
George Washington Cable.
“Posson Jone.”
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Bossu, M., 1720-1792
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NOUVEAUX
VOYAGES
AUX
INDES OCCIDENTALES,
PREMIERE PARTIE. $ *


..



ÉPITRE
AUX CITOYENS.
C’EST à vous, Citoyens,que j�offre ce Recueil d�obfervalions que j�ai faites dans une partie du nouveau Monde , avant & pendant la dermexe guerre. Fous jugere^fi je l�ai rendu affe^ intéreffant.
L attachement que fai toujours eu pour ma patrie, ma porté à m occuper plut�t des intérêts de mon Prince , que des miens perfonnels.
Tels ont été mes principes
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� if!
VJ E PI T R E. dans tous les tems, & dans tous les lieux.
Je penfe qu�il ne fuffit point d un Militaire de fervir, mais qu�il peut encore être utile a l�Etat par des connoiffances pratiques, relatives ou liées a fin fervice. C�ejl fous ce double point de vue que fai Juivi l�ordre de mes voyages.
Je férai trop heureux s�ils peuvent faire quelqu impreffion fur vos efprits.
La néceffité de rendre raifin de certains faits analogues a mon fujet, ma forcé de remonter a la fiurce des malheurs caufés par des perfonnes qui ont abufépeut-être de l�autorité qui leur avait été confiée
EPITRE. vij
dans ces climats lointains.
Ennemi de toute perfonnalitê, je t�cherai, avec la franchife naturelle à mon état, de ne point bleffer la délicateffe des honnêtes gens. Cependant s�il exifle des hommes injufles capables de tenir une conduite irréguliere, même oppofée aux ordres du Souverain 3 violant les loix divines & humaines , avides d�acquérir des richejfes aux dépens du fang des malheureux 3 il ejl indifpenfable de dévoiler d la poflérité leurs intrigues & leurs prévarications.
Je laiffe à mes lecteurs le foin de juger des couleurs que j�ai données à mes portraits. Je
a iv
I

viij EPITRE.
ne me permettrai à cet égard quune réflexion ; ce flatte ceux qui font établis pour gouverner les hommes , doivent s�appliquer à bien conno�tre le génie, le caraélere & l�intelli
fujets quils em
Je defire fort que mes l CCleurs trouvent dans ces lettres des nouveautés qui les amufent, & qui les injlrui fent : je me flatte qne les motifs qui m�ont animé3me mériter ont lindulgence des vrais Patriotes, s�ils s�attachent plut�t à la vérité qu�à l�élégance du flyle.
Que je mérite leurs fujfrages, mes vaux feront remplis.
gence des ployent.

IX
AVERTISSEMENT.
L�Auteur de ces Mémoires ayant parcouru pendant l�efpace de ia ans les terres de cette vafte région habitée par des Peuples Sauvages, & voulant les attacher de plus en plus aux Fran2ois,apprit leur langue pour en approfondir les m�urs & le cara&ère, afin de leur faire toutes les quefiions néceffaires au bien du fervice: c�eft ce qui l�a mis en état de garantir l'exactitude de fes obfervations.
Il écrivoit tout fimplement à un Officier de diftinétion avec lequel il étoit en correfpondance, & qui étoit curieux d�ap
�irendre la maniéré dont vivent
es Habitans de l�autre Hémif

x Avertissement. phère ; l�Auteur a t�ché de développer leurs plus fecrettes penfëes ; il a remarqué avec furprife l�ordre 6t le talent oratoire qui régnent dans les difcours de ces hommes que nous appelions Sauvages : l�on en trouve la preuve dans un Difcours prononcé par Thamathélé- M�ngo ( i ) Chef d�une Tribu appellée Allibamone, o� il étoit queftion de maintenir une paix perpétuelle entre les Nations belligérentes , on en verra le précis dans la quinzième Lettre.
Les Lettres hif�oriques qui compofent ce Recueil, conduifent en effet le le�eur à un encha�nement de faits furprenans. Elles font véritablement curieufes ; elles intéreffent par la variété & la nature de leurs
(i) Mingo lignifie Chef ou premier Cacique de canton.
AeRTISSEMENT. X} objets. Les réflexions morales 6t politiques, qui s�y trouvent, fans être recherchées par le ftyle, font naturelles. On y reconno�t par-tout la même droiture, la même fidélité qui ont dirigé l�Auteur dans toutes fes allions, louées & atteftées avec tant de juftice dans les pièces authentiques annexées à l�ouvrage o� il n�y a rien que de trèsexaét, tant pour la Topographie que pour l�Hiiloire générale des Indes Occidentales, qu�il a fuivje pour en citer les anecdotes les plus intéreflantes.
Cette Relation contient un Sommaire jufte des principaux événemens qui regardent ce pays, rapportés dans l�ordre des tems o� ils font arrivés depuis qu�il a été découvert(i) en 1512 jufqu�en 1762,
( t) La Louifiane portoit ci-devanc
xij � Avertissement.
L�Auteur, incapable d�en impofer au public, perfuadé d�ailleurs que la vérité doit faire plus d�impreff�on fans ornemens que tout le merveilleux dont on voudrait l�embellir, raconte ce qu�il a vu & appris fur les lieux. Il aurait p� s�étendre davantagej mais il s�eft reflraint à rapporter fuccintement les faits les plus intérelfants dans la crainte d�être diffus.
* Quoique cette defcription contienne quelques faits aufli agréables qu�utiles , on peut néanmoins s�affurer qu�elle ne fe fentira pas du ftyle romanef
� ��
le nom de Floride, ce fut Jean Ponce de Léon 3 qui la découvrit le 27 Mars IJI2, le jour de P�ques Fleurie > c�eft fans doute à caufe du bel afpeéfc qu�elle offroit par quantité de vergers de de campagnes fleuries, qu�il lui donna ce nom.


Avertissement, xiij que de la plupart des voyageurs, qui inventent à pla�fir des hiftoires fingulieres pour fe donner plus de relief, & qui à la faveur d�un ftyle élégant ont préfenté des fables,quelquefois ingénieur fes, pour des vérités ; ( i ) les autres manquent d�anecdotes e� fentielles touchant les ufages de cesPeuples, qu�on ne f�auroit bien conno�tre qu'en vivant long tems avec eux.
Tous les faits que l�Auteur rapporte dans ce Receuil, paro�troient des délions, s�il n�y avoit actuellement en France nombre de perfonnes diftinguées, compagnons de fes courfes & de fon dernier voyage^ qui peuvent les certifier.
On a cru devoir femer cet Ouvrage de notes hiftoriques ,
(i) Voyez les Lettres édifiantes,
V)


xiv Avertissement.
géographiques, & d�autres pour expliquer certaines phrafes emblématiques dont fe fervent les Sauvages dans leurs harangues.
Ce n'eft qu�avec une extrême répugnance que ce Militaire parle en paffant de quelques faits qui lui font perfonnels, il y a été contraint par la liaifon des matières ; mais fon objet principal, en mettant fous les yeux de fes compatriotes les vertus & les vices des Pays étrarfgers, a été d�infpirer de l�horreur pour les prévaricateurs, & de l�eftime pour les vertueux.
L�équité & la fageffe du Mittiftère dont toutes les vues font dirigées vers le bien général , vont effacer & réparer les brigandages que les circonftances de la guerre, �C l'éloignement des lieux avoient voilés à fes yeux. Le zèle & l�attachement

Avertissement, xv que le Miniftre fait paro�tre pour la Marine , le bon ordre qu�il fait réellement obferver dans nos Colonies, indépendamment du paéte de famille qui fait exifter la bonne intellience entre les fujets des deux ouronnes, font de furs garans à la Nation , qu�elle partagera avec fes bons �c fidèles alliés les Efpagnols, les richelfes du no�yeau monde.
� Puilfe le Ciel exaucer nos v�ux pour la confervation des jours précieux de l�augufte famille de Bourbon,
XV
g!
EXPLICATION
De l�Eftampe du Frontifpice.
Un Roi Sauvage appuyé fur fort arc , foulant fous fes pieds Cor qui fort d'un coffre renverfé * montre le mépris qu'il en fait ; il fe nommoitle Soleil, & en portait Vimage empreinte fur la peau de fa poitrine.
Les petitesfigures vues dans le lointain% dont une femme allaitant fon enfant d Vombre d'un arbre, les autres prenant leur repass ajfifes fur la terre 3 près d'une cabane couverte de rofeaux, défignent la fimple nature de nos premiers peres * & Vheureufe innocence o� vivoient ces Peuples � avant que les Fran�ois arrivajjent che\ eux, car ils navoient point été corrompus parle fafte & l'avarice ^ quoiqu'ils eufjent leurs vices particuliers.
La petite balance ou le trebuchet deftiné feulement pour péfer leur monn�ye 3 excite la colere de ce Prince Sauvage ,


'�w

XV1J
rage , qui ef� fuppofé fpeftateur de Vajj'ajjinat du célèbre M> de la Salle * par fes propres gens ; Vindignation de ce Cacique * loin de diminuer y s�augmente encore en voyant ces l�ches aJJ'ajfins devenir leurs propres bourreaux , & s�entr�égorger pour partager le fruit de leur crime*

I
De Monjleur le Marquis de l�Estrade à /Auteur.
Au Chateau de Eoux près V�teaux en Bourgogne, le 15 Décembre 1761.
sf z re�u y Monjleur, par duplicata * toutes les Lettres cpie vous m�ave% écri� tes depuis 17 59, 1760 y 1761,1762, les premières ne m étant point parvenues* elles auront été fans doute interceptées j foyei très-perfuadè que je n�aurois pas manqué dé y répondre; néanmoins je fuis bien charme d apprendre que vous êtes arrivé heureufement � la Corogne, malgré tous les objlacles qui fe font rencontrés dans votre traverfée, qui a été une des plus rudes en tout fens.
Je reviens à vos Lettres hiforiques ; je les ai lues avec beaucoup d�attention �? de plaifr ; tout y décéle en vous J Monjleurle Militaire intègreintelligent, laborieux & éclairé Vos voyages portent un caraélere de vérité que,



L E T j ^ ^ xi*
nnpejture la plus adroite ne pourra jamais imiter; on y reconna�t partout un objervateur attentif, un vrai Citoyen, & un ami des hommes.
Vous m'ave^ fait beaucoup de plaif�r Monjieur, en m�apprenant la fa�on de vivre des Sauvages; je vous avoue que je Juis ravi de votre defcription, tant par l importance &� par la fmgularité
esjaits, que par la maniéré naturelle aont ils font racontés.
Les réflexions qui y font femées ffont flmples y judicieufes &- vraies � elles ont le mente d�être énoncées avec beaucoup de nettete & depréciflon. Le ftyle a de la rapidité, fouvent de la chaleur, toujours de la clartéj comme prefque tout y e( intereffant, la leflure en efl trèsattachante ; elle fe fait fans effort &> avec un plaiflr continu. L�hiftolre du vieillard quifefacrifle pour fon fils J &� celle des quatre malheureux qui, à la fuite de M. de Belle-Ifle,périffent de faim, font très-pathétiques.
u refie, on ne f�auroit donner trop délogés a un brave Officier qui a affronté les plus grands périls pour J a patrie &
qui a enrichi le peuple lettré du fruit de es recherches par mille obfervations utV neuves & curieujis.
�

xx LETTRE,
Je ne do ute nullement que fi ce receuil étoit imprimé fie public ne U accueillit favorablement , étant écrit auec une fran~ chife militaire, bien préférable à la froide exattitude de tant de beaux efprits* Des circonftances fi recentes y intèrejferont les politiques, les Citoyens , & les philofophes amis de Uhumanité*
En mon particulier je ne puis, Monfieur, vous exprimer qu imparfaitement mes fentimens d�efiime �? de reconnoififance de la bonté que vous ave\ eu cte m'envoyer la fuite de notre correfpondance ; elle vrV a fait un plaifir quijera gravé long-tems dans ma mémoire� Mes fils ont lu cet ouvrage fans dij�rattion 3 & ils Vont trouvé comme moi très-propre à infpirer cette m�le vertu qui doit être inféparable de la profeffion pour laquelle ils font nés , ils ont déjà parcouru en idée ces vaj�es régions que vou ave� trader fées en réalité,& avec tant de courage pour le fervice de l Etat� Je fuis, Mon� fieur ; avec des fentimens difiingués,
votre ; &c. Signée
Le Marquis de d�Estrade de la
C�vsse, NOUVEAUX



nouveaux
V O Y A G E S
AUX
INDES OCCIDENTALES.
LETTRE I.
A monsieur LE MARQUIS DE LESTRADE.
Départ de l'Auteur pour l'Amérique, De Ter in fn de La Ville du Cap Fran�ois , Cruautés des Espagnols envers les Naturels de l�Ifle de à.Dominée, travaux des Mines, véritable
origine de la Maladie de Naples
M
ONSIEUR,
Lorsque j�eus l�honneur de vous faire mes adieux, vous me reconunani. rartie%
\
2 Nouveaux Voyages
dates de vous communiquer tout ce qui me paro�troit remarquable dans ce nouveau monde; vous exige�tes encore que je vous fi (Te un détail de ce que la route m�offriroit d intérefl�nt; je profite avec emprell�ment de mon féjour au Cap Fran�ois, pour remplir des engagemens qui me font chers, puifqu�ils peuvent vous être agréables*, J�étois à Belle-Ifle en Mer en �7JO ; Monfieur le Chevalier de Groflolles y commandoit ; il me remit une lettre de Monfieur le Comte é�Argenfon, qui me prévenoit que Sa Majefté , venoit de me nommer à une Lieutenance dans les 1 roupes de la Marine; ce Miniftre me piefcrivoit de partir fans délai pour me rendre à Rochefort ; je m�embarquai en conféquence fur le premier chaiTe-marée defiiné à transporter à la Rochelle les Sardines qui fe pêchent fur les c�:es de Bretagne , & qui fom le principal revenu des Habitans de Belle Ifie* Au mois de Novembre nous appareill�mes devant le Palais, ( nom de la Ville qui eft dans cette Me); dès la première nuit nous efluyames une fi furieufe tempête à la hauteur des cotes
aux Indes Occidentales. ? Poitou , qu�on eut dit à chaque g�tant que notre petit vaifTeau battu, poune & envelopé par les vagues, . erre englouti fous les flots ; l�éflU)page étoit compofé d�un Pilote, S� de trois Matelots, Bas-Bretons quon appelle communément loups . e mer ; fls font fi accoutumés à cet ement, qu�ils le bravent avec intiepidite dans les faifons les plus rigo^.ieufes. Le vent ayant augmenté,
à nflPnr0n fr contraint de rel�cher I jfle-Dieu fituée entre le Poitou
rend JrT ^ Aun�S J n�US ? refl�mes
la mer f,hU1f ^ � b�Ut def<^uels amer fe calma; nous rem�mes auffi
t a la voile, & nous continu�mcs otie ioute jufqu�à l�Ifle de Rhé � de - la je fis le trajet d�un bras de merde trois lieues qui fépare l�Jfle du
Continent, pour aller à la Rochelle,
& - lendemain , arrivai à Rqchefort Me., oidres portoient de m�adrefTer en y arrivant à l�Intendant du dén r renient de la Marine, qui efl M e formant de Méfi (l) homme d�un
mirLAfdé, depuis au miniftere de �marine, tous le titre d�intendant généra"
A'ij
Nouveaux Voyages
vrai mérite & bien digne du Porté qiPil occupe , par fes lumières 5c par la bonté de fon c�ur ; il me dit qu�après que je me ferois pourvu de tout ce qui m�étoit néceffaire pour mon voyage d�outre-mer, je pouvois aller a la Rochelle & m�embarquer fur le Vaifleau nommé le Pontchartrain du Port de 400 tonneaux. M. le Normant avoit frété ce Navire pour le compte de Sa Majefté, à l�effet de tranfporter quatre compagnies de foldats de Marine 5 que nous primes à la Citadelle de l�Xfle de Rné ; ces troupes étoient deftinées à renforcer la garnifon de la nouvelle Orléans.
Nous f�mes voile de la Rochelle �e 26 Décembre; nous f�mes plus de 1 y jours contrariés par les vents à la C�te d�Efpagne ; nous étions fur le point de rel�cher à la Corogne pour mous mettre à l�abri dans fes parages; mais heureufement le vent changea
tof.--�� - � � � � � �...
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la Marine & des Colonies Fran�oifes ; je faif�s avec plaif�r cette occaf�on de lui témoigner publiquement ma reconnoiffance de l'accueil favorable que j'en re�us & des fervices qu'il 111e rendit.
\
aux Indes Occidentales. f
tout a coup, 3c à la fin du mois de Janvier fuivanc, nous nous trouv�mes a la vue de Madere (i) appartenante a la Gouronne de Portugal; elle eft nommée la Reine des Ifles à caufe de la fertilité 3 de la bonté de fon terrein; elle peut avoir 20 lieues de circuit ; elle produit d�excellents vins* <k les fruits les plus agréables à la vue & les plus favoureux au go�t,
Ge 1 y Février nous nous trouv�mes fous le tropique du cancer. Le 16> fe p a fia en certaines cérémonies allez rifibies, que font faire les Marins à ceux qui n�ont jamais paffé la ligne ; on les baptife avec de l�eau de mer ; on eft garanti de cette furabondante Sc incommode afperfion, au moyen d petite générofité que fon fait au Ma�tre Alatelot. Enfin deux mois apres notre départ de la Rochelle ,
1
(1) Ifle de l�Afrique a fOcéan Occidental, & au Septentrion des Canaries ; ces dernières furent découvertes en 1417, par un Gentilhomme Normand nommé Jean Benthencourt, qui porta le titre de Roi des Canaries, Sc en facilita la conquête aux
Elpagnols a qui elles appartiennent aujourdhui.
A iij
� Nouveaux Voyages
nous Sommes arrivés heureufement au Cap i an�oiSj Core Sc Ifle de Saint Dommgue 5 qui eft la première Terre e 1 Amérique ou les Efpagno�s ayent b�ti des vailles & des Porteref�es.
^aP fi�ué au pied d�un Moi ne ; il cft deffendu par un Fort taillé dans le Pvoc à Feutrée du Port : cette ^Forterelfe bien munie d�artillerie j s�avance dans la Mer, & y forme un Promontoire ou Cap: c�eft de-là que la V il le tire fon nom ; elle eft peuplée d Européens négociants; de Créoies &de Negres, que les habitans employent à la culture des Canuts a lucie, du Caffe, de l�Indigo^ du Cacao. ou Coton, de la Calie, du Tabac & autres denrées.
Les Espagnols & les Fran�ois partagent ce pays ; ces derniers en occupent la partie la plus occidentale. San Domingo , en eft ia Métropolitaine ; c�eft la réf�dence d�un Evêque que Sa �Y�ajefté Catholique y entretient pour le fpirituel.
Cette Ifie eft devenue célèbre par l�origine du mal de Naples ; on eft fi peu d�accord fur ce fait, on le raconte de tant de différentes manie
aux Indes Occidentales� 7
Tes, que je crois devoir vous le rapporter au vrai.
Nicolas de Obando, étoit Gouverneur de ce Pays, vers la fin du quinziéme fiecle. Tous le régné de Ferdinand d�Arragon , & d�Kabellede Caftiile; il lui étoit exprefTement recommandé de travailler à la converfion des Indiens fubjugués ; il les diftribua aux Caftillans en donnant cent à l�un cinquante à l�autre, & appel-la cette fa�on d�agir Bxpartimiemo, partage ou divif�on ). Vous conviendrez M. que voilà en effet une (inguliere fa�on de taire des profélytes au Nouveau monde; de paieries maximes font bien oppofées au véritable efprit du chnirianifme (�).
Ces Efpagnols avides d�or, forcèrent ces malheureux Indiens à travailler aux mines ; ils les obligèrent à reftcr
(i)-� Le Roi Dom Ferdinand, informé de � ces déréglemens, s'écoit appliqué a y porter � du remede, & fes l'oins regardoient partir> culierement les Indiens , qu�il déf�roit pro� téger & attirer à la foi, ce qui a toujours etc w les premières vues des Rois Catholiques ; � en effet il donna plusieurs ordres & publia r> des lorx pour les faire inftruire par la voye � de la douceur, de l'exemple & du défintc
� iv
5 Nouveaux Voyages
Luit ou neuf mois prefque enfevelis dans les entrailles delà terre� Ce pémule travail, les vapeurs fulphureufes qui s exhaloient continuellement des mines, là difette ou les réduifoit Pimpoi��bilité d�enfemencer leurs terres, tout^cela corrompit tellement en eux la ma�e dulang, que leur vifage paroifToit d�un jaune fafrané; il leur fortoit de toutes les parties du corps desefpeces de pu(iules qui leur caufoient des douleurs infupportables. Bien-t�t ils communiquèrent cette contagion à leurs femmes
6 par conléquent à leurs ennemis ; les uns 3c les autres périfloient faute de remedes.
Les Efpagnols defefpérés crurent que cette pefle ne les fuivroit point en Europe o� ils pafferent pour changer d�air ; mais ils fe trompèrent ; ils donnèrentà leur retour, aux Européens , le mal qu�ils avoienc re�u des
� reffement; mais tous les moyens dont il Ce v fervoit, perdoient leurs forces en s�éloignant, � de la même maniéré qu�une flèche tombe w au pied du but, lorfqu�elle eft hors de la por� tce. du bras de celui qui la décoche.
D. Antoine de Solis,

aux Indes Occidentales. p
Américains. Dieu cependant eut pitié de ces miférables Inlulairesj une Indienne femme d�un Caftillan, découvrit quelque tems après un certain bois appelle Guayacan qui fuffit pour alléger leurs maux.
Il n�efl que trop vrai , M. que le niai ne produit que du mal. Les Espagnols ont immolé des millions d hommes dans le nouveau Monde � ils ont devafté des paysimmenfes pour
ufurper 1 or des Indiens ; mais comme dit tort bien un tameux Poëte*
� Sous nos loix, il cil vrai, l�Amérique e� rangée,
� Mais fon mal nous détruit, l�Amérique dt vengée. 1
M. de Voltaire*
L�or & l�argent donnent autant de peines & de latigues à ceux qui les tirent des mines, qu�ils procurent de contentement & d�aifance a ceux qui les poffedent. U a fallu, me difoit un Ingénieur Efpagnol, vingt neuf ans cie tems pour trouver au Potof� 3 la veine de Crufero, qui a deux cent cinquante verges de Profondeur. Tel eit, M. le travail pénible & furnatuvel
A v

* O Nouveaux Voyages que le pouvoir & la cupidité font faire, 5c que le befom 5c la fervitude exécutent pour tirer l�or des entraille . de la terre. Les malheureux ouvriers qu�on y employé renoncent à l�air de notre atkmofphere à la clarté du Soleil, pour s�enfevelir dans les ab�mes profonds, infeds 5c glacés de notre Globe ; les exhalaifons qui en fortenr, font li mal faines qu'elles caufent des écourdiffemens 5c des maux de c�ur fubits aux travailleurs dès qu�ils commencent à y entrer. Us fe fervent de Chandelles pour s�éclairer dans ces ténébreux fouterreins; le métal y eft communément dur ; ils le caffent à coup de marteau, après quoi ils le montent fur leurs épaules, par des échelles à trois branches faites de cuirs de b�uf retors , qui font traverfés d�éche�lons de bois, de forte qu�en même tems que l�on monte par un c�té., on peut defcendre par l�autre ; elles font longues de dix ftades. Un homme porte ordinairement fur le do s j le poids de deux arobes(i) de c@
(i) i�Arobe pefe livres poids de Marc*
aux Indes Occidentales. . i � métal,envelopé d�une toile; celui cjtu vu devant., a une chandelle attacuee a for* pouce, �c tous fe tiennent des deux mains à l�echelle pour monter un eipace de 25*0. pieds de hauteur.
L�hiftoire générale des Indes Occidentales nous apprend que les peuples de la Floride prenoient les tacs oit étoit l�argent de les jettoient loin d�eux comme chofes inutiles. Il n�en étoit pas de même de ceux du Royau * me du Mexique qui fai (oient cas de l�or; voici en propres termes., ce que rapporte Jofeph D'accj�a dans fon hiftoire univerfelle des Indes : 53 il eft � vrai, dit - il, que leur avarice n�é05 toit point parvenue au même point � que la n�tre, & quoi que ces Peuoo pies fuffent Idol�tres., ils n�ont jamais oo tant idol�tré l�or & l�argent comme :� quelques mauvais Chrétiens qui oni 50 commis les plus grands crimes pour oo ce métal.
Le même i\uteur cite un trait qui caraéterife parfaitement la llupide cupidité de 1 homme ,1e voici:
� moine Efpagnol , confiderant !e � haut & fameux Volean deGuatimal^ 30 fe perfuada que ce qu�il voyoit ea�

12
Nouveaux Voyages
" fla7l ne P�uvoit être qu�une � mai�e d oi, puifque depuis tant de
- fiecles elle br�lait fans le confumer. -Sur cette faute idée, il inventa � ce, faines chaudières, cha�nes & autres
- inltrumens pour retirer fon préten
- du or liquéfié de cette efpece de 35 puits ; mais le leu deftruéleur tromH P* attente , car la cha�ne & Ja
� cha�diere approchoient à peine de
M ce�e bouche d�enfer, qu�elles étoient
- auflitot fondues; néanmoins,dit l�Au
- teur, ce perfonnage s�obftinoit tou
- jours a d�autres inventions pourpui35 Jer cet or dont il étoit altéré; mais
- s etant trop approché, l�exhalaifon de
- ce volcan lui fit perdre la vie lorfqu�il
- penfoit venir à bout de fon chiméri �
" que& bizarre delTein. C�eftain/i, que
- les aveugles mortels h�tent leur mort
- en voulant trop fe procurer les déx lices de la vie.
Pour revenir, Monfieur, aux Indiens de Saint Domingue, Phiftoire de ce pays nous apprend qu�un Cacique (O nommé Poncra étanthar
(i) Efpece de Roitelet.

\
aux Indes Occidentales. 13 celé par les Efpagnols, prit le parti de s�enfuir de fon Village que les ennemis trouver nt dépeuplé & o� ils pillèrent trois mille marcs d�or qui y éroient reftés. Vafco N une{ de Bal boa fuccefTeur de Nicolas de Obando � envoya des gens après ce Cacique pour lui dire qu'il n�appréhend�t point de revenir, qu'il feroit fon ami, qu�autremefit il l�iroit chercher & le feroit dévorer par fes chiens (:).
(1) Les Efpagnols avoient paf�és avec eux des Chiens d'attaches qu'ils avoient inffruits à ch aller 1 es Indiens ; dès qu'on les lichok fur ces malheureux, iis leur arrachoient les entrailles &c les dévoroient II y en avoir un entre autres nommé Baromel qui croit très redouté dans i'Ifie ; quoique ce Chien fut couvert d'un Bouclier pour le garentir des flèches des Indiens, ceux-ci parvinrent, dit-on, à le tuer, en lui crevant les yeux à coups de dards, ce qui fut un fujet de triomphe pour eux.
Antoine �3Herrera rapporte dans fa premiere^Decade, que cet animal redoutable, doutai inftinft étoit fingulier, gardoit le pacage dune gorge dans S Domingue, & qu'un jour une Indienne voulant palier , elle lui adreffa ces paroles Seigneur Chien , ne me
jais point de mali je porte cette Lettre aux
�

Nouveaux V*oya&e$
9 Poncra intimidé par ces menaces � n ola pas défbbéir. Il amena avec lui �iois autres Seigneurs fes valTaux ; Nunei de Balboa employa vainement tous les moyens imaginables pour lui fane dire d�ou l�on droit l�or de cette terre qui avoit �a reputationd�en produire beaucoup; les bons traitemenss les iupplices ne purent lui arracher ce lecret qu�il ignoroit peut-être. A l�ér gain des trois mille marcs d or qu�on avoir trouvés, Portera répondit que ceux qui les avoient amaf�es étoieot morts des le terns de Tes peres , de quil n avoir pas daigné en faire chercher de nouveaux, n�en ayant aucun befoin, Ce malheureux Cacique fut livré a la fureur des chiens qui le dévorèrent avec fes trois compagnons.. Quelque teins après un Efpagnot tomba entre les mains des Indiens r fujets de l�infortuné Portera ; ceux-ci lui reprochèrent la trop grande avidité que les gens de la Nation avoient
Chrétiens ; il ajoute qiiaufjitot le Chien la fiai* ra, pijja contre elle, ( ce font les termes ) tf h hijfa pajjer fans lui faire aucun maL

aux Indes Occidentales. I / pour l�or ^ les injuftices qu�elle leur faifoit commettre ; feule, elle les arrachoit de leur patrie , les amenoit dans cette Ifle à travers tant de périls 8c de mers, 8c les portoit à inquiéter des peuples qui vivoient paifiblement dans leurs cabannes fous la protection du Grand El prit (1).
Après cette courte harangue , ils fondirent de l�or 8c lui en coulèrent dans les oreilles 8c dans la bouche enluidifant: chien y puifque tu as tant d'envie d�en avoir j rajjajie toi.
Il iaut pourtant convenir, Monfieur, que il l�hiftoire du Mexique ne nous rappelle que des horreurs , celle de Saint Domingue nous fournit en revanche des traits généreux.
Dans un tems de grande difette, un Indien offrit un jour deux Tourterelles en vie à Dom Pédro de Magaratit, Commandant autre-fois ici pour le Roi d�Epagne. Ce Général les prit, les paya largement à l�Indien, & pria une partie de la garnifon de monter
(1 ) Ees Sauvages appellent ainf� l�être fuprême.
*6 Nouveaux Voyages avec lui au lieu le plus élevé de la ViHe, y étant arrivé , � Meilleurs � � eur h, en tenant ces petits anix> maux, je fuis bien f�ché qu�on ne
33 m Pas apporté de quoi vous re33 galey tous ; je ne puis me réfoudre 55 à fatisfaire mon appétit tandis que 33 vous eres dévorés par la faim; en 13 achevant ces mots, il donna la vol55 lée aux deux oifeaux.
� r^n p�?urr�h ajouter à ce trait une infinité d autres qui ne font pas moins à honneur aux habitans de cette Me* Il y en a plufieurs qui auroient mérites que 1 hiftoire en eut fait mention; parmi ceux que Tan m�a racontés, je ne puis me retufer au plaifir de vous rapporter ceiui - ci. Un ancien habitant ce oaint Domingue avoit fait une fortune confidérable ; le commerce, le travail & l�induftrie en avaient été les infirumens. Elle n�avoit apporté aucun changement à fes m�urs & à fa conduite ; il ne l�eftimoit que par
ce qu eLe le mettort en état de rendre des �ervices.
Auflit�t qu�il arrivoit un vaiiTeau de Irance, il alloit fur le rivage voir débarquer les paflagers, & ordinaire


aux Indes Occidentales. 17
ment il les conduifoit chez lui. Un jour il vit pliif�eurs jeunes gens qui s imaginoient que leur fortune feroit faite à leur arrivée ; ils portoient des lettres de recommandation ; ils y comptoient fi fort qu�ils firent peu d�attention au bon Colon qui les abordait, celui-ci les laiffa , en leur fouhaitant toutes fortes de bonheur ; quelque tems après , il les rencontra fort trilles & peu contents de la réception qu�on leur avoit faite. Meffieurs, leur dit - il, vous ne m�êtes point affurément recommandés, vous ne comptiez pas fur moi ; mais je fuis homme, & vous avez befoin de fecours; venez chez moi, vous y trouverez un petit ordinaire , un logement; pendant ce tems il fe préfentera peut-être quelque chofe qui vous conviendra. Les jeunes gens enchantés acceptèrent foffre ; ils le fuivirent à fon habitation ; ils y trouvèrent une table de vingt couverts ; qui fut fervie par autant de domefliques noirs. Un des nouveaux arrivés demanda fi on les avoit amenés à des noces & fut bien étonné d�apprendre que c�étoit l�ordinaire. Le ma�tre de la maifon
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18 . Nouveaux Voyages
les retint ainfi pendant quelque terns } es confeils , les foins j leur procure-� lent ces étabniiemens avantageux.
Vous penfez bien , Monfieur , qu un manie qui avoit le c�ur auili bon et oit aimé & refpeété de tous les Efclaves qui le regardaient comme leurpere. Cet habitant étoit bien éloigne de la Barbare avidité de certains Colons, qui forcent ces malheureux a des travaux fi effrayans qu�ils refuient de le marier pour ne pas faire s difent-ils, des Efclaves à des ma�tres qui les traitent, lorsqu�ils font vieux &c infimes, avec moins d�attention que leujs chevaux Sc leurs chiens, (j) Quant aux habitans des If es Fran�oues de � Amérique je puis vous aflurer, Monfieur, qu�ils font fort
(T) J ai vu un habitant, nommé Chaperon, qui ht encrer un de fes Nègres dans un four enauu ou cet infortuné expira; & comme fes machoiics s croient retirées, le barbare Chapeion dit : je crois qusil rit encore, & prit une fourche pour le fourgonner. Depuis, cet habitanteft devenu l�épouventail des Efclaves, & lorsqu'ils manquent à leurs ma�tres,, ils les menacent en leur difanc : Je te vendrai J Lbaperon.

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aux Indes Occidentales. �$
généreux envers les Etrangers ; on peut meme voyager dans l intérieur des terres, fans qu�il en co�te un fol* il fuffit feulement de porter un air ouvert & décent, qui annonce de l�ho nnétecé ^pour être bien re�u d�habitations en habitations.
C�eft avec jufte raifon qu�on accorde en France le titre de nobleffe aux Créoles ; ils y répondent parfaitement par leurs �entimens diftingués foit dans la profeffion. des armes, foit dans d�autres arts qu�ils exercent avec fuccès.
L�homme eh le même partout ; il eft également 'f�fceptible du bien & du mal; l�éducation corrige tes vices, mais elle ne lui donne point de vertus ; le même auteur a créé l�homme policé & l�homme Sauvage, & les a doués de qualités égales : c�eft ce que vous verrez , Montreur , dans le cours de ma correfpondance. Si je ne puis la rendre amufante par le charme du ftyle , du moins la rendrai-je intéreffante par la f�ngularité des faits que je vous rapporterai. J�ai l�honneur d�être Mon heur,
Au Cap Fran�ois le i y Février i 7 y x;
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20
Nouveaux Voyages

LETTRE II.
Au Même,
L'Auteur part du Cap Fran�ois pour la Louijiane. Courte Description du
C?1fr ^' 1<X Davane , du fameux Cofe du Mexique & de la nouvelle Orléans,
Monsieur.
Nous appareill�mes pour notre deftination , le 8 Mars dernier , 8c le
1 f9 Tnoils nous trouv�mes à la vue d^ 1 lue de Cuba qui eft la plus tempérée des Antilles. La Havane eft le Magasin des richelTes de l�Américjue, a cauie de (on ailiette , de la gran� deui oc ce la commodité de ion Port qui peut contenir plus de mille vaiffeaux, C eft le rendez-vous ordinaire des flottes d�Efpagne, lorfqu elles retournent en Europe , & il eft défendu par trois Forts. Cuba a 200 lieues de long fur 2y à 30 de largeur ; on

aux Indes Occidentalesa s I' a ete 16 ans après fa découverte fans f�avoir fi c�étoit une Ifle, ou terre ferme ; fa fituation eft dans �e Tropique du Cancer, par Jes 23 degrés & demi de latitude Nord. Prefque au milieu de PIfle , on apper�oit quantité de petites Iflottes fort proches les unes des autres, en tirant vers le Sud; on les appelle le Jardin de la Reine.
Nous effuy�mes^ pendant le tems de 1 Equinoxe, une violente tempête entre le Cap Catoche & celui de Saint Antoine � ce dernier, que nous doubl�mes le 23j efl: a la pointe Occidentale de PIfle de Cuba. Je fus très incommodédumal de mer, n�ayant jamais fait de voyages de long cours ; mais l�envie que j�avois de fervir ma Patrie dans une nouvelle terre , me dédommageait allez de tous les obftacles qui fe rencontroient dans mon trajet. Les vents changèrent, la mer s apaifa , & peu de jours après, nous entr�mes dans le fameux Golfe du Mexique; nous y rencontr�mes une quantité prodigieufe de bois f orants qui venoir de la Louifiane, & que le fleuve de Miffii��pi charie : on en voit à puis de deux cent lieues au lar

il
22 Nouveaux Voyages ge , ce qui nous fervic de guide dans un tems de brumes ou brouillards pour trouver l�embouchure de ce fleuve, qui eft très difficile à caufe des ecueils Sc des baffes terres de fes pa
rages.
Les premiers jours d�Avril, nous cffpei�hmes la Ba�ife., Fort établi à l�embouchure du Miffiffipi. r
Moniteur le Moine dff berville, Cjcii il homme Canadien découvrit en l6�8 (i) cette embouchure que M, de la Salle avoit manqué en 1684. Notre b�timent échoua fur la barre j nous tir�mes un coup de canon pour appeller le Pilote-Cotier ^ en même �ems le Capitaine fit débarquer l�Artillerie du vaifieau & les deux cent hommes de troupes réglées qu il avoit à fon bord pour le iervice de la Colonie de la Louifiane, ce qui allégea le Navire qui revint à flot.
( 1 ) M. d Iberville , Gouverneur de la Louif�ane, y porta la première Colonie en 1<S99 *> apres fa mort ce pays refta long-tems fans Gouverneur , le fécond fut M. de la Motte Cadillac, & le troif�éme M, de Bienville* frere cadet du premier.

aux Indes Occidentales. 2 5
Nous defcendimes le q, du même mois d Avril, 1 <S Officiers au Fore de la Baliie, (i) o� commandoic M, de Santilly; cet Officier nous régala du mieux qu'il lui fut polfible, pendant le fe'jour que nous finies à fonporte, qui eft iiolé & entouré de marais remplis de ferpens & de crocodiles.
Monfieur le Marquis de Vaudreuil Gouverneur ayant été informé de notre arrivée , a envoyé plulieurs b�teaux pour nous chercher ; ils portoient des rafra�chiffemens ; nous y avons diftribué nos foldats, & en voguant à voi�e & à rame J nous fommes arrivés le jour de P�ques à la nouvelle Orléans. Le Marquis de Vaudreuil doit recevoir à la Louifiane 24 Compagnies de Marine d�augmentation ; ces troupes viennent fur des vaiffeaux Marchands fietes pour le compte du Roi; il y a auffi des recrues de filles qui ont été enr�lées en France pour venii peupler ces Climats. On donne
(�) On compte 30 lieues de ce porte à Fieuye Clle �lJeanS J à caujfe des Co�tés du
54 Nouveaux Noyages
le congé aux foldats qui font laborieux & qui veulent les époufer, Le Roi leur accorde un certain nombre d�arpens de terre à défricher ^ les nourrit pendant trois ans & leur fait fournir un fufil, une demi-livre de poudre & deux livres de plomb par mois 3 une hache , une pioche , & de quoi enfemencer leurs terres, avec une vache , un veau, des poules & un coq , &c. 1
Le Marquis de Vaudreuii a fait une répartition des 24 Compagnies nouvelles dans différens quartiers de la Colonie, fans acception de perfonne, afin que chacun puiffe participer au bien comme au mal. A l�égard du détachement des Illinois, porte éloigné de y00 lieues de la nouvelle Orléans, il a été tiré au fort & eft tombé à la Compagnie à laquelle je fuis attaché; j�ai fhonneur d être du nombre des Officiers que Monfieur Rouillé Miniftre de la. Marine a recommandé au Marquis de Vaudreuii, & je me rertens des égards que mérite une femblable recommandation ; je puis vous a durer, Monfieur, que la table de ce Général m�eft d�une grande reffource dans
l�occurrence
aux Indes Occidentales. 2 f
1 occurence actuelle, ainfi qu�à tous les nouveaux débarqués qui n�ont point encore eu le tems de prendre une demeure fixe. L�afluence eft fi grande , qu on ne peut ctre fervi qu�en ambigu ; mais ce Gouverneur fait les honneurs avec tant de noblefle & de gêner 0(1 ré , qu�il s�atire l�eftime & lamitié de tous les Officiers, qui l�appellent, à jufte titre, le pere de la Colonie. Monfieur Michel de la Rouvilliere Ordonnateur, contribue de fon coté
� nous tendre la vie douce, par la bonne police qu�il met aux denrées du pays, ainfi qu�à tout ce qui eft relatif à fon miniftere.
Nous comptons partir le 20 Ao�t prochain pour le détachement des linois, Monheur de Macarty qui viendra avec nous, en a été nommé Commandant par la Cour. Les differentes Nations que je ferai obligé de viliter pendant ce long voyage , me mettiont en état de vous faire une
�K- - 'P"011 du beau fleL>ve de
Mil�iffipi, & des peuples qui en habitent les bords.
En attendant je vais vous donner la defcnption de la Capitale de la LouiL Panie. r>
26 Nouveaux Vo��ges liane ; mais je ne penfe pas qu�il faille s�étendre beaucoup lur cet objet ; vous connoiflez fans doute la plupart des plans 6e des relations qu�on en a publiés; je vous ferai feulement obierver que la nouvelle Orléans, dont les rues ont été bien allignées, eft aujourd�hui plus grande & plus peuplée qu�elle ne l�étoit autrefois.Les habitans y font de quatre fortes , i�avoir, Européens 9 Américains , Africains, ou Nègres & Métifs. Les Métifs {ont ceux qui nailfent des Européens 6e des naturels du pays que nous appelions Sauvages*.
On nomme Créoles, ceux qui naiffent d�un Fran�ois 8e d�une Fran�oife ,
ou d�une Européenne*
Les Créoles en général font^ trèsbraves, grands 6e bien faits; ils ont beaucoup dediipofitionspour les Arts & les S�iences ; mais comme ils ne peuvent les cultiver parfaitement par la difette de bons ma�tres , les peres riches 6c bien intentionnés ne manqusnt point d�envoyer leurs ernans enFrance, comme à la première Accole du monde, en tous genres.
A l�égard du fexe, qui n�a d autre devoir à remplir que celui de plaiie ,

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aux Indes Occidentales. 27
il na�t ici avec cet avantage & n�a pas
beioin d�en aller chercher l�art importeur en Europe.
La nouvelle Orléans & la Mobile iont les feules V allés o� il n�y a point de patois; on y parle allez bon Fran�ois ; les Nègres y font tran(portés � Attaque ; ils font employés à défricher les terres, qui font excellentes pour la culture de l�Indigo . du Tabac , du Ris, du Bled d�Inde , & des Cannes à fucre dont on a déjà fait ces plantations qui ont très-bien rétif II. Ce pays eft peuplé de Marchands , d Arnfans & d�Etrangers; ceft un lc;our enchanté par la fklubrité de fon ait ,1a fécondité de fon terroir, & .a beauté de fa poluion. Cene Ville ettlituée fur les bords du Mifliflipi un des plus grands fleuves du monde , puifqu il arrofe plus de Soo lieues de pays comius. Ses eaux $ &
dehcieufes ( 1 ) coulent l�efpace de
C 1 ) M. le Normant Je Méfi lorfmi*;i �oa Intendant de la Marine d RocKt
" fa::o!t lervu-à fa table. Cette cati a f
if de * iafdcoS^
B
2 8 Nouveaux Voyages 40 lieues, au milieu de nombre d�habitations qui forment un fpeélacle ravivant fur fes deux rives, o� l�on jouit abondamment des plaif�rs de la chafle, de la pêche, & de tous les autres délices de la vie.
Les Capucins font les premiers Moines qui pafferent à la nouvelle Orléans en 1723. comme Millionnaires. Le fupérieur eft Curé de la Paroilfe ; ces bons Religieux ne s�occupent que des affaires relatives à leur miniftère.
Les Jefuites, deux ans après,fe font établis à la Louiftane *, ces fins politiques ,ont trouvé le fecret d�exploiter la plus riche habitation de la Colonie, que leurs intrigues leur ont fait obtenir.
Les Urfulines y furent envoyées à peu près dans le même temps. Ces pieufes filles dont le zele eft affinement très-louable s�occupent à l'éducation des jeunes demoifelles ; elles re�oivent aufti dans leur communauté les orphelines , & le Roi leur paye cinquante écus de penfion pour cha
Ces mêmes Religieuse� furent char > ces du foin de P h�pital Militaire,
aux Indes Occidentales. 2p
Il y a ft peu de tems que je fuis �irivé ici, que je n�ai encore pu me mettre en état de vous rendre compte des coutumes des peuples qui habitent les environs du Fleuve ; j�éi�àye
rai cependant de vous faire conno�tre par un trait d�hiftoire , le caractère & le génie des Chitimachas établis fui une riviere ou fourche qui porte leur nom , a l�oueft de la nouvelle Orléans , 3c je ne doute pas que cette anecdote ne vous �ntéreffe, quoique ces peuples foient prefque tous détruits.
En 1720. un de ces gens la s�étant caché dans un heu écarté fur le bord du
Mifliffipi, y avoit affafl�né l�Abbé de
S, Corne, Millionnaire de cette Colonie. M. de Eienville alors Gouverneur s en prit à toute la nation ; 3c pour ménager fon monde il la fit attaquer par p�ufieurs Peuples nos alliez.
Ces fauvages eurent le deffous ; a pewe de leurs meilleurs Guerriers les for�a à demander la paix ; le Gouverneur la leur ayant accordée à condition qu�ils apporteroient la tête du meurtrier, ils fatisfirent ponftuellement à cette condition , & vinrent
B�j
qo Nouveaux Voyages enfuite préfenter à M. de Bienville le calumet de Paix (i).
Voici ce que j�ai appris ici touchant; la cérémonie de cette Ambaffade folemnelle.
Ils arrivèrent à la nouvelle Orléans, en chantant la chanfon.du calumet, qu�ils agitoient au vent , & en cadence , pour annoncer leur AmfaaiTade ; dans ces occafions, ifs font parés de ce qu�ils ont déplus beaiu
Le Chef de ces députés lui dit : � que je fuis content de me voir devant
toi , il y a long - tems que tu es 33 f�ché contre notre Nation ; nous 33 nous fommes informés de ce que 23 difoit ton c�ur 3 & nous avons ap~
��- t UU � Il m iw -�1* � ir �
?
(i)Le Calumet, efl une longue Pipe de marbre rouge, blanc ou noir, dont le tuyau fait de Canne de rofeau a deux pieds & demi ou trois pieds de longueur; les Sauvages l�envoyent par des Députés aux Nations avec lef* quelles ils veulent traiter ou rei�ouveller les alliances.
Il eft garni de plumes d�Aigles blancs, c�eft parmi eux le (itnbole de la paix & de ramitié ; on peut aller partout fans crainte avec ce Calumet, n�y ayant rien de plus facré parmi ces Peuples.
/

aux Indes Occidentales. 3 1 � pris avec joye qu�il vouioit nous donner de beaux jours�.
Ils suffirent enfuite à terre, appuyant leur vifage fur leurs mains , le Porte parole (ans doure pour le recueillir &� pour prendre haleine avant de prononcer fa harangue , les autres pour garder le lilence ; dans cet intervalle on avertit de ne point, parler, ni rire pendant la harangue , parce qu�ils prendroient cela pour un affront.
Le porte parole , quelques momens après , fe leva avec deux autres ; l�un remplit de tabac la pipe du Calumet 1 autre apporta du leu , le premier alluma la pipe ; le porte parole fuma , puis il ehuya la pipe & la préfenta 3 Mon heur cie Bienville pour en faire autant ; le Gouverneur fuma & tous les Officiers qui compofoient fa Cour, les uns après les autres., fuivant leur Iang ? cette ceremonie finie, le vieillard P^teur rTePr*t le calumet, le donna de Bienville afin qu'il le gard�t. Alors le porte parole refta feul debout,
& les autres Ambaffdeurs fe r�af�irent
auprès du prélent qu�ils avoient appoi�-é .au Gouverneur; il cpiffiftoit pn peaux de Chevreuils & en quelques au*
1^2 Nouveaux Voyages
très Pelleteries, toutes paffées enblanc
en ligne de paix.
Le porte parole ou Chancelier , étoit revêtu d�une robe de pluf�eurs peaux de martres coufues enfernble ; elle étoit attachée fur l�épaule droite 3c palToit fous le bras gauche ; il fe ferra le corps de cette robe 3 de commen�a fa harangue d�un air majeftueux , en adreflant �infi la parole au Gouverneur. ?3 Mon c�ur rit 5? de joie de me voir devant toi ; 53 nous avons tous entendu la parole 33 de paix que tu nous as fait porter : 33 le c�ur de toute notre nation en 33 rit de joie jufqu�à tre (Faillir ; les 33 femmes oubliant à l�inftant tout ce 33 qui s�eft pa�Té, ont danfé , les en33 fants ont fauté comme de jeunes che3:� vreuils. Ta parole ne le perdra 33jamais; nos c�urs de nos oreilles 33 en (ont remplis, & nos defcendans la 33 garderont aufli long-tems que Van-* 3� cienne parole durera; (i) comme la 33 guerre nous a rendus Pauvres, nous
( � ) Ceft ainfi que les Sauvages nomment la tradition.


aux Tndcs Occidentales. 5 ? � avons été contraints de faire une cliaf�é générale pour t�apporter de ^ la pelleterie ; mais ro a : n�ofions ^ nous éloigner, dans la crainte que 33 les autres nations n�eu fient pas encore entendu ta parole ; nous ne >5 fommes meme venus qu�en trem^ blant dans le chemin, jufqu�àce q[ue 33 nous euflions vu ton vifage.
33 Que mon c�ur & mes yeux font 53 contents de te voir aujourd�hui. 55 Nos prélents font petits, mais nos 53 c�urs font grands, pour obéir à ta 53 parole; quand tu nous commanderas, 53 tu verras nos jambes courir &fau� ter comme celles des Cerfs pour 33 faire ce que tu voudras.
Ici l�Orateur fit une paufe ; puis élevant fa voix , il reprit fon difcours avec gravité.
35 Ah ! que ce loleil eft beau aujourd�hui, en comparaifon de ce qu�il � étoit quand tuétois f�ché contre 33 nous; qu�un méchant homme eft � dangereux ! tu f�a�s qu�un feul a 33 chef de la prlere * dont la
(1) C�cft ainfi qu�ils appellent nos Mii��oa�aires.
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54 Nouveaux Voyages
� mort a fait tomber avec lui nos ,, meilleurs guerriers ; il ne nous relie 5; plus que des vieillards , des femmes
55 & des enfants qui te tendent les D5 bras comme à un bon pere. Le 53 fiel qui rempliffoit auparavant ton 53 c�ur , vient de faire place au miel,
le grand Efprit rfeft plus irité contre � notre nation; tu as demandé la tete ,, du méchant homme�; pour avoir la ,, paix, nous te Pavons envoyée.
� Auparavant le Soleil étoit rouge* les chemins étoient remplis d�épines ,, & de ronces, les nuages étoient noirs3 j, l�eau étoit trouble & teinte de notre fang, nos femmes pleuroient fans � cefTe la pe�te de leurs parens& n�o~ 3� foient aller chercher du bois pour 3, préparer nos alimens, nos enfans � crioient de frayeur; au moindre cri 3j des �iieaux de nuit tous nos guer,, tiers étoient fur pieds ; ils ne dor*3 moient que les armes à la main, nos Cabanes étoient abandonnées & 3V nos champs en friche , nous avions
3, tous le ventre vuide , 3c nos vi
4. fages étoient allongés ; le gibier fuyoit loin de nous ; les ferpens fif
5> Soient de colere, en allongeant leurs
c
aux Indes Occidentales. j f
i� dards ; les oifeaux qui perchoient ,,près de nos habitations fembloient 5, par leur trifte ramage, ne nous chanter que des chanfons de Mort.
� Aujourd�hui le foleil eft brillant ^ 5J le Ciel eft clair , les nuages font ,, difl�pés, les chemins font couverts de s, rofes, nos jardins 3c nos champs, .� feront cultivés , nous offrirons au 5, grand Efprit les prémices de leurs fruits , l�eau eft fi claire que nous y �>> voyons notre image, les ferpens 5, fuyent, ou plut�t font changés en anguilles, les oifeaux nous charment 5, par la douceur 3c l�harmonie de leurs �3 chants, nos femmes 3c nos filles dan^ fent jufqu�à oublier le boire 3c le � manger ,1 e c�ur de toute la nation ,, rit de joie, de voir que nous mar~ � chons par le même chemin , que toi �j 3c les h ran�ois : le meme foleil nous ,, eclairera : nous n�aurons plus qu�une même parole � 3c nos c�urs ne feront ,, plus qu un : qui tuera les Fran�ois 3> ie tuerons nos Guerriers chafleront pour les faire vivre, nous ,, mangerons tous enfemhlê ; cela ne 3, feia-t-il pas bon , qu�en dis-tu , mon m Peie ? � ce difeours prononcé
3$ ISouveaux Voyages d�un ton ferme & affuré, avec toute la gr�ce &: la décence , & même , fi on peut Je dire, toute �a Majefté poff�ble , M. de Bienville répondit en peu de mots, en langue Vulgaire qu�il parloit avec facilité ; il lui dit qu�il etoit bien aife de voir que fa Nation avoir retrouvé l�efprit ; il les fit manger, mit en figne d�amitié fa main dans celle du Chancelier ou porte parole j 3c les renvoya fatisfaits. Depuis cette époque , ils ont toujours été inviolablement attachés aux Fran�ois; ces Peuples fourniffent de gibier la nouvelle Orléans.
Ma troifiéme lettre fera plus intérefiante; jufqu�à préfent je crois ^voir rempli mon objet en vous afiurant Monfieur &c. /
A la nouvelle Orléans le premier Juillet ijf i.

aux Indes Occidentales.
37

. LETTRE iii.
Au Meme.
Defcription des Cérémonies Religieufes de certains Peuples qui habitent les bords du gra?id Fleuve du Mifjijfipi.
Confpnation des Natche� contre les Fran�ois.

