulés après ce beau carnage, ils revinrent bientôt mettre le feu partout Tant aux maisons qu’au fort. Etant venu à bout D’avoir, de cet endroit réduit le tout en cendre, ils fortifièrent leur fort, afin de se défendre Si l'on venoit sur eux. Ors la précaution Me paroit assez bonne en cette occasion. Ce n’est pas tout, lecteur : nos femmes, aux villages, Servoient et travailloient pour les cruels Sauvages, Qui, ne sachant que faire, y passoient tout le temps A brûler les François ou les tirer à blanc 3 . Or je dis des François ; il faut, pour bien entendre, Que ce n’étoient que ceux qui, désirant se rendre A notre capitale, et ignorant le coup, Arrivoient auxNatchez et, abordant le bout De leur petit bateau du proche de la terre, Etoient saisis pour lors d’une main adversaire, Qui les conduisoit vite au milieu de leur fort, Pour attendre, en tremblant, le sujet de leur sort.

1. Le Vieux-Poil, dont Bienville avait obtenu la tête en 1723.

2. Le charretier s’appelait Mayeux, et le tailleur Le Beau.

3. C’est-à-dire en les tirant de très près, avec des fusils simplement chargés de poudre.


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Quelqu’uns de nos bourgeois, se sauvant en nacelle, Arrivèrent à la ville annonçant la nouvelle De ce triste massacre et de l’événement Des soldats de ce fort, même de l’habitant, Protestant que, pour eux, ceux qui, par miracle, Se sont ainsi sauvés, trouvant partout obstacle A leur désir ardent d’arriver en ce lieu, Qu’il falloit que, du moins, ils rendissent à Dieu Des louanges de grâce, ayant été propice A leur échappement, fuyant le précipice. Alors, l’on vit fumer, sur nos sacrés autels, Des cierges bénits, de l’encens immortel ; On y faisoit des vœux et même des prières Pour les pauvres François qui, par mains meurtrières, A voient été tués, ainsi que des martyrs ; Une partie soudain d'autres qu’on fait souffrir. Enfin, l'on ne voyoit partout que la tristesse : Loin de la ville alors, la joie et l’allégresse, Dès que l’on eût appris ce triste évènement, Le cœur éloit saisi d’un triste abattement, Mais l’illustre Perier, que rien ne peut abattre, Donna l’ordre aussitôt, et l’on entendit battre , La caisse des tambours, tant soldats que bourgeois, Qui s’assemblèrent tous dans la place à la fois. Là, l’on choisit alors de quoi former l’armée, Qui n’aspiroit du moins qu'à voir cette journée. Aussitôt, l’on choisit des bateaux, des soldats, Pour aller secourir nos gens dans l'embarras. Le Lieutenant du Roy, Loubois*, avec l’armée, Part de la ville et vole à très grandes journées, Au bout de quelques jours, arrive auxTonicas ; il y fit faire un fort et y mit ses soldats. Il dépêche aussitôt quatre hommes 1 desur terre Pour lâcher de parlera quelque prisonnière; ils s’en vont, tous les quatre, en parcourant les bois, Comme vrais pèlerins et espions à la fois. Au bout de quatre jours, et selon leur envie, Arrivent, bien armés, sur la terre ennemie. Allant de coins en coins, ils lâchent d'attraper ‘ [Henry de Loubœy], Chevalier de Saint-Louis et Lieutenant du Roy. 1. Ils étaient sept : le Sieur de Saint-Amand, « bon gentilhomme », qui fut tué en combattant, Dominique, Busebou, Mesplet, Navarre, marié à une Natchez, et deux tambours.


Fig. 41. — 1. Village des Tonicas. — 2. Fort des Natchez.

Société des Américanistes, 1931.

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Quelque femme Françoise, afin de lui parler El de l'encourager à prendre patience, Et lui donner, du moins, quelque bonne espérance. Ces gens sont reconnus, tirés par l’ennemi, Ils se défendent tous, à la fin, ils sont pris, Saisis et attachés, escortés du Sauvage, Et conduits, en triomphe, au chef du grand village. Un des quatre fut tué, on n’amena que trois. Le Grand Chef, aussitôt, leur dit à haute voix : « Quoi donc venir ainsi tout armé sur ma terre ! Est-ce dans l’intention de nous faire la guerre »? Mais un de nos François, par son discours, lui dit : « Mon grand chef veut savoir si lu veux être ami » ? Ce barbare, aussitôt, croyant, comme un symbole, Que la vérité seule éloit dans sa parole, Fit lâcher les François et dit, à l’un des trois : « Il faut porter ma lettre à ton grand chef Loubois ». Il en avoit fait faire une par une dame*, Par laquelle elle disoit ce qu’il avoit dans l’âme. Quand elle fut écrite, il la donne au soldat; Il ne faut pas douter que, vite, il décampa. Aux Tonicas il court, quelle fut la surprise ! Il disoit qu’il vouloit beaucoup de marchandises Pour rendre tous nos gens et devenir amis, Sinon, il attestoit toujours d’être ennemi. Ce barbare, ennuyé de n’avoir point nouvelle, Abandonne à ses gens, avec haine cruelle, Ces deux pauvres François qu’ils dépouillent d’abord Les noircissent partout elles condamne à mort Avec des cris affreux, puis tous les deux ensemble Sont conduits et traînés dans la place du temple ; On les lie au poteau planté dans le milieu Et, la baguette en main, sont offerts à leur Dieu. Pendant qu’ils sont ainsi, l’on élève, en la plaine, Cadres pour les brûler. Cela, fait avec peine, ils courent les chercher, amènent les François, Les attachent au cadre, élevé tout exprès, Les bras à des liens. Alors, tous les Sauvages Font brûler lentement, avec des cris d’outrage Les membres des François, qui ne sont malheureux Que pour s’être laissés prendre, mener chez eux. Pendant que nos soldats, dans des bateaux, pirogues, * C’étoit la femme du Sieur Desnoyers, officier régisseur de la concession de Mgr Le Blanc à la Terre Blanche, et qui y fut tué le jour du massacre.


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Alloient avec Loubois, que, sur les eaux, ils voguent Pour se rendre à l’endroit qu’on nomme Tonicas, Un homme étoit parti 1 pour se rendre au Chactas, Afin que, par présents, ils vinssent pour la guerre Et fussent nos amis, et non nos adversaires. L’exprès arrive là, par son discours leur dit Que Perier, sachant bien qu’ils étoient ses amis, il venoit, de sa part, leur porter des chemises, Des balles et du plomb et d'autres marchandises, Mais, à condition, que par quelque secours, ils lui feroient connoitre un véritable amour, Qu’il leur demandoit de faire diligence Pour venir aux Natchez y prendre la vengeance Qu’il désiroit avoir sur une nation, Qui lui venoit de faire une horrible action. Ces Sauvages, surpris que, par une imprudence, Les Natchez avoient fait un tel coup par avance, Furent fâchés contre eux, car tu sais que jadis ils avoient engagés les autres du pays A frapper tout partout 2. Cette journée marquée Etoit le deux décembre, et la chose, manquée Par l’ordre du Très-Haut, nous sauva du malheur. La chose fut ainsi, et comme, par bonheur, Ces nations n’ont point de mois, ni de semaine Supputés justement, et que c’est, avec peine, Qu’ils savent supputer, il leur faut, pour cela, Quelque chose pour marque en de semblables cas ; Partout, dans ces cantons, on appelle bûchettes Ces esquilles de bois, faits comme des allumettes. S’étant donc accordés pour cet évènement, ils dévoient de la lune à son commencement Frapper, chacun chez eux, sur la terre ennemie, Nous connaissant pour tel ; et, selon leur génie, ils s’étoient délivrés soixante et trois morceaux De ces sortes de bois, qui servoient à défaut De tout calendrier. Toutes les matinées Le chef venoit au temple et, de ses mains ridées, Jetoit une bûchette aux brasiers fumants Des feux qu’ils croient tous être de tous les temps. Ors chaque nation en faisoit toufde même, Mais Dieu, qui conduit tout par sa bonté suprême,

1. Le capitaine de Lassus.

2. Voir, à propos de cette conspiration imaginaire, les Remarques placées à la fin du premier chant.


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Ne permit pourtant pas que la chose arriva Pour tout le général. Voici ce qui causa Que, quatre jours d’avance, on fit cette méprise : Ors le chef des Natchez, filant son entreprise, Vint un jour, à son temple, avec son jeune enfant, Qui, croyant que son père avec amusement Jetoitau feu ces bois, il en fit tout de même ; Le chef ne le vit pas. Par ce trait si suprême Ne reconnoit-on pas, en cette occasion, Que la main du Puissant conduisit cette action ? Qu’on ne s’étonne plus qu’au bout de la fusée, ils se trouvoient plus tôt de quatre matinées Prêts à faire le coup, qui leur causa par Des autres nations, et surtout des Chactas, La haine, la fureur et même la vengeance, Vu qu’ils s’imaginoient que, pour leur opulence, ils n'avoient fait le coup que pour avoir le bien Seuls, et sans en donner aux autres pas un rien. Après donc le discours du chef de l'ambassade, ils promirent secours et, saisissant les hardes Qu’on venoit d’apporter, ils en firent les parts, Et, s’offrant de bon cœur à braver les hasards. Le vingt de février, la neige sur la terre, Ces barbares Chactas vinrent, pour cette guerre, Aux villages natchez. Ils marchoient par partis, Suivant avec grand cœur, comme devrais amis, L’un du coté du fort, l’autre vers les cabanes, Où l’on trouva dedans, ainsi que de vrais ânes, Quelqu’uns de ces Natchez qui gardoient, à vue d’œil, Des femmes, des enfants, qui se trouvoient en deuil De leurs enfants, parents, même de leur richesse, De leurs pauvres maris, et, par cette détresse, , Étoient sans liberté, servant d’esclaves là. Dès qu’elles aperçurent un parti de Chactas, Elles quittent maison, se rendent aux Sauvages, Espérant que bientôt finiroit l'esclavage. On n’entendoit partout qu’hurlements et des cris Que faisoient, tour à tour, ces deux divers partis. Mais, comme les Chactas vouloient faire retraite, Une femme françoise eut un coup, pour emplette, De fusil dans la cuisse, et, pour le pensement, Fallut souffrir le mal, le plus tranquillement. La nuit, quoique la nuit, on entendoit sans cesse Que des coups de fusil ; or cela m’intéresse A vouloir expliquer la raison de ce fait.


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Soit qu’en faisant ainsi, l'on a pour tout objet Que l’on fait ascavoirqu’on est sur le qui-vive Dans le fait de la guerre, ils l’observent, la suivent. Nos amis les Chactas, s’étant tous réunis Pour vaincre, disoient-ils, nos cruels ennemis, Pendant plus de huit jours ne firent que bravade, Des aller, des venir; aucun bon camarade N’apportoit chevelure. Arrive enfin Loubois, il vint, avec ses gens, se camper dans les bois Vis-à-vis l’ennemi, et, montant dans la plaine, On ouvrit la tranchée, et ce n’est pas sans peine ! Sur le fort ennemi, l’on tire le canon; ils se défendent tous de très belle façon. Un jour, au fin matin, un sergent, fort habile Aux ruses de la guerre, et qu'on nommoit Brinville, Avoit été choisi pour pointer le canon ; il eut un grand malheur à cette occasion, Car, voulant se moquer de l’ennemi sauvage Leur montra son c.. nud ; il eut, pour son partage, Une balle dedans qui lui causa la mort. De sa bravade enfin, il eut ce triste sort ; Cela peut démontrer que semblable folie Cause, mais trop souvent, la fin de notre vie, Et que, pour le plus sûr, en cette occasion, C’est d’avoir un grand cœur, sans perdre la raison. Mais lorsque l’on croyoit de ne pouvoir jamais Les forcer, ni les prendre, ils demandèrent la paix ; On peut fort bien juger qu’elle fut accordée. Nos esclaves rendus, le sexe délivré, Que l’on fit embarquer dans un très grand bateau, ils gagnèrent la ville en dérivant sur l’eau. Tout fut abandonné par l’ennemi sauvage, Qui s’enfuit dans les bois après tant de carnage. Nos soldats espéroient qu’à la pointe du jour, ils leur feroient sentir quelques uns de leurs tours, Pendant l’obscurité, tout l’ennemi sauvage, Profitant de la nuit et quittant son village, Avec lui enmena ce qu’il avoit de bon, Excepté seulement couleuvrines, canons. Le marin, le soldat supplie et sollicite Pour aller desur eux, les suivre à la piste ; On leur fit ordonner de rester en repos. Cependant, en colère et toujours bien dispos, ils rasèrent le tout d’une telle manière Qu’on ne voyoit partout que la terre sur la terre.


Aux Natchez, le soldat revint et fait un fort Sous les yeux vigilants de Bessan, le major*. Après qu’il fût fini, Loubois, rempli de gloire, S’en retourne à la ville après cette victoire. Laissant pourtant au fort soldats en garnison Commandés par Crenet, très illustre baron 1 . Le barbare éloigné fut se faire un village Et choisit, pour cela, sur le bord du rivage De la Rivière Noire 2 , un excellent canton ; ils y firent un fort, chacun lit sa maison. La jeunesse pourtant, qui se sentait guerrière, Ne suivit pas son chef, reste en la cyprière 3 ; Elle est proche du fort, tue le détachement Qui levoil de l’écorce à couvrir bâtiment, Car, en ce pays là, on ne voit pas d’ardoise Taillée, pour s’en servir à couvrir à la toise. On se sert de l’écorce ou des arbres de pins, Ou bien même de celles arrachées aux sapins. Cela se fait toujours vers les deux équinoxes, Quand la sève commence-à remonter de force, Qu’elle engraisse par l’écorce avec le bois ; Ainsi, dedans l’année, on peut lever deux fois. Quoique la paix fut faite, ils détruisoient sans cesse Tout ce qu’ils rencontroient, et même de finesse. La Compagnie de l’Inde alors se retira Par la perte du bien que ce malheur causa. Mais notre grand Louis, en la triste misère Où nous étions pour lors, nous envoya Salvere , Qui vint nous secourir en ce pays lointain, Amenant des soldats. On résolut enfin D’aller sur l’ennemi ; Perier commande, ordonne, Et, comme un vrai César, il y vient en personne. Salvert suit aussi ; l’on voit filer sur l'eau Des pirogues, canots et de très grands bateaux. * Il est maintenant colonel et chevalier de Saint-Louis au service de' la Compagnie, à Lorient. — Bessan, aide major à la Nouvelle-Orléans, servit de parrain à la fille de Dumont. 1. Le baron de Cresnay, capitaine. 2. La Rivière Noire, dont le cours inférieur est presque parallèle au Mississipi, se jette dans la Rivière Rouge. 3. On appelait en Louisiane cyprières, les terres, généralement marécageuses où poussait, en abondance, le cyprès chauve de la Louisiane (Taxodium disticum). 4. Perrier de Salvert, frère du gouverneur de la Louisiane.


l’établissement DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 327 Arrivé que l’on fut sur le bord du rivage, Qui conduit à l’endroit qu'avoit pris le Sauvage, Incertain qu'on étoit du véritable lieu, On fut tous secourus sans doute par un Dieu. A peine le soldat descendu sur la terre, Que, visitant partout, c’est son risque ordinaire, Vit un enfant sauvage au bord de l’eau pêchant, i Qui fut pris aussitôt, conduit au commandant, Qui lui donne à manger, lui promettant la vie S’il vouloit nous guider sur la terre ennemie. Il promit, il le fit en marchant doucement Par chemins inconnus, et l’armée défilant, • Au bout de quelque temps, elle voit le village 1 . On fait halle aussitôt; on met là le bagage, Et ne faisant qu'un corps et les tambours ballants, On sort de ces forêts, les drapeaux tous au vent. Je te laisse à penser quelle étoit la surprise De tous en général en voyant que leur prise Etoit presqu’assurée. Ils enferment d’abord Hommes, femmes, enfants et leurs biens dans le fort ; On les fit haranguer, leur disant de se rendre, De ne point irriter Perier qui vient les prendre. Ils sont sourds aux discours et tirent desur nous; Nous tirons desureux, l’écho répond les coups. La nuit,on travailloit à faire la tranchée; Cependant ils tiroient toujours à la volée. Mais, le troisième jour, l'eau vint à leur manquer, ils mettent pavillon voulant capituler. Le jour vint à finir, quelques uns se sauvèrent, La nuit étant obscure, ce dont ils profitèrent. * A la pointe du jour, on les prit se rendant, On les attacha tous : ils éloient bien trois cents 2 . On pilla leur butin, on réduisit en cendre Leurs maisons et leur fort avant que de descendre. On les dispersa tous dedans plusieurs bateaux, Enchaînés l'un à l'autre et gardés comme il faut ; On dérive, on revient après cette victoire, Le soldat glorieux et le chef plein de gloire. Aussitôt l’arrivée, on conduit en prison Tout ce qu'on avoit pris, Sauvages et Sauvageons, 1 . Le 20 janvier 1731. 2. L’expédition ramena en effet près de 350 prisonniers ; seulement, dans ce nombre, il y avait tout juste 35 hommes en état de porter les armes, et 300 guerriers natchez continuèrent à tenir la campagne.


328 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Mais, après quelque temps, on prit ce beau conclave, On le transporte au Cap 1 , on le vend pour esclave. Les veuves, les enfants, même les habitants, Ruinés de fond en comble, n’ont pas vu cet argent, Et même dans ce jour, mettant leur espérance Et consolation en leur grand Roy de France. Pendant que nos soldats étoient à l’action, On apprenoit en France ce coup de trahison. Que faire en ce moment pour être secourable A gens tant accablés et si fort misérables? Bienville, ce grand chef fut nommé général 2 , Envoyé par le Roy pour nous tirer du mal. Perier nous quitte alors; adieu donc l’abondance! S’il part, elle le suit, et retourne à la France. On peut dire sans fard que jamais commandant N’a fait ce qu’il a fait, soulageant l’habitant, Punissant à regret, ne refusant personne ; En un mot, il mérite une illustre couronne. Bienville esta présent; suivons le pas à pas, Dans son gouvernement, mais que dirais-je hélas ! Voulant mettre la paix, il règle cette affaire. Envoyé au chef des Chis 3 , pour terminer la guerre, Ce n’est pas par présents, mais à condition Que, s’il veut des François être ami tout de bon, Qu’il eût à lui livrer de nos bourreaux la tête ; S’il l’eut eut, en effet, c’éloit une conquête. Ors les Natchez s’étoient retirés chez les Chis, Qui les regardoient tous comme de vrais amis ; Cette condition fut bientôt rejetée, Point de paix, ni repos, la guerre est prolongée. On se prépare enfin d’aller chercher les Chis ; Le chemin en est long pour joindre l’ennemi. Le soldat, l’habitant, tout part en confiance En pirogue, enbatout ?], et en réjouissance, Bienville y vient aussi ; même, des Illinois, D'Araguette * devoit nous joindre dans les bois.

1. A Saint-Domingue.

2. Bienville n’arriva pourtant que deux ans plus tard.

3. Chickachas. Ce fut Perrier, et non Bienville, qui leur fit demander de lui livrer les Natchez. * Capitaine aux Illinois, il étoit frère de M. le Chevalier Diron et de M. d’Arta- guette Diron, directeur de la Compagnie à Paris. Pour se distinguer les uns des autres, les trois frères s’appelaient généralement Diron, d'Artaguette et Diron d'Artaguette.


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Quatre mois accomplis sont le temps du voyage Le vingt et sixième mai 1, nous fîmes cet ouvrage, Mais, malgré la dépense, ah ! qu’est-ce que j’écris ! La Montagne en travail enfante une souris. Je ne puis, cher Lecteur, écrire davantage, Sinon que l’ennemi nous fait toujours outrage. L’habitant est à plaindre en son particulier. Sans appui, sans soutien et sans un bon guerrier Pour vaincre l’ennemi. Lui déclarant la guerre, il faut agir en Mars, et d’une autre manière Que celle qu’on a faite. Enfin donc je finis, N’écrivant que trois mots : Veni, Vidi, Scripsi. Fin du premier chant (1268 vers)

REMARQUES SUR LE PREMIER CHANT Les attaques répétées du poète contre Bienville, deviendront, à partir du deuxième chant, toujours de plus en plus violentes, mais le premier n'en contient guère, sauf dans les toutes dernières pages, écrites sept ou huit ans plus tard. Dumont, toutefois, a déjà soin de faire un éloge excessif, et parfois même ridicule, des talents de Perrier pour pouvoir ensuite établir, tout au désavantage de celui de Bienville, une comparaison de la prospérité de la Louisiane pendant leurs deux gouvernements. Dumont aurait, sans doute, montré beaucoup moins d'enthousiasme à l’égard de Perrier, s’il avait su que son « héros », tout comme Bienville, envoyait à la Compagnie de fort mauvais renseignements sur sa conduite. Nous avons déjà montré, dans une étude précédente 2, que la fameuse conspiration générale de tous les Sauvages de la Louisiane, qui sert de pivot aux Natchez de Chateaubriand, n’avait pourtant jamais existé, sauf dans l’imagination de Perrier qui essayait de dissimuler la véritable cause de la révolte des Natchez, et cherchait des excuses à la façon pitoyable dont avait été conduite la première et même la seconde expédition de représailles. Nous ne reviendrons pas ici sur les divergences et les contradictions 1. 1736. 2. La Louisiane de Chateaubriand. Journal de la Société des Américanistes de Paris, 1924, tome XVI, p. 127 et suivantes.


330 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES qui existent entre les diverses façons dont le Poème en vers, les Mémoires Historiques, V Histoire de la Louisiane de Le Page du Pratz et Bossu 1 racontent cette histoire de bûchettes, aussi puérile que le jeune enfant qui les aurait brûlées. Les Natchez, seuls, avaient à se plaindre des exactions du commandant d’Etchéparre et du juge Bailly, deux créatures de Perrier, et tous les autres Sauvages, à l'exception des lointains Renards et des Chickachas excités contre nous par les Anglais, vivaientalors en fort bonne intelligence avec les Français. Aussi, n‘aurait-ce été que par la plus élémentaire prudence, les Natchez ne mirent aucune nation dans la confidence de leur projet. Les Chickachas ne prirent même pas les armes, et si les Yazous qui n’avaient, reconnaissent les Mémoires Historiques, a aucune connaissance des desseins des Natchez », finirent par se décider à massacrer la garnison du petit poste établi chez eux, ce fut uniquement par suite des menaces et des mensonges de leurs puissants voisins. Les Illinois, Arkansas, Natchitotchez, Tonicas, etc., firent preuve du plus grand loyalisme, et les Chactas, eux-mêmes, dont la politique consistait toujours à profiter habilement de toutes nos difficultés pour se faire payer le plus cher possible leur alliance, ou leur neutralité, ne songèrent pas un seul instant à se joindre aux Natchez, contre lesquels, ils ressentaient d’ailleurs une véritable antipathie. Quand les Chactas apprirent; le 15 décembre, le massacre des Français, ils ne s'étaient même pas encore rassemblés pour marcher sur La Mobile ou sur la Nouvelle-Orléans; le jeune enfant aurait donc dû, pour le moins, brûler une vingtaine de bûchettes sans que son père s’en soit aperçu 2 . Le lieutenant Régis du Roullet, alors en mission chez les Chactas, commença bien par être quelque peu inquiet, mais il fut très vite rassuré sur leurs véritables dispositions, et les présents envoyés plus tard par Perrier, de neutres les transformèrent en alliés. Beaucoup de personnes, en Louisiane, ne prirent d'ailleurs pas longtemps au sérieux, la grande conspiration des Sauvages, et Diron d'Arta- guette écrivit à la Compagnie, le 10 janvier 1731 : « . . . M. de Louboisne parut(pie onze jours après [l'arrivée des Chactas devant le fort des Natchez]. Il étoit resté avec toutes les troupes à trente lieues de l'ennemi, auxTunicas, où il se retrancha pour observer les mouvements des Chactas, dans la fausse idée d'une conspiration générale qu il

1. Nouveaux Voyages aux Indes Occidentales, Paris, 1768.

2. En 1729, la pleine lune ayant eu lieu le 4 décembre, le commencement de la lunaison suivante — c’est-à-dire le premier jour où on pouvait apercevoir le croissant de la lune — était donc, pour les Natchez, non le 2, mais le 21 novembre.


était de l'intérêt de M. Perrier de faire accroire pour couvrir les raisons qui ont porté les Natches à se soulever. Il resta lui-même à la Nouvelle- Orléans, sous ce prétexte ; ce qui donna à nos alliés une très mauvaise opinion de sa bravoure ». Les récits faits par les Françaises prisonnières, à qui les Natchez avaient annoncé le massacre général de leurs compatriotes, pour leur ôter toute idée'de s’enfuir, elles racontars intéressés de la Bras-piquée contribuèrent également à entretenir la légende de la conspiration des Sauvages. La Femme-Soleil se trouvait alors captive à la Nouvelle-Orléans, et, fort naturellement, rappelait les'services qu’elle avait rendus aux Français, et, surtout, en inventait. Le gouvernement de Perrier (1726-1733) peutse diviser en deux périodes, l’une de paix, l’autre de guerre. Grâce à son caractère courtois, aux pouvoirs dont il était muni, au concours très utile que lui apporta l’ordonnateur La Chaise et à une suite d'heureuses circonstances, il est certain que la Louisiane connut, pendant trois ans, une ère de prospérité. Survint la guerre des Natchez qui ruina la colonie pendant de longues années. Or, malgré toute sa cupidité, d'Etchéparre, n’aurait, très certainement, jamais osé s'emparer abusivement de toutes les terres des Natchez, sans l’autorisation au moins tacite, du gouverneur. Le conseiller d’Aus- seville accusa formellement Perrier d’avoir été du nombre de ceux qui se promettaient de fort beaux bénéfices de cette expropriation expéditive, nous dirons simplement que le gouverneur la laissa, pour le moins, entreprendre au profit d’un certain nombre de ses amis. Il nomma même Bailly, juge aux Natchez, à la place de l’intègre La Loire des Ursins, fort aimé des Sauvages. L’expédition de Louboey, qui perdit bien inutilement, un temps précieux aux Tonicas pour surveiller les Ghactas, fut conduite en dépit du bon sens. Perrier se plaignit du peu de service qu’avaient rendu les soldats ; leur recrutement était, hélas! généralement déplorable, mais alors pourquoi Louboey n’avait-il pas fait plus souvent appel « à la valeur surprenante des nègres ». Perrier répond lui-même à cette question en déclarant : « Si ces soldats [les nègres] n’eussent pas été si chers et si nécessaires à la colonie; il eut été plus sûr de s’en servir que des nôtres ». Ainsi le gouverneur, en excellent commerçant, préférait faire tuer les soldats français, dont la mort ne coûtait rien, plutôt que de risquer la peau des nègres dont la valeur, sur le marché, dépassait encore celle qu’ils montraient dans les combats ! En 1731, Perrier commandait l’expédition contre les Natchez réfugiés sur les bords de la Rivière Noire et commit exactement la même faute


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que Louboey l'année précédente, en laissant échapper les guerriers pendant la nuit. Il pleuvait 1 , et Perrier avait fait rentrer la plupart des troupes dans leurs campements ! Le gouverneur, qui s'était emparé, d’une façon d’ailleurs assez peu loyale, de plusieurs chefs, aurait pu négocier alors avec les Natchez, seulement il voulait, pour sa gloire, les avoir complètement à sa discrétion. Fort maladroite aussi fut la faute d’envoyer, pour remplir un peu la caisse de la colonie, vendre à Saint-Domingue quelques hommes et les trois cents femmes ou enfants dont il s’était emparé. Avec tant de précieux otages, un gouverneur, connaissant la mentalité indienne, aurait pu sans doute arriver à conclure une paix durable avec les Natchez, parmi lesquels nous comptions encore, il ne faut pas l'oublier, pas mal d’assez bons amis. Seulement, dès que ces Indiens se trouvèrent définitivement sans village, sans femmes pour cultiver leurs terres, ils n'eurent plus, en dehors de la chasse, d’autre souci que de harceler nos postes et nos convois. Pour se créer de nouvelles familles, ils épousèrent bientôt des filles chickachas et parvinrent, sans la moindre peine, à nous aliéner définitivement ces Indiens depuis longtemps déjà en relation avec les Anglais. On peut encore reprocher à Perrier son manque d’humanité. Toujours pour faire croire à une conspiration générale des Sauvages, il fit massacrer la turbulente, mais inoffensive, tribu des Chaouachas, qui payèrent de leur sang la couleur de leur peau, et laissa brûler quelques femmes Natchez sur la place de la Nouvelle-Orléans. Dans l’ivresse du carnage, les Sauvages avaient commencé par massacrer une cinquantaine de Françaises, mais ils n’en torturèrent aucune. Bref, « le héros Perrier » 2, s’il se montra d’abord bon administrateur, provoqua la révolte des Natchez par sa coupable complaisance envers d’Etchéparre et ses amis, se montra ensuite très piètre général et diplomate on ne peut moins perspicace.

1. D’après Perrier, « le temps étoit épouvantable », mais les Mémoires Historiques parlent simplement « de petite pluie et de brouillard ».

2. Le Père Charlevoix cherche à défendre Perrier; toutefois il ne faut pas oublier que le gouverneur avait été envoyé en Louisiane pour préparer l’exécution du merveilleux— et surtout très économique —plan du brave Jésuite, qui consistait à remplacer progressivement la plupart de nos postes militaires par des missions composées simplement de deux Pères de son ordre.


DEUXIÈME CHANT.

SUR LE VOYAGE DE L'ARMÉE, COMMANDÉE PAR M. LE MOINE DE, BIEN VILLE, ALLANT AUX CHIC AC H AS, ET LA RELATION DU COMBAT DONNÉ, SUR CES BARBARES, LE 26 DE MAY 1736, ET LE RETOUR DE LADITE.

Je ne puis, nullement, rester dans le silence; Continuons le fait, et comme, clans la France, On ignore aujourd’hui ce grand combat lointain, Je te l’offre, Lecteur, et voici mon dessein : Je vais te faire voir le sujet du voyage, La peine des François; pour eux, peu d’avantage, Et, pour mieux t'expliquer tant de monde aux abois, Qui, dans ce même instant, élèvent tous leurs voix En demandant secours à leur grand Roy de France, Afin que sa bonté, découvrant sa puissance, Vienne les secourir, je mets donc par écrit, Avec la vérité, qu’après que, du pays, Perier, le grand César, eut remis sa puissance A Bienville, arrivé du centre de la France 1 , Afin de tout règler et, par son action, Mettre nos ennemis à la rime et raison. Le renvoyant ainsi contre tous ces Sauvages, On crut qu’il pouvoit tout, ayant, pour avantage, D’avoir été nourri parmi ces nations Dont ilavoit appris les moindres actions, Etant reçu chez eux, au temps de son bas âge; Ce fut là son école, apprenant leurs usages. En ce temps, il étoit chéri très tendrement ; La femme d’un grand chef, tant comme son enfant Que même son élève, avec grande tendresse, L'avoit considéré. Ce n'étoit qu'allégresse Parmi les Sauvageons, lorsqu’on petits combats, Celui-ci remportoit sur la terre quelques pas. En un mot, il étoit chéri de tout Sauvage, Dont il avoit aussi, de la langue, l'usage; Ainsi l’on espéroit qu’on auroit bon effet 1. Bienville quitta La Rochelle en décembre 1732, mais il s’arrêta quelque temps à Saint-Domingue, et n’atteignit la Nouvelle-Orléans qu’au mois d’avril 1733.


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SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES De nos cruels bourreaux; mais voyons en le fait : Devant que de partir du centre de la France, On offre, pour cela, soldats en abondance ; il les refuse tous; « Je n’ai besoin de rien, Dit-il, et je peux tout, étant Canadien ». Tu peux penser, Lecteur, quel orgueil il partage ; De ce peuple entier, c’est le fruit, l’avantage. Ors, après quelques mois, il vint, comme un torrent Qui va tout renverser; la Nouvelle-Orléans Retentit, par échos, des cris de réjouissance, Croyant, avec désir, que sa seule présence Alloit, de l’ennemi, nous tirer désormais, Et, qu’au lieu de la guerre, y règneroit la paix. A peine arrive-t-il, que, commençant son règne, il fait, à quelques uns, déjà sentir sa haine, Même à ce grand Perier, illustre commandant, S’empare, de sa place en orgueilleux tyran. A peine ce héros fut de retour en France, Que l’on vit, tout partout, nous quitter l’abondance 1. Hélas! sous un tel chef, ah! combien d'habitants Avoient formé sous lui des établissements ; Aujourd’hui, ce n’est plus. Le long de la rivière, Tout est abandonné, chacun sent la misère, Et, faute de ce dessein, faute du même appui Que l’on trouvoit toujours, en son temps, devers lui. Les habitations sont toutes délaissées, Excepté neuf ou dix, qui sont si bien situées, Au proche de la ville, où l’on ne craint point L’arme de l’ennemi; le reste auroit besoin, Pour pouvoir subsister, dans leur petit ménage, De la proximité, de ce même avantage. Revenons à Bienville, après s’être éclairci De tout ce qu'il voulut, envoie à l'ennemi Quelqu’uns de ses sujets pour terminer la guerre. A peine arrivés là, qu’agitant cette affaire, ils demandent au grand chef la tête des Natchez, Qui s’étoient tous, chez lui, bien vite retirés. La proposition fut bientôt rejetée ; Point d’acceptation, la guerre est annoncée ; Ses légats revenus, lui disent que les Chis Regardent les Natchez comme leurs vrais amis.