O N SIEUR,
Me voici arrivé à l�endroit o� étoit autre-fois la fuperbe Nation des Nat* chez,dont on a tant parlé dans les nouvelles Publiques ; on a dure que cesPeuples formidables en impofoient aux auti es par l�étendue de leur pays ; ils habit oienc depuis la riviere de Menchak
qUn pt/� heUeS de la mer> jufqu�à celle d Hoyo, qui en eft à 4.C0 ou
environ.
, Nous part�mes de la nouvelle Orleans le 20 Ao�t pour le voyage des �Illinois, avec/ix b�teaux que montoient les quatre Compagnies dont je
8 Nouveaux Noyages , vous ai parlé dans ma précédente elles font aux ordres de M. de Macarty. Ce voyage fe fait en refoulant le courant du Miffil�ipi à la rame, à caufe des finuofités. de ce fleuve , qui coule entre deux grandes forets de hautes futayés , dont les arbres paroiffent aufi� anciens que le monde.
On rencontre d�abord fur la route qu�on fait, comme je l�ai dit, par eau3 deux villages d�Allemaridsj refte d�une concel�ion qui avoir été faite par leRoi en 1720 à M Law; cette peuplade devoit être compofée d�Allemands Sc de Proven�aux au nombre de I yoo perfonnes ; fon terrein étoit désigné chez une Nation Sauvage nommée Akan�a ; il avoir quatre lieues en quarré, 3c étoit érigé en Duché. On y avoit tranfporté des équipages pour une Compagnie de Dragons & des marchandées pour plus d�un million ; mais Law ayant manqué > la Compagnie des Indes qui avoir, dans ce tems la Louiflane, s�empara de tous les effets & des marchandées, jf Les engagés fe iéparerenc, & les Allemands s�établirent à dix lieues au- deffus de la nouvelle Orléans ; ces
aux Indes Occidentales. 39
Peuples font très-laborieux ; on les regarde comme les pourvoyeurs de la Capitale. Les deux villages font commandés par un Capitaine Suédois de Nation (1).
A deux lieues plus loin on trouve les CollapiJJas, peuples diftingués par leur attachement pour les Fran�ois; ils font aujourd�hui en trcs-petit nombre; leur vrai nom eft Aquelon Pijfas c'eit à-dire Nation d hommes qui entendent & qui voyent.
On trouve enfujte les Ouwas, adorateurs du Soleil.Comme prefque toutes les autres Nations de l�Amérique , ces Peuples croyent que le fouverain Etre y réfide , & qu�il veut qu�on le revere dans cet Aft-e vivifiant, comme l�Auteur de la Nature ; ils difent qu�il n�y a rien à lui comparer ici bas & que cette merveille en éclairant funivers, y répand la joie & labondance.
( f) C eft le fieur d�Arensbourg , qui étoit a la bataille de Pultova en 1709 avec Charles XII ; cet ancien Officier eft chef d�une � nombreufe famille bien établie a la Colonie de la Lo uifane.
4o Nouveaux Voyages
�eft d�après ces principes , qu�ils lui rendent un culte comme à l�image fenfib�e de la grandeur &c de la bonté d�un Dieu qui daigne fe communiquer aux hommes, en leur prodiguant fes bienfaits.
� quinze lieues des Oumas , en remontant le fleuve, on arrive à la pointe coupée. Ce pofte efl éloigné d�environ quarante lieues de la nouvelle Orléans. La terre y efl: très-fertile Sc couverte d�arbres fruitiers ; il y a dans ce canton beaucoup de Fran�ois; ils s�occupent à la culture du Tabac, du Cotton , du Ris, du Mahis & d�autres denrées ; ces Colons font auf�i le commerce des bois de conftru�ion qu�ils font dériver à la nouvelle Orléans fur des radeaux.
Sur la rive gauche du fleuve, en montant, à quelque diftance de la pointe coupée, on voit le village des Tonikas, Nation Sauvage qui de tout tems a été fort attachée aux Fran�ois. Leurs Chefs fe font toujours empreL lés de marcher pour aller en guerre avec nous ; le dernier qui étoit trèsbrave j fut blefle dangereusement dans une expédition contre les Natchez ;


aux Indes Occidentales. 41 fur le compte qui en fat rendu au Roi, Sa Majefté fhonora d�un brevet de Brigadier des armées des hommes Rouges , & le décora en outre d�un cordon Bleu d�o� pendoit une Médaille d�argent o� étoit empreinte la \ ille de Paris ; il re�ut auli� une canne à pomme d�or.
Après le maflacre des Fran�ois par les Natchez, dont je me propofe de vous rendre compte en fon tems, un parti de cette Nation feignit de vouloir faire la paix avec le grand Chef des Tonikas; celui-ci en f�t part au Commandant Général des Fran�ois auquel il étoit fortement attaché ; les 'Natchez prévinrent la réponfe , aflafi�nérent les Tomkas, en commen�ant par le grand Chef ; fes ennemis, qui apréhendoient nos confeils & redoutaient nos forces, fe h�tèrent de perdre & de détruire un grand nombre de fes fujets. Nous regretterons fans celle avec ces bons Sauvages, toutes fes glandes qualités,qui honnoreroient un homme policé.
Après 80 lieues de navigation depuis la Capitale de la Louifiane^on arrive au Pofte des Natchez ; c etoi�
V
Nouveaux Noyages ' un établiffement confidérable , �! y a vingt ans ; ii eft très peu de cliofe aujourd�hui.
Le Fort eft fitué fur une éminence qui domine le fleuve du MiiTiflipi dont il n�eft éloigné que d�une portée de canon. Le terrein , qui dans cette Contrée , va toujours en s�élevant , leroit un des plus fertiles du pays, s�il étoit cultivé; le Tabac , le Cotton, le Mahis y viennent très-bien.
J�ai féjourné quelque tems à ce Potte, qui eft commandé par M. le Chevalier d�Orgon , fils naturel du Prince de Lambefc, de lamaifon de Lorraine, Les Natchez , qui y étoient autrefois, formaient un peuple confidérable. Ils compofoient plufieurs villages fournis à des Chefs particuliers, quiobcif�bient eux mêmes à un grand Chef, qui étoit celui de la Nation. Tous ces Princes portoient le nom de Soleil : ils étoient au nombre de cinq cens, tous alliés au grand Soleil leur commun fouverain Celui-ci portoit fur (a poitrine rimage de cet Aftre, dont il prétendoit defcendre & qui étoit adoré ious le nom � Ouachil, qui lignifie : le feu très -grand, ou h feu juprane.

aux Indes Occidentales.
Le culte que lui rendoient les Natchez, avoit quelque chofe d�augufte. Le Grand Pretre devan�oit le lever du Soleil & marchoità la tête du Peuple j d un pas grave , ayant le calumet de paix à la main ; il fumoit en fort monneur & lui (ouffloit la premiers bouffée de Tabac. Auil�t�t que cet ^ftre commen�oit à paro�tre , les af~ iftans heurloient fuccel��vement en bu honneur , après le Grand Prêtre, �n le contemplant ,1c* brasélevés vers e Ciel. Ils le prolternoient enfuite :ontre la terre. Les femmes amenoient eurs enfans & les faifoient tenir dans me pofture religieufe.
Au tems de leur récolte , qu�ils faioient au mois de Juillet , les Natchez élébroient une très-grande fête. Ils ommen�oient par fe noircir le vifa;e ils ne mangoient qu�à trois heues api es midi, apres s être purifiés par >es bains; le plus ancien de la Naion offroit en fuite au Dieu les prémices des moilTons & des fruits.
Ils avoient un Temple dans lequel n confervoit un feu éternel : les hêtres avoient grand foin de l�entre^nii ; on ne pouvoit fe fervir pour cet

44 Nouveaux Voyages effet que de bois d�un feul arbre; fi' par malheur il venoit à s�éteindre, la Nation étoit confternée ; les Prêtres négligens étoient punis de mort, mais cet événement fut très-rare ; les Gardiens pouvoient le renouveller aifément, en fe faifant apporter du feu profane, fous le prétexte d�allumer leur calumet, car il leur étoit défendu d�employer le feu facré à cet ufage.
Le Souverain en mourant fe faifoit accompagner au tombeau par fes femmes & par plufieurs de fes fujets. Les petits Soleils' avoient foin de fuivre la même coutume ; la loi condamnoit auffi à mourir tout Natchez qui avoit époufé une fille du fang des Soleils, lorique celle-ci étoit expirée. Je vous raconterai., à ce fujet, l�hiftoire d�un Sauvage qui ne fut pas d'humeur de fe foumettre à cette loi ; il fe nommoit Etteaéleal; il avoit contra�é une alliance avec les Soleils y cet honneur eut des fuites qui faillirent à lui devenir funeftes. Sa femme tomba malade ; dès qu�il vit qu'elle tournoit vers la mort, il prit la fuite , s�embarqua dans une pirogue fur le


aux Indes Occidentales, Mif��ffipi , & fe rendit à la nouvelle Orléans. Il le mit fous la protection du Gouverneur qui étoit alors Morn f�eur de Eienvil�e, en offrant d�étre fon chalieur. Celui-ci accepta fon 1ervice, 8c s inte-rella en la faveur au>près desNatchez, qui déclarèrent qu�il n�avoit plus rien à craindre, parce que la cérémonie étoit faite , 8c que comme il ne s�y étoit pas trouvé , il n�étoit plus de bonne prife.
Ettea&eal raturé, oia retourner dans fa nation, fans y fixer fa demeure ; il y fit plufieurs voyages ; il lui arriva de s�y trouver dans le tems que le Soleil Serpent piqué, frere du grand foleil mourut; il étoit parent de la défunte femme d�Etteacteal ; on réfolut de lui faire payer fa dette; M. de Bienville avoit été rappellé en France ; le Souveiain des Natchez, jugea que fabfence du Protecteur avoir anéanti les Lettres de repi accoidées au protégé ; il le fit arrêter. Quand celui-ci fe vit dans la cabanne du grand chef de guerre , avec les autres victimes qu�on devoit facrifier au Serpent piqué, il s�abandonna a la douleur la plus profonde ; la femme favorite du défunt qui

^6 Nouveaux Voyages devo�t auil� être immolée , qui voyo�t d�un �il ferme les apprêts de fa mort, & qui fembloit impatiente de fe rejoindre à Ion époux , témoin des géxniffemens d�Etteaé�eal, lui dit : � n�es�, tu pas guerrier ? oui, répondit-il, je le luis. Cependant, reprit-elle, tu ft, pleuies, la vie t�eft c�iere ! Puifque >j cela eft ainfi, il n�efi: pas bon que tu 3> viennes avec nous ; va-t-en avec les ,, femmes. ,, Ettea�ea� répliqua : 3
� certainement la vie m�eft chere; il fe,, roit bon que je marchalfe encore 8, quelque tems fur la terre , ju qu�à la �> mort du grand Soleil, 6e je mourrois *> alors avec lui. Va-t-en, te dis- je3 ,, reprit la favorite ; il rfeft pas bon ,, que tu viennes avec nous, & que ton � c�ur refte derrière toi iur la terre; �> encore une fois, éloigne - toi d�ici 3 � que je ne te voie plus.
Etteaéteal ne fe fit pas repéter cet ordre; il difparut comme un éclair; trois vieilles femmcs,dont deux étoient fes parentes, offrirent de payer fa dette; leur �ge � leur infirmités, les avoient dégo�tées de la vie ; ni les unes ni les autres, depuis long-tems, ne pouvoient fe fervir de leurs jambes ; les deux
aux Indes Occidentales. 47 parentes d�Etteaéieal n�avpient pas les cheveux plus gris que ne les ont en France les femmes de y y ans. L�autre vieille , �gée de 120 , ans les avoienc très blancs, ce qui eft fort rare chez les Sauvages; aucune des trois n�avoit la peau entièrement ridée. Elles furent expédiées à la première repréfefttation du loir ; une à la porte du Serpent pique , & les deux autres fur la place du Temple (1). �
La générosité de ces femmes rachecta la vie au Guerrier Etteadreal ; elle lui acquit le grade de conf�deré, c�eft à dire qu�elle le réhabilita dans fon honneur, qu il avoit taché en craignant la mort; il fut tranquille depuis ce temps, & profitant des lumières qu�il avoir acquifes pendant fon féjour chez les Fran�ois, il fe fit Jon
(1) On leur paffe line corde au col avec an n�ud coulant, & huit hommes de leur parents les étranglent en tirant, quatre d�un -�te, quatre de 1*autre * il n�en faudroit pas ftht'; mais comme ils gagnent la noblelfc en faifant ces exécutions, il s�en préfente plus qu�il 'n�en faut ; l�opération ett faite en un luttant.
i.SJ�� �

^8 Nouveaux Voyages
gleur, (i) & fe fervit de les connoif
fances pour duper fes compatriotes.
Le lendemain de cette exécution on fongea au convoi : l�heure en étant arrivée, le grand ma�tre des cérémonies' parut à la porte de la cabane avec les ornemens qui conviennent à fa qualité; les viftimes qui dévoient accompagner le prince dans le pays des Efprits, fortirent; elles confiftoient en la temme favorite du défunt, & fon autre femme, fon Chancelier, fon Médecin, fon loué, c�eft-à-dire, fon premier domeftiquë, & quelques vieilles de bonne volonté.
La favorite fe rendit chez le grand Soleil o� il y avoit pluheurs Fran�ois, pour leur faire fes adieux ; elle ordonna qu�on lui amena les Soleils des deux fexes les enfants aux quels elle parla en ces termes.
� Mes enfants, voici le jour o� je D3 dois m�arracher de vos bras pour
(2) Les jongleurs dans ce pays font les fondions de Prêtres, de Médecins, de Devins, & cherchent furtout a fe faire palTer pour Sorciers.
33 courir
aux Indes Occidentales. 4� � courir fur les pas de votre pere
** 3U1 m f,re'ld au pays des Efprits; ce *,fero,t b;efTer mon devoir & mon � amour que de ceder à vos larmes.
33 J ai a , laic Pour vous, de vous porter dans mon fein , de vous
33 alIai;er de mes mammelles. IfTus de 33 lon fanS> nourris de mon lait, dc� vez-vous verfer des larmes. Réjouif
33 * �v�us de ce que vous êtes Soleils 33 & Guerriers ; vous devez des exem
; Pfrde fen�fté & de valeur à toute 33 Ja �;atlon iaIiez mes enfans.j�ai pour� vu a tous vos befoins, en vous mé� nageant des amis. Ceux de votre ** pere & les miens font les v�tres : je '
" iV�rr 3l^e- aU. md�eu deux ; ce font 33 .^sr mn�ois; ils ont le coeur tendre
� ils font généreux rendez-vous dignes
33 de le^ eftune. en ne dégéném,
" f0lnt * votre race ; traifer to ",
� jouis avec eux, fans détour, & ne
5� les implorez jamais avec bafTeffe. f t vous,Fran�ois, ajouta-t-elle en
� fe vers nos Officiers , j"
35 you? recommande mes enfants J que
� je lailTe orphelins; ils ne connoitZc
� que vous, pour Peres ; vous devez �les protéger�.
1. Partiet c
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1
�o Nouveaux Voyages
Elle fe leva enfuite , & fume de fa troupe , elle retourna à la cabane de fon mari, avec une fermeté tout
à-fait furprenante.
Au nombre des vidimes, fe vint joindre, de bonne volonté,une femme Noble , que l�amitié , qu elle avoit pour le ferpent piqué , portoit à l�aller rejoindre dans l�autre monde. Les Européens la nommoient la Glorieufe, à caufe de fon port Majeftueux & de fon air fier , & parce qu elle ne frequentoit que des Fian�ois diftingués ; ils la régreterent beaucoup 5 elle avoit la connoiffan� ce de plulieurs fimples, qui lui avoient lervi à fauver la vie a beaucoup de nos malades. Ce fpedacle attendriffant les remplifloit de tnltef�e Se d�horreur. La Femme favorite du déffunt fe leva enfuite & fut à eux d�un sir riant. 33 Je meurs fans crainte , leur dit elle ; la douleur n�empoifonne pas �>3 mes derniers momens ; je vous �e� commande mes enfants. Quand vous � les verrez,NoblesFran�ok.fouvenez� vous que vous avez aimé leur Pere & � qu�il fut, jufqu�au tombeau.le vénta�ble & l�ncere amideyotreNation,qu il
& S WM


aux Indes Occidentales. yi
aimoit plus que lui - même. Il a plu <*au ma�tre de la vie de Pappeller* & 30 dans peu j irai le joindre; je lui dirai 33 que j�ai vu vos c�urs fe ferrer à la � vue de fon corps mort : ne vous 35 chagrinez pas, nous ferons plus long90 tems amis dans le pays des EJprits �> qu�en celui-ci, parce que l�on n�y 35 meurt plus ( i ). J
Ces 1 rifles paroles arrachèrent des fumes à tous les Fran�ois; ils firent tout ce qu�ils purent , pour empêcher le Grand Soleil de fe tuer, car il étoit inconsolable de la mort de fon frere lui qui il fe déchargeoit du poids du Gouvernement ; ( 2 ) ce Souverain etoit furieux de ce qu�on lui réfiftoit; il tenoit fon fufil par la culafTe , le Soleil héritier préfomptif, le te
i� �
(i) Lheure marquce pour la cérémonie, �tvaler aux viétimes des boulccres de tabac pour les étourdir, enfuite elles furent etranglees ; on les mit fur des Nates, la favorite a droite & l�autre femme à gauche,& les autres enfuite, Jfuiv2.nt leur rang.
, (1 ) Le Serpent piqué étoit grand Chef de guerre des Natchez, c�eft-i-dire Gênérali/hme des Armées.
Ci;
y2 Nouveaux Voyages
noit par la platine , & en avoit Fait tomber la poudre ; la cabane étoit pleine de Soleils , de Nobles �e de Confidérés (i) qui trembloient tous ; mais les Fran�ois les raffuroient ; ils firent cacher toutes les armes du Souverain de remplirent le canon de Ion fufil d�eau , afin qu�il fut hors d état de fervir de quelque tems.
Lorfque les Soleils virent que la vie de leur Souverain étoit en fureté; ils remercièrent les Fran�ois , en leur ferrant la main , mais fans rien dire ; le filence le plus profond regnoit, la douleur de le refpeét contenoient la mulcidude de ceux qui étoient préfbns.
La Femme du Grand Soleil, pendant cette opération, étoit faifie de frayeur. On lui demanda fi elle étoit malade , elle répondit tout haut� Oui 5? je le fuis ; elle ajouta d�une voix
(i) Les diftinétions étoient établies parmi ces Sauvages ; les Soleils pa�ens du grand Soleil occupoient le premier rang; les Nobles venoient enfuite , après eux lesConfideres, & enfin le Bas-Peuple qui étoit très meprife.Les femmes donnoient chez eux la Noblene , ce �jui ne �ontribuoit pas peu à iamultiplier �

aux Indes Occidentales. y J 3^ plus baife, fi les Fran�ois fortent � d�ici , mon mari eft mort & tous ^ les Natchez mourront., refiez donc , 35 braves Fran�ois,parce que votre pactole a la force des fléchés ; d�ailleurs i, qui eut ofé faire ce que vous avez fait? ^ Mais vous êtes fes vrais amis & ceux D3 de fon frere, Laloi for�oit la Grande Soleille à fuivre fon époux au tombeau; c�étoit fans doute le motif de fa crainte, & celui de fa reconnoiffance pour les Fran�ois qui s�interefioient à fa vie.
Le Grand Soleil tendit la main aux officiers & leur dit :,, mes amis., � j�ai le c�ur fi ferré que mes yeux, "quoi qu�ouverts,ne vous ont point v�s
debout ; ma bouche ne s�eft point �> ouverte pour vous dire de vous af:� feoir; pardonnez à ma douleur ex33 trême.
Les F ran�ois lui repondirent que ce n�étoit point la peine, qu�ils alloient le laifler tranquille; mais qu�ils ne feroient plus fes amis s�il n�ordonnoit pas qu�on
rallum�t les feux (i),en faifant allumer
/ v
(O Fe grand Soleil avoit donne ordre d�éteindre tous les feux, ce qui ne Le fait qtia la mort des Souverains,
C* � �
il j
Nouveaux Voyages
le f�en devant eux, 3c qu�ils ne �e quitteroient qu�après que fon frere feroit enterré.
Il prit la main à tous les Fran�ois , 3c leur dit : ce puifque tous 35 les Chefs & Nobles officiers veulent 33 que je relie fur la terre , c�en eft fait � je ne me tuerai point; que l�on rallume les feux fur le champ J 3c j�atz* tendrai que la mort me rejoigne à 2� mon frere; auffi-bien je fuis vieux , 33 & jufqu�à ce tems, je marcherai avec � les Fran�ois, fans eux je ferois 33 parti avec mon frere 3c les chemins � auroient été couverts de corps morts* Ce Prince ne furvécut qu�une année au ferpent piqué ; fon neveu lui fuc-; céda. Le régné de ce jeune Prince fut très - funefle à la colonie. Vous verrez, Monfieur , par la fuite de ce récit, qu�elle ne doit fon falut qu�à la mere de ce Souverain ; elle lui arracha le fecret de la conjuration générale contre notre Nation , qu�elle aimoit beaucoup.
Il faut rendre justice aux Sauvages ; le projet qu�ils formèrent de détruire tous les Fran�ois , ne leur fut in (pire par aucun mouvement d�inconfiance *

aux Indes Occidentales. 5rf
ni de légèreté ; la mauvaife conduite d�un Officier, qui inlultoit des Peuples qu�il devoit ménager, alluma leur fureur; des hommes libres, tranquilles dans le Pays ous�étoient établis leurs Ancêtres,ne pouvoient fe voir tirannilés par des étrangers qu ils avoierit accueillis ; le S. de Chepar, commandant le porte des Natchez, négligea de s�attirer fiamitié des Fran�ois �c des Sauvages confiés à fes foins ; il maltraitoit tous ceux qui ne fe prêtoient pas à fes vues criminelles ; il confia les portes les plus importants à des Sergens de à des caporaux qui lui étoient dévoués. Vous fentez bien , Mr. que des préférences , de cette efpèce , fi contraires à la fubordination , renverfoient l�ordre & la règle du fervice Militaire.
M. Dumont, fécond officier , fit des repréfentations qui ne furent point écoutées & auxquelles on ne répondit qu�en le fai faut mettre aux fevs. AulIIt�t qu il fut libre , il defeendit à la Capitale pour porter fes plaintes à M. Perrier alors Gouverneur de la Louifianne. M. de Chepar fut rappelle pour rendre compte de fa conduite;
C iv
f6
il devoit
�ues 3c les protégions le fervirent ; -1 fut réhabilité 3c renvoyé dans ion commandement.
Cette mortification ne le corrigea point ; il fe conduifit comme auparavant �C' fe fit détefter également des Fran�ois 3c des Sauvages ; il irrita ces derniers 3c les porta aux extrémités les plus terribles. M. de Chepar empreffé de faire fa fortune en peu de tems, fomma le Soleil d�un village appellé la Pomme., de fe reurer avec fes gens , de lui abandonner le terrein qu�il occupoit 3c dont il vouloir fe faire une habitation, cont le rapport devoit être conliderab�e. Ce Cacique lui reprefenta que les os de (es ancêtres y repofoient y fes raifonnemens furent inutiles ; le Commandant Fran�ois ordonna au grand Soleil de faire évacuer le /Village, 3c le mena�a meme de l�envoyer , les fers aux pieds 3c aux mains, à la nouvelle Orléans, s�il n�obéiffoit pas promptement. Cet Officier s�imaginoit peut - être pouvoir traiter ce Chef, comme un efclave ; il ne faifoit pas réflexion qu�il parloir à un hom
Nouveaux Voyages être calTé ; mais fes Intrf


aux Indes Occidentales y 7
me accoutumé à commander, 8c dont l�autorité étoit defpotique fur fes Sujets.
Le Grand Soleil l�écouta 8c fe retira fans s�emporter ; il affembla fon Confeil o� il fut arrêté qu�on feroit entendre à M. de Chepar, qu�il falloir qu� on tir�t le plan d�un nouveau Village, avant de quitter celui de la Pomme, 8c que cela demandoit deux lunes.
Cette réfolution étant prife, on la porta au Commandant, qui rebuta les envoyés, 6c les mena�a des ch�t�mens les plus féveres, fi Ton ne lui remettoit la Pomme dans un terme trèscourt. Cette réponfe fut rapportée au Confeil;la politique des vieillards décida qu�il fal�oit obtenir du tems > pendant lequel on fongeroit aux moyens de fe dcbarraffer de ces h�tes incommodesqui s�érigeoient en tyrans ; comme on savoit que M. de Chepar étoit très-intéreffé, on imagina de lui propofer d�accorder un délai de quelques lunes , pendant lequel chaque cabanne lui payeroit un tribut en bled d�Inde, en volaille �c en pelleterie. L�avidité du Comman
C v
5S 1 Nouveaux Voyages dant le fit tomber dans le piège ; il accepta la propofition, en feignant cependant que ce n�étoit que dans la v�e d�obliger la Nation qu�il chérifioit j à caufe de l�amitié qu�elle avoit toujours eue pour les Fran�ois. �
Le Soleil ne fut point la dupe de ce faux défintéreflement; il fit aflembler encore fon Confeil, & lui dit que le terme qu�on défiroit étoit accordé, qu�il talloit le mettre à profit, fonger aux moyens de fe débarsaf�er d�un tribut onéreux, & furtuut de la domination tyrannique des Fran�ois. Il leur fit obferver que cette entreprife exigeoit un fecret impénétrable , des mefures folides, & fur- tout beaucoup de politique; il leur recommanda , en attendant, de redoubler les marques de confiance & d amitié qu�on donnoit aux Fran�ois , de s�occuper à réfléchir fur ce qu�il fa�loit faire, & de revenir au Confeil, aufl�t�t qu�ils auroient imaginé quelque projet dont le fuccès p�t être s�r.
Pendant cinq ou fix jours, les nobles vieillards fe confulterent les uns les autres ; ils s�aflemblerent de nou

aux Indes Occidentales 5*9 veau dans la réfolution unanime de détruire tous les Fran�ois. .Le plus ancien du Conieil porta la parole eu ces termes , apres avoir falué fou Chef.
�Il y a longtems que nous nous 53 appercevons que le voifinage des 53 Fran�ois nous fait plus de mal que � de bien; nous le voyons, nous au53 très vieillards, mais les jeunes gens 33 ne le voyent pas} les marchandises s> de l�Europe font plailir a la jeu53 nefie ; mais en effet à quoi fervent53 elles ? A féduire nos femmes , à 53 corrompre les m�urs de la Nation,
,, à débaucher nos filles, à les rendre � orgueilleufes & fainéantes. Les jeu
nés gar�ons font dans le meme cas; � il faut que les hommes mariés le � tuent de travail pour fournir au � luxe de leurs époufes. Avant que � les Fran�ois fulfent arrivés dans � nos terres, nous étions des hom� mes, nous nous contentions de ce ,, que nous avions, nous marchions ,, hardiment dans tous les chemins � � parce qu�alors nous étions nos ma�, très ; mais aujourd�hui nous n�allons , qu�en t�tonnant , dans la crainte
�)
J)
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P5
<^0 Nouveaux Voyages de trouver des épines ; nous mar^ ' chons en efclaves � nous le ferons
- blentot>puifqu ils nous traitent déjà' � �omme no�s l�étions. Quand ils � (eion,t a(fe2 fo�s, ils nuferont plus � déménagements, ils nous mettront � aux Jers 5 leur chef n�a-t-il pas me
- nace le notre de lui faire cet afiront & la mort n�eft-ellepas préleraDle a 1 efclavage ? *
L�Orateur fit une paufe à ces mots.
& u continua de cette maniéré, après' avoir repris haleine. V
w Qu�attendons-nous? LailTeronsnous multiplier les Fran�ois. jufqu ace que nous ne foyo"s plus ea � etat de !eur rélifter ? Que diront �Ies autres Nations ? Nous palfons �� pour les plus /pirituels de tous les
� hommes rougesj** elles diront.avec
� julteraifon , que nous avons moins 35 d eiprit que les autres Peuples. Pour
33
�93
*****
> * r1* Patu,re reu,e a appris à ces peuples be^PSfter IeUr Souverain & a chérir laPli
_ e/^.ain(� <3l,e c� Sauvages s�appellent
Es fPTr � Eur�Péens 5
pdàiics, �c des Africains qui l'onc noirs.


, aux Indes Occidentales. 6 f � donc attendre davantage ? �� Mettons-nous en liberté, & faifons >j von que nous Tommes de vrais � nommes.Commen�ons, dès ce jour, j. a nous y difpofer ; faifons préparer *, des vivres par nos femmes , fans �3 eur en dire la raifon. Allons por� �fTr �e calumet de paix à toutes les dations de ce Pays; faifons - leur ��* entendre que les Fran�ois n�afpij. rent qu�à foumettre notre conti� nent ; comme ils font plus forts
j, danS notre voif�nage que par_t0�t
� ailleurs , nous ferons les premiers � qui recevrons leurs fers. Lorfqu�ils � feront affez puiflans.ils feront éproujj ver le même fort à tous les Peuj, pies ; montrons - leur combien ils o (ont inréreliès à prévenir ce mal> j neuf ; on ne peut y réuffir qu�en jj les exterminant ; que routes les Na� fions fe joignent à nous pour l�e33 xecution de ce projet; que les Frarr
a . 3 par-tout j aa
�J mem,e l�ur & à la même heure ;
� que le tems de ce malTacre foit ce�. lui ou finira le terme que nous avons j, obtenu de leur chef; c�eft ainfi que �> nous pouvons nous affranchir da
62 Nouveaux Voyages
tribut que nous nous Tommes im�pofé; c�eft par-là que les denrées 3, que nous lui avons portées , re� viendront en notre poifellion. Dans 5> ce grand jour de liberté, nos guer� riers feront munis de leurs armes � à feu ; les Natchez, fe répandront j, parmi les Fran�ois; il y aura trois 3, ou quatre des n�tres dans chaque � maifon, contre un de cette Nation ; 5, ils emprunteront des armes à feu � & de la munition, fous le prétexte 3, d�une chaffe générale , à Poccahon *;de quelque grande fête; ils pro� metront de rapporter du gibier, � Les coups de fuhl qu�on tirera chez ,, le Commandant du Fort, feront le 3, lignai auquel ils tomberont tous fur � lesFran�ois. Pour tirer tout le parti 3, poffible de ce coup , il faut que les � autres Nations nous fécondent ; il 3, faut que, dans le même tems , il fe 3, faflfe un pareil maffacre chez elles ; 9,pour en venir à bout, il faut pré3. parer des paquets de b�chettes égaux 5> en nombre, en donner un à ch a
8, cune, en garder un pareil ; ils mar
9, queront la quantité de jours qu�il � faut attendre; tous les matins on



aux Indes Occidentales.
� coupera une b�chette qu�on jettera � au feu ; lorfqu�il n�y en aura plus s, qu�une , ce fera le tems du carnage : � il commencera au quart du jour ^ � ( c�eft-à-dire à neuf heures du ma53 tin j ) nous fondrons tous à la fois � fur nos tyrans; de tous c�tés ils s, feront accablés ; lorfqu�ils feront 3, une fois détruits il fera facile �> d�empécher que ceux,qui viendront 5> de f ancienne terre par le grand lac , s, puiffent jamais s�établir parmi nous. � On recommandera furtout d�être s) exa�t à tirer tous les jours une bu3, chette; la moindre erreur peut>, être d�une conféquence dangereu3, fe ; nous en chargerons un homme 33 fage , & nous inviterons les Peus, pies voifins à nous imiter. �
# L�orateur fe t�t à ces mots, les vieillards l�aprouvèrent ; le Soleil de la Pomme furtout applaudit à cet avis; c�étoit lui qui étoit le plus léfé de 1 injuftice du fleur de Chepar ; on fervoitfa vengeance particulière, il craignait de la voir manquer ; il fit craindre au Confeil les fuites d�une indifcrétion ; il fit même prendre la réfolution de cacher cette confpira
64 Nouveaux Voyages
tion aux femmes Soldlles * * ; il fallott la faire approuver au Souverain Chef des Natch'ez; quelque envie qu�il eut de (e débarrafTer des Fran�ois,ce projet lui paroiffoit violent;leSoleil de la Pomme fe chargea de le déterminer ; il paffoit pour avoir Pefprit ]ufle & pénétrant^ Nation le confideroit beaucoup à ce titre ; il réuffit ; il fit fentir au grand Soleil la nécel��té de ce parti, en lui montrant ce qu�il avoir à craindre lui même; le Commandant Fran�ois Pavoit menacé que bient�t il le chafieroit de fon village ; le grand Soleil étoit jeune , par confé^ quent foible , celui qui lui parloit étoit adroit ; le deflein fut approuvé; le lendemain quand les Soleils vinrent faluer leur Souverain il leur fut ordonné de fe rendre au village de la Pomme fous un prétexte , fans faire foup�onner qu�ils s�y rendraient en conféquence de quelque ordre ; cela fut éxécuté,comme on le defivoit ; �efprit féduifant du Soleil de la Poin
"���>" -- �
* Ces peuples fout ce mot des deux gerxres 5 ils difent Soleil & Soleille�

aux Indes Occidentales. 6$ me les attira tous; ils promirent d�entrer dans la confpiration. On forma fur le champ un Confeil de Soleils & de nobles vieillards; le projet y futexpoféde nouveau, & re�u d�une commune voix ; on nomma les vieillards Chefs de 1 Ambailade qu�on envoyolc aux autres Nations ; on leur donna des guerriers pour les accompagner, & il fut défendu, fous peine de la vie , de parler de ceci à qui qi�e ce foit. Ils partirent auflit�t tous à la fois & à l�in�� des fran�ais.
Malgré le profond fecret que Ton gardoit chez les Natchez, le Confeil des Soleils & des Nobles vieillards mit le Peuple dans l�inquiétude y il n eft pas nouveau , dans tous les pays du monde , de voir les lujets s�effor*-* cer de pénétrer les fecrets de la Cour. Cependant la curiofité du Peuple ne pouvoit être fatisfaite;les feules Soleilles ( ou Princeffes ) avoient droit dans cette Nation de demander pourquoi on fe cachoit d�elles. La jeune grande ooleil�e n ayant que dix-huit ans, ne s�en embarrafloit gueres , il n�y avoir que la Solei��e appellce le bras Piqué mere du Souverain & femme de
Nouveaux Voyages
beaucoup d�efprit ( ce'qu�elle n��gnoroit pas) qui put trouver mauvais le hlence qu�on gardoit avec elle* En effet elle en témoigna fon mécontentement à ion fils , qui lui répondit que ces députations fe faifoient pour renouveller la bonne intelligence avec les autres Nations , chez lefquelles il y avoit Iong-tems que Ton avoir été en calumet, & qui croyoient qu�on les méprifoit par cette négligence. Cette excufe f�mulée parut appaifer la Soleille Bras Piqué; mais elle ne lui �ra point fes inquiétudes ; elles redoublèrent au contraire , lorfqu�el�e vit qu�au retour des Ambaffadeurs, les Soleils s�affemblerent en fecret avec les Députés, pour apprendre d�eux qu�elle avoit été leur réception ; au lieu qu�ordinairement cela fe faifoit en Public.
Cette Princeffe en fut courroucée ; quoi, dit-elle en elle même, on cache à toute la Nation ce qu�elle .doit favoir! on me le cache à moi même ! Sa colere auroit éclaté fur le champ, fi fa prudence ne l�eut modérée. Ce fut un bonheur pour les Fran�ois de ce qu�elle fe crut ain�
aux Indes Occidentales. *7 méprifée. Elle craignoit, avec raifon , d�augmenter la profondeur du fecret au point de ne pouvoir rien apprendre , fi elle iaiiToit éclater fon chagrin. Son adreffe lui fuggéra un moyen fur de fatisfaire fa curiofité ; elle engagea le grand Soleil, Ion fils, à venir , avec elle , voir une parente qui demeuroit au village de la Pomme de qu�on lui avoit dit ctre très mal ; elle le mena par le chemin le plus long, fous prétexte qu'il étoit le plus beau , mais eh effet parce qu�il étoit le moins fréquenté. Elle avoit de la pénétration ; elle penfa que le motif de ce myftère provenoit de ce que l�on tramoit quelque choie de finiftre contre les Fran�ois ; les mouvemens du Soleil de la Pomme appuyoient fes conjectures ; lorfqu�elle fe vit avec fon fils dans un endroit folitaire elle lui parla en ces termes.
^ Af�eyons nous ici, aufi� bien je 35 fuis lafle, 3c j�ai quelque chofe à 35 te dire. Lorfqu�ils furent afiis elle >5 ajouta : ouvre tes oreilles pour 35 m�entendre; je ne t�ai jamais appris 53 à mentir; je t�ai toujours dit qu�un �5 menteur ne méritait pas d'être

éS Nouveaux Voyages 83 confidéré comme un homme , & 33 qu�un Soleil menteur étoit digne 53 du dernier mépris,, &c même de 53 celui des femmes, ainfi je crois que 53 tu me diras la vérité. Dis mois donc : 53 les Soleils ne font-ils pas tous fre^ res? Cependant tous les Soleils fe *> cachent de moi, comme fi mes le53 vres étoient coupées > & comme fi 53 je ne pouvois retenir mes paroles ; 35 me connois-tu femme à parler eti 33 dormant ? Je fuis au défefpoir de 35 me voir méprifée de mes freres * � niais encore plus de hêtre de toi 33 meme. Quoi donc? n�es tu pas 23 forti de mes entrailles? n�as-tu pas 33 fuccé mon fein , ne t�ai-je pasnour33 ri du plus pur de mon fang ? eft33 ce que ce même fang ne coule pas 33 dans tes veines ? ferois tu Soleil, fi 23 tu n�étois pas mon fils ? as-tu déjà 33 oublié que fans mes foins tu ferois 53 mort il y a long-tems ? tout le >3 monde t�a dit, & moi aufii, que tu 33 es fils d�un Fran�ois 3 * mais mon
* Cette Princeffe avoit aimé pendant longtems un Officier de notre Nation 5 on ne
&ux Indes Occidentales. 6g sa propie fang m�eft beaucoup plus � cher que celui des Etrangers ? je =� marche aujourd�hui auprès de toi, � femblable à une chienne , fans être 35 regardée ; je m�étonne que tu ne � me repoufles pas avec le pied ; je � ne fuis point furprife de voir les *3 autres fe cacher de moi , mais toi 3 � qui es mon rils, le peux tu ? as-tu � jamais vu dans notre Nation un � fils fe défier de fa mere ? tu es le feul � de ce caradère. Quoi � tant de mou� vement dans la Nation, fans que 35 j_en fiache la raifon , quoique je � fois la vieille Soleille ? as-tu peur M je ne te rebute,& que je te falTè �lefclave ces Fran�ois contre lefi� quels vous agirez ? ah ! que je fuis � lalle de ces mépris, & de marcher ^avec des hommes ingrats !
�Le fils de cette Soleille fut pénétré
�"T Pomj qu il ne fut le pere du grar Solen , & cela n �toit rien � celui-ci du re J66 ciu avoientpour lui fes fujets ; les femnr lonnoient la nobleffe parmi eux comme ai o�lerve; ils le contentaient d'être furs c a mere d un homme ; il leur importoit pc le douter de ce (}ue pouvoir être fon péri
i


Nouveaux Voyages
jufqu�au fond du c�ur , du difcours qu�i! venoit d�entendre ; il s�attendrit, verfa des larmes &c écouta ces remontrances avec la tranquillité ordinaire aux Américains & le refpeét d� a une mere Princeffe ; il lui répondit eniuite en ces termes: 53 tes reproches iont 33 des flèches qui me percent le c�ur, 33 5c je ne crois pas t�avoir jamais re�3 butée ni méprifée; mais as-tu quel33 quefois entendu dire que Ton devoit >3 révéler ce que les vieillards du Con33 feil ont arreté ; le fecret n�eft-il pas 3* un devoir pour tous les hommes, 33 & moi qui fuis Souverain , ne dois>3 je pas montrer l�exemple ? on s elt 3l3 caché de la grande Soleille comme 33 de toi. Quoi que l�on f�che que je 33 fuis fils d�un Fran�ois , on ne s�eft 33 pas défié de moi, on s�eft bien dou. 53 té que ton grand efprit pénétre�> roit le fecret du Conleil ; mais des 33 qu�on le cachoit à la grande Soleille 33 mon époule, convenoit-il de t en 33 inftruire. Puifque tu as tout deviné, 33 que veux tu que je tapprenne? tu en 53 f�ais autant que moi, ferme ta
bouche.
33 Je n�étois pas en peine , lui dit
aux Indes Occidentales* 71
elle , de f�avoir contre qui vous 33 prenez tant de précautions; mais 33 comme c�eft contre les Fran�ois , � je crains que vous n�ayez pas 53 bien pris vos mefures pour les fur33 prendre; car je f�ai qu�ils ont beau33 coup d efprit, quoique leComman>3 dant d�ici ait perdu le fien , ils font 33 braves , ils ont affez de marchan33 difes pour faire agir contre nous les 33 guerriers des autres Nations. Si 3>vou3 n en vouliez qu�à des hommes 331'ouges, je dormirois plus tranquille ornent ; je ne fuis plus jeune; (1) la 3avie d�une femme �gée eft peu de 33chofe ; mais la tienne m�eft chere. Si 33VOS vieillards ont cr� qu�il étoit auf�� 33facile de furprendre les Fran�ois que >3les hommes rouges,ils fe font trompés 33gro�iérement ; les Fran�ois ont des 33refTourcesque nous n�avons pas; tu 33f�ais qu�ils ont l�étoffe parlante^ c�eft 33à-dire du papier.)
Son fils lui répondit qu�elle n�avoit rien a ciamdre du coté des mefures
(1) Il y avoit déjà quelque tems que fo* ainant étoit mort.

72 Nouveaux Voyages cjue 1 on avoir prifes. Après lui avoir dit tout ce que je viens de rapporter, il lui apprit que les B�chettes étoient dans le Temple fur le bois plat (oa la table.)
Lorfque cette Princeffe fut f jff�famment inftruite elle feignit d�approuver ce que l�on avoit fait ^ & laiffant déformais fon fils tranquille, elle ne s�occupa plus que des moyens qu�elle pourroit trouver, pour faire échouer ce barbare dellein ; le tems prefioit, & le jour marqué pour le maflacre é:oit déjà très proche.
Cette femme ne pouvant fe réfoudre a voir périr tous les Fran�ois dans un jour, par la conjuration des Natchez , fongea à les avertir de fe tenir fur leurs gardes ; elle imagina de fe fervir pour cela de quelques filles qui avoient des Fran�ois pour amans jdle leur recommanda expreffément de ne jamais dire que c�étoit par fon ordre qu�elles agil�bient.
Le fieur Macé Enfeigne de la Garmfon du fort des Natchez, re�ut, par ce moyen, quelques avis d�une jeune fille fauvage dont il étoit aimé; elle lui dit, en pleurant, que fa Nation
aux Indes Occidentales. jq tion devoir faire main-baffe fur cous les Fran�ois. M. Macé étonné de ce difcours* queftionna fa ma�tre/Te; fes réponles fimples de na�ves, la terreur tendre ne lui permirent pas de douter de la vérité du complot; il alla, fur le champ, en faire part à M. de Chepar, qui lui ordonna les arrêts pour lui avoir voulu donner une faufle al larme ; fept Habitans inftruits par la même voye , étant venus lui demander la permil��on de prendre les armes pour éviter toutes furprifes , furent mis aux fers; le Commandant -_es traitoit de l�ches , & s�indignoit de ce qu�on cherchoit à lui infpirer delà méfiance contre, une nation qui lui témoignoit tant d�attachement;
1 exactitude, avec laquelle on payoit le tribut, entretenoit la fécurité ; il ne foup�onnoit pas la politique des auvages ; le mépris qu�il avoit pour eux 1 aveugloit ; il n�imaginoit pas que des hommes de cette efpece fuffent capables de tant d�adref�e.
La Soleille Bras piqué, vit avec douleur que fes foins, pour la conleivation des Fran�ois, étoient inutiles : elle s�anima à la réfolution de L Partie. U
74 Nouveaux Voyages les fervir malgré eux ; elle ne pouvo�t les conferver tous; elle chercha dumoins les moyens de diminuer le nombre des viétimes ; elle fe rendit en fecret dans le Temple ; * elle tira adroitement & à l�inf�u des Prêtres, quelques b�chettes du tatal faifceau ; fon del�ein était d�avancer !e tems fixé pour l�exécution de la confpiration ; elle fentit que le mafia cre qui fe feroit chez les Natdhez j fer oit bient�t répandu au loin; les Fran�ois établis parmi les autres Nations en feroient inftruits & fe tiendroient fur leurs gardes; c�étoit le feul parti qui lui reftoit à prendre ^ il réuilit ; les Natchez fe virent à leur derniere b�chette fans s�appercevoir qu�ils avoient été trompés; ils commencèrent hardiment le carnage qu�ils avoient projetté , perfuadés que leurs confédérés alloient agir en meme
tems. r
Le 28 Décembre 1725), a 8 heures du matin , les Sauvages étoient
( 1 ) Les femmes Soleilies avoient feules le droit d�y entrer.



aux Indes Occidentales. 7 r répandus parmi les Fran�ois ; certains coups de fufil qui dévoient fervir de bgnal, fuient tires a la porte du logis de A�. de Chepar; aufli-tot ils firent main-baffe par-tout en méme-tems.
MM. de Koliy principaux Commis de la Compagnie des Indes , furent tués les premiers. La maifon de M.de la Loire desUr/ms i�t feule quelque réfiftance ; fes domefiiques tuèrent huit Natchez avant de fuccomber. M.DesUrfins.qui venoit defortir a cheval,voulut retourner fur les pas au premier coup de fufil ; une troupe de Sauvages l�arrêta. Il fe défendit avec courage, en rua quatre, & tomba mort,percé de coups. C�efl à-peu-près tout ce que leur co�ta cette furprife ; ils egorgerent pi ès de deux mille hommes; il n�en échappa que vingt, & cinq à fix Negres, encore la plupart etoient-ils bleffés. 170 en fans , oo femmes & autant de Nègres furent faits efclaves, dans l�efpérance de les vendre aux Anglois de la Caroline.
rendant ce madacre le Soleil ou grand Chef, étoic tranquillement af��s fous un hangard de la Compagnie ces Indes, on lui apporta d�abord la
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7 6 Nouveaux Noyages . .
tête du Commandant , puis ^celte des principaux Fran�ois qu il fit ranger autour de la première. Tou� tes les autres furent miles en pille ; les corps refterent fans lepulture de furent la proie des vautours, ils ouvrirent le ventre aux temmes enceintes , de égorgèrent prefque toutes celles qui avoient des enfans à la mammelle, parce qu�ils les importunoient par leurs cris & par leurs pleurs, iis firent efeiaves toutes les autres, &e les traitèrent avec la derniere indignité.
Quelques perfonnes prétendent que M, de Chepar eut la douleur de péiir le dernier, de d�être le fpe�ateur de cet horrible carnage ; il reconnut alors, mais trop tard, la^ iagelle des avis qu�on lui avoit donnes. Les Sauvages lui dirent qu un chien comme lui étoit indigne de mourir de la main des guerriers? Il fut livré aux Puann ( [ ) qui le firent expirer à coups de flêches;après quoi on lui coupa la tête.
. '' t *
/
( i) Le bas-peuple,feaomme dans la larn
gue des Natclifiz, Miche - Michequip , qui y eut dire P liant.

/
aux Indes Occidentales, 77 Telle fut la fin d�un homme qui n�écoutoit que fes confeils, fa cruauté, fon avarice & fon ambition. Comme aucun Fran�ois n�a réchappé du ma/facre des Natchez , on ne peut guéres lavoir au jufte le genre de mort qu�on fit fubir à cet Officier ; il fuffit de favoir qu�il avoit à faire à des Peuples naturellement barbares, & quai les avoit irrités. Une bonne adminiftration les auroit attachés aux Fran�ois j qui en tiroient de très-grands avantages; c�eft ainf� que, quelquefois, les fautes d�un feul homme entra�nent la perte d�pne Colonie entière ; on ne fauroit trop apporter de précautions dans le choix qu�on lait de ceux qu�on envoyé commander dans ces contrées. Les Sauvages, malgré les idées qu�on fe forme d�eux, ne font pas touurs ailés à conduire; il faut delà politique & de la fagefie pour fe concilier leur bienveillance; on ne les outrage pas impunément ; cette hiftoire en eft la preuve ; rien peut - être n�étoit mieux conduit que la confpiration des Natchez. Et fans un coup de la Providence , combien n�eut-elle pas été funefte ! On devoit fans doute
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�fiy. .V;

7 S Nouveaux Voyages beaucoup de reconnoilfance àlaSoleille Bras-piqué -, on ne fait trop comment on �a lui a témoignée.
Les nations qui étoient du complot des Natchez , ne Tachant pas le ftratagéme qui fit avancer le coup , Te crurent trahies ; la Nation Chaéta s�imagina que les Natchez n�avoient pas voulu leur faire part du butin des Fran�ois , de pour montrer à ces dern iers, qu�ils n�avoient point de part à la conjuration , ils Te joignirent à eux pour aller ch�tier les Natchez. Ceux-ci rendirent d'abord les femmes Fran�oifes de les Negres qu�ils avoient fait efclaves ; quelque tems après ils furent attaqués dans leurs rctranchemens , mais à la'faveur d�un orage ils fe fauverent de quittèrent le pays. On en prit environ mille que l�on amena à la Nouvelle Orléans, & qui turent enfuite vendus à l�Ifie de Saint Domingue. Du nombre de ces Prifonoiers étoient le Grand Soleil , fa femme & fa mere, de qui on apprit le détail ci-deffus. Le Grand Soleil défavoua ce maffacre ; il dit que Ta Nation avoit abufé de fa jeunexfe pour faire ce coup, qu�il avoit

aux Indes Occidentales. 79 toujours aimé les Fran�ois, que c'étoit leur Chef qui les avoit contraints à ce délefpoir par fes vexations envers une nation née fibre. Les Fran�ois fe contentèrent de fon défaveu ; iis le traitèrent avec allez de douceur , ainfl que fa femme & fa mere ; mais comme ils ne retournèrent plus au milieu de leur nation, ils moururent bient�t de chagrin. Depuis ce tems ce pays eft inhabité ; les Natchez pouduivis par les Fran�ois, trop foiblés pour leur rélifter , fe font réfugiés chez les Tchicachats, 011 ils ont trouvé un afyle.
Nous avons toujours un Fo r ic*, mais la Colonie n�en eft gucres-brillante ; un moyen de la rétablir fcroic d�y attirer d�autres Sauvages; voilà , M onfieur, tout ce eue je puis vous raconter de plus intéreifant fur ce pays; je vais en partir bient�t pour continuer mon voyage, & je.finis cette lettre en vous renouvellant les alTurancesdes fentimens que vous me connoiffez. Je fuis, &c.
Aux Natchei le 10 Septembre 17 ci,
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Nouveaux Noyages


LETTRE IV.
Au Même.
Arrivée de VAuteur chei les Akan�as. Mort fuhefle des gens de Ferdinand Soto. Réflexion fur la folie des hommes qui cherchoient une montagne d'or. Origine du fameux Dorado� Précis de V H if o ire tragique de la mort de Monfeur de la Salie.
ONSIEUR,
Api\És avoir vogué environ nolieues, au nord des Natchez, fur le Mifiri�ipi, fans rencontrer aucune habitation fur la route, nous for�mes arrivés chez une nation célèbre par rattachement qu�elle a toujours eu pour lest ran�ois, 3c connue anciennement par l�expédition de Ferdinand Soto. J'ai parié à un vieux Sauvage qui eft C�\ef de cette contrée : i! m�a dit avoir vu M. de la Salle ici en 1682 , lorf
aux Indes Occidentales. 8 J
qu�il fit la découverte du grand Fleuve S. Louis, connu lous le nom de Mifliflipi, 6c nommé par les Sauvages Méfchajj'epi, qui lignifie toutes les rivières ou le grand Fleuve.
M. de la Salle paiTa chez cette Nation , en defeendant le fleuve; il fit amitié avec ces Peuples 6c prit pofleflion de leur pays au nom de Louis-le-Grand deglorieufe mémoire ; après y avoir planté la croix 6c les armes de France , il fuivit le cours du Mifliflipi qui fe jette dans le fa* meux Golfe du Mexique. Il prit hauteur à fon embouchure qu�il trouva par les 29 degrés de L. N. il le remonta en fuite jufqu�à la riviere des Illinois, d�o� il fe rendit en Canada, 6c delà repaffa en France.
A fon arrivée à la Cour , il fit part de fa découverte à Mrs. de Colbert & de Ségnelai, ils lui firent accorder une commiflion du Roi, qui portoit que tous les Pays qu�il découvriroit, depuis la nouvelle Bifcaye jufqu�aux Illinois 6c les Peuples tant Fran�ois que Sauvages qui s�y trouveroient, leroient fous fes ordres. C�eft chez ce même Peuple appelle
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82 Nouveaux Voyages Aican�as, qu�arriva M. Joutel , lorf* qu�après la mort de M. de la Salle, il fe mit en route avec es guides pour trouver le Miffillipi. Cet Officier eft le feul qui nous ait laide une relation fur laquelle on puiffe compter. Je crois devoir vous en rapporter un précis ; vous y verrez l�hiftoire de M. de la Salle , & quelle fut la fin dn fa malheureure expédition.
A l�égard du voyage de Ferdinand Soto, je ne vous en dirai qu�un mot; rhiftoire générale des Indes occidentales nous apprend que ce grand Capitaine fier & riche de la conquête du Pérou , après avoir trempé fes mains facrilèges dans 1� fang de l�infortunée famille Royale des Incas , voulut pénétrer dans ce Pays , avec fes plus vaillans foldats, pour fubjuguer les Peuples des environs du Fleuve dont je vais vous faire la defcriprion; mais il ne connoifToit nullement l�intérieur de ce vafte continent ; il comptoit peut-être y trouver des Peuples efféminés , comme dans l�Amérique méridionale ; il fut trompé dans fon attente ; une partie de fes gens fut aflommée à coups
aux Indes Occidentales. 85 de maflue par les Sauvages qui écorchèrent les principaux OlHciers de fon armée , & enfuite expoferent leurs peaux fur la porte de leur Temple ce qui épouventa tellement les Efpagnols, qu�ils fe rembarquèrent aufl�t�t pour Tturope.
Ferd inand Soto, mourut de ver�o-* gne , dit l�Hiftorien , du mauvais fuccès de fon entreprife 1 an 1 , &
depuis ce tems jufqu�en 1682 , ce beau Pays n�a été habité par aucun Européen.
La deftinée de M. de la Salle n�a pas été plus heureufe que celle de Ferdinand Soto.
Il n�eft point de vertu qui ne foie me�ee de quelque detautj c�eft le fort ordmane de 1 humanité , & ce qui met le comble à notre humiliation , les plus grandes vertus font fouvent accompagnées des plus grands vices, vous le remarquerez aiiément, Mon
fieur, par ce récit fuccinét tiré du journal de M. Joute),
Monfieur Robert Cavelier de la Salle partit de la Rochelle le 24 Juillet 1684 fur une Efcadie de quatre b�timens commandés par M. de Beau
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Nouveaux Voyages jeu, Capitaine de vaiifeau. On embarqua avec lui à Rochefort 285* perfonnes, 30 volontaires ( ) quelques Gentilshommes, & un certain nombre d�engagés, d�ouvriers & de tilles; M. de la Salle fit le voyage fur le vaideau de M, de Beaujeu., à qui il ne temoignoit aucune confiance. A tout ce que cet Officier lui propofoit j il ne répondoit qu�en difant d�un air d�hauteur , ce n�eft pas Vintintion du Roi ; il ne prenoit affinément pas le moyen d�intéreffer , dans (on entreprife,nn homme dont il avoit befoin pour la faire réuffir ; auffi n�v eut il perfonne qui ne commen��t d�augurer mal d�une expédition dont les Chefs paroiffoient avoir des vues bien oppolees ; le tems ne l�a malheureufement que trop bien confirmé.
Le 28 Décembre 1684, fEfca
( 1 ) Il y avoit parmi ceux-ci trois Eccléf�aftiques de S. Sulpice , dont un étoit fr^ire de M. de la Salle , Chedeville ion parent Sc Majulle ; en outre quatre Récolets pour établir des millions parmi les Sauvages : il y avoir auf�i deux de Tes neveux , Moranget, & Cavelier, �gé de 14 ans.
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aux Indes Occidentales, S y
dre découvrit la terre du continent de la Floride, & fur ce qu�on avoir alluré M. de la Salle que dans le �Golfe du Mexique r les courans portoienc à 1 �ft, il ne douta point que l�embouchure de Mifiilhpi ne fut bien loin a.l Oueft : erreur qui fut la fource de toutes fes difgraces. Il fit donc tourner à l�Oueft ; mais il avan�oit peu , parce que de tems en tems il approcnoit de terre^ 6c la cotoyo�t à la vue, pour examiner s il ne découvnroit pas ce qu�il cherchoit.
Le 2 Janvier i68y, l�efcadre fe trouva, ainf� qu�on le conjecture, allez proche de l�embouchure du Mifiiffipi, & le io Janvier elle pafla devant fans syen appercevoir. M. de la Salle perfuadé qu�elle étoit par le travers des Appalaches, continua fa route fans envoyer fa chaloupe à terre.
On prétend même qu�on lui montra cette embouchure , 6c qu�il ne voulut pas ie donner la peine de s�en af�urer, parce qu�il s�étoit mis dans la tête qu�elle ne pouvoit pas être à l�endroit qu�on lui marquoit. Il avoit un entêtement que rien ne pouvoit vaincre , ni jufiifier*
26 Nouveaux Voyaves
Il ignorent fans doute ou ne faifoit pas réflexion que les premiers hommes du mond ont fouvent été , en partie, redevables de leur plus grand fuccès, à des hommes qui leur étoient inférieurs en mérite ; & que les plus fages font ceux qui profitent des lumières & des avis de ceux qui en ont moins qu�eux.
Quelque tems après, fur quelques idées que lui donnèrent les Sauvages, il voulut retourner fur fes pas, mais M. de Beaujeu refufa d�avoir pour lui cette complaifance. n pourfuivit donc la meme route à FOuefi, & Fefcadre, en peu de jours , fe trouva à la Baie S. Bernard, mais fans la conno�tre. Cette Baie eft à ioo lieues à l�Oueft de l�embouchure du Miflillipi; on y mouilla : les chaloupes furent envoyées à la découverte, pour t�cher de découvrir o� Fon étoit. Elles apper�urent une très-belle Riviere , à l�entrée de laquelle il y a une barre qui n�a pas plus de 10 à 12 pieds d'eau. Cette découverte fe fit après bien des allées 8e des venues, �c plufieurs confei�s o� Fon ne conclut rien, parce qu�il fuffifoit qu�un des deux




aux Indes Occidentales. *7 Chefs ouvrit un avis pour que l�autre s�y oppos�t.
Al. de la Salle, qui ne fe croyoit pas loin du Alif�ill�pi , & que la présence de AI. de Beaujeu gcnoit plus quelle ne lui fervoit, réfolut de débarquer tout fon monde en ce lieu-là. Cette refolution pnfe le 20 Février il envoya ordre au Commandant de la Fl�te j de la décharger de ce qu�elle avoit de plus péfant, & de la faire entrer dans la Riviere. Il voulut être préfent à cette opération ; mais le Marquis de la Sablonniere & cinq ou fix Fian�ojs ayant été enlevés par les Sauvages, tandis qu�ils fe promenoient dans le bois, il y courut pour les dégager. Il n�étoit pas encore bien loin du nvage, lorfqu ayant jetté les yeux du coté de la Aler , il apper�ut la Fl�te qui man�uvroit de maniéré à fe briler contre des batures ( 1 ) : &c F>n mauvais fort, dit Joutel dans fa Rélation, l�empêcha de retourner fur les pas pour éviter ce malheur. Il
(1) Ce font des bancs de fable ou des clia�**
nés de rochers qui s�étendent fous l�eau.
� �



8 8 Nouveaux Voyages continua fa route vers le village o� fes gens avoient été conduits ; en y arrivant il entendit un coup de canon. Il fe douta que c�étoic pour l�avertir que fa Fl�te étoit échouée , & fa com jeclure fe trouva jufte.
Il paffa pour confiant, parmi ceux qui furent témoins de cet accident, qu�il avoit été l'effet à?un deffein prémédité du S\ Aigrorij qui commandoit ce B�timent. Cette perte eut des fuites f�cheufes , d�autant plus qu�il contenoit les munitions, les uftenciles, les outils, & généralement tout ce qui eft nécelTaire à un nouvel établiffement. M. de la Salle fe h�ta de fe rendre à l�endroit o� le vaifieau étoit échoué, & trouva tout le monde dans l�inaélion. Il pria M. de Beaujeu de lui prêter fa chaloupe & fon canot; il les obtint fans peine.
Il commen�a par fauver l�équipage. Il fongea enfuite aux poudres & aux farines, enfuite aux vins & à l�eau-devie ; on emporta à terre environ 30 bariques. Si la Chaloupe de la Fl�te eut pu aider celle du vaiffeau le Joli 9 prefque tout auroit été fauve ; mais on l�avoir fait périr exprès, & la nuit

aux Indes Occidentales 89 étant furvenue, il fallut attendre au lendemain pour achever Je déchargement. Au bout de Quelques heures, le vent qui venoit du large s�étant renforcé , & ayant grofi� les vagues, la Fl�te heurta contre des Rochers qui la creverent ; quantité de marchandises fortirent par l�ouverture qui s�y étoit faite, & furent portées �à &c là au gré des flots. On ne s�en apper�ut qu au point gu jour ; on en fauva encore 30 banques de vin & d'eau de vie, avec quelques barils de farine, de viande ëc de légumes ; tout le refte fut perdu.
Four comble de difgrace, on commen�a à fe trouver environné de Sauvages ; quelques précautions qu�on prit pour les empêcher de profiter de l�embarras o� Ton étoit, ils enlevèrent piufieurs choies qu�on avoit fauvecs ciu naufrage. On ne s�en apper�ut meme que quand ils fe furent retirés avec leur butin. Ils avoient laii�e lur le rivage plulieurs canots; on s�en faiflt . foi blés repréfailles qui co�tèrent bien plus qu�elles ne valoient. Les Sauvages revinrent pendant la nuit pour reprendre leurs canots; ils

p o Nouveaux Noyages furprirent ceux qui les avoient enlevés ; & les ayant trouvés endormis, iis tuerent deux volontaires que M. de la Salle regretta beaucoup , & bletferent fon neveu 3c un autre.
Tant de malheurs arrivés coup fur coup , rebuteront plufieurs de ceux qui étoient de cette expédition , 3c entr�autres Meilleurs Dainmavilie 3c Mignet Ingénieurs , qui voulurent retourner en France , à quoi ne contribuèrent nas peu les difcours des ennemis de M. de la Salle , qui ne ceffoient de décrier fa conduite, 3c de taxer fon projet d�entreprife folle 3c téméraire. Pour lui, jamais il ne montra plus de réfolution 3c de fermeté; il fit conftruire un magafin qu�il environna de bons retranchemens, 3c s�étant mis dans l�efprit que la Rivière o� il étoit entré pouvoit bien être un des bras du Miffil��pi, il fe difpofa à la remonter.
Sur le champ on commen�a à travailler à un Fort. Dès que l�ouvrage fut un peu avancé , M. de la Salle chargea Joutel de l�achever, lui en confia le commandement, & lui laiila environ cent hommes : il prit avec

aux Indes Occidentales# pi
lui le re: e de fa troupe, qui montoit tout au plus à 60 perfonnes , ^s�embarqua fur la Riviere, réfol� de la remonter le plus loin qu il lui feroit po/�ible. Joutel refta peu de tems apies lui au fort qu�on avoit commencé; les Sauvages venoient toutes les nuits roder dans les environs; les Fran�ois embarrafTes ne fe défen� do:ent contre eux, qu�avec des pertes qui les affoiblilToient. Le 14 Juillet Joutel^ re�ut un ordre de M. de la
Salle oe venir le joindre avec tout fou inonde.
Plulieurs bons fujets avoient été tués ou pris par les Sauvages, d�autres étoient morts de mifere & de fatigue, & le nombre des malades augmentait chaque jour : en un mot rien n étoit plus trille que la l�tuation o� le .trouvoit M. de la Salie. Il étoit rongé de chagrin mais il le diffimuoit allez bien ; ce qui dégénéroit en une dureté opini�tre. Dès qu�il vit tout fon monde ralTemblé, il commen�a tout de bon à s�établir & à fe foitifiei. Il le fit lui-meme l archite�e de fon Port, & comme il mertoit toujours la main à 1 �uvre le pre
$2 Nouveaux Voyages
mier , chacun travailla de fon mieux
à Ton exemple.
Il ne falloit plus qu�encourager cette bonne volonté, mais M. de la Salle n�étoit pas ma�tre de fon humeur. Dans le tems même que fes gens s�épuifoient de fatigue, & n�avoient qu'à peine ce qui leur étoit néceffaire pour vivre, il ne put gagner fur lui de fe rel�cher un peu de fa févérité, ni d�une humeur inflexible ^ qui n�eft jamais de faifon, fur-tout dans un nouvel établiffernent. Il ne fuffit pas d�avoir du courage, de la fanté, de la vigilance , pour faire réuft�r fes entreprifes, il faut encore bien d�autres taie ns. La modération., la patience & le défintéreffement font néceffaires. Il eft à propos de diffimu�cr, & de fermer les yeux quelquefois pour ne pas irriter le mal. La voye de la douceur eft la plus fure pour celui qui conduit la troupe.
M. de la Salle puniffoit les moindres fautes avec une cruauté inou�e , rarement il fortoit de fa bouche une parole de douceur & de conlolation pour ceux qui fouffroient avec le plus de confiance.