1. Voir les Remarques placées à la fin du chant.


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Enfin, ce général résolut, en personne, D'aller jusques aux Chis. Il prépare, il ordonne Que l’on fasse bateaux, des pirogues aussi, Afin, parce moyen, d’aller sur l’ennemi. Alors, dans les forêts, les ouvriers, sans cesse, Travaillent jour et nuit. L’ennemi, par finesse, Ne laisse pas toujours de tuer de nos gens; Bien heureux est celui qui meurt en combattant! Il envoie trois bateaux, qui partent de la ville, Commandés par Le Blanc 1, et une troupe agile; Ors, de ces trois bateaux, un seul étoit rempli De poudre pour la guerre. Ainsi part ce parti Toujours nageant sans cesse, en veillant le Sauvage, De peur d’être surpris pendant ce long voyage. Car l'endroit où ils vont, c’est le poste Illinois 2 . Cent lieues il faut faire, en côtoyant des bois, Devant que d’arriver au lieu de résidence ; Il faut bien se garder, la chose est d’importance. Or, pendant tout le jour, on nage sur les eaux, Mais, à la fin du jour, on arrête bateaux, On allume du feu; chacun, étant à terre, Les armes au piquet, on fait chacun son berre ; La sentinelle est mise en différents cantons Pendant toute la nuit, avec justes raisons ; Dès que le jour paroit, on embarque bien vite, Toujours dans le même ordre, on cherche un autre gîte. Après qu’ils eurent faits deux-cents lieues au delà, ils arrivèrent enfin au poste des Arcansas 3 ; C'est un poste établi sur une autre rivière Que celle de Louis 4 ; il sert, pour l’ordinaire, Comme d'un entrepôt à tous les voyageurs, Pour retirer, de là, de quoi servir au cœur, Des rafraîchissements qu’on tire des Sauvages, Qui, dans l’endroit, ont fait un superbe village. Sur ce bras de rivière, et de l’autre côté, C’est le poste françois ; il est bien fortifié. A une lieue de là, l’on voyoit établie

1. Le capitaine Le Blanc ou de Blanc.

2. L’établissement, des Illinois, le plus prospère de tous les postes de la Louisiane, se trouvait sur la rive gauche du Mississipi, un peu en amont de l’embouchure de la rivière de Kaskaskias.

3. Ce poste se trouvait situé sur la rive gauche de l’Arkansas, à environ cinq lieues de son confluent avec le Mississipi.

4. Le Mississipi fut, pendant une cinquantaine d’années, souvent appelé le fleuve Saint-Louis.


336 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Une concession de Law, dont l'envie Etoit de s’agrandir, mais, par un triste sort, Elle s’est évanouie un peu devant sa mort, De telle sorte, enfin, qu’il n’y a, à cette heure, De François, et Sauvages en ont seuls la demeure. L’an mil sept-cent-vingt-deux, il s’y fit un convoi Dans ce bras de rivière, et, du tout, ai le droit D’en parler savamment, auteur de cet ouvrage : J’y fus, avec vingt-deux, faire ce beau voyage. Nous étions commandés, dans ce détachement, Par le sieur de La Harpe 1 , élu du commandant, Pour aller, soi-disant, faire la découverte D’un rocher de topaze 2 . Elle étoit donc couverte Soit par l'herbe fleurie, ou soit par des brouillards, Car, malgré tous nos soins, après beaucoup d’hasards, De périls et dangers, et trois mois de voyage, Nous revînmes lassés, et, pour tout avantage, D’avoir considéré tant de jolis cantons, Bons et très excellents pour toutes les moissons. Nous trouvâmes aussi, le long de ces rivages, Soit des mines de marbre et des bêtes sauvages, Soit aussi de l’ardoise et même du cristal De roche, que l’on trouve. En un mot, c’est grand mal Que de si beaux terrains ne soient que le partage De tant de nations barbares et sauvages, Qu’il n’y ait pas assez, de monde bien poli Pour pouvoir s’établir dans ce charmant pays. Quand ils furent venus, on fit sitôt descendre Les tonneaux pleins de poudre; on les reviendra prendre, Dit-on, quand nous serons au fort des Illinois ; Il faut, auparavant, voir si, parmi les bois, Nous serons attaqués. On continue la route, Sans trouver l’ennemi, ne sachant rien sans doute. Enfin, nos trois bateaux viennent aux Illinois Où le monde étoit presque fous aux abois, N’ayant, depuis longtemps, reçu nulle nouvelle. Une lettre est ouverte, on apprend donc par elle Qu’il faut se préparer, et que, le dix mai,

1. Bénard de La Harpe avait déjà exploré la Rivière Rouge en 1719, et tenté, sans y réussir, de fonder un poste, en 1721, dans la baie de Galveston.

2. Nous avons déjà parlé, dans l’Avant-propos, du fameux rocher d’émeraude de l’Arkansas. Voir-page 253.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 337 D'Artaguette devoit, pour tout le même fait, Se trouver vis-à-vis de l’ennemi sauvage, Afin de nous y joindre et brûler le village. Après leur arrivée, on dépêche aussitôt Sept soldats pour aller, dans le meilleur bateau, Chercher, aux Arcansas, la poudre délaissée. Ils dérivent sur l’eau, puis, après dix journées, ils arrivent au poste ; on recharge le tout, On part, on les attaque, et, quel funeste coup ! Les soldats sont tués et la poudre fut prise. C’est le commencement de toute l’entreprise; L’ennemi se trouvant, par ce coup si fatal, Armé de pied en cap pour nous faire du mal 1 .

Cette nouvelle apprise, aussitôt deBienville Part avec son canot et va à La Mobile, Où, quelques jours après être parvenu là, Fait assembler chez lui le grand chef des Chactas. Il lui fait délivrer quelque peu de chemises, Fusils, munitions, quelqu'autres marchandises; Cela, pour l’attirer à prendre son parti Et s’en servir après contre son ennemi. Lorsqu’il eût tout promis, la chose ainsi règlée, il revint à la ville assembler son armée. Ce n’auroit été rien que d’avoir son parti ; Pour l’augmenter encor, l’habitant est choisi. Ceux qui ne pouvoient pas venir à cette guerre Etoient contreints aussi de fournir à l’affaire, En fournissant un nègre, et ceux qui, sans raison, Refusoient d’y venir, étoient mis en prison. Quand toutfut préparé, l’on quitte alors la ville, On va tous embarquer pour gagner La Mobile, Chacun dans sa pirogue, et d’autres en bateaux, On quitte le bayou* ; l’on vogue sur les eaux, J’entends desur la mer, car il faut, à la voile, Aller par cet endroit, que je crois qu’on appelle Le lac de Pontchartrain ; il est très spacieux, Et, pendant certains vents, il est très dangereux. Il ne faut que deux jours pour faire ce voyage

1. M. de Coulange, commandant du poste des Arkansas, qui venait d’être nommé aux Illinois, avait fait débarquer la poudre pour pouvoir emporter avec lui'toutes ses marchandises. Bienville le punit de six mois d’arrêts. ■ - * Ce mot signifie un petit ou un grand ruisseau. — Dumont parle du bayou Saint- Jean. t' - ... “ .

Société des Américanistes, 1931.

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Lorsque les vents sont bons ; hors de cet avantage, On se trouve obligé de rester quelquefois Des quinze jours entiers, et quelquefois des mois. Enfin, on arriva, les uns après les autres, A notre rendez-vous, comme de bons apôtres. On embarque biscuits et tous les instruments Propres pour le voyage, et, sans perdre de temps, On commence, en nageant, de s’en aller de file. Ce fut le jour de Pâques, et le sieur de Bienville Vint, le dernier, nous joindre à trois lieues du fort. Ah ! Bons Dieux ! il falloit nous voir en un beau port, Plus de trente bateaux et soixante nacelles Filant desur les eaux. Là beaucoup de prunelles. Après avoir marché trois lieues de chemin, On ordonnoit à tous de s’arrêter soudain Afin de déjeuner. Toujours ainsi de même, On faisoit le chemin avecque peine extrême. Attendu que ce n’est, le long de ces coteaux, Que des arbres monstreux, des vallons, des hameaux, Pratiqués seulement par les bêtes sauvages. Nulle habitation, ni maison, ni village; Des dindes à foison, des chevreuils, des bœufs; On y trouvoit aussi des nichées de bons œufs. Il faut savoir, Lecteur, que, sortant de la ville, On monte la rivière appelée La Mobile, Qui conduit, en montant, aux terres des Chactas, Et, remontant plus haut, on vient aux Chicachas. Au milieu cependant du bras de la rivière, Sur la gauche 1 , l’on voit, près d’une cyprière. Un autre courant d'eau qui conduit, tout de bon, Dans un poste françois qu’on nomme Alibamon 2. C’est donc dans la première où nous faisons voyage, Pour aller nous montrer à l’ennemi sauvage. Tant d’abondance enfin dura fort peu de temps; Après, tout nous manqua parmi nos campements, Car, plus on avançoit, moins étoit la licence D’aller, parmi les bois, chasser pour notre panse. Enfin, l’on fut réduit à des fèves, du riz, De la viande salée et du biscuit pourri.

1. Sur la droite, en montant.

2. La rivière des Alibamous ou des Alibamons (Alabama), en se réunissant au Tombigbée, forme la rivière de La Mobile. Le fort Toulouse ou des Alibamons était situé non loin du confluent du Tallapoosa.


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Mais, pour nous soulager, on donnait l'eau-de-vie Qui ne pouvoit causer ni trouble, ni furie, Car, pour mieux l’expliquer, c’étoit un bon jarron 1 , Que l’on nous délivroit, par plat, dans un flacon. Un plat est, comme on sait, pour cinq ou six personnes, Par là, l’on peut juger qu’une si grande somme Ne pouvoit, comme on voit, nous rendre aucunement D’un côté ni plus fort, de l’autre extravagant ! Une heure avant midi, l’on se mettoit à terre; Les uns alloient chercher du bois pour la chaudière, Les autres amassaient de quoi mettre dedans, Soit ognons, soit des bouts de la vigne poussants; Après qu’elle étoit faite, on se mettait bien vite A dîner ; après quoi, l’on partoit pour le gîte, Toujours dans le même ordre. Enfin, près de la nuit, On se remet à terre, on coupe, hache, détruit Fredoges 2, arbrisseaux, pour passer la nuitée Sous des tentes que plante exprès toute l’armée. Bienville est au milieu, les autres tout autour; On dort sur un lit en attendant le jour ; Ce lit, vous pouvez croire, est à plat sur la terre, A l’injure du temps ; en un mot la misère Ne manquoit nullement. Tous les jours, le matin, Après la générale, étoit un joli train, Car falloit déserter, reprendre la chaudière, Couvertes, et les pots, d’une telle manière Qu’en moins de rien de temps, il falloit, aux bateaux. Rapporter tout le tout, ainsi que vrais chevaux. Encor quand il faisoit d’assez belles journées Cela pouvoit passer, mais lorsque la nuitée Se trouvoit pluvieuse, hélas ! que d’embarras On essuyoit alors, de faire un tel tracas. Ors, après vingt-huit jours à faire ce voyage, A Tombecbé l’on vint, où là, pour avantage, On fît camper l’armée dans un très beau canton ; C’étoit dans une plaine, entourée d’un vallon. Tombecbé 3 est un lieu nommé par les Sauvages Comme pour signifier : Terre propre à l’usage D’un maître potier; on le choisit encor

1. Petite jarre.

2. Ce mot, dont nous ne connaissons pas la signification exacte, est orthographié un peu plus loin frédoche.

3. Ce fort était construit un peu en amont du confluent du Tombigbée et de la Black Warrior river, près d’un endroit appelé maintenant Jones Bluff.


340 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Pour y faire entrepôt. On y faisoit le fort Lorsque l’armée y vint; Lusser 1, le capitaine, Depuis près de deux mois, avec beaucoup de peine, Avoit, en ce lieu là, fait l’établissement, Aidé par les soldats et un détachement De soldats allemands 2 , c’étoit sa compagnie. Malgré sa vigilance, on attente à sa vie; Un sergent, mal content, sans esprit, ni raison, Avec quelques soldats, forma la trahison ; Elle fut découverte, aussi pour tant de peines, On les mit en prison, on les chargea de chaînes. Grand Dieu! qu’est ce que j’écris, disant une prison! Ce n'étoit qu’une tente et n’ai nulle raison De m’expliquer ainsi. Ma foi, sur cette butte, On y voyait partout qu’un magasin et huttes, Tout au plus, quatre ou cinq étoient là. Des pieux, Presque tous de beau cèdre, et mis là, deux à deux, Renversés l’un sur l’autre, pour servir de muraille. A côté, l’on voyoit un gros tas de ferraille, Propres à lier les joints, mais, en un mot, le fort N’étoit pas encore fait. On voit que c'est à tort Que je disois prison. Ors donc, à l’arrivée De notre héros Bien ville et de toute l’armée, Pour rafraîchir le monde, on délivra soudain Pour le biscuit pourri de très excellent pain. Pour survenir pourtant à le pouvoir bien faire, Ne trouvant point de four, il fut donc nécessaire D’en construire plusieurs ; quelqu’habile soldat, De terre en fit plusieurs, nous tirant d’embarras ; Mais, malgré tout cela, l’on avoit mille peines, Vu qu’étant tous campés dans une grande plaine, Nous ressentions tous un très cruel temps, Du froid et du verglas continuellement, Pendant plus de six jours de la pluie à outrance ; On peut fort bien juger de notre contenance ; Le beau temps vint après. Avant que de partir De notre campement, on songea de punir Les traîtres détenus, et le Conseil de guerre S’assembla pour ce fait. L’affaire fut traitée ; ils furent convaincus et, faute de bourreau, On leur cassa la tête, on les mit au tombeau.

1. Le capitaine de Lusser.

2. La compagnie, commandée par Du Parc, était une compagnie suisse.


Golphe 2- M‘oo/,*2? - orde é.c ma6,Ze. 0*L t’x 222c/s PMAPA*

Fig 45. _ 1. Environs de La Mobile. — 2. Alentours du fort de Tombigbée.


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Je dis, dans un tombeau, vu que, sur cette plaine, On n’auroit point trouvé qu’avecque extrême peine, Deux pieds de profondeur ; ce n’est partout que roc, Et, que, pour y creuser, c’est à force d’estoc. Ah ! ce fut donc ainsi qu’il perdirent la vie, Pour leur mauvais dessein, la trahison punie. On se prépara tous d’aller jusques aux Ghis, Assurés presque tous de vaincre l'ennemi; Les Chactas, nos amis, quittent donc leur village Pour venir, avec nous, nous aider au pillage. Bienville, notre chef, leur donne auparavant Chemises, vermillon, et le tout par présent. On bat la générale, et, les tentes levées, On se rembarque tous avec forces huées ; Pour achever la route, on nage en défilant, Les Chactas vont à pied, marchant très lentement. Avant que de partir, on fit faire défense De tirer nul fusil ; c’étoit de conséquence, Car, si, par un malheur, on nous eut découvert, On nous auroit trouvés, ma foi, sans aucun vert. Trente hommes, sans fusil, auroient eu l’avantage, Vu que nous côtoyons le seul bord du rivage, Sur lequel ce n’étoient que rochers escarpés, Que les Chactas, de nous, s'en étoient écartés, Ayant été contraints de prendre une autre route. On nous auroit alors vaincus sans aucun doute, Puisqu’une simple pierre, élancée desur nous, Nous auroit abîmés par sa chute et son coup. Quelques jours écoulés, après notre partance, Un coup qui fut tiré, mit tout en décadence : Les bateaux reculoient, les pirogues, les canots, N’étant plus gouvernés, alloient au gré des flots. Attendu que chacun, courut vite à son arme, Croyant être surpris. Ce ne fut qu’une alarme. C’étoit sur un chevreuil, au bord de l'eau paissant, Qu'on salua pour lors, et qu'on eût en passant; Mais, qui tira ce coup, malgré toute défence? Ors ce fut un Chactas qui, dans cette occurence, Ne fut point réprimé ; cela parut bien fait, Si un soldat l’eut fait, il auroit eu le fouet, Mais, parmi le Barbare ayant toute licence, il ne reçoit de loi que sa propre insolence. La chose ainsi connue, on se remit pourtant, Et, depuis ce jour là, on se garde en nageant,


Car, dans tous les bateaux, on fit faire un partage De la moitié du monde, et, comme un esprit sage, On fit qu’une partie, armée de son fusil, Gardoit l'autre nageant ; c'étoit un bon avis. Toujours on approchoit de la terre ennemie, Cela faisoit plaisir; c’étoit fait de leur vie ! On se comptoit déjà comme victorieux, Mais on étoit encor éloignés de chez eux. On alloit, disoit-on, brûler tout leur village, Point de quartier du tout à ce peuple sauvage. C’étoient là les discours, quelle présomption ! Continuons le fait, on voira l’action. Le vingt-quatre demai, notre belle armée, Après trois mois entiers, arriva fatiguée Sur la terre ennemie; on fait tout débarquer. Legrand chef des Chactas ne faisoit qu’haranguer; Parmi ces nations, lorsqu’elles vont à la guerre, Le chef de tout parti, fait comme une prière, En haranguant toujours soit les soldats, les Dieux, Encourageant les uns et en offrant des vœux, Aux autres, demandant la force et le courage. Et que, par leurs moyens, il ait tout l’avantage; Cette sorte d’harangue est un simple discours Rempli de cœur, de zèle et d'un parfait amour. Il falloit faire encore sept lieues de portage Sur la terre en marchant, pour se rendre au village. Devant que de partir, on fit, devant le port, Avec des bois en terre, une espèce de fort, Pour mettre en sûreté toute notre équipage. Et défendre, en tout cas, les bateaux au rivage. On couche en cet endroit, tout, comme auparavant, Sentinelles partout, crois-le certainement. Le lendemain matin, on délivre à l’armée Des balles, de la poudre, et la tente levée, Le soldat, l’habitant, mettent vivres en sac, Et portent comme il doit, son arme et l’havresac. On laisse en cet endroit ceux que la maladie Empêchent de venir; enfin, toute l’envie Est de nous voir bientôt devant nos ennemis, Qui, selon tous nos vœux, doivent tous être occis. On se mit tous en rang, marchant sur deux colonnes, Marchant tous cul à cul. Que cela ne t’étonne Vu que, dans ces forêts, les chemins sont petits; On pourroit les nommer des chemins de fourmis.


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Un François sert de guide en ce chemin sauvage, il éloit, plusieurs fois, venu dans leur village. On pourroit comparer, avec un cœur ouvert, Notre armée défilant, à ce peuple au désert Conduit par ce grand chef, nommé le grand Moïse, Si ce n’est, pour parler avec toute franchise, Qu’il étoit à leur tête, et le nôtre au milieu, Regardé du Sauvage un invincible Dieu, Monté sur un cheval, c'étoit une haquenée. Tout exprès amenée ; ainsi marchoit l’armée. Avec nous, nous avions Beaudouin 1 pour aumônier, il étoit un Jésuite et d’un esprit entier, Qui, par ce beau talent, avoit eu l’avantage De gagner notre chef, et, par son beau langage, Ordonnait plus que lui. Lorsque de tels pasteurs Commandent pour un choc, on n’a que du malheur. Lorsqu’on fut arrivé, conduisant tout l’affaire, il ordonna soudain, ignorant de la guerre Toute précaution, d’aller sur l’ennemi, Mais nous eûmes, ma foi, un très mauvais parti. Ayant donc avancé dans ces petits passages, Qui ne sont fréquentés que dans quelques voyages, Qui se font au hasard, on fit tout arrêter, Et, assis dans l’endroit, on se mit à dîner. Mais, après le repas, on continue la route Marchant très lentement, comme pris de la goutte, Examinant partout de peur d’être surpris De la sorte, en marchant, des partis ennemis. Le jour parut enfin, on reste comme ermites Dans des bois fort épais, sans faire de marmite Qu’un pauvre petit feu, qu’on allume à l’écart; Chaque parti s’étoit retiré tout à part. On députa pourtant, pendant cette nuitée Deux hommes pour chercher la route pratiquée. Il faisoit clair de lune, allant parmi les bois, Voyant, examinant toute chose à la fois, Faisant la découverte. On reste à les attendre ; Aux trois quarts de la nuit, ils viennent nous apprendre Qu’au milieu de la plaine, ils ont été surpris. Et qu’ils n’ont point osé tirer sur l’ennemi. On passe ainsi le temps; le jour prêt à paroitre, On se remet en marche, on commence à connoitre 1. Le Père Beaudouin, alors missionnaire chez les Chaktas, avait vécu quelque temps chez les Chickachas. Il devint vicaire-général de la Nouvelle-Orléans en 1750.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE Qu’on est près du village, attendu que l’on voit La terre travaillée à recevoir de quoi Faire venir du bien ; on trouve des ravines Pleines d'eau, qu’il fallut passer pour nos matines, Ors de l’eau jusqu’au col et des hommes chargés ; Je te donne à penser s’ils étoient fatigués ! Cependant l’on passa, ce ne fut pas sans peine, Mais après, quel plaisir, on entre dans la plaine, Au centre de laquelle, on aperçoit d'abord Le village ennemi, des maisons et leur fort. Les Chactas. nos amis, courent avec vitesse Vers le fort ennemi, tâchant, par leur adresse, D’en tuer quelques uns à grands coups de fusils, Allant de çà, de là. Ce n’étoient que des cris, Même des hurlements, que faisoit le Sauvage. Chacun tâchant pour soi de tirer l’avantage. Pour nous, nous allions tous, en un gros bataillon, Imitant, en ce lieu, l’armée de Gédéon, Car, sans nous arrêter, nous prenions, tout à l’aise, De très charmants bouquets de framboises, de fraises, Car, dans la prairie, on ne pouvoit alors Ecraser, en marchant, un si riche trésor, Que donnoit, en ce temps, notre mère commune. Mangeons, se disoit-on, la fraise; après, la prune Pourra bien nous venir ! Cette prédiction N’arriva que trop tôt, en voici l’occasion : Après avoir marché tout le long de la plaine, Les drapeaux déployés, on reprend tous haleine, En s’arrêtant tout court sur un joli plafond, Entouré tout autour d'un ruisseau, d’un vallon, Et là, considérant maisons et fort sauvage, Bon, Bon, se disoit-on, nous aurons l’avantage ; Desur tous ces gens là, l'on se croyait les rois. Comme dit le proverbe, il faut compter deux fois : Quand on s’est amusé à compter sans son hôte, On s’expose, par là, de faire grande faute. Cependant on l’a fait, car, à peine arrêtés, Sans attendre un instant, sans même visiter Le fort des ennemis, on tire de l’armée Un gros détachement; Bienville, à son idée, Croit déjà remporter la palme de laurier. Non, Non, elle n’est pas pour tel aventurier, A moins que ce ne soit en lui cédant des têtes Coupées à l’impourvu 1, pour marquer ses conquêtes.

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1. Vieux mot signifiant à l’improviste.


Fig. (6. — 1, Fort des Chicachas. •—2. Environs du fort de l Entrepôt.


Les ennemis avoient, pour lors à cette fois, Chez eux des voyageurs ; ors c’étoient quinze Anglois, Qu'étoient venus traiter des peaux pour marchandises. Et voyant notre armée, et même la surprise Où se trouvoient ces gens, ils renferment d’abord Sans doute leur butin et eux dedans le fort Avec quelques Sauvages, et n'ayant nulle guerre Avec nous dans ce temps, ils hissent à l'ordinaire Le pavillon anglois sur le bout de ce fort, Afin, par ce moyen, d’être à l’abri du sort. Ne considérant rien, faisant bonne bravade, il ne fut question nullement de chamade, Pour apprendre par eux s’ils prenoient le parti De nous être contraire en servant l’ennemi. Mais que peut cet Anglois? se disoit de Bienville, Du Sauvage vraiment nous aurons l’ustensile Qu’appartient à ces gens, et pourquoi sont-ils là? Que nous peuvent-ils faire? Ils sont en mauvais pas, Et ne pourront du moins, après toute défense, Etant pris, se sauver de ma juste vengeance. Notre détachement ainsi choisi, réglé, Et les grenadiers montent le défilé. Les drapeaux sont au vent, l’on marche en ordonnance, Ne faisant qu’un seul corps, criant : Vive la France ! Baudouin, notre aumônier, avec juste raison, Aurait dû nous donner la bénédiction. « Allez nous disoit-il, remporter la victoire, Elle ne tient à rien, vous aurez seuls la gloire De vaincre l'ennemi. Par votre seul aspect, ils vont sitôt vous rendre les armes et respects. .Je puis vous l’assurer, et mon expérience Sans doute, à de tels faits, m’en donne l’assurance ». L’on monta, pas à pas, le long d’une hauteur ; Les ennemis liroient, nous eûmes le malheur De voir déjà tomber un des nôtres par terre. Les grenadiers vont, comme c’est l’ordinaire, Les premiers à la tête ; on vit leur lieutenant Courageux avancer, comme un lion fumant, Plus de cinquante pas de toute l’armée, Sur la butte ennemie. A sa vue animée, Les ennemis troublés se retirent d’abord, Abandonnent maisons, s’enfermant dans le fort; Monté tel qu'il étoit, entre, plein de furie, Dans la seconde loge, envoie en l’autre vie Un des trois qu’ils étoient, les deux autres, soudain,


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Se sauvèrent de lui, courant de très grand train ; Ce brave lieutenant se nomme de Saint-Pierre, Dans l’Afrique connu par ses beaux faits de guerre. L’armée arrive enfin proche de leur maison, On commence à tirer des flèches à foison, Propres à mettre le feu, c'étoit de l’artifice ; Au lieu de nous servir, ce fut un maléfice, D’autant plus que le vent, venant derrière nous, Nous étions accablés de fumée et de coups, De fumée des maisons que l’on réduit en cendre, Des coups que l’ennemi tiroit pour sa défense. Ils étoient retranchés, et nous à découvert Sans nul retranchement et sans chemin couvert ; On n’en voyoit aucun, mais eux, non pas de même, Car ils nous choisissoient sans nulle peine extrême. On jette la grenade enfin sur les maisons; Elle tombe aussitôt et crève à nos talons. Ce qui cause à nous tous une mauvaise affaire, Car il paroît déjà que tout nous est contraire. Le capitaine Renault 1 est le premier blessé, Son sergent suit après; ensuite il fut tué. Un patron de bateau, par son ardeur extrême Etant proche du fort, reçut un coup de même. Plusieurs des habitants se détachent d’abord Pour aller entourer de l’ennemi le fort, Mais ils sont arrêtés au milieu de leur course ; Jusan 2, l’aide-major, ordonnant, les repousse ; Ce très beau mouvement ralentit les soldats. Les habitants, par là, reculent sur leurs pas, Les uns blessés aux bras, les autres à la cuisse. Ce n’est partout que coups, reculement des Suisses. On ne peut approcher par le feu violent, Que tiroit desur nous continuellement L’ennemi retranché ; tellement que l’armée, Ne pouvant avancer, fut contrainte, forcée, De rompre tous les rangs, de se mettre à l’abri Des coups que lui tiroit sur elle l’ennemi. Elle s’étoit rangée le long d’une cabane Sur une ligne droite et, comme un tas de cannes Etoit à l’opposite, on y voyait aussi Habitants et soldats rangés tous comme un I. Quiconque paroissoit devant leur forteresse,

1. Renault d’Hauterive.

2. M. de Jusan ou de Juzan, lieutenant réformé.


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Recevoit son décompte et tout par leur adresse, Ne tirant qu'à coup sûr. Jusan, l’aide major, Reçoit un coup de balle en travers de son corps, Et, se sentant blessé, tint après ce langage, Parlant à nos soldats : « Allez avec courage, Mes très chers compagnons, vaincre notre ennemi ; Ne reculez donc pas, soutenez le parti De notre nation, en prenant la vengeance De nos François tués. Je vais, en patience Me retirer au camp avant que de mourir : Contentez moi du moins que j’aye le plaisir D’apprendre que vos bras ont remporté victoire. La mort, après cela, me comblera de gloire ! Adieu, je me retire, adieu mes chers amis, Allez et triomphez, faites ce que je dis ». Malgré tous ses désirs, malgré sa bonne envie, On ne put avancer. Il lui coûta la vie, Car, à peine arrivé dans notre propre camp, Qu’en visitant sa plaie, il perdit sentiment. De Noyau le major 1, Lusser, le capitaine, Sont tous les deux blessés, et ce n’est qu’avec peine Qu’on les tire de là, mais le dernier des deux, Le coup tiré sur lui fut bien plus dangereux Que celui du premier ; il perdit la lumière, Et fut, comme Jusan, en l'endroit mis en terre. Après quoi, l’on jeta, par dessus les deux corps, Fredoches, arbrisseaux, afin, qu’après leur mort, Les Chicachas du moins ne prissent pas leurs têtes Pour servir de trophées à leurs belles conquêtes, Comme ils le font toujours. Grondelle, lieutenant*, Garçon plein de valeur, dans le premier instant Que la troupe arriva sur le haut du village Etoit, avec Saint-Pierre, approché du Sauvage, Branlant les pieux du fort, criant : Amis, à nous ! Mais comment avancer, arrêtés parles coups? Enfin cet officier, voulant joindre l’armée Reçoit cinq coups de feu. Mon Dieu, quelle journée ! Trente-sept de tués et cent-sept de blessés 2,

1. M. de Noyan-Bienville, neveu du gouverneur. * Officier des Suisses et fils de M. Grondelle, capitaine réformé d’Alsace, à la suite du Port-Louis, en Basse-Bretagne. Jean-Philippe Goujon de Grondelle, nommé capitaine en 1750, fut un des principaux meneurs de la cabale menée contre le gouverneur Kerlérec 2. Le chiffre de nos pertes semble avoir été de 32 tués et d’environ une soixantaine de blessés.


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Les uns au corps, aux bras et les autres aux pieds. Bienville, cependant, dans le corps de réserve, Examine à loisir, priant Dieu qu’il conserve Sans doute tous nos gens ; voyant tant de blessés, Fait battre la retraite, mais comment décamper? La poudre nous manquant, il fallut, le dirais-je ? Qu’un détachement vint nous tirer du piège, Car, si, dans cet instant, l’ennemi fut sorti, Nous aurions reçu un très mauvais parti. Après qu’il fut venu, l’on retira l’armée Qui s’en revint au camp, ma foi, bien mâtinée. Dix heures du matin, fut le commencement Que fit tous nos soldats en ce détachement Pour aller sur les Chis, ruiner leur village Et tâcher de pouvoir en mettre en esclavage, Pour nous dédommager au moins de nos travaux, Mais nous fumes trompés, car, ma foi, ces brutaux Nous reçurent très bien et de telle manière Qu’on peut dire de nous, avoir eu l'étrivière. Nous revînmes au camp, trois heures après midi, Sans avoir, nullement, gagné sur l’ennemi. Bien plus, il en coûta de la poudre en fumée, Causant à notre chef une triste pensée. Avant que de partir pour faire l’action, Nulle tente levée étoit en ce canton, Ce n’étoit pas ainsi, car, à notre arrivée Nous ne vîmes que trop de personnes blessées. L’on n’eut pas de repos, fallut se retrancher Pour nous mettre à l'abri, grand Dieu ! de tout danger. Les arbres sont coupés, on fît une tranchée Pour servir de fossé autour de notre armée ; On pose sentinelles en différents endroits, On passa la journée en différents emplois. Ors, pendant cette attaque, un parti de Sauvages Avec le calumet, vint d’un autre village Apporter une lettre à notre commandant. Il ordonne aussitôt, sans autre compliment, De tuer ce parti, ce que les nôtres firent, Mais eux, devant leur mort, cette lettre ils déchirent L

1. Le Page du Pratz, qui se borna d’ailleurs très souvent à copier servilement les Mémoires Historiques, a reproduit l’histoire de cette lettre. Bien que plusieurs Français, capturés trois ans auparavant sur le Ouabache, fussent alors prisonniers des Chickachas, elle nous semble inventée tout simplement pour chercher à rendre Bienville responsable de la mort de d’Artaguette.


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La nuit survint après ; chacun, dedans le camp, Dort à la belle étoile et non paisiblement. Vers dix heures du soir, chose très étonnante, Bienville fit tirer plusieurs fusées volantes Qu’on avoit apportées. Elles firent grand bruit, C’étoit, pour sa victoire, et la joie et le fruit, Et les pauvres mourants, en quittant cette vie, Lui reprochoient sans doute une telle folie, D’autant plus qu’on étoit que de pauvres battus, Fatigués l’on peut croire, et presque tous vaincus. Mais il faut dire aussi que ces fusées tirées Formèrent à l’ennemi, dans l’esprit, des pensées Qui nous auroient servis fort bien dès le matin, Si l’on eut résolu d’achever le dessein De s’emparer du fort avec force grenades, Car ils avoient couvert, ainsi qu’un corps de garde, Le fort de très gros bois, ce qui nous empêcha De nous en emparer, nous causant l’embarras Qu’on a pu concevoir, mais, après les fusées Tirées ainsi dans l’air, ils changèrent d'idées En découvrant leur fort, et même les maisons De peur qu’un pareil feu ne mit tout en charbon. Pendant toute la nuit, les femmes du village Nous disoient, en chantant, des compliments d’outrage. Les morts sont enterrés ; on travaille la nuit A faire des brancards, mais enfin le jour luit. Grand Dieu ! qu’aperçoit-on sur le haut du village? Les membres des François que le cruel Sauvage A coupés par morceaux et posés devant nous. Mais, que faire à cela? Recommencer les coups? Non, non, c’en est assez, on bat la générale, On lève le piquet, chacun porte sa balle. Etant près de partir, on se met à crier : Voici les Illinois qui viennent nous aider Avec force habitants, soldats et d’Artaguette. Allons sur l’ennemi, tâchons, par leur défaite, De nous venger du moins de ce cruel affront, Qu ils venoient de nous faire, en coupant en jambons Les corps de nos amis. Chacun avoit envie De retourner au fort, en exposant sa vie, Pour avoir la revanche, en ce présent instant, Du Chi, notre ennemi, de l’Anglois insolent. Mais non, non, ce n’est rien qu’une très fausse alerte ; Bien vite allons-nous en, de peur d’une défaite. On porte les blessés, on quitte là le fort


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On se remet en route et l'on ne fait qu’un corps. Les Sauvages Chactas marchent sur les deux ailes Pour nous mettre à l’abri des insultes cruelles Des fiers ennemis. Ils avoient encore peur Que ce fut une feinte, et ce fut un bonheur Qu’ils restoirent chez eux ; ma foi, sans nul doute, A leur seule sortie, on estoit en déroute. Après que l’on eût fait trois lieues de chemin, Le soleil déclinant, on s’arrêta soudain ; On pose sentinelles, on passe la nuitée A veiller l’ennemi, se faisant mille idées. Le jour prêt à venir, chacun reprend son rang, En défilant toujours ; un soldat allemand, Blessé de plusieurs coups, qu’on portoit avec peine Attendu sa grosseur, mettoit tous hors d'haleine ; On fit halte à la tête, on consulte son sort, Les médecins jurés le condamnèrent à mort. Aussitôt l’aumônier s’approchant, le console, Donne l’absolution et, sans autre hyperbole, On l’enterre aussitôt, le croirais-tu, vivant ! Ah ! tel fut le sort d’un soldat si vaillant. L’affaire étant finie, on continue la route, Qui, pour bien expliquer, étoit une déroute ; Enfin, gagne qui peut le premier campement. Cependant on y vint; on ne perd pas de temps, Chacun prend un morceau qu’il avale bien vite ; On recharge bateaux pour chercher autre gîte. Tout étant embarqué l’on donne, auparavant, Aux Sauvages Chactas de la poudre en présent ; ils commençoient déjà à nous chercher querelle, Mais, pourtant, le butin apaisa la séquelle. Enfin, tous embarqués, l’on dérive à la fois, Laissant le nouveau fort et côtoyant les bois. Huit lieues de dérive, on se met tous à terre Pour nous donner du moins la pitence ordinaire; On donna, pour cinq jours, de biscuits aux bateaux, Aux pirogues de même. On se mit sur les eaux, Dérivant nuit et jour, et sans suivre nul ordre. Ce biscuit délivré, l’on ne pouvoit le mordre, Vu qu’il étoit pourri ; mais nous vînmes enfin A Tombecbé, les uns soit soir ou bien matin. On resta là cinq jours-pour assembler l’armée; Le chef vint le dernier. Après quelques journées De repos que l’on prit, on donne à tous du pain Pour neuf jours seulement. On reprit le chemin


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE Pour se rendre, au plus vite, au fort de La Mobile. Tel fut là le propre de l’esprit de Bienville. Ce n’est pas tout encor, car à peine arrivés, Que nous apprenons tous ce qui s’étoit passé. Mais il faut, cher Lecteur, avant que je le dise, Remonter de plus haut ; vois quelle est ta suprise : Tu sais que je t’ai dit qu’un ordre aux Illinois Avoit été donné de venir, dans les bois, Le dixième de mai pour joindre notre armée. D’Artaguetle obéit, voici sa destinée : Il vint à point nommé, nous en estions bien loin ; il resta là neuf jours, ayant toujours grand soin Des Sauvages amis de sa troupe françoise, Qui, ne nous voyant point, [.. ?..] dedans l'angloise. Et commencent de dire : « Il faut nous en aller ; Que faisons nous ici ? l'on nous fait qu’amuser » ! Enfin, sur tels propos, le conseil s’assemble ; Après avoir réglé, l’on résolut ensemble D’attaquer l’ennemi. Nos François animés, Attaquent tout partout, tirant de tous côtés, Ils sont déjà, vainqueurs, l’ennemi prend la fuite En leur tournant le dos, mais, dans cette poursuite, D’Artaguette est blessé dans deux ou trois endroits ; Ce que voyant alors, les Sauvages Illinois Abandonnent nos gens, se sauvant au plus vite, Par différents endroits pour redoubler leur piste. Nos François, alors seuls, soutiennent l'ennemi Qui revint desur eux, voyant, pour le profit. Quarante-trois estoient le reste de l’armée, Qui défendoient son chef pendant cette journée, Laquelle, ayant usé toutes munitions, Fut contrainte de céder avec juste raison. On les prend, on les mène au travers du village Les conduisant au fort sans aucun nul outrage, Espérant que, par eux, ils auroient, désormais, Au lieu de cette guerre, une agréable paix. Lecteur tu dois savoir qu’une lettre apportée Par un très petit nombre, et qui fut déchirée, Avoit été signée ès mains du prisonnier Qui demandoit en grâce à Bienville guerrier De venir les tirer du lieu de. l’esclavage. Après notre action, sans fruit, sans avantage, Nous gagnâmes bien vite et le camp et le fort,

Société des Américanisles, 1931.

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Les laissant prisonniers, ce qui causa leur mort 1 . Mais, Grands Dieux ! quelle mort ! une mort très cruelle Qu’a soufferte, en ces lieux, cette troupe fidèle. Ma main tremble d’écrire un sujet si fatal ; Le voici cependant. Ce peuple très brutal, Habitant des forêts, que l’on nomme sauvage, Voyant que, desur nous il avoit l’avantage, Et, ne pouvant pourtant se venger desur nous, Ah ! sur ce petit nombre, il déchargea ses coups. Sans autre compliment, au milieu de la plaine, ils mènent d’Artaguette et les autres sans peine, Leur attachent les bras à des poteaux, exprès Plantés pour ce sujet, et ces pauvres François Sont brûlés à ce coup, servant, pour la victoire, Et de feux d’artifice et de trophée de gloire. Enfin les Ghicachas, partout victorieux, Ont fait que les Ghactas se sont joints à eux. Qu’ils ont, depuis ce temps, tué plusieurs personnes, De Léry 2, l’officier. Que cela ne t’étonnes, Ayant vu, pour certain, de Bienville le cœur, ils n'appréhendoient plus ni nous, ni sa valeur. Dieu veuille cependant par le second voyage Desur nos ennemis, qu’il donne avantage, Car c’est fait, sans cela, ma foi, de ce pays. Dieu veuille, en second lieu, que j’en ais je F. . Voilà, mon cher Lecteur, le vrai de cette affaire : Ah ! beaucoup de dépenses et beaucoup de misère. Entrepris cependant comme très assuré D’être victorieux, hélas ! on s’est trompé, Le cœur ne manquoit pas à toute notre armée Mais, la tête, la tête, étant très mal ornée D’esprit et de bons sens, on s’aperçoit d’abord Que, malgré ses désirs, cette masse de corps, Au lieu de nous montrer un aimable génie, Ne nous fait ressentir que des traits de folie. Encor si cette tête en avoit tout le prix, Gela pourroit passer ; il faut que les partis,

1. Le désastre de l’expédition de d’Artaguette a été raconté de diverses façons, mais la version de Dumont paraît de beaucoup la plus inexacte. D’Artaguette attaqua très probablement— ou fut attaqué parles Chickachas — le jour même de son arrivée devant le village de ces Indiens. Il fut blessé, pris et, dès le lendemain, brûlé par les Sauvages.

2. Le capitaine de Léry fut tué, au mois de janvier 1738, par un parti de Natchez, et non par les Chactas.


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Conduits ainsi de même, ayant reçu dommage, En réponde pour tous ; ce n’est pas être sage. Très heureux est celui qui, dans ses actions, Fait voir, dans tous les faits, une aimable raison. Heureux, encor heureux, celui qui, par courage, Sait conduire et régler le tout à l’avantage, Non seulement de lui, mais de ses compagnons, Je peux dire, il est vrai, qu’il mérite mil dons. Fin du second chant (818 vers).

REMARQUES SUR LE DEUXIÈME CHANT.

Attribuer à Bienville, qui revint seulement en Louisiane au mois d'avril 1733, la situation lamentable où se trouvait la colonie depuis la révolte des Natchez (novembre 1729), est tout simplement une insanité, et la mission du nouveau gouverneur consistait, au contraire, à réparer les lourdes fautes commises par son prédécesseur. Accuser Bienville de manquer de courage est également une sottise, et le brave Dumont, qui ne se distingua jamais dans aucune des expéditions auxquelles il participa, se plaignait, en campagne, de coucher sur la terre, de la mauvaise qualité du biscuit et de la petitesse des rations d eau-de-vie, ne se serait pas lancé, comme le fit Bienville, en 1702, à la découverte de la région alors totalement inconnue de la Rivière Rouge, et, avec une simple poignée d'hommes, aurait encore moins eu l’audace de faire redescendre le Mississipi à un navire anglais armé de douze canons. Les Sauvages se débandaient toujours quand un de leurs chefs tombait, le rôle de Bienville n’était pas de monter à l’assaut. L’attaque du village des Chickachas fut évidemment mal conduite ; toutefois l’indiscipline complète qui régnait dans une armée composée de soldats, d’habitants, de nègres et de Sauvages fut sans doute la principale cause du nombre considérable des morts et des blessés. Les Chactas attaquèrent prématurément ; quelques troupes les suivirent, en pelotons beaucoup trop serrés et se firent décimer bravement, mais fort inutilement. Dumont reproche à Bienville d’avoir coupé l’élan des soldats, seulement son propre récit montre la peine qu’on eut ensuite à dégager les postes les plus avancés.


356 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Du moment que le fort, dont la défense était organisée par des Anglais, n’avait pu être enlevé par surprise, l’armée, sans canon, n’avait plus qu'à battre en retraite, car les hautes et solides palissades des Chickachas ne pouvaient être enlevées d’assaut. D'après Bienville, son intention était d’aller attaquer un autre village, seulement les Chactas auraient vivement insisté pour commencer par s’emparer de celui d’Ackia.


TROISIÈME CHANT.

SUITE DE LA GLERRE.

Voici, mon cher Lecteur, dans ce troisième ouvrage, La revanche qu’on prend sur l’ennemi sauvage, Qui, comme tu le sais, malgré nos bons désirs, N’a ressenti de nous jamais nuis déplaisirs. Ainsi, voyons la suite, en suivant de Bienville Dans le fait de la guerre. Il ne m’est pas facile, Vu, qu’étant éloigné 1, je parle par autrui, Et la narration m’est venue, par écrit, De gens dignes de foi, de probité connue, Qui n’aiment, dans leur cœur, que la vérité nue 2 , Et qui, présents à tout, ont vu toute action. Je tâcherai, comme eux, de mettre avec raison La vérité du fait, la dépense, la peine, Qu’ont causées cette guerre. Ors, il faut donc ma veine S’ouvrir en cet endroit; ô Lecteur généreux, C’est à toi que je l’offre, et me crois très heureux S'il peut te délasser; mais pardonne à ma rime, Qui ne se met ici qu’en cherchant ton estime. Tu peux fort bien juger que c’est un supplément A ce que j’en ai dis ; mais, sans retardement, Commençons donc le fait en disant que Bienville, Voulant se revenger, fit partir de la ville Au plus vite un vaisseau pour avertir la Cour De ne point envoyer sitôt un fort secours, Vu qu’il falloit du moins préparer des nacelles Pour aller vers les Chis, qu’il envoyrait nouvelles Quand cela seroit près. A peine le vaisseau Fut-il à la dérive et vogue desur l’eau, Qu’on travaille aussitôt à bâtir au plus vite, Cinquante grands bateaux, et, pour cela, le gîte De tous les ouvriers était dedans les bois,

1. Dumont se trouvait, quand il composa le troisième chant, en garnison à Port- Louis, près de Lorient.

2. La précision de certains détails techniques donnés par Dumontsemble bien indiquer que son principal correspondant était l’ingénieur Broutin, avec lequel il entretenait des relations très cordiales.


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Travaillant et coupant, construisant à la fois. Tout cela se faisoit proche de la rivière, On pouvoit bien penser que, de cette manière, ils dévoient être faits au bout de quelque temps, Mais, pourtant, il fallut y passer près d’un an. Quelques uns étant prêts au milieu de l’année, il choisit Coustillars 1 lui disant sa pensée De s’en aller construire un fort de l'En/repôt. Il partit de la ville et n’avoit nul repos, Car Bienville vouloit aller sur les Sauvages, Non pas par La Mobile. Ayant, dans son voyage Dernier qu’il avoit fait, eu un pauvre profit, il changea de chemin pour le Mississipy, Qu’on nomme Saint-Louis; il crut que l’avantage Seroit pour lui plus grand et pour son équipage, D’autant plus qu’on connoit bien plus tous ces endroits Qu’on visite par an jusqu’à deux ou trois fois. Coustillas s’en va, nageant sur la rivière ; La nuit étant venue, chacun faisoit son berre, Sentinelles partout, en veillant l’ennemi, Car il est fort à craindre, à la fin de la nuit. Deux-cents soldats en tout composaient cette armée, Qui devoit établir, en la présente année, — 1738. Le fort de l’Entrepôt. Après deux mois passés, Cette armée, en nageant, arrive aux lieux marqués Où devoit se bâtir cette place nouvelle. Aussitôt abordé, tant bateau que nacelle, Ayant mis pied à terre, on visita partout ; Ensuite, on commença d’abattre par des coups Les arbres que l’on trouve. Avec la patience, On fit, dans cet endroit, un fort de conséquence. Cet endroit est nommé Rivière Saint-François, Sur la gauche du fleuve 2 , et ce n’est que des bois. Cependant cent soldats, à force de leur peine, Travaillant à toute heure à perdre leur haleine, Firent, qu’à force d’hache et de coups sur les coups, Aplanirent l’endroit, et vinrent tout à bout, Au bout de quelques jours, tant à battre qu’à fendre, De pouvoir y poser le feu, qui mit en cendre Tout ce qu’il rencontra. On eut la précaution, Avant que de brûler, de mettre, avec raison,

1. Le capitaine de Coustilhas.

2. La rivière Saint-François est un affluent de droite du Mississipi; Dumont sous- entend : en remontant le fleuve.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 359 A part, bois abattus, et cette prévoyance Fit que, tout nettoyé, l’on traça par avance L’entourage du fort. Ceci fait, on ouvrit La terre en cet endroit que l’on avoit choisi : Les pieux sont apportés, et l’on les mit en terre Pour servir de murailles. A la fin, cette affaire Augmentant à toute heure, on vit, après les maux, Élevé, dans l’endroit, le fort de l’Entrepôt. Il étoit bien réglé, magasins et casernes; La rivière, en un mot, étoit la vraie citerne Où l’on puisait de l’eau. Mais, après quelques mois Arrangés dans ce poste, on y fut aux abois Par la perte que fit cette petite armée. Elle perdit alors, et en peu de journées, Coustillas, commandant. Il établit ce fort, Mais, en le construisant, l’ennemi le plus fort Vint l’attaquer bien vite, et, parla maladie, Sans tirer du canon, le priva de la vie. Je crois que l’on comprend que, par là, c’est la mort Qui ravage un chacun. Ainsi, ce nouveau fort, Privé de commandant, députe une nacelle A notre général ; il apprend donc par elle . Que ce poste nouveau, privé de commandant, Se trouve dans le deuil, tristesse, abattement. Pour lui donner un chef, il choisit, au plus vite, Parmi les officiers, un homme de mérite, Et, sans chercher beaucoup, le chevalier d’Orguon 1 Fut nommé pour cela ; l’esprit et la raison Qui le suivent partout, avec un grand courage, Lui donna, dans ce temps, sur le reste avantage. Sitôt qu’il fut choisi, la chose ainsi réglée, il partit en bateau pour joindre cette armée Et l’aller commander. On peut fort bien juger Que c’est toujours de même, à force de nager ; Je répète souvent de la même manière. N’ayant pas de chemins tracés, sur cette terre Couverte tout partout de quantité de bois, Et, la moitié de l’an, de l’eau tout à la fois, L’on ne peut pas rouler ni chariot, ni charrette. Comme les chevaux, pour transporter l’emplette De quelques voyageurs, ne peuvent nullement Pénétrer ces forêts, il faut absolument 1. Le capitaine d’Orgon, étant arrivé en Louisiane en 1737, Dumont n’avait guère dû le connaître.


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Se servir, en ce cas, de pirogues ou nacelles, Qui vont desur les eaux ; ce n’est pas bagatelle Défaire ainsi voyage. Ors, dans le pays haut, Je te le dis, Lecteur, on n’a pas ce défaut ; On peut, si l’on vouloit, aller en caravanes, Portant, sur des chevaux, marchandises, cabanes ; Ne trouvant même pas de quoi faire du feu, Le bois même y manquant, et l’on trouve fort peu De quoi, dans ce pays, y faire la chaudière ; La hante de bœuf y sert pour l’ordinaire A bouillir la marmite ; à peine trouve-t-on Quelques morceaux de bois. C’est, parmi ces cantons, Que paissent, avec plaisir, gibiers en abondance, Bœufs, ours, chevreuils et cerfs ont la licence D’y bien vivre aisément. Mais, quand des voyageurs Passent dans ces endroits, ce leur est un bonheur, Vu qu’ils trouvent toujours de quoi remplir la panse, Sans leur coûter, pour lors, une forte dépense, Pouvant avoir un bœuf d’un seul coup de fusil, Bien heureux qui pourroit en avoir à ce prix! Revenons que d’Orguon, après quelques journées, Arrive à cet endroit. Ors, pendant ces corvées, Notre chef Bienville avoit déjà mandé En France qu’on pouvoit, avecque sûreté, Envoyer au pays les choses nécessaires, Propres pour les soldats et propres pour ces guerres, De même le renfort que l’on avoit promis, Etant près, disoit-il, d’aller à l’ennemi. Cette nouvelle apprise, on peut croire qu’en France On ramassoit partout soldats en abondance. On choisit, pour cela, le sieur de Kerloret 1 Pour conduire l’escadre, et en voici le fait : Sans t’arrêter Lecteur, puisque la chose presse, il faut te la nommer, oui la Classe de Bresse 2 Que montoit Kerloret, avec plus de cinq-cents Soldats bien équipés étoient montés dedans.

1. Le chevalier de Kerlorec — ou plus exactement, Kerlozrec— commandait l’Atlas, dont l’équipage contracta malheureusement la fièvre jaune à Saint-Domingue. Kerlorec, son second, l’aumônier, un enseigne, le chirurgien, quatre gardes-pavillon, périrent pendant la traversée de retour, et le navire, ne comptant plus à bord que quelques marins valides, vint se perdre sur les côtes de l’île d’Ouessant, le 14 décembre 1739.

2. Aucun des navires de l’escadre ne portait ce nom singulier ou quelque autre lui ressemblant. Dumont voulait, peut-être, parler des troupes de Brest qui prirent part à l’expédition, mais Bresse rimait mieux avec presse.


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Outre ce vaisseau là, on avoit La. Charente, Commandée il est vrai, chose non étonnante, Par brave chevalier, et soldats, quatre cents Détachés de marine, et canons, instruments Propres pour ces faits là, les vivres nécessaires, Tant pour leur traversée et même pour l’affaire. Sur ce dernier vaisseau, celui qui le montoit Par ordre de la Cour, et ses ordres donnoit, Etoit un chevalier, à la mer fort habile; Son nom, sans me tromper, étoit de Berlonville. Outre ces deux vaisseaux, pour les rendre plus forts, On en fit partir un du port de Rochefort, Et ce vaisseau du Roy, avoit pour nom La Somme; Dedans pouvoit avoir au plus cent-cinquante hommes, Et, sans rien oublier, ni dire de travers, Celui qui le montoit se nommoit de Villers. Outre tout cet escadre, remplie de marchandises, D’instruments pour la guerre et tout pour l’entreprise, Ils avoient avec eux un vaisseau de Malouins ; Enfin desur la mer ils s’étaient tous rejoints. Ors j’oubliais de dire, en écrivant de suite, Que notre Grand Louis avoit, à cette suite, Nommé, dans le vaisseau monté par Querloret, Un second général, pour se trouver au faîte D’une telle entreprise; il se nomme de Noailles' Et venoit au pays, conduisant ses ouailles, Aider, de son esprit, Bienville général, De peur qu’il n’arrivât à ses troupes du mal ; Pour avoir l’œil aussi dessus l’artillerie, Et qui, par son effet, auroit privé de vie Ces barbares lointains, nos cruels ennemis, Qui nomment les canons qué des doubles fusils, Dont même la plupart ignorent l’effet même, Que peut faire une bombe en sa force suprême, Et qui n’en ont jamais éprouvé nul effet, Ce qui les auroit tous ou tués ou défaits. L’escadre va toujours en la Nouvelle-France, Emmenant des soldats, le reste en abondance, Voguant desur la mer avec un grand plaisir. Mais laissons là les vagues, et voyons, à loisir, La conduite du chef, ors j’entend de Bienville, Qui, pendant tout ce temps, envoyoit de la ville 1. Louis de Nouailles d’Aymé avait été nommé capitaine de vaisseau le premier avril 1738. Il mourut le 16 mars 1755.


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Capitaines, soldats, vivres, dans des bateaux, Qui, force de nager, venoient à l’Entrepôt, Apportant avec eux les choses nécessaires. Pour lors, le sieur d’Orguon, pour achever l’affaire De ce fort entier, fit faire un bâtiment A recevoir du moins notre grand commandant. Il fit ensuite construire une boulangerie, Pour subvenir du moins au sujet de la vie ; Outre ces bâtiments, fit faire un magasin Très vaste et bien bâti pour le même dessein, C’est-à-dire de quoi mettre là la farine, Qui devoit garantir l’armée de la famine ; En un mot, cet endroit étoit fort bien muni, A cinquante lieues pourtant de l'ennemi. Revenons à présent que, par un long voyage, Quatre vaisseaux du Roy, malgré vents et orages, Arrivèrent enfin, dans ce pays charmant, Comme je te disais dans mes vers plus avant. On tira le canon, et le pilote habile Vint à bord des vaisseaux, sachant, depuis la quille Jusques au ras de l’eau, ce qu’ils pouvoient avoir De pieds de profondeur; il se mit en devoir De passer les vaisseaux. Ayant fini l’affaire, ils mirent à la voile en montant la rivière. Ce ne fut pas sans peine, allant en tournoyant; il se trouvoit parfois que, le vent leur manquant, On étoit obligé, pour avancer la route, D’agir comme j’ai dis, ors je crois que, sans doute, On comprend mon discours, je dis, naïvement, Qu’il falloit, pour ce cas, virer au cabestan. Après bien du travail et la perte d’haleine, ils arrivèrent enfin, et ce n’est pas sans peine, Devant la capitale et, mouillent dans le port 1 . Oui, ces quatre vaisseaux étoient un bon renfort; On débarque bien vite et canons et grenades, Enfin les instruments propres à toutes escouades. Bienville, notre héros, en lui même pestoit De voir que de Noailles ah ! de France venoit, Pour être le témoin des faits de cette guerre ; il le reçut pourtant de très belle manière, Rongeant, pour le bien dire, en lui même son frein, Et cachant, sur le tout, ce qu’il avoit dessein, 1. L'Atlas atteignit la Balise le 23 mai et la Nouvelle-Orléans le 14 juin seulement.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 363 Comme tu le verras, cher Lecteur, clans la suite, Si tu veux encore lire et voir la réussite D’un si nombreux convoi qui va bientôt marcher, Allant à l’ennemi, pourquoi? Pour nous venger. On bat la générale et, la troupe assemblée, On choisit bons soldats pour en former l’armée; L’habitant est nommé pour y venir aussi, Cela ne doubloit fort ce belliqueux parti. D’un côté, l’on voyoit les troupes de marine Bien faites et, sans mentir, toutes avoient bonne mine ; De l’autre l’on voyoit, tant soldats qu’habitants, Qui, pour ne point mentir, en valoit tout autant 1 De plus, on y voyoit une troupe de nègres, Qui formoit un parti des plus leste et allègre. Cela étant tout prêt, le major de Noyan, Chevalier de Louis 2 , reçut commandement De partir aussitôt, se mettant à la tête D’un gros détachement. Pour cela, l’on apprête La moitié des bateaux, et les soldats choisis Partent, avec joie, en formant ce parti. Ils vont desur les eaux de l’empire aquatique, Nageant toujours de même. Un soldat hydropique Ne pourroit, je le dis, faire ce métier là; Il faut toujours tirer à la force des bras. Le fleuve tournoyant en diverses manières Fait que les vents ne sont que fort peu, d’ordinaire, Propres pour ce voyage ; il faut toujours ramer Tout le long du rivage, et tâcher de gagner, En allant, en nageant, de gîte à l'autre gîte. On peut fort bien penser que l’on ne va pas vite, Que le plus qu’on peut faire est, lieues, sept ou huit, Depuis soleil levé jusque devers la nuit. Les voilà cependant à travailler sans cesse A remonter le tieuve. Ors jamais la paresse Ne fut, dans tels convois, reçue du voyageur, il faut mettre la main; ce seroit un malheur Pour un tel parti s’il faisoit le contraire ; il n’auroit nul repos. Ors donc, pour cette affaire, Chacun s’aide l’un l’autre et, par là s’entraidant, On arrive à son but, chacun étant content.

1. Une fâcheuse rivalité ne tarda pas à s’élever entre les deux trompes, et les officiers de la Louisiane refusèrent, malgré les instructions du ministre, de laisser la droite aux bataillons venus de France.

2. Chevalier de Saint-Louis.


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Il est vrai cependant que, dans quelque voyage, On se trouve privé souvent de l’avantage D’une bonne santé, qu’on ne peut travailler; Quand elle est véritable 1 , il faut se reposer. On vous soulage en tout, ainsi que de vrais frères, Pour tâcher, en cela, de chasser l'adversaire Qui vous retient ainsi ; l’on connoit cependant Celui qui, par paresse, y fait le fainéant. Ors ce fut donc ainsi, qu’au bout de leur voyage, ils arrivèrent tous sur le bord du rivage De l’établissement du fort de l'Entrepôt. Les soldats arrivés, après quelque repos, A l’envie l’un de l’autre, avec un grand courage, Se mettent aussitôt à différents ouvrages ; Après un mois et demi, ce convoi toujours là, il parut à ce fort, de bateaux un gros tas. Ors c’étoit le convoi de Monsieur de Bienville, Qui, pour commencer l'œuvre, avoit quitté la ville; De Noailles étoit aussi, des nègres, des bourgeois, Enfin, tout arriva dans ce fort à la fois. Au bout de quelques jours, tout le conseil s’assemble Pour parler de l’affaire. On résolut ensemble De s’en aller, plus loin, pour faire un nouveau fort ; Sitôt dit, sitôt fait; tous les bateaux au port N’étant pas déchargés, on embarque au plus vite, Et l'on part, à la fois, chercher un autre gîte. Dans ce poste premier, on laissa garnison Pour garder les effets, c’étoit fort de saison ; Ors ce détachement n’étoit que de malades, Avec quelques soldats qui formoient cette escouade. De l’endroit, l’on voyoit nager tous les bateaux, Cul à cul l'un de l’autre, en voguant sur les eaux; Après les gros bateaux, les canots vont de suite; il sembloit qu’ils alloient pour lors à la poursuite. Cependant on avoit eu la précaution De faire aller à part, avec juste raison, Les bateaux qui portoient la poudre de l'armée, De peur que, par malheur, elle ne fut brûlée. Mais, enfin, on arrive, au bout de quelques jours Ecoulés, à l’endroit où, sans aucun discours, Sans t’arrêter, Lecteur, par tant de verbiage.

1. Le mot maladie est sous-entendu.


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Fig. 47. — 1. Forts de l’Entrepôt et de l’Assomption. — 2. Concession des Chaouachas.

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Chacun, en général, mit la main à l'ouvrage. Ce qui fît que, dans peu, ce fort fut achevé Caserne, magasin, sur écore levé; Un écore, au pays, veut dire une montagne 1 ; On peut, par là, juger que ce bel avantage N’éloit pas des plus mal, vu qu’étant élevé, On voyoit de plus loin ce qui l’auroitgêné. Le fort de l’Entrepôt éloit sur la rivière De Saint-François, à gauche. Or c’est tout le contraire, Car il étoit posé sur un écore très haut, C’est à droite en montant, à la rivière Margot 2 . Là l’on n’oublia pas logement pour Bienville, Car il étoit logé de même qu’à la ville, Non pas dans un logis tout en brique construit, Mais en bonne charpente; il étoit bien bâti. Au bas de cet écore, pour fournir à la vie, On avoit aussi fait une boulangerie. L’officier étoit bien, le reste à proportion, Et ce fort s’appeloit Fort de l’Assomption. On le nommoit ainsi, vu que toute l’armée Arriva dans ce lieu cette même journée Mil-sept-cent-trente-neuf. Ceux qui ne pouvoient pas Demeurer dans ce fort, faisant trop un gros tas, Étoient campés autour sur une plate-forme Qui pouvoit contenir plus de quatre mille hommes, Et cela sous la tente. Ainsi tout disposé, Le Conseil se rassemble afin de tout régler. On étoit éloigné de trois bonnes journées 3 Du village ennemi; chacun dit sa pensée; Ors de toutes ces voix, la meilleure fut prise, Comme on peut le penser, cela pour l’entreprise D’aller sur l’ennemi, mais comment y marcher? Et les munitions, comment les y mener? Par des chemins formés? On n’y voit nulle route, il falloit donc en faire. On le régla,'sans doute, Puisqu’après ce conseil, on fit tous ascavoir Que quiconque vouloit bien faire ce devoir, il auroit un écu pendant chaque journée.

1. Berge escarpée, ou petite hauteur serait plus exacte.

2. La Rivière à Margot, porte maintenant le nom de Wolf river ; elle se jette dans le Mississipi, tout près de la ville de Memphis.