aux Indes Occidentales. 5)^
Aufl� eut-il Je chagrin de voir prefque tous fes gens tomber dans une langueur, qui étoit bien plus l�effet de leur défefpoir ^ que celui de l�excès du
travail & du �éraut de bonne nour~ riture.
Apres qu il eut donné fes derniers ordiesà fon fort, il réfolut d�avancer dans le Pays , & fe mit en marche le 12 de Janvier \6'8~j avec M. Cave lier fon frere, Moranget & le jeune Cavelier fes neveux , le Pere Anaftafe, Récolet, Joutel, Duhaut, Larché véque, de Marie, un Allemand nommé Hiens, un Chirurgien nomme Liétot, le Pilote Cellier, Saget & un Sauvage, bon chaf�eur. Je fais mention de tous ceux-ci, parce qu�il en fera parlé dans la fuite.
A mefure .qu�on avan�oit dans le �Pays, on le trouvoit peuplé, & Iorfqu on ne fut plus éloigné que de 40 lieues des Cénis , on apprit qu�il y avoit un Fian�ois parmi ces Sauvages. Cetoit un matelot Breton ; il setoit perdu lorfque M. de la Salie etoit defeendu pour la première fois fui le Mifllflipi ; depuis 1682 ce malheureux habitoic parmi les Cénis


p4 Nouveaux Voyages qui l�avoient adopté ; il n�efpéro�t plus de revoir l�Europe, il n�y avoit gueres qu�un hazard qui p�t lui procurer les moyens d�y retourner; ce fut Joutel qui l�alla chercher parmi les Indiens. Il ne les quitta que pour être témoin d�un crime.
Le 17 Mai., Moranget étant à la chaffe, & ayant, dit-011, maltraité de paroles Duhaut Hiens de le Chirurgien Liétot , ces trois hommes réfolurent de s�en défaire au plut�t de de commencer par le laquais de M. de la Salie de fon chaffeur fauvage appellé Nika qui accompagnoit Moranget, de qui auroit p� le défendre. Us communiquèrent leur deflein à Larchevêque de au Pilote Teffier, qui fapprouvèrent de voulurent avoir part à l�exécution. Us n�en parlèrent point au fieur de Marne qui étoit avec eux , de qu�ils auroient bien voulu pouvoir éloigner. La nuit fuivante, randis que les trois malheur reufes viétimes qu�ils vouloient facrifier à leur vengeance, dormoient tranquillement, Liétot leur ^donna a chacun plufieurs coups de haches lur la tête. Le Sauvage de le laquais ex




aux Indes Occidentales. empirèrent fur le champ. Moranget (e leva fur fon féant, mais fans proférer une feule parole ; les aflaffins contraignirent le fieur de Marie de l�achever j en le mena�ant s�il refufoit, de lui faire le meme traitement qu�aux autres; c'eft en le rendant complice de leur crime , qu�ils vouloient s aflurer qu�il ne les accuferoit pas.
Un premier forfait eft toujours fuivi d�inquiétudes; les plus grands fcélérats viennent difficilement à bout de les calmer ; les meurtriers comprirent qu�il ne leur feroit pas aifé de fe fouftraire à la jufte vengeance de M. de la Sade } s ils ne Je préve� noient , & ils s y réfolurent , après avoir délibéré enfemble fur les moyens d�y parvenir ; ils crurent que le plus sur étoit d�aller au devant de lui , défaire main-baffe fur tous ceux qui Faccompagrioient, & de fe frayer ain�
un chemin au parricide qu�ils méditoient.
Une réfoiution fi étrange ne pouvoir être infpirée que par ce défefpoir aveugle ^ qui précipite les criminels dans l�abyme qu�ils fe font creufé : un incident qu�ils n efpéroient pas les
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96 Nouveaux Noyages favorifa. & leur livra la proye qu�ils cherchoient. Une riviere qui les féparoit du camp , & qui s�étoit considérablement grol�ie depuis qu�ils l�avoient pafifée, les retint deux jours; ce retardement qui d�abord leur parut un obftacle à leur projet , leur en facilita l�exécution. M. de la Salle furpris de ne pas voir revenir fon neveu , ni les deux hommes qui l�accompagnoient, voulut les aller chercher lui-même. On remarqua,au moment qu�il fe mit en chemin , qu�il fe troubla , & qu�il s�informa avec une forte d'inquiétude qui ne lui étoit pas ordinaire 5 fi Moranget n�avoit pas eu querelle avec quelqu�un.
Il appella enfuite Joutel, lui confia li garde de fon camp , lui recommanda d�y faire de tems en tems la ronde, de ne permettre à perfonne de s�écarter & d�allumer des feux , afin que la fumée ferv�t à le remettre dans fa route, s�il venoit à s�égarer au retour. Il partit le 20 avec le Pere Anaftafe & un Sauvage. Comme il approchoit du lieu o� les a (Ta ffins s�étoient arrêtés, il apper�ut des aigles qui voltigeoient allez près
de-là i
�X ;M'n'
(lux Indes Occidentales. . 07 de-la, ce qui lui fit juger qu�il y avoir quelques charognes en cet endroit � � n/a un C0UP de fufil , & ies Con*
Jines, qui ne l�avoient point encore
qSf^nnr ^1 d-�Uftnt qUe c�étoit M
armes Pf ���t � PreParerent leurs mes^ La rivière étoit entr�eux &
ferenf lUt & Urcnhevê(i^ la pafleient , & ayant vu M. de la Salle
Jen/ST 3 fdC paS' i,s s�arrête
laJh � ' ?" fo" f"C' bandé , .Larcheveque s�avan�a un peu plus J
moment "près M. de la Salle 1 ayant reconnu, lui demanda o� étole
fia S 'n 'Ui ,re>�ndit <!��� K
a Ja denve. Dans le moment Duhaut
li ref t A�nl!e"r de '* Salle
1 dans 'a tete & tomba mort.
� Ci,� �Tes ,
� Dont J'Euronr. � dnrS 3ntres e�ans . moleffe, ^ or�ueiUeufe au fein de la
� a^oS*au-f-Vuge rUdefrC �
^ 1 4U1 ^U1C dans vos fo
�A-t-il vupanni vous de femblables forfaits
P�emedeJumonme, par M. Thomas,
Ce^fuMe no Mal ,�7 .
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98 Nouveaux Voyages allaffinat fut exécuté chez la Nation des Cenis. Le Pere Anaftafe ayant vu tomber M. de la Salle à fes pieds � s'attendoit que les meurtriers ne l�épargneroient pas quand ce ne teroit que pour fe délivrer d�un témoin de leur crime. Duhaut, s�étant approche de lui pour le raff�ter ^ lui dit que l�aé�ion qu�ils venoient de faire étoit tin coup de défefpoir , & qu�il y avoit long-tems quils fongeoient à fe venger de Moranget, qui avoit voulu les perdre. Ce fut le Pere Anaftafe qui apprit à M. çavelier la mort de fon frere. Celui-ci dit aux Conjurés que fi leur deftein étoit aufl� de fe défaire de lui, il leur pardonnoit fa mort d�avance ? qu�il ne leur demandoit, pour toute gr�ce, qu�un quart d�heure pour fe difpofer à mourir. Ils lui repondirent qu�il n�avoit rien a craindre j que perfonn� ne fe plaignoit de
lui.
Joutel n�étoit pas au camp alors; Larchevêque, qui étoit fon ami, courut l�avertir que fa mort étoit réfolue, pour peu qu�il témoign�t de reffentiment de ce qui étoit arrivé * ou ^u�il prétendit fe prévoir de l�auto


. # aux Indes Occidentales. o) fite que M. de la Salle lui avoit donnée; mais que s�il demeuroic tranquille, il n�avoit rien à craindre. Joutel, qui étoit d�un naturel fort doux , répondit qu�on feroit content de fa conduite, qu�il croyoit qu�on avoit eu 1 etre de la maniéré dont il s�étoit
comporte' ; il retourna enfuite au camp.
-Des que Duhaut eut apper�u Jou
tel, ,1 cria qu�,1 falloir que chacun command�t a Ion tour. Il s�étoit déjà empare de route l�autorité'; & le premier ufage qu il en fit, fut de fe rendre ma�tre du magaftn. Il le partagea enfuite te avec Larchevéque, en difant que tout lui appartenir. Il y avoir pour 3pooo hv. de marchand,fes , & en
Sfc000''v,'antenerpic�ii!�e"
Les affal�ins avoient pour eux la
tri? & k,harjie/�e ; iIss�e'toient mon
aufl�CnPab � deS ph,S grands Cl imes; auffi ne trouvèrent ils d�abord aucune
reliftance. Bien-t�t la divifion fe mit entre eux ; ils eurent des difficulte's pour le partage de la cailTe ; ils en vinrent aux mains , & Hiens déchargea fon piftolet dans la cervelle de
Eij
'i 00 Nouveaux Voyages Duhaut j qui alla tomber à quatre pas de l�endroit o� il étoit. En méme-tems Rutel, ce Matelot Breton que Joutel avoit ramené de chez les Cenis , tir� un coup de fufil fur Liétot. Ce miférable , quoiqu�il eut trois balles dans le corps , vécut encore quelquesheures ; 'ainfi les deux meurtriers , l�un de M. de la Salle, l�autre de Moranget fon neveu , furent eux-mêmes les vi�imes de l�efprit de fureur qu�ilsavoient infpiré dans cette malheureufe Colonie.
Les Sauvages ne favoient que penfer de ces meurtres , & en étoient fort fcandalifés, Ils avoient raifon , & ils pouvoient plus jufteinent traiter ces Fran�ois de barbares, que nous n�avions droit de les regarder comme . tels. Quoiqu�il en foit, telle fut à peu près la fin tragique de Robert Cavelier, fieurde la Salle, homme d�une capacité, d�une étendue d�efprit, d�un courage& d�une fermeté d�ame qui auroient pu le conduire à quelque chofe de grand, fi, avec de bonnes qualités, il avoit f�u fe rendre ma�tre de fon humeur fombre & attrabilah
, adoucir la févérité, ou plut�t la

B�x Indes Occidentales. JO II
dureté de fon nature!, & réprimer la hauteur avec laquelle il traitoit, nonfeulement ceux qui dépendoient entièrement de lui, mais fes af�bciés mêmes; ce qu'il y a deplustrifle pour la mémoire de cet homme célèbre , c eft qu�il n�a été plaint de perfonne � & que le mauvais fuccès de fon en� treprife lui a donné un air d�avanturier parmi ceux qui ne jugent que fur les apparences. Par malheur c�eft ordinairement le plus grand nombre, & en quelque forte la voix du Public. On lui a encore reproché avec juftice de n�avoir jamais pris confeil de peifonne , 6td avoir ruiné les propres affaires par fon opini�treté ( x ).
a ^r? ?onr diminuer I�horreur de l�attentat deiJuhaut �n n�a pas manqué de dire que � e la Salle avoir tué de fa main le jeune &�'�**>�** avoir fait le même traite� Placeurs autres; que c�eff le défef� - & la.vengeance qui animèrent les Conjures qul craignaient de périr eux-mêmes Par fon nijufhce & la dureté. On doit être f aUtant Pius engarde contre ces difcours calomnieux, qu il n�eft que trop ordinaire d�exagerer les defauts des malheureux Sc de leur en imputer plufieurs qu�ils n�ont pas.
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[� o2 Nouveaux Voyages
C�eft ainfi que finit cette malheur -�eufe entreprife ; bien des chofes contribuèrent à la faire échouer ; elle au^ roit au moins eu une partie du fuccès qu�on efpéroit, fi on n�avoit eu en "vue qu�un établilTement à l�embouchure du Miffiflipi , comme bien des gens fe l�étoient perfuadé. Il eft certain que lorfque M. de la Salle fut abandonné par M. de Beaujeu à la Baye S. Bernard, il ne tarda pas à reconno�tre qu�il étoit à l�Oueft du Fleuve qu�il cherchoit : s�il n�avoit eu que le defiein de le trouver , il auroit pu, dès le premier voyage qu�il fit
aux Ccnià, obtenir de ce� Sauvages des guides, puifqu�ils en donnèrent dans la fuite à Jcutel (i), mais il avoit envie de s�approcher des Efpagnols,
(i) Le fieur Joutel trouva le Fleuve Milfif�ipi par le moyen des Sauvages qui le guide* rent chez les Akan�as, & de B en Canada , ou il arriva accompagné d�un Prêtre, d�un Récolet, dun Soldat , dun Matelot, d�un Habitant, & d�un Sauvage, ce qui compofoit une caravane allez bigarrée. Voila tout ce qui eft revenu de cette expédition. Le refte de cette malheureufe Colonie périt, foit par les Sauvages, foit par les Efpagnols qui les firent prifonniers, & les envoyèrent aux mines pour y travailler.

aux �ndes Occidentales, l pdur prendre connoiflance des mines de Sainte Barbe , de de chercher aufl� un Dorado. Pour vouloir trop faire3 non-feulement il ne fit rien du tout, mais il fit périr tout fort monde, il fe perdit lui-méme * & ne fut plaint de perfonne*
Avant de finir cette Lettre ^ qu�il me foit permis de faire quelques réflexions fur la folie des humains*
L�avidité des Capitaines Efpagno�s devoir être bien grande, puifqu�elle les excitoit a chercher une montagne d 01, ou un Dorado imaginaire, pendant que le pays qu�ils habitoient regdrgeoit de toutes parts de ce métal. Cela prouvé que tous les tréfors du monde font incapables de fatisfaire 1 homme , lorfq�e la cupidité s efl une fois emparee de fon c�ur.
Les Efpagno�s n�étoient pas contents des richefles du Pérou; il leur falloit encore découvrir un Dorado, c eft-à-dire , une contrée dont les r�chers & les pierres fufient d�or. Les Indiens, pour flatter la cupidité de ces ennemis, 8c les éloigner en mêmetems de leur pays ne ceffoient de leur vanter 1 or, l�argent, les diatnans, &
E iv
f 04 Nouveaux Voyages les perles dont ce pays abondo�t. L'envie quils avoientde fe débarraf1er ce ces h�tes incommodes, ne leur fit rien épargner pour les perfuader de � exiftence de cette contrée prétendue. Les Efpagno�s ajoutèrent foi à ces rapports qui les intéreffoient ; & Von prétend que c�eft là l'origine de ce fameux Dorado qui a fait tant de bruit dans le monde.
^ Le bruit courut alors qu�au fortir> d une longue cha�ne de montagnes couvertes de neige., on entroit dans une vafte plaine, extrêmement peuplée, o� étoit le Dorado qu�on fouhaitoit découvrir.
Auh�t�t Quefada partit avec 2�0 braves foldats pour l�aller chercher. Le jour de S. Jacques,ils apper�urent du haut d�une montagne, de vaftes plaines qui reffemblent de loin à une mer j & lorfqu�ils furent dcfcendus au pied j ils y b�tirent une ville qu�ils appellerent San-Yago, en mémoire du jour qu�ils avoient découvert cette plaine, ils lui donnèrent encore le furnom deCas Atalajas (i).pour mar
{1) Atalajas i�gnif�e �a E/paguol éj>kr ou découvrir.



aux Indes Occidentales. 10/ quel* le delTein de leur voyage, qui étoit de trouver le Dorado. Cette ville fubfifte encore aujourd�hui dans l�endroit qu�on la voit fur,la Carte, comme un monument qui femble exciter la pofterité a aller a la découverte de ce tréfor inconnu. Quefada traverfa les bois de l�Ayrico avec des peines inouies, & vint a Timana en 1/45 ,
après avoir perdu prefque tout fon monde.
Orellana entreprit, cette année le meme voyage ; il partit du Pérou , defcendit le IVIaragnon j ou la riviere des Amazones , fe rendit fur la c�te, & ne négligea rien pour arriver à la montagne d�or ; mais tous fes travaux furent inutiles, & il ne remporta d�autre honneur de fon entreprife , que celui d�avoir fait un des plus horribles voyages dont on ait jamais oui parler. Dans ce même-tems, Philippe deUre craignant que Quefada profit�t leul de cette découverte, partit de Coro, dans la province de VénueZuela, avec Aquito le Lieutenant Veialcazar & 120 hommes; mais un Cacique lui ayant dit que la plupart des gens de Quefada avoient péri dans
�o 6 Nouveaux Voyages cette entreprife, il prit fa route vers le Sud, le long de la riviere de Guabari, & aborda* ainfi que l�affure le Pere Simon 3c Piedrahata, à la première peuplade des Omagnas, en trèsmauvais état. Mais pour l�or que ne fait-on pas. Auri facra famés quid non peffora cogis !
33 Interrogeons les premiers Capii* taines de notre Nation ^ dit un Au>3 teur Efpagnol, 3c faifons la meme 53 queftion à Keymife �nglois, 3c aux 53 autres Capitaines de fon pays (i) : 55 Mes amis, pourquoi entreprenez53 vous ce voyage ? A quoi bon vous 55 rifquer tant de fois fur la mer ? Pours� quoi facrifier vos vaifleaux, 3c vous 33 expofer à tant de traverfes ? Adref
fons-nous à Quito, aux deux Pi33 zares , à Santa Fé de Bagota, 3c aux 33 Quefada , furie Maragnon, à Orelttdana, à Meta, à Barrio, 3c �^plu33 fleurs autres Capitaines célébrés. 33 Pourquoi vous donnez-vous tant de 33 peines ? A quoi bon ces levées de
(i) Il nsy a pas encore cent ans que Key�iife entreprit de découvrir le pays de 1 or*


aux Indes Occidentales� ioy
*> troupes j ces voyages dans des pays s? fi difficiles ? Nous cherchons , ré** pondirent- ils, le fameux & riche 5? Dorado , ne foyez donc point fur>3 pris de notre réfolution. N�eft-il pas 33 naturel qu�.on prenne de la peine >3 pour acquérir les plus grandes ri^�cheffes de l�univers ? Et quel be
foin avoit le Pérou de faire périr tant �3 de monde pour le trouver ?
Il eftaife maintenant de juger quel cas on doit faire d�une entreprife dont 1er but étoit d'aller chercher au loin3 avec tant de rifques & de frais, des tréfors que l�on poffédoit chez foi ea toute fureté.
Mais à quoi bon tant philofopher fur cette matière, le féjour que je ferai ici me donnera l�occafion de vous �drefler une nouvelle Lettre , o� je vous marquerai ce que j�apprendrai de plus intéreffant touchant la nolitique & la forme du gouvernement des Peupl es de cette contrée. Je fuis , Monfieur,
Aux Akan�as le 2$ Octobre lyy i,
* > ;
Evj
*o8 Nouveaux Voyages

lettre v.
Au Même,
Defcription des m�urs de la Nation des Akan�as , leur Religion ^ leur maniéré de faire la guerre la bonté la fertilité de leur pays.
ONSIEUR,
La defcr�ption que je vais vous faire de cette Nation fauvage, en fixant votre attention fur leur caraéiere particulier y vous donnera , comme je l�efpere , une idée générale de celui de tous le$.Peuples de P Amérique feptentrionale. Il y a en effet peu de différence, entr eux pour les moeurs & la maniéré de penfer, fur-tout à 1 egard d un Etre fuprême qu�ils appellent en leur langue Coyocopchill , qui fignifie le Grand Efprit ou le Ma�tre de la vie
Les Akan�as habitent fur le bord
\


auk Indes Occidentales. iog une riviere qui porte leur nom ; prend fa fource dans le nouveau
* S déc,latSe dans le fleuve du Miffi/��pi. Ces Sauvages font grands
. v le j Paits,* braves bons nageurs., ti es-adroits a la chafTe , à la pêche & tort dévoués aux Fran�ois : ils en
ont donné des marques en plufleurs occalions. r
Je vous ai parlé dans ma précédente du vieillard de cette Nation qui me dit avoir v� M. de la Salle. Ve �on Sauvage ajouta qu�il con�ut es- ors une grande eftime pour les .an�ois. que c�étoit la première Nanon d hommes blancs qu�il avoir v�.
j T' �l a7 xt t.ouj�urs ^commandé depuis a fa Nation, dont il étoit chef,
ae ne jamais reconno�tre d�autres Européens pour alliés que les Fran�ois qui furent auffit�t adoptés à fa recommandation; en effet, on a v� que
!?r �eup,fs n onc iamais voulu tremper dans la conjuration du maffacre
Franç�is établis aux Natche,. C�eft une juftice que je dois renaie a ces bons Sauvages qui font toujours en guerre avec les Tchica
� 10 Nouveaux Voyages
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chas, qui donnèrent retraite aux Natchez.
Le Pays des Akan�as eft un des plus beaux du Monde ; les terres y font fi fertiles , qu�elles produifent prefque fans cu�ture,du froment d�Europe, toutes fortes de légumes & de bons fruits inconnus en France; le gibier de toute efpece y abonde , comme b�ufs fauvages, cerfs, chevreuils, ours, tigres j léopards, renards , chats fa�vages , lapins, poulets dinde, gelinotes, faifans , perdrix , cailles tourterelles, pigeonsramiers , cignes, oyes, outardes, canards de toute efpece , cercelles � plongeons , poules d�eau , pluviers dorés, bécaftes, bécaffines, grives, étoumaux, 6e autres volatilles qu�on ne voit pas dans notre Europe.
Lorfque j�arrivai chez les �kanças, les jeunes guerriers m�accueillirent par la danfe du calumet. Il eft bon de vous obferver , Monfieur, que la danfe parmi ces Peuples entre dans toutes fortes d�affaires : il y a des danfes de religion de médecine , de réjbuiffancé, de cérémonies , de guerre, de paix de mariage , de
éiux Indes Occidentales. 11 � mort, de jeu de chaffe & d�impudicité; cette derniere eft abolie depuis notre arrivée en Amérique.
La danfe d�impudicité fe faifoit clandeftinement & la nuit, à la lueur1 d�un grand feu.Tous ceux qui entroient dans cette lubrique affemblée , dévoient frapper au poteau , (i) c�eftà-dire, jurer de ne jamais révéler ce qu�ils avoient fait ou vu dans ce bal diffolu ; les danfeurs des deux fexes y paroifioient tous nuds, dans des attitudes & des geftes de proftitution * accompagnés de chanfons impudiques , que vous me difpenferez de vous traduire quoique ce ne foit qu�une galanterie dans la langue des Sauvages.
(i) Lorfqué les Sauvages jurent ou font quelques fermens > ils prennent un cai�e-tê�e avec lequel ils frappent fur un poteau , en rappellant les beaux coups qu'ils ont faits à guerre , & en promettant de tenir religieufement leur parole ; un ferment prononcé de cette maniéré efl irrévocable pour eux; un Cacique jure de bien conduire fa Nation en devenant Chef, & frappe au poteau. JI
ne peut être re�u à cette dignité fans faire ferment.

2 12 Nouveaux Voyages
Les Akan�as ont parmi eux des hommes adroits , qui étonneroient peut-être nos joueurs de gobelets: j�en ai vu un qui fit en ma préfence un tour qui vous paro�tra incroyable ; c�étoit un jongleur ^ après avoir fait quelques fimagrées, il avala une c�te de cerf de 17 pouces de longueur qu�il retint avec fes doigts,&qu�il retira enfuite de fon eftomach. Cet Akan�as eft allé à la nouvelle Orléans montrer fon tour d�adreffe au Gouverneur & à tous les Officiers de la Garnifon ; c�eft ce que les Sauvages appellent faire la médecine.
Voici, Moniteur , la maniéré dont on déclare la guerre chez les Akan�as. On fait un feftindansla cabane du chef, on y fert du chien qui eft le principal mets des guerriers , parce que, difent-ils , le chien qui eft fi brave, qu�il fe fait mettre en pièces pour défendre fon ma�tre, donne de la valeur. Auffi celui qui tue un chien aux ennemis eft d�abord re�u guerrier ; mais il faut qu�il apporte la chevelure, c�eft-à dire, la peau de la tête du chien qu�il a tué, comme fi �étoit la chevelure d�un ennemi





&ux Indes Occidentales� ij j fan-s quoi les autres ne le croiroient pas. Les Sauvages ont beaucoup de chiens tant pour la chafTe , que pour les garantir des furprifes de l ennemi.
Apres le fefhn dont je viens de parler , le principal Chef convoque une affemblee de gens de guerre �c de guerriers.
L�aflemblée fe tient au milieu du Village dans une grande cabanne faite exprès, qu�ils appellent la cabanne du Confeil. Le Chef & les plus confidérés fe placent , chacun fui vaut Ion rang, fur des nattes ou des peaux de tygres ; Lorfque tous font a (lis, le Chef ou l�Orateur fe place au milieu de l�aflemblée & fait fa harangue a haute voix ; il repréfente & fa Nation qu�il lui feroit honteux de ne pas venger l�affront qu�elle a re�u de tel Peuple, que s�ils n�en tiroient pas raifon , on les regarderoic comme des femmes, (i) A l�inftant toute l�affemblée applaudit en difant ;
(i) Quand on appelle un Sauvage femme ou viente , c�ell une infulte qui veut dire homme hus c�ur ou l�che*
3 � 4 Nouveaux Voyages hcul heu ! Le Chef enfuite prend u?s faifceau de b�chettes 5c lé préfente à 1 affemblée ; tous ceux qui veulent marcher en prennent chacun une ; c�eft de cette maniéré que fe font les enrollemens.
Le lendemain matin , les femmes vont criant par le Village : � jeunes 95 gens & guerriers qui avez re�u des � b�chettes, partez , allez en guerre, * vengez la mort de nos parens, de �> nos alliés 5c de nos amis ; ne reve� nez que lorfque vous ferez teints �> du fang de nos ennemis 5c apporK tezleurscheveiures.ee (i) Alors tous Ceux qui ont re�u des b�chettes s��fe femblent au quartier général.
Alors un jeune Sauvage prend le foin de peindre en rouge une maf�iie qu�ils appellent cajje-tête; cette maf
**� � " ^� � < .. , . ...� / ^ - -� - � �
(i) Les Sauvages ont coutume d'arrachei: la peau de la tête des ennemis qu'ils tuent à la guerre; ils en comptent le nombre par les chevelures qu�ils rapportent en trophée au hout.d�une perche,, Nous leur donnons ordinairement en marchandifes, fur le compte du Roi, la valeur de dix écus par chaque chevelure de nos ennemis.


/
aux Indes Occidentales. Itf fue eft portée fut les limites du Pays des ennemis , on y fait une entaille à un arbre o� l�on dei�ine avec du vermillon deux flèches en fautoir; c�eft, félon eux , le fymbole de la guerre ; le rouge fignifie que la Nation ne refpire que la vengeance , & ne fera fatisfaite qu�après avoir répandu le fang de fes ennemis.
Avant que de partir, le Chef de la Nation convoque une nouvelle affemblée qui eft ordinairement fuivie d�un feftin de guerre, il y invite fes alliés. Le Chef préfente aux Confédérés des b�chettes pour les engager à marcher comme troupes auxiliaire#* * A la fin du repas on chante, & ori danfe la guerre ( i ). Tous les jeunes gens font peints en rouge ; c�eft quel
( i ) La chanfon de guerre eft con�ue en ces termes : � Je vais en guerre venger la � mort de mes freres, je tuerai, j�extermine
* rai, je faccagerai, je br�lerai les ennemis , j �menerai des efclaves, je mangerai leur � c�ur, je ferai boucaner leur chair, je boi� tai leur fang, j�apporterai leur chevelure, � & leurs cr�nes pour faire des taffes � & autres chofes femblables qui lie refpirent que kvengeance, la cruauté, & le carnage.
6 Nouveaux Voyages que chofe de curieux de voir là danfe de la guerre. Celui qui danfe la découverte ou la furprife, guette fon ennemi en fe tenant dans une pofture raccourcie, 8c tout d�un coup fond fur lui, la mafTue à la main , faiiant des cris horribles, fe fuppofant dans l�a&ion. Son camarade fe la�f�e tomber , comme s�il eut été frappé de 3a foudre en roidiifant fes membres comme un epileptique ; après quoi, l�autre repréfente en danfant la fa�on de lever la chevelure du mort; cette opération fe fait avec un couteau qu�il tient à la main ; il fait ur� cerne fur le front, & au tour du col de l�ennemi ; il y porte fes ongles qui font très - longs ; il appuyé fes deax genoux entre les deux épaules du captif, 8c d�un coup brufque des genoux qu�il avance , 8c des mains qu�il retire , il enleve la peau de la tète avec la chevelure. Tout cela fe démontre en chantant, & en danfant au fon d�un tambour, & d�un chichikois (i) , qui
(i) Ceft une calebaffe ou efpéce de gour* de ; iis y mettent des grains de Raflades,
aux Indes Occidentales. xij marque la cadence & la mefure.
-Les Sauvages ne marchent jamais en guerre fans confulter leur Manitou(i) , c eft a lui à qui ils attribuent tous kurs bons ou leurs mauvais deftins. >bi le Manitou ne leur a pas été' favorable , ils le quittent fans ce're'monie, oc en prennent un autre. Le Chef, avant que de partir pour la guerre � fait un je�ne très-auftère , & pendant ce tems il a le corps peint en noir. Apres le jeune, il fe débarbouille & fe peint le corps & le vifage dé rouge. Il harangue fe s guerriers en prelence du faux Dieu , après quoi chacun plie bagage pour le départ. Us portent quelquefois la guerre à
quatre ou cinq cens lieues loin de leurs pays.
Leur bagage de guerre conf�fte jans Ja Peau d�un ours qui leur fert le lit, la peau d�un b�uf, qui leur
:ZndreJJ7 de ?rre �� ils sW
aclienc aulTi des grelots aux Jambes.
(x } Faux Dieui des Sauvages. C�eft ouel;uefo,s un corbeau defféchd, ou un ferjent �
suj>édes.at de$ amphibies, & des^ua
i � 8 Nouveaux Noyages fert de couverture, la peau d�un chat tigré, qui leur fert de fac pour mettre le calumet ou la pipe pour fumer, un calfe-tête ou petite hache dont ils �e fervent pour cabaner dans les bois*
L�armement de guerre conflfte dans un fulil, une corne de b�uf pour mettre leur poudre, qu ils fe paffent en bandouilliere , avec un petit fachet de peau o� font leurs balles, les pierres à fuf�l & un tirebourre ; de plus, un arc, un carquois garni de flèches, ces dernieres leur font très-utiles pour la challe ; ils n�employent jamais le fufil pour tirer fur les animaux , lorfqu�ils font quelque expédition fur leurs voifins : le bruit pourroit les faire découvrir. Ils conviennent entr�eux de la maniéré dont ils s�y prendront pour furprendre l�ennemi; car les Sauvages font confifter leur gloire & leur fcience dans cette forte de guerre > qui eft preique toujours fatale à ceux qui en font l�objet.
A l�égard de leurs vivres , ils s�en mettent fort peu en peine ; chacun fe pourvoit d�un petit fachet de farine de bled d�Inde ou mahis riffollé, àpeu-près comme nous faifons le caffé,
� i ?u*Jndes Occidentales. lia
&*�rf|ju *S f�nt preiTéb Par k faim*
iis avallenc une cuillerée d�eau délayée
vinr H6"6 r eme fa,;ine ' ^l,s coniervent pour J approche de l�ennemi.
Quoique les Sauvages reftent quelquefois trois ou quatre jours fans rien anget , ils n en font pas pour cela �commodes & n�en continuent pas nioins leur route. Ils fe ferrent le ventre avec une ceinture, à mefure qu�il
Lorfque jes Sauvages ont fait coup lui 1 ennemi, pour me fervir de leur fa�on de parier j de jeunes guerriers paient auffi - t�t pour apporter au village la nouvelle de la viSoire. Ils s annoncent par de certains cris , qui marquent davance le nombre des pnfonniers , des morts, & celui des
meesVeriUnS'qU�i,S aPportent� Les femmes le préparent a recevoir à couds de b.to�s ,es prif ieK ou ef �
ouf� l�^r. , . Vle des captifs ,
que 1 on amene bien liés & peints
en noir (j). Celles qui on[ ne,,e"�
fnnP �eu* ^wfont peints de cette facrm font referyes pour être br�lés au milieu^
120 Nouveaux Voyages mari ou leur fils, font ma�treffes de prendre un captif pour le remplacer. Elles l�adoptent pour mari ou pour fils, & d�abord il eft mis en liberté* Quant à ceux qui ne font point adoptés j on les br�le vifs à petit feu. Pour cet effet, on leur écorche la tête , de on les attache à un quadre(i) , alors tous les jeunes gens fe vengent fur ces miférables, qui endurent les tourmens les plus affreux fans fe plaindre; au contraire , ils chantent jufqu�à ce qu�ils expirent; difant qu�ils font de véritables hommes, & qu�ils ne craignent ni la mort ni le feu ; ils fe moquent même de leurs bourreaux, en leur difant qu�ils ne les font pas aflez fouffrir, que s�ils les tenoient, ils les tourmenteroient bien d�avantage que c�eft dans telles parties qu�il faut porter le feu, & que c�eft dans ces endroits qu�ils font plus fenfibles.
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village, à moins que les femmes ne les adoptent. , ! �
( i ) On appelle Quadre, deux poteaux piqués en terre, furmontés d'une traverfe. On fait chanter &; danfer les captifs autour de ces poteaux.
*
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aux Indes Occidentales� 12 �
, ** remarquer que lorfqu�ils fe
ciilpofent a marcher contre l�ennemi,ils ont grand foin de fe peindre de vermillon Je corps & le vifage, de forte que venant à frapper fur l�ennemi, en �aifant des hurlemens femblables à ceux des poffédés, ils reffemblent à une troupe de démons fortis de Pen�fer (j). Us font bons envers leurs amis, mais très-cruels envers leurs ennemis.
A 1 égard de leur Religion , ils croyent un grand Efprit, qu�ils adorent fous la forme d�un ferpent , ou d un crocodile ; ils lui rendent un culte. Ils craignent le Diable , qu�ils appellent Efprit mauvais. Us adorent auffi le Soleil & la Lune. Quand il tonne �s s�imaginent que c�eft le
Ma�tre de la vie qui leur parle en colère.
Je ne terminerai pas ma lettre fans
( r En Seneral les Sauvages, tant hommes que femmes, nom aucun poil dam tout le corps , excepte des cheveux; ils difent que nous reiiémulons en cela aux bêtes, de même
quand ils nous voyenc manger des herbes & la falade.
L Partie.
F

Nouveaux Voyages
vous faire part d�un petit évènement qui vous paro�tra fingulier , mais qui quoique de très-petite importance , peut m�être très-utile pendant le fejour que je ferai en Amérique. Les Akan�as viennent de m�adopter ; ils m�ont reconnu pour guerrier & pour Chef, 6c m�en ont donné la marque; c�eft un chevreuil qu�ils ont imprimé fur ma cuiffe ; je me fuis prêté de bonne gr�ce à cette opération douloureuse. Voici comment cela s�eft paffé ; on m�a fait affeoir fur une peau* de tygre ; un Sauvage a br�lé de la paille dont il a délayé la cendre dans de l�eau ; il s�eft f�rvi de cette compofition très-fimple pour defl�ner le chevreuil ; il a enfuite fuivi le deffein avec de groffes aiguilles , en piquant jufqu�au vif pour faire fortir du fang; ce fang mêlé à la cendre de la paille forme une empreinte qui ne s�effacera jamais. J�ai fumé au calumet après cela ; on a étendu des peaux blanches fur mes pas, fur lefquelles j�ai marché ; ils ont danfé devant moi en pouffant des cris de joye , ils m�ont dit enfuite que je pouvois aller chez tous les Peuples., qui étoient leurs al
4

(lux Indes Occidentales. 12 >
'e! � Prdfenter le calumet & montrer
l�ep,!na^qUe, qUe ,e Perois n'ès - bien ^çu par-tout que j�étois leur frere ,
que h quelqu�un me tuoit, ils le
Akranlent^ �*iS Préfentement "oble Akan�as. Ces Peuples croyant m�avoir
ait par cette adoption tout l�hon
leuvP�l fer�1C d� à Un ^éfenfeur de ;;tne J P�ur moi je le regarde peu-pi es comme celui que M. le
U � le livre d�or de
des nnPM q^e de Génes au "ombre <ies nobles Génois. Il y a il eft vrai
quelque différence entre l�infcription & 1 operation que l�on m�a faite ; je
me�aPUfaS;rVrUStfeXprimer combien el e
efforts n �UtfVr J fai fait �>us mes � 01 pour n en rien témoigner ; je
mef Ak�sn aU C�ntraire avec\s femles Sr>pft ^aS q^' etoient P^Pentes ;
wlPi ateU,S Ct-�nnés de mon in
�^p-KtZr Je3 mot t
homme^La 'douleur a été dant pr de hui jQurSi Vous ^ Pen_ croire combien ces Peuples me
F*. ' ^
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'�24 Nouveaux Voyages font attachés depuis ce tems. Voilà tout ce que je puis vous apprendre à leur fujet ; nous comptons partir dans les premiers jours de Novembre , pour continuer notre route au pays des Illinois. Comme lafaifon eftavancée, 6c que nous avons encore goo lieues à faire pour nous^y rendre, nous rifquons d�être arrêtés par les glaces, 6c d�hiverner en chemin. Nous fommes obligés de féjourner ici par rapport au bifcuit néceffaire pour un voyage de long cours ; car nous avons à combattre , dans cette faifon , les courans 6c les vents du Nord, qui nous font contraires. Suivant toutes les apparences , je ne pourrai vous écrire que l�annee prochaine. Je fais partir la préfente par l�occafion d�un batteau qui arrivera à tems pour le départ d�un vaif�eau de Roi pour la France, ou je fouhaite que ma lettre vous trouve en bonne fanté. Donnez-moi , je vous prie, de vos nouvelles , vous ne pouvez me faire un
plus grand plaifir. Je fuis, 6cc*
; 1 *
Aux Akan�as le 6 Novembre X7Jr>


àux Indes Occidentales. t2f P, S. J�ai trouvé chat les Akan�as un Sauvage metif., & l�ayant questionné fur Son origine j�ai appris de lui, qu�il étoit fils'de ce Rutel, Matelot Breton , qui fie perdit lorfque M. de la Salle defeendit le Miifiil�pi en i 682 , & dont j�ai eu l�honneur de vous parler précédemment.
Ce mi-Sauvage ajouta que le dit Kutel, fon pere, fut rencontré par les Cenis, Nation Sauvage , qui l�avoient adopté ; il en avoir re�u une de leur fille pour femme, en qualité de guerrier, parce qu�ayant fait ufage de Ion fufil, dans un combat des Cenis contre leurs ennemis, l�effet de cette arme a feu, qui leur étoit encore inconnue , les épouvanta, 8c les mit en déroute.
Ce Rutel, ayant enfuite appris aux auvages la maniéré de voguer à voile rame avec leurs pirogues ou canots , les mit en état' de défaire une petite armée navalie ennemie ; cette fa�on de naviger, jufqu�alors inconnue a la Nation., attira, au Matelot Breton , la reconnoiffance & la vénération de ces Peuples ; ils le regardèrent comme le plus grand homme
F iij
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x 2� Nouveaux Voyages du monde. Et le fameux Ruiter, qui de Matelot devint Lieutenant & Amiral des Provinces-Unies, fut peutêtre moins confidéré que Rutel le fut chez les Cenis.
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LETTRE VI.
�u Même.
Récit de ce qui eft arrivé à VAuteur durant fa navigation des Akan�as aux Illinois. Naufrage du S. Louis batteau du Roi qu�il mont oit* Il tombe dans le MiJfiJJipu Un akan�as lui fauve la vie.
Me voici, gr�ce à Dieu, arrivé au Fort de Chartres, après avoir couru bien des rifques pendant ce long & pénible voyage. Nous part�mes des Akan�as le 7 Novembre, pour nous tendre ici. Nous avons fait environ ^00 lieues fans rencontrer aucun village ni habitation. Comme cette éten
àui� �ndes Occidentales. JZ�f due de pays eft abfolument inhabitée, on y rencontre heureulement des troupeaux de b�ufs fauvages, des cerfs & des chevreuils, fur - tout dans cette faifon o� les eaux font balles.- Ces animaux font forces de venir boire par bandes au Fleuve ; nous en avons fouvent tué a la traverfe, ainfi que des ours & des cerfs. Les Sauvages Akancas viennent ordinairement fe louer aux Fran�ois, pour les faire Vivre de chalfe pendant la route. Ces chalTeuis partent le matin dans des pi-a rogues; ils tuent les b�ufs qu�ils rencontrent fur le bord du Fleuve; & le convoi qui fuit .embarque dans les batteaux la viande de chalfe qui eft toute prête fur le rivage.
Les Sauvages ont l�attention de lever la langue & les filets des animaux qu�ils ont tués , & d�en faire comme une offrande au Commandant & aux Officiers du convoi : après quoi, un Sergent ou un Caporal fait la diftnbution de la viande, aux Soldats de chaque batteau; quelquefois ils en ont à profufion , & alors ils en font des confommés. On eft bien dédommagé des fatigues du voyage
F iv
Tr 28 Nouveaux Voyages par �e plaifir quon a de la chafTe. Le gibier eft fi commun aux environs de la Riviere de S. Fran�ois (1 ), que lorfque nous cabanions fur les bords, il étoit impoftible de pouvoir dormir à caufe de la multitude de cignes de grues, d�oies, d�outardes, de de canards, qui alloient de venoient toute la nuit dans ces lieux aquatiques. Lorfqu�on approche du pays des Illinois, on voit, pendant le jour, des nuées de tourterelles j efpéce de ramiers ou pigeons fauvages. Une chofe qui para�tra peut-être incroyable, c�eft que le Soleil en eft éclipfé ; ces oifeaux ne vivant que de faines & de glands dans les forêts, font excellens en Automne ; on en tue quelquefois jufqu�à $0 d�un coup de fufil. Quel dommage , qu�un fi beau pays foit fi peu habité , ou ne foit peuplé que par des brutes.
M. de Maearti, Irlandois de nation , de Commandant du convoi, ayant eu quelque atteinte de goutte ,
(1) Cette Riviere prend fa fource dans le pays des Bancaux.
\
aux Indes Occidentales. 129 & craignant d�hiverner en chemin, fe -�détermina a faire route avant les autres , loifque nous n�euons encore qu�au Confluent de l�Ohio , & du Miffifl�pi , a lieues des Illinois. Ce Commandant prit les meilleurs rameuts de nos bateaux pour armer le lien. Et fans s'inquiéter des autres , les lailla en arriéré, contre les inftructions du Marquis de Vaudreuil ; cependant la loi de nature dié�re à chacun 1 ordre de fe fecourir mutuellement, en cas d�attaque de l�ennemi , ou d autres accidens, comme celui qui arriva au S. Louis, bateau que je montois. Il échoua fur une b�ture de fable; on fut obligé de le décharger prefqu�entiérement pour le remettre a flot, ce qui me fit perdre deux jours de tems, & m�empêcha de pouvoir rejoindre le convoi.
. ^our comble de malheur , Iorfque je n avois plus que quatorze lieues à Jarre pour arriver aux Illinois, mon aieau, trois jours après avoir échoué, toucha contre un arbre piqué en areboutaot . dont le Fleuve duMifliffip� eit rempli, fur-tout dans le tems des eaux balles ; le choc le creva, il sV
� j
? V

13 O Nouveaux Voyages
f�t une fi grande voye dreau, qui! coula à fond en moins d�une heure. Je perdis, dans cet accident, tout ce que je poffédois ; je courus le rifque de périr ; je m�étois jette dans une pirogue j mais elle était fi chargée des effets fauvés du naufrage., qu elle tourna ; quelques fo�dats fe noyèrent, j�au^ rois eu le meme fort fans un généreux Akan�as, qui., fans craindre la rigueur de la faifon , fe jetta à l�eau, 6c m�atteign�t par mon capot (i).
C�eft après ces aventures que je fuis arrivé au Fort de Chartres ; je n�y ar pas été long - tems fans être témoin d�un événement qui a failli à avoir des fuites f�cheufes. Les Pehenguichias les Ouyatanons, à l�inftigation des An* glois, avoient confpiré la perte totale des cinq villages Fran�ois établis chez les Illinois. M. de Macarty irfavoit dépêché pour aller en avant faire préparer le logement de quelques troupes qui venoient par un convoi. Les Sauvages avoient médité leur coup
(i) Habillement des Voyageurs, il eft fait d�une couverture de laine* &reflemblc à un capuchon.
N

(lux Indes Occidentales. i ? i & vo�taient prévenir ce convoi. Je me trouvai dans ce tems aux Kaskakias, o� commandoit M. de Montcharvaux, qui ne pouvoit favoir au jufte le deflein de ces barbares. Ceuxci s�étoient répandus dans les maifons des habitans ; la vivacité de leurs carelTes, leur affeélation les fit foup�on
ner ; en fe rappellant le maffacre des Natchez
C�eft dans ces occafions qu�un Officier fupérieur reflent tout le poids du commandement. AI, deMontcharvaux ne fe découragea pas; il étoit fécondé par M. de Gruife , Officier intelligent & brave. Il tint un confeil fecret avec les notables & anciens habitans du lieu ; il me fit l�honneur de me confulter dans cette circonftance ; c�étoit plut�t par bonté que par néceffité , puifque j�étois un nouvel arrivé � par conféquent peu au fait du local'
J ofe lire cependant qu�il ne fe trouva pas mal de mon avis, tout fimple qu�il etoit. Mon opinion fut que pour péne'trer le deffein des Conjurés, il falloir fe tenir fur la défenfive, fans témoigner le moindre foup�on ; faire fortii quelques habitans à cheval �<?
F vj
il 3 2 Nouveaux Voyages armés de leurs fufils comme s�ils al-*1 loient à la chaf�e , en leur recommandant, après avoir battu l�eftrade, de rentrer dans la bourgade au grand galop , comme s�il y avoit quelque choie de nouveau; cela devoit occafion31 er une faufie allarme. Il n�étoit plus queftiou alors que d�examiner la contenance des Sauvages ^ qui fe trahiroient eux-mémes. On fuivit cet avis i les Sauvages crurent que les Fran�ois ^voient découvert leur complot; ils s�étoient propofés de l�exécuter le jour de Noël, au lortir de la Grande Méfié paroifi�ale ; ils s�étoient informés exaéiement du jour, en demandant, à leur maniéré ^ quand arrivoit celui o� le fils du Grand Efprit étoit venu au monde.
Dès qu�ils fe crurent découverts, ils ne fongerent qu�à, la fuite ; nous, f�mes feu fur eux , & nous en jett�mes 2,2 fur le carreau. Un Sergent > nommé la JeunefTë , créole & bon cliafieur, en tua quatre en ma préfence, M. de Gruife, de fon c�té,, attaqua ceux qui étoient dans la maU fondes Jéfuit.es5 il en b.lefla plufieurs,. ��� en prit cinq vivans*. au nombre

aux Indes Occidentales. i q ?
de (quels étoit un Illinois. On les mit aux fers.
N M� de Macarty fe h�ta de de'pécher a la Nouvelle Orléans des Courriers à M. le Marquis de Vaudreuil, pour lui rendre compte de cette expédition j Je Gouverneur a ordonné de rendre les piifonniers a leurs compatriotes, qui font venus pleurer le calumet à la* main, en defavouant le complot, & en difant que leurs gens avoient perdu Ae put, que les Anglois le leur avoient ote. Us ont re�u la paix avec beaucoup de reconnoiffimce, & tout eft oit tranquille à préfent; cependant on a ordonné par précaution aux habitans de porter leurs fiffils quand ils vont a la Meffie, & à l�Officier de garde de pofer deux fentinelles à la
porte de l�Eglife pendant le Service divin.
Je ne dois pas oublier de vous obierver Monfieur, que tout ceci s�eft pai�e fans que, de notre c�té , nous ayons eu un homme tué ou bleffié. �Les Sauvages , pour mieux courir , abandonnèrent leurs couvertures leurs ma/Tues, & leurs cai�e * têtes l c�eft la vigilance de M. de Montchar
1^4 Nouveaux Voyages vaux , Commandant, 6c de Monfieur de Gruife, Major, qui a prévenu cette confpiration au moment qu�elle alloit éclatter. Je fuis revenu au Fort de Chartres , o� nous menons une vie affez paifible; je n�ai plus de grandes nouvelles à vous donner; je vous ferai part de quelques petites anecdotes qui pourront vous égayer ; elles vous donneront du moins une idée du caraétere de nos Sauvages,
J�avois loué, pour mon chaffeur pendant l�hiver, un Sauvage du village des Mitchigamias, un jour qu�il avoit fait une chaffe très-abondante, au lieu de la porter chez moi, il alla traiter(i) avec des Fran�ois, qui lui donnèrent en échange de l�eau-de-vie , dont il but jufqu�à perdre la raifon. Comme il rentroit en cet état dans mon logis, je le re�us très-mal, je lui �tai le fufil que je lui avois donné , 6c �e chaffai, en le pouffant brufquement; il rentra malgré moi dans ma cuifine, s�y cou
(i) On appelle traiter, rechange qifon fait des marchand des d�Europe., avec les pelleteries que les Sauvages font a la chalTe,

aux Indes Occidentales. 15 J* cha , & n�en voulut plus forcir ; dès qu il lut revenu en fonbon fens.il fentic �en qu il avoir commis une grande iaute, & voulant la réparer, il attrape un fufil, prend de la poudre & du plomb, & s�efquive. Le lendemain il revient, & entre fièrement chargé de gibier ; il avoit, au tour de fon corps nud , une ceinture o� toutes les têtes aes volatilles étoient palfées ; il la délia, & les fit tomber au milieu de ma c ambre i il s�aflied auprès de mon jeu, lans rien dire, y allume fon cajumet, me le préfente pour fumer,
&n�r: �' { vrai 1ue j�avois perdu � 1 efpnt hier, mais je l�ai retrouvé
30 J fvouer ma faute ; je te prie de � m excufer. Je conviens que j�avois � mente le traitement que tu m�as � ait, en me chaffant de ta cabane ; � tu as bien fait de m�y laifTer ren� trer, a caufe que les autres Sauvage^ ayant f�u, m�auroient toujours
-reproche a la moindre difpute que
*] T'" !té/,ebuté & chaf�e de la ** cakane du Chef Grand Nez ( i
r ) Epithète que les Sauvages m avoient donnepout me dil�mguer des autres Officiers,
i3 6 Nouveaux Voyages Bien de gens d�Europe ne mettent aucune différence entre les Sauvages &: les brutes , s'imaginant qu�ils n�ont ni raifon ,ni fens commun. Néanmoins le trait que je viens de rapporter & grand nombre d�autres * montrent allez que ces Peuples font fufceptibles des fentimens d�honneur; ils f�avent fe rendre juftice lorfqu�ils ont tort , �c connoilTent fort bien quand ils font S mal. Il y a en Europe des Peuples chez lefquels l�on remarque des maniérés d�agir auffi ridicules & auffi barbares que chez les Amériquains, Pour revenir à mon chalfeur, vous f�avez auffi bien que moi , que l�yvrognerie mef l�homme au rang des br�tes , & que ce vice eft difficile à corriger parmi les Fran�ois même* Les Sauvages les imitent facilement en cela: auffi difent-ils que ce font les Blancs qui leur ont appris à boire l�eau de feu )*
� chacun defque�s ils en donnent de femblables, relativement a ix bonnes ou nuuvaifes qualités qu�ils remarq lent en eux.
( i ) C�eft ain� qu'iis appellent Teau-de
Tie�

aux Indes Occidentales. j 57 Un jour que mon Sauvage trouva la porte du magasin du Roi ouverte, il s�y gli��a comme un ferpent, fauta fur le robinet d�une barrique d�eaude-vie pour en remplir une bouteille, & en répandit la moitié. Cet accident me for�a de le congédier : cependant comme c etoit un bon chaffeur j & qu il n�avoit que ce feul défaut , fa femme me pria de faire la médecine pour l�empêcher de boire ; je voulus bien l�entreprendre de concert avec elle & fes parens. Un jour que ce chalfeur etoit yvre, & qu�il vouloit encore boire, je lui fis dire que j avois de l�eau-de vie, mais que ) en etoxs extrêmement avare. Auffi^ t�t m en étant venu demander , je lux dis que j en avois, mais que je ne la donnois pas fans deifein. Il me répondit qu�il étoit pauvre, que fi je voulois accepter fa femme , il me la loueroit pour une lune. Je lui remontrai que les Chefs des guerriers blancs ne venoient pas chez les hommes rouges pour jouir de leurs femmes , mais qu�à l�egard de fon fils , ]e 1 accepterois volontiers pour efrln ve s�il vouloir me le vendre, que je"
Nouveaux Voyages lui donnerois une barrique d�eau-devie ; nous concl�mes le marché ent préfence de témoins � & il me livra fon fils.
Je fus tenté de rire de cette farce dès les premiers momens. Je lui fis boire par-delfus le marché de l�eau-devie dans laquelle j�avois mis du poivre long. Quand il en e�t bu , on le lia & on le laiffa dormir. Lorfqu�il fut revenu de fonyvreffe, le Cacique du Village & fes parens qui étoient du complot, furent le trouver dans fa cabanne o� il étoit étendu fur une natte ; ils lui peignirent toute l�horreur d�une adion aul�� dénaturée que celle qu�il venoit de faire en vendant fon propre fang. Ce Sauvage vint me trouver aufiit�t en pleurant, en me difant : indagé ouai punis, c�eft-à*dire, je fuis indigne de vivre, je ne mérite plus de porter le doux nom de pere. Il fe récria beaucoup contre l�eau-de-vie que je lui avois donné, & qui lui avoit mis le feu dans le corps; il la nomma urine du Chef de l�enfer, c�eft-à-dire , du mauvais Efprit qui en étoit la caufe.
Sa femme naturellement enjouée*

dux Indes Occidentales, �?o & qui fe divertifloit à fes dépens lui demanda d�un grand fang - froid ou étoic fon fils ; il s�excula encore, en alléguant pour raifon qu�il avoit toujours compté qu�étant aulfi bon qu il me connoifioit, je lui rendrois
r'L c favoit que le grand
Chef des Fran�ois (i) & le pere des hommes rouges n�avoit point d�enfans efclaves dans fon empire. Je lui répliquai que cela étoit vrai, mais que je l�avois adopté pour mon fils, & qu en cette qualité j�allois l�emmener en France pour en faire un chiétien , que toutes les pelleteries
de fa Nation ne fuffiroient pas pour le racheter.
Comme les parens faifoiént femblant de pleurer , ils confeillerent
fU ^tUTajSe yvro.?ne d�aller trouver le Chef de la priere , ou l�homme
qu) parle au grand Efprit. C�eft ainfi qu ils appellent celui qui cé ébre les laints myfteres : je lui dis que fi le
France^ ^ afPelJent le Roi de
Nouveaux Voyages
Chef de la priere (i) le vouloit , j� n�irois pas contre fon opinion que j�allois lui rendre fon fils à condition qu�il feroit baptifé r de que je ferois fon parrein ; que pour lui j exigeois qu�il fit abjuration de l�yvrognerie qui lui avoit été lt funefte. Il me répondit que ma parole étoit forte, de qu�il s�en reffouviendroit tant qu�il vivroit ; il me pria de l�adopter pour frere (2)& qu�il al~ loit fur le champ frapper au poteau. Depuis ce tems il n�a bu ni vin ni autres liqueurs fpiritueufes, je lui en ai fait préfenter qu�il a refufé , difant qu�il avoir frappé au poteau , que le Maitre de la vie feroit f�ché contre lui, que je lui avois dit qu�on ne pouvoit pas le tromper ; il fe rap*^ pella qu�une fois je lui nommai la quantité de verres d�eau-de-vie qu�il avoit bu, de que cependant je ne Pavois pas v� : à quoi il avoit réparti que cela étoit bien vrai, de qu�il fai�
(i) L�Abbé Gagnon, Sulpicien & Aum�nier du Fort de Chartres.
( i ) Les Sauvages ont la coutume d'adopter.
/
aux Indes Occidentales. �at loit que le Grand Efprit qui voit tout me l�e�t dit. Voici comme je iailois, lorfque je voulois favoir la quantité de coups que ce Sauvage
1 * is auprès d�une
barrique un verre rincé. Le Sauvage étant feul étoit tenté de boire un coup. Apres quoi je faifois laver le verre dans de l�eau chaude . & on e remettoit a fa place: & chaque fois qu il buvoit, j�en faifois de même. Ainfi il m�étoit facile de lui dire, tu as bu tant de coups. Le Sauvage�
etoit furpris & penfoit que j�étois lorcier.
J ai fouvent remarqué que les Sauvages font enchantés quand les François carefTent leurs petits enfans; aufh pour me faire bien venir d�eux,
& craindre en même-tems, lorfque J avois heu d être mécontent de leurs iottifes, j employois ce moyen ; plus je paroiffois outré contre les peres plus j affeéiois de l�amitié pouHeurà en ans je leur prodiguois des ca
refTes & des babioles d�Europe ; les Sauvages comprenoient que comme je n avois point à me plaindre de eurs femmes. & de leurs en fan s, je
f 42 Nouveaux Voyages ne les en aimois pas moins & que je n�étois irrité que contre ceux qui m�avoient manqué � fans étendre ma colere à leur famille ; ils en étoient touchés , en conféquence ils alloient tuer du petit gibier ^ & au retour de leur chaire ils me l�apportoient & le jettoient par terre en difant # ^ voilà pour t�appaifer, ne fois plus f�ché contre nous.cc Je leur répondois à rinftant : j�oublie volontiers le paffé , quand je vous vois revenir avec de l�efprit * c�eft-à-dire, en ne venant pas chez moi les mains vuides.
Les c�urs des peres font par-tout les mêmes ; il n�y en a point qui ne foient bien aifes de l�amitié que for* témoigne à leurs enfans qui y répon^ dent par leurs careffes.
Vous comprenez aifément que peu de chofe me concilie l�amitié de ces Peuples j & qu�il n�y a que la maniéré de les prendre pour fe les attacher à toute épreuve. Mais en voilà affez pour cette fois ; au furplus > Moniteur , je me crois obligé de vous rappeller le plan que je me fuis propolé de fuivre, je ne fais qu�examiner la


aux Indes Occidentales. 14 ?
Quation des lieux o� je fuis, & pendant que j y fejournerai, je m�appliquerai particulièrement à conna�tre
le geme des Peuples avec qui je dois mener une vie pa/Tagere, étude que je ne crois pas indigne d�un voyageur Vous êtes militaire & de plus p �lofophe ; je me perfuade que ce que je vous raconterai vous fera plai11 ) car je me date que vous compf" * mon récité
ne vous dirai effe�ivement rien que
Je n aye vu de mes propres yeuxje ne fais ce que c�eft que d�inventer ni d exagérer. Je fuis, &c.
I

Nouveaux Voyager

�Egwyaraggafc
LETTRE VII.
Au Même,
i
Defcription de la guerre que la Nation des Renards a faite aux Illinois dont VAuteur a été le témoin. Comment les Fran�ois Je font établis parmi ces Peuples.
M ONSIEUR,
Je me fuis informé de la maniéré dont 1 émigration des Fran�ois s�eft faite ici. Le pays des Illinois fut d�abord découvert par des coureurs de bois (i); ils en trouvèrent le climat très-bon, étant au quarantième dégré N, ils s�y fixèrent, & firent alliance avec les naturels du pays. Plufieuts d�entr�eux épouferent des filles Sauva
(i) On appelle coureurs de bois les Fran�ois Canadiens chaffeurs, parce qu�ils reltenc fix mois ou un an dans les Cois pour y faire des pelleteries.
geS>

a aUX Jncles Occidentales. r.i r
�n'�eS0nt firenI Cl"d
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y ht palier plulieurs familles, qui ,y
& multipliées� Il I
bimns Fr�n�o'is'o�, b��fd�, d�'�
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lieue. Le Sieur �� r ! dem,e vient de tracer � H^ieur .
Le pays des Illinois e/hm ^ ,
beaux navs nn�ii � * n des plus fournir K ? 7 ait au monde : ,1
Ionie Stt anne tOUt Ie bas d* la Colonie. Son commerce confiée en Pel
* du Rocher;iW ei a � ** & '* Prai'
aeme appelle Saune Genevieve.*1131* � ^ Jr ai q


1^6 Nouveaux Voyages léteries, en plomb , 8c en fel. Il y a quantité de fources falées, qui y attirent les b�ufs fauvages , 8c les chevreuils qui aiment beaucoup les p�turages qui fe trouvent fur leurs bords, 3c dans les environs. On fait des falaifons de leur chair , 8l de leurs langues ; ce qui forme encore un commerce pour la Nouvelle Orléans, 8c des jambons qui vallent ceux de Baionne. Les fruits y font auf�i. bons qu�en France.
Les Illinois ont à-peu-près les memes m�urs que les peuples dont je vous ai parlé : ils n�en different que par leur langage. Ils fe marient 8c fe quittent volontiers au retour d�une ehaffe , en s�en allant fans fa�on chacun de fon c�té.
Le mariage des Sauvages tient de la {impie nature , 8c n�a d autre forme que le confentement mutuel des deux parties. Comme ils n�ont point de contrat civil j lorfqu�ils ne font pas contens l�un de l�autre, ils fe fépareot fans cérémonies 8c difent que le mariage n�eft autre chofe que le lien du coeur ; qu�ils ne fe mettent enfemble que pour s�aimer, 8c fe foulagermu
aux Iniss Occidentales. r17
�'en'pda"VeTbefoi"s:i�a'�
parm, ces Peuples des ménages trèsumsXe d.vorce n�eft pascommun.ni la
P }gamie; quoiquelesloixautorifent
cette derme�. Un Sauvage peut avok
deux femmes, s�il eft bon chafleur ; il Y en a quelquefois qui époufenc les
fon M,rSMIsen donnent pour raiion qu elles s accorderont mieux en
t elles que des étrangères. Les femmesSauvages font en général fort 1 a_
ce�riaulef � h" 'rS Prév�ent dès i�enfance , que fi e les font pareffeufes ou mal
1,0ites � cIles 'Sauront jamais qu�un malotru pour mari. L�avarice , Fam
bition , & plufieurs autres pa/fions fi connues des Européens, n�étouffent point dans les peres le fentiment a nature & ne les portent pas à vit n er euis enfans, encore moins à contraindre leur inclination. Par un accord admirable & afTurement digne
d e.trt lmité * �n ne marie que ceux
qu. s�aiment Les Sauvage�9 IllS
�oient autrefois les plus formidables . a L�ui�ane ; mais les guerres con
tinuedes, qu�fis ont eu à foutenir con
ti e les Nations du Nord, les ont rés d un tres'Petit nombre. La hfi
G ij

*48 Nouveaux Voyages ne que leur portent les Sauvages du Canada, vient des irruptions que les Illinois ont faites fur leurs terres, St de ce que dans leurs courfes., tant de guerre que de chaffe, ils ont tue St enlevé les m�les St les femelles de caftor J ce qui eft un crime St une l�cheté parmi ces Peuples , qui font un grand commerce des peaux de ces amphibies , qu�ils échangent avec les Européens pour des marchandifes.
En 17 j 2 , les Sauvages de la tribu des Koakias rencontrèrent a la chaffe fix Sauvages de la Nation des iU� nards (1 ); ils les firent prifonniers , quoiqu�ils ne fulfent pas en guerre., & réfolurent entr�eux de les br�ler, afin qu�ils ne puffent jamais donner de leurs nouvelles. Un Renard fut affiez heureux pour s�échapper du quadre o� il étoit attaché. Comme il étoit pourfuivi par fes bourreaux , il fe précipita dans un lac, 8t fe déroba a leuis recherches en nageant entre deux
(1) Le vrai nom de ces Peuples , eft les utagamis ; leur pays eft fuue a 1 Oueft du
Out �
Lac Michigan.

aux Indes Occidentales. 14^
eiux. Il refta caché dans les joncs j for�ant feulement la tête de terns en tems pour prendre haleine. 11 eut la confiance de demeurer dans cette pofture pendant le tems qu�on grilloit lès camaiades, La nuit étant furve� �?u.e � ^ échappa à la vigilance des Illinois, qui le crurent noyé ou man* gé des poiilons armés (1). Comme il ctoit nud 3c fans armes, il fut contient, pour fubhfter en route, de brouter fherbe comme les bêtes. Etant de letoui dans la Nation, il raconta ce qui lui étoit arrivé chez les Illinois, de le malheureux fort qu�ils avoient fait fubir a fes compagnons de voyage. Aulli-t�t les parents fe mirent à pleurer fuivant lufage. Le Chef de la Nation convoqua une af�emb�ée ; car ils n�entreprennent rien lans un confeil : de le réfult�t fut qu on enverroit des b�chettes (2) aux
( 0 Le poifTon armé I la Louif�an- eft le
S�T�'s" de� �"'�
-rir^ Jr�es Sai'vages n�ayant point l�art demerrie f 'S�CS �ar�ntle "ombre des
^a�delwé.�Uf ^ laffemUée Iour **
G* � �
HJ
� yo Nouveaux Voyages Chefs des tributs qui leur étoient alliée, du nombre defquels étoient les Sioux, les Sakisj & les Kikapous, qui marchèrent comme troupes auxiliaires fous la nate ou fous l�étendard des Renards. Le parti fe trouva compote de 1000 guerriers. Tout étant difpofé, le Générai des Renards dirigea fa marche par eau vers les Illinois, particuliérement contre le village des Mitchigamias, qui avaient donné retraite aux Koakias�
Les guerriers étant raffemblés au nombre de mille, s�embarquèrent dans �8o canots faits d�écorces d�arbre de bouleau , fur la riviere OuifconJi.ig , qui te décharge dans le MillilIL pi. Le courant du Fleuve les porta bient�t, à l�aide de la rame, chez les Illinois leurs ennemis.
Ils pafferent en bon ordre devant le Fort des Koakias > o� commandait le Chevalier de Volfei > Officier de mon détachement. L�avant-garde de F armée navale des Renards, étoit compofée des meilleurs coureurs qui dévoient mettre pied à terre pour faire la découverte. La defeente ou le cebarquement fe fit à un quart de lieue
J.
. �ux Indes Occidentales. i�i au village ennemi, qui écoit mafqué par un bois & un ravin jufqu�à la portée du moufquet du village des Mitchigamias, qui ne s attendoient pas à une pareille vif�te.
^-J^s Renards, pour livrer bataille aux Illinois, avoient choifi pofitivement le jour de la Fcte-Dieu. Ils f�avoient que les Sauvages venoient au I ort de Chartres voir la cérémonie lau�ois pratiquent en ce jour folemnel. Ce Fort n�en eft effeétivement éloigné que d�une lieue.
i n frfnt drfpofé pour l�attaque le General des Renards dit à douze des
P Uj egeisà la courte de jetter leurs cu.ps CO- Aufi� t�t ces jeunes gens fondirent for le village ennemi,�tuèrent, en entrant, tout ce qu�ils rencontrèrent en faifant le cri de mort* & api es avoir mit leur décharge, s'enfuirent avec autant de v�tefoe qu�ils etoient venus. *
- ctCe�, corps parmi les Sauvages ^
gnifie en Fran�ois expofer fon corps� ?,!
aagei , comme font nos enfans perdus - ou comme ceny nui 1 �US � ou
COmleisfr r �� demnésà '�orne5/s
rs � * ^laur ci une place.
G iv
premiers y

if2 Nouveaux Voyages
Les Illinois coururent aux armes, & les pourfuivirent; mais le corps de 1 armée des Renards, qui croit ventre a terre dans de grandes herbes , fit une décharge générale qui tua 28 Illinois : en même-tems il donna tete baillée fur le village, maffacra hommes, Femmes, & enfans ; on mit le feu au village; on lia 3c on emmena le refte captifs.
Les Renards t dans cette glorieuf� journée , ne perdirent que 4 hommes, dont un Chef à médaille (1) de la Nation des Sioux, qui avoir marché comme allié.
J'ai été fpeéèateur de ce carnage, qui aniva le 6 Juin 1752. Je me trouvois dans ce moment fur une hauteur qui domine la plaine , & le village des Mitchigamias, J�ai même eu occafion de fauver la vie à une jeune fille d�environ iy ans, elle venoit m�apporter des fraifes dans le tems de l�attaque ; elle fe fauva ; comme les en
(0 Diflinélion, dont j'ai déjà par lé, que le Général accorde par ordre du Roi, aux Sauvages les plus valeureux de les plus attachés a la Nation Fran�oife,


fiuv Indes Occidentales.
Remis la pourfuivoient, elle fe jetta dans mes bras, 5c ces Barbares n�ofelent tirer défi us dans la crainte de m�attraper.
Vous pouvez juger, par ce récit, ^ 11 )' a rien de plus dangereux que d ëtie pris a 1 improvifte par ces eupjes ; il n y eut que les Sauvages qui étoient venus par curiofité voir la procef��on des Fran�ois au Fort de aitres, qui échappèrent à la vengeance des Renards. Ceux-ci contents de leur vidoire , fe rembarquèrent ui leuis petits batimens , mirent les captifs bien liés à l�avant-garde; 5c en repartant devant le Fort Fran�ois des Koakias, firent une falve générale de leur moufqueterie.
Le Chef ou l�Amiral des Renards portoit pavillon Fran�ois à fon canot , & étoit aufli fier de fa victoire
que s il avoit lubjugué un grand empire.
M. de Macarty, notre Commandanr, vient d�écrire à ceux des poires du Canada, de traiter de la ran�on des Illinois pris par les Renards.
Les ruiés Sauvages avoient fi bien conauit leur entreprifie, que nous
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i 5*4 Nouveaux Voyages n�en avons eu aucune connoifTance� que lorfqu�ils l�ont exécutée ; ils fe font cachés de nous, parce qu�ils ont craint que nous ne vouluflions interpofer notre médiation entre eux de les Illin ois j comme étant nos amis de nos alliés; ce que nous n�aurions pas manqué de faire ; mais la Nation offenfée j vouloit fatisfaire fa vengeance.
Le village des M tchigamias a perdu j dans cette malheureufe affaire , environ quatre vingt perionnes^ tant de morts que d�efclaves.
Le i 6 Juin 175*2, je fus chargé� de la part du Commandant du Fort de Chartres, de faire affembler les débris des Kaos de Mitchigamias vaincus , & je leur fis cette courte harangue., par le moyen de l�Interprète du Roi.
Je vous parle, mes enfans (1), de la part de votre pere , M. de Macarty, qui prend beaucoup de part à votre défaftre ; il vous exhorte en
(r) Les Sauvages ont coutume cTappeller fes Officiers mon pere.


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A aux In 2 es Occidentales* i <� r mcme-tems à bien fercler vos mahis,
fin vous pui/�iez fortirde la diletce dans laquelle vous êtes préfente,nenr. Voilà un peu de bled d�Inde qu ,1vous donne , parce que fon c�ur loufrre oe vous voir languir par la ta,m. Il me charge aulli de vous remettre ce peu de poudre , de balles & v p*eries a fufil ; nous ne pouvons mieux faire pour le préfent, attendu que nous avons des ennemis, aulli bien �ue vous autres, & que nous ne f�avons pas quand les batteaux arriveront du grand village ( c�eft-à-dire de
laNouvelle Orléans).Votreipere vous
recommande aufli de partir pour la c �le, a emmener avec vous vos farpuics pour les faire vivre, & de laif
Z feulemen^ un "ombre d�hommes pour avoir foin de vos champs; &
pour empecher que les beftiaux ne
Ls g�tent; vous aurez aufl� attention
c nvoyer de tems en tems quelques
paffe id�S SenS P�Ur fçaV�ir Ce i1 fe
Réponfe des Chefs des deux Tributs.
<c C�eft bo"> mon pere, que le m-and
G
vj
I g 6 Nouveaux Voyages 33 Chef (i) ait pitié de nous. Il eft bien 35 de valeur d�avoir été furpris comme 55 nous ]�avons été, tu en as été té33 moin oculaire, puifque tu as fauve 30 une de nos filles; nous avons été 3' tués par les Renards de leurs alliés qui ont br�lés nos cabannes avec 33 nos vivres, & ont pillé notre butin pendant notre retraite chez les 2>3 Kaskakias. Penfe donc que nous ne 33pouvons laifier perfonne ici, puif33 qu�ils mourroient de faim& qu�ils 33 ne cei�eroient de pleurer la mort de 33 nos parents, qui ont péri, dans cette 33 funefte furprife ; mais pour marquer 33 notre fidélité envers notre pere > 33 mande lui, par le papier qui parle , 35 que nous lui enverrons, de tems en 35 tems, quelques-uns de nos gens pour 33 lui apporter du gibier & le voir,afin 33 de f�avoir ce qui fe pafle.
33 Nous efperons que le grand Chef 33 Fran�ois nous protégera, & nous 33 aidera à nous mettre à l�abri de l�en33 nemi. Nous te prions auffi de fin
(i) C/eft ainf� que ces Peuples appellent Y Officier Supérieur d'une province ou d'une contrée.



# aux Indes Occidentales. i ry *> terefler auprès de lui, pour qu�il �� ait ^a bonté de faire dire à plufieurs 33 c, aunes de nos gens, qui ont relié 33 fez ,es Kaskakias, qu�ils fe réunif
33 ??} aYec nous pour travailler à la � deienfe commune du Fort projeté,
3:' , "ou.s, avons tiré le plan fur le M bord du Mifliffipi �.
Difcours de Chikagou ,Chef à Médaille,
KJe te piie, mon pere, de faire ra33 comrnJOder nos armes , & auffit�c � nous décamperons ; & tu diras au 33 &tanc* Chef de ne point écouter les " mauvaifes paroles que nos ennemis 33 ne manqueront pas de lui porter 33 contre notre Nation : qu�il fe fou
33 Vienile Gs cvhe que je lui ai donnée :
� e le fera vraie, & je conferve la fien� ne dans mon c�ur. '
Réponfe,
Si tu es vrai, en ce que tu dis, tu ieras toujours bien re�u de ton pere *
& tous les autres Chefs Fran�ois cher" citeront à te faire plaifir, fi ton c�ur efl: d�accord avec ta bouche. Il eft bon aulfi quetupartes bien-t�tj confi
iy8 Nouveaux Voyages dére le dég�t 6c le tort que les chiens de ton village font aux beftiaux des habitans Fran�ois (i), & avec quelle tranquillité ils le fouffrent; s�ils n�ont rien dit jufqu�à préfent, c�eft en conf�dération de vos malheurs qui les touchent , & ils ne vous voyant réduits en ce trifte état, qu�avec douleur ; mais ils commencent à s�ennuyer, c�eft pourquoi il eft néceffaire que vous y portiez du remede. Votre pere fera fatisfait quand il vous f�aura rendu fur le lieu de chalfe , parce que fon c�ur eft affligé de vous voir fouffrir la faim, 6c qu�il a des entrailles pour fes enfans.
Quant à moi, je vous fouhaite une bonne chaile, 6c à votre retour une bonne récolte. J�efpére que le Grand Efprit aura pitié de vous; ne vous moquez pas de lui; recommandez à vos jeunes gens de ne point faire les
(i> Les Sauvages ont quantité de chiens qui leur fervent pour la chafTe , ceux-ci ayant perdu leurs vivres , leurs chiens étoient affamés, & dévoroient le bétail des Fran�ois. Les chiens des Sauvages font moitié loup & moitié chiens.

aux Indes Occidentales. rco fols , c�eft-à-dire, de ne plus détruire es emelles des caftors, fur les lacs & es lieux de chafTe de vos ennemis, qui ne manqueroient pas de s�en ven
comme vous venez d�en faire la mire expérience.
Votre pere a écrit à M. Adamvflle, qui commande chez les PeWhu, de taire votre paix avec ks Renards, & de tiaiter de la ran�on de vos femmes & de vos enfans captifs chez eux; les marchandifes feront fournies fur le compte du Roi, votre pere, Grand
Uref des hommes blancs & des hommes rouges.
Parmi les Sauvages, ceux qui l�chent le pied, ou déferrent dans une action ou il s�agit de l�honneur, &
e. a dete.nle de la patrie, ne foht point punis ; mais ils font regardés comme l�opprobre du genre humain. Les autres leur reprochent toujours qu ils ne font point des hommes; mais des vieilles. Ils font méprifés des femmes memes, & les filles les plus laides n en veulent point pour maris, & s�il arnvoit que quelqu�une en voulu epoufer un , les parents s�y opnoferoient, dans la crainte d�avoir dans
l6o Nouveaux Voyages leur famille des hommes fans c�ur ; & inutiles à la patrie. Ce^ fortes de gens font obligés de laiffer cro�tre leurs cheveux, 3c de porter un alkonan comme les femmes (i). J�en ai vu un qui, honteux d'être en cet équipage , partit feul pour aller en guerre contre les Tchicachas, nos ennemis 3c les leurs. Il s�approcha d�eux en rampant comme un ferpent , refta caché dans de grandes herbes pendant trois ou quatre jours, fans boire ni manger. Comme les Anglois portent aux Tchicachas des marchandifes en caravane , notre Illinois en tua un qui étoit à l�écart, lui coupa lp. tête , après quoi ii prit fon cheval ^ monta deiTus 3c fe fauva. Il employa trois mois à cette belle expédition. � fon retour la Nation le réhabilita� 3c on lui donna une femme pour avoir des guerriers. Il eft bon de vous dire qu�avant de partir il avoit mange du chien , conformément à l�opinion re�ue parmi les fiens, 3c dont j�ai déjà eu l�honneur de vous parler.
(2) Petite jupe dont fe fervent les femmes Sauvages pour cacher leur nudité.

aux Indes Occidentales� \6t
Le grand Chef des Illinois fort de la famille des PrincesTamaroasJautrefois Souverains de toute cette contrée. Ce Cacique, ou Roi Sauvage., eft le fils de celui qui pafia en France,avec fon cortège , en 17 20. Il fut préfenté au Roi, �qui le décora d�une Médaille avec fon portrait ; fon fils la porte préfentement pendue au col. Il y avoit au/�i une femme de la Nation des Mifiouris , qu�on appelloit la Princefle des Mifiouris (1). Le Sieur Dubois , Sergent 8c Interprète de ces Ambafiadeurs Amériquains. ayant été elevé^par le Roi au grade d��fficier, époufa, à fon retour, cette Dame Mifiounenne. istant devenue veuve 3 elle convola en fécondés noces, 8c époufa le Sieur Marin Capitaine de Milice , dont elle eut une fille qui vit encore.
(0 Cëtoit la fille du grand Chef fie cette Ration. On dit quelle étoa la ma�tre fie de M. de B ou r mont, qui, dans le tems qu�il commandoit chez les iMifiouris, ne cefiant de' vanter les merveilles de la France , en en<*agea plufieurs à le Cuivre; la fille fie fit Chrétienne, & fut baptifée à Notre Dame.
162 Nouveaux Voyages
La Princeffe Indienne racontas fes compatriotes la magnificence qu�elle avoit vu à la Cour de France, o� elle avoit été bien accueillie, & comblée de préfens : elle avoit eu , entrant res chofes , une belle montre à répétition , garnie de diamans, que les Sauvages appelloient un efprit, à caufe de fon mouvement, qui leur paroifloit furnaturel.
J�ai parlé ici à un vieux Sauvage ^ qui étoit à la fuite du Prince Tamaroas j je lui fis plufieurs queftions touchant la France j & lui demandai ce qu�il avoit vu de beau à Paris; il me répondit que c�c-toit la rue des Bouch eries, parce qu�il y avoit vu beaucoup de viande, puis celle de Saint Honoré. Lorsqu�il difoit à fes compatriotes qu�il avoit vu l�Opéra, & que tous ces gens là étoient des Jongleurs ou forciers; qu�il avoit auffi vu , fur le Pont-neuf, des petits hommes qui parloient & chantoient (i), ils ne vouvoient pas le croire. Quand il leur ra
1
(t) On entend aifément que ce font des Marionnettes.


&ux Indes Occidentales. 163 conta qu�il avoit vil au grand village des Fran�ois, ( Paris, ) autant 6 monde qu il y a de feuilles aux arbres de leurs forets , hiperbole dont fe fervent les Sauvages pour exprimer le plus grand nombre, n�ayant point d�exprellion pour compter au^la de cent; ils lui répondoient qu�apparemment les Européens lui avoient fafeiné les yeux, que cela étoit impomoie , & que c�étoit toujours les memes objets qu�on lui préfentoit à la vue. Il ajouta qu�il avoit vu les cabanes du Grand Chef des Fran�ois, c eft-a-dire, Verfailles 8c le Couvre , qu�elles contenoient plus de monde qu il n y en avoit dans leur pays. Il dit aufii qu�il avoit vu la Cabanne des vieux guerriers, ( l�H�tel Royal des Invalides. ) Comme ce vieillard commen�oit à radoter , il convint, avec les autres Sauvages, que les I ran�ois l�avoient enforcelé. Un autre Illinois, qui avoit pareillement . ce voyage , difoit à fes compatriotes qu�il avoit remarqué auxThui�eties , ëc dans d autres promenades , des hommes moitié femmes, frifés en chignon comme elles, portant de me
2 6 4 Nouveaux Voyages
me des pendants d�orei�les, 3c de gros bouquets fur leurs poitrines ; qu�il les avoit foup�onnés de mettre du rouge, 3e qu�il avoit trouvé qu�ils fentoient le crocodile ( I ).
Cet Amériquain parloir avec le plus profond mépris de cette efpéce , que nous connoiflbns fous le nom de Petits Ma�tres, qui ont re�u en naiffant la foibleffe & les mignardifes naturelles aux femmes; la nature fer�ble avoir commencé à les rendre tels, 3c s�eue trompée enfuite dans le fexe qu�elle leur a donné.
Ce Sauvage avoit auffi remarqué la hauteur énorme de la coèffure de nos femmes de ce rems là (i), ainf� que ce 11 es de leurs talons poftiches; mais que n�eut-il pas dit, s�il eut vu l�extravagante largeur de leurs paniers 3 3c la fineffe de leur taille étranglée dès l�enfance par cette élégante cuiraffe�
(i) Le Crocodile du Mif��IGpi a des bourfes garnies d�un mule plus fort que celui des Indes Orientales ; fon odeur eft il violente , qu�elie fe fait fentir Couvent avant quoa puilfe voir l�animal.
(i) C�étoit du teins de la Régence*



aux Indes Occidentales. i6f connue fous le nom de corps de baleme ? Ces femmes coquettes ne font pas moins ridicules par leurs artifices, q[ue leurs fots adorateurs. Vous avez remai que, comme moi, dans le cours de vos voyages en Europe, que les Etrangers & les gens de province qui font venus a Pans, Sc qui ont voulu copier nos Petits-Ma�tres & nos Petites-Ma�tre ifes , ie font rendus infupportables à leurs compatriotes, par cette fa�on d�agir fi contraire à la natuie3 en ei�et,difoit notre Amériquain, des maniérés fi efféminées, déshonorent une Nation refpeélable.
J�ai re�u une lettre du Marquis de Vau�ieuil, qui me témoigne prendre une part très-fenlible au trille événement qui m�eft arrivé par le naufrage de mon batteau. Ce Gouverneur, par un effet de généralité qui lui eft naturelle, a voulu adoucir, autant qu�il elt en fon pouvoir, le fort d�un Officier infortuné, qui a tout perdu dans une occalion ou il s�agiifoit du fcrvice dulxo�.
�1 m�a permis de venir à la Nouvelle Orléans , en m�offrant fa bourfe & fa table; j�ai bien peur de le trouve�. parti pour la b rance. On peut
� 66 Nouveaux Voyages dire, avec vérité , qu�il a mérité l�eftime, & l�attachement de tout le monde; les Sauvages ne cef�ent de le comparer aujourd'hui à M. de Bienville, fon prédéceffeur. Quand ces Peuples ne parlent point avec éloge d�un Gouverneur , 8c qu�aucontraire ils s accordent avec tous les habitans pour le détefter, c�eft la plus forte accufation contre lui.
Avant de finir cette lettre , je vous dirai encore un mot des Miffouris j le Baron de Forneuf qui a été Commandant du Fort d Orléans établi chez cette Nation , 8c qui en conno�t pariaitement le génie , m�a afflué qu�ils étoient autrefois belliqueux 8c très-bons , mais que les Fran�ois coureurs de bois les avoient corrompus tant par leur mauvaife conduite que par leurs défunions entre eux ; quelques fraudes dans le commerce les avoient aui�i rendus méprifables ; ils féduiloient & déroboient les femmes fauvages ^ ce que ces Peuples regardent comme le plus grand crime. Il s ne pardonnent jamais ces fortes de larcins ;� tous les dérèglemens de ces mauvais Fran

aux Indes Occidentales i K-?
�Zi v�Km *>�*<roc� i� mll
ioum co re eux . c,e([ ^ ft
�� Je gouvernemenc Je M de
Eienvdle -,ls maflicrerent le �*
aPfa0o,drasPetiteGa,'nifo,,1''i''�:' les ordres , comme aucun foldat
n en a réchappé, on n�a jamais d�
f�avoir qui avoir raifon ou tort P
motrenCarieVaiSrapp0rrer'de
montrera allez que ces Peuo'ec font f�uvages que de nom, & Jq�: les Fran�ois qui ont voulu J� trom
Perfe font trompés eux-méme
voici une preuve � il v , � a
40 ans que ces Am/ ^ -3 environ
noiffoiem point encore les Européens
un voyageur ou coureur de' bois Pénétra dans leur Pays il 1 j �onnotae ,.ufage
de h�" d d� Mls �-"i-� aie '
^ Jci po�die , ce;iY � /-� c
chalTe très-abondante , &
confequent beaucoup�df 3^
Un autre courreur de bois y alla au P que tems après avec d - la m-, � � " " �aie comme les Sauytes en 2I"�" *
encore pourvus. Ils nei�emprefee",'
pomt de traiter avec l�av^nr �' " Fran�ois, qui s�avifa d'un flratagême
i68 Nouveaux Voyages afiez fingulier pour avoir le débit de fa poudre, fans trop s�inquiéter des fuites qui pouvoient réfuker de fou impofture, envers fes compatriotes. Il crut avoir fait une belle aéfion en trompant ces pauvres gens.
Comme les Sauvages font naturellement curieux , ils étoient inquiets de f�avoir comment la poudre, qu ils appelloient delà graine, venoit en France. Le coureur de bois leur fit croire qu�on la femoit dans les [avaries, & qu�on en faifoit des récoltes comme on fait d�indigo ou de millet en Amérique.
Les Mifiouris furent bien contens de cette découverte ils ne manquèrent point de femer toutes celles qui leur reftoient, ce qui les obligea à traiter de celle du voyageur Fran�ois, qui en retira un bénéfice confidérable en peaux de caftors, loutres & autres, &c. enfuite il defcendit la Riviere jufqu�aux Illinois, o� commandoit alors M. de Tonti.
Les Mifiouris aliènent de tems en tems dans la [avarie pour voir fi la poudre �evoit ; ils avoient eu loin de mettre un gardien., pour empêcher
que


aux Indes Occidentales. 169 les animaux ne ravageaffent le champ de cette prétendue récolte ; mais ils reconnurent bient�t la duplicité du Fran�ois. Il eft bon d�oblerver qu�on ne trompe les Sauvages qu une fois, & qu ils s�en fouviennent; aulli ceux-ci réfolurent-ils de fe venger fur le premier de notre Nation qui viendroit chez eux. Peu de tems apres, l�appas du gain excita notre coureur de bois à y envoyer fon afTbcie avec des marchandées alTorties, oc propres pour le commerce des Mif10uris, qui apprirent que ce Fran�ois ftoit co]legue & envoyé par celui qui les avoit dupés; néanmoins ils diffimulerent le tour que fon prédéceiTeur leur avoir joué. Us lui prêtèrent même la cabanne publique , qui étoit au milieu du village, pour y dépofer fes balots & fes marchandifes ; & lorfqii elles furent étalées, les Milfouris v entrèrent en confufion , & tous ceux qui avoient eu la fimplicité de femer leui poudre, emportèrent chacun des marchandifes ; de forte que le pauvre traiteur fut défait de toute fa pacotille ^ lans aucun retour de la part des
Sauvages. Le F�çois fe récria beau
i* rarti�t jj


tjo Nouveaux Voyages. coup contre un pareil procédé ; il s?en plaignit au Grand Chef de la Nation , qui lui répondit, d�un air grave , qu�il lui feroit rendre juftice^ mais qu�il lalloit, pour cet effet, attendre la récolte de la poudre, que fes iujets avoient femée par le conleil de fon compatriote , 6e qu il pouvoir compter , toi de Souvevai�i _> qu il or� donneroit après une chaffe géneiales 6c que toutes les pelleteries des bêtes fauves, qui en proviendroient, feroientpour la récompense du fecret important que le Fran�ois leur avoit appns� Notre voyageur eut beau alléguer pour raifon, que peut-être la terre des Miffouris ne valoir rien pour ia production de cette poudre j & que fes fujets avoient confondu, que ce n étoit qu�en France qu�elle venoit.Toutes ces raifons furent inutiles, il s en retourna fort allégé , 6c bien confus d�avoir été corrigé par des hommes Sauvages.
Cette le�on ne détourna pas a autres Fran�ois de fe rendre encore chez les Miffouris ; il y en eut un qui fe propofa d�y faire un coup de la tête , il arma une pirogue qu�il char
aux Indes Occidentales. tji gea de bagatelles ; inftruit de Paventure précédente, il remplit un barril de cendre & de charbon pilé, audeil'us desquels il mit un peu de poudre. Loi Iquil fut arrivé, il étala toutes Tes babioles dans la grande cabane; dans l�intention de tenter les MifTouris, a les enlever; en effet, les Sauvages les pillèrent. Le Fran�ois fit beaucoup de bruit, injuria les Sauvages, & courant au baril de poudre qu�il avoit préparé,il le défonce, prend un tifon allumé, Sc crie : j�ai perdu l�eiprit, je vais faire lauter la cabanne; vous viendrez avec moi au pays des efprits. Les Sauvages effrayés ne f�avoient que faire; les bian�ois, qui étoient hors de /a cabanne , crioient que leur frere avoit perdu l�efprit, & qu�il ne le retrouvèrent que quand on; lui auroit rendu ou payé les marchandifes. Les Chefs haranguèrent par de village pour y exhorter les habitans; ceux qui avoient ces parents dans cette cabanne fe joignirent à eux; le peuple fut ému, chacun apporta danse la cabanne tout ce qu�il avoit de pelléterie , alors le * ran�ons dit que l�efprit lui étoit revenu. Le Chef lui préfenta le calu
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�*7 2 jNouifeaux J^oya^es
met, U fuma , verfa de l�eau fur la poudre, pour montrer qu�elle ne terviroit plus; & en effet,pour cacher la traude aux Sauvages. Il en emporta pour près de mille écus en bonnes pelleteries.Les Sauvages l�ont beaucoup confédéré depuis ce tems, en lui donnant le nom de vrai homme ou �homme de
valeur. , r
Je finirai ma lettre par la ael
eription d�une cérémonie auili bizaire qu�extraordinaire de la part de la Nation des MilTouris iqui arrivèrent ici en ambafTade , dans le tems que M. le Chevalier de Boisbriant y commandoit. Cette hiftoire tragique 1ervira en même-tems à démontrer aux Officiers qui, par une noble ambition, afpirent à quelque commandement dans le Militaire , que des connoilfances théoriqnes & pratiques de la séoeraphie , leur font abfolument néceflaires , & qu�ils doivent s attacher avec une grande application a bien conno�tre l�intérieur 8t le local d�un Pays o� l�on eft en guerre , afin d�éviter toute furprife de la part de l�ennemi, St de conferver la vie des hommes qui leur font confies. Ce que


�ex Indes Occidentales. T75 jè Vais vous rapporter les en convaincra fuffifammenc.
L�Efpagne ne vit qu�avec peine du tems de la Régence nos établiffemens /ur les bords du Mifl�l��pi. Les Anglois , de leur c�té , n�épargnerent ni * rufes , ni intrigues pour renverfer cette colonie naiffante comme ils le font encore aujourd�hui fur les bords de la riviere d�Oyo qu�ils prétendent leur appartenir ; ils ont jette aulli un dévolu fur le Miffiflipi.
En 1720 , les Efpagnols formèrent le deffein de s�établir chez les Miffouris5 pofte voif�n des Illinois, afin de nous borner de plus en plus près de l�Oueft: cette Nation eft fort éloignée du nouveau Mexique qui eft la derniere Province des Efpagnols du c�té du Nord.
Ils penferent que pour mettre leur colonie en s�reté , il convenoit de détruire entièrement les Miffouris; � mais ne voyant point de poflibilité a exécuter ce projet avec leurs feules forces, ils réfolurent de faire alliance avec les Ofages , Peuples voifins des Miffouris & leurs ennemis mortels, efpérant par-là furprcndre
174 Nouveaux Voyages $c détruire leurs voifins. Dans cette idée ils formèrent à Santa-Fé une caravane d�hommes, de femmes 6é de foldats ayant un Jacobin pour aum�nier un Capitaine Ingénieur pour Chef & Conducteur, avec les chevaux & les beftiaux nécellaires pour un établiffement permanent.
La caravane s�étan: mile en marche , fe trompa dans fa route & arriva chez les Miffour-is , comptant arriver chez les Ofages. Au (lit�t le Condu�eur de la Troupe ht parler fon interprété au Chef des Miliouris, comme s'il e�t été celui des Otages, 6e lui dit qu�il venoiu faire alliance avec eux pour détruire enfemble les Miffouris leurs ennemis.
Le grand Chef de la Nation des Miffouris, diffimulant ce qu�il devoir penfer d�un tel deffein , témoigna d�abord de la joye aux Espagnols , & leur promit d'exéemer avec eux un protêt qui lui faifoit beaucoup de plaifir. Pour cet effet il les invita à fe repofer quelques jours de leur pénible voyage, en attendant qu�il e�t affemblé fes Guerriers , & tenu -confeil avec les V ie.ffards ; mais le
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aux Indes Occidentales. 175*
réfultat de ce confeil de guerre fut qu�on feroit faire grande chere à leurs 'h�tes, & qu�on affeé�eroit pour eux: l�amitié la plus f�ncere.
Us délibérèrent enfemble pour partir dans trois jours. Le Capitaine Efpagnol leur fit aull�t�t diftribuer iyoo fufils, autant de piftolets des fabres & des haches ; mais dès la nuit de cet arreté les MifTouris furent au point du jour au camp des Efpagnols, 8c les aflommerent tous à l�exception du Jacobin, à caufe de la fingularité de fon habit qui ne l�annon�oit pas pour un guerrier; ils lui donnèrent le furnom de Pie & fe divertirent a lui faire faire le manege fur un cheval d�Efpagne,dans leurs jours d�afTemblées.
. Jacobin , quoique carefle 8c bien nourri, n�étoit point fans inquiétude, croyant toujours que ces jeux finiraient par le facriher à leur Manitou : c efl pourquoi profitant un jour de leur confiance , il prit fes précautions pour s e quiver à leur vue ; on a f�u ces ch0fes des MifTouris même , lorsqu�ils apportèrent ici les ornemens de la Chapelle ; ils s�étoient
�17$ Nouveaux Voyages habilles de ces ornemens ; le Chef avoir fur fa peau la plus belle chafuble avec la patene pendue à fon col, qu�il avoir percée avec un clou , 3c qui lui fervoit d�hauffe-col. ; il marchoit gravement à la tête , étant couronné d�un bonnet de plumes avec une paire de cornes fur fa tête. Ceux qui le fuivoient avoient des chafublés, venoient après les portes éto�es , fuivis de ceux qui avoient les manipules à leur col ; on voyoit après ceux-ci trois ou quatre jeunes Sauvages revêtus d�aubes 3c d�autres de furplis ; les Acolytes, contre l�ordinaire , marchoient à la queue de cette Proceffion d�un go�t fi nouveau, ne fe trouvant point affez parés de porter à la main en danfant en cadence , une croix ou un chandelier. Ces Peuples ne connoiflant point le refpeél d�aux Vafes facrés, avoient pendu au col d�un cheval le Calice de même qu�une cloche.
Imaginez-vous le fpeétacle ridicule que pouvoit offrir aux yeux l�ordre fingulier de cette Proceflion, arrivant à la maifon de M. de Boisbriant Lieutenant de Roi, marchant en ca~

^ aux Indes Occidentales. *77 dence , le grand Calumet de paix: vdéployé f�ivant la coutume.
Les premiers Fran�ois qui virent arriver cette mafcarade j coururent en riant en porter la nouvelle à M. de Boisbriant ; cet Officier qui avoir autant de piété que de bravoure , fut pénétré de douleur à la v�e de ces Sauvages, & ne (�avoit que penfer de cet événement ; il appréhendoit quils n�euffent défait quelque établiffement Fran�ois ; mais lorfqu�il put les appercevoir de loin, fon chagrin s évanouit, il eut meme bien de la
peine à s�empêcher d�en rire comme les autres.
Les MifTouris lui racontèrent comment les Efpagnols avoient voulu les détruire j &: qu�ils lui apportoient touc ce qu il voyoit , n�étant point à leur ufage , & que s�il vouloit, il pouvoir leur donner des marchandées qui feroient plus de leur go�t : ce qu�il fit} il envoya enfuite les ornemens à M. de Bien ville, Commandant Général alors de la Province de la Louifiane* Comme ils étoient bien pourvus des chevaux de la caravaneEfpagnoIe, le Chef des MilTouris fit préfeut des
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Ils avoient apporté auffi la carte géographique qui avoir fi mal conduit les Espagnols qui vinrent eux?* mêmes fe livrer imprudemment, en fe confeffant au renard.
Je vais profiter de la permiffion que je viens d�obtenir pour defcendre à la Nouvelle Orléans. Si j�y trouve notre Général, & une de vos lettres , ce fera une double fatifaction pour moi. Je fuis, Monfieur,
Aux Illinois ce iy Mai 17S3*


aux Indes Occidentales.
LETTRE VIII.
Au Meme.
VAuteur part du pays des Illinois pour la Nouvelle Orléans* Arrivée de Monsieur de Kerlerec, Départ dit Marquis de Vaudreuil, Second voyage de l�Auteur che% les Illinois. Trait héro�que dé un pere qui Je facrifie pour fon fils.
ONSIEUR,
J Arrivai au mois de Juin à la Capitale de la Louifiane, o� je trouvai une de vos Lettres, qui me fit un vrai plaifir , puifqu�elle m�apprit que vous cont�nmes à jouir d�une bonne fanté j ce qui me dédommagea de pei te que j�ai faite de la préfence de notre cher Gouverneur; je le trouvai parti pour la l4 rance & pour comble de malheur, M. Michel de la RouVi!liere , mort d�une attaque d�apoplexie : Ordonnateur mavciit écrit
�8o Nouveaux Voyage? qu�il avoic appris, avec douleur, mon naufrage, que nonobftant l�ufage o� étoit le Roi de ne point entrer dans ces fortes de dépenfes, il y entreroic avec plaifir pour me foulager ; qu�il me falloit faire un état au jufte de ce que j�avois effectivement perdu , lequel devoit être certifié par M. de Macarty commandant le convoi; nécefi�té indifpenfable ( difoit-il ) pour que la dépente ait un motif, & qu�elle puiffe paffer dans les comptes ; il me promettoit que dès qu�il auroit cette pièce , il reg�eroit ce qu�il conviendroit me faire avoir. Le Marquis de iVaudreuil m�avoir recommandé en partant à M. de Kerlerec, fon fucceffeur, qui n�a eu aucun égard à fa recommandation ; il a des qualités de c�ur bien oppofées à celles de fon prédéceffeur ; mais ce nouveau Gouverneur a pour excufe qu�il n�efl: pas venu de fi loin feulement pour changer d�air. Il me retint à la Nouvelle Orléans, & ne me permit d�aller rejoindre ma garnifon qu�en 17I4, par ie convoi que commandoit M. de Faverot. Je ne pus trouver de place pour embarquer mes provH�ons de voya
aux Indes Occidentales. i 3 � 8e > attendu la quantité de pacotilles qui remplilfoient les batteaux du Roi, je ns a ce fujet mes jufkes repréfentations à M. de Kerlerec , qui me fie e/fuyer, à cette occafion , toutes fortes de défagrémens. Après quoi m ayant demandé ce que j�emportois pour pacotille , je lui répondis, que je n entendois rien au commerce ; qu étant militaire., Sa Majefté m�avoit envoyé a la Louifiane pour la fervir 9 que c�étoit en quoi je failois confifter toute ma gloire; enfin M. de Kerlerec me permit d aller joindre ma garnifon.
Je partis de la Nouvelle Orléans �e 17 Ao�t; mais les bateaux, comme j ai déjà dit., étoient fi chargés de pacotilles , que les glaces nous ayant pris , il ne purent fe rendre aux Illinois ; il nous fallut hiverner en chemin , & le convoi n�arriva qu�en Janvier i7yy j ce qui occafionna des avaries, & des frais immenfes pour le compte du Roi. Les fatigues d�un fi long voyage altérèrent tellement ma iante que je fus réduit a toute extrémité. Je me fis conduire à pied par les Sauvages, & lorfque j�étois fatigué
� 8 2 Nouveaux Voyages ' ils ms portoient dans une peau de b�uf pafiée de attachée en forme de hamac, à travers d?un gros b�ton , comme une litière. Ils fe ref�yoient fucceffivement, de je me rendis de cette maniéré pour la fécondé fois au vieux Fort de Chartres, o� je me cabanai en attendant que je puffe avoir un logement dans le nouveau Fort,, qui eft prefque achevé. U eft b�ti en pierres, de flanqué de ^ battions,, il peut contenir une garnifoh de 3 00 hommes. Je demandai à M. de Macarty la permiflion daller changer d�air chez les Kaokias , qui ne font qu�à une journée du Fort de Chartres. Le voyage le fait par eau ou par terre. Il y a dans ce pofte un petit Fortin fur la rive gauche du Miflilfipi : c�eft la grande route des Illinois en Canada, & le centre du commerce de la Nouvelle France, qui eft confidérable en pelleteries.
Meilleurs de S. Suipice , qui font Seigneurs de Fille & de la ville de Mont real, ont établi en cet endroit une miflion fous le titre de la Sainte Famille de Jefus. Il rfy a que trois Piètres, J�ai connu particuliérement
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aux Indes Occidentales.
1 Abbé Me rcier , Canadien & grand Vicaire du pays des Illinois. Cétoit un homme d�une grande probité , dont l�amitié ne pouvoit que nfetre utile, parles connoillances qu�il avoit acqu�tes des m�urs des Sauvages qu�il édifioit par fa vertu , & Ton déf�ntéreffement. La langue du pays Jjui étoit familière, & la facilité avec laquelle il la parloit, le faifoit extrêmement confidérer des Sauvages, qui le confultoient fur toutes fortes de matières. Il a paflé ans à cultiver la vigne du Seigneur dans ces contrées éloignées ; les nations Sauvages de ces cantons, font toujours refpeé�é. Un homme de ce caractère ne pouvoit vivre trop long rems pour le bonheur de ces Peuples. Ce digne Ap�tre de la Louifiane, fut attaqué pendant le carcme, d�une, maladie de langueur, dont il mourut un vendredi à onze heures & demi du foir, expirant en héros Chrétien. Il avoit une prélence d�efprit admirable; en mon particulier, je l�ai beaucoup regreté. Les Fran�ois & les Sauvages en étoient inconfolables ; ceux - ci envoyèrent des députés, fuivant leur

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�S4 Nouveaux Voyages ufage, pleurer fur fon tombeau. Iis y vinrent par bandes , & dès qu�ils étoient près de la maifon du défunt, ils s�annon�oient par de grands cris, & des gémii�emens lamentables. CeS pauvres gens paroil�oient confternés * & la douleur étoit peinte fur leur vifage. Ces Peuples, qu�il nous pla�t d�appeller Sauvages * connoilfent la véritable vertu dans l�homme ; celuici , pendant prefque toute fa vie � avoit travaillé à leur falut : ils l�appelloient leur pere, ou le Chef de la priere.
Quelle différence de ce Millionnaire à un précédent, qui s�attribuoit fauffement la découverte de la Louif�ane ; c�eft du Pere Hennepin, Récolet > dont je veux vous parler.
Il donna en 1683 , une Rélation dont le titre n�eft pas jufte; car le pays que ce Récolet, & le Sieur Decan découvrirent en remontant le Miffiffipi, depuis la Riviere des Illinois jufqu�au fault Saint Antoine, n�eft pas de la Louifiane, mais du Canada. Celui d�un fécond voyage du Pere Hennepin, au V. Recueil des [Voyages du Nord, ne l�eft pas da
flux Indes Occidentales. 18 J* vantage, il porte : Voyage en un pays plus grand que l�Europe > entre la mer glaciale & le nouveau Mexique ; car fi loin que Ton ait remonté le Mif��ffipi, on a été encore bien loin de la mer glaciale ; lorfque l�Auteur publia cette fécondé Relation ; il étoit brouillé avec M. de la Salle, il paroit même qu�il avoit défenfe de retourner en Amérique, & que ce fut le chagrin qu�il en con�ut qui le porta à fe retirer en Hollande, o� il fit imprimer un troifieme ouvrage intitulé : Nouvelle defeription d�un trèsgrand pays,fitué dans l�Amérique entre le nouveau Méxique., &: la mer glaciale, avec des reflexions furlesentreprifes de M. de la Salle , & autres chofes concernant la Defeription & l�Hiftoire de l�Amérique Septentrionale.
L�Auteur n�y décharge pas feulement fon chagrin fur le Sieur de la Salle , il le fait encore retomber fur la France , dont il fe croyoit maltraité. Il pen'e fauver fon honneur en déclarant qu�il étoit né fujet du Roi Catholique (i ); mais il devoit pen
(i) Le Pere Hennepin étoit de Douay,
i86 Nouveaux Noyages fer que c�étoit aux frais de la France qu�il avoit voyagé dans l�Amérique, 6c que c�étoit au nom du Roi trèsChrétien, que lui & le fieur Décati avoient pris poi�ei�ion des pays qu�ils avoient découverts ; il ne craignoit pas même d�avancer ; que c�étoit avec l�agrément du Roi Catholique, foo premier Souverain , qu�il dédioit fa Rél ation au Roi d�Angleterre, Guillaume III, de qu�il foi 1 icicoit ce Monarque à faire la conquête de ces vaftes régions, à y envoyer des Millionnaires pour enfeigner la Religion aux Sauvages. Démarche qui fit rire les Catholiquesj 6c feandalifa les Proteftans meme > fur pris de voir un Religieux qui fe difo�t Millionnaire & Notaire Apofiolique, exhorter un Prince Proteftant à fonder une Eglife Romaine dans le nouveau monde. Au refie, tous les ouvrages font écrits d�un ftile de déclamateur qui choque par fon enflure, 6c révolte par les libertés que fe donne l�Auteur, & par fes invedives indécentes, fur ce qui regarde le fond des choies. Le Pere Hennepin a cru pouvoir profiter du privilège des voyageurs : auffi eft-il
aux Indes Occidentales� iSj fort décrié de ceux qui l�avoient accompagné, qui ont louvent protefté qu�il n�écoit rien moins que véritable dans toutes les hiftoires. �n reconno�t qu�il entroit plus de vanité dans fon enrreprife > que de véritable zélé à faire des prolélites dans le nouveau inonde.
Pendant que j�étois aux Koakias ; il arriva des Sauvages de la Nation des Olages. Ils avoient pour Manitou un ferpent defléché d�une groffeur énor^ me. Ces Peuples racontèrent que cet animal prodigieux avoit fait beaucoup de ravage dans leur pays, qu�il avaloit un chat tigré entier ; qu�en conféquence , ils lui avoient déclaré la guerre, & avoient été l�attaquer. Ils Je fuivirent à la trace ; mais les balles ni les flèches ne pouvaient pénétrer dans fon corps, qui était couvert d�une écaille fort dure , à-peu- près comme celle d�un ci ocodille. ils parvinrent cependant a le mettre à mort en lui tirant pluiieurs coups de fufils & de flèches qui lui creverent les yeux. Celui qui Pavait tué en portait l�empreinte fui fon corps, de la maniéré dont le* Akan�as m�imprimèrent le chevreuil

�8 Nouveaux Voyages dont j�ai déjà parlé. Voici comme i�à font cette impreflion. Ils deflinent avec du noir ou de la poudre à canon, la figure de l�objet ou de l�animal qu�ils veulent repréfenter fur la chair y après quoi, on pique avec une ou plufieurs éguilles � la peau jufqu�au fang , puis on frotte légèrement la figure avec jme éponge fine, trempée dans une diffolution de fel de roche ; ce qui mêle le fang avec le noir, en crifpant la peau piquée , & rend la figure inéfa�able ; cela ne fe fait pas fans douleur ; mais comme c�eft une forte de chevalerie o� l�on n�eft admis que pour des aéfions éclatantes, on fi endure avec plaifir, afin de paffer pour homme de valeur. Ces marques de diftin&ion fe multiplient à mefure qu�ils font des actions d�éclat à la guerre.
Si quelqu�un d�entr�eux s�avifoit de fe faire piquer fans s�être diftingué dans les combats, il feroit dégrade , & regardé comme un l�che, indigne de l�honneur qui n�eft d� qu�à ceux qui expofent généreufement leur vie pour la défenfe de la patrie. Ils n�ont même de confidération pour les fils des Caciques , qu�autant qu�ils font braves,
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*
aux Indes Occidentales. 1S � & veitueux a l�exemple de leur pere, & de leurs ancêtres.
. ^ ai v� un Sauvage qui, ne s�e'tant jamais hgnalé pour la défenfe de fa Nation , s�avifa néanmoins de fe faire piquer , ou calquer une marque de diliindtion, pour en impofer à ceux qui ne jugent que fur les apparences. Ce fanfaron vouloir palTer pour un �omme de valeur, dans l�intention d obtenir en mariage une des plus jolies hiles de fa Nation, qui, toute Sauvage qu�elle étoit, ne laifToit pas d�avoir de l�ambition. Comme il étoit fur le point de conclure avec les parents dt fa prétendue, les guerriers indignés de voir un poltron faire trophée d�une marque qui n�eft due qu�au mérite militaire, tinrent une affemblée de Che.s de guerre, pour réprimer une telle ^audace. Le Confeil arrêta qu�ann d�obvier à de pareils abus qui confondroient les gens de c�ur avec les l�ches , le faux brave qui s�étoit induement décoré d�un Caffe-tcte fur la peau, fans jamais avoir fait coup à la guerre, auroit l�empreinte arrachée c�eft-à-dire, la place écorchée, & qu on en feroit autant à tous ceux
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. *
19 o Nom�eaux Voyages ) qui fe trouveraient dans le meme ca�� Comme il n�y avoit point de gr�ce à efpérer 5 & que la condamnation était prononcée par un arrêt de ce Sénat Sauvage , jaloux de maintenir l�honneur de la Nation, je m clins, par commifération pour ce malheureux , de laite la médecine Fran�oiie en fa faveur ; j�affurai que je lui enleverois la peau 5c la marque fans lui faire de mal ; 8c que par la vertu de mon remede , fon fang fe changeroit en eau. Les Sauvages ignorant mon fecret , cro-y oient que je me mocquois d�eux ; contreraifant donc les Jongleurs j je fis avaler au faux brave plein une caleDàlfe de lirop ci érable , dans lequel j�avois mis une dofe d�opium : 8c dans 1 intervalle de ion fomme.il, j�appliquai, lur 1 empreinte du Galle-tête qu�il partait fur fa poitrine , des mouches cantandes puis des feuilles de plantin qui lui cauferent des ampoules ou tumeurs; la peau 8c. la marque tombèrent , 8c il n�en for rit. qu'.une eau. férei�s., Cette fa�on d�opérer furprit beaucoup les Jongleurs y qui ignoroient les propriétés des mouches cantandes, fort coin


aux Indes Occidentales. j nj mines dans 1 Amérique Septentrionale. hiles donnent de la lumière la nuit, on peut même lire les caradères les pms lins, en les approchant près des lettres en fuivant la ligne.
, retrouve,fouventdans les m�urs
oes Sauvages, l�équivalent de celles des
uropéens, quelq.i�oppolées qu�elles paroilfent emr�elte. L�exemple (S vant en e(l une preuve.
Un Officier du Régiment de l'IOe e Fiance, étant devenu amoureux dune Demoifelle à Paris en 1710 la mere de cette fille, dit qu�elle là lui accorderoit volontiers s�il étoit décoré de la Croix de Saint Louis. L amour le porta auffi-t�t pour accéleter Ton mariage, à prendre de lui� meme cette diftindion , qUe le R0i leul peut donner. Déjà la Dame le regarde comme gendre : mais quelques jours après, le faux Chevalier efi: rencontré par hafard par un Officier de Ion Régiment, qui, étant fon anc.en dans le fervice, eft bien furpris ce voir fon cadet décoré avant lui. Celui-ci ayant répondu qu�on vient à
77 denmUt avec des Protedi�ns,
1 ancien Officier, qui ne favoit pas le
�jp2 Nouveaux* Voyages myftere, va aufl�t�t trouver M. D�Argenfon, & lui repréfente l�injuftice. qu�on venoit de lui faire , en donnant la Croix de Saint Louis à fon cadet. Le miniftre nie que cela foit, & fe fait apporter la feuille de la derniere promotion ; l�Officier ne fe trouvant point compris, eft arreté & traduit au Tribunal des Maréchaux de France, On t�nt, à ce fujet aux Invalides, un confeil de guerre o� préhda le Maréchal de Belle-J (le. Le faux Chevalier fut jugé à avoir la Croix arrachée, a etre dégradé, & condamné à être renfermé pendant 20 ans dans une Citadelle,
Quant aux femmes Sauvages, elles peuvent fans conféquence fe faire faire des empreintes par tout le corps ; j�en ai vu pluheurs qui étoient piquées jufques fur le feinquoique cette partie foit extrêmement délicate & fenfible; mais elles l�endurent avec fermeté , de même que les hommes, pour leur plaire &: en paro�tre plus belles.
Pour revenir au Manitou des Otages, j�aurois voulu avoir cette prétendue Relique en ma pofTeffion pour en orner votre cabinet d�hiftoire naturelle;

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du Di!h�tUre J ma'S ce rufé M,nift-e
Datri�rP, 6 � ^Lavouant que fes corn
patriotes grofl�ers & fuperftitieux �
adoroient tout ce qui n�eft pas félon
S C�mmU? � me dic qu�il prétendoit retirer beaucoup de fon VI ,
mt�u qu�étant Médecin & Jongleur
i leur faifoit accroire aifément que le eu mangeoit la nuit avec l�Ecrit mahn & qu�il falloir lui apportur de,
vivres dans fa cabane,avec Ses peaux
iincs pour le parer, *
C�eft ainli que cet impofteur nnr
fesdifeours artificieux, accrédite 1W
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�04- Nouveaux Voyages
Je finirai cette Lettre par le récit de la mort tragique d�un Sauvage de la Nation des CollapiJJas * qui s�eft facrifié pour fon fils ; je l�ai admiré comme un événement héro�que , &, qui met le comble à la générofité humaine. Un Ch allas, parlant un jour fort mal des Fran�ois s & difant que les CollapiJJas étoient leurs chiens, pour dire leurs Efclaves, l�un de ceux-ci indigné d�entendre des paroles auff� �njurieufes, le tua d�un coup de tufil. La Nation des Cha�as > la plus nombreufe & la plus guerriere du continent, s�arma audit�t, 8c envoya des députés à la Nouvelle-Orléans pour demander au Gouverneur la tête du, meurtrier , qui s�étoit mis fous la proteélion des Fran�ois. Ceux-ci offrirent des préfents pour affoupir cette querelle ; mais la terrible Nation �es rbnFl,7c np voulut rien accepter; elle
mena�a même d'exterminer le village des CollapiJJas, Alors on fut obligé , pour éviter l�éfufion de fang, de leur livrer ce malheureux Sauvage. Le Sieur Ferrand , commandant le porte des Allemands fur la rive droite du Mifliffipi, fut chargé de cette com

�liX Indes Occidentales. j p r mimon, Le rendez-vous fut à cet effe^ donné entre Je village Collapi/Ta , & je porte des Allemands, o� fe rtt le facnfice de la maniéré fuivante.
Le Sauvage vidime fe nommoic TichouMingo , c�eft-à-dire , valet de Cacique. Il harangua débout, fuivant lu (�ge de ces Peuples, en difant : � Je � iuis un véritable homme, c�eft-à-dire, je ne crains point la mort, � mais je plains le fort d�une femme' � & de quatre enfants, que je laiiTe � apres moi dans un �ge fort tendre & ��mon pere & ma mere qui font vieux, � & que je faifo.s fubfifter par ma >rehà(Te(r); je les recommande aux � Fran�ois, puifque c�eft pour avoir � pris leur parti que je fuis facrifié.
A peine avoir-il achevé ce'te courte & pathétique harangue, que
J? b�n & [end/e Pere � Pénétre' de 1 amitié filiale, fe levaaulfit�t & parla
en ces termes : � C�eft d* valeur (2)
Nation.C�0it 12 meHIfUr C1^ur de Ia ( � ) Le terme de valeur eft un mot an! f,
�"�* f�� i �r,
I ii
it)6 Nouveaux Voyages *3 que mon fils meurt. Mais étant jeu-1 a* ne �c vigoureux, il eft plus capa� ble que moi de nourrir fa mere, fa 33 femme , 3e quatre jeunes enfans ; il �3 eft donc néceffaire qu�il refte fur la >3 terre pour en prendre foin. Quant 33 à moi, qui fuis fur la fin de ma car� rière, j�ai vécu affez , je fouhaite & même que mon fils vienne a mon 33 �ge j pour élever mes petits enfans. S3 Je ne fuis plus bon à rien : quelques 33 années de plus ou de moins me font indifférentes. J�ai vécu en homme, 33 je veux mourir de même, c�eftpour33 quoi je vais prendre fa place (i)
A ces paroles, qui exprimoient l�amour paternel d�une manière aufl� for^ te que touchante, fa femme ^ fon fils, fa belle fille , de fes petits enfans fondoient en larmes au tour de ce tendre & courageux vieillard ; il les embrafla pour la derniere fois, les exhorta a être toujours fidelles aux Fran�ois,
(i) Ces Peuples fuivent la Loi du Talion , J a more fe venge par la mort, & il fuffit ^ue ce foit quelqu�un de la Nation, quand meme il ne feroit pas parent ; on n�en excepte que |es Efclaves.