3. Ce chiffre est beaucoup trop faible. La position du village des Chickachas était alors estimé à environ vingt-cinq lieues communes du fort de l’Assomption ; en réalité, elle s’en trouvait à près d’une cinquantaine.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 367 On peut fort bien penser qu’une part de l’armée Se mit à travailler pour ouvrir le chemin. Ors ce chemin étoit tracé par de Broutin, Ingénieur en chef, homme prudent et sage Et digne d’un emploi de "plus grand avantage, Et ce chemin étoit, de toises de largeur, Douze pieds mesurés pour avoir le bonheur De pouvoir, desur lui, mener l'artillerie, Les canons, les mortiers, provisions de vie, Tout sur des chariots, que l’on faisoit pour lors Au fort de l’Assomption. Les arbres les plus forts, Les cannes, arbrisseaux sont tous jetés par terre, Rangés des deux cotés, servant de barrière. Laissons les travailler et disons maintenant Que le chef et le tout passoient ainsi leur temps,

Chacun dans son emploi. Les nations sauvages Du côté de Québec, laissant là leurs villages, Venoient se joindre à nous; le Sieur de Céloron *, Homme rempli de cœur, d’esprit et de raison, Avoit été choisi pour que, par sa prudence, il conduisit ses gens delà Nouvelle-France; Il avoit l’agrément du sieur de Beauharnais L Son voyage se fit par eaux et par les bois ; De plus, trente cadets suivoient, avec courage, Toutes ces nations, pour avoir l’avantage De se trouver du moins, pendant cette action, Devant nos ennemis, voulant, avec raison, 7

Par là se distinguer. Mais pendant cette marche, Les soldats de l’armée, alloient, à coups de haches, Devant les ennemis en abattant les bois Trouvés sur le chemin; on avoit quelque fois, Dans ce rude travail, de quoi, pour lors, se plaindre : La pluie, le mauvais temps étoient très fort à craindre, Et, de plus, on craignoit, en travaillant ainsi, Qu’on ne fut attaqué des Chis, nos ennemis. Ce qui n’arriva pas, quoique, par sa finesse, il vint jusques au fort ; ma foi, par son adresse ; Il n'a pu desur nous gagner aucunement, Et s’en est retiré bien vite assurément. * Céloron, capitaine des troupes détachées pour la guerre des Chis, de celles qui sont de Kébeque en Canada. —Le capitaine de Céloron se distingua dans plusieurs expéditions, et fut tué en 1756, près du fort Duquesne, dans une rencontre avec les Anglais. 1. Gouverneur du Canada.


368 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Ors donc, pour subvenir aux. vivres de l’armée La pirogue venant, elle étoit arrêtée. Pour comprendre cela, ce n’est que tous les ans Du fort des Illinois, que certains habitants Chargent, dans des bateaux, des pains de plaquemines. Des jambons et du lard et beaucoup de farine, Des pacanes aussi, de l’huile dans des peaux 1 , Pour venir, à la ville, acheter ce qu’il faut, Tant pour leur entretien que pour des marchandises Qu’ils rapportent chez eux, soit vermillon, chemises, Limbourgs* ou de la poudre, eau-de-vie ou du vin. Tout cela leur est bon et sert à leur dessein, En augmentant leur bien; car, sitôt l'arrivée, Ils revendent, à qui veut, cette forte denrée Et bien même au Sauvage, et cela pour un prix, Qui leur paye, du moins, les chemins entrepris Qu’ils ont faits, pour l’avoir, par un si long voyage, Rempli de mils dangers. Quand on a l’avantage D’arriver à bon port à tous ces deux endroits, On peut s’estimer riche et heureux à la fois. Tout ce qui descendoit pour aller à la ville Etoit, arrivé là, par ordre de Bienville, Non pas à juste prix, hélas! à vingt cinq francs, Ce n’est pas le millier, mais simplement le cent; Le lard, on le prenoit, le croiras-tu? la livre, Sur le pied de vingt sols. A la place, on délivre Au magasin du Roy, qui donnait un reçu De ce que l’on livrait, cela servoit d’écu. Le mahis et le riz, le reste, en conscience, Etoient tous hors de prix, et tout de conséquence. Pendant cette conduite, au fort des Illinois, Les nations amies, ascavoir Iroquois, Epissingles 2, Hurons, venant de compagnie, Arrivèrent enfin, respirant que l’envie D’être vers l’ennemi. Le sieur de Céloron Les avoit commandés pendant cette saison ; ils étoient bien cinq-cents, tous d’une belle taille, Avec trente cadets, n’ayant, comme attirail, Que ce qu’est nécessaire à la vie, aux combats, Cela ne peut causer aucun grand embarras. Ils eurent le plaisir, après un grand voyage,

1. De la graisse d’ours. C’est un drap bleu ou rouge que les Sauvages aiment beaucoup.

2. Les Nippissings habitaient au nord-ouest de Québec.


De trouver, à ce poste un très grand avantage Vu, qu’étant arrivés, le brave commandant, Sieur de La Bussonière 1 , étoit là dans ce temps. Il les reçut très bien, il lit dire à sa troupe, De même à l’habitant, que l’on feroit la route Tous ensemble en deux jours 2 , que ceux des habitants Qui fourniroient des bœufs seroient payés comptant, La paire de ces bœufs, en deux fois, deux cents livres. On payoit un cheval, à celui qui le livre, A cent-cinquante francs, ors c'étoit, à ce fort ; Pour mener tout cela, falloit payer encor De l’établissement jusqu’à joindre l’armée, Ayant, de cet endroit, quinze bonnes journées, La journée estimée à dix lieues de chemin ; De très grande dépense, étoit ce grand dessein Toutes ces nations, au fort se venant rendre, Arrivèrent, je crois, dans le mois de septembre. On n’y voyait alors que frimas et glaçons, Vu que, dans cet endroit, en pareille saison Le fleuve est pris de glace, et peut, sans nul doute, Servir à qui le veut de sentier, de route. Il faut savoir que par cinquante-el-un-degrés 3 De latitude nord, il y est bien situé, C’est le climat certain de ladite contrée, Et qu’il y fait grand froid presque toute l’année. Ors le jour du départ étant donc arrivé, Monsieur La Bussionnère et ses gens bien armés, Sortirent en bel ordre et soldats et bourgeois, Les drapeaux tous au vent, du fort des Illinois; Cette petite armée étoit, selon le dire, D’hommes, huit ou neuf cents, et sans vouloir redire, Commandée par des gens de mérite et de poids Et dignes de lauriers et de palme à la fois. Enfin, ils vont ainsi, parcourant l’étendue De ces grandes forêts, dont la perçante vue Ne peut voir jusqu’au bout, n’arrêtant que la nuit, Pour prendre le repos; mais, quand le soleil luit,

1. Le capitaine de La Buissonnière, arriva en Louisiane en 1720; il comman lait, en 1739, l’établissement des Illinois.

2. Une quinzaine ou une vingtaine de jours aurait été plus exact.

3. On se demande quel peut bien être le fleuve, glacé au mois de septembre, dont Dumont veut parler ! Les établissements des Illinois étaient situés par environ 3 8°; Québec se trouve sous la latitude de 47°, et la partie la plus septentrionale du pays des Nipissings n’atteint même pas le cinquantième degré. Société des Américanistes, 1931. 24


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On marche, on se remet sur cette terre immense, Se gardant toujours bien et tout par la prudence. Au bout de seize jours, sans aucune action,

ils arrivèrent tous au fort de l’Assomption,

Où on les attendoit pour garder l’attirail De ces bœufs et chevaux. A force de travail, On avoit entouré, par des arbres monstreux. Un terrain pour les mettre ; il étoit spacieux, Et là, l’on les gardoit tous avec vigilance.

Ces gardiens chacun, avoient pour patience, Outre leur nourriture, à chacun, vingt écus

Par chaque mois entier. Hélas ! le croiras-tu? Qu'ils étoient bien en tout trente-cinq de ces hommes Qui veilloient jours et nuits ces animaux de somme, Afin qu’aucun d’entre eux ne vint à s’échapper; Dans un si grand pays, après, où les trouver? A voir un tel chaos et cette troupe agile, Cela faisoit plaisir, et surtout à Bienville. Tout ainsi ramassé, tant hommes qu’instruments. Les chariots finis, on attend le moment De se voir commander pour aller au village, Pour tuer et brûler notre ennemi sauvage.

Chacun le désiroit, l’habitant, le soldat,

Et l’officier lui-même, et même le goujat. Mais non, on est bien là, c’est tout comme à la ville, Et cela plait beaucoup à l’héros de Bienville, N’aimant point à marcher vers aucun ennemi, Vu qu’il craignoit encor d’avoir même parti, Mil sept-trente-six 1, et, en fait, de Noailles, Qui voyoit tous les jours diminuer ses ouailles, Sans songer seulement d’aller aux ennemis, Ne dut pas s’empêcher de dire tel avis : Qu’il étoit bientôt temps de finir cette guerre, Que ses gens et les siens périraient de misère, Qu’étant tous ramassés, l’on pourrait bien marcher, Que les chemins étoient à la fin presqu’ouverts. Que, de plus, il craignoit que, par la maladie, il ne put retourner les siens encore en vie, Que même la saison de marche se passoit, Qu’il eut du moins égard à ce qu’il lui disoit; Mais ce discours 2 surprit. Ce foudre de la guerre,

1. Qu’il avait subie en 1736.

2. Le prudent Nouailles n’a jamais pu tenir semblable discours. Voir les Remar ¬

ques placées à la fin du chant.


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D’un ton impérieux, répond, à sa manière, Qu’il n’avoit nullement à faire de ses gens, Qu’il pouvait seul aller, et qu’il avoit le temps, Ayant reçu du Roy trois ans pour cette affaire. Ce fut là son discours, de la même manière Qu’il reçut de Noailles, et ne voulant agir Le tout que par lui-même, et ne voulant finir Que selon son dessein. Ainsi, sans médisance, On attendoit toujours ce grand coup d’importance, Après sept mois entiers 1 de demeure dans ce fort, Sans avoir ressenti aucunement de tort Du Chis, notre ennemi, que par une nouvelle Qui nous fut apportée, et l’on apprit par elle Que dix-huit Chaquetas, Sauvages nos amis. Avoient été tués par un parti de Chis, Et ce, vers Tombecbé, fort du premier voyage, Où nous fûmes si bien pour le désavantage De nos autres François, mil-sept-cent-trente-six; Ors ce parti Chactas avoit été surpris.. Mais, à la fin de mai 2 , notre héros magnanime Députa Céloron, sans faire aucune mine De vouloir en venir à la conclusion De ce très beau convoi, faisant même façon De cacher en tout point ce que, dans cet affaire, Un général peut bien, sans un très grand mystère, Demander quelqu'avis à quelqu'autre officier Sur le fait d’une attaque. Il sait trop son métier; Ainsi de Céloron reçut dans la nuitée, Ordre, avec ses cadets, de grande matinée De partir bien armés et son détachement De Sauvages d’en Haut, pour s’en aller devant, Contre nos ennemis. Il eut pour avantage Que, dans très peu de temps, il finit son voyage. Qu’il arriva bientôt devant les ennemis, Qui, le voyant chez eux, crurent tous d’être occis, D’autant plus qu'ils croyaient, qu’après eux, notre armée Alloit bientôt paroitre, et, selon leur idée, ils se croyoient perdus, vu que de Céloron S’étoit de tout le champ emparé pour de bon. Les drapeaux voltigeant, aussitôt le Sauvage Appréhendait pour eux du haut de leur village,

1. Cinq mois seulement.

2. Au commencement de février.


372 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Mirent le pavillon, voulant capituler, Demandant à nos gens de les laisser parler Ce qu'on leur accorda 1 . Pour comprendre l’affaire, il faut savoir, Lecteur, sans tant de grand mystère, Que le sieur de Bienville, haïssant trop les coups N’aimant pas les combats et n’étant pas si fou D’aller faire marcher une aussi grande armée, Qui, parla suite, auroit pénétré sa pensée, il avoit envoyé, comme j'ai dit devant, Le sieur de Céloron, lui disant finement, Que lorsqu’il seroit avec tous ses Sauvages Au milieu de la plaine et, devant les villages De tous nos ennemis, s’ils demandoient la paix, Et qu’ils jurassent tous qu’ils auroient désormais Les François pour amis, qu’il eût à leur promettre De la leur accorder, et qu’ils eussent à remettre Ce qu’ils pouvoient avoir d’esclaves de François. Il n’y fut pas plus tôt, que de, commune voix, ils la lui demandèrent, elle leur fut promise ; Sans retarder beaucoup, ils amènent leur prise, Fondés sur le discours que leur tint Céloron, Ils quittent leur village et viennent, sans façon, Avec ce commandant ayant tout l’avantage D’avoir fait, par lui seul, ce que, par leur courage, Les autres vouloient faire, et, sans tant de raison, ils arrivèrent tous au Fort de l’Assomption. Je te donne à penser ce que jugea l’armée De voir, devant ses yeux, cette belle arrivée, L’ennemi qui s’en vient le calumet au vent, Frappant desur un pot en dansant et chantant; Vers le commencement, on crut voir une prise Faite par de nos gens. Quelle fut la surprise Quand on eut tout appris, que, par commandement, Le sieur de Céloron et son détachement Avoient, en peu de temps, gagné tous les Sauvages Sans avoir nullement détruit aucun village, Et mieux, sans tirer aucun coup de fusil. Chacun, dans sa surprise, étoit hors de l’esprit, Après avoir appris que c’étoit de Bienville Qui l’avoit ordonné, cet héros de la ville. A peine arrivé là, sans grande occasion, Ce grand héros de guerre envoya Céloron I. Le récit de Dumont est complètement inexact; voir les Remarques placées à la fin du chant.


Avec tous ses cadets dans leur propre patrie, C’est à dire à Québec, n’ayant aucune envie D’aller sur l’ennemi, voulant que, désormais, Son peuple ressentit les douceurs de la paix Mais ce peuple pourtant, de même tout Sauvage, Murmurant en secret, disait, en leur language. Qu’il ne les falloit pas faire venir si loin, Tant pour perdre du temps que pour perdre leurs soins. Mais à quoi tout cela ? Ce n'est pas l’avantage De nous aller crotter contre les Chis sauvages. Se disoit en lui seul cet invincible héros; Se souvenant encor des peines et travaux Qu'il avoit essuyé dans des guerres premières, il craignoit encor plus d’avoir les étrivières ! C’est pourquoi, sourd à tous, il attendit un mois Au bout duquel enfin, les Chis, tous à la fois, Vinrent lui présenter leurs sincères hommages, Le calumet au vent, tout garni de plumages. Quel plaisir de Bienville eut-il, en ce moment, De voir, pour bien parler, l'ennemi dans l’instant A ses pieds prosterné, demandant avec grâce, Qu’au lieu d’un grand combat, la paix prenne la place, Protestant devant lui qu'il aime les François. Preuve de leur amour, ils livrent quatre Anglois, Qu’ils avoient, selon eux, réduits en esclavage. Quelle douceur hélas ! parmi tout leur language, Que de loups revêtus de la peau des brebis ! Que d’ennemis venus de sincères amis ! Les voilà cependant dans les liens d’assurance, Repentant de la faute, attendant pénitence; ils sont, en un moment, par notre héros absous. Voilà la mort, enfin, aux invinsibles coups, Qu’il donne aux ennemis ! Que de joie, d’allégresse Au fort de l’Assomption : loin de nous la tristesse. Loin de nous les travaux; l’on jouit, désormais, Au lieu de cette guerre, d’une agréable paix; Les chemins sont ouverts ; plus jamais de surprise, On peut, en sûreté, porter sa marchandise. Voilà nos ennemis qui nous baisent la main, Voilà cet heureux jour qui couronne la fin, Ce jour tant désiré finira nos alarmes. La paix succède alors au tumulte des armes. Elle fut accordée, et, pour conclusion, On mit le feu partout au fort de l’Assomption, Le lendemain matin. Cette grande dépense,


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SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Faite tant au pays que même dans la France Pour les préparatifs contre nos ennemis Furent, en ce moment, brûlés, évanouis, Et, pour dire le vrai, l’artillerie même Ne servit nullement; tout s’en fut en fumée. Cependant les Hurons, nos sincères amis, Avec quelqu'Iroquois donnèrent leur avis, En disant à Bienville : « Grand chef, notre maître Que viens-tu de donner aux Chis, l’ennemi traître? Une paix demandée? Or, sache que, pour nous, Nous ne la faisons point, qu’il sentira nos coups, Que nous lui ferons voir quel est notre dommage D’être venus ici d’un si rude voyage, Pourquoi ? Pour leurs beaux yeux. Nous jurons désormais Qu’ils auront, avec nous, la guerre au lieu de paix ». Tel fut là leur discours, qui fut, dans le moment, Apaisé par Bienville en faisant un présent. Enfin, ce bel endroit, tout réduit ras de terre, Cette paix accordée à la place de guerre, La générale on bat, l’officier, les soldats Les chefs, les habitants, les nègres, les goujats, Etant tous embarqués, dérivent vers la ville, Ramenant avec eux le conquérant Bienville, Fatigué, l’on peut croire, après neuf ou dix mois Des peines, d’embarras dans de si grands exploits, Chargé de lauriers, gagnés par sa victoire, Qui seront, pour toujours, des trophées à sa gloire. Cependant, en passant au fort de l’Entrepôt, il ne fut pas exempt; les soldats, bien dispos, Mirent le feu partout, le réduisant en cendre, Ne laissant rien derrière avant que de descendre. Permets moi, cher Lecteur, de faire attention Sur l’état de l’affaire, avec juste raison, Car, en versifiant, je pourrois très bien dire Quelques points sur la paix, et, sans vouloir médire, Cette paix demandée et ce coup si subtil,. Accordés tout d'un coup, sont des poissons d’avril, Car ce fut en ce mois que finit cette guerre. Par ces conditions, et, selon le vulgaire, Ce mois n’est que propre à telle trahison. En suivant ce dicton, hélas ! nous le verrons, Que c’étoit que trop vrai, car, à peine à la ville, L’armée fut elle là, comme le chef Bienville, Qu’aussitôt trois bateaux partent pour l’Illinois.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE

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Après avoir monté pendant près de trois mois, Etant presque rendus au bout de leur voyage, Qu’ils sont tous attaqués par un parti sauvage Qui les défirent tous, excepté deux ou trois, Lesquels eurent bonheur de se sauver au bois, Et, dirais-je la chose à croire difficile, Parmi cet embarras, il se sauve une fille; Cette fille n'avoit que seize ou dix-huit ans, Par conséquent très jeune, et sortant du couvent, Pour aller voir sa sœur, richement établie Au fort des Illinois. Elle sauva sa vie Par son agilité, vu que la nation, Qui fit, en ce moment, ce coup de trahison, Ah! sans doute vouloit la mettre en esclavage. Elle s’échappa d’eux au travers du feuillage. Ors son nom c’est Potier, allant, à bon dessein, Chez sa sœur, mariée au garde-magasin Du fort des Illinois; ors son nom est Buch [elle ?], Cette fille en un mot étoit sage et bien faible, Je te donne à penser où se trouve l’enfant, Au milieu des forêts, sans aucun aliment, Réduite, dans ce temps, à vivre que d’herbage, Marchant que lentement à l’abri du feuillage, En chemins inconnus et nullement ouverts, Au travers de la ronce, entourée de dangers, Se sauvant au plus tôt de la main du Sauvage, Echappe, comme on voit, du meurtre et du carnage Qui se passe au bateau. Les uns y sont tués, Les autres y sont pris et peut-être brûlés ; Et, ce qu’on peut penser, c'est que la marchandise Est prise par ces gens; telle fut la surprise. Après ce beau coup là, les bateaux sont détruits Et coupés par morceaux par ces cruels amis. Oui, je dis ces amis, qui, selon leur promesse, Dévoient nous aimer tous, mais c’étoit, par finesse, Qu'ils tenoient ce discours à Bienville, l’héros. Qui cause et causera par la suite des maux. Il semble que j’entend que son cœur en soupire Que, pour parer ce coup, il ose encore me dire : « Non, non, ne croyez pas que ce soit là le Chis Qui fait toujours la guerre en agissant ainsi ; Vous vous trompez, dit-il, c’est un parti sauvage, Qui parcourt les bois, sans aucun ermitage. Et, pour vous contenter, et satisfaire en tout, Ces cruels ennemis, on les nomme les Sioux ».


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SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

C’est bon pour son discours. A d’autres fariboles. Je répond à cela, en fort peu de paroles, Que les Sioux, les Natchez et même tous les Chis, Ne font qu’un, entre tous, et sont nos ennemis. S'il a cru autrement, c’étoit une bévue ; En leur donnant la paix, il avoit la berlue. Comment, étant si près du Sauvage ennemi, Ayant même envoyé Céloron, son parti, Que ne le suivoit-il? Ayant tant d’avantage, il auroit, je le crois, sans beaucoup de dommage, Eut ces fiers amis, de canons en trois coups. De Noailles le suivant, on auroit vu partout Le courage françois paroitre en cette guerre, Et le Sauvage, après un si belle affaire, Auroit senti par là ce que peut le François, Quand il est commandé par des hommes de poids. Comme étoit de Noailles, et même de Bienville. Il eut agi ainsi, mais il aime la ville, Où là l’on ne craint point l’arme de l’ennemi, Ni la perte de biens que fait quelque parti Lorsqu’on vient l’attaquer au milieu d’un voyage. Ors à son dépourvu, sans aucun avantage, Cependant est à pleindre un pauvre voyageur, Qui voyage par eau, s'il a ce grand malheur ; Donc, dans son chemin, attaqué du Sauvage 11 faut, pour avancer, absolument qu’il nage, Son fusil à coté; mais, tenant l’aviron, il n’est pas préparé pour aucune action. On peut le plaindre hélas! en faisant tel voyage, Mais, Bienville, à la ville, est exempt de l’outrage. Qu’importe ! c’est assez, voilà le seul profit Qu’il veut, de celte paix, ressentir que pour lui, Et je peux m’écrier que, malgré la dépense Faite dans ce pays, ainsi que dans la France, On n’a nullement fait de sincères amis; La Montagne accoucha d’une simple souris. Heureux si, cependant, dans son second voyage, il eut, sur l’ennemi tiré quelque avantage ; Le pays en seroit deux fois encor meilleur, Mais celte paix hélas! augmenta le malheur. Eloigné, comme on est, de l’ennemi sauvage Qui, par sa flatterie, a ruiné tout l'ouvrage De quatre ans entiers; que peut-on espérer ? Que de meurtres assassins, qu’il va, sur nous, jouer, En détruisant partout, et le tout par finesse,


Car, avec ces gens là, ce n’est que la promesse. Je puis prophétiser qu’en ce pays fertil. On se repentira de ce poisson d’avril, Accordé pour la paix, que le sieur de Bienville, Tant qu’il restera là, sera de cette ville La perte générale et de tout le pays, Préférant le François au Sauvage ennemi. Voilà, mon cher Lecteur, la vérité sincère De la Nouvelle-France et de toute la guerre, Faite par notre héros, et, sans vouloir flatter Aucunement l’affaire, et clairement parler, Tant pour l’un que pour l’autre, hélas ! notre avantage Auroit été plus grand si, pendant ce voyage, Au lieu de cet héros, nous eussions eu Perier; Grand Dieu ! nous aurions eu le Sauvage en entier, Sous le commandement de ce grand Alexandre. La France le possède, il nous faut donc attendre La volonté du Ciel, et, dans notre malheur, Regretter à jamais notre premier bonheur. Je ne puis pas finir cette grande importance, Je la mets par écrit, étant de conséquence : Au lieu de ce héros, si nous avions été Commandés par de Noaille, ah ! je dis vérité, La paix n'auroit, en ce fort, été faite, Mais bien devant les Chis, après quelque défaite ; On auroit tous été devant nos ennemis, Qui, dans ce temps, craignant d’être défaits, tous pris, Auroient, en ce moment, pour traiter de l’affaire Demandé à parler pour terminer la guerre. Les Nalchez avec eux, alors, en la traitant, On auroit en la mort de ce peuple insolent, Et non pas le quartier que leur fournit Bienville En leur donnant le temps de sauver leur béquille, Ce qu’ils ont fait sans doute, et, parcourant les bois, Attaquant les bateaux et tuant à la fois. Ors cette heureuse paix, faite en cette manière, Au lieu d’un bon repos, nous continue la guerre, Et je ne puis finir qu’en plaignant le malheur Du soldat, du bourgeois et de tout voyageur.

Fin du troisième chant (812 vers)


REMARQUES SUR LE TROISIÈME CHANT. La grande expédition organisée contre les Chickachas, se termina évidemment d une façon fort peu glorieuse. Plus d’un million de livres fut dépensé bien inutilement, les troupes envoyées de France s’en retournèrent sans avoir tiré un seul coup de fusil, et les Sauvages recommencèrent bientôt à harceler nos convois. Dumont pouvait donc parfaitement écrire, sans altérer la vérité : La Montagne accoucha d’une simple souris, et même traiter de « poisson d'avril » la paix conclue avec les Chicka- chas ; son grand tort consiste à mettre continuellement en doute la bravoure incontestable de Bienville et à le rendre uniquement responsable de toutes les erreurs commises et de certaines difficulté probablement insurmontables. La façon extrêmement minutieuse dont Bienville avait préparé les moindres détails de l’expédition, prouve qu’il comptait tout d’abord la mener vigoureusement ; seulement, son amour-propre fut profondément froissé, quand il apprit que toutes les troupes, même les milices de la Louisiane, passaient sous les ordres du chevalier de Nouailles d’Aymé, simple capitaine de vaisseau. L’unification du commandement des troupes aurait pu être une mesure excellente, si Maurepas n’avait pas, en même temps, laissé à la tête de l’expédition deux chefs dont les pouvoirs respectifs étaient fort mal définis. A l'un revenait d'organiser la campagne à sa guise, à l'autre de commander ensuite seul toutes les troupes ! Dans de pareilles conditions, Bienville, prévoyant qu’en cas d’échec, toutes les responsabilités retomberaient inévitablement sur lui, et que, si l’expédition réussissait, Nouailles, à son retour en France, recueillerait toute la gloire de l’expédition, devint, dès lors très circonspect. Quant à de Nouailles, passablement dépaysé dans les forêts de la Louisiane, n’entendant rien à la façon de conduire les Sauvages, il semblait, malgré ses assertions, très médiocrement disposé à partir en guerre contre les Chickachas, crainte de perdre son artillerie dans quelque cyprière marécageuse. Nouailles rejeta, plus tard, assez habilement, la responsabilité de l'échec de l’expédition sur l'inaction de Bienville ; seulement aucun des trois plans de campagne qu’il aurait, d’après lui, successivement proposé, n’était en fait réalisable.


Le premier consistait à remettre l’expédition à l’année suivante. Or la Louisiane commençait à se trouver très à court de vivres, et il eût été impossible d’en rassembler pour une nouvelle campagne. De plus, l’état sanitaire des troupes venues de France laissait beaucoup à désirer et une épidémie de fièvre jaune régnait alors à la Nouvelle-Orléans. Le second projet : remonter en canots la Rivière à Margot, même s’il eut été possible —ce qui paraît extrêmement douteux —n’aurait guère rapproché l’armée des villages chickachas. Enfin le dernier, consistant à partir en expédition sans emmener d’artillerie et en accomplissant plusieurs voyages, se serait, très certainement, terminé par un désastre ou, pour le moins, par un échec. On verra d’ailleurs, un peu plus loin, que Nouailles ne semblait guère tenir à cette dernière solution, que, Bienville, d’ailleurs, avait déjà proposée avant lui. Nos ennemis ne craignaient que le canon, et le lieutenant de Saint- Pierre, compagnon de Géleron, put constater que sur les neuf villages des Chickachas, cinq ne pouvaient être enlevés d'assaut sans une sérieuse préparation d’artillerie. D’autres causes concoururent à l’échec de l’expédition : les troupes débarquèrent au moins deux mois trop tard, les bêtes de somme périrent la plupart en route 1, enfin les pluies rendirent impraticables les diverses routes explorées. Broutin finit par en découvrir une assez bonne au commencement de janvier ; seulement son aménagement aurait nécessité plus de trois mois de travail. Pour nous, les deux principales raisons de l’inaction de l’armée consistèrent d’abord dans la très grande difficulté, de transporter à travers bois, dans un pays dénué de fourrage, l'artillerie et les vivres nécessaires pour une armée aussi nombreuse 2 , ensuite dans la constatation que les villages chickachas se trouvaient vingt-cinq lieues plus loin qu’on se l’était d’abord imaginé d’après les indications fournies par les Arkansas. Bienville savait que les Chickachas avaient, sur le conseil des Anglais, creusé des tranchées derrière leurs palissades et n’entendait pas recommencer sans canons, la fâcheuse expérience de 1736. Nouailles tenait, avant tout, à ramener en France ses troupes, sans trop de pertes, et, de plus, se sou-

1. 385 chevaux et plus de 300 bœufs avaient été réunis soit au fort de l’Entrepôt, soit achetés directement aux Illinois et, surtout, aux Natchitotchez, grand pays d’élevage ; malheureusement la plupart de ces animaux périrent ou se perdirent en route, et l’expédition, d’après Bienville, ne pouvait disposer que de 75 bêtes de somme.

2. En cinq lieues, La Houssaye avait compté sept ponts à construire à travers de « grosses ravines ». Aucune des expéditions de découvertes, pas même celle commandée par Broutin et par Céloron, n’avait pu reconnaître plus de la moitié du chemin.


ciait assez peu de ce qui pourrait bien se passer en Louisiane après son départ. Après un séjour de cinq mois au fort de l’Assomption, les vivres de l’expédition commençaient à s’épuiser, les Sauvages devenaient chaque jour de plus en plus turbulents 1 , bon nombre de soldats, récemment débarqués, tombaient malades et les travaux de la route avançaient de plus en plus lentement. Les deux chefs, très certainement d’accord, prirent alors le parti de renoncer à entreprendre la campagne, et réunirent, le 9 février 1740, un grand conseil de guerre. Bienville commença par faire un exposé très détaillé, mais peut-être un peu noirci, de la situation de l’armée, montra la nécessité de réduire à mille hommes et à deux petites pièces de canons l'effectif et l’artillerie du corps expéditionnaire, l’impossibilité d’emporter pour plus de deux mois de vivres, et la difficulté d’obtenir que les Sauvages consentent à transporter leurs provisions ; les onze autres membres du conseil donnèren t ensuite leur opinion par écrit : de Nouailles, parlant le premier, déclara qu'il était impossible, dans les conditions où se trouvait l’armée, d’entreprendre la campagne « sans compromettre l’honneur des armes de Sa Majesté » et tous les autres officiers conclurent ensuite dans le même sens ; seul Broutin fit quelques vagues réserves. Une retraite pure et simple aurait été pourtant désastreuse pour notre prestige, et Bienville, qui recevait, depuis deux mois, de vagues propositions de paix de la part des Chickachas, qui lui avaient fait parvenir des lettres écrites par les Français prisonniers, avait déjà fait partir Céloron avec ses Canadiens, tous entraînés aux marches rapides à travers les bois. Nouailles avait d’autant plus approuvé leur départ que les troupes du Canada n’avaient pas, semble-t-il, été explicitement placées sous ses ordres. Céloron était chargé : 1° d’essayer d’enlever par surprise un des villages chickachas, 2° d’obtenir ensuite la mise en liberté des Français prisonniers, 3° d’entamer, dès que nos compatriotes seraient délivrés, des pourparlers pour arriver à conclure la paix avec les Sauvages. L’indiscipline des Chactas fit échouer la surprise, mais Céloron parvint à remplir, très habilement, les deux autres articles de ses instructions. Les Canadiens se trouvèrent un moment dans une situation fort périlleuse; toutefois la crainte salutaire d une intervention prochaine de l’armée, ne tarda pas à rendre les Chickachas beaucoup plus conciliants. La paix, finalement, fut conclue le premier avril, mais quand la délé- 1. Un Canadien nommé Crignan, étant en état d’ivresse, tua même le chef des Pou téoua tamis : tou tefoisles Sauvages demandèrent sa grâce. Dès le mois de Décembre, une bande d’Iroquois était retournée dans son pays.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 381 gation des Sauvages arriva au fort de l’Assomption, avec un retard d'une dizaine de jours, de Nouailles était déjà parti pour regagner en hâte la Nouvelle-Orléans. Une dernière question se pose : une armée, accompagnée de son arti- tillerie et de son train, pouvait-elle, à cette époque, atteindre, par une route ou par une autre, les villages des Chickachas ? La réponse ne semble guère pouvoir être que négative, et la grande erreur de Bienville fut de ne pas l’avoir reconnu après son premier échec et, surtout, après le deuxième rapport de l’ingénieur de Vergés, rectifiant la véritable position du village de nos ennemis 1 . Seulement, le fort de l’Entrepôt était alors déjà construit, les troupes envoyées de France allaient arriver, et Bienville n avait plus le temps de changer son plan de campagne, même en admettant — ce qui paraît plus que douteux — qu’il fût possible d’en découvrir un praticable. 1. L’ingénieur de Verges avait, déjà, au début de 1739, porté la distance des villages chickachas à plus de quarante lieues, chiffre encore un peu trop faible, mais pourtant presque double de celui indiqué primitivement par les Arkansas.