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àuX Indes Occidentales. ipy
a mourir plut�t que de les trahir par aucune l�cheté indigne de fort �ang ; enfin il leur dit que la mort étoit un facrifice néceflaire à Ja Nation, & qu il étoit content 8c glorieux de le lui fane. En achevant ces dermercs paroles, il préfenta fa tête aux parents du mort, qui l�accepterent. Après cela il s�étendit fur un tronc d�arbre;
& aufiltot on la lui fit fauter d�un coup de hache* r
Tout fut af�bupi par cette mort ; mais le jeune homme fut contraint de leur livrer la tête de fon pere (i); en la ramaffant, il lui adrefia ces mots z cc Paidonne-moi ta mort, 8c fouviens13 to'1 m�i au pays des �mes. Tous les Fran�ois , qui afiifterent à cette tragédie,furent attendris jufqu�aux larmes, en admirant la confiance héro�que de ce vénérable vieillard, dont la vertu eft comparable à ce célèbre Orateur Romain, qui, dans le temps du Triumvirat, fut caché par fon fils. V/elui-ci étoit cruellement tourmenté
A
(0 Us la mirent au bout d�une perche & Tribu�lterent COmme eu troi)lléc dans leur
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3 5> S Nouveaux Voyages pour déceler fon pere, qui, ne pouvant plus (apporter qu�on fit fouffrir ainfi un fils fi tendre, & fi vertueux, vint fe préfepter aux meurtriers, & pria les foidats de le tuer, fk de fauver la vie à fon fils : le fils les conjura de le faire.mourir, & d�épargner les jours de fon pere; mais les foidats plus barbares que les Sauvages, les firent mourir enfemb�e, en même temps, fk au même endroit,
M, Ferrand, compagnon de mon dernier voyage aux Illinois, tomba dans le Miffiffipi pendant la faifon la plus rigoureufe, en faifant man�uvrer les foidats, & au moment que la rapidité de ce Fleuve l�entra�noit dans un goufre, un chaffeur Akan�as , qui s�étoit heureufement embarqué dans fon bateau pour le traverfer, le fauva du précipice. L�Officier lui dit qu�il efpéroit, dans la fuite, récompenfer généreufement le fervice qu�il lui avoit rendu : au premier mot qu�il proféra pour l�en aflurer, le Sauvage lui répondit qu�il n�avoit fait que le devoir d�un frere, qui doit fecourir les malheureux dans le danger, que

aux Indes Occidentales. l�p *e Grand Efprit lui ayant donné l�art de nager comme un poilfon, il ne pouvoir mieux l�employer qu�à fauver fon femblable.
Les Sauvages, hommes & femmes, apprennent à nager dès leur plus tendre jeunelTe. J�ai vu fouvent les mères mettre leurs enfans dans une mare d�eau claire , & je prenois un plaifir extreme de voir ces petits innocents nager naturellement comme une grenouille. Une pareille éducation ne vaudroit - elle pas bien toutes celles dont on fait tant de cas en Europe ? La queffion que je traite ici eft de la dermere conféquence, fur-tout dans un pays o� prefque tous les voyages ie font par eau. Je ne m�arrêterai pas lut ces détails qui pourroient enfin ennuyer: je dirai feulement, que fuivant la faine raifon, la première chofe qui etc dans la nature, c�eft de fiivoir conferver fon exiflence, & qu�il fe. roit a fouhairer que les meres Européennes �mitaffent en cela les Américaines , comme de nourrir ellesmemes leurs enfans. Cet afte, difté par la nature, empêcheroit bien des acci de ns dans des enfans fuppofés être
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200 Nouveaux Voyages légitimes : & fans citer plufieurs faits à cet égard rapportés dans les Caufes Célébrés, j�ai ici fous mes yeux un exemple tout récent, des inconvéniens qui font caufes très-fouvent par ces nourrices mercénaires. Un Gentilhomme , Officier de mon détachement, a été perdu long-temps en nourrice. Auffit�t qu�il fut né à Paris, on 1 envoya dans le fond de la Normandie, & il n�a été reconnu de fes parents qu�à l��ge de 22 ans par un effet du hafard , après avoir effuyé pendant ce tems toutes fortes de mileres <k de périls.
Je me fouviens qu�en 174^ , étant far la route de Paris à A rpajon, je fus témoin oculaire d�un accident qui arriva a une de ces petites vid�mes que les parents eloignent de leur vue pour n�être pas importunés par leurs x,rjs j la nourrice chargée de cet enfant , l�avoit mis dans fon-tablier ; lorfqu elle voulut monter dans une de ces grandes voitures deftinées pour ces voyages, fon tablier., qui étoit noué par derrière., fe dénoua & l�enfant tomba mort fur le pavé.
<2^il me foie permis de dire en


aux Indes Occidentales. 201
paflant, qu�il y a une différence totale entre la fa�on de penfer des Européennes j 8c celle des Indiennes :
Du moins votre groil�ere & farouche droiture
Sait les premières loix de la fimple nature.
Jumonvitle , Poème de M. Thomas.
Elles fe croiroient déshonorées fi elles �bandonnoient leurs enfants aux foins d�une femme extrêmement éloignée de leur vue, elles ne craignent point� comme les Européennes, de voir diminuer les témoignages de la tendrefTb de leuis maris, pour avoir porté dans leurs flancs le gage de leur mutuel amour ; mais au contrairePaccroifFement.de la flamme eft réciproque, 8c le plaif�r de voir perpétuer fon efpèce j 8c de fe voir revivre journellement dans une petite créature , à qui elles ont donné le jour les dédommage infiniment des peines qu�elles ont a fupporter.
Les Dames blanches que nous appelions Créoles j fuivent en Amérique 1 mage des Européennes, en dédai- ~ gnant d�allaiter leurs enfants; elles les livrent, au fortir de leur fein ^ à une
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202 Nouveaux Voyages Efclave noire , bazanée, ou rouge � fans penfer qu�elle peut avoir le fang corrompu. Pluf�eurs habiles Médecins ont démontré physiquement, que �e lait influe fur les inclinations des jeunes nourrirons. J�ai vu fouvent en Amérique d�innocentes vi&imes de la vie déréglée de leurs nourrices, ce qui eft funefte à la propagation de l�efpéce humaine. Je laiffe cette matière à traiter à Meilleurs de la Faculté, ils s�en acquitteront mieux que moi.
Je finis, en vous affurant que je fuis ^ Moniteur , &c.
Aux Illinois le 21 Juillet i7;6.
P, S. Un Courier Sauvage qui vient d�arriver nous apprend l�agréable nouvelle de la prife de Choaguen , & de lès dépendances, fur le fameux lac Ontario.
La garnifon de cette place , au nombre de iyoo hommes de troupes réglées, s�eft rendue prifonniere de guerre ; elle a accepté les articles de la capitulation , qu�il a plu à M. de Montcalm de leur accorder ; ce Générai a envoyé aufllt�t à Quebec , les
aux Indes Occidentales� 203 J drapeaux des Régimens qui étoienc dans la placé.
M. Rigaud (1) J Gouverneur des trois rivières, commandoir les Canadiens de les Sauvages, il sVtoit ern� paie ci un poire avantageux , pour s�oppofer à tout fecours, & à la retraite de l�ennemi.
Les troupes de terre, celles delà Colonie, les Canadiens & les Sauvages fe font également diftingués ; nous ne .avons point encore le nombre d tommes que les ennemis ont perdu; on fait feulement que leur Général a été tue des le commencement de l�attaque ; de notre c�té nous n�avons perdu, dans cette glorieufe expédition, que trois foldats. M. de Eourlamaque, Colonel d�infanterie, a été légèrement blefTé avec fept ou huit Canadiens; mais malheureufement M. Lecombie, Ingénieur , a été tué d�un
coup de tufil, par un de nos Sauva�
*
revenu erC A* ^ M' k Mar<luis de Vaudreui! , revenu en Amérique avec le titre de Gotivetv
Pe.^,�e�eral d� Cana�i�* > & de la nouvelle
rance.
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t,
204 Nouveaux Voyages ges qui le prit pour un Anglois à eaufe de fon uniforme, qui étoit différent de celui des autres Officiers Fran�ois.
Le Marquis de Montcalm efl: occupé à détruire les Forts de Choaguen, & à faire paffer à Frontenac les vivres & les munitions qu�on y a trouvés , ainfi que cent pièces de canons.
LETTRE IX.
!
Au Même.
Départ de VAuteur de che% les Kaokias t pour fe rendre au Fort de Chartres. Ses obferuations fur la population de �Amériquesefeription duneCarayane d�Eléphans arrivés aux environs de la riviere déOyo,
Monsieur,
Suivant toute apparence, voici Ja derniere lettre que je vous écrirai des Illinois, je me difpofe à partir par ordonnance des Médecins, qui ont




aux Indes Occidentales. 20 y jugé néceflaire que je reparte en France , pour aller prendre les bains de Bourbonne, afin de prévenir les fuites f�cheufes d�un coup de feu que j�ai re�u il y a long-tems à Partout du Ch�teau Dauphin (i).
Il eft arrivé hier ici un Exprès dépêché du Fort du Quêne à notre Commandant, par lequel nous apprenons que les Anglois font de grands préparatifs pour revenir attaquer ce porte. M. de Macarty a fait Partir un convoi de vivres pour ravitailler le Fort. Le Chevalier de Villiers le. commande à ma place * ma mauvaife fanté ne m�a pas permis d�entreprendre ce voyage ; il m�auroit mis à portée d'examiner fur la route 1 endroit ou un Sauvage trouva des dents deléphans, dont il me don
I
(i) Place forte en Piémont, fur le fommet d une montagne des Alpes. Cette place fut enlevee le 15� Juillet 1744 > fous les ordres de Mgr. le Prince de Conti.
La Brigade de Poitou commandée parle Brave IV1. de Clievcrt, fe difHngua dans cette a&ion par une valeur qui n eft pas commune, & qui a fait f admiration de TEurope. y Qjei les Journaux du tems9
M�
2.06 Nouveaux Voyages na une m�cheliere qui pefoit environ 6 liv. I
En 1735* j les Canadiens qui venoient faire la guerre aux Tchicachas* trouvèrent aux environs de la belle riviere ou l�Oyo , les fqueletes de fept éléphans, ce qui me fait préfumer que la Louifiane tient à l�Inde 9 & que ces éléphans y font venus d'Afie par la partie de l�Oueft que nous ne connoif�bns pas encore ; une troupe de ces animaux s�étant égarée * fera entrée dans ce nouveau continent, & ayant toujours marché en terre ferme & dans les forêts , les Sauvages d'alors qui n�avoient point encore l�ufage des armes à feu , n�auront p� les détruire entièrement; il en aura pu arriver fept à l�endroit o� j�ai dit, 8c qu'on a marqué d�une croix fur la carte de la Louifiane. Ces éléphans fe trouvèrent apparemment dans une terre marécageufe o� la ma (Te en or me de leurs corps les ayant fait enfoncer jufqu�au ventre , les aura forcés de relier.
En 1772 .,1e Baron de Porneuf qui commandoit le Fort Fran�ois au Pays des MiiTouris, re�ut des Sau

aux Indes Occidentales. 207
vages de cette nation la peau d�un animal jufqu�à préfent inconnu en Amérique. L�Officier l�envoya en pré�ent a Aladame la Marquile de Vaudreuil qui en fit un manchon ; cet animal pouvoir être une fois aufh gros qu�un renard d Europe, fon poil étoit aui�i fin 8c aufii doux- que du velour, taché ou marqué de noir & blanc moiré.
^ Plul�eurs Auteurs prétendent que c�eft parla nouvelle Zembleou rifle de Carambicée fituée au N. de l�ancien continent, que l�on a pu paf1er fur la glace , 8c continuer fa route jufqu�au Groenland ; ils penlent que c�efi le chemin qu�ont pris ceux qui premièrement ont été habiter 1 Amérique , 8c que le détroit qui ^ la fépare de la terre ferme , a en fa partie orientale de hautes montagnes de glace ; mais tous ceux qui ont voulu tenter un paffage aux Indes par cette partie du Nord , ont été mangés par des Ours blancs, ou ont péri au milieu des glaces.
V7oici mon obfervation à ce fujetj fi les hommes avoient paffé par - là pour habiter l�Amérique, ils auroient
20 8 Nouveaux Voyages probablement préféré le Canada , �a nouvelle Angleterre , de la Louifiane dont les parties les plus boréales font analogues à leur pays : au contraire on f�ait que lorfque les Fran�ois & les Anglois découvrirent l�Amérique feptentrionale, il n�y avoir que très-peu d�habitans, au lieu que les Efpagnols qui firent la conquête du Mexique de du Pérou trouvèrent des Rois de des Empereurs qui mettoient fur pied des armées nombreufes, de qui facrifioient tous les ans 30000 Captifs à leurs faux Dieux, On a donc lieu de conjeéiurer que les hommes ont pafTé en Amérique par la partie de l�Oueft , du Mexique de de la Louifiane, (i) Les E�éphans qui y font venus font encore une preuve qui vient à l�appui de mes obfervations. De plus quand j�ai interrogé les Sauvages nommés les Sioux des prairies, qui font des Peu
^ (i) Elle confine le Canada par le NordEft , elle tient par TEit a �a Floride, & anx Colonies Angloifes, & par rOuell au nouveau Mexique. Ses bornes du Nord-Oueft font point déterminées.
aux Indes Occidentales, 20} pies errans , ils m�ont répondu qu�ils avoient entendu dire par d�autres Sauvages, qu�à l�Oueft de leur Pays., il y avoit des hommes habillés qui navigeoient fur de grands lacs d eau fallée avec'de grandes Pirogues ;(i) qu ils habitoient dans de grands Villages b�tis en pierre blanche ; que les Habitans obéifToient à un grand Chef defpotique qui mettoit des armées formidables en campagne.
De plus les Mexiquains adorent les Idoles comme les Indiens ; les Sauvages Natchez ont un Temple & un culte. On a remarqué dans leurs idiomes des termes chinois. Une partie des Sauvages fe coupent ou s�arrachent les cheveux , & n�en ont qu une touffe taillée, comme une couronne de Moine qui leur fert à attacher des plumes de différentes couleurs. Ils ne fe rognent jamais les ongles , ^c eft a la Chine une marque de nobleffe de porter les ongles de la main droite fort longs.
(0 Les Sauvages appellent la mer le grand lac, & les vaiffeaux de grandes pirogues�
2io Nouveaux Voyages '
En fuppofantque leshommés ayent paffé de notre continent en Amérique , la race des hommes blancs fe feroit perpétuée; puiiquenous voyons que depuis deux fiècles &c demi que ChriftopheCol omb découvrit ce nouveau Monde , les Européens qui s�y font établis, y confervent de génération en génération la blancheur de leurs ancêtres. Les animaux qu�on y a trouvés font tous différents des n�tres; & même ni Pline, ni les autres Naturaliftes n�en font aucune mention. Nous devons nous contenter d�admirer avec refpecl l�ouvrage du Créateur , fans vouloir approfondir fes fecrets.
J�ajouterai ici en pa/Tant que quand les Espagnols découvrirent les Mes de St Bomingue & de Cuba , ils les trouvèrent très peuplées de Sauvages qu ils égorgèrent fous prétexte de religion, afin d�être pofTef�eurs de leur or. C�eft delà qu�un Cacique ou roitelet de cette Me s�étant fauve des mains des Efpagriols, fit entendre à fes gens que for étoit le Dieu dé leurs ennemis, puifqu�i�s venoient de fi loin & avec tant de rifques pour
aux Indes Occidentales, 21 � le pof�éder , qu�il falloit tout abandonner pour avoir du repos. Un autre de ces Caciques étant condamné au feu par l�inquificion , fut follicité par un Jéfuite de fe faire chrétien, afin d�aller en Paradis : mais il pro*tefta hautement qu�il n�y vouloir point aller,, s�il y avoir des Efpagno�s. Ces malheureux Sauvages les avoient tellement en horreur, qu�ils s�abftenoient de voir leurs femmes dans la craihtfe de faire des efclaves à de tels ma�tres: Jprfqu�ils fe font avifés d�en manger, �a été plut�t pour fe venger que par go�t ; ils difoient franchement que la chair d�un Efpagnol ne valoit rien.
. : J�ai oublié de vous dire dans ma derniere lettre , que j�ai été convié au feftin de guerre, que le grand Chef des Illinois a donné pour lever des guerriers & marcher avec le Chevalier de Vil 1�ers. Celui - ci obtint la permifi�on du Commandant de lever un parti de F ran�ois & de Sauvages pour aller venger la mort de M. de Jumonville fon frere aifafiiné par les Anglais avant la guerre.
� � 2 Nouveaux Voyages1 *
Inftruits dans leurs déferts de l'horrible atte� tat,
Les farouches humains enfants de ce climat Viennent de toutes parts pour h�ter la vengeance,
Pour joindre leur maffue aux foudres de la France.
Jutnonville, Poème par M. Thomas.
Le Grand Chef des Illinois s�appelle Papapé - changouhias , il eft allié à pluf�eurs Fran�ois de diftinction établis chez ces Peuples. Ce Cacique a fuccédé au Prince Taniaroas , furnommé Chilcagou mort en I7J4* Il eft décoré de la médaille du défunt ; ce Seigneur Illinois a fait voir aux Fran�ois qu�il étoit digne de la porter par fon attachement pour notre Nation; le détachement du Chevalier de Villiers ( 1 )
(1) Il ne faut point confondre M. de Vil� liers, furnommé le Grand Villiers, qui fut venger la mort de Jumonville immédiatement après fon aflafl�nat en 1753, avec Ie Chevalier de Villiers, qui commandoit ce détachement.
Voyez le Poë�ne qu�a fait le célèbre M� Thomas à ce fujec.
aux Indes Occidentales. 215
étant prêt à partir , Papapé - changpuhias voulut luifervir de guide avec fes guerriers. Us partirent du Fort de Chartres le premier Avril 175*6. Us arrivèrent vers la fin de Mai fur les frontières de la Virginie, ou�es Anglois a voient un Fortin entouré de gros pieux. Les Sauvages en approchèrent à la faveur de la nuit., portant chacun une fafcine de bois gras combuftible qu�ils allumèrent aux pieux de ce Fort. L�Officier Anglois qui commandoit , ayant paru pour le faire éteindre, un Sauvage Pajufta à la clarté des flammes , & le tua d�un coup de fufil. Ce même Sauvage cria en leur langue , rendez� vous chiens d5 Anglois que vous 33 êtes , finon vous ferez br�lés ou 3>mangés. Les foldats intimidés par ces
Des fept freres qui compofoient la famille de Villiers, fix ont été tués pour la défenfe de la patrie en Canada. Le Chevalier de Villiers eft le dernier qui fut fait prisonnier à l�affaire de Niagara en 17 $9 , dans le parti que commandoit le brave M. Aubry : cet Officier avoit défait un corps de troupes Angloifcs au Fort du Quêne.
214 Nouveaux Voyages menaces , & n�ayant plus de Commandant , fe rendirent le lendemain matin à difcrétion ; les Sauvages alors les lièrent deux à deux comme captifs , à l�exception du fergent qu�un Sauvage du parti reconnut pour en avoir re�u autrefois des coups de b�ton en tems de paix. Ce malheureux Sergent fut la vi�ime du reffenriment de ces Barbares qui le br�lèrent fans ��iiféricorde. J�ai dit que les Sauvages ne pardonnent jamais , 3c qu�ils fe regardent comme libres 3c indépendants : c�efl: pourquoi il faut bien prendre garde de les frapper * car t�t ou tard ils s�en vengent.
Les Prifonniers Anglois au nombre de 4Q faits dans ce Fort , fu-J rent partagés entre les Fran�ois 3c les Sauvages qui les dépouillèrent fuivant leur ufage, leur arrachèrent la barbe & les cheveux, & à la priere des Fran�ois les firent feulement efclaves. Mais les Officiers Fran�ois & les Habitans des Illinois plus humains fe cottiferent entre eux , & par commifération les rachetèrent en faifant un prélent à cette Nation qui les traitoit comme des chiens , par


aux Indes Occidentales. 21 f la feule raifon qu�ils étoient nos ennemis, 3c pour fe faire valoir auprès de nous.
# Du Village des Kaokias, on arrive chez les Péorias alliés des Illinois, par une belle 3c grande prairie qui peut avoir 2 y lieues de long. Les Sauvages qui m�accompagnoient, tuerent a coups de b�ton des petits oifeaux qu�ils appellent becs fraizes. Ces oifeaux dont le plumage eft varié de différentes couleurs, font auft� bons que des becf�gues de Provence. Les Sauvages m�ont dit qu�ils étoient paflagers, que tous les ans ils fe raffembloient, comme des moineaux pour venir béqueter les fraifes de cette prairie qui en eft toute rouge dans la faifon. Le Village des Péorias eft fitué fur le bord d�une petite rivière , 3c fortifié à la maniéré des Amériquains, ceft-à-dire , entouré de gros pieux.
Quand nous y fumes arrivés , je demandai ou était l�habitation du Chei, on me conciuifit à une grande cabane o� toute la Nation étoit affemblée à l�occafion d�un parti de Guerriers qui avoit été battu parla

zi 6 Nouveaux Voyages Nation des Renards leurs ennemis mortels.
Je fus bien accueilli du Cacique & de fes premiers Guerriers qui vinrent les uns après les autres me ferrer la main en ligne d�amitié , en difant : hau! hau ! ce qui veut dire, fois le bien venu. Auffit�t un jeune Sauvage ou un Efclave alluma le calumet de paix, & le Chef me le préfenta pour fumer fuivant l�ufage ordinaire.
Après les premières civilités., on m�apporta une calebaffe pleine de fuc végétal d�un arbre qu�on appelle érable. Les Sauvages le tirent au mois de Janvier , en y faifant un trou au pie d avec une vrille à laquelle ils adaptent une canule. Il en découle au premier dégel environ une barique d�eau, ou de jus qu�ils font bouillir jufqu�à ce qu�il foit réduit en fyrop, lequel étant rebouilli , fe convertit en fucre un peu roux, & femblable à la manne de Calabre ; les Apoticaires le préfèrent juftement au fucre de cannes. Les Fran�ois établis aux Illinois, ont appris des Sauvages la fa�on d�en faire. Ce firop eft très-bon
pour


aux Indes Occidentales. 2i~r
pour les rhumes , & pour les poitrinaires. F
A 1 �/Tue de l�a/Temblée J on m�ap
poi,ta Pain de Pliakmine , des pieds d ours , des queues de caftors : je mangea, auffi du chien , plut�t par complaifance que par go�t; mais j�ai pris pour maxime qu�il fallorc dans occuience fe conformer au génie des Peuples avec lefquels on eft obligé de vivre , & affe�ter leurs maniérés
pour fe les concilier; à l�entremet, on
�? aPP�rta P.Iein �ne gamelle de bouil
rnnde/'ST,me a/�aifonne'e avec du firop derable, rago�t fauvage afTez
bon, & très-rafraichilTant. A la tin
uiepas# on me fervit pour de/Tert
bo�'r'/orMd;frrftc^-H
n ^es rai^ns de cormthe, il eit très-commun au pays des Illinois.
-Le lendemain j�apper�us un nomb.eux peuple répandu dans la campagne : PafTemblée étoit pour une danfe de Religion en honneur du nou
veau Manitou ; les Prêtres étoienHia-'
billes d une manière qui me frappa � eurs corps etoient barbouillés cfmie terre giaife avec des de/Teins burleff
q I. Pm/e.V�leat 16 VlfaSe �eint en
2i8 Nouveaux Voyages rouge , bleu, blanc , jeaune, vert � & noir. Le Grand Prêtre avoir fur fa tête un bonnet de plumes en fa�on de couronne, & pour agrément une patre de cornes de bouc fauvage (i) , je vous avoue que l�équipage de ce Pié�at m�excita à rire. Comme ces fortes de cérémonies font férieufes , on doit prendre garde d�éclater , ce feroit une indécence , & une irréligion parmi eux : auffi les Sauvages ^interrompent jamais les Catholiques dans exercice du culte qu�ils rendent au viai Dieu. Mais quel fpe�acle s�offre ici a ma vue ! Japper�ois un monftre ^vivant érigé en divinité ! J etois a a porte du Temple du faux Dieu : le Ma�tre de la cérémonie me pria d'y entrer (2), je n�étois pas encore au fait de leurs ufages, j�en .eus quelque
(i) Ces animaux fe trouvent chez les Miffouris, leurs cornes font d�un beau noir , &
reC(i)1 Le Prêtre prépofé pour la garde^du Temple, avant défaire Ion oblation,soi
duvet de cigne, ou du poil de ca ,
gomme fondue, & dans cet equmage ridicule
fl danfoit en l�honneur du faux Dieu.
aux Indes Occidentales. 210 pugnance ; mais un des Sauvages rn accompagnoit, s�appercevant e mon embarras, me fie conno�tre (Juc h je n entrois pas, ces Peuples prendraient mon refus pour une injure, ou du moins pour un mépris. Ce difeours me détermina , j�entrai : voici le portrait du Manitou : fa tête s�avan�oit fur fon eftomac, elle reffembloit a celle d�un bouc , fes oreilles a celles d�un loup cervier, avec un poil femblable, fes pieds, fes mains, les cuilTes, & fes jambes étoient de peau, & de forme humaine : cette fauffe divinité pouvoit être �géed�environfixmois, les Sauvages l�avoient trouvée dans les bois au pied d�une cha�ne de montagnes , qu�oii appelle montagnes de Sainte Barbe, qui communique aux riches mines de SantaFé au Méxique. La convocation de l�afTemblée générale de la Nation
cro�t pour implorer fa protection corn tre leurs ennemis.
Je fis entendre a ces pauvres ignorans que leur Manitou étoit un mauvais génie, & la preuve que je leur en donnai, étoit quril avoit permis que la .Nation des Renards, leurs
K ij
220 Nouveaux Voyages plus cruels ennemis, remport�t un avantage fur leurs compatriotes, qu�ils dévoient le quitter au plut�t, & fe Venger fur cet efprit mauvais ; ils me répondirent, tikalabé, houé ni ^ué , c eft- à d ire , nous te croyons , tu as raifort. On recueillit les voix , & le réfultat fut qu�il feroit br�lé vif. Le GrandPrétre ou Sacrificateur lui pronon�a fa fentence, elle étoit con�ue en ces termes, fuivant le rapport de 1 Interprète : � Monfire engendré 35 des excrémens du mauvais Efprit 35 pour le malheur de notre Nation ; 35 qui mal avifée t�a pris pour Manitouy ^ tu n�as point eu d�égard aux offran� des qu�elle te fait , tu as fouffert qu�un parti de nos compatriotes ait 35 été battu, & fait efclave par nos 33 ennemis que tu protège ouvertement : tous les vieillards affiemblés, 35 ont délibéré d�une voix unanime , 3> & de l�avis du Chef des guerriers >5 blancs , que pour expier ton ingra35 titude envers nous, tu feras br�lé 33 vif. La fin de la fentence de mort du faux Dieu vivant, fut terminée par les cris des affiliants en difant, kou * hou j kou , hou , hou.
aux Indes Occidentales- 22 1
Comme j�avois envie d�avoir ce monftre , n�ayant pu obtenir celui dont je vous ai déjà parlé, voici comme je m y pris : je m�adreflai au devin à qui je fis un petit préfent, & je lui fis dire par mon interprête de perfuader à Tes compatriotes, que s�ils bruloient ce génie de mauvaife augure, il pourroit rena�tre de fes cendres un autre monffcre qui leur feroit funefte; & que j�allois paffer le grand lac exprès pour les en délivrer. Il go�ta mes raifons, & moyennant la petite générofité, que je lui fis pour appuyer ma parole , la propofition fut agréée, & la peine du feu commuée en celle d�être af�ommé à coup de maffue ou de caffe-téte, mon but étant d�avoir le faux Dieu fans être mutilé, je fis encore dire qu�il falloit le livrer à mes gens qui l�étrangleroient : que fi quelqu�un de la Nation le tuoit, il pourroit lui en arriver malheur ; ils approuvèrent encore mes raifons qu�ils dirent être juftes. Enfin ils me i�abandonnerent, a condition que je 1 éloignerois de leurs terres. Il fut donc étranglé j mais n�ayant point d�efpric de vin ni d�eau de vie pour le con
222 Nouveaux Voyages ferver, j'ai été obligé de le faire d-ifféqusr pour pouvoir l�emporter en France , afin de fatisfaire votre curiofiré pour i�Hiftoire Naturelle (i).
Je vais finir cette Lettre par un autre trait de la fuperftition de ces Peuples, & du culte qu�ils rendent à des animaux affreux. En 1756, on vit arriver au Fort de Chartres, une députation des Sauvages appe�lésMiffouris (2) ; il y avoir parmi eux une vieille�femme qui paffoit pour magicienne. Elle portoit au tour de fon corps nud un ferpent à fonnettes tout vivant, dont la morfure eft mortelle fi l�on n�eft pas fecouru dans le moment.
Cette PrétreiTe de Satan parloit à ce ferpent, qui fembloit entendre ce qu�elle lui difoit : je vois bien, lui dit-elle , que tu t�ennuye ici, va , retourne à ton domicile , o� je te trou
(1 ) Le fquelete de ce monltre ou faux Dieu eft préfentement dans le cabinet de THiltoire Naturelle de M. Fayolles , Commis au Bureau des Colonies Fran�oifes de l�Amérique.
(2) Peuples litues à POuelt de la Louil�ane fur la riviere qui porte leur nom, & qui tombe dans le Millii�ipi.


aux Indes Occidentales. 223
verai à mon retour; auflit�t le reptile fe iauva dans le bois, & prit la route des Miflouris. Si j�avois voulu donner dans la fuperftition , ou dans le faux merveilleux, je vous aurois marqué que j�avois vu le démon apparoT tre à ces Peuples fous cette forme de ferpent. Nombre de Millionnaires nous ont perluadé dans leurs relations & lettres édifiantes, que le démon apparoifioit à ces Peuples, pour s�en faire rendre un culte d�adoration ; mais il eft aifé de voir qu�il n�y a rien en cela de furnaturel, & que ce n�eft qu�une pure charlatanerie.
�Au furplus, vous favez que tous les animaux, meme les plus féroces, s�apprivoifent avec l�homme ; je ne vous dirai point, fi le ferpent de la prétendue forciére s�eft rendu dans fon pays. Tout ce que je puis vous affurer, c�eft que j�ai toujours eu une grande antipathie pour ces animaux , & que mon plaifir eft, lorique j�en rencontre , de leur écrafer la tête.
Je me rappel!et qu�au village des Péanguichias, Naion alliée des Illinois ; il manqua d�arriver une terrible affaire à l�un de nos foldats ; étant
K iv
2 2j^. Nouveaux P oyages
entre dans une cabane, il y trouva un feipent vivant, qu�il tua d�un coup de hache , fans favoir que le ma�tre du logis en avoit fait fon Manitou, Le Sauvage arrivant dans le moment frémit de colere de ne plus trouver fon Lieu vivant, il affuroit que c�étoit 1 ame de fon pere qui étoit mort depuis un an ; qu�ayant eu le malheur de tuer d�un coup de fufil deux ferpens qui frayoient fur la pointe d�un cocher j il tomba malade, &: mourut peu de tems après.
L�imagination de ce vieillard étant troublée par l�ardeur de la fièvre , il croyoit voir les deux ferpens lui reprocher de les avoir tués, ce qui lui avoir fait recommander à fon fils en mourant de ne point faire de mal à ces animaux, dans la crainte qu�ils ne le fiffent mourir auf�i ( i ). Gomme je connoiffois déjà le génie de ces Peu
( i ) J�ai vu en France un payfan qui tua line chouette fur le to�t de fon voifin , Ton pere étant mort quelque tems après, il crut que c�ètoit �oifeau de mauvaife augure qui en croit la caitfe.
aux Indes Occidentales. 225* pies , je confeillai au foldat, que le Sauvage regardoit comme déicide, de contrefaire Pivrogne ou le fol, & de faire femblant de vouloir me tuer, de même que fes camarades : les Sauvages qui ne f�avoient pas que c�étoit une comédie, furent les premiers à crier que le guerrier blanc (j) avoir perdu l�efprit. Je leur demandai des cordes pour le faire lier ; comme je .paroiilois fort en colere contre lui, les Chefs & les guerriers vinrent me demander fa gr�ce., difant que cétoit un homme qui à force de boire, avoit perdu Pefprit que le même cas arrivoit quelquefois aux hommes rouges ; pour donner plus de couleur à 1 affaire , je me fis encore prier par la femme du Cacique à laquelle je fer�
, �n^s d acquiefcer par déférence pour fon fexe , que je refpeciois beaucoup.
Je fis préfent au ma�tre du ferpenc dune bouteille d�eau-de-vie pour noyer fa douleur. Les Sauvages ont une paflion exceffive pour cette liqueur; & ils font furieux lorfqu�ils en
(1 ) Ceft ainfi qu�ils appellent nos foldacs
K V
226 Nouveaux Voyages ont trop b�. Leur ivref�e étant paffée, ils difent que ce n�eft pas eux qui ont parlé ou agi, ils attribuent toutes leurs fottifes à l�eau-de-vie, & croyenc fe juftifier en avouant qu�ils ont perdu l�efprit. Si un Sauvage étant ivre en tue un autre , le coup n�eft point vengé. Mais ces Peuples ont l�attention de ne jamais boire tous à la fois, ceux qui font de fang froid retiennent les autres, & les femmes ferrent les armes offenfives & défenftves. On peut encore mettre feau-de-vie au nombre des fléaux qui ont caufé la dépopulation des Peuples de l�Amérique Septentrionale ; cette liqueur réduitThomme au rang des bêtes, & fouvent le met au tombeau. J�ai vu quelquefois des Sauvages étant ivres s�ailommer entre eux à coup de haches ou de mafliie.
Enfin me voici à la veille de mon départ des Illinois, Je compte être à la Nouvelle Orléans dans le courant
de Janvier 175*7 > �e ^ais Part*r préfente par une pirogue que M.^ de Macarty expédie pour porter fes dépêches au Gouverneur. Je fuis, M. êtc.
Aux Illinois le 10 Novembre \

aux Indes Occidentales. 227

LETTRE X. Au Meme.
VAuteur quitte les Illinois. Sa navigation en dejcendant le Miffiff�pi , il campe dans une ijle que jorme ce Fleuve, Ses Soldats Ven re�oivent _ Gouverneur.
Monsieur,
Vous me demandez fi les Sauvages ont parmi eux des Capitaines., & un Roi qui !es commande. Le rems que fai refté parmi eux me procure le plaifir de fatisfaire votre curiofité. Vous f�aurez qu�ils font divifés par Tribus ou Nations, dont chacune de gouvernée par un Cacique ou petit Roi, qui ne releve que du Grand Efprit, ou de l�Etre fuprême ; ces Caciques, en régnant defpotiquement , ont le fecret de fe faire refpeder, le aimer fans rendre leur autorité odieuie. Aui�� ont-ils la douce fatisfaciioa d�être regardés de leurs fujets comme desdemi Dieux,nés pour leur bonheur en.ee monde: car ils ont, pour les Peu
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228 Nouveaux Voyages pies de leursTribus,des entrailles depere, qualité qui les flatte plus que tous les titres pompeux , & tous le farte du Grand Seigneur ou du Grand Mogol. Ces Empereurs d�Af�e font en effet fouvent expofés, dans leurs vaftes Etats, à des révolutions, o� leur vie même n�eft pas en fureté, puifqu�on a vu des Rois leurs tributaires fe foulever contr�eux., & les mafiacrer avec toute leur famille.
Le crime de Leze-Majefté eft ignoré chez les Américains ; les Chefs ou Caciques vont par tout fans rien craindre. Si quelqu�un avoit la témérité d�attenter à leur vie, il feroit puni comme un monftre horrible, & toute la famille du parricide feroit exterminée fans miféricorde.
A l�égard des Capitaines ou Chefs de guerre, pour commander les armées contre les Nations ennemies ; cette fonélion n�eft exercée que par ceux qui ont donné, dans plufieurs combats, des marques fignalées de leur valeur pour la défenfe de la patrie ; & comme ces Généraux vont nuds, ainfi que les autres, les cicatrices qu�ils portent fur leurs corps


aux Indes Occidentales. 229 font les marques qui les diftinguent des autres, & leur tiennent lieu de brevet ou de provilions.
Les vieillards qui ne peuvent plus marcher en guerre , ne reftent pas pour cela inutiles à la Nation. Us haranguent le Peuple, qui les écouté comme des oracles. Tout fe fait par leurs confeils, & les jeunes gens difent qu�ayant plus vécu qu�eux, ils doivent avoir plus d�expérience & de fcience. Quand j�admirois l�efpéce de contentement dont ces vieillards j ouiffoient, ils me faifoient comprendre que puifqu�ils ne pouvoient plus fe battre pour la patrie, ils enfeignoient du moins, à la défendre. Audi les guerriers ne manquent jamais au retour de leurs expéditions militaires, de jetter une partie de leur butin dans les cabanes des vieillards Orateurs qui parleurs exhortations, ont excité leur valeur. C�eft aux plus anciens de la Nation qu�on donne les prifonniers de guerre. Us en font leurs efclaves. Les vieux guerriers qui ne peuvent plus aller en guerre , haranguent la milice. L�Orateur commence par frapper au poteau avec un caf�e-tëte,
\
/

2^0 Nouveaux Voyages il accufe tous les coups qu�il a fait à la guerre , c�efbàdire , la quantité de chevelure qu�il a levé fur différentes v ations, Les afliftans répondent en difant, hau , hau , c�eft-à-dire, cela eft vrai. Les Sauvages ont en horreur le menfonge, & dit'ent qu�un homme qui ment, eft un fanfaron & non un véritable homme.
Le vieillard Orateur commence fon difcours, & dit : � Si j�étois plus � jeune & plus vigoureux, pour vous � conduire à la guerre contre nos ente nemis, comme j�ai fait autrefois cc vous me verriez marcher fur la pointe te des pieds. Partez, mes camaraoo des, en hommes de valeur , ayez le oo c�ur du lion ; ne fermez jamais �a? vos oreilles, dormez comme les lié30 vres /marchez comme le-chevreuil, n�ayez point peur du froid , n�héfi30 tez pas de vous jetter à l�eau corn33 me un canard; fi vous êtes pourfuivis 3> cachez bien votre retraite. Sur-tout oone craignez point les flèches de l�en3:>nemi , faites voir que vous êtes de oovrais guerriers, & des hommes. Enfin 33(1 vous vous trouvés dans l�occafion 3oufez toutes vos flèches fur l�ennemi y
aux Indes Occidentales. 2 3 I *>& après foncez à coups de cafie-tête, �frappez,afibmmez jufqu�à extinétion;
1 vaut mieux mourir en combattant , x que de fe lai lier prendre pour être ^br�lés au quadre.
La harangue finie, le vieux guerrier préfente le Calumet au Tacha Min go y c�eft-à dire , au Général ou Chef de guerre , 6c à tous fes Officiers , qui fument chacun fuivant leur rang, 6c tous ceux qui n�ont point encore marché en guerre viennent fumer , comme pour s�enroller ; ils danfent la guerre, 6c après la cérémonie on diftribue la chair de chien , qui eft > comme j�ai déjà dit, le principal mets des guerriers.
M. du Tifienet m�a raconté l�hiftoire qui eft arrivée à fon pere , qui étoit un des premiers Officiers venu à la Louifiane , avec M. de Bienville� M. du Tifienet étant chez une Nation Sauvage avec des traiteurs fi)> les naturels du pays vouloient leur lever la chevelure ; M. du Tifienet
� �.�
(1) Ceux qui vont traiter des pelleteries ciu�oii échange contre des marchanddes d Europe.
/

2. J 2 Nouveaux Voyages avoit appris la langue en route, il entendit tout ce difcours , & comme il portoit perruque, il l�arracha de dei�us fa tête , & la jetta par terre , en difant en même-tems dans la langue des Sauvages : Tu veux donc ma chevelure ? ramaffe-là fi tu ofe le faire. L�étonnement de ces Peuples ne peut s�exprimer, ils demeurèrent comme pétrifiés ; il s�étoit fait rafer la veille. M. du Tifienet leur dit enfuite qu�ils avoient grand tort de vouloir lui faire du mal, qu�il venoit pour faire alliance avec eux, que s�ils vouloient, il feroit br�ler l�eau des lacs, & des .rivières pour les empêcher de naviguer , & qu�il embraferoit les forêts ; il fe fit apporter une gamelle, & y verfa de l�eau-de-vie qu�il avoit dans un petit baril, enfuite avec une allumette il y mit le feu ; les Sauvages, qui ne connoiffoient pas encore l�eaude-vie, furent étonnés, en même tems il tira de fa poche un verre ardent, & par le moyen du foleil, il vmitle feu à un arbre pourri. Ces Peuples crurent véritablement que cet Officier avoit le pouvoir de faire br�ler les rivières & les forêts > ils le ca
aux Indes Occidentales 253 refferent beaucoup, le comblèrent de préfents & le renvoyèrent bien efeorté pour qu�on ne lui f�t point de mal. Dep uis ce tems Al. de JSienville s�eft fervi de M. du Tiffenet dans pluf�eurs négociations pour contrarier des alliances avec les Sauvages.
L�aventure de Al. du Tiffenet me fait reffouvenir de celle d�un Italien delà fuite de Al. Tonty, alors commandant au Fort Louis des Illinois, cet Italien partit de ce porte par terre pour aller joindre Al. de la Salle, il lui auroit été fort utile en l�inrtruU fant de la route qu�il devoit tenir pour gagner le AliUirtipi, s�il avoit pu fe rendre allez*t�t auprès de lui; il fauva aurt� fa vie par un ftratagême alfez fingulier. Des Sauvages fe mettant en devoir de le tuer, il leur dit qu�ils avoient grand tort de vouloir faire périr un homme qui les portoit tous dans fon c�ur. Ce difeours étonna les Barbares, il les affura que s�ils vouloient lui donner jufqu�au lendemain , il leur feroit voir la vérité de ce qu�il avoit avan�oit, ajoutant que s�il les trompoit, ils feroient de lui tout ce qu�ils voudroient, U obtint
2.3 4 Nouveaux Voyages fans peine le délai qu�il demandent. Alors ayant ajufté un petit miroir fur fa poitrine , il alla trouver les Sauvages qui furent très-furpris de fe voir comme ils croyoient dans le c�ur de cet homme, & lui accordèrent la vie*
J�ai commandé, en defeendant, le convoi quavoit monté. M. Aubri� M. de Macarty m�a chargé de conduire à la Nouvelle Orléans les prifonniers Anglois faits par le Chevalier de Villiers, & Papapéchangouhia ; je me fuis h�té de me rendre à la Capitale avant la déb�cle des gla* ces qui fe détachent des rivières du Nord,& fuivent le courant; j�aurois couru rifque d�être arrêté, fi je n�euffe fait ramer de force, je me fuis fervi des priionniers Anglois pour relayer mes foldats. Comme dans ces fortes d�occafions chacun a un égal droit à la vie , les Officiers prêtent auffi la main pour encourager l�équipage.
Lorfque l�on a paffé les écorres (i)
(i) Ces écorres font les bords du MiiTiFfipi, qui font efearpés comme un mur de plus de 500 pieds de haut. Il y avoit autrefois en cet endroit le Fort Prud-homme^ nom

aux Indes Occidentales� à Prud homme , il n�y a plus d�écueils dans le Fleuve du Miffiffipi, & quand il y a plufieurs bateaux, on lesamare enfemble , & l�on dérive jour & nuit. Il y a feulement un homme au gouvernail , & un autre en avant de chaque bateau pour veiller au bois de dérive. C�eft un plaifir que de naviguer en defcendant ce beau Fleuve ; le chemin qu�on fait en trois mois & demi en le remontant, fe fait à la dérive en dix ou douze jours aux grandes crues d�eaux.
Je ne dois pas oublier de vous dire , que c�eft la coutume dans les voyages, que les foldats fouhaitent à la pointe du jour du premier Janvier la bonne année au Commandant de la troupe , & aux autres Officiers, qui y répondent d�ordinaire par une petite libéralité d�eau-de-vie� J�étois alors campé dans une ifte d�environ 2 lieues de tour, fituée dans un des bras du Miffiffipi, que je defcendois. Cette Ifle étoit toute couverte d�arbres de hautes futayes. Un foldat gafcon �c
d'un compagnon de voyage de M. Cav�lier de la Salle, ce Prud-homme étant mort en ce lieu, le nom lui en a reité*
2^6 Nouveaux Voyages facétieux * comme le font ordinairement tous ceux de cette Nation, infinua à fes camarades qu�ils pourroient avoir une furérogation d�étrenes , s�ils vouloient faire la cérémonie de me recevoir Gouverneur de l�Ifle. Le Sergent approuva cette idée bouffonne, & donna auffit�t fes ordres en conféquence. Il commen�a par graver fur l�écorce d�un arbre mon nom , fit charger les pierriers à poudre, & prendre les armes à la troupe. Le tambour bat un ban , & le Sergent, comme ma�tre de la cérémonie, �tant fon chapeau dit � De � par le Rot, tigres, ours, loups, b�ufs, cerfs, chevreuils, & autres 55 animaux de cette Ifle, vousrecon55 no�trez notre Commandant pour 55 votre Gouverneur, & vous lui obéi55 rez en tout ce qu�il vous comman55 dera pour fon fervice 55 ; enfuite un foldat mit le feu aux pierriers des bateaux qui furent accompagnés d�une falve générale de leur moufqueterie. Le bruit fub�t de l�artillerie donne l�allarme aux b�ufs fauvages qui fe jettent dans le Fleuve pour le traverfer à la nage, & gagner le continent;
aux Indes Occidentales. 237 les foldats courent après dans des pirogues , & en tuent quatre avec deux chevreuils qui abordoient terre, 3c qu�ils me préfenterent comme un droit feigneurial, ce qui m�obligea de féjourner en cet endroit pour y faire boucaner leurs chairs, à fufage du refte de notre voyage. Pour me prêter au badinage des foldats, que j�eus foin de bien payer d�abord, je voulus pénétrer dans l�intérieur de mon gouvernement; mais à peine avois-je fait une demi lieue, que je rencontrai un ours qui mangeoit tranquillement des glands fous un gros chêne ; je lui lachai mon coup de fufil ; mais la baie n�entra que dans le lard de cet ani mal, qui étoit exceflivement gras; dès qu�il fe fentit bielle, il voulut venir fur le coup , mais il fe trouva trop péfant de graiffe pour pouvoir courir; alors feignant de me fauver de lui, en l�attirant vers le cabanagede mes foldats ^ il en fut bient�t inverti, & puni comme criminel de félonie , & de rébellion. Us tinrent un confeil de guerre, o� le Sergent prélidoit. L�opinion du Caporal qui faifoit les fondions de Procureur du Roi, fut que pour ne point g�ter la belle peau de l�ours
038 Nouveaux Voyages qui s�étoit révolté contre fon Seigneur, il n�auroit que la tête caffée, ce qui fut exécuté ponéluellement*
Après quoi on l�écorcha, & fai pris fa peau qui eft très-noire, que je ne quitterai pas plus qu�Hercule faifoit la peau du lion de Nemée quil avoit vaincu.
Les foldats firent fondre fa graille dont ils tirèrent plus de cent vingt pots d�huile (1) ; vous f�aurez, Monfieur , que Tours fort de fa taniere aul��t�t que les fruits commencent à m�rir; il n�y rentre que lorfqu�il n�y en a plus. Il y refte jufqu�à la pro^ chaine récolte ; durant cet intervalle, il ne boit ni ne mange. Sa graillé étant le feul aliment qu�il prend en léchant fes pattes. Il eft dangereux de le rencontrer quand il eft maigre, & que Ton eft feul ; les Sauvages font un grand commerce de fa peau , &c font un regai de fes pieds & de fa langue boucanée, ils m�en ont fouvent régalé en voyage ; je les ai trouves fort bons*
1 " ""
(1) L�huile d�ours eft très-bonne à manger, on s�en fen à la Louif��ne pour les falades, la fr turc , & pour des fauces, on la préféré même au fain-doux,



aux Indes Occidentales.
J�adreffe la préfente à Campcche , à M. d�Arragory, Agent de la Marine de France, qui la fera paffer à Cadix, d�o� elle vous parviendra plus furemenr que par nos vaifleaux; l�Efpagne n�étant point en guerre avec l�Angleterre ; je ne vous écris pas par duplicata, d�ailleurs j�efpére partir pour l�Europe dans le mois d�Avril prochain. Je fuis, Monfieur, &c.
A la Nouvelle Orléans le 2$ Février
*757
LETTRE XI
Au Meme.
VAuteur part pour VEurope. Il combat en route un Corfaire Anglois. Il s'embarque au Cap-Fran�ois fur une flote de 26 VaiJJeaux Marchands qui furent prcfque tous pris à (a vue par les Corfaires. Prife d'un petit Navire ennemi. Son arrivée à Bref.
M
QNSIEUR,
N�ayant trouvé aucun vaiffeati pour repaffer en France, j�ai été obligé de m�embarquer fur le Bri


S. 40 Nouveaux Voyages
gantin Y Union , armé en guerre, & commandé par le Capitaine GauJean , connu pour avoir pris cinq B�timens aux Anglois, depuis la guerre, dans fa route de France à la Louif�ane.
Nous f�mes voile de la Balife le premier Avril 175*7 , pour le CapFran�ois le 20 Mai, étant à la vue de l�Ifle Turque, nous apper��mesun VaifTeau que nous juge�mes être ennemi il nous donna la chafl'e pendant la nuit, & comme il étoit bon voilier, au bout de trois heures nous nous trouv�mes bord à bord; le Corfaire Anglois nous falua d�un coup de canon à boulet, & nous cria en même tems de nous rendre au Koi d�Angleterre; à quoi nous répond�mes par toute notre bordée, accompagnée d�une falve de moufqueterie; enfuite je lui criai avec un porte-voix d�amener fon pavillon pour le H oi de France, fans quoi on le couleroit bas ;
� le Corfaire Anglois fentit bien qu�il avoit à faire à un marchand de boulets, il s�efquiva., & gagna les récifs ou écueils, qui font aux environs de l�Ifle Turque , pour nous attirer dans
le

aux Indes Occidentales. 241
fes parages, & nous faire échouer. Mais le Capitaine prudent, d�ailleurs bon marin, pénétra le piège qu�on vouloir lui tendre. Au lieu de fuivre le Corfaire il fit route pour fa deftination, & nous arriv�mes heureufement dans la rade du Cap-Fran�ois le premier Mai. Nous y avons trouvé PEfcadre de M. de Beaufremont def* tinée pour aller au fecours du Cana� da ; elle avoit amené M. de Bart , nommé par le Roi, Gouverneur & fon Lieutenant Général dans l�Ifle de Saint Domingue. Mes premiers foins en descendant j furent d�aller lui rendre mes devoirs. Ce Général toujours difpofé à rendre fervice aux Officiers infortunés prévint mes befoins en me faifant partir quatre jours après, & pour m�épargner les frais que j�aurois été obligé de faire en fêjournant dans cette Ifle , il me procura mon paffage aux frais du Roi par l�occafion d�une flote de vingt-fix vaiffeaux Marchands, qui partirent pour la France fous l�efcorte de M. de Beaufremont, qui les débouqua jufqu�aux If�ès Cayques s o� il les quitta pour aller à , L Partie� L
Nouveaux Voyages fa deftination , fuivant les ordres de la Cour.
Je vous dirai, Moniteur, que favois choifi par prédilection un navire de Bordeaux nommé le Soleil, commandé par le Capitaine Odouoir, { à Fimitation des Sauvages qui font leur Dieu de cet Aftre. ) l�événement m�a montré que j�avois bien pente en lui donnant la préférence , puisque les vingt-fix vaiffeaux Marchands qui compofoient cette flore, ont été prefque tous pris à ma vue. Il ne s�en eft rendu en France que quatre, dont le Soleil eft le premier ; il eft arrivé à Breft en quarante cinq jours de traverfée apres avoir pris un vaifleau Anglois àlahauteur du banc de Terre-Neuve. Je fuisdefcendu à Breft le 15 Juin 17^7; je fus rendre aufil-t�t mes devoirs à M. le Comte du Guai, commandant la Marine en ce Port; j�allai enfuite faire une vifite à M. Hocquart, Confeiiler d�Etat & In~fendant de la Marine en ce département, à qui j�appris la mort de M. d�Auberville , qui avoit remplacé par intérim M. Michel de la Rouvilliere . CommifTaire général de la Marine ,

Nouveaux Voyages 24^ & Ordonnateur de la Louif�ane. 1VL Hocquart étoit connu par fa probité lorfqu il étoit Intendant de la Nouvelle France. Il eft confiant qu�il en revint endetté de 40000 liv. que Sa Majefté, contente de fes (ervices, lui a pafléesen gratification : bel exemple pour M. Bigot fon fucceffeur ; mais s�il n�a pas rapporté des tréfors de fon adminillration il a eu du moins la fatisfaéiion de paffer pour un des plus galants hommes de fon état: il a été regreté de tous les Canadiens, meme des Sauvages,qui, comme j�ai déjà dit, diflinguent la vertu.
Sur l�aveu que je fis à cet Intendant, que j�étois fans argent pour me rendre à la Cour 3 il eut la bonté de m7en faire donner par M. Gaucher * Commis du Tréforier général des colonies. Indépendamment de cela il m�a invité à manger chez lui pendant mon féjour en cette ville, d�o� je compte partir le vingt-deux de ce mois* Vous ferez peut-être furpris , Moniteur, d�apprendre que dans l�intervalle de huit mois de tems j�ai vu deux rhivers, deux étés., & deux printems en voici Implication. Je vous


244 Nouveaux Voyages ai mandé que j�avois quitté le pays des Illinois à la fin du mois de Décembre 17y<5, o� le Mift�fi�pi commen�oit à charier des glaces, & qu�ayant descendu ce grand Fleuve, j�arrivai au mois de Janvier 175*7 > à la Nouvelle Orléans, dont le climat eft comparable à celui des Mes d�Hiereso� .notre Régiment étoit en 1744. C�eft le tems des jardinages. Je partis de la Louifiane le premier Avril 175*7, pour le Cap-Fran�ois, o� j�arrivai le premier Mai � j�y trouvai l�Eté; je m�embarquai le quatre pour l�Europe, & après le débouquement du canal de Bahama , on trouve le printems ; Faifant route fur le grand banc de TerreNeuve , nous apper��mes le vingtdeux, au Soleil levant, une montagne de glace flotante, que nous pr�mes d�abord pour une voile; mais nous uge�mes, parla fra�cheur de l�air, que c�étoit une glace qui s�étoit détachée de la mer glaciale. Le 15' Juin 1757 , nous arriv�mes à Breft , o� nous trouv�mes l�Eté. Ce cas eft aftez extraordinaire. Je fuis j Monfieur, &c.
A Breft le 18 Juin 1777.
� Fin de la premiers Partit�
NOUVEAUX
VOYAGES
J U X
INDES OCCIDENTALES;
SECONDE partie.

NOUVEAUX
VOYA GES
AUX
INDES OCCIDENTALES;
Contenant une Relation des dijjerens Peuples qui habitent les enviions du grand Fleuve Saint-Louis, appellè vulgairement le Mi ff�JJipij leur Religion, leur gouvernement j leurs m�urs j leurs guerres & leur commerce.
Par M. BOSSU,
Capitaine dans les Troupes de la Marine�
SECONDE PARTIE.'*" SECONDE ÉDITION�
A PARIS,
Oit2 L a J A^Y , Libraire, Quai de Gêvrcs
Grand Corneille.
JVL DC C. LXVIII.
Avec Approbation Privilège du Roi,


nouveaux
VOYAGES
AUX
INDES OCCIDENTALES.
4 �
LETTRE XII.
; � � ^
Au Meme. *
*, �
�
Uauteur arrive à la Cour, y re�oit une gratification du Roi avec ordre de Je � Tendre à Rochefort� Il s'y embarque * pour la Louijiane.
?
M ONSIEUR,
Me voici encore une fois arrivé à Rochefort , o� je m�embarquai il y
IL Partie, A
a Nouveaux Voyages a huit ans pour la Louifiane. Je reviens de la Cour , o� j�ai préfenté à M. de Moras, Controleur Général 8c Miniftre de la Marine , la lettre du Gouverneur qui expofe les motifs de mon voyage; Il a eu la bonté de me parler dans fon cabinet en préfence de M. de la Porte Chef du Bureau des Colonies, Il m�a queftionné fur l'etataétuel de la Louifiane. J ai alluré ce Miniftre, que j�avois lail�é dans nos intérêts toutes les nations de ce vafte Continent que j�avois parcourues, 8c que les Cheraquis étoient venus irai* ter de paix avec les Fran�ois. Il me demanda aufli fi jepenfois que laCoiolonie p�t être attaquée. Je lui répondis qu�il n�y- avoit pas- d�apparence que les Anglois y fongeaftent a caufe de la difficulté de pénétrer dans le Pays par rapport a l�entreede la 5alife j enfin que la Colonie n�avoit pas befoin d�autres fortifications que .de celles qu�elle tenoit de la nature.
M. de Moras me fit accorder par le Roi une gratification de IOOO hv. pour me mettre en état d�aller aux eaux qu�exigeoit le rétabliflement de ma fanté ; après quoi je re�us ordre

peite de terns polu-m�embarquer ; nous comptons mettre à la voile fit�t que
6 Cwn v-2?de rIne R�yale fera expédie', , . u*s -^mbuto , Intendant de
a Atr,re�J fuccédéàM�le Normant de Méfi. Sa Majefté ne pouvoit faire1
un meilleur choix, tant par fa capacité, Ion intégrité, que par fou 2èle pour les intérêts du Roy , dans cette place importante ; cet Intendant m�a tait les memes avances que me fit il ya 7 ans fon Prédéeeffeur. Je fuis, M. &&
J '-f i
Rochefort le 12 Septembre 17yy;

A �r



Nouveaux Voyages

LETTRE XIIJ,
Au Même.
VAuteur part de Rochefort, Rencontre de trois vaijfeaux Marchands Anglois, pris par M. de Place , dont un fut br�lé & l'autre coulé à fond 11 rel�che à l�ife de la Grenade. Navigation près de la Jama�que.
M ONSIEUR,
Je vousavois mande deRochefoit, due nous comptions partir en Décembre 175-7 ; mais le convoi deftiné au fecours de l�Ifle Royale, ayant été, en partie, pris par la flotte �ngloue , il a fallu en armer un autre. Pendant ce tems une efcadre de dix gros vaifleaux Anglois , ayant donné l�allarme lur les C�tes d�Aunis , cela nous a retardé jufqu�aumois de Mai. Cette Efcadre
I
àiix Indes Occidentales. f étant difparue nous avons appareillé le io du meme mois.
J�étois embarqué fur la fl�te du Roi nommée la Fortune avec Monfieur de 'Rochemore Commit faire Général de la Marine , & Ordonnateur de la Province de la Louif�ane. M. de Place , Capitaine devaiffeau > commandoit l�Eopalme 3 Frégate de 30 canons , deftinée à nous convoyer ; nous trouv�mes en route trois b�timens Anglois, qui ne nous co�tèrent que trois coups de canon. M. de Place en fit couler un à fond, & br�ler P autre après en avoir enlevé les équipages & les effets. Quant aia troifiéme , il venoit de la C�te de Guinée ; il étoit richement chargé., 8c av�ita fon bord 4,40 Negres qui furent vendus en partie à la Grenade. Le Baron de Bonvouft qui vient d�en être nommé Gouverneur , nous a comblé de politeffe & de générof�té pendant notre féjour en cette Ifle , o� nous fommes reliés jufqu au 24 Juillet , jour auquel nous avons appareillé pour la Louif�ane , faifant route en dehors de la Jama�que pour éviter les gros vaiffeaux ennemis qui ne vont
A iij


G Nouveaux Voyages Jamais dans ces parages ; nous avons fait cette route pour tromper l�Efpion^ & nous fournies arrivés à bon port le � 2 Ao�t à l�embouchure du
Miffiff�pi.
M. de Rochemore ( i ) � Ordonateur intègre^ extrêmement zélé pour les intérêts du Roi aura bien de la peine à réformer les abus qui fe font multipliés, depuis la guerre,, dans cette colonie& je i�ài prévenu pendant la traverfée , qu�il feroit tracaffé dans fonadminiftration; tout ce que j�avois P revu s�en eft enfuivi, & par les mêmes vaiiTeaux qui nous ont amené , on a prévenu la Cour contre lui pour le deftituer de fa place. A peine ai-je été arrivé à la Nouvelle Orléans, que le Gouverneur m�a notifié l�ordre de nie préparer pour aller en détachement chez les Allibamons , nation fauvage à 2yo lieues de la Capitale. Je profite de l�occafion des vailfeaux du Roi qui partiront à la fin de l�année * &je vous écris par duplicata,afin que
K t \ t ^ ; �
[ 1 ] Frère de M, de Rochemore actuel* lement Chef d�Efcadre.


aitx Indes Occidentales. il un vaiffeau vient à être pris, l�autre puiffe arriver. Lofque je ferai inftruit des m�urs des peuples que je vais parcourir, & qui font à l�Eft de la Nouvelle Orléans, je vous ferai la defcription de ce Pays qu5on dit être très-' beau �c très-bon.
A la Nouvelle Orléans les 10 No>* vembre I7JS.
-LETTRE XIV.
Aa Même.
L'Auteur part de la Nouvelle Orléans pour les Allibamons. Sa navigation fur le Lac Pontchartrain. Courte def~ cription de la Mobile.
M
ONSIEUR,
Je pains de la Nouvelle Orléans le i�g Decembie conformement aux ordres de M. de Kerlerec pour me rendre au Pays des Allibamons. Je
A iy


g Nouveaux Voyages
fis voile du Bayouc-S. Jean, petit port
fitué fur le lac Pontchartrain ; il y
a un portage d�environ un quart de
lieue de la Nouvelle Orléans pour
�
entrer dans ce Bayouc ( i) > qui a a deux lieues de long ; les vents nous furent favorables , 3c j�arrivai le 20 Décembre à la Baye , de au port de la Mobile , éloigné de la Capitale de jo lieues.
La Mobile étoit autrefois le premier établiflement de la Louifiane ; le Gouverneur, l�Ordonnateur, 1 Etat Major y réfidoient. Le Confeil fupérieur y tenoit fes féances. ^
Il y a un Fort a fiez régulier, il peut réfifter à une armee de Sauvages; mais les Européens l�auroient bient�t pris. Ce Fort eft afiis fur une baye que la mer refoule ; il eft entre deux rivières , dont l�une qui eft petite s�appelle la rivière de Ohaéiaux; l au tre plus considérable que n�eft �a Seine devant Rouen s�appelle Mo
(i)Efpece de petit canal ou la mer refoule.

aux Indes Occidentales. $
bile ; elle prend fa fource dans les montagnes des Apalaches ; celle-ci eft le rendez-vous de tous les Sauvages qui habitent la partie de l5 Eft. Ils y viennent recevoir les préfents que le Roi leur fait diftribuer tous les ans par le Gouverneur. Le fol des environs de la Mobile , eft un fable gros ^ néanmoins le bétail y vient très-bien , & les troupeaux y multiplient beaucoup ; les habitans y font fort laborieux ; ils font le commerce avec les Efpagnols. Du Préfide de Penfacola pays voifin de ce porte , ils viennent chercher des falaifons de b�ufs, des volailles, du bled d�Inde > du ris & d�autres denrées* Les Mobiliens font aulli le commerce de gaudron. Quant au commerce de pelleteries avec les fauvages, les traites en font accordées à des Officiers,qui font ce commerce exclufivement * contre les intentions du Roi.
Ii y a dans ce porte du laurier blanc & rouge , & du merifier. On y trouve de deux fortes de cèdre, du blanc & du rouge ; ce dernier effi très-beau pour les ouvrages de marqueterie �
A v
xa Nouveaux Voyages
fon odeur chaffe les infeétes : en un mot , il eft incorruptible. Il y a dans les forêts plulieurs bois inconnus en Europe , & d�autres qui abondent en gomme femblable a delatherebentine. On y trouve des cyprès fi gros, que les Sauvages en font des pirogues d�une feule pièce qui peuvent contenir jufqu�à do hommes.
Voici comment les fauvages conftruifoient leur manne avant 1 anivee des Fran�ois à la Louifiane. Ces peuples alloient fur le bord des �ivieies qui font en grand nombre dans cette vaffce région , & qui par leur rapidité , déracinent les arbres qui les bordent ; ils prenoient leurs dimensions pour la groffeur & la grandeur qu�il leur falloir ; après quoi ils mettoient le feu deffus ,. & a mefure que l�arbre br�loit , ils enlevoient le charbon avec une pierre à fufi� ou àflêche.&lorfqu�ils l�avoient alfez creufé , ils le mettoient à flot t les Sauvages font très adroits à conduire ces petits b�t�mens fur les lacs & les rivières, Ils s�en fervent pour la guerre , & pour voiturer les pelleteries & la viande boucanée qu�ils rap
aux Indes Occidentales. j i portent de la chalTe.
Voici encore comme ils faifoient leurs outils & leurs armes pour la guerre : ils choifi/foient pour cet effet un arbriffau auquel ils faifoient une fente avec une pierre à fulil d�un caillou aigu , & tranchant comme un rafoir , après quoi ils mettoient dans cette fente ou incifion une pierre taillée en forme de hache : & à mefure que FarbrifTeau croil�oit , la pierre fe trouvoit enchaffée & inféparable du jeune arbre , enfuite ils le coudoient pour s�en fervir au befoin ; ils faifoient de même des lances & des dards. Ils avoient des malfues d�un bois fort dur.
A l�égard des �nftrumens d�agriculture , ils ne faifoient ufage que des �s d�animaux, ou de bêches de bois tres-dures ; la terre eft extrêmement fertile par toute l�Amérique : les herbes y viennent hautes & touffues, & lorfque l�hiver ou la gelée les a féchées., ils y mettent le feu, puis ils bêchent & enfemencent les terres, & trois mois après ils font la récolté.
Elle, conhfte en bled d�Inde ou de Turquie', millet . feves & autres léau
A vj
12 Nouveaux Voyages mes, des patates � des piftaches, des melons d�eau; les citrouilles font aufl� très-communes , & les habitans du pays les appellent Giromonds.
Quant aux uftenfiles de cuifine i ils faifoient des plats de des pots de terre , ou des gamelles de bois. Ils faifoient des taffes avec des callebaffes de des micouenes ou culieres avec la corne d�un b�uf fauvage qu ils fendoient par le milieu ., de les ajuf* �oient par le moyen du feu. Dès que nous aurons ramafle les vivres nécefTaires pour notre voyage de pour la garnifon du Fort des Allibamons � nous partirons , M, Aubert de moi , avec un bateau armé de foldats de de Sauvages Mobiliens qui fe font loués pour ramer en route. M. Aubert , quoique Aide-Major de la place de la Mobile , a été nommé par M. de Kerlerec pour commander le Fort Touloufe aux Allibamons , ce qui eft contre l�ordonnance du Roi qui défend aux Majors & Aides-Majors, de faire d�autres fondions que celles de la place à laquelle ils font attachés*
S�il arrive des vaiflaux d�Europe * je recevrai peut-être de vos lettres*



aux Indes Occidentales. 13 M. de Velle qui commande ici , aura la bonté de me les faire paffer par le premier convoi. Je fuis, Monfieur, &c.
A la Mobile le 6 Janvier 175p.
ma i'ii
9
LETTRE XV,
Au Même,
VAuteur part de la Mobile pour les Allibamons. Ample defcription desm�urs de ces Peuples. Leur maniéré de punir U adultéré,
M ONSIEUR,
Me voilà arrivé au Fort Tou�oufè chez les Allibamons. J�ai refié yo jours en route , parcequ�en m�embarquant dans la faifon des pluyes , j�ai vu la rivière des Allibamons s�enfler quelques fois de 12 à 1 y pieds; cette fubite inondation procédoit des orages qui font fréquents dans cette,
14 Nouveaux Voyages contrée à caufe des hautes montagnes qui bordent la rivière.
Il nous a fallu voguer contre la rapidité du courant , de forte qu�il y a eu des jours que nous ne faifions qu�une lieue ; on ne peut aller à la voile à caufe des bois , des montagnes & des finuofités de la riviere \ on ne va que terre à terre , ou le long du rivage. Il arriva un jour que mon bateau fe trouva afourché fur un arbre ( i ) qui étoit fubmergé , & la nuit étant furvenue, il fallut attendre au lendemain. Mais comme cette rivière monte & defcend fuivant l�orage , je me trouvai fur l�arbre en [Pair avec mon bateau. Il ell: bon de dire que nous n�étions tncore quà 2 y lieues de fon embouchure ; les Sauvages Mobiliens qui m�accompagnoient me raffurerent en me difant que je ne devois nullement m�épouvanter de cet accident >
- - � - ' - � -- T i, -, - y-,
[ i ] Il y a des cyprès fi gros fur le bord des rivières, que dix hommes auroient peine à les embraffer, ce qui fait voir la bonté & la fécondité de fon terroir, qui eif des plusfai ns du monde.

aux Indes Occidentales. IJT qu�il falioit attendre l'heure de la marée ; effectivement, la marée ayant refoulé la riviere qui fe décharge dans la baye de la Mobile, mon bateau revint à flot. Vous voyez, Moniteur , par ce récit , qu�il y a bien de la différence entre les rivières de l�Amérique & celles d�Europe.
M. Aubert étant tombé malade en route� je l�engageai à rel�cher à la Mobile pour fe rétablir : il s�eft enfuite rendu ici à cheval à travers des forêts de fapins � qui font fort claires. M, do Montberaut doit lui céder le commandement fuivant l�ordre du Gou-< verneur, après qu�il aura refié trois mois en ce pofte pour le mettre au fait du local du pays. M. de Montberaut ( 3 ) jouit d�une grande réputation parmi les Sauvages de ce canton* qui l�appellent l�Homme de valeur * c�efl>à-dire Héros ou homme par excellence ; il s�efl: difiingué parmi ces peuples par les harangues fpirituelles qu il leur faifoit d� une maniéré très
(i) Cet O�cier eft frere de M. le Comte de Montaut, attache � M. le Dauphin.
� 6 Nouveaux Voyages analogue à leur génie. Cet Officier ayant été tracalfé par les Jéfuites * demanda Ton rapel ; & il a eu pour fucceffeur le (leur Aubert , frere du Pere Aubert, Jéfuite & Millionnaire à la Louif�ane. M. de Montberaut eft ennemi déclaré de ces Millionnaires ; le Pere le Roi , dans le tem s qu�il étoit aux Allibamons, écrivit au Gouverneur contre cet Officier à qui cette lettre fut remife par le foldat qui en étoit porteur ; ce Commandant vit depuis le Jéfuite qui lui fit beaucoup de politeffes fuivant la politique de ces bons Peres ; cet Officier lui demanda s�il n�avoit point écrit contre lui ? Le Jéfuite ne fachant pas que fa lettre étoit entre fes mains, lui protefta furtout ce qu�il y a de plus facré , que non. Alors le Pere 3e Roi fut traité de fourbe & d�impofteur par M. de Montberaut qui lui montra auffit�t fa lettre , puis alla l�afficher à la porte du Fort en la conf�gnant à la fentinelle ; & tant qu�il a refté ici j il n�y a plus eu de Jéfuite Millionnaire aux Allibamons.
Je vais encore avoir fujet de m'étendre fur les Sauvages de la Loui

aux Indes Occidentales. 17
liane , en parlant ici des Allibamons, des Taskikis, des Outachepas J des Tonie as, des JCtfozryf�r ^ des Abékas des Talapouches , des Conchakis , & des Pakanas, dont les m�urs ont beaucoup de reffemblance les unes avec les autres. Ces Mations enfemble peuvent former 4000 guerriers , ce font des hommes d�une belle taille ; ils habitent fur le bord des rivières ; auffit�t qu�on eft arrivé chez ces peuples qui font fort affables ^ ainfi que leurs femmes dont la plus part font très-belles, ils viennent vous recevoir à l�endroit du débarquement, en vous donnant la main , 6c en vous préfentant le calumet. Lorfque vous avez fumé , ils vous demandent le fujet de votre voyage , 6c le tems que vous avez misen route : enfuite fi vous comptez refter longtems chez eux , fi vous avez une femme 6c des enfans : ( 1 ) ils s�informent aufll de la
[ 1 ] La politeffe des Sauvages eft de vous offrir des filles , en conféquence les Chefs hatanguent le matin par le village en ces termes? �> Jeunes gens & guerriers} ne foyez point
�l 8 Nouveaux Voyages guene du Canada , demandant en même tems des nouvelles du Roi leur Pere. Ils vous apportent après cela à manger , de la fagamité compofée de mahis concai�e, autrement dit bled de Turquie. Ce bled a bouilli dans de l�eau, le plus fouvent avec de la viande de Chevreuil. On vous fert auffi du pain de la même farine , qui a cui fous la cendre , des poulets d�Inde r�tis, des grillades de Chévreuil , des begnets frits dans l�huile de noix, des ch�taignes, dans leur tems, cuites dans de l�huile d? ours des langues de Che � vreuil, des �ufs de poules 3c de tortues.
Le fol de la Louif�ane refTemble * vers le bas de la colonie, à celui de l�Egypte lorfque le Nil a débordé ; il eft
� fols , aimez le Ma�tre de la vie ; � chaffez pour faire vivre les Fran�ois qui � nous apportent nos befoins ; & vous jeunes � filles , ne foyez point dures ni ingrates de � votre corps , vis-a-vis des guerriers blancs � pour avoir de leur fimg; c�ell par cette al� fiance que nous aurons de fie (prit comme � eux , 6c que nous ferons redoutés de nos ennemis.
\

aux Indes Occidentales. �y excellent, fur-tout dans la contrée des peuples dont je parle. Il rend abondamment tout ce qu�on y feme. Les inelons y font d�une groffeur extraordinaire j fucculens, 3c en grande quantité; il y a beaucoup de melons d'eau <jui font fi délicieux qu�on en donne aux malades pour étancher la foif dans l�ardeur de la fièvre ; les Giromonds fout plus délicats que nos citrouilles, U y a des patates en quantité. La patate eft une efpéce de pomme de terre, que les Européens aiment beaucoup 3c qui a le go�t de la ch�taigne cuite fous la cendre chaude.
Les Sauvages fe contentent ordinairement d�une feule femme, dont ils font excefl�v�ment jaloux. Quand un Sauvage pafi'e par un village, & qu�il ira point de femme , il loue une fille pour une nuit ou deux, félon fa fantaifie , 3c les parens n�y trouvent rien à redire ; ils s�inquiettent fort peu de leur fille , difant pour raifon qu elle eft libre de fon coi ps ; les filles Sauvages n�abufent point de la liberté qu�elles ont:aufl� trouventelles leurs intérêts à paro�tre modeftes
20 Nouveaux Voyages pour être recherchées en mariage � mais à l�égard des femmes, ils difent que par le mariage, elles ont vendu leur liberté, & qu�ainfi elles ne doivent point avoir d�autres hommes que leur mari. Pour eux, ils fe réfervent ie droit d�avoir plufieurs femmes ; un homme parmi ces Peuples a 3a liberté de quitter fa femme, mais cela n arrive guères ; fi une femme eft furprife en adultère , le moindre mal qui lui puiiTe arriver , c�eft d�être répudiée. Alors le mari abandonne la cabane ; s�il a des enfams , il fe charge des gar�ons, 3c la femme des filles; la femme doit cependant refter un an veuve , aulieu que le mari peut fe remarier d�abord. Il peut reprendre fa femme ; c�eft pourquoi elle ne doit point convoler à de fécondés noces avant l�année révolue.
Le mariage des Sauvages ^ comme je Fai déjà dit, tient de la (impie nature, 3c n�a d�autre forme que le mutuel confentement des parties. Le futur époux fait des préferrts en pelleterie, & en vivres à la cabane du pere de fa prétendue ; les prefents agréés , on fait un feftin o� le village eft convié ; ap^ès le repas oa

aux Indes Occidentales. 2 r danle , on chante les exploits de guerre des ancêtres du marié. Le lendemain , le plus ancien vieillard préfente la nouvelle mariée aux pareils e Ion mari. Voila toute la cérémonie du mariage. Tous les Sauvages tirent leurs origines du c�té des femmes j la raifon qu�ils en allèguent , c elt, difent-ils, qu�il eft certain que enfant vient de la femme, & parconlequent, ajoutent-ils.il fort de la bonne louche , aulieu qu�ils ne font pas furs s il vient d�eux. Ceux qui font bons guerriers & bons chaffeurs , choif�ffentles plus jolies filles; les autres n ont que le rebut & les laides. Les filles prévenues qu�elles ne feront plus manrenes de leur c�ur dès qu�elles feront mariées , feavent en di/pofer a leur avantage ; car quand elles ont une fois un mari, il n�y a plus d�amourettes ; leur occupation dans le ménagé , eft d apprêter le manger de leur mari , de paffer les peaux de faire des fouhers, de filer de la laine des b�ufs fauvages.de faire des vans & de petits paniers ; elles font fort adroites & fort induftrieufes.
vVoici comme ils puniffent l�infide'
Nouveaux Voyages
lité de leurs femmes ; il faut premier rement que le mari en foit bien affuré par fes yeux, & alors la fem-* me délinquante eft épiée par les parents du mari, & par les fiens propres. Le mari auroit beau vouloir garder fa femme infidelle , il n en fe�roit plus le ma�tre : en voici la raifon, c�eft que ces Sauvages regardent comme indigne,, diferit-ils , d un véritable homme d�habiter avec une femme qui lui a manqué aufll eflentiellement. Dans une telle conjoncture, le mari va trouver le Cacique* &c lui conte le cas. Le Chef alors commande du monde pour aller couper des baguettes ; on garde un grand fecrét. Le Chef ordonne enfuite une danfe * o� tout le monde eft obligé de fe trouver , hommes, femmes f filles & gar�ons ; fi l�on y manque * l�on eft mis à l�amende ; mais peH fonne ordinairement ne s abfente � au moment que la danfe eft le plus animée j on prend la femme adultère , on la jette par terre , & puis on la frappe fur le dos, fur le ventre, fans l�épargner. Celui quil�aléduité , éprouve le même traitement*

aux Indes Occidentales. xy
c a?U?n.^ ces malheureux ont été bien fuitigéSjil furvient un parent de chaque coté, qui met un b�ton à travers les flagellés, & les flagellans. Dansl�inftant tous les coups ce/Tent ; mais la lemme n�en elt pas quitte ; le mari vient qui lui coupe les cheveux ras de la tête, [ i ] & puis il ]ui fait fes reproches en préfence de l�alfemblée; c eft-a-dire , il lui repréfente , qu�elle a bien eu tort d�agir comme elle a tait avec lui , ne l�ayant jamais laifle manquer de rien , que puifqu�il en elt ainfi, elle peut aller avec fon féduéèeur. On lui coupe à lui tout 1� tour des cheveux trelfes , qui tombent partie fur le front de ces Peuplesj après cela, on lui dit.en lui montrant la femme infidelle , voilà ton epoufe. Il eft le maitre de l�epoufer lur le champ ; mais il eft obligé de changer de village;
Lorfqu�il arrive qu�une femme débauche le mari d�une autre, les femmes sa.iemblent entr�elles avec des
i (0 Les femmes Sauvages clieveux trefles à l'Allemande.
ont de grands,


/
24 Nouveaux Voyages b�tons longs comme le bras & vont trouver la coupable qu elles battent fans miféricorde, ce qui fait^beaucoup rire les jeunes gens; a la fin s ils n arrachoient les b�tons des mains de ces furieufes, elles tueroient la malheu
reufe coupable. t
Les feuls arts qui font 1 ambition
des Sauvages, confiftent dans la médecine , la guerre , la chafie & la peche. Ils -élevent très - durement leurs enfans ; les font baigner & nager dans fhyver dès la pointe du jour ; enluite les jeunes gens viennent d�eux-mémes fe préfenter devant le Chef de gueire qui les harangue, leur difant qu ils ne doivent jamais avoir peur de 1 eau, qu�ils peuvent être pourfuivis parleurs ennemis , que s�ils font pris ils font mis au cadre , & br�lés vifs, que c eit alors qu�ils doivent prouver � en ne pleurant pas, qu�ils font de venta-
blés hommes f i !� _ . . ,
La harangue fini� ,J le Cher leur
f 11 Les Sauvages doivent fupporter leur malheur avec une Confiance héro�que pour faire paffer leur valeur alapofterite,

_ aux Indes Occidentales. 2 r tait des Scarifications aux cui/Tes, à Ja poitrine, fur le dos , afin de les endurer au mal, enfuite il JeUr donne de grands coups de colier, [ 1 ] après quoi les jeunes gens vont prendre rang parmi les Guerriers ; & lorfqu�ils le ont ignales a la guerre par quelques belles �étions , on leur pique Vs niarques, comme je vous l�ai expliqué a 1 article des Illinois. ^ H
Les enfans à la mamme�e font bai
gnesenmver dansl�eaufroide.&lorf
quds deviennent grands , on Jes fait coucher fur la dure. Comme les Sau
c�eft naa�ment bea,UcouP Jeurs enfans. c eft Pai cette raifon qu�ils les accou_
tument de bonne heure à la fatigue u*
plient aufli que l�habit ude eft une��.
�onde nature. Il e/l vrai ,�e fct
SSaquUfrotini�q�en�fe P Y P'�! k"mains. ' q� ,e vlf=S= & ta
Lh vieillards qui ne peuvent Cuivre dans une retraite . demandent à être
(O II ertfait de lanières de cuir, larve*
�oT,�,S?e�1
ya0e, c eft une forte de bretelle.
Seconde Partie. g
%
'
2 5 Nouveaux Voyages affommés à coups de maffue, tant pour leur épargner le chagrin de la décrépitude ,�que dans la crainte de tomber entre les mains- de leurs ennemis:, &2 d�en être br�lés, ou mangés; car les Sauvage sdansleurs guerres,maflacrent hommes, femmes & même les entants à la mammelle ; c�eft encore une cauia de la dépopulation de l�Amérique * jointe à la petite vérole , maladie pèi
rilentielfe chez les Sauvages. � _
Il eft bon de vous obferver. Monheur, en palfant, que ce rv�eft que par un aéte d�humanité , que quelque lois le fils eft forcé d�abréger les jours de fon pere, par la raifon que je viens d�expliquer. Les Sauvages ont beaucoup de vénération pour leurs viet lards : c�eft par leurs -confeils qu Us fe conduifent ; car ils n�entreprennent rien fans avoir auparavant leur confentement, suffi en ont-ils jours grand foin. J�ai vu fouvent que lorfqu ils revenotent de la chaffe , le Chefs avoient grande attention avant
** de faire ?
mettre de cote la part Qes v
qui doit revenir aux veuves & aux o
phelins , dont les peres- ont etc tues a



� aux Indes Occidentales, 2 y
i1 guen e pour la deftenfe de la patrie. Les Sauvages font très hospitaliers enyevs les étrangers avec qui ils font en paix , bons envers leurs alliez & leurs amis ; mais cruels & inexorables envers leurs ennemis. Ils font très furpris, & meme fcandalifés de voir à la nouvelle Orléans nombre d�An�fois qm on y attife pendant la guerre, pour J une e commerce fous le fpécieux prétexte de Parlementaires ( 1 ) & fe
( 1 ) Ce font aes vaifTeaux qui amènent des plafonniers de -guerre pour en faire 1 ecliange, & forfqn ils n�en ont point, lis fo,it Isilis en comrat-ention , & regardés en temps de guerre comme des efpions qui viennent prendre connoilTance de nos forces, comme il eft arrive a 1 occafion du Capitaine Anglois
Sonie111'' é T de tr�ub!e= �tce
colonie, ou 1! a fait deux voyages de fuite.
Ce commerce ne peut être que très-darcre
reux poumons, & très-avantageux pour nos
lachXfef<1Ue^Pell.eteties Provenant* de a �ai�e des Sauvages qu�on y employé ta-dis
qu on anroit pu mieux s�en fervir, forit ciiar
gees publiquement fur les vaifTeaux Artois
qui indépendamment de la contravention aux
notx� ET' dES C�moi��mtes de
; Bij
28 Nouveaux Voyages répandre dans les habitations. Un Cacique ou Seigneur de cette contrée, arrivé depuis peu de la nouvelle Orléans , m�a avoué tout naturellement qu�il avoit eu envie de leur cafter la tête comme à des chiens qui tuoient les Fran�ois dans le Nord, c�eft-a-dire pendant le liège de Québec , & qu il avoit été tenté de s en venger la fur eux. Il ajouta que parmi eux , ils ne, parloient plus à leurs ennemis qu�avec le cafte- tete, aufli-tot que la hache meurtrière eft déterrée : cette phrafe lignifie quon ne doit , lorfque la guerre eft déclarée , parler aux ennemis que la hache fur la tete , c eft-adire n�avoir ni commerce , ni correspondance avec fennemi pendant la guerre , direélement ni indirectement, fous quelque prétexte que ce foit , fous peine d�être traite comme ttaitre à la patrie > & d�être puni de-même.
Lorfque la paix eft conclue , ils enterrent la hache o� la maffue de guerre,pour fignifier aux ennemis que toute haine eft enfevelie, que toutes les horreurs Sc la défolation de la guerre font finies, que l�amitié & la bonne harfnonie vont rena�tre entr�eux & leurs
aux Indes Occidentales.
Vo�fins j comme les fleurs blanches de 1 aibrede paix, qui eft le laurier blanc qui doit étendre Tes rameaux fur la terre blanche,parabole qui veut dire la terre de paix.
Le Cacique,dont j�ai parléjs�appelle Tamathlémingo ; il eft très attaché aux Fran�ois.Je f�ai meme que les Anglo�s ont voulu le combler de préfents, qu�il a toujours rejettez comme indignes de l�ijil a mêmevoulu leurcaflerlatetepout cette propofition , difant pour raifort qu�il ne voulait rien recevoir de ces chiens, ennemis de [on pere le Roi de France : telle eft la réponfe qu�il fit aux Députés Anglois ; il feroit a fouhaiter pour nous que tous les Chefs penfajjent comme ce Seigneur Sauvage. Il eft décoré d�une médaille d�argent, qu�il porte à Ton col avec une laniere de cuir. Il m�a dit plufieurs fois qu il vouloit être enterré après fa mort avec l�image de fon pere , o� le portrait du Roi qu�il portoit fur fon c�ur , que lui ayant toujours été fidèle, il efpéroit lui tenir la main au pays des �mes o� il comptoit le voir un jour. Après que ce digne Chef m�eut exprimé le s beaux fentiments qui partoient du c�ur je
B iij
Nouveaux"^ Voyages -,
lui donnai un^ bouteille d�eau de, vije pour boire à la fanté de Ton pere, de li la mienne. Quelque fois une petite générofité laite à propos a ces peuples, fait beaucoup d�effet , carq.r me par exemple , lorfque je voqlois leur � témoigner l�amitie que j�avois pour eux , j�otois ma chemife , de je la leur donnois au nom de leur pere * qui avqit pitié deux; je leur difipi? qu�il feavoit y furie rapport du papier qui parle , qup fes enfants etoient nuds, & cette fa�on d�agir\k� tquehoit féfi
liblernent. ' � .. �; - ' � 'r�
Ces peuples en général n�ont pas d�idée du fyiCmg poUtique qui régne parmi les puiflan�es de l�Europe* amis d�un� Nation doivent, félon eux, jentrérian^ffiq pq��i la>rffiu�<|jlfi : ,r U e n �, C nopourt e v u : r de cou une rce avec fes ennemis ; j�ai eu une longue & férieufe conférence avec un
c�eft' a- dire un 1 ongle vif & Chef de. canton , qui prétend avoi? été outragé par des foldats Efpagnol� du Préfide de Penfacola gee Cacique pi�a avoué tout naturellement qui! avait formé le de fie in , pour s�en venge y _) de faire;avec if s guerriers une 1 ci
v
I
aux Indes Occidentales. � T
rruption fur les terres de la Floride , jufqu'aux portes du Fort dePeniacola. Ce Sauvage crut me faire (a cour & rue faire approuver fou de (le in , en m�ai�urant qu'il yr étoit aul�i porte , parce qu�ils fe repofent fur leurs nates^ ' c�eft-à-dire qu�ils font en paik avec les Anglois, & qu�ils re�oivent chezeux dans leurs ports 3 ces derniers, nos 'ennemis. - .
Je répondis au difeours de ce Cacique Allibamon , en termes exprefJifs, & les plus capables de* le faire renoncer à Ion emreprife ; afin d�éviter l�effufion de fan g envers les Efpagnols nos Alliez & nos voihns, j�adreffai à ce Chef Indien un difeours analogue au génie & au caractère delà Nation.
* �
Allekxi Min go , lui dis-je , prépare ton c�ur, ouvre tes oreilles pour entendre la force de ma parole ; car elfe va te faire revenir l�efprit que pu as perdu aujourd�hui.
Je t�apprens donc que le GrandChef Souverain des Efpagnolsqui demeure audelà du grand Lac d�eau -fallée * dans l�ancien monde o� les
C iv

5 2 Nouveaux Voyages hommes fourmillent , eft frere ( i ) du pere des hommes rouges, c�eft-àdire du Roi de France , en conféquence je fuis obligé de dire que je défaprouve très fort ton téméraire def-* fein.
Je te déclare hautement que fi tu perf�ftes encore à vouloir l�éxécuter , tu n�as qu�a commencer par me cafter la tête. Ce Cacique me répondit :
ton fang irfeft aufil cher que le 3j mien , d�ailleurs jamais les Fran�ois j5 ne m�ont faitdemal, je fuis meme 3� prêt à me facrifier pour eux j tu peux 3> en afturer notre pere. Que n�ai-je, ^ comme, toi l�étoffe parlante pour lui 55 faire parvenir ma parole? Mais,non, 55 je voudrois plut�t que mon c�ur �eut cent bouches qu�il p�t entendre�. ( 2 ) Après cette proteftation d�amitié
( i ) Los Sauvages appellent freres leurs allies.
( 2 ) Quelque tems après le départ de l�Auteur, les Sauvages de cette contrée mai�acrerent plul�eurs Anglois qui s�étoient approchés à deux lieues du Fort Touloufe, o� comrnandoit pour lors M. de Grand-Maifon, actuellement Major dés troupes entretenues a la Nouvelle Orléans.

, aux Indes Occidentales. s ^ j de la part de ce Chef, il me préfenta fon calumet ; & quand j�eus fumé une touche je le lui rendis, comme ayant fait la paix pour les Espagnols , donc il prétendoit avoir été ofFenfé , & pour y mettre le f�eau , voila lui disje un flacon d�eau de feu , ou d�eau de vie,que je te donne pour purifier ta bouche, afin qu�elle ne profère plus de mauvaifesparoles contre les Efpagnols nos confédérez ; & pour appuyer mon difcours, j'ajoutai un roulleau de tabac pour faire fumer dans le grand calumet de paix, fes guerriers ; ma harangue finie, tous les jeunes gens vinrent les uns après les autres me ferrer la main , en figne d�amitié , fuivant l�ufage.
Je voulus néanmoins fatisfaire entièrement ce Cacique ou Chef de canton , qui m�avoit témoigné être fi pique contre les E/pagno�s, qui parce qu�ils font en paix, re�oivent à Penlai_ola les vaifleaux Angloisj ceux-ci difoit-il, viennent prendre connoiffance comme efpions du local des c�tes maritimes. Il eft vrai que les foup�ons de cette nature ne font ja.:
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Nouveaux Voyages
mais légers, puifqif il n�y a point d�om^ bre qui n�ait tm corps.
Pour appaifer ce Sauvage, je lui dis que le Gouverneur attendoit de jour a
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autre une grande pirogue^ & pour parler le langage de ces Peuples j qu�elle apporteroit; du papier qui parle, dans lequel le Grand - Chef des Efpagnols ordonnerait de déterrer la hache de guerre-* & de lever en même tems la ppafiue fur la tête des blonds:, ceff �ipjTi que les- Sauvages appellent les Anglois pour les. diftinguer des Fran�ois , & des Efpagnols*
Ce Cacique parut fort content de mon difcours ; comme il avait bu un petit coup d�eau de vie ,* & quil étoit en train de cauier , je lui fis des qnerlp touchant la haine qu il me paroiffpit avoir contre les Efpagnols de la Eloride. Ce Chef Sauvage me raconta qu�il tenait par tradition que l'es premiers guerriers, de feu ( � ) qui paf
- * t V
( i ) L�h�ftoire nous,apprend qu�en 1544/ Ferdinand Soto fit des courfes dans ce pays ; le? Sauvages qui- n�avèient jamais, va d �qrapéens 3 appiw les Efpagnols guerriers

aux Indes Occidentales. 5 y
Gèrent par lears terres >y avaient commis des aftes d�hoftilités, & violé le droit des gens. Audi depuis cette époque, les an�êtres de fa Nation avoient toujours recommandé de pere en fik de venger le fang qui avoit été répandu, fans aucun fujet ; je répondis à ce Cacique Jongleur, que le ma�tre de la vie les avoient bien vengés par la mort de Ferdinand Soto, & de prefque tom fes guerriers.
' J�ajoutai que quant à eux, ils ne dévoient plus avoir de rancune contre les "Efpagnols d�aujourd�hui : que Philip� II leur Grand Chef qui régnoit dans cc tems,avoit défavouétouc le mal que lis Capitaines avoient commis, contre fes intentions, dans ces climats extrême-* ment éloignés.
Je racontai à ce Prince Américain * un trait de l�Hiftoire de Dom Fran�ois de Tolède , Vice-roi du Pérou >, lequel fit pendre publiquement l�hé
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de feu, a caufe qu�ils écoient armes de fniih:
8c de piftolets ; ils difo�ent que le canon cto# �e tonnerre , qifil faifoit trembler la tcn& sa tuant les honimès de fort lom.
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Nouveaux Voyages ritier préfomptif du Royaume, & fit maffacrer tous les Princes de la Famille Royale des Incas ; les Efpagnols mêmes i�us par leur mere du fang d�Atahualipa, éprouvèrent un fort pareil. Dom Fran�ois de Tolède j après cette expédition, s�attendait à être élevé aux premières dignités de l�Etat, a fon retour en Efpagne ; mais il fut très mal re�u du Grand Chef de la Nation , qui lui ordonna d'un ton aigre de fe retirer de fa préfence. � je & ne vous avois point choifi, lui dit 7) ce Prince, pour être le bourreau des j� Rois ; mais pour me fervir & être l�appui des malheureux Ces paroles furent un coup ce foudre pour ce Vice-roi ; elles lui cauferent un fi grand ferrement de c�ur , qu�il en mourut peu de jours après. Le même Roi donna la mort à un Miniftrequi lui en avoit impofé^en lui difant ce feui mot, Houlabé, c�eft à-dire: quoi,
tu mens !
Ce Cacique me répondit gravement : � mais fi ce Grand Chef des hommes de feu paroifFoic , comme tu le dis, fi indigné contre ce Vice� roi, des cruautés qu�il avoit exercées

aux Indes Occidentales. 37
� contre fes ordres, pourquoi ne le *> faifoit-il pas mettre au quadre ? ( 1 ) Ou ne lui faifoit-il pas couper la 5� tête, qu�il auroit fait repaffer au Pé
* rou, Cet exemple de févérité & de y> juftice j auroit en partie fatisfait les
Peuples , que ce Capitaine avoit w Usités fi indignement , en faifant mourir à un gibet, comme un vo*> leur j 1 héritier d�un grand Empire * 39 qui ne dépendoit que du Ma�tre de *> la vie ou de l�Etre fuprême.
*> C eft ainfi , me dit-il j que nous autres hommes rouges, que les Eu^ ropens appellent Sauvages & Bar53 bares j en ufons envers les méchans 33 ^ ^.es homicides, qui doivent être
* traites comme les bêtes les plus fé33 roces de nos forêts.
Je répondis encore à ce Chef Indien j en ces termes : � Tu fauras que 33 les Grands Chefs des hommes blancs 35 qui habitent la vieille terre , font *defpotiques, & qu�ils chaffent de
( 1 ) Supplice que les Sauvages font fubir l ceux qui ont fait des cruautés lorfquils font pris a la guerre.



5 � Nouveaux Voyages 33. leur préfence les Capitaines ou Chefs 3> de guerre , qui ont vexés leurs en>3 fans ou fujets que cet affront efc 3> mille fois plus cruel pour ces Chefs 33 pétris d�orgueils hais du Grand Ejprit 33 ou de Dieu , à caufe de leurs préva53 rications, que n�eft le fupplice du 33 qua 1 re ou cent coups de mafTué 33 fur la tête des hommes rouges.
J�ai enfin fi bien adouci la haine que ces Peuples avoient con�ue contré les Efpàgnols} par les raifons dont je me fuis avifé, que je préiume que tout eft afioupi ; cette explication fatisfit beaucoup mon Jongleur.
Je crois vous avoir déjà obferve 3 Moniteur, que les Sauvages font trèsfenfibles aux injures^ c�eft ordinairement dans Pyvreffe qu�ils fe rappellent ceux qui les ont outragés. J ai fouvent été médiateur > pour terminer leurs différents de Sauvage a Sauvage ; je leur remontrois qu�ils dévoient vivre en bons freres j oublier le parte , & n�employer leur male courage que pour la défenfe de notre patrie commune. Je les affurois en outre que s�ils n�écoutoient pas ma
parole a le Grand Efprit feroit facte
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aux Indes Occidentales. qc?
contre eux, & feroit manquer leur récolte de mahis�
Audi quand ils étoient prêts d�en venir aux mains, les femmes Sauvages venoient vite me chercher pour être arbitre, & je faifois mon poll�ble pour concilier les deux partis; obfervant de mettre leur honneur à couvert, ce qui faifoit plaif�r à ces femmes qui n�ont rien de farouche que le nom qu�on leur donne, ayant les traits fort réguliers. Enfin dans le nouveau monde comme dans l�ancien, cet aimable fexe eft né pour peupler,Sc non pour détruire.
La matière des m�urs de ces Peu-< pies eft fi ample, que je fuis obligé déjà*partager j je réferve donc à
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Nouveaux Voyages

LETTRE XVI.
Au Même.
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Deuil & fa�on d'enterrer les morts chej les Allibamons ; jufti e quils rendirent au Chevalier d Erneville pour unfoldat tué par un jeune Sauvage ; leur Religion * leurs rufes pour attraper les chevreuils à la chajjé, & les dindes [auvages*
JVIoNSIEUR �
J�ai re�u avant hier une de vos lettres , qui m�apprend que vous etes en bonne fanté 6c que vous contii>uez à me donner des marques de votre fouvenir. Je vous ai parlé dans ma précédente du mariage des Sauvages j je vais prefentement vous parler de leur deuil. Quand un Grand Chef de la Nation meurt , ce deuil confifte à ne fe point peigner, ni baigner s les hommes fe barbouillent tout
aux Indes Occidentales. 41 e corps avec du noir de fumée qu�ils délayent dans de l�huile d ours ; en nn mot, us renoncent a toutes fortes de diverti/rements; lorfqu�une femme perdfon mari, elle ed: obligée de porter le deuil un anj en renon�ant à toute parure.
a ^es Sauvages de la contrée
des^Allibamons boivent la caffine ; c elt la feuille d�un arbriffeau extrêmement touffu; elle n�eft pas plusgranc qu un liard j mais dentelée tout au tour. Jls la font rifToler comme nous fa 1 fon s le caffé, & en boivent �ruufion avec beaucoup de cérémomes. Quand cette boifTon diurétique elt faite , les jeunes gens vont la préenter dans des calebafles ouvertes en maniéré de taffes, fuivant la qualité & le rang des Chefs, & des Guerriers : c elt-a dire, aux Confidérés , enfuite ad autres guerriers, fuivant leur grade. Ils obfervent le même ordre , lorfqu ils préfentent le calumet pour fumer; pendant que vous buvez^ ils heurlent d�une voix forte, & diminuent par gradation ; lorfque vous avez ceifé de boire, ils prennent haleine , & quand vous recommencez 8

*' Neuve nix Voyages ils continuent le même hurlement* Cette forte d�orgie dure quelquefois depuis fix heures du matin jufqu�à 2 heures après midi. Ces Sauvages ne font point autrement incommodés de teur boiffcm , à laquelle ils attribuent beaucoup de vertus. Ils la rendent fans efforts 3c fans gêne.
Les femmes ne boivent jamais de ce breuvage fait pour les feuls guerriers. C�eft dans de pareilles affemFdées o� elles ne font jamais admifes� rque les Sauvages débitent rp�tes leurs -nouvelles j & qu�ils délibèrent de leurs affaires politiques touchant la guerre�, ou la paix. Cependant M. le Cnevalier d�Erneviile rapporte qu�il y a vu une femme, qui était celle du Grand Chef; elle y entroit à titre de guerrière, 3c à caufe de fon efprit vif 3c pénétrant. Son fentiment prévaloir quelquefois pour la conclufion des traités.
Les 4Mb amans aiment beaucoup les Fran�ois ; il y a meme une convention départ 3c d�autre , que fi un Fran�ois tuoit un Sauvage , il faudroit qu�il per dit la vie , 3c de mêmeun Sauvage s�il tuoit un Fran�ois ;Jcet accident arriva

aup Indes Occidentales .45 pendant que le Chevalier d�E�neville commapdoit aux Allibamons ; un jeune Sauvage tira un coup de fufil fur un ioldat de fa garnifon, & difparuc roiK de fuite. Comme �et Offipier ne -pouvait f�avoir o� étoit le criminel , �il s�adrelfariux Chefs de la Nation leur . difant, qu il falloit Ipi rendre juflicev 'Ils répondirent que le jeune homme s étoit réfugié che? une autre NaT ,tion, Ce Chevalier d�Erneville ne contenta pas de cette excufe ; il leur .dit que le mort crioit vengeance, & que le fang devoir fe venger par le fan g , c�eft leur fa�on de s�exprimer ; que le meurtrier avoit fa mere, qu�il falloir qu�elle périr à fa place. Iis lui répondirent que ce if était point eUë qui avoir fait le coup. L�Officier répliqua qu�il parlait comme les hommes rouges , qui , lorfqu�on leur tuoit quelqu�un & qu�on ne leur rendait pas juftice, le vengeoient fur un de la Nation du coupable. Enfin ; il leur remontra qu�il falloit ,, pour maintenir la bonne intelligence, entre les hommes blancs, & les hommes rouges, ne pas s�oppofer à la punition �les criminels* Ils lui offrirent beau-* coup de pelleteries 3 des chevaux mê~
44 Nouveaux Voyage* me chargés de butin. Cet Officier connu de tout tems par fon zele & par fon défintérefTement préférant l�intérêt du Roi au fien , & l�honneur de la Nation à fa fortune, refufatous ces préfents. Il ajouta qu�il ne pouvoir plus repofer depuis la mort de fon guerrier , qu�il lui criait toutes les nuits : venge\ mon fang. Ces pauvres gens voyant qu�ils ne pouvoient le fléchir, tinrent confeil fur fon refus * & commandèrent huit hommes conduits par un jeune Chef de guerriers. Celui-ci partit fur le champ avec fon monde, & fut droit chez la mere du meurtrier , à laquelle il dit que puifqu�on ne trou voit pas fon fils, il fai� loit que ce fut elle qui lava le fang du Fran�ois. Cette femme furprife fe laiffa conduire toute éplorée; les parents fuivoient d�un air fort trifte ; voyant qu�il n�y avoit point de gr�ce à efpérer pour la mere, l�un d�eux dit au Chef de la troupe : c ej� de valeur que meurt ma belle-mere nJ ayant pas fait le coup. Il propofa d�attendre, pendant qu�il iroit chercher le meurtrier ; en effet, il l�amena dans l�affemblée o� étoit le Chevalier d�Erneville, Sc
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aux Indes Occidentales. 4 c* lui dit: voilà le coupable, fais en ce que tu voudras. .Ce Commandant leur répondit que c�étoit à eux à lui renie jultice ; a 1 inftant on lui ca�la la tete (i).
La juftice étant rendue, les Chefs aranguerent leurs jeunes gens, & leur recommandèrent beaucoup de tenir la main du Fran�ois; ils ajoutèrent que toutes les fois qu�il leur arriveroit de perdre l�efprit, & de tuer de
nos gens, ils rendroient la même juftice.
Le Chevalier d�Erneville harangua 1 aflemblée a fon tour ; après quoi n ht, a la ation , un préfent que le Couverneur lui avoir envoyé. Les oauvages le firent fumer dans le grand calumet de paix ; tous les foldats & habitants Fran�ois fumèrent aufli en ligne d ammftie ; enfuite ils burent la
(1) C eft ainfi que la j'uftice Ce rend chez les Sauvages ; il n�eft pas nécelTaire d�inftruire des procédures ; on ignore toutes ces formalites ; la loi eif que celui qui a tué doit être tue, a moins d un malheur, comme dans IVvrefTe, dans un tranlport, ou dans les ieux d ejcr�ice.

q6 Nouveaux Voyages eal�me , qui eft la boi�on de la parole blancheceft-à dire j la boiffon de1-Oubli* j � : /A :> 1
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Depuisfce tems la Ndtion ne hous* a jamais manqué. Les Sauvages AllU bamom s�offrirent en 171^, de b�tir fur leurs terres, à leurs frais, un Fort
qui fut nommé depuis le Fort Tou�oufe,, dey introduifiretit les; Fran�ois. M. de Bieiwiile alors Gouverneur fut prendre poffet�ion de leur pays au nom do Roi (1);
Ils n�ont jamais voulu permettre aux Anglois d�en faire autant; ils fe mocquent des menaces du Roi d�Angleterre ; chaque Cacique ou Chef de village�, fe regarde comme un Souverain , qui ne dépend que du Ma�tre de la vie , ou du Grand Efprit.
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(.1) Ce-Gouverneur eft en fi haute eftime chez eux, qu'ils le citent toujours dans leurs harangues. Son nom eft fi profondément gravé dans les c�urs de ces bons Sauvages, que fa mémoire leur fera toujours chere. Dès qu'ils me virent, ils me demandèrent de fes nouvelles , & je leur dis qu'il étoit au gran<à Village * ou à Paris, en bonne faute', ce dont ils témoignèrent une grande fatisfaeftion.
aux Indes Occidentales. 47
Les Allibamons ont appelle leur pays la terre blanche, ou pays de paix � <k fe repofeut fur leurs nates , c�eft-à-dire , n'attaquent perforine. Efipèce d�allégorie par laquelle ils femblent annoncer à toutes les Nations de la terre , que la hache meurtrière eft enterréede qu�on peut y venir, & commercer en toute fureté.
Voici une harangue que j�ai entendu faire aux Chefs de cette Nation. et Jeunes gens de guerriers , ne vous mocquez point du Ma�tre de 00 la vie ; le Ciel eft bleu, le Soleil eft ^ fans t�che , le tems eft ferein, la � terre eft blanche, tout eft tranquille 33 fur fa face, le fang humain ne doit 55 point y être répandu. Il faut prier 33 l�Efprit de paix de la conferver *> pure & fans t�che entre les Nations � qui nous entourent. Nous ne de-*� vous nous occuper maintenant qu�à � faire la guerre aux tigresaux ours,
33 aux loups , aux cerfs& aux che33 vreuils, pour avoir leurs peaux afin � de commercer avec les Européens , r> qui nous apporteront nos befoins � pouf entretenir nos femmes & nos 33 en fans�.