QUATRIÈME CHANT.

CONCERNANT LES MOEURS DES SAUVAGES, LEURS DANSES, LEURS RELIGIONS, ETC., AVEC LE COMMERCE DU PAYS, ENFIN CE QUI CONCERNE TOUT LE PAYS EN GÉNÉRAL. Après avoir décrit ces établissements, Et les faits de la guerre et des gouvernements, Je juge sainement qu’il est de l’avantage De mettre par écrit, dans ce petit ouvrage, Ce que renferme, en lui, de bon et de mauvais, Cet aimable pays, en écrivant les faits, Comme les actions et danses des Sauvages, Et comme ils se comportent en leurs propres villages. Je te l’offre, Lecteur, et tout avec plaisir, Puisque, dans cet endroit 1 , j’en ai tout le loisir. Muses, qui, jusqu’ici m'êtes très secourables. Daignez continuer, soyez moi secourables, Et vous, cher Apollon, car, sans votre secours, Je pourrois demeurer sans esprit, et tout court ; Mais, fondé que je suis, de votre bienveillance, J’attends, de mon Lecteur, des fautes, l’indulgence, Vu que, privé du bon 2 , qui m’a toujours manqué, Je ne puis faire un ver, qu’il ne soit estropié ; Après tout, ils ne sont qu’à la mode publique Que l’on vend au Pont-Neuf, à la grande boutique. Lorsque, de quelque port, on voit quelques vaisseaux Pour aller desur mer voguer desur les eaux Désirant parvenir à la Nouvelle-France 3 , Bravant vents et périls, l’on vient, en conséquence, Chercher le Cap François 4 , où là, prenant de l’eau Et rafraîchissements, enfin tout ce qu’il faut Pour achever du moins le reste de la route ;

1. Port-Louis.

2. Le « bon », nous l’avons déjà indiqué dans l’Avant-Propos, était le bon vin de France, dont l’auteur se plaignait d’avoir manqué trop souvent.

3. Dumont parle naturellement de la Louisiane.

4. Capitale de notre ancienne colonie de Saint-Domingue.


384 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES L’on part de cet endroit, continuant sans doute Les chemins non frayés de ce vaste élément, Désirant de bon cœur, avoir toujours bon vent. Côtoyant l’isle de Cube, à main droite, on la laisse, Et, de l’autre côté, l’on voit, fort à son aise, Une autre isle souvent, dont le fier Anglois Est le seul possesseur. On la nomme en françois, Je crois, sans me tromper et sans arithmétique, Que les navigateurs la nomment Jamaïque. On vient examiner, pour se rendre contents, Le cap de Saint-Antoine 1 et les deux Caymans : Après, l’on va tout droit, dans le golfe Mexique, A l’endroit des François, posté dans le Mexique, Par les vingt-neuf degrés de latitude nord ; Tout le long de la côte, on trouve assez bon port. Après que l’on a fait desur mer le voyage, On arrive à la fin au bord de ce rivage. A l’aspect, il est vrai, on ne voit que sapins, Pour la terre, du sable, aussi beaucoup de pins; Continuant la route, on arrive au passage De l’entrée d’un beau fleuve ; le long de son rivage, On ne voit que prairies, inondées par ses eaux. On tire le canon, pour que, dans les vaisseaux, Le pilote côtier vienne pour les conduire Par un chemin connu, car les bancs peuvent nuire. Enfin étant entrés, La Balise l’on voit : C’est un poste, établi dans ce premier endroit, , Bâti sur pilotis. L’on y voit une église, Caserne, magasin, et tout avec surprise ; D’autant plus que ce n’est, partout, que des roseaux, Dont elle est entourée, et bâtie sur les eaux. Ce plafond s’est formé par la seule rivière, Apportant par son cours, comme à son ordinaire, Lors qu’elle est, au printemps, fort remplie par les eaux, Des gros arbres monstreux, des cannes, des roseaux, Qui, s’étant amassés en ce lieu tous ensemble, Ont formé, dans un tas, cet espace, il me semble. De cet emplacement, sur lequel de Pauger 2 , Second ingénieur, est venu y fonder Cet endroit, que l’on nomme, au pays, La Balise. Sur laquelle, on y voit une belle entreprise,

1. Pointe occidentale de File de Cuba.

2. Adrien de Pauger, excellent ingénieur, traça également le plan de la Nouvelle-Orléans.


Fig. 48. — Carte des concessions de la Basse-Louisiane. Société des Americanisles, 1931.


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Etant pour empêcher l’entrée libre du port, Pouvant, quand on le veut, le défendre du fort. Construit en palissades, avec un grand génie, il est bien défendu par une compagnie Détachée de la ville avec un commandant, Lequel détachement y passe tout un an. Ils jouissent l’hiver, avec grande abondance, De gibiers à foison ; toute cette opulence Ne passe que trop tôt, car, pendant la chaleur, ils n’ont même pas d’eau, car, par un grand malheur, Etant salée pour lors, il leur faut, avec peine, Remonter la rivière à forcer leur haleine, Pour aller en chercher même dans des tonneaux ; Ainsi, mon cher Lecteur, nul plaisir sans défaut. Ayant passé l’endroit, on monte la rivière Quelquefois à la voile, mais, plus à l’ordinaire, On doit, faute de vent, tourner au cabestan ; C’est là des matelots la peine et le tourment. On avance fort peu pendant ce dur ouvrage ; Le courant est très fort et, de tout le voyage, On ne s’ennuie pas tant. Huit lieues de chemin, On attrape les bois ; ce n’est pas tout enfin, A bâbord, à tribord, le long de ce rivage, Que des arbres fort grands ; l'on sent le marécage. Après bien du travail, on vient aux Chaouachas, De la ville éloignés de dix-huit-mille pas. Ors, c’étoit autrefois un des premiers villages, . Etablis en ces lieux de la part des Sauvages, Mais, pour le temps présent, c’est un très bel endroit Appartenant, Lecteur, avec un juste droit, A d’illustres héros, qui, quoique dans la France, Ont dépensé du bien, et tout en abondance Pour former au pays cette concession 1 , De toutes la plus belle. On peut, avec raison, Dire avec vérité que c’est bien la maîtresse Des autres du pays. Le bien et la richesse De ses grands fondateurs, qui n’ont rien épargné, L’ont faite tel qu’elle est. Revenons au sujet : Quand on a donc passé cette charmante terre, Le plaisir vient plus grand, d’autant plus qu’on espère De bientôt arriver à l’établissement

I. Dumont semble faire allusion à la concession de Sainte-Reine, qui appartenait au marquis d’Asfeld et au comte de Belle-Isle.


Des François, aujourd’hui la Nouvelle-Orléans. A six lieues de là, paroit et son église Casernes, magasins, sans aucune surprise, Les maisons des bourgeois, un beau gouvernement, Une belle intendance, avec un beau couvent. Vis-à-vis, les vaisseaux, en saluant la ville, Mouillent ; c’est là le port, le matelot agile Travaille avec plaisir à construire un bon pont Pour pouvoir, des vaisseaux, descendre, avec raison, Les effets envoyés du pays de la France, Qui sont, l’on peut penser, en très grande abondance. Un jour, deux jours passés, on commence, un matin, De porter ces effets, les mettre au magasin. Là, l’on voit les maisons qui composent la ville ; Près de la capitale, est cette secte habile De ce bon Père Ignace. Il me faut commencer A dire ce qu’on peut du pays commercer, Sans compter que l’on peut, ainsi que dans la France, Faire venir de tout et tout en abondance. L’on y fait l’indigo, on y fait le goudron ; L’on amasse la piastre et tabac et coton ; Au lieu du blé, de l’orge, ainsi que dans la France, On sème le maïs, du riz en conséquence. Avec l’un de ces deux, on fait d’excellent pain ; Enfin, dans ces cantons, chacun y fait son train. Pour avoir de bon pain, en voici la manière : Soit maïs ou de riz, il faut, pour le bien faire, Faire tremper le grain dans un ample vaisseau, Dans lequel on a mis une quantité d’eau Suffisante, pour lors, à toute la matière Avec laquelle on veut, pour lors, se satisfaire, Laquelle on fait bouillir, afin que par les causes De l’humide et du sec, toutes ces bonnes choses Se trouvent attendries. Cela se fait le soir, Le lendemain malin, l’esclave, par devoir, Tire les grains de l’eau, les met à la dérive Sur une planche mise, en pêchant sur la rive, Afin de retirer le superflu de l’eau Et venir, par cela, dans le seul point qu’il faut. La chose ainsi réglée, aussitôt, dans la pile, Le nègre met un peu ce qui vient dans cette isle, C’est à dire du riz ou de l’autre froment, Et, à force de bras, en farine le rend. Après quoi, l’on diroit avoir cette substance


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Propre à faire du pain ; non, celle consistance Ne peut, aucunement, réussir à ce point, Et, malgré tout cela, l’on en est encore loin, Car, ma foi, la farine en est d’une rudesse Semblable à du vrai sable, et, avec cette adresse, On ne peut retirer de ce riche froment, Qu’un travail très rude et, grand Dieu ! fatiguant. Pour avoir du bon pain, ors, en celle occurrence, il faut, pour en avoir, agir en conséquence : C’est à dire qu’il faut faire, desur le feu, Cuire d'autre froment, et ce n’est pas un jeu, Car il s’agit alors d’en faire une bouillie Pour la mêler aux grains qui subsistent la vie, En donnant le soutien. L’on prend donc ce froment Que l’on met dans la huche ; à force de mouvement, On compose la pâte en mêlant la bouillie, Qui, mêlée toute ensemble, excite alors l’envie Par sa belle blancheur qui, jointe avec levain, Doit vous fournir par là de très excellent pain. Il est vrai cependant qu’il vous est impossible D’enfourner, tout cela paroissant impossible A se pouvoir unir ; mais, avec ce défaut, On se sert, en ce cas, de l’aide d’un peu d'eau Qu’on met dans la casserole étant bien emmanchée Et remplie de la pâte, on la jette, et, mouillée, Elle quitte le cuivre ou bien un autre plat. Lorsque, dans votre four, on la repose là, La chaleur la saisit, ne pouvant se répandre, Ce qui fait, en un mot, qu’elle a lieu de prendre 1. Chacun fait comme il peut, et Dieu commande à tous; En faisant bien son compte, on ne craint point ses coups, Etant le souverain. Les vivres du ménage Sont patates, du lard, quelque fois du fromage; Le bœuf ne manque pas, soit frais ou bien salé, Et le chevreuil aussi nous sert pour le manger; En un mot cette terre est bonne et bien fertile. Les habitants, de l’ours en tirent de bonne huile; Pendant près de cinq mois, oies, sarcelles, canards, Outardes, poules d’eau, l’on tue de toute part; La dinde y est commune; abondante est la chasse. L’été n’est pas de même, avec peine on le passe, 1. Cette manière assez compliquée de faire le pain est décrite heureusement d’une façon beaucoup plus claire dans les Mémoires Historiques (Tome 1, p. 30)


Ne vivant que de lard, légumes, poissons, fruits, Que chacun fait venir dans son petit réduit. On se sent, en hiver, assez delà froidure; Au contraire, en été, la chaleur, on endure ; Elle est très excessive et le coup de soleil Cause à bien des François le très profond sommeil, Ou, du moins, cause aux uns fort ardente brûlure Qu’il fait sur quelqu'endroit . Il faut, malgré nature, Que cette peau se lève, et cet endroit vous cuit, Vous causant un grand mal ; quelquefois point de nuit, De repos, ni sommeil. Ce n’est pas l’avantage De nos pauvres François quand ils sont en voyage, Car alors, pour nager en la pleine chaleur, Moins on est habillé, plus on a de grand cœur. Ors, presque tous les jours, c’est un bruit de tonnerre Qui, par ses fréquents coups, menace cette terre, Et ce qui peut surprendre, c’est que, tous les sept ans, L'on ressent, au pays, de rudes coups de vent. Il semble, à cet instant, que c’est la fin du monde; Chacun ressent ce mal, la tristesse profonde S’empare des esprits. Ce vent impétueux Renverse des maisons ; l’animal furieux, Même dans les forêts, même dans la prairie, Tremblant, erre partout, et craignant pour sa vie. Dedans l’air, les oiseaux, ne pouvant plus voler, Tombent sur le rivage ou viennent s’y poser; Les arbres les plus forts se renversent par terre; Par là, l’on peut juger de la triste misère Où l’on est en ce temps; les vaisseaux, même au port, Appréendent pour eux d’avoir un triste sort. Ce n’est pas tout encore, au vent, à la poussière, La pluie tombe en ruisseaux d’une telle manière Que l’on ne peut alors sortir de sa maison ; On craint d’être noyé, avec juste raison. Trop heureux est celui qui, pendant cet orage, N’est point desur les eaux, faisant quelque voyage Il seroit fort à plaindre étant dans un bateau, Voyant de toute part précipice et tombeau, Ne pouvant aborder nulle part au rivage, Étant à la merci des flots et de l’orage. Il ne peut se sauver que par grâce de Dieu Qui le garde surtout, en tout temps, en tout lieu. Pendant trois jours souvent dure celle tempête, Le beau temps vient ensuite; alors l’homme, la bêle, Se trouvant en repos, bénissent le Seigneur


Qui les a préservés alors de ce malheur. Ors donc, en cet endroit, autour de cette ville, La terre n’en est pas des meilleure et fertile, Vu qu’elle est, quatre mois, inondée par les eaux. C’est une terre grasse où ne vient que roseaux ; Pourtant, on la travaille, et ce n’est pas sans peine ; Les nègres, les François y perdent leur haleine Aux habitations, même dans le jardin, Et même dans les champs. Si l’on a le dessein De faire la moisson, il faut faire levée Vis-à-vis de ce fleuve, et même la saignée Le long de vos terrains, pour évacuer l’eau Qui couvriroit la terre. Ors, Lecteur, il te faut Savoir, qu’en ces terrains, la terre est bien plus basse Que le lit de ce fleuve, et c'est tout ce qui lasse, L’ouvrier travaillant, par l’occupation Qu'il faut alors avoir en telle occasion. Si ce n’est que du riz, on n’a pas tant de peine, Vu qu'il vient dedans l'eau, que cela ne le gêne, Car, le vingt-cinq de mars est le débordement Des eaux de ce beau fleuve ; il faut absolument, Pour garantir la ville, y faire une levée ; Elle sert de marché, l’on y vend la denrée. Mais ce n’est pas ainsi dans le pays d'en haut; Car, sans en avoir une, on n’a pas ce défaut. Ce ne sont que forêts le long de la rivière ; Pénètre un peu dedans, une fertile terre Se trouve tout partout ; l’on ne voit que vallons. L’on ne voit que prairies où il vient des ognons, Ognons de toutes fleurs, tels qu'on en voit en France, Ognons bons à manger; car, là-bas, l’abondance Ne manque nullement. Regarde ce pays, il est, crois-le du moins, un Second Paradis. On peut, en cet endroit, faire aller la charrue, Car, à peine peut-on, voir d’une longue-vue, Un seul arbre planté ; si ce n’est, à l’écart, Quelques tas de gros bois qui sont venus à part. La terre en est très noire, à semer excellente ; Puisqu’elle produit seule, elle est donc abondante. On y voit, au printemps, de différentes fleurs Qui jettent dans les airs mil fort bonnes odeurs ; Le cerfeuil est commun, l'herbe odoriférante, En un mol, la prairie est alors très riante ; Parmi laquelle on voit soit perdrix ou lapins;


Fig. 49. — Bœuf sauvage. — Serpent noir, mangeur de poulets. Arbre portant delà cire verte. — Plaqueminier. —Morille. — Champignon.


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Bœufs, ours, dindes, chevreuils, et les renards très lins Y subsistent fort bien. On peut, fort à son aise, Y cueillir, si l'on veut, la framboise et la fraise. Dans l’été, l'on ne peut y marcher sûrement, Vu que l’on y pourroit marcher sur un serpent, Surtout celui nommé le serpent à sonnettes. Il est très dangereux, ma foi par sa lancette; Même l’orviétan ne parvient à guérir Celui qui, par malheur, s’en est laissé saisir. Encore, dans ce temps, l’herbe alors en est grande, Aussi les animaux s’y rendent tous par bandes. A la fin de l’automne, on met partout le feu, Qui, comme l’on peut croire, y fait un joli jeu. L’herbe partout brûlée, on voit partout y croître L’ognon et la doucette et, sans se méconnoitre. On ne peut se tromper, vu que tout en est bon, Car sur la terre alors y vient le champignon ; Outre que, dans les bois, sans être fort habile, Sous la feuille pourrie, on y prend la morille. Desur les arbres mêmes, on trouve champignons Excellents à manger, ayant goût de moutons 1 ; Si l’on veut, l’on y prend de très bons capillaires, L’estragon, le cresson, de très bons scorsonères. Les arbres ne sont que noyers et pruniers, Cyprès et acacias, frêniers et pacaniers. Lauriers et cotonniers. Cela vient ensemble Dans ces amples forêts, aussi bien que le tremble. Le Cypre est fort commode à faire des bateaux, Et du tremble on se sert, du premier par défaut. Des pommiers et poiriers viennent sur cette terre; Pour le saule, il y vient le long de la rivière, Dans laquelle on y prend d'excellents bons poissons, La barbue, delà carpe et de beaux esturgeons. L’on y prend, fort souvent, de très belles anguilles, Cela d’un seul crochet, fait de quelques esquilles, Eue espèce de raie et de beaux casseburgots 2 , Des choupiques 3 et grondins et de très bons barbeaux ;

1. Mouton rime mieux avec champignon, mais Le Moscrier a jugé plus exact d’écrire gras-double.

2. Le nom de ce poisson, à la mâchoire bien armée, provenait de ce qu’il se nourrissait de coquillages appelés burgols ou burgaux. Les Mém. Hisl. l'appellent « Le Roi des poissons ».

3. Le Choupique, nommé Mud fish ou Grindle par les Américains, vit dans la vase et n’est guère apprécié que par les nègres.


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Fig. 50. — Casse-Burgots . — Grondin. — Choupique. Poisson armé de trois rangées de dents. — Patasas.


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Même, dedans les lacs, on fait aussi la pêche, Vu que, dans ce pays, personne ne l’empêche : On y prend à la ligne, avec un peu d’appât, Un très joli poisson nommé le patassas 1 . Même dans les fossés, fabriqués dans la terre, On y prend l’écrevisse, et, contre l’ordinaire De celle de la France, est que, sans la bouillir, Elle paraît très rouge et sert à nous nourrir. Dans ce fleuve et les lacs, on voit des crocodiles, Qui sont horribles à voir; ce sont de mauvais drilles; On en voit de très grands. On ne peut les tuer A moins que, dans les yeux, on puisse les blesser; Alors, quand ils le sont, ils se traînent à terre, Où l’on leur donne après leur dernière affaire. Quand ce sont des vieux qui viennent d’être occis, On sent partout le musc, dont vous êtes surpris; Leur corps est cuirassé. Chose très singulière, Pour se multiplier, ils pondent sur la terre, Ou sur quelqu'embarras de bois, des œufs fort grands, Dont la coque en est molle; et le soleil ardent Leur donne la croissance, ainsi qu’à la tortue, Mais le Sauvage croit qu’ils viennent de sa vue. Au bout de quelques jours, ils se trouvent éclos Et, se jetant dans l’eau, dans peu, se trouvent gros, S’ils ne sont pris d’un autre; ils sont même amphibies Et sont carnassiers. Ah ! c’est fait de la vie, Quiconque a le malheur de tomber sous leurs dents, il est mort, je le dis avec de grands tourments; Tu croiras, cher Lecteur, qu’au bord de la rivière, Un bœuf y venant boire, y perdit sa carrière, Car, en vivant sous l’eau, le crocodile lin Le saisit par le mufle et l’entraîna soudain Dans l’empire aquatique. Autour de ces campagnes, On aperçoit au loin des bois et des montagnes, Pleines de minéraux et de riches trésors. Les unes ont de l'argent, et les autres de l’or ; Pour moi, je n’ai rien vu que des morceaux de mines, Que l’on nous a fait voir et paroissoient très fines. Il est vrai cependant que, sans vouloir jurer, Avec un grand travail, on en pourroit trouver; L’Espagnol, au Mexique, y travaille sans cesse. A la mine d’argent a-t-il plus de finesse 1. Sorte de gardon, d’après Le Page du Prats.


l'établissement DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 395 Que nous autres François? Il est mieux établi, Et, par ce moyen là, cet aimable parti Ne doute de rien, au lieu que, de nous mêmes, L’on ne peut travailler, sans un danger extrême. Si le médecin veut, il y peut recueillir L’herbe médicinale ettrès propre à guérir Certaines maladies, et si, dedans la France, On en trouvoit autant, ma foi, la négligence Ne s'y verroil pas tant, comme dans ce pays, Où l’on peut ramasser des plantes de grand prix, Soit de l'impératoire 1 ou de la camomille, Du plantin, de l’esquine 2 et jalap et morille Parmi toutes prairies, et même dans les bois, La racine ou bien l’herbe est propre à mil emplois. Pour faire de la teinture en jaune, en écarlate, En noir même, s’il faut, on prend certaine pâle De racines qu’on lire en de certains cantons; On en trouve aux Natchez, beaucoup dans les vallons. Encore, si l’on veut, de quelqu’arbre on en tire Sans tant de grande peine une très belle cire 3 , Très propre pour cierge et la bougie aussi ; La couleur en est verte, elle est bonne et reluit. Crois moi, mon cher Lecteur, sans nul secours de France, On en peut bien user et même en abondance. Voilà la vérité, mais ce charmant pays Très abondant en tout, ce Second Paradis, Qui donc l’habitoit, avant la Colonie? C’étoient des habitants qui passoient là leur vie A vivre de la chasse et passoient tout leur temps Sans envies, ni chagrins, étant de tout contents. Ors ceux-là qui l’habitent, on les nomme Sauvages; ils ont, dans ces forêts, fait chacun leurs villages, ils ont tous de l’esprit; policés nullement, Une peau de chevreuil leur sert de vêtement. Dans chaque nation, c’est différents langages, C'est différentes mœurs et différents usages.

1. Une variété de cette plante, appelée benjouin français, entrait dans la composition de la thériaque.

2. Cette plante, appartenant au genre Smilax, passait pour sudorifique. Le Père Laval, dans son Voyage en Louisiane, la recommande « pour laver les gencives des scorbotiques ».

3. Le cirier de la Louisiane (Myrica cerifera).


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Dans ces amples forêts, ils y sont dispersés, ils vivent de maïs et des bœufs qu'ils ont tués, Et chaque nation a son chef qui commande. Il a très grand pouvoir, ils font ce qu'il demande ; Aussitôt qu’il ordonne, il lui faut obéir, Quand à tous il faudroit dans ce moment périr. Ils n’ont aucune loi, mais cependant un temple, Dans lequel ils ne vont aucunement ensemble, L’un adore la lune et l’autre le serpent, En un mot ce qu’il veut, selon son jugement. Dans leur temple, pourtant, ils font des sacrifices, Que crois-tu que ce soit? sont, des fruits, les prémices. Ils suivent des Romains, à l’égard de leur Dieu, Ce que ceux-là faisoient en conservant un feu, Un feu perpétuel. Si, par une occurence, il venoit à s’éteindre, on feroit, par avance, Tuer les gardiens, leurs femmes, leurs enfants, Pour remédier par eux au fatal accident. Après quoi l'on irait, bien loin sur cette terre, Aux Tanças 1 déclarer une fatale guerre. Si leur Dieu cependant est réconcilié, ils croient, selon eux, que, par sa charité. Il leur fera trouver, en allant à la guerre, Un feu tel que le leur, provenant du tonnerre. J’écrirai, dans la suite, et la danse et le jeu Qu'ils font, devant le temple, en l'honneur de leur Dieu ; Pour le présent, disons que le chef a pour femmes Autant qu’il en désire, et tout selon sa flamme. Sitôt qu’il a parlé, l’on hurle comme un chien Par trois fois de la voix; c’est en signe du bien Que l’on voudroit pour lui. Tous aiment la fumée : Ils l’avalent beaucoup, la jettent par la gorge. Ce qui peut étonner, parmi ce continent, C’est qu’une même langue est, très certainement, Connue en tout endroit, et, par cet avantage, On peut se faire entendre en tout dans les villages. La pipe ou Calumet est le signe de paix; Quand on donne à fumer, c’est signe, désormais, Qu’au lieu d’être ennemis, vous êtes comme frères; Cependant, sous ce signe, ils nous ont fait la guerre; C’est peut-être les seuls qu'ils ont ainsi trahis. Cependant la méfiance est le meilleur parti,

1. Les Tensas, nos fidèles alliés, étaient les ennemis des Natchez.


• l’établissement DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 397 Car, pour dire en un mot, ils aiment qui leur donne; Ils sont traîtres, voleurs et n’épargnent personne. Ils sont nus par le corps, cachant leur nudité Avec un seul brayet*; leur corps est tout piqué**, Ils sont tout basanés, n’ayant point sur la tête, De même sur le corps, ce que porte la bête — Je veux dire du poil — qu’un seul petit bouquet De cheveux sur la tête, en forme de toupet. Ils n'avoient, autrefois, que la flèche pour armes, Ma foi, pour le présent, les fusils font leurs charmes ; ils y sont fort adroits, manquent fort rarement. Chez eux, la patience est le vrai fondement; Pour attraper aux bois toutes sortes de bêtes, ils portent, pour ce fait, avec eux une tête De chevreuil vidée, endorment l’animal, La posent devant eux, et lui causent du mal. Voilà pour les Sauvages, et, pour les Sauvagesses, Elles ont, à la tête une ou deux grosses tresses De cheveux, qui sont longs et presque toujours noirs Elles ont de l’agrément, se laissant assez voir, Et, pour peu de butin, on peut faire avec elles Ce que, dans notre langue, on nomme bagatelles. Si vous leur donnez gros, vous les aurez trois mois Pour vous servir de femme et d'esclave à la fois. On connoit cependant celle, qui, dans leur âge, Ont, malgré tout cela, gardé leur pucellage : La femme, pour brayet, se ceint d'un alconan ***, Mais la fille, autour d’elle, a, pour tout ornement, Une tresse d’où pend plus ou moins de ficelles, Auxquelles on a mis, pour les rendre plus belles, Des ergots des oiseaux que l’on nomme aiglons. Par le beau cliquetis qu’en marchant, elles font, On diroit, à les voir, des chevaux de carosse Que l’on voit, en été, endossés sur leur bosse, De ces filets pendants que l’on met, pour chasser La mouche qui se met, sur eux, pour les piquer. Elles passent le temps au bien de leur ménage,

* C’est un quart d’aune de drap, avec quoi les hommes cachent leur nudité.

** Piquer la peau, cela se fait avec 5 ou 7 esquilles posées et rangées horizontalement sur un petit bâton. L’on trempe ces esquilles dans une couleur de noir ou de rouge, et on les pique ainsi sur le corps, entre cuir et chair, et cela forme le dessin qu’on y a dessiné, et c’est une marque qui dure autant que la vie.

C’est une espèce de jupon dedrap, descendant jusqu’aux genoux.


Fig. 51. —1. Sauvages avec leurs armes anciennes et nouvelles. 2. Sauvagesse mariée et jeune fille.


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C'est elles qui, toujours, ont soin du labourage. Même parmi les bois, elles vont rechercher Soit bœuf ou bien chevreuil que l’on a pu tuer, Car les chasseurs ayant tué un bœuf en chasse, ils le laissent au lieu comme chose qui lasse, Et ne portent avec eux, de tout cet animal, Que la langue et son arme, appréhendant du mal. En revenant chez lui, pour marque de victoire, Cette langue lui est un rejeton de gloire, Et, parmi ces forêts, pour indiquer l’endroit De l’animal occis, en tâchant d'aller droit, De temps en temps, il casse, au travers du feuillage, Quelques branches de bois, jusquesdans son village. En arrivant chez lui, jette devant les pieds De sa chère moitié, les langues bien liées; Aussitôt cette femme, et tous ses enfants même, Suivent ces bois cassés avecque peine extrême, Vont trouver l’animal sur la terre tué, Rapportant avec eux tout ce qu’ils ont trouvé. Elles ont de la force, et même du génie; Elles filent la laine et font la poterie; Cette laine est le poil du bœuf de ce pays. Elles sèment le blé, c’est celui de maïs, Des fèves, giraumons *. Pour se rendre agréables Leurs visages sont peints, et croient être estimables Quand elles le sont ainsi de notre vermillon, Qui n’est que du cinabre, et le plus riche don. J’ai dit que le Grand Chef, avoit, pour son partage, Tant qu’il vouloitde femmes, et tout pour son ménage; Les autres n’en ont qu’une et demeurent avec eux (sic) Jusqu’au temps que la mort leur ait fermé les yeux. Mais, outre ce Grand Chef, ils ont, dans leurs villages, Des personnes choisies, à qui l’on rend hommage, Ce sont des Grands Soleils ou des Considérés 1 , Qui sont comme officiers; ils sont ainsi nommés, Mais le peuple commun se connait, au contraire, Par le nom de Puant, et c’est, pour.l’ordinaire, Les premiers et le chef qui règlent ce qu’il faut Tant en guerre qu’en paix. Ils n’ont aucun défaut

* Espèce de potiron ou de citrouille. 1. Si l’on ne descendait pas d’une Femme-Soleil, il fallait, pour devenir Considéré chez les Natchez, accomplir une action d’éclat ou, tout simplement, sacrifier un de ses enfants lors de l’enterrement d’un grand chef.


Fig. 52. — Manière d’approcher les animaux sauvages. — Ours. Barbue. — Serpent bariolé de jaune et de rouge.


calumet de éeremante

Fig. 53. — Calumet de cérémonie. — Chichicoua. — Pot ou caisse. — Casse-tête en bois. Crocodile. — Casse-tête à fleur de lis. — Poteau de cérémonie. — Serpenta sonnettes. Sociélé des Américanistes, 1931, 26


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De corps, ni de stature, ayant, pour leur partage, Une très belle hauteur, la force et le courage. Qui veut se distinguer, doit faire une action Digne de renommée, et sur la nation, Qu’ils s’imaginent alors être leur ennemie. Quelle est cette action? C’est de priver de vie Un ou deux de ces gens, tués par trahison. Levant la chevelure et sans compensation. Les vaches, les chevaux, leur donnent matière De cette renommée, étant tués en guerre. Lorsqu’ils prennent vivants un ou deux prisonniers, ils les mènent chez eux en triomphe, mains liées ; Etant près d’arriver en leur propre village, On députe un courrier qui, par certain langage, Avant que d’arriver, apprend aux habitants Qu’ils sont victorieux, avec eux amenant Ceux qu’ils ont ainsi pris. Alors, de ce village, Hommes, femmes, enfants, instruits de ce carnage, Par des cris redoutables, félicitent leurs gens D’un fait si glorieux, qui les rend conquérants. Les pauvres prisonniers sont conduits vers le temple La baguette à la main : le chef alors assemble Tous les Considérés, qui, joyeux de leur proie, Marquent leur vrai plaisir par l’accent de leur voix. Après qu’on a fumé, l’on juge de la vie De tous les détenus; alors, avec furie, On les condamne à mort; aussitôt on les prend, On les mène, on les traîne au beau milieu d’un champ Un chrétien ne peut voir nullement de sa vue Cette course si triste, et là, sur leur chair nue, On les tire à brûler, en les traitant ainsi A poudre seulement, plusieurs coups de fusil. Arrivés à l’endroit, avec des cris, outrages, On les attache au cadre, on leur brûle avec rage Tantôt les pieds, les bras, mais bien tout doucement, Et tantôt vers le corps; cela, tout en jurant. Ors, si ces malheureux alloient verser des larmes, Parmi ces nations, cette faute a des charmes ; ils les tourmentent fort, bien plus qu'auparavant. Mais, enfin étant morts, ils disent franchement Que celui qui, sans pleurs, a fini sa carrière, Est un véritable homme, et que l’autre, au contraire N’est qu’une faible femme. Enfin, c’est le tourment Qu’ils font subir', chez eux, à ceux qui, combattant, Se sont laissés saisir. On voit même des femmes


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Fig. 54. —-.Manière de brûler les esclaves à petit feu.

Sauvage avec ses anciennes armes.


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Qui, dans un pareil cas, montrent leur valeur d’âme, Souffrant parfaitement toute l’ardeur du feu, Sans pousser un soupir, et prenant, comme un jeu, De se voir, lentement, grillées de la manière, Faisant à leurs bourreaux, trop instruits à mal faire, Mil imprécations; cela, pour leur donner Plus de fureur encore à les faire brûler. Par hasard, quelquefois, en de telle occurence, il se voit que celui, qui se croit par avance Condamné pour brûler, se voyant attaché Les deux bras à son cadre, il se trouve sauvé. Or, sache, mon Lecteur, que cela se peut faire; Pour te tirer de peine, en voici la manière : En attendant du chef le seul commandement, S’il paroit qu’une femme, avec quelques présents, Vient jeter du butin devant cette assemblée, On détache l’esclave, et, par grande huée, On nettoye son corps qui, pour lors, est tout noir; On le frotte, on le tourne, à tous on le fait voir, Après quoi, l’on le donne à celle dont l'envie Le sauva du trépas, en lui donnant la vie. Il devient son esclave et, pour remerciement De l’avoir sauvé du feu et du tourment, il travaille pour elle, et, de cette manière, il doit tâcher du moins à la bien satisfaire. Si par malheur pourtant elle vient à mourir Devant lui quelque jour, avec elle faut partir, Sans se faire prier. -Revenons aux Sauvages : Parlant en général, disons leurs avantages, Sans blesser nullement la pauvre vérité, Et écrivons de suite, avec toute équité, Leurs véritables mœurs. Ils n’ont nulle science Que celle de nature et nulle conscience ; ils sont tous scélérats avec intégrité, Quoique justes pourtant, et tous sans équité. Quelques Considérés ou autres du village, Voulant aller en chasse, ou bien faire un voyage, Laissent à la maison leurs femmes et enfants ; Après un bon régal, ils parlent, cependant Emmenant avec eux un second Ganymède, Qui leur sert, pour l’amour, de frein ou de remède; Des femmes, pour leur chef il est considéré , Et porte un alconan en celte qualité. Il a même le droit, quand vient la pleine lune, D’aller voir une femme, ou la blonde ou la brune,


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 405 De lui compter fleurette au lieu de son époux, Pour lui rendre, du moins, le cœur non moins jaloux. Dans le temps de récolte, étant dans l’abondance, ils se réjouissent tous en festins, et en danses, Non pas dans des maisons, comme l'on fait chez nous, Car c’est devant leur temple. Ils se ramassent tous Les femmes, les vieillards, presque tout le village, Pour goûter, en ce temps, de ce bel avantage. Ils n'ont, pour instrument, basse, ni violon, Qu’un pot, couvert de peau, qui bat comme un chaudron, Et des chichicouhas *, qui sont de conséquence Et, par force de bras, répètent la cadence Des tons que fait celui qui bat de sur le pot; La symphonie est belle, agréable en un mot. Selon ces nations, pendant cette musique, Les femmes, les enfants, assis autour du cirque, Répètent parleurs voix les accents et les tons. Qui composent chez eux leurs airs et leurs chansons, Avec justesse en tout ; d'autres entrent en danse. Vis-à-vis du beau pot, on impose silence, Lorsque l'on voit venir quelqu’un vers un poteau**. Planté vis-à-vis d'eux. Alors, de son cerveau, il dit ce qu’il a fait tant aux champs qu’à la guerre, Mais, après sa harangue, il lui faut, sans mystère, Jeter quelque butin, et, pour remerciement, On lui dit des Hom, Hom 1 , répétés galamment. Ors ce poteau, planté tout droit dedans la terre, Renferme, en son symbole, un très puissant mystère : C'est l’âme de leur Dieu, surlequel est posé Le fameux calumet ; il est là respecté. Ils ont encore chez eux des chefs de médecine, Qui, pour médicaments, se servent de racines. Pourguérir le malade, et, pour tirer du sang, Soit au bras, à la jambe, au corps, ou bien au flanc, ils ne se servent pas comme nous de lancette, Pour venir à ce but, ils ont, pour celte emplette, Quelque pierre à fusil taillée finement, * Petite calebasse vidée, dans laquelle il y a plusieurs cailloux. C'est véritablement un poteau de là à 7 pieds de haut, soit rond ou carré, que l’on plante en terre au milieu de l’assemblée, soit en plein champ, soit dans la place, et où l’on y attache le calumet. 1 . « Hom » signifiait Bon en langue natchez. • O o


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Et, par coups de poignets, incisent largement La peau desur le corps, toujours en lignes droites, Ce qui forme par là quelques raies forts étroites ; Ensuite, avec la bouche, ils tâchent de tirer Du sang de leur malade, à force de sucer; ils ne l'avaient point, le recrachent par terre. L’herbe leur sert aussi de remède ordinaire, Mais si, dans un combat ou par un accident, Un bras seroit cassé, l’on est assurément Certain qu’ils ne pourront le remettre en sa place. Ors il faut, en ce cas, sans aucune grimace, Se laisser achever pour augmenter les morts ; Tels sont, des estropiés, le destin et le sort. Dans chaque nation, on se sert de magie ; Qui se mêle de l’art, pendant toute sa vie Est estimé de tous. On les nomment jongleurs ; Quand ils veulent agir, ils entrent en fureur Comme nous l’a montré le célèbre Virgile, 'En mettant dans ses vers la célèbre Sibylle. Ors ce métier là, c’est l’art de deviner; ils le font assez bien et même sans manquer. Bien plus, lorsqu’en été les chaleurs excessives Tarissent les ruisseaux et les fontaines vives, Alors on a recours à ces Messieurs Jongleurs Qui, par leur bel esprit, remédient aux malheurs. Ne crois pas que je mens, c'est toute la franchise Que je mets par écrit; vois quelle est ta surprise : Au fort des Yachoux — c’est l’habitation De l’illustre Belle-Isle — un jour, avec raison, Celui qui commandoit *, voyant la sécheresse Qui ravageoit les biens, tout rempli de tristesse, Fit commander au chef de venir lui parler. Lorsqu’il fut arrivé : « Pourrais-tu me donner, Dit-il, de beau demain » ? On lui donne chemises, Fusils, du vermillon, quelqu’autres marchandises; Il promet, il le fait. Le lendemain matin Les eaux tombent du ciel, couronnant son dessein. Je n’en finirois pas si je voulois décrire

* C’étoit le Sieur de Grave qui commandoit alors, aux Yazoux, la concession de Monseigneur le maréchal de Belle-Isle. En bon chrétien, le capitaine avait commencé par demander à l’aumônier du poste, le Père Juif, d’ordonner des prières ; seulement, comme malgré « un jeûne général et la prière de quarante heures », la pluie ne tombait toujours pas, Grave s’adressa alors à un jongleur.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 407 Des faits presque pareils ; on en pourroit médire, Mais c’est la vérité, je puis bien en jurer, J’ai vu même la chose et je puis l’assurer. Depuis que les François sont parmi les Sauvages, S’ils les eussent laissés faire selon l’usage, Nous n’aurions pas, peut être, eu dans ce pays Pour nous détruire tous de si cruels amis. Je parle des Natchez, car c’étoit leur coutume Que quand un chef mouroit d’accident ou de rhume, Ses femmes, ses Loués 1, tous partoient avec lui Pour aller le servir en cette obscure nuit. Ils croient tout de bon qu’ils vont dans une terre Pleine d’excellents bœufs, qu’on fait mieux son affaire Étant arrivé là ; c’est pourquoi ses amis, Et plus de quatre-cents partoient pour ce pays, Mais les François, trop bons, ont desur cette affaire Empêché ce massacre, et, pour un tel mystère A la mort de leur chef, que je vis enterrer 2 , Cinquante-trois au plus qui se firent tuer. Ors la chose est ainsi ; sitôt que la lumière De ses yeux est finie, on le met d’ordinaire Sur un lit, revêtu de ses plus beaux habits; Viennent le visiter, frères, parents, amis ; Ils'lui portent toujours, avec la même grâce, Des vivres, du tabac, comme il étoilen place. Cela dure neufjours, et, pendant tout ce temps, Ses femmes, ses Loués, ses amis, leurs enfants, Se divertissent tous avec grande allégresse, Ne montrant nullement leur chagrin, leur tristesse. Dans le temple, on prépare une fosse en carré Pour mettre tous ces gens qui vont être égorgés. Le jour arrive enfin ; cette cérémonie Commence au point du jour ; ils vont quitter la vie, Et, pour ce bel effet, ils disent leurs adieux Aux quatre coins du monde, allant voir leurs ayeux. Enfin, l'on prend le chef, posé sur un trophée, On marche non tout droit 3 ; partout c’est grande huée. On danse cependant en conduisant le mort,

1. Selon les Mémoires Historiques, le Loué était un Considéré « qui allume la pipe du grand Chef et qui le suit partout. Il assiste aux conseils où il recueille les voix. C'est lui aussi qui prend la parole pour le grand Chef .

2. Le Serpent-Piqué, mort le premier juin 1725.

3. Le cortège marchait en décrivant des boucles et des spirales.


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On jette des enfants vivants devant le corps, Comme dignes victimes offertes pour les mânes De tous ces pauvres gens qui vont comme des ânes, Qu’on mène à la voirie. Ainsi, toujours marchant, ils écrasent bientôt ces petits innocents ; Quiconque fait cela est reconnu ensuite De Puant qu'il éloit pour homme de mérite. Cependant le corps marche, en tournoyant toujours, Et n’arrive au tombeau qu’après plusieurs détours. A côté de la fosse, on le pose par terre ; Tous les gens destinés à ce sacré mystère S’assoient tous de rang. Alors les alexis, Qui sont les médecins, viennent, de leur avis Leur faire un compliment; ensuite trois boulettes Sont données à chacun, c'est eux qui les ont faites ; Ce n’est que du tabac, mis avec du poison, Afin qu’en l’avalant, ils perdent la raison. Aussitôt avalées, on met, desur leurs têtes, Une peau de chevreuil, ou bien d’une autre bête Dont le poil est oté. Leurs plus fidèles amis, Soit père, ou bien la mère, ou bien même leurs fds, Leur passent dans le col une corde assez grosse ; Alors ces protecteurs, autour de celte fosse, Tirent des deux cotés ; partout, c’est hurlement Que tout le peuple fait, en ce fatal moment, Pour empêcher d’ouïr et les cris et les plaintes Que peuvent faire alors, tous ceux qui, par contrainte, Perdent ainsi le jour. Enfin, cela fini, On met dedans la fosse et vivres et fusils, Tabac avec son chien, et même la chaudière, Un briquet, de la poudre, afin que la lumière Ne puisse lui manquer dans ce pays lointain. La moitié des morts est arrangée soudain, Sur laquelle l’on met le chef avec ses femmes, Les Loués sont dessus. Ainsi toutes ces âmes Accompagnent le chef à ce pays des morts ; De ses pauvres sujets, voila le triste sort. Quand donc le chef est mort, ce n'est pas comme en France Car celui qui succède et qui prend la puissance, N’est pas de ce défunt ni un fils, ni parent, ils ne sont que, pour lors, au nombre des Puants. Or il faut donc savoir que tout vient d’une femme 1,

1. La Femme-Soleil.


Qui, de la nation, est regardée pour l’âme; Elle est plus qu’aucun chef, c’est d’elle que l’enfant Est reconnu de tous pour le vrai chef régnant, Et son propre mari, pour son bel apanage, Est le dernier du peuple, et, pour son avantage, Cette femme venant par malheur à mourir, il doit l’accompagner et, par bon droit, périr. A l'égard des Puants, pour lors quittant la vie, L’un à l'autre survit, à moins que, par envie, ils ne veulent aller ensemble avec plaisir, Dans ce pays heureux, il faut se faire occir. Aux autres nations, ce n'est pas tout de même, Car, quand un chef est mort, quoique grand et suprême, On le plaint, ou le pleure un, deux, ou quatre mois Par des grands hurlements que l'on fait dans les bois ; Ce sont tous ses parents qui font ce grand mystère. Au bout de quatre jours on le pose dans terre, il est vrai que l’on met avec lui son butin. Mais d’autres nations ont un autre dessein. On ne l’enterre pas, on le met en bière, Laquelle est mastiquée et de poix et de terre ; A coté de laquelle, on y met ses fusils ; Alors tous ses parents et ses meilleurs amis S’étant tous assemblés, après harangue faite, Viennent tous le poser, tenant une allumette, Sur quatre bois plantés, vis-à-vis la maison, Que l’on nomme au pays de ce nom d’antichon ; Aussitôt, à la fois, ils jettent l’allumette Qui signifie alors que l’affaire est complète. Pendant plus de six mois, on va, pendant la nuit, Autour de son tombeau faire un charivari. S'il faudroit expliquer les différents usages Que font dans ce pays les nations sauvages Au sujet de la mort, je n’en pourrais finir. Pour preuve de cela, sans en vouloir mentir, C'est, qu'au bout d'une année, ils ôtent de la bière Chez les Paskagoulas *, avec un grand mystère, Le corps du défunt chef, et le lèvent tout droit Au milieu de leur temple ; ils lui offrent de quoi, Des vivres, du tabac et des fruits les prémices, De même qu’à leurs dieux, pour leur être propices ; Donc, autres nations font selon leurs désirs. Pascagoulas, nations sauvages, vers le Vieux-Biloxi ; ils sont de nos amis.


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Revenons maintenant à la danse, aux plaisirs : Vers la fin de juillet, mois près de l’abondance, ils faisoient, aux Natchez, une foire, une danse ; Il faut te l’expliquer, cher Ami, cher Lecteur, On l’appelle, en françois, la Tonne de valeur. Au temps de la moisson, chacun met dans la tonne Une manne de blé que la saison leur donne. Une lieue du village, elle est mise à l'écart Pour l’éloigner du feu, chacun en a sa part. Vers la fin de l’été, c’est alors que la fête Se fait avec plaisir. A l’endroit, l’on apprête Ce qu’il faut pour cela ; les chemins sont battus, On n’y trouveroit point ni branches, ni fétus Quand le jour est venu de la cérémonie. Ce jour leur paroit le plus beau de leur vie; Alors on met le chef sur un lit en brancard, On ne le porte pas ; les femmes sont à part, Les hommes sont rangés tous sur une colonne De trois, quatre d'hauteur ; alors ils se le donnent Les uns de mains en mains, comme au du... ?... 1 , Passant par dessus eux. Partout ce n'est que cris; Les fusils sont tirés de distance en distance En signe de salut et de réjouissance. Si, par un accident, le chef alloit tomber On verroit un beau jeu devant que d’arriver, Car il en coûteroit à plus de cent la vie ; Cela n’arrive pas, car ils ontdu génie. Enfin le chef arrive en ce lieu préparé Où là sont des maisons et son trône paré De toile et de feuillage et de fleurs tout ensemble; Les Dieux, même les Dieux, sont apportés du temple. Le chef étant assis, on lui fait compliment Par une belle harangue, et lui, toujours fumant; Alors tous les Loués apportent en cadence Tout ce qu’ils on fait cuire, et tout, en abondance, Est posé devant lui, blé cuit, sagamité. Des pains cuits sous la cendre, aussi du blé groslé *, Du bœuf et du chevreuil, différentes viandes, De l’ours et des poissons, arrangés tous, par bandes, Sur une longue branche, et cuits et boucanés, 1. La lecture de ces deux mots, soulignés dans le manuscrit, semble être da sequestoy ? * C’est du bled de Turquie, grillé dans la cendre chaude avec un peu de feu. On fait, avec cela, de la farine groslée.


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Qui prennent, sans mentir, ma foi, plutôt au nez Que, Grands Dieux ! à la bouche; aussi du crocodile Qu’ils ont fort bien rôti au feu sans aucun gril; Tout cela dans des plats ou de terre ou de bois ; Enfin, ce beau repas est là tout à la fois. Il choisit ce qu’il veut et ne prend pas le pire, Je puis te l’assurer sans crainte de mal dire ; Le reste, on le délivre aux gens qui sont rangés A bâbord, à tribord, enfin de tous cotés. Après que le repas est fini, on commence A frapper sur le pot, les uns entrant en danse, Les autres, au contraire, étant assis en rang, Content ce qu’ils ont fait à leurs amis, parents, Mais les Considérés sont à fumer la pipe A l’entour de leur chef. On fait voir une nippe Qui doit être le prix d’un agréable jeu, Un jeu qui conviendroit dans le temps où le feu Sert à nous réchauffer, enfin c’est une boule, Toute pleine de son, qu’alors le Grand Chef roule. Ils sont en deux partis, mais celui qui la prend Tâche de l’apporter au but où l’on l’attend ; L’autre parti, pour lors, empêche cette affaire, L’attrapant, la rejette à l'autre but contraire ; C’est à dire, en deux mots, que de ces deux partis Qui se jettent l’un l’autre en disputant le prix, Se trouvent au milieu de cette carrière, Et chacun a marqué quelque butte de terre Où cette boule enfin y doit aller frapper. Celui qui, la jetant, l’attrape doit gagner. Pour venir à ce point, que déchûtes par terre ! Que de furieux coups reçoit chaque adversaire ! A la fin, cependant, quelqu’un en est vainqueur, On lui donne le prix, il en a tout l’honneur. Ce jeu là, on le fait au pays de Bretagne Parmi les habitants des champs, de la campagne, On le nomme la soûle 1 , et, c’est un vrai plaisir De les voir tous après ; il ne font que courir En se la disputant. Quiconque à l’avantage De pouvoir la porter dans son propre village, ils croient, comme foi, que la moisson pour eux

1. D’après les anciens auteurs, les Bretons, surtout ceux du Morbihan, apportaient à ce jeu une ardeur peut-être encore plus grande que les Sauvages. Bien souvent des joueurs étaient tués, et les autorités durent interdire la seule dans beaucoup de paroisses.


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Sera très abondante, et comblera leurs vœux. Les Natchezont encore un jeu d’autre manière, Tant pour passer le temps que pour se satisfaire, Car chacun à sa boule au lieu d’un cochonnet. C’est un très long bâton ; sur un terrain bien net, ils jettent avec ardeur chacun leur ronde boule, J’entends tous à la fois, et, pendant qu'elle roule, ils lancent leur bâton, qui, sitôt arreté, Montre à tous les joueurs celui qui peut marquer Un point desur les siens, et ce, parla manière Qu’elle s’est arrêtée. Or donc, pour cette affaire, Lorsque cette balle est trouvée au bon bout, Celui qui l’a jetée gagne sur eux le coup 1 . Revenons à la danse ; on passe la journée Ainsi que je l’ai dis. Après vient la nuitée ; On ne se couche pas et le divertissement Devient plus grand alors, car, pour passer le temps, On va, comme en renard, enlever quelques belles, Qui, pour lors, ne sont ni fières, ni cruelles. Après que l’on en a, on fait, sur le gazon, Ce qui fait du plaisir, ce que dit la chanson. Après quoi, l’on lui donne un peu de marchandise Pour lui payer du moins la fin de l’entreprise. Cependant, vers le chef, on harangue au poteau, Comme je l’ai déjà dit quelques vers plus haut, Et comme c’est la nuit et tout dans le silence, On allume des feux de distance en distance, Qui sont des gros paquets attachés par un bout; Ors ils sont faits-de cannes, éclairant tout partout. Cela n’empêche pas de fermer la paupière ; On se jette sur l’herbe attendant, la lumière Du soleil qui nous vient tous les jours au matin. Tant que la Tonne dure, on fait le même train ; Après quoi, le Grand Chef s’en retourne au village, Non comme il est venu, mais bien selon l’usage De marcher sur les pieds. Enfin ces nations, Quoique nommées sauvages, ont assez de raison, Mais, par un grand malheur, aucune politesse. Ils sont heureux chez eux sans beaucoup de richesse; ils aiment cependant à traiter avec nous, Soit limbourgou fusils, vermillon ou des clous, Haches à munitions, des couteaux, des chemises, 1. Les Mémoires Historiques appellent ce divertissement le jeu de la Crosse.


L'ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 413 Miroirs, de larassade*et autres marchandises. En un mot, tout leur plait, et, pour eux, tout est bon ; Car méfiez-vous d'eux, ils sont de vrais fripons. Ce n’est pas tout encore, ah ! leur plus grande envie Est de pouvoir traiter [surtout] de l’eau-de-vie, Qui, par sa qualité, leur fait faire beau jeu, Et, selon leur langage, on la nomme eau-de-feu. Quand on a commencé d’y poser colonie, Ces gens là nous servoient, sans nulle jalousie, A cultiver la terre, à nous traiter du pain ; Nous étions leurs amis pour un peu de butin. Grand Dieu ! pour le présent, ce n’est pas tout de même, ils sont nos ennemis ; une haine extrême, Qui s’est emparée d’eux, à causé devers nous La perte d’un beau poste, et la fureur des coups Rejaillit aujourd'hui sur cette aimable terre Où l’on ne voit partout que meurtres et colère. Cependant, il est vrai, qu’un nombre fort petit De quelques nations nous traite comme amis, Que, pour quelque butin, il va, pour nous, en chasse, Et, à ce métier, nullement ne se lasse. Il nous fait encor plus, il nous traite du blé, De l’huile dans des fans**, le tout avec bon gré ; Pour le butin qu'on donne, il donne, en représaille, Soit du bœuf ou chevreuil, ou bien de la volaille, Du gibier encore ou bien des peaux passées, D'autres avec leur poil. Enfin, c'est dire assez Que le commerce est bon ; tout vient en abondance, Dans ce pays lointain, ainsi que dans la France, Devant que de finir touchant ces nations, il faut mettre en écrit, comme, ensemble, ils se font La guerre l’une à l’autre; elle est très singulière. Après avoir choisi, comme c’est l’ordinaire, Les plus forts parmi tous, ils s’en vont bien munis De haches, casse-têtes et de poudre et fusils ; Quand ils sont arrivés à l'endroit qu’ils désirent, ils se cachent très bien, sans qu’aucun d’eux ne tire, Attendant leur fortune ou bien quelque parti, Qui, venant à passer, est alors l’ennemi ;

* Grains de verre percés comme grains de chapelets. Il y en a de toute sorte de façons et couleurs. Les hommes et les femmes sauvages estiment très fort cela.

** Peau de chevreuil ou d’un autre animal cousue très finement ; cela sert de pot. — L’huile dont il est question était de la graisse d’ours.


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Ils se ruent aussitôt, lèvent sa chevelure. Après ce bel exploit, jettent sur la verdure Plusieurs morceaux de bois, long d'un pied et demi, Sur lequel est gravé que c'est un tel parti De telle nation, qui déclare la guerre. Ce n’est pas par écrit; par la seule manière Dont ces bois sont gravés, ils connaissent le lieu Du Sauvage ennemi, par l'image du Dieu Qui se trouve gravée. S’ils ne trouvent personne Pour pouvoir faire ainsi, que cela ne t’étonne ; Comme ils sont patients, ils seront des huit jours Sans boire, ni manger, qu'ils n’aient fini leur tour. Ils tournent, autour d’eux, une grosse ceinture, Se serrant fort le ventre, et, par cette torture, ils disent que cela leur empêche d’avoir faim ; Ils se la lâchent un peu tous les jours au matin. Quand, avec cette peine, ils n’ont nul avantage, Avant que de quitter l’endroit de ce village, Pour que les habitants sachent qu’ils sont venus A cette occasion, et qu’ils soient d’eux connus, ils gravent avec fer sur l’arbre et son écorce Le Dieu de leur village, et, fendent avec force, Un bois par le milieu. Il est noir d’un côté. Et de l’autre il est rouge; ainsi cela fait voir Qu'avec ces habitants, ils déclarent la guerre, Qu’ils viendront beaucoup plus armés desur leurs terres. Mil sept-cent-vingt-et-un 1 , ils nous firent ce coup; C’étoient des Chicachas. Au fort des Yachoux, C’est à la Pentecôte, il étoit près d’une heure Après minuit passé, un homme en sa demeure* Dans son lit reposait et sa femme avec lui, Son garçon dans le sien; entre, pendant la nuit, Comme de futés renards, un parti de Sauvages. Au bruit, l’homme s’éveille et dit, selon l’usage, Par trois fois : Qui va là? personne ne répond ; Alors il se saisit d’une arme avec raison, Mais, voulant s’en servir, par plusieurs fois elle rate ; Ce fut là son malheur, car cette troupe ingrate Se jette desur lui, l’arrache de son lit, Lui donne plusieurs coups, le traite en ennemi, 1. En 1722. * C’étoit un sergent nommé Riter. — Il survécut malgré ses blessures, et fut admis aux Invalides.


Fig. 55. — 1. Fort des Yazous. — 2. Cabane du sergent Riter.


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Lui plonge dans le dos un coup de casse-tête*, Mais cette nation, quoique sauvage et bête, Se saisit de sa femme et la donne entre deux Pour la garder dehors, et l'emmener chez eux En qualité d’esclave. Après cette aventure, A cet homme l’on prend sa belle chevelure. Son garçon, éveillé, se lève doucement Et sort de la maison, à chaque pas criant; Comme il couroit au fort, une flèche ennemie L’attrape ; il tombe à terre. Alors, avec furie, Quelques uns du parti tombent sur cet enfant, Lèvent sa chevelure et coupe en même temps De la peau du gosier; l’enfant nullement crie, Ce qui fut un bonheur qui lui sauva la vie ; Le Sauvage ayant fait, croyant qu’il étoit mort, Revient à la maison; mais, vois quel est le sort De celle qu’on retient, vois quel est son courage : Ne doutant nullement que, parmi ce carnage, Son mari, son garçon ne fussent égorgés, Devant que de sortir d’auprès de ses côtés, Elle avoit eu l’esprit de s’armer de manière Qu’à la lin elle fut courageuse et guerrière. Car, pendant ce tumulte, elle étoit entre deux Qui la gardoient dehors ; son bras victorieux Armé d’un grand couteau, se plonge dans le ventre D’un des gardiens, qui ne put s’en défendre; A peine est-il entré, que, le tirant soudain, Le décharge sur l’autre. Heureux si son dessein Eut, par ce second coup, réussi comme à l’autre, Le premier fut tué, mais le second apôtre, Blessé que légèrement, appelle à son secours, On vient et, par vengeance, on mit lin aux beaux jours De cette illustre femme. A ce bruit, au tumulte, On sort du poste, armés pour venger cette insulte. On trouve le garçon que deux hommes soudain Amènent droit au fort, mais quelle est la surprise Lors qu’avec la lumière, un homme sans chemise, Tout baigné dans son sang, est vu sans ses cheveux. Un tel état peut-il s’offrir devant les yeux! A quelques pas de là, on voit, desurla terre, Une femme égorgée, un corps de l’adversaire A côté l'un de l'autre, et l'on voit cependant * C’est une petite hache portative ou une bayonnette dont le manche est ren versé de telle sorte qu’il y puisse entrer un manche de bois.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 417 La tête de la femme, et l’autre nullement, Vu que, devant partir, ils ont coupé la tête, Afin que, desur eux, on n’ait point la conquête D’avoir sa chevelure. On voit que le butin De ces trois pauvres gens est enlevé soudain ; On voit que c’est le Chis qui nous déclare guerre. Cherchant de tous côtés, on aperçoit d’abord Que l’homme tout criblé, se remue, n’est pas mort. On l’enlève aussitôt, mais ce n’est pas sans peine, Attendu son état, qu’au fort, on le ramène. Cependant nos soldats parachèvent la route Tous remplis de fureur, espérant que, sans doute, ils vainqueront le Chis, qui s’étoit, dans les bois, Sauvé toutau plus vite, après ses beaux exploits. Deux heures de chemin au travers des épines Qui viennent à la plante appelée de l'esquine; Au travers ces forêts, en cherchant ce parti, Notre détachement fut tout d’un coup surpris, Non pas de l’ennemi, mais d’un très grand orage Qui le traversa tous. Par ce désavantage, ils furent obligés de revenir au fort, Qui n’avoit nullement essuyé cet effort. Ainsi l’on peut juger qu’avec beaucoup de peine Et beaucoup d’embarras et de perte d’haleine Il ne servit de rien ; on ne put cependant En attraper aucun 1 ; mais, après quelque temps, La même nation vint, suivant l’ordinaire, Donner le calumet; par là, finit la guerre. Avant que de finir, parlons auparavant De leurs divinités, disons leurs sentiments. Selon tous leurs discours, c’est un Esprit suprême Qui ne peut faire mal, étant la bonté même ; Qu’ainsi, puisqu'il est bon, pourquoi donc le prier? Qu’il n’est pas nécessaire aussi de l’invoquer, Mais, qu’il faut bien plutôt adresser sa prière A celui, selon eux, qui fait tout le contraire, C’est à dire le mal, et que, par conséquent, C’est lui qu’il faut prier ; qu’en faisant autrement, On l’irrite si fort,’qu’alors toute la vie 1. D’après les Mémoires Historiques, un Illinois se lança à la poursuite des Chic- kachas et revint bientôt avec trois chevelures, dont celle du Sauvage qui avait été blessé par la femme de Riter, mais Dumont, dans son poème, ne parle pas de cet exploit, évidemment imaginaire. Société des Américanistes, 1931. 27


418 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Ne seroit que malheur, sujette à maladie; Par là, l'on peut juger de leur aveuglement. Que le Dieu de chez eux, soit soleil ou serpent, Ou d’une autre façon, est, par cette figure, Le tyran de son âme, ennemi dénaturé, Le démon très cruel, qui, par sa trahison, S’est emparé, chez eux, de leur corps et raison. L’on a beau leur prêcher la vérité suprême ils sont sourds aux discours. Quand le vrai Dieu lui-même Descendroit sur la terre, ah! je puis assurer Qu’ils ne le croiroient pas; que, pour les persuader, il faudroit, pour cela qu’il fît un grand miracle. Encore, s’il le faisoit, ce seroit un obstacle, ils diroient simplement, considérant ceci : « Ah ! qu’il est grand cet homme, il a beaucoup d’esprit ». Cependant, il est vrai, que dans un seul village, Parmi ces nations, un seul homme sauvage — C’étoit même un Grand Chef— a reconnu la loi Que nous professons tous. Pour couronner sa foi, Après l’avoir instruit, il reçut le baptême Des mains d’un digne prêtre*, et ce Grand Chef lui-même Convertit, dans la suite, et sa femme et son fils. Voilà le seul enfin qui prit le bon parti, Mais il ne put pourtant attirer son village Qui, toujours entêté de ses anciens usages, Est, malgré cet exemple, dedans l'aveuglement. Toutes ces nations ont même sentiment, Mais quand je dis le tout, c’est celles du Mexique Où plus de douze-cents qui sont dans l’Amérique. Quoiqu’à dire le vrai, on soit comme assuré Que, par le bon exemple et le salut prêché, On voit quelques cantons qui sont, avec franchise, Revenus de l’erreur au giron de l’église. Loin de cinq-cents lieues de l’établissement, Est le poste Illinois; crois le certainement, Que, dans cet endroit là, l’on sème, comme en France, De très excellent blé, de l’orge en abondance, Et que c’est aussi là qu'on dit que les trésors Sont dans tous les rochers, les lacs pleins de castors. Autrefois, dans l’endroit, ce n’étoit qu’un village, Tout rempli d’hérésie et fumant de carnage; Leurs yeux se sont ouverts aux prédications * Le Sieur Davion, missionnaire. — Le chef indien qui se convertit était celui de Tonicas.