48 Nouveaux Voyages
Les Ameriquains en général rfcnt point la connoiflance des lettres. L�art d�écrire leur efl inconnu ; ils font furpris de voir qu�avec du papier on fe parle de fi loin ; ils regardent les lettres mifl�ves avec admiration.
Lorfqu�on leur en confie, ils les remettent exaélement à leur adrefle ; & quelque pluye qu�il fafié , quelques rivières qu�ils ayent à pafier , ces lettres ne font jamais mouillées. Les Allibamons font également le commerce avec les Fran�ois, les Anglois, & les Efpagnols; mais ils n�aiment pas beaucoup ces derniers : ils leur font la guerre plut�t qu�a toute autre Nation j à caufe des traitemens cruels qu�ils ont fait aux Sauvages du Méxique ; leur mémoire efi: admirable , ils fe reffouviennent toujours du mal qu�on leur a fait.
Ceux dont il s�agit ici reconnoiffent un Etre fuprême qu�ils appellent Soulbiécke. Je leur ai demandé ce qu�ils penfoient de l�autre monde , ils m�ont réponduque s�ils n�ont point pris la femme d�autrui, s�ils n�ont volé, ni tué perfonne pendant leur vie, ils iront après leur mort dans un pays
extrêmement

� aux Indes Occidentales. extiemement fertile o� ils ne manqueront ni de femmes ni d�endroits piopres pour la chafle, que tout leur deviendra facile; que fi au contraire ils ont fait les fols , s�ils fe font mocques du Grand Efprit , ils ironr apres leur mort dans un pays ingrat, rempli d�épines & de ronces, ou il ny aura'ni cliafTe, ni femmes ; voila tout ce que j�ai p� apprendre
touchant la croyance de ces Peuples fur l�autre vie. *
-Les Mibamons enterrent leurs morts allis ; pour juftifier cet ufage, ils difent que 1 homme eft droit, & a la tere tournée vers le Ciel fa demeure,
& <}ue ce^ Pour cette raifon qu�ils enterrent leurs femblables dans cette attitude; on lui donne un calumet & du tabac pour fumer, afin qu�il faffe la paix avec les gens de l�autre monde; fi c eft un guerrier, il eft enterré avec les armes, qui'font un fuf�l, de la poudre & des baies, un carquois garni de fléchés, un arc, un cafletcte foit maflue ou hache , de plus un miroir ( i ), & du vermillon pour
*-o Lcs >�dnes. Cuvages ne marchent Seconde Partie, Q


y o Nouveaux Voyages faire toilette au pays des �mes.
Lorfqu�un homme le détruit fort par défefpoir ou dans une maladie , il eft privé de la lèpulture , & jetté dans la riviere, parce qu�il paiTe alors pour un l�che.
J�ai dit que les Sauvages doivent fupporter leurs malheurs avec une confiance héro�que. Le fanatifme de ces Peuples, eft que lorfqu�un d�eux eft pris en guerre , il s�attend à être br�lé ; alors il compofe la chardon de mort j en difant r cc Je ne crains n^ la � mort, ni le feu, faites-moi bien � fouffrir , parce que ma mort fera �-> bien vengée par ma Nation �. Ce qui fait que fes ennemis abrègent fon fupplice, ou quelquefois l�adoptent en difant que c�eft un homme de valeur. . .
Lorfqu�il le trouve parmi eux quelque tapageur ou perturbateur du repos public , les vieillards lui parlent ainli � � Tu peux partir ; mais fouviens� toi, que fi tu es tué,.tu feras dé
jamais fans avoir une petice miroir pendu au poignet.
h�clie ou un
aux Indes Occidentales, o
avoué par la Nation, que nous ne �>te pleurerons point, & qUe nous 51 ne tlrerons point vengeance de ta � mort �. Une vie aull� déréglée eft parmi ces Peuples J comme par - tout ailleurs, notée du dernier mépris (i ) Les Sauvages partent orfL'airi. ment pour la chafle à la fin d�Otftobre. Les Allibamons vont à 60, 80 & quelquefois à i oo lieues loin de leur village, 8c ils emmenent avec eux dans leurs pirogues, toute leur famille; ils ne reviennent qu�en Mars qui eft le tems d�enfemencer leurs terres ils rapportent beaucoup de pelleteries, & de viande boucanée. Lorfquds lont rendus dans leurs villages ,
(i ) Les jeunes Sauvages vont en effet cniel
villages pour enlevefdt f rames, ce (ont ces iortes de rapts qui occasionnent les guerres que ces différentesTribus le font; car ils ne combattent point pour de la teire, piufqudsen ont plus qu�ils n'en peuvent cultiver çeft un crime capital p��j les Sauvages d enlever la femme d�un autre S. c eft la femme d�un Cacique, la Nation eft obligée de venger 1 affront fait à fon CW
y2 Nouveaux Voyages
ils régalent leurs amis, & font des préfens aux vieillards qui n�ont pu les fuivre 3 6c qui ont gardé les caba^ nés du village pendant le tems de cette chaffe.
Ces peuples ont des rufes fingulieres pour attraper le chevreuil ; ils prennent pour cet effet la tête d�un m�le de cette efpece �, qu ils font deffécher. Ils la portent avec eux dans le bois; là fe couvrant le dos d�une peau de cet animal 5 ils fourent^ le bras dans le col de la tête defféchée * qu�ils ont eu foin de garnir fous la ' peau avec de petits cercles do bois pour la tenir ferme à la main ; puis ils fe mettent à genoux , & dans cette attitude, ils présentent la tête en contrefaifant le cri, ou le bêlement des chevreuils ; ces animaux prennent le change par cette pofture, s�approchent fort près des chaffeurs qui les tuent alors à coup lur.
Il y a des Sauvages qui en ont détruit par ce ftratagéme jufqu�à 40O dans une chaffe d'hiver ; ils employent à-peu-près la même rufe pour attraper dans le bois les dindes fauvages 5 quelques- uns d�entr�eux fe mettent fur

aux Indes Occidentales� y 3 les épaules des peaux de ces volatilles, & au haut de la tête un morceau d�écarlate ou d�étoffe rouge qui voltige, & pendant que ceux-ci amufent ces animaux , les autres les tuent à coup de flèches ; ils ne (e fervent point de fufils de peur de les épouvanter ; 3c tant qu�il y en a de perchés fur l�arbre , ils tirent fur eux avec beaucoup de dextérité ; ces dindes attendent ordinairement que. leurs camarades reviennent ; les Sauvages m�ont fouvent régalé de ces volailles, qui font excellentes pendant l�Automne.
Ces Peuples font aufl� très-adroits à la pêche ; ils ne fe fervent ni d�ame�ons ni de filets ; ils prennent pour cet effet des cannes de rofeaux qui font fort communes fur le bord des rivières ; après les avoir fait fécher au feu ou au Soleil, il les aiguifent par un bout en fa�on de*dards, 3c de l�autre ils y attachent une corde faite , d� écorce de pitre; étant fur des lacs dans leurs canots, ils lancent à l�eau le dard fur le poiffon, & le retirent à l�aide de la canne ; d�autres
Nouveaux Voyages les tirent avec l�arc, & lorfqu�il eft bleffé, il vient fur l�eau.
Avant que de finir l�article des AUi* barrions, je ne dois pas oublier de vous dire qu�ils font au mois de Juillet , tems de leur récolte une très-grande fête. Dans ce jour folemnel qu�ils paffent fans manger, ils allument pour la Medecine ou Jonglerie le feu nouveau, après quoi ils fe purgent, 8c offrent à leur Manitou les prémices de leurs fruits ; ils achèvent la jour^ née en danfes de relimon.
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Ces Peuples ont aufl� des Jongleurs ; je vous ferai part ��une petite avanture affez rifible, qui m�eft arrivée avec un homme de cette profeffion. Dans le tems que je montois à force de rames le courant de la riviere des Jllibamons, un Jongleur vint me voir accompagné de plufieurs autres Sauvages, tant hommes que femmes, il me demanda de J�eau-de-vie ; je lui en donnai une bouteille , qu�il b�t avec fes compagnons, Il m�en redemanda encore ; je lui dis que je n�en avois plus, il ne voulut pas me croire; 8c comme il vit qu�il ne pouvoir rien gagner il crut m�intimider en
aux Indes Occidentales. y y me déclarant fièrement qu�il étoit magicien , & que fi je ne lui en donnois pas, il a�oit faire la médecine contre moi; c�eft- à-dire , m�enchanter avec mon bateau pour fiempécher de marcher. Je lui dis que je ne le craignois pas., que j�étois Médecin moi-même� Ce mot étourdit mon adverfaire.
Ce prétendu forcier me dit de lui faire voir les effets de ma méotec�ne ; je lui répliquai que c�étoit à lui à commencer ; il ajouta que comme étranger c�étoit à moi ; enfin après bien des débats, je commen�ai à faire des geftes ridicules en m�agitant <5e regardant dans un livre o� le Jongleur ne comprenoit rien ; je lui dis de fe retirer, & de me laiffer feul, ce quil fit , parce que c�efl: la coutume des Jongleurs pour �ter aux autres Sauvages la connoiflance de leurs fourberies. J�avois 1 s peau d�un chat tigré , dont on avoit tiré 1 . chair & les os par une fente défions le col , je h �onnai u Sauvage Médecin ; en lui difant de lui rendre la vue , & de la faire marcher. Il me répondit qu�il ne le pouvoit pas ; je vois que tu n�es encore qu�un novice dans cet art 3
5 6 Nouveaux Voyages
lui dis - �e , je vais le faire, moi.
Il eft bon de vous dire , Mon(�eur, que j�avois apporté de France à mon dernier voyage, des yeux d�émail qui imitoient parfaitement bien les yeux naturels, chofe que ces Peuples n�avoient jamais vue ; je les ajuftai avec de la gomme de pin ^ à la place de ceux qui manquoient : enfuite je mis dans la peau un écureuil en vie je l�enfermai dedans, la tête expofée en avant du col du chat ; un foldat, à qui j�avois donné le mot, étoit tout prêt avec une mafTue ; tout étant ainfi diipofé , j�ouvris la chambre du bateau ; les Sauvages s�avancèrent, le Jongleur ou Médecin à leur tête. Je tenois la peau du chat oi� étoit l�écureuil qui iaiioit des bonds entre mes bras, ce qui furprit d�abord ce prétendu forcier ; il fe mit à crier que jétois un véritable Médecin ou magicien , puifque je faifois revivre , voir clair-, & marcher les chats morts. Quand les autres Sauvages l�eurent bien confidéré entre mes bras, je le l�chai à terre , en piquant l�écureuil d�une épingle, ce qui le fit courir avec la peau du chat du c�té o�
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' ^ . aux �ndcs Occidentales. y y
bto�ent les fpeé�ateurs qui crurent qu�il alloit les dévorer; ils reculèrent en arriéré, & les femmes, par une terreui naturelle a leur fexe, fc fauve� rent de mon bateau en aflurant que j�étois un forcier. Je faute alors fur le chat tigie, paroilfant fort en colere contre cet animal ; j�en efeamote adroitement l�écureuil & les yeux d�émail ; puis me ferrant fortement la peau du ventie avec les dents de la tête du chat , je hs un grand cri comme fi favois été mordu de cet animal que jerejettai aufl�t�t par terre ; le foldat armé frappe à grands coups de maffae> comme pour tuer le chat reffufcité, de s�être révolté contre fon ma�tre , 8c d�avoir voulu fauter fur les hommes rouges nos allies & nos amis* Apres cette feene comique , je mis la peau du chat entre les mains du Jongleur , lui difant de la faire revi� vie comme j�avois fait. Il convint que ma médecine étoit plus forte que la fie une. Je lui dis en meme-terns de faire fon fortilége contre mon bateaa pour l�empêcher de marcher; il me répondit qu�à Médecin contre Médecin il n�y avoit rien à faire, que j�é
C v


y g Nouveaux Voyages ^
tois fon ma�tre en cet art, & qu il étoit un ignorant (i). Tous les Sauvages des cabanes qui étoient en chaiie d�hiver le long de la riviere , m�apporterent des proviftons de chevreuils 6c de poulets dindes , pour, recommencer à faire encore une fois la médecine ; mais dans la crainte dette découvert , & pour conferver mon honneur , je leur dis que je ne pouvois plus la faire , attendu que peut-être quelqu�un d�eux feroit dévoré, te pour mieux les convain
(i) Les Sauvages ont beaucoup de confiance en leurs Médecins, la cabane du Jongleur eft couverte de peaux qui lui fervent de couverture ou de vêtement. Il y entre tout nud , commence à prononcer quelques paroles que perfonne n entend : c�eft, dit-il, pour invoquer l�efprit ; après quoi il fe leve, crie, sVite, paro�t hors de �lui-meme, & 1 eau découle de toutes les parties de fon corps.
La cabane s'ébranle , & les af��ftans croient que c�eftla prélènce de l'Efpritj le langage qu�il parle dans ces invocations, na rien de commun avec le langage fauv�ge j ce ne qu'une Imagination échauffée , que ces c arJatans ont trouvé le moyen de faire pafTer pour un langage divin, c�eft de tout teins que les plus ingénieux ont dupe les autres,

aux Indes Occidentales. cre, je leur fis voir l'empreinte des de nts du prétendu tigre fur la peau de mon ventre. Pour lors, ils m�approuverent fort, &: me remercièrent de 1 intérêt que je prenois à eux en m�expofant généreufement comme j�avois fait pour empêcher la fureur du tigre reffufcité , qui avoit voulu étrangler leurs femmes, & leurs enfans, & que j�avois bien fait de l�avoir fait rentrer dans le néant, pour fervil* d�exemple aux autres , puifque c�étoit un mauvais génie; ces pauvres gens regardent les Fran�ois comme des hommes furnaturels.
Il efl: quelquefois dangereux d�être Médecin ; fi quelqu�un meurt, ils attribuent la mort du malade à la médecine, & non à la difpofition du malade; c�efi: pourquoi je ne confeillerois jamais d�abufer de la crédulité de ces Peuples. Aufli je leur fis entendre que depuis que j�avois été mordu, j avois abjuré la Religion des Magiciens , & que je ne recormoiffois plus d�autre Médecin que le Ma�tre de la rie y qu�ils n�avoient qu�à l�implorer, qu�il écoit le pere des hommes rou

êo Nouveaux Voyages
ges, comme des hommes blancs , qui,
l'ont leurs freres a�nés.
La prétendue refurreétion du chat tigré, me donna néanmoins un grand relief parmi les Médecins ou Jongleurs de cette contrée , 3c parmi même ceux de la Floride Efpagnole 3 que la curiofité naturelle aux Sauvages engagea à venir me rendre vifite ; ils fe joignirent aux Médecins Allibanions , 3c me prièrent de faire la médecine que j�avois faite en route, pour m�exprimer à leur maniéré ; je leur dis que j�étois bien f�ché de ne pouvoir pas les fatisfaire, parce que j�avois frappé au poteau ; cependant pour ne les pas renvoyer mécontents de moi, je leurs dis que leur préfence me réjouilfoit beaucoup, que le Grand Chef des Fran�ois , 6c le pere des Sauvages, étoit content de leur Nation, 3c en particulier d�eux ; que comme les Médecins étoient plus éclairés que les autres, foit dans l�art de guérir les maladies, foit dans leur zélé à infpirer à leurs compatriotes des fentimens de fidélité 3c d�attachement pour les Fran�ois , c�étoit en cette confidération que j�étois venu exprès


aux Indes Occidentales. 6 r
leur apporter un préfent qui étoit la parole de leur pere, que M. Aubert étoit chargé de la part du Gouverneur: d�en faire la répartition.
# Je leur dis de plus , qu�étant bien aife de faire connoifiance , & de conférer avec eux , je les priois de me donner leurs noms propres. Comme ces Peuples ne font ni baptifés ni circoncis , ils prennent ordinairement le nom d�un animal, tel qu'un Ours ; un Tigre, un Loup, un Renard &c. La gravité que j'affeéiois pour me donner plus de relief parmi ces Docteurs Indiens, fit qu'ils me demandèrent fi c�ctoit pour rendre compte d�eux à leur pere par le papier parlant que j�écrivois leurs noms 3c je leur répondis que oui.
Lorfque j�eus pris leurs noms , je m�en fervis quelques fois pour faire le devin parmi eux.
Alors me renfermant dans la cabane d�un de ces Médecins, un foldat à qui j�avois donné la quantité de lettres qui compoloient chaque nom, mettoit la main fur l�épaule d�un des jongleurs,& frappoitavec une baguette , autant de coups que de lettres
i
$2 Nouveaux Voyages dans fon nom; je devinois en dehors * quel homme le foldat touchoit , Se ainfi des autres ; ils ne pouvoient pas comprendre comment je pouvois faire cette divination fans les voir ; ils avouèrent que cela les furpaf�oit� Le Sr. Godeau , Garde magafin Se Chirurgien Major du Fort des Allibamons avoit auf�i fait avant moi la médecine en préfence des Sauvages qui regardoient une petite phiole remplie de mercure : ces Peuples n�en avoient jamais vu ; après lavoir confédérée avec attention , ils la lui demandèrent. Celui-ci leur dit qu il acquief�oit volontiers a leur demande; mais qu�il avoit befoin de la phiole ; Se fur le champ renverfant le vit argent fur le plancher , il leur dit de le ramaffer ; ils n en purent jamais venir à bout : ce mercure vouloir �à Se la de tous c�tés ; ce qui fit dire aux Sauvages étonnés, que c'étoit un efprit qui fe diviioit en plufieurs parties , qui étant réunies n�en tailoient plus qu�une ; mais leur étonnement devint encore bien plus grand, loif� que le Sr. Godeau ayant pus une carte, ramafla le mercure, Se le ht ren



aux Indes Occidentales. *3 trer dans la phiole en leur préfence , ce qu�aucun d�eux ffiavoit pu faire , ce Chirurgien f�t plus, il verfa de Feau forte de (Tus , ce qui fit di (Foudre entièrement le mercure qui difparut; depuis cette époque, il étoit révéré comme un grand Médecin parmi ces peuples.
M. de Montberaut vient de remettre le commandement du Fort des Allibamons à M. Aubert, Aide-Major de la place de 1 Mobile. Je prends la liberté d�écrire au Gouverneur pour lui repréfenter avec refped, qu�étant l�ancien de cet Officier , je ne pouvois refter ici à fes ordres ; que d�ailleurs il ne doit faire aucun fervice étranger à fes fondions , ; i ] que l�ordonnance duRoi y eft bien formelle , que comme notre métier eft fondé, lur l�honneur, j�auroiscru dérogeràcelui
( t ) Je fuis cependant obligé de rendre juftice à M. Aubert cjui a eu le commandement des Allibamons à mon préjudice, Sc de me louer des égards qu�il a eus pour moi, en m�offrant de partager l�autorité, & de vivre enièmble comme amis.
r6q . Nouveaux Voyages que j�ai acquis au fervice de Sa Majef- . té, fi je manquois de lui faire les obfervarions d�un militaire , dont le zèle pour le fervice lui eft connu , & qu�il m�eft bien naturel de penfer que par cette conf�dération , il fe croira en-� gagé à me faire jouir des emolumens attachés à mon état , autrement que je le priois de m�accorder mon rappel à la Nouvelle Orléans , a^n d�être plus à portée de fail�r la première occalion pour l�Europe , o� j�aurai le plaifir de vous affurer que je fuis, Moniteur &c.
Aux Allibamons h 2 May 175*9.
P. S. J�ai oublié de vous faire part. Moniteur , d'une vilite que l'Empereur des Kaouytas nous a faite quel-� que tems après le départ de M de Montberaut ; je vais vous en faire le détail* Comme nous avions été prévenus par un Courier , j�allai au devant de Sa Majerté Indienne pour la recevoir à quelque diftance du Fort. J�avois porté des foldats qui tirèrent des coups de fuf�ls , pour faire figne aux Cannomers de mettre le feu au canon

aux Indes Occidentales. a l�in liant que le Prince mettroit fa niain dans la mienne [ i ] ; il étoit monté fur un cheval d�Efpagne fellé à l�Angloife , &: capara�onné d�une peau de Tigre.
Cet Empereur marchoit gravement a la tete de fon cortège ; je pouvois à peine mempêcher de rire de voir des nommes grands & bien faits, le corps nud , mattaché ou peint de toutes fortes de couleurs ; car ils le fuivoient tous a la nie , luivant leur rang 3 comme des Capucins.
Ce Prince Sauvage paroiffoit en* thoufiafmé de Fhonneur qu�on lui faifuit ; il n�avoit jamais vu de canons * � les appelloit des gros fuf�ls.
tl portoit fur fa tête un panache de plumes rouges , fon habit étoit d écarlate avec des revers à PAn� gioiie , & galonné d�or de clinquant ; il n�avoit ni vefte ni culote ; mais feulement un brayer fait d�un quart
( i ) Les Sauvages font fans complimens ni cérémonies ; ils fe moquent de nos révérences & de nos fa�ons de faluer, le corps if courbé, le pied en avant ou en reculant*


66 Nouveaux Voyages de drap rouge p�lie entre Tes cuiffes 3 & attaché avec une ceinture ; il avoir par deffous fon habit, une chemife de toile blanche garnie ; fa chauffure étoit des efpeces de brodequins de peaux de Chevreuil palTées 6c teintes en jaune. Comme c�étoit un jeune homme d�environ dix-huit a dix neuf ans, fa nation lui avoit choih un noble 6c fage Vieillard pour lui fervir de Régent 3 ce fut lui qui harangua au nom de fon Souverain, 6c qui préfenta à M. Aubert le calumet de paix. Ce Commandant lui dit, après les complimens réciproques, d�aller fe repofer , parceque c�eft la coutume parmi les Sauvages de ne parler d�affaires politiques que le lendemain pour avoir le tems de la réflexion.
- Le Sr. Laubène , Interprète du Roi, rendit le difcours ciu Régem qui failoit aufli les fonctions oe Ghancel�er de l�Empereur ; il ne manqua pas de rappelier les grands fervices qffavoit rendus deffunt fon peie aux Fran�ois , 6c que le. fils avoit toujours eu envie de venir les voir pour renouveler l�amitié qui n avoit


aux Indes Occidentales. 67
jamais celle d exifter entre fa nation & la n�tre , & pour fumer tous enr femble dans le meme calumet.
Il eft vrai que fon Prédecefleur avoit de tout tems été inviolablement attaché à M. de Bienville , & c�étoit en cette confidération qu�il avoit accordé à ce Cacique le titre d�Empereur.
Ce Gouverneur avoit voulu aufl�
obliger toutes les Tribus Allibamonnés à le reconnoitre pour leur Grand Chef, ce qu�elles refuferent, alléguant pour raifon , que c�étoit bien affez que chaque village fut fubordonné à un Chef; enfin elles nevoulurent rien changer à la forme de leur Gouvernement.
L�Empereur , fon Régent , fon Chef de guerre , fon Médecin ou Jongleur, & fon Loué , parurent le lendemain fur les dix heures du matin devant notre commandant o� nous étions tous, habiliés en unifor
me , & raffemblés pour lui compofer une petite Cour. Quant à l�Empereur , fon habit impérial n�étoit pas plus mgnifique ce jour là que celui des Seigneurs de fa Cour ; car ils
Y)S Nouveaux Voyages étoient tous vêtus comme l�étoit Adam dans le Paradis Tereftre. [ i ] Ce jeune Prince étoit d une taille majeftueufe , & d�une figure^aimable ; il avoit l�air noble & fpirituel ; pendant le féjour qu�il a fait ici, il a été défrayé fur le compte du Roi ; comme il étoit de ma grandeur , le Commandant me pria de me défaire en fa faveur , d�un habit bleu & d�une de mes veftes galonnée en or, d un chapeau bordé avec un plumet, en outre d�une chemife garnie de manchettes brodées.
M. Aubert fit aufl� , fur le compte de Sa Majefté , quelques préfens de peu de conféquence , au Prince Américain , ainfi qu�aux Officiers de fa fuite lefquels s�en retournèrent très- fatisfaits.
Leur pays efi: fitué entre la Carofine & la Floride Orientale, a l�iLll de
( i ) L'habit que l�Empereur avoit en arrivant aux Allibamons lui avoit été donné par un Capitaine des troupes du Roi d�Angleterre. Ce Prince l*�ta,tant par politique que pour en avoir un autre des Fran�ois�




aux Indes Occidentales. 6y
�a Mobile : ces Peuples n�ont jamais été conquis par les Efpagnols , devenus leurs .ennemis déclarés. Le Commandant a toujours fait manger à fa table l�Empereur ainfi que Jon Régent ; à l�égard des autres, on ne leur fait pas cet honneur , afin de leur donner plus de vénération pour les Officiers Fran�ois. J�ajouterai ici , Monfieur , que le fils de ce noble Kaouytas que les Fran�ois ont honoré du titre pompeux d�Empereur fut fort embarralfé la première fois qu�il mangea avec nous ; car il n�avoit jamais fait ufage d� la fourchette ; c�efi: pourquoi il nous regardoit attentivement pour pouvoir nous imiter en mangeant. Quant à fon Régent , il n�eut point cette patience ; il prit la carcaffe d�un poulet d�Inde � la rompit avec fes doigts, & allégu�t pour exeufe que le fZLcutve de la vie les avoir faits avant les couteaux & les fourchettes.
Vers la fin du repas nous e�mes une petite farce ; ce fut à l occafion du loué de l�Empereur ; ce premier domeftique étoit derrière SaMajefté Indienne pendant le repas ; ce natu^
*jq Nouveaux Voyages rel ayant remarqué que nous Rangions de la moutarde avec notre bouilli , s�informa auprès de M. Boudin , de ce que c�étoit que ce mets dont nous parodiions fi frians : comme cet Officier parle la langue de ces Peuples , ayant demeuré 40 ans parmi eux il lui répondit que s�il en avoit envie, il pouvoit fe fatisfaire> que les Fran�ois n�étoient pas avares de ce qu�ils poffédoient ; auffit�t le Sauvage en porta une cuillerée à (a bouche ; la moutarde qui étoit forte lui fit taire des contorfions ridicules qui firent éclatter de rire fon Makre ; il n'en fut pas de même de ce domeftique qui fe crut empoifonné ; auffit�t M, Aubert fe fit apporter une bouteille d�eau de vie ; il en fit avaler une l afade au prétendu empoifonné 3 en f aff�tant très fort qu�il alloit être guéri dans l�infiant.
Les Kaouytas font fort referves envers les étrangers en matière de Religion ; ils ne parlent jamais en public fans avoir m�rement réfléchi fur ce qu�ils ont à dire.
Ces Peuples tiennent annuellement une affemblée générale, dans le prin

aux Indes Occidentales. 71
c�pal village, ou chef lieu de la Nation ; il y a une grande cabane faite exprès ; chacun s'y place fuivant fora rang, & a droit de parler à fon tour (j) félon fon �ge , ta capacité , fa fage��e , & les fervices qu'il a rendus à la patrie.
Le Grand Chef de la tribu ouvre la féance par un difcours qui roule fur fhiftoire ou la tradition de leur pays; il rapporte les exploits militaires de fes ancêtres qui fe font fignalés pour la défenfe de la patrie, exhortant les fujets à imiter leurs vertus , en lupportant patiemment les befoins & les miferes humaines, furtour en ne muttmurant point contre le Grand EJ pr�t, qui eft ma�tre delà vie de tous les êtres d'ici-bas ; & en foutenant avec courage les adverf�tés; enfin en facnfiant tout pour l�amour de la patrie & de la liberté ; étant mille fois plus glorieux de mourir en vérita
( 1) Les Sauvages n�approuvent point les Européens qui parlent tous à la foislorfquils font affemblés.
�j2 Nouveaux Voyages
ritable homme, que de vivre en vil
efclave.
Le Chef ayant ceffé de parler, le plus ancien noble vieillard fe leve , falue fon Souverain, & harangue , le corps nud jufqu�à la ceinture ; l�eau lui découle de toutes les parties de fon corps, par la G�haleur 6e l�aétion qu il montre en déclamant, avec des geftes naturels, 6e des métaphores qui expriment fa penfée ; il perfuade fes auditeurs à croire tout ce qu�il dit parla force 6e l�éloquence de fon dilcours. Rien de plus édifiant que ces fortes d�afiemblées, on n�y� entend point parler, point d�indécence , point d�applaudi�emens déplacés ni de ris inmodérés. Les jeunes gens y font trèscirconfpe�s , 6e attentifs a écouter avec refpeél la parole des vieillards, perfuadés que c�eft pour leur bien�
LETTRE

&ux Indes Occidentales.
73

lettre xvir.
Au Même.
L�Auteur part du pays des �ibamons. Sa navigation dans la riviefe de Tombekbé. Comment Al échappe à la voracité dé un Crocodile. Rencontre d un parti de Chaélas révoltés. L�Auteur les ramene au devoir. Son retour à la Mobile.
Monsieur,
Pour toute reponfe à la Lettre que j avais écrite au Gouverneur , je re�us aux Al�bamons un ordre de nie 1 cadre a la ATobile > & d'y fer� vir les ordres de M. de Velle, Lieutenant de Roi de cette place ; ainli , aulieu d obtenir la permifl�on daller en France, comme je vous Pavois mandé , j�ai eu ordre de partir pour commander un convoi de vivres & de munition au Fort de Tombekbé
Il Partie. JJ
\



Nouveaux Voyages j*�tué fur la rivière de ce nom ; ce porte eft à dix lieues de la nation des Chadtas ; j�ai fuivi mes inflructions avec la derniere exad�itude , & la fatisfadtion entière de mes Supérieurs ; les lettres & les certificats que je fuis en état de repréfenter en font
foi. � A A
Je partis de la Mobile le 22 Ao�t jyf� , avec trois bateaux montés de fnlHars & de Sauvaaes Mobiliens ;
ceux-ci viennent s�offrir d�eux-mêmes pour aider le Fran�ois à voguer , moyennant quelque bagatelle quon leur donne.
On s�embarque fur la Mobile , & après avoir navigé environ iy lieues, on arrive à un endroit nomme la Fourche, c�eft-à-dire, au confluent de deux rivières qui fe jettent enfemble dans la Mobile, f�avoir la riviere des Allibamons , & celle de Tombekbé ; j�entrai le 27 Ao�t dans cette dernière pour la remonter jufqu�au Fort ; jious étions dans la belle faifon , �c j�avois choifi fur le bord de la riviere, un endroit fort propre pour cabaner
oucamperflesSauvagesy ayant fait une
pêche abondante , me In eut pié.ent

aux Indes Occidentales. 77
? UnerI?a,lbue > forte de poi�'on qu�ils ont eciier , & qui pouvoir avoir 4 pieds de long ; comme le temps oit ferem ; je ne me donnai point la peine de tendre ma tente , je me mis
feulement a l�écart fur une plate-forme,
couverte de gafon , qui donnoit fur Ja riv.ere ; cet endroit m�ayant paru Plus commode pourrépofer , j y étenla peau de POufoue de mon prétendu Gouvernement & je m envelopai dans ma tente en me couvrant le vifage à caufe du ferein qui eit dangereux dans cette faifon
ce petit rafinement dedélicateflepenf�
me co�ter cher,comme vous allez voir.
a avois eu foin de mettre à mes pieds mon poilfon dans la crainte qu�on ne le yo,at ; mais il arriva pis. J�avois déjà doimi une heure d�un fommeil profond & tranquille , car les habitans de ces bords font nos alliés & nos amis; tout à coup je me fens ênrame par une force extraordinaire; je ? m evei le en furfaut , comptant quon vouloir me faire pièce; je vous
adure que je n ai jamais e� tant de Peur, & ]e crois qu�on l�auroit à moins; je crus que c�etoit le Diable
D ij
t

I6 . Nouveàux Voyages qui m�entrainoit ; je criai au fecours > on crut que je revois , & que j�etois un vifionnaire; mais quelle fut ma furprife lorfque je fus éveillé ! J apper�us un Crocodile de plus de vingt pieds de long > ( i ) il étoit forti de la rivière pendant le calme de la nuit > attiré par happas de la Barbue que j�avois au bas de ma tente ? comme ces amphibies font extrêmement voraces , celui-là fe jetca avec avidité fur mon poifTon , & en emportant fa proie dans la riviere > il m�entrainoit par un coin de la tente dans laquelle fétois enveloppé. Mais j�eus le tems de me debaraffer au bord du précipice , Sc j�en fus quitte pour la peur. Je fauvai feulement, la peau de l�Ours qui ne me quitte plus. Cette hiftoire, toute fimple qu�elle eft, pourra paf�er pour un prodige chez ceux qui aiment le merveilleux.
Les Sauvages Collapijpis ^ if Ouan
/Tv Mou feulement fa grandeur m�effraya;. J�s encore je tus infedé de là mauvaifc f�deur de muU qud exhalent.

aux Indes Occidentales, 77 chas, petites Nations qui habitent audef�us de Ja Nouvelle Orléans , (b battent avec les Crocodiles,dans l�eau; voici comme ils font.
Ils s�arment d�un morceau de bois dur, ou de fer pointu par les deux bouts ; ils l�empoignent parle milieu, & nagent le bras tendu ; le Crocodile s�avance la gueule béante pour dévorer le bras du Sauvage qui lui enfonce fa main armée de ce morceau de bois 3 & le Crocodile fe perce lui-meme les deux m�choires qu�il ne peut plus fermer ni ouvrir, & les Sauvages l�amènent à terre ; ces Peuples prennent fouvent ce divertii�èment ; autant en font les Nègres de Guinée ou du Sénégal.
. Après avoir navigé environ 60 lieues entre des forets & des montagnes qui ^ bordent la rivière , on a les eaux fi baffes > qu�on eft obligé de faire décharger les bateaux, 3c de faire cacher dans le bois les marchandées, C eft ce que je fus obligé de faire, a 1 exception des munitions de guerre, & de bouche auxquelles je donnai toute mon attention ; je ne me fuis jamais vu dans un état aufii f�cheux :


78 Nouveaux Voyages il a fallu tra�ner les bateaux plus de j y lieues ; je me fuis mis moi-même à la tête des foldats & des Sauvages, de j�ai tiré à la cordelle pour leur montrer l�exemple. On peut juger de mon embarras , fi l�on fait attention que pendant cette man�uvre, il auroit été facile de nous défaire , de de nous piller. J�ai rencontré un parti deChac*tas révoltés, allant chez les Anglois ; je les ai exhortés à retourner fur leurs pas ; ces Sauvages ont traverfé la riviere à un endroit nommé en leur langue Tafkaloujfas , qui veut dire Montagne blanche [ i ]; leur Chef, nommé Mingo-Houmas , a eu finfolence de me vouloir forcer à lui donner de l�eau de vie ; il a même eu l�audace de lever la hache fur ma tête. Dans cette conjoncture , je lui ai dit, quej�étoisun Véritable-Homme, que je ne craignois pas la mort, que j�avois jetté mon corps, (2] & quej�étois
( t ) Ceft une efpéce de marne ou craie qui vaudroit beaucoup en Europe.
( 1 ) Ceit-i-dire fe dévouera la mort pour ta patrie.
aux Indes Occidentales. pp content de mourir, étant bien perfuadé que s�il me tuoit ainfi que mes* Guerriers qui étoient en petit nombre, le Grand Chef des Fran�ois, audelà du grand lac, vengeroit mon fang fur leur Nation en y envoyant autant de Guerriers qu�il y avoit de feuilles aux arbres.
Ces peuples furent furpris de ma fermeté ; ils dirent � que j�étois un 33 Homme de valeur ; que je leur fai� fois revenir fefprit qu�ils avoient ^ perdu , en formant le déteftable 33 de (lé in de quitter la main de leur 33 pere ; mais qu�ils efperoient que 33 j�oublierois le paiTé., parceque j�étois 33 bon. a La harangue finie , on me préfenta le calumet de paix que j�acceptai a condition que je fumerois dedans avec du feu nouveau,pour marquer un oubli éternel du pade , & renouveller l�alliance avec les Chakas* enfans du Grand Chef des Fran�ois , pour les convaincre que le paffë alioit être oublié , je dis que le feu devoir fe produire de lui-même. J�avois fur moi une petite phiole de phofphore que javois apportée de France à mon dernier voyage ; je mis de
D iv
"S o Nouveaux Voyages
cette poudre dans le calumet de paix, & je 'regardai le Ciel en proférant quelques paroles au GrandEfprit ! pendant ce tems, la poudre qui avoit pris l�air , alluma le tabac : ce qui furprit j non-feulement les Sauvages, mais encore les Fran�ois qui étoient avec moi , & qui n�avoient jamais vu l�expérience de cette poudre.
Après cette cérémonie miftérieufe, je fis préfent de quelques bagatelles d�Europe à ces Gens, 6e auChet d�une bouteille d�eau de vie. C�efi: un ufage, en traitant avec les Sauvages, de donner pour confirmer fa parole. Enfuite ils me prirent tous la main , me la ferrerent en ligne d�amitié , & reprirent la route de leur village. Ils me témoignèrent qu�ils étoient honteux de leur folle démarche , Sc nous nous fepar�mes contens les uns des autres.
Peu de tems après, les p�uyes furent fi abondantes qu�elles groffirent extraordinairement la riviere.
Comme j�avois dépêché un Sauvage à M. de Chabert, Commandant au Fort de Tombekbé , il m�envova un détachement commandé par M. de Cabaret, Officier très-intelli
aux Indes Occidentales. 8r gent, & qui m�a été d�un grand fecours dans l�occurence , en apportant en même tems des rafraichii�emens a ma troupe qui n�avoit plus de munition de bouche.
Nos Petits-jmaitres d�Europe qui tra�nent après eux des miroirs, des toilettes , des robes de chambre , &c. palleioient oans l�efprit des Sauvages pour des femmes , & non pour des des Chefs de Guerriers, ils ne brilleloient point dans ces fortes de campagnes , o� il faut braver les chaleurs exceffives de l�été & les rigueurs de 1 hy ver , coucher lur ia dure , & aux injures de Pair pour fe garantir des fui pi nés de ia part des Sauvages 5 M. Braddock, Général de la Nouvelle Angleterre en 1775*, en a fait la funefte expérience , iorfqu�il venoit s�emparer du Fort du Quêne ; à quelque dirtance de ce porte, il fut mart facré avec toute fon armée par un petit nombre de Fran�ois de de Sauvages nos fideiles alliés, conduits par de braves Officiers Canadiens & Européens , qui firent en cette aéiion des prodiges de valeur.
Ennn 3 j arrivai heureufement Je
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g2 Nouveaux Voyages 25* de Septembre au Fort de Tom~ bckbé, après avoir fait environ ioo lieues par eau , fans avoir \� aucune habitation. On eft obligé de cabaner tous les foirs dans les bois furie bord de la riviere ; mais ce qu�il y a de plus incommode dans cette faifon * ce font les Maringouins, que nous appelions en France Coufi ns, �e qui font infuporrables par toute la Louifiane0 Pour s�en garantir , l�on pique a terre de grands roleaux que l�on repiie en maniéré de berceau ; on le couvre après d�une toile ou linceul ; audeffous on met une peau d�Ours qui fert de matelas ; tous les voyages de la colonie , fe font ordinairement par eau, & de cette maniéré.
Lorfque l�on a débarqué pour le Cabanage j l�Officier commandant doit avoir foin d�établir un corps de garde, & de pofer des fentinelles dans le bois pour fe garantir des furprifes. On doit avoir une grande attention de toujours choifir, pour l�affiéte du camp , un endroit avantageux par fa pofition, comme une Ifle, une pointe ou cap 5 ou une bature�
aux Indes Occidentales� 8 3
Si le S. D. *. *. *. avoit prisces précautions lorfqu�il montoit, en 17 J y j un bateau chargé de poudre que M.de Bienville envoyoit aux Illinois pour faire la guerre auxlckikachasd� n�auroit point été furpris comme il le fut par un parti de Guerriers de cette nation ; on peut affurer que la négligence de cet Officier 11e nous a pas été moins funefte que la l�cheté s l�ignorance & la cupidité du Commandant des Natchez ; ce bateau chargé de poudre , pris par les Tchikachas , /
leur fervit à nous faire la guerre pendant pfus de 30 ans, ce qui eaufa la mort d�un grand nombre de braves gens , & plufieurs millions de dépenfes au Roi.
Voici en peu de mots , comme le f�eur D. *. *. *. fut furpris & faitprifonnier. Un jour que le vent du Nord fouffloit, il fut contraint d�amarrer le bateau a terre , & de fe cabaner pour attendre les vents ; ayant fait débarquer tout fon monde , il fur à la chafle ; les foldats à l�imitation de leur chef, en firent de même ; mais les Tchikachas, qui depuis longtems,
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84 Nouveaux F'oyages les faivoient & les guetoient à l��il , s�emparèrent dubateau & de la poudre, & firent tous les foldats efclaves. Le heur étant de retour de la
charte , fut bient�t inverti & pris comme les autres; les Sauvages, contens d�une pareille capture , & n�ayant perdu perfonne , leur accordèrent la vie ; quelque te ms après , le fieur Dyicyyy eut le bonheur de fe fauver, & de revenir à la nouvelle Orléans. Lofque l�on eft en route , fon doit aufli avoir quelque avant - Coureur Sauvage , tant pour la guerre que pour la chafTe. Il m�ariva, én montant la rivière de Tombekbé , que les vivres me manquèrent , mais la providence y fupplea vif�blement. Les Sauvages qui font de vrais furets dans les bois , vinrent m�avertir qu�ils venoient de faire une bonne découverte; effectivement, ils trouvèrent le nid d�un aigle de la groffe elpéce que l�on nomme race P\oyale;coml�Arbre o� étoit ce nid étoit extrêmement haut, ils vinrent chercher des haches pour l�abattre ; mais ils furent bien recompenfés de leurs peines, puifqu�ils y trouvèrent une
eux Indes Occidentales $� quantité de gibier de toute efpéce, commue de petits chevreaux, des lapins, des dindes fauvages, des gélinotes� des perdrix & des pigeons ramiers ; il y avoit dans le nid quatre aiglons déjà grands que les Sauvages prirent pour eux , au grand regret du pere & de la mere qui leur auroient arrachés les yeux , s ils n�euffent point été armés de fufils ; ces animaux ailés étoient furieux : & c�eft bien à jufie titre qu�on appelle l�Aigle le Roi d es oifeaux par fon intrépidité ; mais le plomb meurtrier n�épargna nullement leurs Majeftés emplumées , qui furent les viéiimes de leu r amour paternel. Les Sauvages me dirent que céroit le Grand Efprit qui nous envoyoit de quoi manger. En effet ^ c�étoit une efpéce de manne dont la Province nous favorifoit dans ce delert.
U vient d�arriver ici des nouvelles de la Capitale; un de mes amis me marque que tout eft en combuftionà la Nouvelle Orléans, à i�occafion d�un vaiffeau Anglois, venu de la Jama�que à la Louifiane en qualitéd�interloppe (i).
( i ) On appelle interloppes, des b�timens qui font le commerce prohibé.

V
86 Nouveaux Voyages
Ce b�timent fe nomme le Texel i le Capitaine qui le commande s�appelle D ias-Arias , Juif, Anglois de nation. L�Ordonnateur l�ayant trouvé dans le cas de la confifcation, fuivant l�ordonnance de la Marine, l�a faifi au profit du Roi > M. de Belleifle , Major de la place & Commandant par intérim j a été requis de donner main forte à cet effet ; mais M. de Kerlerec étant de retour de la Mobile* a interdit M. de Belleifle de fes fonctions ; ce Gouverneur a fait enfuite enlever à 3 heures du matin , le Secrétaire de M. de Rochemore, par un détachement qui, apres avoir brifé portes & fenêtres , l�a arraché de* fon lit & tranfporté dans un b�timent dont on ignore la deftination ; fur quoi M, de Rochemore a pris le parti de députer au Miniftre , Monfieur de Fontenette , Confeilier au Confeil Supérieur.
Lorfque je ferai mieux informé de tout ce qui s�eft paffé je vous en ferai part ; j�écris au Gouverneur de m�accorder mon rappel a la Nouvelle Orléans. Je luis Monfieur , &cc�
A Tombekbé ce ip Septembre 17 JJ?*

aux Indes Occidentales. 87
LETTRE XVIII.
Au Meme.
Defcription du pays des Cha��as. Leurs guerres. Leur maniéré de traiter leurs maladies. Leurs fuperj�itions. Leur commerce. Leurs jeux d? exercice* Pays des Tchikachas, rcoj ennemis.
VIONSIEUR ,
Je comptois partir d�ici dans deux jours , mais l�envie que j�ai de conno�tre la nation la plus belliqueufe , &: la plus nombreufe du continent de la Louil�ane, m�a fait changer de fentiment ; je profite de mon loifir pour vous faire une defcription de ce que j�en ai vu & appris. Les Chactas , font entièrement dévoués aux Fran�ois; ils en donnèrent des marques fous le Gouvernement de M, Terrier , qui s�en fervit avec fuccès pour ch�tier les Natchei* qui mat*
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88 Nouveaux Voyages facrerentles Fran�ois établis chez eux� Audi la Cour leur fait-elle des préfents tous les ans pour lés entretenir dans nos intérêts. Cette Nation peut mettrefur piedqooo guerriers qui mar* cheroient volontiers. Il feroit facile, en s�y prenant bien, de leur faire chanter la guerre , & de les exciter à nous venger contre les Anglois qui commettent des hoftilités dans nos poiief� fions en Canada ; ces Peuples pourroient nous fervir avantageufement dans l�occurence, s�ils faiioient des incurfions fur les terres Britanniques, notamment flir les Provinces de la Géorgie & de la Caroline qui ne font munies d�aucune force, ayant envoyé leurs troupes & leurs milices nationales au liège de Québec. Plufieurs braves Officiers de cette Colonie, qui parlent la langue naturelle des Sauvages ^ tels que M. deRouville, Du�ii�enet & autres, br�lent d�envie de fe f�gnaler, 6e de marcher à la tête des partis de ces Nations , nos alliées qui �avageroient la récolté des ennemis, pilleroient, bruleroient les habitations & donneroient l�allarme jufquaux porte; de Charleftown, ce
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aux Indes Occidentales. 8P qui pourroit faire faire diverfiou au Canada.
Les ChaBas aiment la guerre, 8c ont entr�eux de bonnes rufes. Ils ne fe battent jamais de pied ferme; ils ne font que voltiger ; ils narguent beaucoup leurs ennemis , fans pour cela être fanfarons ; car , lorfqu�ils en viennent aux mains, ils Te battent avec beaucoup de fang froid. Il y a des femmes qui portent une telle amitié à leurs maris , qu�elles les fuivent à la guerre. Elles fe tiennent à c�té d�eux' dans les combats , avec un carquois garni de flèches & les encourageant en leur criant continuellement qu�ils ne doivent pas redouter leursennemis, qu�il faut mourir en véritables hommes.
Les Chattas font extrêmement fuperftitieux ; �ofqu�ils vont en guerre , ils consultent leur Manitou , c�eft le Chef qui le porte. Ils l�éxpofent toujours du c�té o� ils doivent marcher à l�ennemi; des Guerriers font fentinelle autour. Ils on tant de vénération pour lui, qu�ils ne mangent point que le Chef ne lui donne la première part.
Tant que la guerre dure , le Chef
< o Nouveaux Voyages eft exactement obéi ; mais dès qu�ils font de retour ils n�ont de confidération pour lui, qu�autant qu�il eft libéral de ce qu�il pofféde.
C�eft un ufage établi parmi eux , que lorfque le Chef d�un parti de guerre a fait du butin fur l�ennemi ii doit lediftribuer aux Guerriers s& aux parents de ceux qui ont été tués dans les combats, pour ejj�iycr, difentils, leurs larmes. Le Chef ne fe réferve rien pour lui, que l�honneur d�être le Reftaurateur de la Nation.
Sous leurs toits de rofeaux , iis bravent la
molIeiTe,
Leur arc, & leur carquois font leur feule
richeffe.
M. Thomas dans fort Poème dejumon �lle.
L�intétêt qui fait commettre un fi grand nombre de crimes parmi les Peuples de l�ancien Monde , eft ignoré parmi ceux du nouveau ; ce n�eft point fans fondement que les Indiens de Cuba difoient , que for étoit le véritable Dieu des Efpagnols , Sc qu�il falloit le leur abandonner pour avoir la paix. On ne voit point en Amérique , de ces hommes que nous appelions Sauvages, qui foyent allez


aux Indes Occidentales. pi barbares ponr égorger de fang froid leurs freres, ni fervir de faux témoins pour les perdre afin d�avoir leurs biens. On n�y connoit point l�intrigue pour s�enrichir par des voyes indignes de l�humanité. On n�y voit point de femme empoifonner comme en Europe fon mari pour convoler a de fécondés noces. On ne voit point de ces femmes allez lalcives ni audacieufes pour déclarer publiquement l�impuiflance de leurs maris, c�mme font les Européennes, ni de femmes de Cacique > faire comme cette Prince ffe de Naples, qui fit étrangler fes maris parcequ�ils n�aflouvifToient pas fa brutale pallion ni de filles détruire leur fruit pour paroitre chaftes aux yeux des hommes. Les femmes Sauvages ont en horreur les filles chrétiennes qu�elles voyent tomber dans ce cas; elles leur oppofent les bêtes les plus féroces de leurs forêts , qui ont un grand foin de leur progéniture.
Si le Chef d�un parti de Chattas ne réull�t pas dans la guerre qu�il a entreprife , il perd tout fon crédit ; perfonne n�a plus de confiance à fon commandement , & il eft obligé de
5*2 Nouveaux Voyages defcendre au rang de fimple guerrier. Cependant admirez la variété des opinions dans les différentes Nations. Il n�y a point de honte pour ceux qui l�chent le pied parmi ces peuples guerriers. Ils attribuent leur défertion à un mauvais rêve ; fi le Chef même d�un grand parti, ayant rêvé la nuit qu�il perdra du monde , allure à fes Guerriers qu�il a fait un mauvais rêve, ilsfe replient tout auffit�t fur leur village ; Dès qu�ils s�y font rendus, ils font la médecine ; car ils l�employent en toutes fortes d�affaires ; puis ils retournent à l�ennemi ; fi dans leur route, ils le rencontrent , ils lui tuent y ou 6 des fiens, & ils reviennent alors fur leurs pas,auffi contents que s�il savoient fubjugué un grand Empire.
Un Général qui remporteroit une viétoire avec une perte de beaucoup de monde , feroit très mal re�u de fa Nation , parceque ces Peuples comptent pour rien la viétoire quand elle eft achetée au prix du fang de leurs parens & de leurs amis : aufi� les Chefs de parti, ont grand foin de conferver leurs Guerriers , & de n�attaquer l�ennemi, que lorfqu�ils font furs de
aux Indes Occidentales. 93
vaincre, foit par le nombre, ou l�avantage 8c la pofition des lieux ; mais comme leurs adverfaires ont la même rule, 8c qu�ils f�avent auffi bien qu�eux, éviter les pièges qu�on veut leur tendre j c�ert le plus fin qui l�empor-� tera ; pour cet effet, ils fe cachent dans les bois le jour , & ne marchent que la nuit 1 s�ils ne font point découverts j ils attaquent au point du jour. Comme ils font ordinairement dans des Pays couverts, celui qui marche le premier porte quelque fois devant lui, un buiffon fort touffu , 8c comme ils fe fuivent tous à la file , le dernier efface les traces des premiers, en arrangeant les feuilles ou la terre �ur laquel e ils partent , de manière qu�il ne refte aucun vertige qui puiffe les déceler.
Les principales chofes qui fervent a les faire découvrir de leurs ennemis, font la fumée de leurs feux qu�ils fentent de fort loin , 8c leurs piftes qu�ils diftinguent d�une maniéré prefqu�incroyable ; un jour un Sauvage me montra dans un endroit o� je n�avois rien appercu , l'empreinte des pieds de Pràn�ois ^ de Sauvages &
\
54 Nouveaux Voyages de Negres qui avoient pafle, & le te ms qu�il y avoit ; j�avoue que cette connoiiTance me parut tenir du prodige : on peut dire que les Sauvages , lorsqu�ils s�appliquent à une feule chofe , y excellent.
L�art de la guerre , chez eux * comme vous voyez, confiée dans la vigilance , l�attention à éviter les furprifes, �càprendre l�ennemi au dépourvu , la patience & la lorce pour Supporter la faim , la foif , l�intemperie des faifons, les travaux & les fatigues inféparables de la guerre.
Celui qui a fait coup , porte en trophée la chevelure du mort , s�en fait piquer ou calquer la marque fur fon corps , puis en prend le deuil * pendant lequel tems , qui dure une lune , il ne peut fe peigner . enforte que h la tête lui démange , il ne lui efl permis de fe gratter qu�avec une petite baguette , qu�il s�attache exprès au poignet.
Les ChaFtas > & leurs femmes font très-malpropres , habitant la plupart des lieux éloignés des rivières. Ils n�ont aucun cuite ; ils prennent le tems comme il vient,fansfouci pour lavenir*

aux Indes Occidentales. <py Sc croyent cependant P�me immortelle; ils ont une grande vénération pour leurs morts qu�ils n�enterrent point; lorfqu�un Chaffas eft expiré j on expofe (on cadavre dans une bierre, faite expies j d�écorce de cyprès, potée fur quatre fourches d�environ quinze pieds de haut. Quand les vers en ont confumé les chairs , toute la famille s�adèmble ; le défoffeur vient qui démembre le fquélêtte : il en arrache les mufcles , les nerfs & les tendons qui peuvent ctre refiés , puis ils jes enterrent,& depofent les es dans un coffre, après en avoir vermillonné la tete. Les parents pleurent pendant^ toute la cérémonie qui eft fuivie dun repas qu�on fait aux amis qui font venus faire leur compliment decondoléance , après quoi on porte les reliques du deffunt au cimetière commun , dans l�endroit ou font déposes celles de fes ancêtres. Pendant qu oil fait ces ceremonies lugubres ^ on obier ve un morne h�ence ; on n�y chante ni ne danfe ; chacun fe retire en pleurant.
Dans les premiers jours de Novembre ^ iis célèbrent une grande fête
$6 Nouveaux Voyages qu�ils appellent la fête des morts ou des �mes ; chaque famille alors fe raffemble au cimetiere commun, 3c y vifitent en pleurant Jes coffres funèbres de fes pa�ens, 3c quand elles font de retour, elles font un grand feftin qui termine la fête.
On peut affurer , à la louange de ces Amériquains , que l�amitié entre les parens,fi rare parmi les Européens, mérite d'être imitée ; j�en ai rapporté quelques traits qui l�emportent fur ceux de l�antiquité; L'amour que les Sauvages ont les uns pour les autres, les porte humainement à fe fecourir mutuellement lorfqu�ils font infirmes.
On reconnoit cet amour fincere par les derniers devoirs qu'ils rendent à leurs proches 3c a leurs amis, par leurs pleurs 3c leurs regréts , lors même qu�ils n�exiftent plus.
Les Sauvages en général ont beaucoup de vénération pour leurs Médecins ou Devins , vrais Charlatans qui en impofent au fot vulgaire, pour vivre gracieufement à fes dépens. Ils ont auffi beaucoup d�autorité , 3c c�efl à eux qu�ils s�adrefient en toute forte d�occafion pour recevoir leurs
avis
aux Indes Occidentales. 97 avis, ils les confultent comme l�oracle, �Lofqu�un CJmElas eft malade , il donne tout ce qu�il a pour fe faire tiaitet ; mais fi le malade meurt , fes parents attribuent fa mort à la médecine, & non à la dilpof�tion du malade : en conféquence ils tuent le médecin s�ils le veulent (1 ); mais ce cas n arrive gueres , parce qu�ils ont toujouis une porte de derrière ; au rette , ces Médecins ont la connoiflance de plul�eurs plantes excellentes pour la guérifon des maladie's aux quelles on eft fujet dans ce pays ; ils l�avent guérir finement la morfure des Serpens à fouettes , & des autres animaux venimeux.
Lorfque les Sauvages font bleffés d un coup de feu ou de flèches, les �Jongleurs ou les Médecins commencent par fuccer la playe du malade, & en crachent le fang, ce qu�on appelle
(1) J a. vu bien de gens en France qu croyo�ent que leurs parents nettoient mon que pai!a faute du Medecm, ce qui relTem
à ce? égard 'Mn'ere ^ ^ dcS Sallva8�
II. Part.'e. �
p 8 - Nouveaux Noyages
en France guérir du iecrct ; ils ne fe fervent dans leurs paniemens ni de charpie , ni 'de plumaceaux ; mais de la poudre d�une racine qu�ils foufflent dans la playe , pour la faire fupurer, 3c d�une autre qui la tait lécher 3c cicatrifer ; ils garantirent les playes de la cangréne , en les badinant avec une decoétion ne certaines racines qu'ils connoiilent.
Lorfqu au retour d'une guerre ou d�une ch a fie ils font las 3c excédés de fatigues, ils fe reftaurent en fefaifant fuer dans des étuves (i);ils (ont bouillir pour cet effet dans 1 étuve toutes fortes d�herbes médicinales 3c odoriférantes, dont les efpiits 3c les fels enlevés avec la vapeur de l�eau , entrent par la respiration 6s par les pores dans le corps du malade, qui recouvre les forces abbattues. Ce icmede n�éft pas moins bon poui calmer 3c diliiper toutes iortes de dou
(1) Ce (ont des cabanes rondes, conftruites en forme de loin au milieu du village , ces étuves font entretenues par un Alekxi ou Médecin public.
aux Indes Occidentales. no leurs ; auf�i ne voit - on chez eux ni goutte, ni graveile, & autres infirmités auxquelles nous Tommes (mets en Europe : ce qui peut aui�i venir en partie de leurs fréquents exercices du corps. On n y voit point de gros vendes comme en Hollande, ni de grofles tumeurs a la gorge appellées goëties comme en Piedmont.
Les Chac�as croyent beaucoup aux lorciers ou enchanteurs, & lorfqu�ils en découvrent, ils leur font fauter a fere ( ! ) ians autre iorme de procès.
. J 21 vu un Sauvage de cette Nation, qui s�étoit fait baptifer depuis peu; comme il ne réuffif�oit pas à la c afe, ainf� que Tes camarades il s imagina qu�il éroit enforcelé ; ce nouveau profélite fut auffit�t trouver le Pere Lefèvre (2) , Jéfuite , qui IV
, L) Pn i7j�, Iorfque j�étois à la Mobi>
; en vis un que l�on a Somma .1 coups de II
fe � a ,Caufe cluil fe difoit Corder Les Sauvages lu. attribuent les malheurs qui ar! nvoient par hazard à leur Nation q 3r (z) Les Sauvages appellent les Jc-fuites, les homm.es a robes noires ; ils difcnt que ce ne font point des hommes comme les autres s tiaitent par denfion de femmes
� ii
f

i o� Nouveaux Voyages voit converti, & lui dit que fa médecine ne valoit rien que depuis qu�il � avoir re�ue, il ne tuoit ni cerfs ni chevreuils. Il le conjura de vouloir bien lui �ter fa medécine ; leJéfuite� pour éviter le reffentiment du Sauva' ge, fit femblant de le débaptiler. Quelques tems après ce prétendu débaptifé ayant tué par hazard ou par adrelle un chevreuil, fe crut déforce
lé , & fut content.
L�efprit de cette Nation eft en général fort brute & fort grofiier. On a beau leur parler des myfteres de notre Religion, ils répondent tou-, jours que ce qu�on leur dit eft audeftus de leur connoifiance, Ils font au furplus fort pervers dans leurs meeurs : la plupart étant adonnés a la fodomie. Ces hommes corrompus, portent de grands cheveux , & une petite jupe comme les femmes, dont ils font en revanche fouverainement �Tiéprifés,
Les Chacias font très - alertes & très-difpos. Ils ont un jeu femblable à notre longue paume , auquel ils font fort* adroits � ils y invitent les villages voisins, en les narguant de mille pro
ceux Indes Occidentales. ��� pos aga�ans, les uns plus que les autres. Les hommes & les femmes s�affemblenc dans leurs plus belles parures ; ils palPent la journée à chanter & a dan fer ; on danle meme toute la nuit au Ion du tambour & du chi� chikois. Chaque village eft ^diftingué par un feu particulier qu�il allume au milieu d�une grande prairie; le jour qui fuit eft celui du jeu ; ils conviennent d�un but qui eft éloigné de 6o pas, & déligné par deux grandes perches entre lefquelles il faut faire paffei la balle. La partie eft ordinairement en i<5. Ils font 40 contre40, & tiennent chacun en main une raquette longue de deux pieds & demi : elle eft à-peu-près de la même forme que les n�tres, faite de bois de noyer, ou de ch�taigner, & garnie de peau de chevreuil.
Un vieillard jette en l�air, au milieu du jeu, une balle ou ballon fait de de peau de chevreuil, roulées les unes fur les autres. Les joueurs alors courent auf��t�t à qui attrapera la balle avec fa raquette; c�eft un plaifir de voir ces joueurs, le corps nud, peint de toutes lortes de couleurs 5 ayant'
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�02 Nouveaux Voyages une queue de tigre attachée au derrière , & des plumes, aux bras & fur la tête , qui voltigent en courant, ce qui fait un effet fingulier; ils le pouffent j le culbutent les uns les autres ; celui,qui a l�adrefle d�attraper la balle, la renvoyé à ceux de fon parti; ceux du parti oppofé courent contre celui qui a fai h la balle , la renvoyent au leur j à qui on la difpute & ainfi réciproquement parti contre parti, ce que les uns & les autres font avec tant d�ardeur , que quelquefois il y a des épaules démifes. Ces joueurs ne fe tachent jamais : des vieillards qui affilient à ces jeux, fe rendent les médiateurs, & concluent que le jeurfeft que pour le recréer, & non pour fe quereller. Les paris font confidérab�es; les femmes parient contre d autres femmes.
Quand les joueurs ont ceffé, les femmes s�affemblent entr�elles pour venger leurs maris perdans. La raquette dont elles ie fervent diffère de celle des hommes, en ce qu�elle efl recourbée ; elles ont beaucoup de dextérité ; elles courent les unes contre les autres avec une grande v�cefie , & fe
aux Indes Occidentales. 103 collettent comme les hommes, étant également mifes, à l�exception de ce que la pudeur veut qu�on couvre. Elles ne fe mettent du rouge qu�aux joues feulement, & du vermillon iur les cheveux au lieu de poudre.
Après avoir bien joué de part d�autre toute la journée, chacun fe retire chez foi avec fa gloire ou fa honte ; mais fans rancune, fe promettant de jouer une autre fois à qui mieux; c�eft ainfi que tous les Sauvages 2 tant hommes que femmes, s�exercent à la courfe , auf�� font-ils fort alertes; j�en ai vu courir avec autant de v�tefie qu'un cerf.
Les enfants s�exercent à tirer des prix entr eux avec l�arc; celui qui tire le mieux remporte le prix de louange que lui donne un vieillard , qui le nomme apprentif guerrier ; on les prend par (es fentimens, (ans les battre ; ils font très adroits à la farbacane ; elle eft faite d�un rofeau d�environ fept pieds de long, dans lequel ils mettent une petite flèche garnie oe bourre de chardon , & en vifant les objets, ils fouffient dedans, & tuent fouveat de petits oifeaux.
E iv
104 Nouveaux Voyages
Prefque toutes les affemblées des Chattas fe tiennent pendant la nuit. Quoi qu'ils (oient barbares & féroces , il faut pour fe concilier leur confiance, avoir grand foin de leur tenir parole quand on leur a fait quelques promeffes, fans quoi ils vous traitent avec le dernier mépris, en vous difant fièrement que vous êtes un menteur, épithéte que ces Sauvages ont donnée au Gouverneur aétuel qu�ils appellent Oulabé-Mingo , c�eft-a-dire� le Chef menteur.
Quand les femmes font enceintes., leurs maris s�abftiennent de fel, & ne mangent point de cochon , dans la fuuffe opinion o� ils font que ces alimens pourroient faire tort à leurs enfants. Les femmes ne font jamais leurs couches dans la cabane > elles vont accoucher dans les bois fans re-* cevoir aucun fecours de perlonne.
Auflit�t qu�elles font délivrées , elles lavent elles-mêmes leurs enfans ; les meres leur appliquent fur le front une maffe de terre pour leur applatir la tête, &à mefure qu�ils prennent des forces, elles-augmentent la charge 5 c�efl: une beauté parmi ces Peuples

dusc Indes Occidentales. ioy d�avoir la tête plate ; elles n�emmailfottent point leurs enfans, ni ne les g�rotent point dans des linges avec des bandes.
Elles ne les févrent que lorfqu�ils fe dégo�tent du fein maternel. J�en ai vu d�aflez forts qui difoient à leur mere , aflied-toi, que je tête , & la mere auffi-tot s afleioit. Éeur berceau eft fait de rofeaux , les meres y couchent les enfans de maniéré qu�ils ayent la tête de trois ou quatre doigEs plus baffe que le corps; c�eft pourquoi l�on ne voit jamais parmi les Sauvages de tortus ni de boffus. Elles quittent aufl� la cabane dans leurs flux périodiques, que les Sauvages difent être de valeur; elles font obligées, pendant ce tems de crife d�apprêter elles-mêmes leur boire & leur manger, & ne reviennent parmi les hommes qu�après s�être bien purifiées. Ces Peuples croient que s�ils s�approchoient d�une femme en cet état, ils en tomberoient malades, & que s�ils alloient à la guerre eeia leur porteroit malheur.
Quoique les Sauvages ne confidérent leur origine que du c�té des femme-s, elles n�ont cependant pas la ii
E v