De ces gens généreux qui, parleurs actions, Sacrifient leur repos et quelquefois leur vie A prêcher l’Evangile, ayant, pour toute envie, D’attirer au Seigneur les esprits égarés, Qui sont, ainsi que nous, dans l'abîme tombés. Enfin, ils ont tant fait qu’après mil et mil peines, Ayant souffert beaucoup ou la mort, ou les chaînes, Ils les ont convertis; les Sauvages du lieu Espèrent, comme nous, les promesses de Dieu. Depuis ce changement, les François, les Sauvages, Ne se regardent qu’un, et, parles mariages Qu’ils contractent entre eux, se trouvent très unis Par ses sacrés liens ét ses cœurs et esprits. Mais cette nation, qui, par le mariage, S’est jointe à nos François, n’en a pas le courage, Car c’est celle-là même, à la guerre des Chis, Qui laissa d’Artaguelte aux mains des ennemis. Du côté de Québec, on en voit encore d’autres Qui suivent notre loi publique des Apôtres, Mais, enfin, c’est assez de dire qu'ils sont peu Qui connaissent, de foi, les attributs de Dieu. Parmi ces nations, l’excessive licence Leur fait faire le tout avec grande arrogance. Quand il s'agit pour lors de meurtre, de combat, Ce ne sont que bourreaux, mais Lecteur ne crois pas Qu’ils soient carnassiers de notre chair humaine; Ce sont des contes faits, la fable en est certaine ; il est vrai cependant qu’étant dans la fureur De brûler un esclave, ils arrachent son cœur, Coupent quelques morceaux de sa chair rôtie, Et, possédés qu'ils sont de rage, de furie Contre la nation, alors, sans sentiments, ils l’avaient soudain, la croquant dans les dents. C’est pour ce seul sujet qu'ils sont anthropophages Et ne le sont, grand Dieu ! qu’en temps de tel carnage. Après avoir parlé des Sauvages, disons Ce que sont nos François qui sont dans ces cantons. Ors il faut distinguer ceux qui sont dans la ville, De ceux qui n’y sont pas ; la chose est très facile A pouvoir deviner pourquoi je dis cela : L’un a tout le bon temps et l’autre ne l’a pas. Ors, dans la capitale, on se vend l’un à l’autre, L’un est marchand devin, l’un, comme un bon apôtre,


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Se retire chez lui, vivant seul de son bien ; On se voit fort souvent en de bel entretien. L’autre donne à manger, l’autre vend l’eau-de-vie; Presque l’esprit de tous est plein de jalousie; Chacun voudroit gagner, tout le monde est marchand, Officiers, soldats, conseillers, habitants, Et, pour bien l’expliquer, sans être fanatique, C’est qu’on se sert partout du bel art politique. Le pauvre est opprimé, l’on peut plaindre son sort, Attendu que le riche est toujours le plus fort, Et, malgré tout le droit, dans l’Hôtel de Justice, On trouve que le juge a reçu des épices. Qu’un ouvrier d’esprit dispute bien ses droits, il est ivre, il est fol et mutin à la fois. Après le jugement, quoique non équitable, On ne peut rappeler; injuste ou favorable, il faut passer par là, car, comment rappeler En France au criminel? Il faudroit bien payer L’allée et le retour pour une grosse somme, Ce qui retient vraiment la bourse de chaque homme. Avec un peu d’amis, on peut venir à bout, De gagner sur autrui l'habit et le surtout. Ne crois pas, cher Lecteur, que ce soit médisance ; Cela n'est que trop vrai, j’en ai l’expérience, Et je ne voudrais pas mettre rien par écrit Si je ne l’avais vu; crois donc ce que je dis. A quel prix que ce soit, rien ne devient contraire A ceux qui payent bien; une petite affaire En un ou deux conseils, avec de bons amis, Est bientôt terminée au cercle de Thémis. Le gouverneur du Roy est le Sieur de Bienville, C’est le Roy du pays, c’est le chef de la ville ; Chacun tâche à l’envie de lui faire la cour, il ne sait ce que c’est qu’amitié, qu’amour, César, si l’on le croit, mais pourtant le contraire Dans l’action active et au fait de la guerre. Je crois qu’on le connoit dans ce fidèle portrait Que sur ce grand héros dans tous mes vers j’ai fait; J’en ai donc dit assez. Venons à notre affaire, Et, pour la mettre ici, sans un très grand mystère, C’est que, sans aucun fait, tous veulent être marchands, Puisque, dans cette ville, on vend jusqu’à l’argent ; Tu pourrois bien penser que c’est celui de mine, Non, c’est de la monnaie, la tresse en est bien fine. Il faut, auparavant savoir qu’en ce pays


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L'un en est de métal, et c’est celui de prix, L’autre est taillé de cartes, établi par génie ; Ces argents différents font subsister la vie. J’ai dit un bon génie, attendu que l’argent Qui vient d’ordre du Roy n’est que fort rarement Donné dans le public; par cette préférence, Quoiqu’il soit abondant, Lirons la conséquence Que celui fait de carte est beaucoup plus commun ; Pour en avoir de bon, on se rend importun, Cherchant de tous cotés. Outre ces deux monnoyes On a celle d’Espagne; elle fait lors la joie De tous ses possesseurs, car on la vend plus chère, Et quiconque en veut vendre, il vous paroit plus fier. Lorsque, de ce pays, on veut passer en France, Qu'on a celle de carte, on cherche, en conséquence, A la pouvoir changer pour un des deux argents; Pour la piastre d'Espagne, on donne huit ou dix francs, Pour notre écu de France un autre prix l’on donne; Encore après cela, cette aimable personne Vous a fait grand plaisir. Il est vrai cependant Que celui qui possède une somme d’argent En carte bien plus grosse, il fait une autre traite ; il l’apporte au Trésor, et la somme complète Est remise au comptoir ; pour elle, on lui remet Une lettre de change, et cela, c'est le fait. Voilà le juste état de ceux qui sont en ville, Où, pour vendre l’argent, on se rend fort habile. Mais au pays plus haut, on commerce autrement, Attendu que l’on a rarement de l’argent ; Cependant on en fait avec la marchandise Soit vermillon, du plomb ou beaucoup de chemises. Tout cela vaut alors de même que l’argent; Si l’on en a beaucoup, alors on est puissant, On va bientôt vous voir, le François, le Sauvage, Viennent vous l’acheter; pour vous, cet avantage Est un très bon parti, vu qu’on a plus de cent Du dixième de chaque. Heureux est, en ce temps, Celui qui, retournant fait un heureux voyage, N’étant pas attaqué des armes du Sauvage. Il n’apporte avec lui nullement de l’argent, Mais bonnes pelleteries, et cela vaut autant, De l'huile et du salé, du suif, de la farine, Des pacanes, tabacs, des pains de plaquemine. Sitôt son arrivée, il voit, incontinent, Changer tout ce qu’il a pour de l'argent comptant.


422 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Tu sais que je t’ai dit que les vaisseaux de France Apportoient au pays effets en abondance, Qu’aussitôt arrivés, on range au magasin Tous les quarts de farines et tous les quarts de vin, Effets pour les soldats, les effets pour la traite ; Ceux là sont bien nommés, comment est-elle faite ? Ceci c’est un chaos; crois donc qu’à l’habitant On en délivre peu, quoique, pour son argent, Ceux qui, dans ce pays, ont toute puissance, Qui tiennent, de Thémis, les poids et la balance, Sont tous payés du Roy par des appointements. Ils prennent ces effets, au lieu de leur argent, Par une main tierce, ils font faire la traite, Qui, par ce beau moyen, augmente leur recette. Ne crois pas cependant que l’officier soit mieux, C’est comme l’habitant, tout passe par les yeux, Et, s’ils la font un peu, c’est à la dérobée, Pour tâcher de tirer leur part à la dragée. Voilà, comme à la ville, on passe tout le temps A travailler toujours, vendant et trafiquant. Outre tout ce commerce, on cultive la terre, Pour recueillir du moins l’utile et nécessaire, Sur laquelle l’on sème et coton et maïs, Patates*, giraumons, des fèves et du riz; Mais fort peu de François travaillent par eux-mêmes A cultiver cela, vu la chaleur extrême. Ors donc, il faut savoir que les nègres le font, Travaillant au soleil, sans craindre ses rayons; Les nègres ne sont pas natifs sur cette terre; La Compagnie de l’Inde avoit, pour l’ordinaire, Coutume, tous les ans, d’en envoyer beaucoup Dans ses propres vaisseaux, que l’on livrait à tous. Je ne puis cependant passer sous le silence Qu’en les distribuant, l’on donnoit préférence A ceux que l’on vouloit, aux compères et amis, Ce qui fait qu’à présent, fort peu, dans ce pays Se trouvent établis, et, malgré la dépense Que cette Compagnie, illustre dans la France, A fait tout pour cela, on peut fort bien penser Qu’il seroit encore temps derechef commencer. Oui, je dis commencer, car depuis que la guerre Est parmi les François et ceux de cette terre, * Espèce de pomme de terre ou de topinambour; il y en a de plusieurs grosseurs ; elles sont excellentes; on en fait des confitures ou même de l’eau-de-vie.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE Depuis que nous avons perdu ce grand Perier, Ah ! qu’est ce qu’on y voit? misère, pitié; Les habitations sont toutes délaissées, Excepté une ou deux qui sont très bien situées. Ors, c’est dans celles-là que l’on fait l’indigo, Qui, comme on peut juger, augmente le magot. Il est vrai cependant que, revenant en France, Et parlant qu’on en fait, on croit que l’abondance Règne dans ce pays pour beaucoup d’habitants, Je peux bien m’écrier qu’en ce cas ci, l'on ment; Ces heureux habitants, qui sont près de la ville, Sont à dire le vrai ceux que le sieur Bienville A toujours estimé, étant Canadiens. Il est juste de faire à ce pays du bien, Mais aujourd’hui pourtant que cette Compagnie, illustre dans ses faits, illustre en sa régie, A quitté le pays, s’il falloit lui payer Les nègres qu’on a fait à ces milords livrer, Hélas! mon cher Lecteur, quelle grande misère S’offrirait à tes yeux, partout sur celte terre. De tous ces habitants, on n’en voit que fort peu Qui peuvent être dits opulents, de bon jeu. Quoique présentement, cette illustre assemblée Se soit de ce pays, par malheur, retirée, Son comptoir va toujours, régi par un agent Qui fait bien son affaire, obligeant l’habitant De payer ce qu’il doit à cette Compagnie; Ce n’est pas sur les gros où tombe sa manie, Mais bien sur les petits ; son habitation Augmente tous les jours de nègres à foison. Le pauvre, ne pouvant escompter les espèces De ce qu’il peut devoir, il ne prend que les pièces 1 . Qui, pour lors, sont conduits chez ce seigneur agent Qui les fait travailler jusqu’à ce que le temps De pouvoir en trouver l'heure de s’en défaire, En les vendant, Lecteur, de quoi se satisfaire. Il ne lui sont comptés qu'autantde cinq-cents francs; il les vend beaucoup plus, le reste est au néant. Voilà ce qui se passe au milieu de la ville Pour lors présentement. Le fort de La Mobile Est un endroit charmant où l’illustre Diron 2

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1. On appelait, aux Antilles, Pièce d’Inde, un nègre âgé de plus de dix-sept ans.

2. Le colonel Diron d’Ar taguette, qu’il ne faut pas confondre avec son frère Diron,


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Etoit le commandant, disons, avec raison, Qu’avec mil qualités, l’esprit et la justice Composoient sa personne. Un très bel édifice Se voit en cet endroit, ors je veux dire un fort De quatre bastions, pour arrêter l'effort De tous les ennemis ; il est très magnifique, Bâti selon Vauban, et construit tout en briques. Vis-à-vis de ce fort, on y voit les maisons De tous les habitants qui sont rangées en long. On ne fait pas venir, autour de cette ville, Aucunement du riz, la terre n’est qu’argile, La terre en est de sable; on n’y voit que des pins D’une excessive hauteur, quelque peu de sapins; Les fèves, le maïs et les autres légumes N’y viennent pas trop bien ; on n’y voit que des brumes. Pour venir en ce lieu, l’on y vient en canot, En montant la rivière, ou même par bateau. L’hiver la chasse est grande et, l'été, c’est la pêche ; ■ On est près de la mer, personne ne l’empêche. La Nouvelle-Orléans fournit, à cet endroit, Marchandises, du vin, argent, soldats, de quoi Faire vivre ce poste. Ors l’habitant lui même Travaille à se nourrir, mais sa peine est extrême, D’autant plus qu’en ce lieu, très proche de la mer, On ne ressent jamais aucun froid en hiver. Enfin, de cet endroit, à la première guerre, Le chevalier Diron, ayant perdu son frère, Qui fut, comme j’ai dit, avec ses gens brûlé Au fort des Chicachas, n’ayant pu se sauver De la fureur barbare et des mains du Sauvage, Qui, se moquant de nous, sur lui, jeta l’orage, Le Roy, l’a retiré pour être Lieutenant Au Cap de Saint-Domingue, où là, présentement, il goûte, avec plaisir, de ce bel avantage De se voir éloigné de ce pays sauvage, Qui n’est plus que de guerre et que de très grand bois. Celui qui le commande est le sieur de Loubois, Chevalier tout de même ; enfin, dans cette ville C’est toujours même train ; on est toujours habile A se vendre l’un l’autre et, toujours trafiquant, Soit des marchandises ou même de l’argent. l’un des Directeurs de la Compagnie des Indes, commanda le fort de La Mobile de 1728 à 1738, puis passa à Saint-Domingue en 1742.


Avant que de finir, peur de quelque reproche, il faut parler ici du poste des Naquitoches 1, Qui, selon les discours, est un charmant pays. Sous le commandement du Sieur de Saint-Denis, Digne chevalier, cousin du Sieur Bienville, Beaucoup plus généreux, courageux au possible, Digne de meilleurs vers, pour que sa qualité Soit connue, par mes vers, de la postérité. Les travaux de ce chef sont si considérables Qu'en les sachant, Lecteur, ils passeroient pour fables, Et, comme je ne puis parler de cet endroit Ne l’ayant jamais vu, je m’en vais, avec droit, Parler du commandant, t’exposer son histoire, Digne de renommée. Il faut que ma mémoire Me fournisse aujourd’hui ce que, dans ce pays, On a fait tant souffrir à ce grand Saint-Denis, Qui peut passer partout pour homme de courage, Intrépide aux périls, et mil autre avantages, Avec un grand esprit. Enfin, c’est dire assez Que cet homme est bien digne, avec ses qualités, D’être connu de tous. Ses fatigues et peines Méritent, dans ce jour, quelques traits de ma veine Pour mettre par écrit ce que ce commandant A souffert de cruel, le tout de son parent. Souviens toi, cher Lecteur, touchant cette campagne, Que les François, pour lors, firent desur l’Espagne Au fort de Pensacole, et que De Saint-Denis, En suivant de Bienville, avoit, pour son parti, Amené pour ce fait, oui, plus de cent Sauvages, Qui, pour l’amour de lui, laissèrent leurs villages L’accompagnant toujours. Sache donc, cher Lecteur, Que le Sieur Saint-Denis sortait, par grand bonheur, Des prisons du Mexique où la fureur cruelle D’un parent inhumain lui recherchait querelle 2 Jusqu’en ce continent, écrivant de sa main, Que le sieur Saint-Denis avoit mauvais dessein, De prendre garde à lui sur la terre espagnole. Le gouverneur alors, sans aucune parole, Fil prendre Saint-Denis, et, sans nulle raison,

1. Natchitotchez, poste établi sur la Rivière Rouge, à l’endroit où s’élève actuellement la ville du même nom.

2. Nous résumerons un peu plus loin la véritable histoire de Saint-Denis, mais il importe, dès maintenant, de prévenir le lecteur que les huit pages qui vont suivre ne renferment que de grossières erreurs et d’abominables calomnies contre Bienville.


Sitôt le fit traîner mains liées en prison. Ah ! tu peux bien juger quelle fut sa surprise, Ne sachant nullement le sujet de sa prise ; il étoit estimé comme un brave étranger, Chacun plaignoit son sort, et tous alloient prier Pour lui leur gouverneur qui, certain par la lettre, N’écoutoit nullement, ne voulant pas remettre La liberté du sieur, attendant autrement D’avoir du sieur Bienville un éclaircissement ; Mais le proverbe dit que l’homme qui propose Se trompe très souvent, que c’est Dieu qui dispose. La chose fut ainsi, car notre gouverneur Qui désiroit toujours la perte et le malheur De ce grand Saint-Denis, écrivit la seconde A celui du Mexique, ordonnant que, du monde, On eût à délivrer cet ennemi commun, Qui l’étoit, sans mentir, et le plus importun. De Bienville, aussitôt, qu’il eût fini sa lettre, il dépêche un Sauvage afin de la remettre Ace grand Espagnol. Le Sauvage arrivé, Dès qu'il fut au Mexique, avant que de parler A ce grand gouverneur, le Dieu de la puissance Qui protège, en tout temps, la sincère innocence, Inspire à ce Sauvage, étant en ce pays, D'aller, auparavant, voir l’ami Saint-Denis; Comme il parloit leur langue, et tout avec justesse, Le Sauvage fit tant que, par sa seule adresse, il fût voir son ami dans sa triste prison. Après l’avoir salué et dit quelque raison, Le Sieur de Saint-Denis, en son propre language, Lui demande aussitôt le but de son voyage : « Pourquoi donc quittes-tu ton établissement Que tu viens de si loin ? Quel mécontentement As-tu pu recevoir? » — « Ah ! je viens pour remettre Un papier qui parle ». Là, lui montrant la lettre, Sans nul retardement, le Sieur de Saint-Denis, Demande au Sauvage à la voir. L’ayant pris Reconnoit aussitôt la lettre de Bienville ; il l’ouvre, il la lit et connoit que la grille Qui défend sa sortie est, très certainement, Demandée, obtenue, et, sans nul compliment, il prit du papier, contrefait l’écriture, Mandant au Gouverneur de laisser l’ouverture Libre au sieur Saint-Denis, le gardant simplement Sur sa seule parole. Ayant tranquillement


Ecrit ce qu’il vouloit, il pria le Sauvage D’aller, dès en sortant, sans craindre de dommage, La rendre au gouverneur. Sitôt dit, sitôt fait; il part et va tout droit, toujours bien satisfait, Demander à parler au grand Chef du Mexique, Et, dès qu’il fut entré : « Je viens de l’Amérique Exprès pour t’apporter, de l’ordre de mon chef, Cette lettre pressante ». Il l’a mit, derechef, Aux mains du Gouverneur, ayant fait la lecture, Sans bien examiner le style et l’écriture, Ordonne, sur le champ, d’aller à la prison Faire sortir Denis, lequel, avec raison, Vint remercier ce Grand, qui, d’un amour sincère, Dit au sieur Saint-Denis, le sujet, la manière, Que le sieur de Bienville avait agi très fort Contre lui jusqu'ici. «Je jure qu’il a tort, Répond cet innocent, mais il a la puissance Desur moi, c’est assez. Si j’étois dans la France, J’aurois, grand Gouverneur, la justice pour moi, Et je puis vous jurer que c’est de bonne foi Que je suis innocent ». — « Croyez, sans hyperbole, Je vous tiens prisonnier desur votre parole Que vous me donnerez; c’est le commandement Que porte cette lettre, et voyez si je mens ». Alors de Saint-Denis, en feignant de la lire, Dit à ce grand d’Espagne : « Ah ! vous pouvez écrire Que j’attendrai toujours, ici, tranquillement L’amour ou liberté de son commandement ». Ainsi l’on voit par là : Qui compte sans son hôte, Est sujet, fort souvent, de faire grande faute. Sans le secours du ciel, et si, par un malheur, La lettre fut tombée d’abord au gouverneur, Ah ! c’étoit fait de lui, car selon la manière Que Bienville avoit fait en traitant cette affaire, il aurait, cette fois, succombé tout à fait ; Gomme étant espion, on s’en serait défait. Ayant donné parole, il se relire en ville Où l’amour, enfin, lui fît voir une fille D’une bonne naissance et de nobles parents ; il en vint amoureux, la demande à l’instant, Pour prouver son amour, à son père, à sa mère, Après avoir reçu, comme c’est là l’ordinaire, L’aveu de sa maîtresse. « Ors quand la liberté Sera venue pour vous, en celle qualité, Répondent ses parents, avec cet avantage.


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Vous aurez notre fille aux fins du mariage ». Il se voyoit amant, même futur mari, il passe avec plaisir son temps en ce pays, Faisant ainsi l’amour, jugeant que son affaire Ne pouvoit nullement lui devenir contraire, Et, espérant toujours que Bienville, irrité Par ce coup éventé, se pourroit apaiser, Mais alors, cependant, le grand Chef du Mexique Envoya par le même homme de l’Amérique Une lettre à Bienville, et lui fait mandement Que le sieur Saint-Denis éloit tranquillement Prisonnier dans la ville, attendant la nouvelle D'une liberté franche ; alors l’haine cruelle S’empare de Bienville. Grands Dieux ! l’étonnement De voir que Saint-Denis est encore vivant ! Cette nouvelle alors lui fit changer de mine Il peste avec fureur, en colère, il fulmine, Ne peut s’imaginer qui peut avoir ainsi Fait changer tout d’un coup son ordre par écrit, Qu'il avoit envoyé sur l’innocente vie. Examinant cela, plus il entre en furie ; Ce qui lui fait plaisir, c’est un retardement Qui ne peut, selon lui, durer que ,peu de temps, Et, pour y parvenir, voulant se satisfaire Aussitôt il écrit et traite cette affaire D'une telle façon que, c’étoit fait pour lors Du pauvre Saint-Denis qu’il condamnoit à mort. Mais Dieu, qui jusqu’ici protégeoit l’innocence, En cette occasion, en reprit la défense ; Le Sauvage arrivé dans ce riche pays, Fut, la seconde fois, revoir son cher ami, Lui remettant la lettre, en laquelle l’envie Avoit si bien marqué la trame de sa vie. Il fit un beau présent à ce fidèle ami Qui, par son seul amour, ne se fiait qu'à lui, Plutôt qu’à son parent ou à d’autres Sauvages Qui sont nos ennemis, et, tirant l’avantage De l’avertissement, il sort de ce pays Sans en dire un seul mot à ses meilleurs amis. Il parcourt les bois, errant par les montagnes, Et nullement armé, traversant les campagnes, Réduit à vivre d’herbes, ayant, devant les yeux, La mort toujours présente. Il va de lieux en lieux ; Après quatre ou cinq jours qu’il eût quitté la ville, La faim le tourmentant, le rendit très habile


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE A se pouvoir monter, car un homme à cheval Se montre devant lui, soit en bien, soit en mal; Peut-être on le cherchoit? Sans perdre le courage, Le Sieur de Saint-Denis l’arrête à son passage, Lui demande l’aumône; alors ce cavalier Cherchant dans son gousset quelques pauvres deniers, S'arrête à cet effet. Pour couronner l'affaire, Saint-Denis, de revers, l’attrape par derrière D'un grand coup de bâton, qui, desur son cheval, Le renverse par terre, étourdi de son mal ; Notre sauve-qui-peut monte sur l’haridelle, El s’enfuit aussi vite ainsi qu’une hirondelle, Qui se sauve des lacs que lui tend le chasseur. Ainsi ce cavalier lui fournit le bonheur De pouvoir cheminer avec plus d’assurance, Se sauvant, comme on voit, de la triste potence. Pendant qu’auparavant il ne faisoit que peu De chemin dans un jour, c’étoit un autre jeu Avec son compagnon, et, pour leur nourriture, Le dernier, pour sa part, avoit verte parure, Mais, pour notre premier, pendant l'obscurité, il prenoit des brebis qu’il alloit lors voler A ceux qui les gardoient dedans des bergeries, Elevées tout exprès au milieu des prairies. Après un tel exploit, il alloit dans les bois Allumer un beau feu, faisant cuire à la fois Tout ce qu’il avoit pris. Avec tel avantage, Il fit un long trajet etjusques au village De cette nation qu’on nomme Missouris, Qui, le reconnaissant comme un ancien ami, Le reçurent très bien. Il fut, dans leur village, Pendant deux ou trois mois. Il se mit en voyage Pour gagner au plus tôt le fort des Illinois. Ces hommes Missouris vinrent tous à la fois Se joindre à Saint-Denis; enfin, ils arrivèrent Au fort des Illinois ; au chef, ils présentèrent, Comme c’est la coutume, avec cérémonie, Un peu de bon butin et de la pelleterie, Donnant le calumet, puis, après quelque temps, S’étant tous embarqués, s’en vont en dérivant Dans différents canots, le long de la rivière, lisse mettoient pourtant quelquefois sur la terre, Pour tâcher de tuer des bœufs ou bien des ours, Pour pouvoir subsister; pendant deux ou trois jours, ils faisoient même train et tout pour la chaudière,

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430 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Et, comme on peut penser, pour se bien satisfaire. Après avoir ainsi fait chemin dérivant, Au bout de dix-huit jours, la Nouvelle-Orléans S’offrit devant leurs yeux ; ah ! quelle joie extrême Pour notre voyageur de la revoir lui-même, Après avoir souffert mil peines, mil dangers ; ils mirent pied à terre comme des étrangers. La Nouvelle-Orléans n'étoit point une ville Gomme elle est à présent. Repaire de crocodiles, N’ayant en ce temps là que très peu de maisons Que quelques habitants avoient, avec raison, Bâties dedans ce lieu, servant, à l’ordinaire, A tous les voyageurs à mettre leurs affaires. Enfin arrivés là, s'étant tous délassés, ils s’en vont au bayou 2, où ils sont embarqués Dans de très grands bateaux; le vent est favorable, On se met à la voile, et leurs yeux désirables Leur firent apercevoir un poste de bien loin. Après bien de la peine et de nage et de soins, ils arrivèrent tous à l’établissement De l’îlede Massacre. Ors, dans ce même temps, On s’en étoit allé pour prendre Pensacole; Le sieur de Saint-Denis, ayant ouï la parole Que son très cher parent, avec tous ses soldats, Etôit allé par terre, il ne resta pas là ; Remettant à la voile, ils gagnèrent bien vite L’autre côté de terre, et, sans faire aucun gîte, S’étant tous débarqués, le sieur de Saint-Denis, S’étant mis à la tête alors de ses amis, ils marchèrent en rang pendant cette journée, Satisfaire nul fracas, pour joindre notre armée, Pour lui porter secours. Elle étoit peu nombreuse, Une tellé assistance étoit pour lors heureuse, Après avoir marché, par terre, un long chemin, ils arrivèrent tous avec leur bon dessein ; Ils commencent à voir notre petite armée, Qui s’étoit, dans la plaine, arrangée, arrêtée, ils voient les drapeaux qui voltigent dans l’air, ils voient nos vaisseaux qui voguent sur la mer, Et, redoublant leurs pas, ils viennent pour la prise. S’étant fait reconnoitre, ah ! quelle est la surprise De son cruel parent, qui, selon sa fureur, 1. En 1718, on en comptait tout juste quatre. 2. Le Bayou Saint-Jean, dont nous avons déjà parlé.


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Croyoit certainement, et tout avec grand cœur, Que, par son dernier ordre, et selon sa manie, On avoit dû, du moins, ah ! priver de la vie Cette brebis fidèle. A peine l’eut-il vu, Qu’il lui fit bon accueil, étant le bien venu, Avec ses bras ouverts, le caresse, l’embrasse, Lui prouvant en cela son amour, sa tendresse De le revoir encore, après un si long temps, Se porter toujours bien, et paroissant content. Comme, au commencement, j’ai parlé de la prise Du fort de Pensacole, et voyant l’entreprise, Je dirai donc après que le fort fut rendu Au Sieur de Chamelin et l’Espagnol vaincu. Ce grand chef des François voyant tous ces Sauvages Qui s’étoient arrangés le long de ce rivage Et leur chef à leur tête — ors c’étoit Saint-Denis * — Il les considéra comme de vrais amis; S’adressant à leur chef, et le croyant Sauvage, Au lieu de lui parler, à défaut du langage, Lui fait signe du bras, mais le sieur Saint-Denis Lui dit : « Je suis François, n’en soyez pas surpris ; Je reviens du Mexique et, desur ma parole, Je parle, s'il le faut, soit la langue espagnole, Le françois ou sauvage, et si votre Grandeur Vouloit bien m'écouter, elle ouïrait mon malheur ». Le Sieur de Chamelin lui donne confiance. Promettant l’écouter et, pour cette assurance, Lui dit qu’il faut venir d’abord sur son vaisseau, Où là, sans nul témoin, il seroit comme il faut. Enfin cela se fit ; sans tant de verbiage, il lui fit reconnoitre, avec désavantage, La fureur de Bienville envers son cher parent, Qui, par esprit jaloux, perdoit un innocent. Et, pour preuve du fait, il ne fit que remettre Aux mains de Chamelin, ces deux cruelles lettres, Qu’il avoit apportées et eues de cet ami Sauvage. Et, pour tout point, Chamelin, sur ceci, Lui donna sa parole, qu'en arrivant en France, il feroit ascavoir au Roy son innocence ; Sans doute ce qu'il fit, car, presqu'au bout de l’an De cette même année, il reçut, en présent, La croix de Saint-Louis, pension accordée, Avec ordre du Roy qu’elle seroit posée

1. Les Indiens étaient commandés par M. de Longueville.


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Par la main de Bienville. Ah ! quel funeste coup ! Il fallut obéir, mais ce ne fut pas tout : Notre chevalier reçut, par ordonnance, Qu’il seroit gouverneur en ce lieu d’abondance Nommé le Naquitoche, et sans aucun pouvoir. A l'héros de Bienville avoir sur son devoir. Ainsi, l'on voit par là, que la seule innocence Avec Dieu pour appui, en a prit la défense. Ainsi de Saint-Denis, couronné désormais, Fut se rendre à son poste en plaisir et en paix. A peine fut-il là, qu’après cet avantage, il voulut à ce coup finir son mariage ; il demanda la fille, accomplie en vertus, Du pays du Mexique et, de biens revêtue. Elle fit le voyage, et vint, avec tendresse, Recevoir son amant qui lui fit mil caresses Et qui se maria dans son gouvernement, Victorieux en tout et, tous deux très contents. Après que les Natchez, tous ces cruels Sauvages, Eurent fait, desur nous, tomber toutes leurs rages, Qu’ils eurent abandonné, pour se sauver aux bois Leurs maisons, leurs foyers, leur fort tout à la- fois, Même après que Perier eut sur eux l'avantage En la Rivière Noire, et mis en esclavage Tous ceux qui furent pris, les autres se sauvant, Et s'étant réunis, au bout de quelque temps, Un gros parti sauvage espérant qu’à l’approche, il feroit des François au fort des Naquitoche Le même traitement qu’à tous les habitants Des François des Natchez, résolut hardiment De s’approcher du fort, espérant l’avantage. Saint-Denis, ce grand chef, reçut bien les Sauvages, Qui s’étoient vis-à-vis de lui fort bien campés, Et même qui faisoient des trous pour s’y loger, Afin qu’aucun François ne put venir en plaine, Et, croyant que par là, nous serions fort en peine. Six ou sept jours passés, Saint-Denis, comme un lion, Fondant sur le parti de cette nation, Les vit et les vainquit, les renversant par terre, Tuant de tous côtés d’une telle manière Qu’il en prit prisonniers, leur fit faire beau jeu ; Je crois que l’on m'entend, en les brûlant au feu ; Depuis cette action, ils se sont tirés vite Devers les Chicachas ; c’est là, qu'ils ont fait gîte. Ors, notre héros Bienville y fut comme j’ai dis,


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Mais ne les traita pas ainsi que Saint-Denis. Notre chevalier, en ce lieu d’abondance Est comme un vrai César ; le fort est sa défense, Soutenu du soldat dont il est bien servi, Étant comme leur père et leur fidèle appui. Ils l’aiment tendrement ; pour eux, il est propice. Là, chez lui, on y trouve une bonne justice, Sa parole est oracle, on l'obéit en tout, Et heureux est celui qui ne sent pas ses coups, Etant son adversaire. Il a grande puissance Et si, par un bonheur, inconnu de la France, il peut être le chef de tout ce grand pays Je pourrois bien jurer : Adieu les ennemis ! CONCLUSION. Voilà la vérité, mise ici de franchise, Et je puis me flatter qu’elle m’est bien permise ; Etant resté vingt ans entiers en ce pays, Je puis bien te l’offrir, la mettant par écrit, Heureux en le faisant, si notre grand Monarque, Sachant tous les abus, veut bien donner la marque De son autorité, protégeant l’innocence, Et donner au pays des traits de sa puissance, Car, sans un tel secours, c’est fait de nos François. Le pays est très bon, recherché de l’Anglois, Et qui, quoique n’ayant avec nous nulle guerre, Excite cependant le Sauvage à la faire, Et si, par un malheur, cet abondant pays Allait changer de face, et aussi de parti, Oui, sans mentir Lecteur, ah! je plains le Mexique, Car l’Anglois, ayant pris entrée dans l’Amérique, A la suite, il pourroit fermer tous les chemins Aux différents secours, pour servir à ses fins, Qui sont, à bien juger ses actions, ses mines, De pouvoir s’emparer des abondantes mines, Soit de la Vera Cruz ; celles de Santa-Fé Se nomment Sainte-Barbe. En un mot, c’est assez De dire, qu’ayant pris cette agréable terre, Ah ! l’Espagne, avec eux, auroit cruelle guerre. Heureux, mille fois heureux, si ce charmant pays Peut voir encore chez lui le trône de Thémis Remis dans son vrai lustre et, par un grand courage, Affermi dans la paix, réduisant le Sauvage Société des Américanisles, 1931.

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431 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES Areconnoitreen tout, par un si grand exploit, Ce qu'est bien le François, soutenu de son Roy. Cela ne se peut pas; tant que le Sieur Bienville Sera, de ce pays, le maître de la ville, On n’y verra toujours que grande pitié, A moins que n’y reviennent un illustre Perier. 11 me faut, cher Lecteur, du repos à ma veine ; Heureux que je serais si, pour toute ma peine, On peut dire de moi que j’ai mis par écrit La pure vérité de tout ce grand pays, Sans avoir nullement inventé nulle fable, La chose, en vérité, qui doit être croyable ; Enfin, mon cher Lecteur, ayant tout dit, hélas ! Dans ces vers, Scribendo révélât Veritas. 1794 vers Cet poème contient en tout 4692 vers. REMARQUES SUR LE QUATRIÈME CHANT. Louis Juchereau de Saint-Denis 1 , officier fort entreprenant, se rendit deux fois au Nouveau-Mexique en traversant tout le Texas. Son premier voyage dura de décembre 1713 au mois d’août 1716, le second d’octobre 1716 au mois d’avril 1719. Ses aventures singulières ont donné lieu à bien des légendes, dont la plupart proviennent des récits, très fantaisistes, faits par son domestique Jalot au trop crédule Pénicault 2. Nous n’avons pas à parler ici de la première expédition de Saint-Denis et Jalot résuma la seconde en racontant que son maître, à la nouvelle que des cavaliers guettaient son arrivée au Nouveau-Mexique pour l’arrêter, prit le sage parti de rester caché pendant plus d’un an dans la chambre de sa femme, puis se hâta de regagner La Mobile ! 3

1. Saint-Denis, lieutenant dans les troupes du Canada, arriva en Louisiane en 1699 ; seulement il ne tarda pas à donner sa démission, en constatant que sa solde ne lui était jamais payée.

2. Relation de Pénicault (Margry, Mémoires et Documents, etc. ; tome V).

3. Jalot n’avait pas accompagné son maître à Mexico, lors de son second voyage et resta à Cohahuila. Quand les Capucins apprirent l’arrestation de Saint-Denis, ils s’empressèrent de recueillir son domestique et deux autres Français dans leur couvent, qui jouissait du droit d’asile, pour les mettre à l’abri des questions indiscrètes. Ce n’est pas Saint-Denis, mais le pauvre Jalot qui resta caché pendant un an, n’ayant, pour se distraire, que la compagnie d’une «maigre et laide servante, plus fière que la fille du plus célèbre barbier de Mexico »


Le but des deux expéditions de Saint-Denis était, officiellement, d’ouvrir des relations commerciales entre la Louisiane et le Nouveau-Mexique, mais, en réalité, consistait surtout à introduire, plus ou moins en contrebande, des marchandises dont l’entrée était rigoureusement interdite dans les colonies espagnoles. En repartant pour le Mexique, où il avait déjà commencé par être arrêté en 1715, Saint-Denis connaissait les risques auxquels il s’exposait ; seulement il comptait sur la protection des Franciscains espagnols, fort habiles contrebandiers, et sur la bienveillance du duc de Linarès, dont il avait eu, en fin de compte, fort à se louer, lors de son premier voyage. Malheureusement pour Saint-Denis, le marquis de Valero, son successeur, se montra moins accommodant, surtout après l’arrivée d’une lettre dénonçant, avec force détails, les véritables projets de Saint-Denis et de ses associés. Aussitôt, le vice-roi donna l'ordre, le 12 juillet 1717, de le faire arrêter ; seulement, cette dépêche n'émanait naturellement pas de Bienville, mais du gouverneur de Pensacola, Gregorio de Salina Verona. L’histoire de l’Indien, qui entrait dans les prisons espagnoles comme dans des moulins, et, en moins d’un an, parcourut, sans encombre, quatre fois les cinq cents et quelques lieues séparant l’île Dauphine de Mexico, ne mérite même pas la peine d’être réfutée. Le 22 novembre, Saint-Denis fut mis en liberté sous caution, et ses puissants protecteurs arrivèrent même à lui faire rendre ses marchandises, dont l’histoire est assez curieuse. Saint-Denis avait quitté les Natchitotchez 1 avec un convoi d’au moins trente mules richement chargées. Les Apaches lui en auraient enlevé quinze, les Espagnols en saisirent sept 2 , les autres disparurent comme par enchantement, et le gouvernement du Mexique, malgré de nombreuses enquêtes, parvint d’autant moins à retrouver les marchandises dont les montures étaient chargées, que Saint-Denis les avaient employées à s’assurer de très hautes protections. Saint-Denis jouait peut-être simplement double jeu, toutefois, pen- dant ses différents séjours à Mexico, il demanda maintes fois à entrer 1. Plusieurs commerçants de la Nouvelle-Orléans voyagèrent avec lui, transportant également de nombreuses marchandises, qui, d’abord confisquées, leur furent finalement rendues. Les négociants les vendirent avantageusement, mais on ignore s’ils parvinrent à en toucher le prix avant leur départ du Mexique, encore plus précipité que celui de Saint-Denis. e - . ■ : . 2. Leurs charges contenaient des toiles d’Angleterre, de Rouen ou des Flandres des dentelles dé Bruxelles, du satin de France, du drap bleu ou écarlate et des bas de toutes couleurs. Le scribe, qui rédigea l’inventaire, ne peut cacher son admira- tion devant la finesse et la qualité de toutes ces belles marchandises. .00. , r t .1


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SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES

au service de l’Espagne ; seulement, comme il insistait toujours pour obtenir le commandement de tous les Indiens du Texas, le vice-roi, qui se méfiait de ses véritables intentions, songea à le faire arrêter. Prévenu à temps par ses amis, Saint-Denis quitta le 5 septembre 1718 la ville de Mexico, où il avait mené très grand train pendant près d’un an. Son départ, assez précipité, ne ressembla pourtant nullement à une fuite ; il s’arrêta quelques semaines chez son beau-père, fit halte en diverses missions espagnoles et voyagea très lentement. D’après Jalot, son maître aurait bien tué un cavalier lancé à sa poursuite, mais cet incident, fort peu vraisemblable selon la façon dont il est raconté, se serait passé non loin du poste espagnol des Adayes, situé tout près des Natchitotchez, où Saint-Denis et son domestique arrivèrent le 24 février 1719. Les deux voyageurs ne passèrent, naturellement, ni par le pays des Missouris, ni par l’établissement des Illinois ! et, si Dumont imagina cet étrange itinéraire, c’était uniquement pour faire croire que son héros avait amené, d’une façon tout à fait providentielle, des Sauvages venant de régions fort éloignées. La mauvaise foi du poète paraît d’autant moins douteuse qu’il fait descendre, en dix-huit jours, Saint-Denis des Illinois à la Nouvelle-Orléans ! Le lieutenant atteignit l’île Dauphine en mars 1719, c'est-à-dire deux mois avant la première attaque de Pensacola ; Bienville s’empressa de lui donner le commandement du poste établi chez les Biloxis, et ce fut à la tête de ces Indiens, dont il parlait fort bien la langue, que Saint- Denis participa au second siège de Pensacola. Bienville ne montra jamais d’animosité personnelle contre son cousin; toutefois, il n’était point partisan de sa première expédition, et fit remarquer, non sans raison, combien Saint-Denis s’était montré imprudent en consentant à guider les Espagnols à travers le Texas, dans l’espoir de faciliter le commerce — ou plutôt la contrebande — entre la Louisiane et le Nouveau-Mexique. Si le gouverneur La Mothe-Cadillac n’avait pas envoyé à temps une petite garnison s’installer aux Natchitotchez, l’Es- pagne s’emparait de toute la vallée de la Rivière Rouge. La mise en scène de la rencontre de Champmeslins et de Saint-Denis est évidemment pathétique, seulement ils avaient fait connaissance, d’une façon beaucoup plus simple, un mois plus tôt, à l’île Dauphine. Champmeslin s’intéressa d’ailleurs, d’après Pénicault, aux aventures de Saint-Denis et le recommanda au ministre. Dumont devait tenir beaucoup à ce coup de théâtre, et on le retrouve, à peine modifié, dans les Mémoires Historiques^, mais intercalé, cette

1. Tome I, p. 250.


L’ÉTABLISSEMENT DE LA PROVINCE DE LA LOUISIANE 437 fois, dans le récit, également très fantaisiste, des curieuses aventures de l'enseigne Simars de Belle-Isle, dont il a seulement bien soin de ne pas indiquer le nom ! Enfin Saint-Denis s'était marié avec Manuela Sanchez au présidio de Saint-Jean-Baptiste 1 en janvier ou en février 1716. Une telle accumulation d'erreurs et de calomnies ne peut faire aucun tort à la mémoire de Bienville, mais elle donne une bien piètre opinion du caractère aigri et sournois du pauvre poète aux abois. Nous avions un instant songé à remplacer simplement par quelques lignes de points toutes les aventures de Saint-Denis ; toutefois, il valait mieux les publier, ne fut-ce que pour montrer quelle étrange mentalité régnait, au xvm e siècle, en Louisiane, comme, hélas ! dans toutes nos autres colonies. 1. Cet établissement se trouvait situé sur la rive gauche du Rio Bravo, à environ quinze lieues au sud d'Eagle Pass.


TABLES DES ILLUSTRATIONS ET DES CARTES. CHANT 1. Pages Carte du continent de l’Amérique (Planche III) 289 Armoiries du comte 289 Plan de l’île Dauphine. — Environs de Pensacola 292 Le Vieux-Biloxi. — Le 300 La Nouvelle-Orléans en 1719. — La Nouvelle-Orléans vers 1735 304 Environs de la Nouvelle-Orléans. — Concession de la Terre-Blanche et fort des Natchez 310 Carte des habitations du poste desNatchez. 314 Village des Tonicas. — Fort des Natchez 321 CHANT IL Environs de La Mobile. — Alentours du fort de Tombigbée 341 Fort des Chickachas. — Environs du Fort de l’Entrepôt 340 CHANT III. Forts de l’Entrepôt et de l’Assomption.— Concession des Chaouachas 365 CHANT IV. Carte des concessions de la Basse-Louisiane 385 Bœuf sauvage. — Serpent noir, mangeur de poulets. — Arbre portant de la cire verte. — Plaqueminier. — Morille. — Champignon 391 Casse-Burgots. — Grondin. — Choupique. — Poisson armé de trois rangées de dents. — Patasas 393 Sauvages avec leurs armes anciennes et nouvelles. — Sauvagesse mariée, avec un éventail, et fille pucelle, avec un aviron 398 Manière d’approcher les animaux sauvages. — Ours. — Barbue. — Serpent bariolé de jaune et de rouge 400 Calumet de cérémonie. — Chichicoua. — Pot ou caisse. — Casse-tête en bois. — Crocodile. —Casse-tête à fleur de lis. —Poteau de cérémonie. —Serpent à sonnettes 401 Manière de brûler les esclaves à petit feu. — Sauvage avec ses anciennes armes 403 Fort des Yazous. — Cabane du sergent Riler 415


TABLE ANALYTIQUE.

Avant-Propos, p. 249. — Dédicace, p. 273. PREMIER CHANT. Avertissement au Lecteur, p. 290, — L’île Massacre et l'organisation de la colonie, p. 291.— La guerre entre la France et l’Espagne; prise et perte de Pensacola, p. 291» Bienville et Champmeslin reprennent Pensacola, p. 297.— Fondation de Biloxi, p. 299. —Le Nouveau-Biloxi ; arrivée de nombreux colons, p. 302.— Fondationde la Nouvelle-Orléans, p. 305.—Organisation de la justice,p. 306.— La Mobile, p. 308. —Difficultés des voyages sur le Mississipi ; les moustiques, p. 308. — Prospérité de l’établissement des Natchez, p. 309. — Campagne de 1722 contre ces Indiens, p. 309. — Rappel de Bienville et arrivée de Perrier, p. 313. —Prospérité de la colonie, p. 314. — Injustices commises par le capitaine d'Etchéparre à l’égard des Nachtez, p. 314. — Massacre des colons de cet établissement, p. 317. — Expédition de Loubœy contre les Natchez, p. 320. — La prétendue Conspiration générale des Sauvages, p. 323. — Deuxième expédition contre les Natchez, réfugiés sur les bords de la Rivière Noire, p. 326. — Les guerriers réussissent encore à s’enfuir; capture des femmes et des enfants, p. 327. — Départ de Perrier et retour de Bienville, p. 328. — Remarques sur le premier chant, p. 329. DEUXIÈME CHANT. Arrivée de Bienville, p. 333.— Misère des colons, p. 334.— Les Chickachas refusent de livrer les Natchez réfugiés chez eux,p. 334. — L’exploration de la rivière de l’Arkansas, accomplie par Bénard de la Harpe en 1722, p.336. — Un bateau de poudre, expédié aux Illinois, est pris par les Chickachas, p. 337. — Préparatifs d’une grande expédition contre les Chickachas et rassemblement des troupes à la Mobile, p. 337. — L’armée remonte la rivière, et arrive au fort de Tombekbée, p. 338. — Attaque malheureuse du retranchement des Chickachas, p. 343. — Retraite de 'l’armée, p. 350. — Désastre de l’expédition conduite par d’Artaguette, p. 351. — Remarques sur le deuxième chant, p. 355. TROISIÈME CHANT. Construction du fort de l’Entrepôt, p. 358.— Arrivée à la Nouvelle-Orléans d’une escadre amenant des renforts, p. 361. — L’armée remonte le Mississipi, p. 362. — Elle s’installe au fort de l’Assomption, p. 366. — Arrivée de Céloron et des Canadiens, p. 367. — Vivres fournis par les établissements des Illinois, p. 368. —Inaction del’armée, p. 370. — Expédition de Céloron, p. 371.— Conclusion de la paix, avec les Chickachas, p. 372. — Les Sauvages, malheureusement, ne l’observent pas, p. 374. — Remarques sur le troisième chant, p. 378.


440 SOCIÉTÉ DES AMERICANISTES QUATRIÈME CHANT. Traversée du golfe du Mexique, p. 383.— Le poste de La Balise, p. 384. — Difficultés pour les navires de remonter le Mississipi, p. 386. — Arrivée à la Nouvelle-Orléans, p. 387. — Productions de la colonie. Manière de fabriquer du pain avec du riz ou du maïs, p. 387. —Climat de la Basse-Louisiane : chaleurs, ouragans, inondations, p. 389. — Fertilité de la région des Illinois, p. 390. — Animaux divers, plantes alimentaires, fruits, p. 390. — Poissons, alligators, p. 392. — Plantes utiles et médicinales, p. 395. — Autorités des chefs, religion des Sauvages, p. 395. — Leurs costumes etleurs armes, p. 396. — Les femmes indiennes, p. 397. — Manière dont chassent les Sauvages, p. 399. — Horribles traitements qu’ils font subir à leurs prisonniers, p. 402. — Médecins et sorciers, p. 405. — Enterrement d’un grand chef chez les Natchez et tueries qui accompagnent la cérémonie, p. 407. — Autres usages funéraires pratiqués chez diverses nations, p. 408. — Fête de la Tonne, et jeux des Sauvages, p. 410. — Rapports des Français et des Indiens, p. 413. — Manière dont ces derniers font la guerre, p. 413. — Attaque, en 1722, du poste des Yazous par les Chickachas, p. 414. — Religion des Sauvages et difficultés de les convertir, p. 417. — Conversion des Illinois, p. 418. — L’agiotage à la Nouvelle-Orléans, p. 419. — Commerce de la colonie ; la vente des nègres, p. 420- — La Mobile, p. 423. — Le poste des Natchitotchez, p. 425. — Aventures (fort peu véridiques) de Juchereau de Saint-Denis, p. 425. — Conclusion, p. 433. Remarques sur le quatrième chant, p. 434.

Table des gravures, p. 438.


Nemherry Mihrarr CHICAGO

ALFRED E.HAMILL , PRESIDENT JESSE L.MOSS , SECRETARY PHILIP WILLIAMS , Fl N ANC I AL AG E NT GEORGE B.UTLEY , LlBRARIAN

June 21, 1932.

Le Baron Marc de Villiers 5, Avenue de Segur Paris,Vile, France. Dear Sir:- The article preceding the poem "L’establissement de la province de la Louisiane" in the last number of the Journal des Americanistes has interested me greatly. I believe that the manuscript of the original prose memoir of Dumont de Montigny is in the Ayer Collection of The Newberry Library. I inclose a transcript of the introduction signed Dumont and a list of the maps. The test varies greatly from Le Mascrier. The dates covered appear to be from 1715 to about 1747. The document is 443 pages, 2 pages in another hand, index and 2p., a list of the Indian tribes, and maps. The size of the volume is 26.5 x 19 cm. It was purchased from Henry Stevens of London in 1901 by Mr. Edward E. Ayer, a Chicago collector, and presented by him in his North American Indian collection to The Newberry Library in 1911. I should be interested to know whether you think our manuscript may be the original.

Yours very truly.

Custodian of the Edward E. Ayer Collection.



EPITRE.

Sketch of coat of arms.

Monseigneur - A z Quoique le Poeme que j’ay pris la liberté de vous envoyer, remferme dans quelques endroits des particularités de plusieures années d’observations que j'ay faites de la louisianne. Cependant comme les sortes des f rages (?) (page mutilated) rimes, ne sont propres qu’a donner simplement une idée simple, et embarassante a votre grandeur, j’ay cru, qu’il etoit de mon devoir et de ma reconnaissance, de vous l’envoyer en prose, il est plus etendu et je l’ai rendu plus intelligible que Je l’ay Pu, a fin de ne vous rien cacher, Monseigneur, touchant les événements, qui sont arrives dans ce pays lointain ou votre grandeur, et ses associez ont eu jusqu’à quatres concessions, bien établies, vous y verez aussi les peines et les traveaux que j’y ai soufferts et c’est vous dire a votre grandeur que c’est un robinson françois qui vient se prosterner a vos pieds, et vous faire un confession generalle de toute sa vie, depuis 1713 jusqu’à cette année 1747. Vous y verez en outtre, Monseigneur, qu’il s’agit d’une terre propre a former une colonie les plus florissantes, et des plus fructieuses pour le royeaume, si elle etoit conduitte et gouvernée avec douceur et équité, comme faisaient autrefois les Romains, au lieu qu’elle n’a valu jusqu'icy que des pertes et des fatigues a notre nation. C’est ce que je puis assurer en ayant été témoin occulaire pendant 21 ans, et participant des peines et injustices, que la plus part de ceux qui y commendoient et y regissoient, faisait souffrir a tous les sujets et colons; Malgre

mon exactitude a m'acquiter de tous les devoirs, comme le vera


.MHTIAH

.ams ïo soo to Notezd

- xoerrearoM .evovae arov eb ètmedil sI altq vs’t ebp emoS eI euptong eezseasiq eb astitslvoltasq aeb atiozbne aespleup amab emrrelmen dasbneqeD e ennsi akrol si ©h aetist Ys’t enp anoitsvmeado’b aeenms tnoa en qaèmi (betslitum egsq) (î) aezeil aeb aedoa aeI emmo etmsaassdme te eelqmia ebi en tnemelqmie enob s’up aezqonq sm eb te loveb nom eb ttote It’up UTO Ys’t «TebnsTs extov s obnete asiq tae li esaoTq ne TeYovne’I avov ©h eeo/sealsanooez en ©b nil s eb vs’I i esp eldigilletni asq ubne is‘[ et te tnoa inp eatremeneve aeI tmsHotot eTrerrglearoM «Tedso nel asov zelooaas aea te «sebist extov to nistnio aysq e ansb aevis sezev v anov qaeildste neid qanolaaeonoo aeztaup s’upest, ue Jao taelo de atreltroa ts v’t erp xuseVST$ ael te aesteq aeI taaus Èsp aloonsTl noamidor IW taelo sp TebAeT3 9110V S eib avov nolaasinoo no eisl arov te qabeiq aov s temetaozq ©a tneiv .AI sens ettes s’upart, &ITI akrqeb eiv sa etrot eb slIstene; eret enx’b tias’a IÈlup ezergteanoM etto ne zeTev Y aroV acIq aeb te qetneaaitoll aslq ael einoloo en emol a eqorq te ettiubnoo tiote ©II© ta e emsevo el DOq aeareitomr asl alolentrs tneisaisi emmoo eètirpe te TUeDUOb oevS eemevsos aeb Je aetreq aeb eup vol’upart uIsv s’a elle’up veiI IB eaniemos Javs ce teeas aiuq et eup ©o tae‘0 .soitsn s1Jon b aeggitsi te aenieq aeb tasqioktisq te «ans IS tasbneq extsImoo skomt ete Y je tnetobremmos X Èup zueo eb Jsq aslq sI erp e aeoitartai elsM p nooo te adetra aeI asot s Iilttoa tisalsl etneloaal et stev el ennoo ,a xoveb ael axod el etiupos’m s ebuti tosxe non


votre grandeur, si elle veut bien se donner la peine de se faire lire cette relation et memoires. C’est pour quoy. Monseigneur, pour Mettre la tout a un plus grand jour, j'ay réduit le petit poeme en prose, et je l'ay augmente et corrige, vous y connoitrez, les moeurs des sauvages, leurs coutumes, leurs religions, leur dances, et la manierre de se faire la guerre les uns avec les autres, et pour le pays, vous y verez, ses qualités et ses climats, les richesses et les avantages qu’on en peut retirer pour le service meme de sa Majesté; Par la, votre grandeur vera, que cette Colonie bien conduitte, poura aller de paix avec le perou, et autres colonies voisins, des espagnols et des anglois; je promesse avant tout de ne dire que vérité, meme au péril de ma vie. Je souhaite, Monsignneur, qu’il puisse vous délasser de vos grandes fatigues, et que vous reconnoissiez par la, l’effect quoique très petit de mon humble Reconnoissance des bontés que vous avez bien voulu répandre sur moy, Car sans la protection de votre illustre grandeur qu’est ce que je serois; il n’y a que vous Monseigneur qui me soutenez et dans l’esperance ou je suis d’etre sous l’aille de votre protection, je m’y repose en paix, quoi q’assailly de tous Cotes d’un ennemy furieux qui a jure ma perte et qui a souslevé quoique je me l’aye pas Mérité, des puissances contre moy. Mais ce qui me consolle je n’ay rien et je peux m’ecrier ainsi que le sage bias; Omnia Mea Mecum Porto il est vray, que j’ay toujours attendu, et que le zele que j’ay pour le service de sa Majesté, au quel je puis Me glorifier de n’avoir jamais manqué , me donne lieu encore d’esperer qu’un jour pour a venir, que je jouiray de la paix, et des fruits de mes peines et de mes traveaux, mais cependant il faudroit que la roue de la fortune tournât sans dessus dessous; cela ce peut faire; Mais qu’elle etre plustot comme elle est


•Tl eisl sa eb eniaq BI xerntob ea neid tuev elle la «IDSbAST3 etov .aeiomem le noiteler s lleo basTa anIq rr b trot sI etteM TOq e"terieanoM «coup TOq lae’O is etnemgis Ye'I et le ,68010 ne emeoq titeq el timben vs't e'TUot ,aemuttoo aeI 8e3sVIs8 aeb azveom aeI e31t±0moo Y arov (ègiTToo erer sI eris ea eb erreinsm sI le ,aeonab zeI , anoialle a te I aedilsop aea seTev Y anov aYsq el TOq le asztus aeI bevs ant aeI eiter treq ns no'sp aegstnsvs ael le aeaaenoli aeI tsmilo aea le erp eSTeV TUebnBT3 extov (SI IS tètaetsM sa eb emem esivzea el IDOq te etoeq el oevs xiaq eb eIIs sTrOq eettÈmbnoo neio einoloD elles easemonq et, :alolais aeh le alorgsqae aeh t aniaiov aeinooo aeriss .elv sm eb Ireq US emem ee3HTeV eup eilh en eb trot Inavs aov eb xeaasleb arov saaiuq Illup qeag±anol qtisrtoa el aert eupiomp toslte'I esI Ieq serearonooer arov eup le eaemgitsl aebnsT gIsov neid zevs arov erp aètnod aeh somsaarornooes sldwn nom eb titeq TDebnST3 sxtamlli en cv eb noitoetorq sI ansa s0 (Yom ta sTbnsqet senetroa em top TrergeanoM auov sup s v'n II :aloea et erp eo jas'up enoitoetoq enlov eh ellis‘[ aroa 911915 élira et Do eons e'I ansb le xvel vmere A'b aeloO arot eh yIlisaas'p toup xisq me eaoqe v'm et eedireM asq eYs'I sm et euptoup evelaroa s kup le • deq am eut s Lup et 1® melr Ys'n et loaros em iup eo alsl .Yom etnoo aeonsaalsq aeb YBTV las 11 otro muell sell sin0 asid essa el exp tamis Tei19‘m xueq eb eoivrea el oq ys't esp eles el exp le qübmetts aotrot vs't eup en e erprem aremsi, Tlovs'n eh TeiliTo[3 eM ainq et, Ieup US eètaetsM sa si eh ^sxhwt ®t eup ,Iinev sTUOq Tot, nu'up eeq8016 exoore veil ennob ix Jnsbneges aism exuseVsT+ aem eh le aenieq aom eh atir aeb le {xisq sleo :anoaasb arraeb ansa teatoot e xrxiol sI eh enon si eup tiowbrs

lae elle nmo JotanIq enle elle'up aisM eist tueq eo


(3)

pouruu qu’elle me conserve la protection de votre grandeur, daignez me la continuer et recevoir favorablement ces mémoires, c omme un effort que j’ay faits avec tant de confiance pour mériter votre attention et l’appuy de votre grandeur a la quelle j’ay l’honneur d’etre avec un très profond respect et un humble soumission Monseigneur Le plus humble de ...

Dumont.


semlsb e"ebReT3 eïtov e5 noitoetog Bl evzeanoo em elle’p UTTO nus emmoo aeztomem aeo tmer eldsrovst Trovese te es nitnoo sI em extov tizem Oq eonsilnoo 95 $nst DeV8 atist ys’C eup tolte ennor’I ys’t ellesp sI s TebAsT3 extos 95 voqqs’I Je nottnetts noaaimoa eldmu Et Je toeqae bnoloq aet AU DevS etelb

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LIST OF MAPS.

Carte du Cap françois de Saint Domingue ... Isle Massacre ou Dauphine ... Plan de Pensacolle. Plan du vieux Port du Billoxy ... Port St. Louis ou Nouveau Billoxy. Plan du fort des yachoux ... Carte du fort Rosalie ... Campement de l’armée a rombecbe ... ...L’armée francoise ... chicachas ( title mutilated) Carte du Pouldu ... Concession des chouachas ... Plan de la Nouvelle Orleans ...

There are also several water color pictures through the text.


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— G. de CRÉQUI-MONTFORT et P. RIVET. La langue Uru ou Pukina (suite}. — R. de KÉRAILAIN. Bougainville à l’escadre du comte d'Estaing, guerre d'Amé- rique, 1778-1779. —• W. C. MACLEOD. Some social aspects of aboriginal, american slavery. — A. Métraux. Migrations historiques des Tupi-Guarani ( 1 carte) ; Le bâton de rythme. Contribution à l’étude des éléments de culture d'originemélanésienne en Amériquedu Sud (1 fig., 1 carte). —G. MONTANDON. Une descente chez les Havazoupaï du Cataract Canyon (1 carte, 1 fig. 8 planches). — Ch. PEABODY. Red paint. — D. A. Smith et Leslie SPIER. The dot and circle design in northwestern America (1 carte). — H. TRINRORN. Die Gliederung der Stnde im Inka-Reich. Tome XX. (1928), xxxII-589 p. F Blom. San Clemente ruins, Peten, Guatemala (Chichantun) (2 fig.). — E. CONZEMIUS. Los Indios Payas de Honduras (suite'). —. R. de KÉRALLAIN. Bougainville à l’armée du comte de Grasse, guerre d’Amérique, 1781-1782. — S. Linné. Les recherches archéologiques de Nimuendaj au Brésil (1 carte, 6 fig., 2 planches). — R. LEHMANN-NITSCIIE. Le mot « gaucho », son origine gitane. — J. Lombard. Recherches sur les tribus indiennes qui occupaient le territoire de la Guyane française vers 1730 (d’après les documents de l’époque) (2 cartes). — W. C. MACLEOD. The suttee in North America : its antécédents and origin. — A. Métraux. Une découverte biologique des Indiens de l’Amérique du Sud : la décoloration artificielle des plumes sur les oiseaux vivants (1 carte). —E. C. Parsons. Spirit cuit in Hayti. —J. Williams. The Warau Indians of Guiana and vocabulary of their language. Tome XXI (1929), xxxI-556 p. J. de ANGULO et L. S. FREELAND. Notes on the northern Painte of California.— A. Irving HALLOWELL. The physical characteristies of the Indians of Labrador.— Ceslmr LOUKOTKA. Le Setâ, un nouveau dialecte tupi. —A. Métraux. Les Indiens Waitaka. — George MONTANDON. Découverte d’un singe d’apparence anthropoïde en Amériquedu Sud. — Cuit NIMUENDAJ. Lingua serénte ; Zur Sprache der Maué-Indianer. — Nociones sobre creencias, usos y cos- tumbres de los Gatlos ciel occidente de Antioquia. — E. NORDENSKILD. L’api- culture indienne ; Les rapports entre l’art, la religion et la magie chez les Indiens Guna et Choc. — Etienne B. Renaud. El Morro, une page d’histoire sur un rocher du Nouveau-Mexique. — C. G. RICKARDS. The ruins of Tlaloc, State of Mexico. — Marc de VILLIERS. La Louisiane, histoire de son nom et de ses frontières successives (1681-1819). — Marc de VILLIERS et P. Rivet. Deux vocabulaires inédits recueillis au Texas vers 1688. — James Williams. The Warau Indians of Guiana and vocabulary of their language (sut/e). Tome XXII (1930), XLIV-543 p. K. Birket-Smith. Folk wanderings and culture drifts in northern North America (2 cartes). — C. II. de Goeje. The inner structure of the Warau language of Guiana. — W. Thalbitzer. Les magiciens esquimaux, leurs conceptions du monde, de l'âme et de la vie (9 fig., 15 planches). — J. JIJN y CAAMAO. Unagran marea cultural en el N. G. de Sud América (16 fig., 13 planches).— R. LEIMANN-NITSCHE. Anciennes feuilles volantes de Buenos Aires ayant un caractère politique, rédigées en langues indigènes américaines. — R. d'HAR- court. Technique du point de tricot à Nazca (1 planche) ; —L’ocarina à cinq sons dans l’Amérique préhispanique (6 planches). — E. Nordenskiôld. Huayru game (3 fig.). — E. NOGUERA. Algunas caractersticas de la cermica de México (21 fig., 5 planches). — G. NIMUENDAJ. Zur Sprache der Kuruya- Indianer. —S. Ryden. Une tête-trophée de Nasca(l planche). — F. J. Duval Rice. A pacificaçàoe identificaçao das alinidades linguisticas da tribu Urubiï dos eslados de Para e Maranho 1928-1929. NOTA. — Chaque tome renferme, outre de nombreuses nouvelles américanistes, des analyses des travaux récemment parus se rapportant aux études américaines, et, depuis le tome XI. une bibliographie américaniste complète publiée sous la direction de M. P. Rivet.


JOURNAL

DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES.

SOMMAIRE DU TOME XXIII (Fasc. 2).

Pages

Membres de la Société des i Ricard (Robert). L’ « incorporation » de l’Indien par l’école an Mexique (suite) 441 Villiers (Marc de). L’établissement de la province de la Louisiane avec les mœurs des sauvages, leurs danses, leurs religions, etc. Poème composé de 1728 à 1742 par Dumont de 273 Actes de la Société (octobre 1931) 459 Nécrologie : Aldobrandino Mochi (P. Rivet) 461 Mélanges et Nouvelles américanistes. . 465 Rivet (P.) et Rarret (P.). Bibliographie 475

Les communications concernant la rédaction et les demandes d’adhésion à la-Société doivent être adressées à M. P. Rivet, secrétaire général, au siège de la Société, 61, rue de Buffon, Paris (5 e ), les cotisations à M. R. d’Harcourt, trésorier, 138, avenue de Wagram, Paris (17 e ). La Société a un compte de chèques postaux : Paris n° 1394 97.

Cotisations :

Membres delà Société résidant en France 50 francs. Membres de la Société résidant à l’étranger 60 francs.

Abonnement d'un an : 70 francs (pour la France); 80 francs (pour l’étranger). Bibliographie américaniste : 25 francs. La Société possédant un stock complet de ses publications, les fascicules épuisés ayant été réimprimés en fac-similé, est en mesure de répondre à toutes les demandes qui lui seraient adressées. La collection complète (l re et 2 e séries, tome XXIII inclus) est vendue : 2.470 fr. Un catalogue sera envoyé à toute personne qui en fera la demande.

MACON, PROTAT FRERES, IMPRIMEURS. MCMXXXL