106 Nouveaux Voyages berté de corriger les gar�ons elles n'ont d'autorite que far les filles* Si une mere s�avifoit de frapper un gar�on , elle recevrait de vives réprimandés , & faroit frappée à fori tour ; mais l� fon petit gar�on lui manque, elle le porte à un vieillard qui lui fait une mercuriale, puis lui jette de l'eau
fraiche fur le corps.
Si une femme fait une infidélité � il la fait p a (1er par la prairie , c�eft-àdire que tous les jeunes gens & quelquefois même les vieillards fatisfont fur elle leur brutalité tour à tour. Telle eft la punition de Tadultere chez les C haBas. Quelquefois la coupable a la reflource, après une telle infamie , de trouver un l�che qui la prend pour fa femme, en difant pour excuie qu'elle doit être dégo�tée du commerce criminel qui lui a attire cette punition, & qu�ainfi elle fera plus fage à l'avenir. Quoi qu�il en fait, elle n�en eft pas moins regardée comme une femme dépravée 6e fans moeurs.
Avant de finir ma Lettre il faut, Monfieur, que je vous dite un mot des Tch�kachas. Cette Nation n�eft pas aufli nombreufe que la précédente ;
aux Indes Occidentales. ] 07
mais bien plus redoutable par (on intrépidité. Toutes les Nations du Nord & du Sud, & même les Fran�ois leur ont fait la guerre, fans avoir jamais pu les charter de leurs terres, qui font les plus belles & les plus fertiles du continent. Ces Peuples font grands, bien faits, & d�une bravoure fans égale. En 175-2, & 1773 , ils attaquèrent Meilleurs Benoift 6c de Reggio qui commandoient les convois des Illinois en defcendant le Mii�iffipi ; ces Sauvages choifilTent pour faire leur attaque quelqu�endroit avantageux , leut pofte le plus ordinaire eft aux Ecorres à Prudhomme, le fleuve étant rétréci, les balles portent dans les barreaux qui 11e font point pontés.
On croit que les Tchikachas tuerent en 175*7, Meilleurs Bouffelet & de la Morliere ; ces deux Officiers, quoi que très-braves, tombèrent dans Fembufcade par défaut d�experience , 11e connoirtant pas plus que le Général Bradock, le local du pays o� ils croient, ceft à quoi un Officier doit s�attacher afin d�éviter les furprifes t ou bien il faut fe tenir fur la défenfive.
Les Anglois ne fe font jamais dé
lo8 Nouveaux Voyages rachés de ces vaillans guerriers ; Hs ont toujours entretenu commerce avec eux, en pourvoyant à tous leurs befoins. Cette Nation monte trèsbien à cheval ; ils laiffent aux femmes le foin de cultiver, <& d�enfemencer les terres. Le fexe eft beau, de trèspropre. Lorfqu�un 7'chikachas a tué un chevreuil, il dit à fa femme à peu près l�endroit o� il eft ; elle va le chercher , le dépouille, & le fert à fon mari : les femmes ne mangent point avec les hommes, qui parodient indifférents vis-à-vis d'elles ; cependant ils les aiment plus qu�aucune autre Nation.
A l�égard de l�adultère , les Tchikachas fe contentent de fuft�ger les deux coupables qui ont été pris en flagrant délit , en les faifant courir nuds au milieu du village , après quoi le mari répudie fa femme.
Comme ces Peuples avoient donné retraite aux Nat chez après le maffacre des Fran�ois, ceux-ci armèrent en 17 3 (5, contre ces Sauvages qu�ils attaquèrent avec toutes les forces de la colonie , mais fans aucun fuccès.
M. d�Artaguette, Major de Com
aux Indes Occidentales. 109 mandant pour le Roi au Pays des Illinois, venoit joindre M. de Bienville , Gouverneur de la Louifiane ; il amenoit les troupes des Illinois, &: celles des frontières du Canada; mais le corps d�armée que commandoit cet Officier fut furpris & tout défait, parce qu�il avoit été abandonné par les Sauvages nos alliés. M. Dartaguette fut pris avec fept Officiers & environ 26 foldats & habitans, par les Tchikachas qui les br�lèrent vils ; de ce nombre étoit le Pere Sénat, Jéfuite , qui avoit fuivi M. Dartaguette en qualité d�Aumonier. On a f�u le détail de cette fcene tragique, par un Sergent nommé Louis Gamot j qui fut le fpe&ateur du trille fort que ces Barbares firent éprouver à fes compagnons d�infortunes; il étoit réfervé pour être br�lé le dernier ; mais il échappa à ce fupplice par un ftratagême allez hngulier. Comme la langue des Sauvages lui étoit familière , il s en fervit en cette occafion pour inveéhver contre fes bourreaux; sé� tant détaché, il leur jetta à la tête tout ce qui fe préfenta fous fes mains9 en leur difant ; Vous êtes des chiens *

11 o Non veaux Voyages puifquc vous aveq bridé mes Chefs, je veux P être aujji ; je ne crains ni le feu , ni la mon, parce que je fuis un véritable homme ; faites - moi bien foujfrir , car c�eft ce que je demande. Les Tchikachas, voyant la réfolution 6e fa fermeté , le prirent pour un homme extraordinaire , 6e lui accordèrent la vie ; quelque tems après il lut ran�onné par un Anglois de la Carohne;il eft actuellement à Charleltown, Capitaie de cette colonie Angloife.
f)ans une autre expédition contre les Tchikachas, qui fe fit le 26 Mai de la même année, o� commandoit M. de Bienville , nous ne fumes pas plus heureux ; p�ufieurs braves Officiers y perdirent )a vie; le Major général de l�armée > 6c 1 Aide-Major furent blefles fi dangereufement que le dernier en mourut. J�ai appris du Chevalier de Lu�er, SuilTe d�origine , que fon pere, qui fervoit en qualité de Capitaine dans nos troupes > avoir été dans cette malheureufe affaire ; cet Officier m�a auffi raconté l�hiftoire du Chevalier de Grondel, aduel�ement en garnifon à la Mobile, & commandant la troupe Suifle du sxé :
1



aux Indes Occidentales. 111
giment d'Halwil , attaché au fervice de la Marine, & ci-devant Karrer, qui avoit fous Tes ordres un détachement de grenadiers de ce Régiment, fervant à farinée de M. de Bien ville* contre les Tchikachas.
Pour abréger le détail de cette affaire , je dirai feulement que cet Officier joignant à une bouillante jeuneffe, la fidélité & la b ravoure naturelle à tous ceux de fa Nation, re�ut dans cette attaque cinq coups de fufils de la part des ennemis. Etant refté après la retraite fur le champ de bataille, il alloit devenir l�objet de la fureur & de la vengeance de ces barbares, fi plusieurs foldats de fa troupe ne fe fuffent expofés généreufement pour lui fauver la vie , malgré une gicle de coups de fufils 3c de flèches qui partoient du Fort des Tchikachas, 3c qui tuèrent fucceffivement cinq de ces hommes valeureux.
Cependant un autre, fans craindre le péril, retourna à la charge , & fut allez he ureux d�arriver à fa troupe , apportant fon Officier fur fes épaules. Le Chirurgien Major de l�armée mit en pratique tout ce que fon art put
� i 2 Nouveaux Voyages lui fuggérer pour le tirer d�affaire , de le Général qui f�ait apprécier le mérite militaire , ne manqua pas d�en rendre compte à la Cour, & M� de Maurepas, en coniidération des bleffures & des fervices de cet Officier, lui fit accorder une gratification extraordinaire en attendant la Croix de S Louis.
Quant au foldat ( i ) qui l�avoit fauve aux dépens de fa viefil fut élevé, fur le champ , au grade de Sergent par le Commandant de fa troupe. Vous voyez, Monfieur, par ce court récit, combien la (ubordination fi bien établ ie parmi les troupes du corps Helvétique , inviolablement attaché au fervice de notre augufte Monarque , eft digne d�admiration , de combien ceux qui la maintiennent en reflentent les heureufes influences.
L�a�ion de ces foldats, o� Phéro�fme avoit encore fa part, mériteroit bien que leurs noms fuffent tranfmis à la poftétité. En 1774, 5e Baron de Porneuf me fit part du deifein
Il fë nommo�c Régr�l�é.
aux Indes Occidentales. 113 qu�il avoit formé d�aller à la découverte de la partie de l�Oueft de la Louifiane, en remontant le Miffiffipi & la riviere des Miffouris, dont les fources nous font inconnues. Cet Officier , qui eft Canadien a des qualités très-propres pour de pareilles entreprifes ; mais la guerre qui s�eft élevée a foccafion des limites de ce continent entre l�Angleterre & la France, a mis obftacle à l�exécution de fon projet.
r J�auroisi, je vous affiire , été bien aife de l�accompagner, tant pour la gloire du Roi , que pour ma propre fatisfa�ion ; car malgré les fatigues & les rifques que j�ai effuyés dans mes courfes, je ne me fuis point du tout ennuyé. Les maux partes ne font qu�un fonge, & je ne trouve rien de fi agréable que la vie d�un voyageur ; il voit fans celle de nouveaux objets qui l�inftruifent en l�amufant. Il cultive fon efprit d�une maniéré agréable ; c�eft 1 à o� il apprend à lire dans le grand livre de l�univers, ce qu�on ne f�auroit lire dans une bibliothèque, o�, plus on voit d�Auteurs ralfemblés, plus on trouve de fyftémes, d�opU
I �4 Nouveaux Voyages nions, & de faits contradictoires ; fi vous étiez à ma place , vous auriez matieie à philofopher, Je fuis, Monfieur, &c.
ATombekbé le 30 Septembre 1JS9*
P. S. Comme il pourroit fe faire > Monfieur, *?ue je ne puffe avoir l�honneur de vous écrire de long-temps a caufe des circonftances de la guerre , je joins ici un fommaire des différends fur venus entre nous & les Lhactas. Quelques tems après la guerre des Tckikachas > les Fran�ois eurent quelques démêlés avec une partie des ChaBas, qui fuivoient les intérêts gu Soulier Rouge, Prince de cette Nation, lequel f�t l�infolent, & commit plufieurs hoftilités contre les Fran�ais. M, de VaudreuiL alors Gouverneur de la Louifiane, ayant appris cet événement & ce qui l�avoit occafionné, f�t défenfe à tous les Fran�ois d�aller chez cette Nation > 6c de traiter avec elle d�aucune arme ni munition de guerre, afin d�arrêter cette émotion en peu de tems, & fans répandre de fang.
Le Marquis de Vaudreuii, après
aux Indes Occidentales. HJ* ces précautions , envoya demander au Souverain de toute la Nation , fi comme le Soulier Rouge, il ctoit f�ché contre les Fran�ois ; le Souverain répondit à M. de Vaudreuil, par lTnterpréte, qu'ii étcwt ami des Fran�ois; que Ion Général, en parlant du Soulier Rouge, avoit perdu l�efprit.
Ayant fait cette réponfe, on lui fit un prélent ; mais il lut fort furpris de ne voir dans ce prélent ni armes, ni poudre , ni plomb, dans un tems o� ris étoient nos amis comme auparavant, Cette maniéré d'agir, jointe à la défenfe qu'ils f�avoient avoir été faite de leur donner des armes, redoubla leur étonnement, tk les engagea à s'expliquer avec le Gouverneur, qui leur répondit qu�on ne traiteroit point avec eux d'armes ni de munition, tant que le Soulier Rouge n�aurait point d�efprir, parce que ii on leur donnoit de la poudre , ils ne pourroient, étant tous frétés , fe difpenfer d�en céder une bonne partie aux guerriers du Capitaine le Soulier Rouge. Cette réponfe les détermina à parler aux Tributs qui nous in fuitoient ; ils leur dirent que fi elles n�al
� 16 Nouveaux Voyages loient promptement en calumet chez les Fran�ois, ils leur feroient la guerre à elles-mêmes comme à des rebelles. Cette menace leur fit demander la paix,.& offrir une réparation aux Fran�ois j qui n�étoienf pas en état de foutenir la guerre contre une Nation aui�i nombreufe.
Ce fut ainfi que la fage politique de Mr de Vaudreuil termina cette guerre fans frais à l�Etat,- & fans avoir expofé un feul homme; ce fut M. de Grand-Pré, Capitaine de nos troupes, qui fut chargé , de la part du Général Fran�ois, de cette importante négociation; le Marquis de Vaudreuil ne pouvoit af�urement faire un meilleur choix. M de Grand-Pré eft Canadien , &: fert le Roi avec zélé , bravoure & défintérefTement. J5ai été fur le point d�aller fervirauFort de Tombekbé, chez la Nation des Chaé�as, o� il commandoitjlorfque j�arrivai ici en ijyn
aux Indes Occidentales. 117

LETTRE XIX.
Au Meme.
VAuteur retourne à la Mobile. Evenemens remarquables, arrivés dansi�IJle aux Chats. �forr tragique du Sieur Duroux s Commandant de cette IJle.
M ONSIEUR ,
Me voici de retour du voyage que je viens de faire dans la riviere de Tombekbé; j�ai rempli cette importante & pénible million à la fatisfaction de mes fupérieurs. En attendant mon rappel à la Nouvelle Orléans, la curiofité me porta à aller vifiter les petites Xfles qui font fur la c�te de la Louifiane.
LTfle Maflacre fut la première o� les Fran�ois firent des établiffemens. Elle a été ainf� nommée parce qu�en y defeendant, on y trouva quantité de fqueletes humains 5 on ne put dit
X 18 Nouveaux Voyages
cerner s�ils étoient des Efpagnols ou

On l�a nommée depuis l�Ida Daulaine ( i ), Eile fe peupla peu-à-peu
(i) Il ne faut point la confondre avec celle dont il elb par é clans une relation du premier voyage de la Compagnie des Indes Orientatales en fille de iY�adagafcar, appeilée trop précipitamment l'Ifle Dauphine.
L'Auteur de cette Relation, qui écrivoit en 1665, & qui avoit été lui-même du voyage convient que les Anglois, & les Hollandois déjà établis aux Indes, furent les modèles que M. de Colbert fe propola d'imiter, & enfuite de furpafier ; mais tous les projets de ce digne Miniftre , échouèrent peu-à-peu, tant par l'imprudence & la vanité propres a la Nation , que par les écarts de ceux qu'on mit à la tète des affaires.
a Le même Auteur ajoute qu'il n�y trouva � que des emportés , & des mal habiles , tous � Officiers mal choifis, & incapables de i'ocv> capacion a laquelle ils étoient deftinés, au � lieu qu'il auroit fa; hi des gens inaccefli*> blés aux pallions groi�ieres, fans autre in� clination que le bien de la patrie, qui ieroit � le fil qui guideroic chacun pour bien forcir s> de fon emploi.
Il me femble qu'une le�on il utile devroit être gravée dans le c�ur de tous ceux* qui vont dans nos colonies avec quelque autorité, ëc quelque commandement.



aux Truies Occidentales. iij) on y fie des Magafins, un Fort, & des Ca? ei nés.
En 1717, l'entrée de Ton port fut bouchée par un amas prodigieux de fables qu�un ouragan y raflembla; Plfle fut p.efque inondée, & quantité de beftiaux furent noyés ; il fallut chercher un autre mouillage pour les vaiffeaux , & on choifit PIfie Surgere , qu on a depuis appellée llfie aux Vaifleaux ; elle a une rade foraine allez bonne. En 722 0 M. de Bienvide transporta tout le monde à la Nouvelle Orléans qui- eft devenue la Capitale de la Louifiane.
A 6 lieues de TKle aux Vaifleaux, on voit ]�Ifle aux Chats, ainf� nommée à caufe qu�en y débarquant, on y trouva quantité de chats fauvages. Cette derniere n�eft remarquable que
J'ai choif� pour exemple ce trait d�hiftoire qui a un rapport nngulier avec ce que l�on voit tous les jours dans nos colonies.
Il y a des Gouverneurs & des Intcndans qu il faut bien fe garder de confondre avec ceux qui ont fait des fortunes rapides & odieufes, nées des miferes publiques, & teintes du-fang d'une infinité de malheur eux.

120 Nouveaux Voyages par les meurtres & les brigandages qui s�y font commis fous le commandement de deux Officiers que M. de Kerlerec Gouverneur de la Louifiane , y a envoyé.
Il nomma en 17^7 , le Sieur Duroux pour commander en Chef dans cette Kle, & lui donna un détachement de foldats de la Marine, & du Régiment Suiffe d�Halwyl.
Le Sieur Duroux ne s�y fut pas plut�t rendu , qu�il fe regarda comme Souverain ; il s�arrogea d'abord le droit de fe faire faire un jardin par les foldats de fa garnifon *, il les employoit auffi pour fon compte à faire de !a chaux de coquillage , de du charbon , fans les payer, & ceux qui refufoient de fe foumettre à fes vexations , étoient attachés à un arbre , le corps tout nud, expofés aux piqueures infupportables des maringouins. Tel étoit le genre de fupplice que cet Officier faifoit fubir aux foldats de fa garnifon ; traitement indigne, de qui n�a jamais eu d'exemple chez les barbares.
Le Sieur Duroux leur faifoit manger delà munition faite de farines retirées
MX Indes Occidentales. 12 � fees du naufrage d�un vaili'eau Espagnol qui avoit péri fur la c�te � & faifoit revendre , à fon profit, les farines du Roi j defiinées pour le pain de fagarnifon. Tant de mauvais traitemens de la part de ce Commandant� déterminèrent quelques foldats à paffer a la Nouvelle Orléans� pour en porter des plaintes au Gouverneur � à qui ils préfenterent de ce mauvais pain de munition qu�ils mangeoientj mais M. de Kerlerec, n�ayant aucun égard à leurs juftes repréfentations , les renvoya à la diferétion de leur Commandant. Alors ces miférables craignant Ion reflentiment � formèrent le dellein d en faire un exemple, ce qu�ils exécutèrent en cérémonie.
Un jour cet Officier étant allé faire une partie de chaffe dans une Mette voifine de fon poffe, la troupe révol� tee prit ce tems pour avifer aux mefures néceffaires à l�exécution de fon complot, qui etoit de mafiacrer le Sieur Duroux. Une réfolution f� étrange ne pouvoit ctre infpirée que pai le defefpoir de n avoir pu obtenir la juftice qu ils avoient reclamée auprès du Gouverneur. Il ne s�agiffoit
II, Partie, F

123 Nouveaux Voyages pour éviter ce malheur, que d�envoyer un Officier Supérieur en grade au Sieur Duroux , qui n�auroit commandé qu�en fécond. .
Comme il retournoit de la chal�e , la fentinelle , ayant apper�u au large fon batteau, hilla le pavillon Fran�ois , ce qui fit prendre les armes à la �a garaifon, & battre aux champs. Les foldats conjurés s�étant avancés fur le rivage avec un caporal a leur tete � crièrent avec un porte voix , fuivant �ufage de la mer : ho ! du batteau j ho ! ho ! Le Sieur Duroux répondit, Commandant ! Il aborde, & comme il met pied à terre , le caporal donne le lignai , & au même inftan't les loldats font feu fur ce Commandant, qui tombe percé de coups ; enfuite ils le dépouillent j & jettent fon corps à la jyigr. Telle fut la fepulture IL la punition des vexations de ce petit tyran , qui ne fut regreté de perfonne, n�ayant d�autre recommandation que d�être protégé du lieut Thiton.piemier Sécretaire du Gouverneur. Les foldats j reliés ma�tres de l�Ifle, mirent alors en liberté un habitant nommé Beaudrot, que le défunt Commun

aux Indes Occidentales. 12 > flant tenoit injuftement aux fers dL Puis long rems. Le Sieur Durouxs�é. tou arrogé le droit de l�Amiral de lance , prétendant partager avec
les foldats&les habitans tout Ce qu�ils
pourroient fauver des vailfeaux naufrages fur la cote de l�Ifle aux Chats; & tous ceux qui lui refufoient de lui payer cette rétribution. ne manquoient jamais d�en être punis aulli févei enKmc que s�ils euflènt commis un f d c.u�e- Tel etoit celui de Beau'0t � ,i! n avoit �é mis aux fers, que
pour n avoir pas voulu partager avec
� C^mandant des effets qu�il avoit fauve, des débris d�un vaifl'eau Efpaf �i nommé le Situarc, qui avoi. �, naufrage fur cette c�te en i^cg.
Les foldats meurtriers, ayant en
au Roi' 11� t0,';Ces rfws �PParten.n. au Ro dans rifle aux Chats, prirent
cet habitant dont ils venoint de rompre les fers & l�obligerent de les conduue fui la route de la Colonie An
fltém SS- *
Chef de Sauvage appellé par les� Européens 1 Empereur des Kaouytas ils renvoyèrent Beaudrot, muni d�m,
Fij
�g^ Nouvzaux Voyages
certificat qui prouvoit qu�il avoit été forcé de leur fervir de guide. Une partie de cette troupe fe lepara pour aller chez les Anglois ; mais ceux qui reU terent chez les Sauvages furent bient�t arrêtés par ordre de M. de Montberaut, Commandant pour lors aux Jll�bamons ; de ce nombre fe trouva un caporal du Régiment dHalwy , qui, pour éviter le fupplice de la lcie ufité parmi les Suiffes, fe poignarda avec fon co�teau, qu�il portoit pen-u au col, à la maniéré des Sauvages. _ M. Beaudin, Officier de la garmfon , fut commandé avec un détachement pour conduire les criminels a la Mobile. Dans cet intervalle, les deux fils de Beaudrot arrivèrent de la Nouvelle Orléans à la Mobile; ils portoient, fans le f�avoir, un or du Gouverneur à M. de Velle, Corn* mandant a la Mobile . pour faire arrêter leur pere , qui etoit alors dans fon habitation, a^ec une grande lecurité ; cet habitant fe remit lui-meme en prifon , ignorant la détention des déferteurs qu�il avoir guides. M. de Velle fit transférer tous les criminels à la Nouvelle Orléans, ou 1 on tint
�ux Indes Occidentales. 12 f tin confeil de guerre pour faire leur procès,
Il fut jugé dans ce Confeil, que l�habitant Beaudrot, pour réparation du crime qu�il avoit commis en fervant de guide aux meurtriers du Commandant de l�Ifle aux Chats, feroit rompu vif, & fon corps jette enfuite dans le Fleuve ^ ce qui fut exécuté ; un foldat fubit le meme (upplice,& un SuilTe fut f�ié vif par le milieu du corps,
Quand on réfléchit fur le fort de l�infortuné Beaudrot, on fent bien qu�il faut qu�il ait été jugé contre la forme, & par des Militaires qui ignoroient les Loix civiles de criminelles, attendu qu�il ne pouvoit pas avoir mérité le fupplice cruel qu'on lui fit fuhir. Si la politique veut que pour la fureté publique , on ne laifle pas le crime impuni, la juftice demande , en faveur de l�humanité, que le Juge craigne plus de punir trop., que de ne pas punir allez, fuivant cet axiome, il vaut mieux fauvercent coupables , que de punir un innocent..
Si cet habitant devoir fubir quelque peine pour l�exemple , félon cette

12� Nouveaux Voyages Loi, on auroit pu la mitiger en confidération de fa femme �c de quatre enfans qu�on jettoit dans la derniere défolation ; parmi ces quatre enfants étoit une fille de figure aimable , qui faifoit l�admiration de la Colonie par fa vertu encore plus que par fa beauté ; cette charmante Créole s�eft retirée 5 avec le refie de fa famille, dans une habitation éloignée du commerce des hommes, pour y pleurer la mort de Ton infortuné pere.
Cet homme malheureux avoir été employé avec fuccès dans des négociations importantes auprès des Sauvages qui le confidéroient beaucoup. Il parloir leur langue , &c connoiffolt par pratique, le local du pays auffi bien qu�eux. 11 avoir de plus une force extraordinaire. Toutes ces qualités lui avoient fi bien concilié feflime &c l�amitié des ChaBaSj qui l�avoient adopté comme un homme de leur Nation ; qu�ils n�auroient pas manqué de fe foulever à fon fujet �ans les fages précautions que prit M. de Velle(i)
(i) Cet Officier connoilToit parfaitement



aux Indes Occidentales� 12 7 pour leur cacher fa prifon & fon fupplice,
Ap rès la mort tragique du Sieuc D uroux j Moniteur de Kerlerec fixa fon choix fur le Sieur c!e Cha... pour le commandement de rifle aux Chats.
Cet Officier partit de la Nouvelle Orléans en 17 j 8 ^ avec une garnifon compofée de foldats & d�habitans de cette Capitale ; mais ces habitants étoient tous gens fans aveu que les notables mettoient à leur place de l�agrément du Gouverneur, pour le fervice de ce pofce.
Ces vagabonds reftoient donc à l�Ifle aux Chats tant qu�ils y étoient payés par les bourgeois fujets à la garde. On fent très-bien qu�une troupe de cette efpèce, qui n�eft point relevée alternativement de fon polie , fuivant la règle du fervice, en prend occafion de former des complots de défertion , comme on l�a vu arriver dans plufieurs autres polies de cette colonie.
cette Nation, ayant été plufieurs années Coinmandant à Tombelcbé, 5c les Sauvages le confidéroient beaucoup , tant d caufe de fa valeur que de fon défintérelfement.
F iv
I 2 8 Nouveaux Voyages
Au mois de Mars 175*9 �� il parut * la vue de cette Ifle, un vaifleau à 5 xnats appartenant au Sieur S. Criq , Négociant,qui l�avoit achetté à la Havane; fa cargaifon conf�rtoit en fiacre, cafté, taff�as, cables, de quelques autres munitions de guerre ; l�équipage de ce batiment n�étoit compofé que de matelots Efpagnols , qui abandonnèrent le Capitaine S. Criq fur la c�te de la Balife. Ce Capitaine fut contraint, par cette défertion, de s�embarquer dans fa chaloupe avec le peu de monde qui lui reftoit attaché. Il arriva à la Nouvelle Orléans, s�adreffa à M. de Belle-Ifle, Maj or de la place de Commandant par intérim; il pria cet Qfticier de lui donner mainforte pour aller à la découverte de fon b �timent, qui ne pouvoit être échoué que fur la c�te de fl�e aux Chats.
M. de Belle-Ifle donna au Sieur S8 Criq, un Sergent intelligent, de dix foldats pour aller piloter fon navire, en même-temps il écrivit au Sieur de C..... � Que fi ce b�timent ert échoué
à la proximité de fon porte, il ait à � y pofer fur le champ une garde, &



v aux Indes Occidentales. 120 * a défendre , fous peine de la vie , � d en rien lai fer débarquer fans l�a� giement du Sieur S, Criq propriétune; qu�enhn il ne manque pas de , conformer aux ordonnances de � la Manne du Roi , notamment au 35 titre, naufrage, &c.
Malheureufement pour le Sieur S Cnq, 1 avis de M. de Belle-Ifle vint trop tard je Sieur de C .... avoit déjà j ' �e faire enlever la cargaifon
Par'es fo>dats, & habitants oe fa garmfon , qui l�avoient cacnee dans le fable du voifinage; ils avoient pris les précautions ne'cefTaires pour couvrir fa man�uvre. Le Sieur o. Ci iq arrive à l�Ifle aux Chats remet au Commandant la Lettre du Major, puis entre avec fon monde cans Ion navire pour en faire la vifi
te, mais sappercevant qu�il avoir oublie fon porte-feuille , o� étoit la fac
torn de f�n ChargCment > 11 defcend tout de fuite a terre pour l�aller chercher heureux effet de la Providence � Il eft a peine débarqué que le feu
tant de vivacité, que trois hommes qui croient a la cale font la proie des
�F y
a 3 o Nouveaux Voyages flammes ; les autres rTécnaperent qu�en fe jettant à la mer pour fe fauver à la nage (i).
Le Sieur Saint-Criq en porta fes plaintes à M. de Kerlerec ; mais ce ne fut qu après de longs délais , que le Gouverneur obligea la Capitaine à terminer ce différent avec le Sieur
de C moyennant une femme
de ijoo liv. que celui-ci lui donna. Ce Commandant s�étant fait rappelle!
(i) Dans le tems que le Sieur S. Criq reelamoit, auprès de M. de Belle-Ifle, fon na*vire, & recevoir les ordres ad relies à M. de
C de veiller à la confervation de fa caf
g�aifon, ce Commandant de l�Jfle aux Chars, écrivoit à M. de Belle-Ifle même : � qu'un tel �> jour un b�timent a trois mats etoit venu s e� éVouer à la vue de Ton pofte, & qu ayant fak � i�gne fans en recevoir de réponfe , il 1 avoir � jugé ennemi, qu'il tenoit fon monde cache � dans la cale , qu'ayant fait armer le baty> tuau du pofte, & y eta.nt -monte avec tout � fon monde , fur ce qu il n en recevoit point � encore de rèponfe à un nouveau ligne, � 5) l�avoit abordé , & n y avoit trouvé ame qui � vive ; que fa cargaifon en avoit été enlevée ; � qu�il ne trouva qu'un cable coupe fur le � pont, & que ce b�timent éeoit perce pour �2o canons.
aux Indes Occidentales. 13 1
a la Nouvelle Orléans, s�y-livra à une telle débauche, qu�il fcandalisoit toute la colonie. Quand il eut conlommtout le fruit de fort iniquité, il s�embarqua fur un batiment llollandois de Cura�ao, Colonie appartenante à cette République ; les avis font partagés fur la fuite clandeftine de cet Officier : les uns croient qu�il fe fauva pour éviter le ch�timent que me* ritoit^fop forfait ; d�autres penfent qu�il étoit chargé de paquets du Gouverneur pour la Cour; c�eft ce que l�événement nous apprendra.
Il eft bien prouvé par cette reftitutiou de 1 y00 liv. de la part du heur
c1f que ce Commandant avoir
pille le navire du Capitaine S. Criq# sprès en avoir retiré 60000 liv. fuivant l'aveu qu�il en a fait au Sieur la
I ei neie . qui lui a voit fuccédé dans le commandement de fille aux Chats.
II a pourtant échappé à la peine de mort que méritoit cette piraterie. Car l�Ordonnance citée porte : ce Que tous � ceux qui attenteront à la vie & aux � biens de perfonnes naufragées, fe33 ront punis de mort. Ce crime eft li � enorme , que quand meme ou ne
�32 Nouveaux Voyages � feroit pas Chrétien , la Religion na* * turelle nous engage à fecourir les � malheureux dans le danger (i).Tels écoient les Officiers à qui le Gouverneur de la Louifiane accordoit fa confiance. Nous apprenons dans ce moment qu�un parti de guerriers de la Nation appellée Chérakifes, 6c commandé par le Chef de guerre le Loup , vient de s�emparer du Fort London > appartenant à la Grande Bretagne, 6c que le Commandant appellé M. Dame ri a été mis à mort par les Sauvages, qui lui ont enfoncé de la terre dans la bouche , en lui difant : chien 9 puifque tu es fi avide de terre raffafietoi ; ils en ont fait autant à quelques autres.
Si je ne pars point pour la France, je vous écrirai de la Nouvelle Orléans touchant la difcorde qui régné entre les 2. Chefs de la colonie MAL de Kerlerec. Gouverneur ; 6c deRochemore� Ordonnateur. Je fuis, Monfieur , 6cc. Au Fort de la Mobile le i oJanvien~j6o*
(i) Le Sieur de C. comptant fouir des
fruits de fon iniquité en France, y eft mort comme il avoit vécu, deft-a-dire, dans la débauche par un décret de la Providence,
aux Indes Occidentales
135
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LETTRE XX.
Au Meme.
L Auteur part pour la Nouvelle Orléans Caufe des troubles qui Vagitent. Eiftoire pathétique de la captivité de M� de Belle-lfle che% les Attakapas, Animaux curieux & Jim pie s falutaires y qui Je trouvent à la Louijiane>
M ONSIEUR,
J�ai tant de nouvelles à vous raconter , que je ne f�ai par o� commencer ; je vous avois écrit de Tombekbé que tout étoit en combuftion à la Capitale. On n�entend effediv�ment parler ici que de dilTeni�ons > de démêlés, de divisons ; la cupidité l�intérêt } allument partout le flambeau funefle de la difcorde> Comme je n�ai , ni ne veux avoir aucune part à tous ces différens, êc que je ne puis fatisfaire mon zèle
154 Nouveaux Voyages pour 1 e fervice du Roi dans cette Colonie, o� tout eft en defordre , je ne celle en conféquence de demander mon retour en France. Les plus fidèles fujets qui veulent faire leurs devoirs, n�éprouvent que contradictions 8c difgraces ; les plus cruelles perfécutions font la récompenfe de leur zèle. Mais fans entrer dans le détail des maux qu�on a fait fouffrir à nombre de braves Offi ciers 8c gens d�honneur , dont la plupart font encore en vie , je ne vous parlerai que de ceux auxquels M. de Be�le-Ifie s�eft vu expofé. Ce refpeéiable Officier, dont la probité 8c les m�urs irréprochables, lui ont concilié la bienveillance 8c Peftime univerfe�e de tous les gens de biens, 8c notamment des Officiers généraux, tels que MM. de Perier , de Bienvi�le & du Marquis de Vaudreuil, &c. mérite �bien que je vous fade ici Ion hiftoire que j�ai apprife de lui, avec toutes les circonftances qui l�ont accompagnée.
Je vous ferai le récit de ce qui lui eft arrivé depuis quarante cinq ans qu�il fert le Roi dans cette Co
au x Indes Occidentales. 135*
Ionie, Au furplus je ne dirai rien que de très-véritable quelques merveilleux que certains traits puiffent vous paro�tre.
M. de Bienville vit encore à Paris ; il eft en état d'attefter tous les faits qu�on avance ici , ayant paye la ran�on aux Sauvages qui ont ramené M. de Belle-Ifle.
Vous connoii�ant , Monfieur , le c�ur bon , je fuis perfuadé que vous compatirez au trifte lort de cet Oificier infortuné; les grandes �mes ne rougiffent point de s�attendrir fur les malheurs des autres ; les Sauvages memes difent , que celui qui n�eft point fenlible aux maux de fes frères , eft indigne de porter la qualité d�homme , que c�eft un monftre qu�on doit fuir comme la pefte du genre humain.
Nota. L'hiftoire de N. de Belle-Ifle, Chevalier de l'Ordre Royal & Militaire de SaintLouis, Major de la Nouvelle Orléans, �c faifant fonctions ci-devant de Major Général des troupes de la Marine à la Louiliane, a été inférée dans une Relation de la Louiliane imprimée à Paris en 1758. L'Auteur ,qui aquité
* 3 ^ Nouveaux Voyages
i y ip J JaLouifiane avoit p�lie de M. de Crozat a la Compagnie des Indes, qui y envoya , pour la peuP 'er > rmlle hommes. Ce fut fur un de fes vailfeaux que M. de Belle-Me s emoarqua ^ avec d�autres Officiers & volontaires au Port de l�Orient pour cette nouvelle Colonie. Le b�timent fut porté par les courants 3c les vents contraires, à la Baie St. Bernard dans le Golfe du Mexique. Le Capitaine envoya fa chaloupe^ a terre pour y faire eau. Moniteur de Belle -Ille, avec quatie de fes camarades ; s�y embarqua du confentement du Capitaine du vaiffeau. Pendant que la chaloupe fait un voyage à bord , ces Meffieuis vont a la chal�e ; la chaloupe revient à terre., 3c ayant fait fa provifion d eau douce , elle rejoint le navire fans avoir pris les jeunes Of
ceae colonie en 1733 > en a oublié les circonftances les plus intérei�antes, & les faits qu ii a rapportes ont été défa voués par M. de Belic-Iile même ; celle-ci a été extraite d�un
Mémoire mauufcrit, écrit de la main de cet Vincier.


aux Indes Occidentales. 137
ficiers , qui n�étoient pas encore de retour.
Le Capitaine impatient leve l�ancre j & appareille pour fa deftination , en abandonnant à terre les cinq Officiers pafiagers. On laide à penfer quel fut leur trouble de leur agitation, lorlqu�ils revinrent fur le rivage o� ils ne trouvèrent ni chaloupe, ni navire. Ainli abandonnés dans un pays inconnu, ils errerent long-tems fur cette c�te déferte , ne voyant d�un c�té que la mer, & de 1 autre une terre habitée par des peuples Caribes, c�eft-à dire mangeurs de chair humaine. Ils n�ofoient quitter les bords marécageux de la mer, ils furent tellement défefperés de ne trouver aucun fecours à leurs maux, quils ne f�avoient plus quel parti prendre ; il fuffit de dire que cela étoit capable de leur faire perdre l�efprit , & rien ne troubloit plus l�imagination de ces jeunes Européens , que la crainte de tomber entre les mains des Antropophages. Ils al 1 oient le long du rivage, dans la fauffe opinion que le vaif�eau étoit allé dans le panent, en réclamant la


1 3 8 Nouveaux Voyages bonté Suprême & le plaignant de leur malheureux fort. Ils vivoient d�infeéies & d'herbes fans f�avoir li elles étoient bonnes ou mauvaises ; 6c ce qui les incommodoit encore, c�étoient let coufins, qui (ont fort communs dans cet endroit- là , rfayant rien pour s�en garantir. Ils pafferent plufieurs jours dans cette Situation. M. de Belle-Ifle avoit defcendu du navire, un jeune chien de chaffe, quilui étoit fort attaché ; fes camarades furent plufieurs fois tentés de le tuer j pour en faire un bon repas ; la faim les devoroit ; M. de Belle-Ifle leur fit le facrifice de cet animal, mais il ne voulut pas le tuer lui-même : un de fes compagnons faifit le chien ; mais il étoit fi foible qu�en voulant lui donner un coup de couteau , il le laiffa échapper. L�animal gagna les bois ; on ne le revit plus ; les quatre malheureux Officiers périrent de faim les uns après les autres, à la vue de M. de Belle-�fle, qui fit les derniers efforts pour leur creufer avec fes propres mains des tombeaux dans la terre, ou plut�t dans le fable, afin de préferver leurs

aux Indes Occidentales. 13 � triftes reftes de la voracité des bêtes fauves, tribut qu�il rendit à l�humanité en gemiflant lur les malheurs ; *1 n y eut que la force de fon tempérament , qui le fit furvivre à fes compagnons. Il eut le courage , pour fubfifter , de manger des vers qu�il trouvoit dans des bois pourris. Quelques jours après la mort de fes compagnons , il apper�ut de loin fon chien qui tenoit quelque chofe dans fa gueule ; il l�appelle , cet animal vient auprès de lui avec de grandes demonftrations de joie, de jette à fes pieds un rat de bois, en lui faifant mille careffes., &heurlant, comme s�il eut voulu dire : je t�apporte dequoi foutenir ta vie. Ces rats de bois fe mangent effeé�ivement, ils font de la groffeur d�un cochon de lait. M. de Bel�e-Ifle n�ayant d�autre compagnie que fon chien , prit le parti de roder de coté Se d�autre pour trouver des alimens. lous les foirsj il le faifoit un petit retranchement au pied d�un arbre, pour fe garantir des bêtes fer�ces. Il arriva qu�une nuit, un tigre s�approcha de l�endroit o� il dormoit. Son chien veilloit à fes c�tés, il ap

�4� Nouveaux Voyages per�ut la bête feroce, 6c courut fur elle, avec des cris affreux. M.de BelleIfle le reveillant,courut à fon fecours; le tigre lacha prife ; mais le chien refta bielle ; fon ma�tre fut contraint de le tuer de crainte qu'il ne devint enragé , 6c il le mangea enfuite. Seul alors dans ce défert; il fe mit à genoux, leva fes bras au cieL remercia le Tout-puiffant de l�avoir confervé jufqu�à ce moment; 6c fe réfignant à la Providence, il s�abandonna dans la profondeur des terres, pour voir s�il ne trouveroit pas quelque figure humaine. Bient�t il apper�oit des traces d�hommes; il les fuit jufques fur le bord d�une rivière, o� il trouve une pirogue j dont il fe fert pour la traverfer. Il y avoit à l�autre bord des Sauvages qui faifoient boucaner de la chair humaine 6c du poiffon ; c�étoir les Attakapas (i), ils s�avan
(i) Ce nom lignifie parmi les Peuples de l�Amérique , mangeurs d�hommes. Quand ils prennent quelqu�ennemi en guerre, ils font entr�eux un grand régal de fa chair; ils vivent ordinairement de poi/Ton , & boivent de la cafline. Ils parlent aufli par lignes, & font de fort longues converfations pantomines.
aux Indes Occidentales. Iqt cerent vers M. de Belle-Ifle qu�ils prirent pour un fpeéte, tant il étoit maigre ; il leur pre'fenta Ton corps, en leur montrant la bouche, faifant figne qu�il avoit faim. Ces Sauvages ne voulurent point le tuer pour le manger, à caufe defon extrcme maigreur : ils lui préfenterentde la chair humaine ; mais il préféra du poiffon , qu�il mangea avec avidité. Ces Peuples confidérerent cet Officier qui étoit habillé , ils le dépouillèrent tout nud & partagèrent entr�eux fes vétemens ; enfuite ils le conduifirent pour PengrailTer à leur village , o� il eut le bonheur à fon arrivée d�étre pris pour le chien ( i ) d�une femme veuve , déjà fur le retour. Peu à peu il commen�a à reprendre des forces ; mais il étoit d�une trifteffie extrême , appréhendant toujours que fes h�tes ne le facrifiaffent à leurs faux Dieux, & qu�ils ne l�ffent enfuite un regai de fa chair ; fon imagination étoit toujours frappée du fpe�acle terrible de ces barbares, qui faifoient des feftins
(i) Expre/fion qui f�gnifie efclave.
rNouveaux Voyages des prifonniers & des captifs les plus gras qu�ils avoient pris en guerre, �c que je ne f�aurois vous rapporter fans frémir. Il s�attendoit à tout moment a recevoir un coup de maflue lorfqu�il feroit gras. Ces Peuples tinrent confeil ^ & le réfultat de l�affemblée f�t qu�il y auroit de la l�cheté à faire mourir un homme, qui n�étoit point venu chez eux pour leur faire du mal, mais pour leur demander l�hofpitalité ; en conféquence la veuve le conferva pourefclave. Les premiers jours de fa captivité, fans être rudes, lui tenoient fort à c�ur, à caufe qu'il étoit chargé du foin des petits enfans de ces mangeurs de chair humaine : il n�étoit pas moins obligé de les porter fur fes épaules J ce qui l�incomxnodoit beaucoup ; car il étoit,de même qu�eux , nud, n�ayant d�habit que ce qui fervoit à rendre fa nudité moins indécente ; mais la femme en queftion l�ayant pris fous fes aufpices, on le traita mieux dans la fuite.
Comme M. de Belle Jfle étoit jeune & vigoureux il s�acquitta du mieux qu�il p�t de fon devoir d�efclave 3 & parvint même à captiver


dw: Indes Occident nies, 11 j'
les gr�ces da fa Patronne, qui l�adopra ; & alors il f�t mis en liberté, & réputé homme de la Nation. Il 'apprit en peu de tems à parler en pantomime , de meme qu�à tirer de l�arc comme eux. Ils le menèrent en guerre , o� il leur ht voir fa dexte'rité, en^ tuant fur un de leurs ennemis qu il coucha par terre en leur prelence a un coup de flèche,qui le per�a de part en part; alors il fut reconnu pour un véritable guerrier. Un autre Sauvage ayant tué un chevreuil ils firent boucanner l�homme & le chevreuil , ahn de les conferver pour la �Provifion du voyage. Un jour qu tlsétoient en marche, M, de BelleIfle pre/�é par la faim demanda à manger ; alors un Sauvage lui donna de la chair humaine, lui difant que c�était du chevreuil. lien mangea fans le f�avoir ; & le Sauvage lui dit apres ; tu faifois autrefois le difficile; mais préfentement tu maures de l nomme comme nous. A ce récit
M. de Beile-Ifie vomit tout ce qu�il avoir mangé. 1
Environ deux ans après fa capti

144 Nouveaux Voyager vite , il arriva aux Attakapas des Députés d�une Nation, qui leur apportoit le calumet de Paix ; heureux hazard de la Providence ! Ces Peuples habitent dans les terres du nouveau Mexique , voilin des Na�lchitoches , o� commandoit alors M. de Hucheros de Saint - Denis , qui étoit aimé 3c refpeéié des Députés de cette Nation , quoiqu�ils fulTent fur les terres des Elpagnols, Quand ils eurent confidéré attentivement M. de Belle-Ille , ils dirent aux Attakapas , que dans la contrée d�o� ils venoient, il y avoit des hommes blancs comme M. de Belle-Ifle ; les Attakapas répondirent que c�étoit un chien qu�ils avoient trouvé du coté du grand Lac , o� fes camarades avoient péri de faim s qu�ils l�avoient amené à leur habitation , qu�une femme en avoit fait fon efclave., qu�ils Pavoient mené à la guerre contre une Nation ennemie qu�ils vainquirent dans un combat, o� il fe distingua 3c leur fit voir fon ad relie à décocher une flèche qui mit un de leurs adverfaires par terre ; qu�en
cette

aux Indes Occidentales. 145*
c^tte confidération il avoit été adopté re�u Guerrier�
Cet Officier,qui entendoit la converfation, ne fit femblant de rien; ii con�ut dès-lors l�agréable idée de revoir fa patrie ; il tira un de ccs Sauvages en particulier , le quefiionrm^beaucoup fur les hommes blancs qu�il avoit vus. M. de Belle-Ifle avoit confervé, par hazard, dans une bocte, fa commifl�on d�Officier ; il fit de 1 encre avec du noir de fumée, & fe fervant d une plume de corbeau , il écrivit ce qui fuit : *> Au premier Chef ^ des hommes blancs. Je fuis un tel qui a ete abandonne a la Baie St. 3� Bernard ; mes camarades font morts � de faim & de misère , à ma vue ; je 35^ fuis captif chez les Attakapas ( 1 Cet infortuné donna fa commifiiou à ce Sauvage, & laffura que c�étoit de 1 écorce ou du papier qui parioit, qu en le préfentant au premier
(B I-e Capitaine qui avoit abandonné M. de Belle-Ifle, & les camarades à la Baie St� Bernard , fut englouti par les flots avec fort vaille au, dont on n a jamais eu de aouvcllcc,.
il. Partis,, G
�a6 Nouveaux Voyages Chef des Fran�ois de la partie d9o� il venoit , il i'eroit bien re�u�. Ce Naturel cr�t que cette lettre participoit de la divinité, puifquelte devoit parler pour lui, en arrivant chez les Fran�ois. Les autres voulurent la lui �ter. Il fe fauvaJ en traverfant une rivière à la nage ; & de peur de mouiller la lettre, il la tenoit en Pair. Ce Sauvage , après avoir fait dans les terres 150 lieues, arriva aux Natch�tockés ( 1 ) , Nation Sauvage, o� commandoit pour lors M. Hueheros de Saint-Denis, Officier de diftin&iom , connu pour avoir fait le premier voyage par terre de laLouif�ane au Mexique o� il a époulé depuis la nièce du Gouverneur Espagnol. Le courier lui remit la lettre de M. de Belle - Me , & M. de Saint-Denis re�ut très-bien le porteur, qu'il combla de préfens; après quoi, cet Officier le mit a pleurer a la maniéré des Sauvages, qui lui de
f I ) Pofle voif�n du Mexique Ilyaune peuplade de Sauvages établis fur la Rmere
Rouge.

aux Indes Occidentales. 147 mandèrent ce qu�il avoit ; il répondit qu�il pleuroit fon frere, qui étoit captif depuis deux ans chez les At-~ takapas. Comme M. de Saint-Denis étoit beaucoup confédéré des Nations de ce Canton, celui^ qui lui avoit apporté la lettre , s�offrit d�aller chercher M. de Belle Jfle ; d�autres Sauvages fe joignirent à lui.
M. de Saint-Denis leur donna quelques chemifes 8c un chapeau pour M. de Belle-Ifle , 8c ils partirent fur le champ au nombre de dix à cheval 8c armés de fufils en promettant à M. de Saint-Denis que dans deux lunes ils lui rameneroient fon frere, lur un cheval de main qu�ils emmenoient avec eux.
En arrivant chez les Attakapas ; ils s�annoncèrent par le bruit de plusieurs décharges de leurs armes à feu, que les autres prirent pour le tonnerre. Ils donnèrent à M. de BelleIlleja lettre de M. de Saint-Denis, qui lui marquoit � qu�il n�avoit rien � à craindre avec ces Sauvages, 8c v qu�il fe réjouiffoit d�avance de le � voir:�. On ne f�auroit exprimer la joie que cette lettre caufa à cet Of
G ij
U.48 Nouveaux Voyages
ficier j il craignoit cependant que les Attakapas ne s�oppofafTent à fon enlevement. Mais le chef de la Députation le fit monter promptement à cheval , & repartit avec fon cortège. Les Attakapas * épouvantés des <soups de fufils des Ambaffadeurs, n�oferent rien dire ; la femme , qui avoit adopté M. de Belie-Ifle, fondoit en larmes. C�eft ainfi que cet Officier échappa à une captivité, qui peut-être n�auroit pris fin qu�avec fa vie.
Ce Sauvage qui enlevoit ainfi M. de Belle-Ifie, étoit aui�� fier quo Fernand Cortex iorfqu�il vainquit Monte%uma> dernier Empereur du Mexique. Ils arrivèrent en cavalcade aux Natchitochés, o� ils ne trouvèrent plus M. de Saint-Denis, qui étoit parti pour le Biloxis , o� étoit alors le quartier général.
Le Biloxis étoit, dans ce tems-là, le chef-lieu de la Louifiane. La Nouvelle Orléans n�étoit point encore b�iie.
M. d�Orvilliers, qui commandoit en fon abfence aux Natchitochés a envoya M. de Belle-Ifle & fon cor






aux Indes Occidentales. i<0
tege à M. de Bienville , pour lot3 Gouverneur de la Louifiane. Ce Général le re�ut entre fes bras , enchanté de le voir , 3c récompenfa largement fes libérateurs. En arrivant, chacun s�empreffoit à lui faire compliment de ce qu�il s�étoit tiré de ce miférable efclavage ; M. de Bienville lui donna enfuite un habit.
Cet Offi cier a été depuis très-utile au Gouverneur, par la connoiffance' qu�il a des m�urs des Attakapas, que les Efpag nols du nouveau Mexique n�ont jamais pu fou mettre comme les autres Nations de cette partie de leur Empire.
M. de Bienville envoya un préfent à la Nation des Attakapas > 3c un autre, en particulier, pour la veuve qui avoit adopté & protégé M. de Belle-Ifle,
Ces Peuples ^ qui ne s�attendoient point à la générofité du Gouverneur, lui envoyèrent des Députés ( i ) pour
(0 Le Chef de la députation adrefTa un' difcours à M. de Bienville , dont M. de BelleIfle fut rinterpréte. � Mon pere , le blanc que � tu vois ici, efl ta chair & ton fang; il aour
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iyo Nouveaux Voyages
le remercier de faire alliance avec les Fran�ois ; la Patronne de M. de Belle-Me y étoit en perfonne ; depuis cette époque,ces Peuples ont toujours traites humainement les Fran�ois ; qui leur ont fait abandonner la barbare coutume de manger de la chair humaine.
Les grofliers Habitans de ces lointains rivages, Formés par nos le�ons, instruits par nos ufages, D ans l�école des arts, & de l�humanité De leurs fauvages moeurs corrigent l��preté r . � � � �
Leur c�ur fimple & naif dans fa férocité Refpe&e des Fran�ois la fage autorité.
Le Fran�ois bienfaifant confole leur mifere. Les aime en citoyen & les gouverne en pere�.
Pcetne de Jurnonville, far M. Thomas.
Lorfque les Jttakapas venoient à la Nouvelle Orléans, ils étoient bien
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� avoit été uni par adoption. Ses freres font 5) morts de faim ; s�il enflent été rencontrés � plut�t par ma Nation,ils vivroient encore Se � auroient joui des mêmes prérogatives.
L�hofpitalité que les Attakapas exercèrent envers M. de Belle-Ifle , nous fait voir que nous ne devons regarder leur cruauté que comme un défaut d�éducation � & que la na-� ture les a rendus fufceptibles d�humanité,
aux Indes Occidentales. iyi re�us de tous les Fran�ois, en reconlioiffance du traitement qu�ils avoient fait à M. de Belle-Ifie , car, fans eux, il auroit fubi le malheureux fort de fes camarades.
M. de Bien ville fe donnoit quelquefois la comédie avec ces Peuples, par le moyen de M. de Belle-Ifle , éleve de ces Antropophages, qui repréfentoient par leurs geftes toutes ford�aé�ions. Les Attakapas font armés d�arc &de flèches extrêmement grandes ; ils cultivent le mahis comme les autres Peuples de f Amérique feptentrionale. Cette partie du monde eft fi étendue j que l�on n�a pas encore pu parvenir à en conno�tre toutes les Nations, ainf� que fes limites.
En 1775) , M. de Marignide Mande vil le (1) , Officier de diftinétion ^ forma le def�ein , avec f agrément du Gouverneur de la Louiliane, de faire de nouvelles découvertes vers l�Ifle de Barataria, dont nous ne connoif
( 1) Voyez le Mémoire de cet O�cier, imprimé chez Guillaume Defprès, rue S. Jacques 176J.
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! y 2 Nouveaux Voyages' fions que très-imparfaiment le gz/emanr ( i) des c�tes; ce fut dans cette vue qu�il travailla à une Carte générale de la Colonie. Cet Officier a fait� a fes frais, la découverte de ce pays inconnu, avec un zélé infatigable, qui caraé�érife un digne Citoyen,toujours occupé de la gloire de (on Prince > & de Paggrandiffement de fes Etats.
J'ai t�ché, Moniteur, dans mes précédentes, de vous mettre au fait de PHiftoire abrégée de ce pays, depuis letems de la découverte jufqu�à celuici, 6c de vous donner une idée de fa iituation 6c de fon commerce,comme suffi de tout ce qui m�a paru inftruéHf &c amufant.Je crois n�avoir rien obmis d�effentiel ; je vais finir aujourd�hui notre correfpondance par quelques obfervations fur PHiftoire naturelle de cette colonie, dont les relations particulières n�ont pu vous inftruire. iVous f�aurez d�abord, Monfieur, que tous les fruits, que Fon y a tranfporté d�Europe , y viennent très-bien. M, Fazende, Confeiller au Confeil Su
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��O Terme de Marine.

tlux Indes Occidentales. pêrieur de la Louifiane , y a apporté de Provence un plan de figuier, dont les figues font excellentes ; comme cet arbre vient de boutures, ce n�eft qu�une pépinière pour toutes les habitations. Parmi les fruits particuliers à ce pays ^ il y en a un qu�on nomme raquette ; il a la figure & le go�t d�un cornichon confit au vinaigre. Ce fruit eft fort commun dans le pays de la Mobile , & il eft très-rafraichiffant.
La Piaquemine eft une efpcce de nèfle que les Sauvages appellent Ougouj�e ; ce fruit qui n�eft pas plus gros que la nèfle d�Éurope , eft jaune 6c rouge comme l�abricot; c�eft ur très- bon aftringent, & un remede fouverain pour arrêter le flux de fang , 6c la diftenterie. Les Sauvages en font du pain ; ils lui donnent la forme du pain d�épice , & le font fédher pour les voyages de long cours (i).
(i) La Piaquemine a encore une autre vertu ; prenez une certaine quantité de fes pépins , pi!ez-les & �es réduifez en poudre;- fai1tes infufer cette poudre pendant 24 heures dans de l�eau fra�che; paffez cette eau dans u* linge, & la confervez dans une bouteille
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�J4 Nouveaux Voyages
La Jafmine a la forme &: la couleur d�un limon ; elle eft odoriféran
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te , & a le go�t des figues bananes; fes pépins refiemblent à des fèves , c eft un poifon pour les cochons.
Il y cro�t beaucoup d�orangers, & de pêchers; les oranges,, ainfi que la pêche, font fi communes dans la colonie , qu on les laide pourrir fous les arbres.
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�i y a des pommiers, & des pruniers; on y voit des forêts de noyers; il y a des noyers blancs & des noyers noirs; les uns & les autres portent des noix; il f en a comme en Europe.de moyennes & bonnes à manger � d�autres, grofTe$ comme le poing : elles font ameres, ayant la coquille extrêmement épaiffe & dure. Le pacanier porte des noi^ que l�on nomme pacanes ; elles font longues comme des amandes, & plus délicates ; les Sauvages en font de l�huile pour affaifonner leur fagamité.
C�eft une chofe admirable de voir
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lorfque vous yous Tentez attaqués de la gravelle , buvez, à jeun, un verre cle cette eau7 & continuez jufqifa parfaite guerifon.
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aux Indes Occidentales, i f y la providence du Créateur, qui a femé, dans ce nouveau monde, cette variété d�arbres fruitiers de différentes formes, on y trouve mille efpèces d�ardrnar.ux curieux qui n�ont jamais été connus, ni de figures, ni de noms, 3c dont les anciens n�ont pas même eu d�idée.
Il y a des lauriers rouges 3c des lauriers blancs ; ce dernier porte une tulippe blanche; il efb extrêmement touffu, & feroit l�ornement des parterres des Rois d'Europe; les Sauvages l�appellent l�arbre de paix.
Il y a,lur le bord des Rivières,beaucoup de vignes qui grimpent fi haut fur les arbres,, qu�en les coupant, on fait quelquefois au pays des Illinois une barrique de vin d�un feul cep. Ces vignes viennent fans culture, 3c le vin en eft �pre. Il y a dans les fo rets beaucoup de m�riers , dont les mures font fucrées ; il y en a aufii de buifion,dont on fait de la gelée.
Le févier eft un arbre hérifTe d�épines de fix pouces de long ; fon bois eft fi dur qu�il émou fie & caf�e quelquefois les haches; les Sauvages par le moyen du feu , en font des mortiers


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Na iveaux Voyages
des pillons pour écrafer le 11131115 cv ic i éauire en farine. Get arbre porte des goufTes d�environ un pied de-, long , femblables a la cafle; le fruit qu elles contiennent eft gommeux 3c gluant, ayant plufieurs pépins comme des feves. C�eft un excellent laxatif ; les naturels du pays s�en fervent pour fe purger.
On trouve dans les forêts du bois gras, qui produit de la ré�ne 3c du goudron , ainf� que quantité d�arbres, d�o� découle une gomme femblab�e à la thérébentine*
II y auft� un arbriffeau qu�on nomme Cirier ; il refiemble de près à un Olivier. Il porte une petite graine comme du genièvre ; on la fond dans
I eau, 3c on en fait de la cire pour des bougies; elle eft d�un beau vert, 3c a l�odeur aromatique. Le Sieur Alexandre j Chirurgien & ChimifteA eft: le premier qui l�ait connue.
L�Académie, en faveur de cette découverte utile, lui fait une penfion.
II a auft� découvert le fecret de la blanchir comme on fait en Europe la cire des abeilles.
Depuis que je fuis à la Loaifiam
eux Indes Occidentales", I c�~f on y a fait venir de S, Domirigue, du P an e cannes a fucre , pour en faire
des plantations. M. Dubreuil, Commandant la Milice Bourgeoife, a été le premier Colon , qui a fait conduire un moulin à fucre à la Nouvelle Urléans.
. On f�ait que le fucre vient du jus d un rofeau ou canne qu�on plante de outure; le plan vient haut & gros, a proportion que la terre eil graffe; les cannes ont des n�uds de d�ftance en diltance ; quand elles font m�res, ce qui fe conno�t aifément lorfqu�elles jaumlfent , on les coupe avec une erpe au-delfus du premier n�ud , qui elt fans fuc ; on �te les feuilles qui croiifent de chaque c�té ; on en fait des fagots ou faifeeaux ; enfuite on les porte au moulin pour y être écrafe'es entre deux rouleaux de bois garnis a acier. Un Nègre pafTe la canne entre les deux cylindres ou rouleaux , qui la prêtent entre celui du milieu, de fa�on que tout le fuc s�en exprime;
J, r^�u ^ans Uf> grand creux ; de an p�lie , par le moyen d�un tuyau de plomb , dans un réfervoir voifin q.ui le conduit à l�endroit o� font les


�IJS Nouveaux Voyages fourneaux deftinés à faire bouillir la liqueur dans de grandes chaudières� femblables à celles qu�on voit à l�Hotel Royal des Invalides. Quand la liqueur eft a�Tez raf�née, on la tranfvafe dansune autre chaudière ; on a foin de la remuer continuellement, & de la faire toujours bouillir jufqu�à ce qu�elle ait pris une forte confiftance; & lorfque le fucre a acquis fa première perfection , on le met dans des formes de terre cuite, pour le faire blanchir; il acquiert le fécond degré, en mettant, fur l�ouverture, de la terre glaife, qui empêche que l�air n�agiffe trop fur le fucre, & ne le dureiffe avant qu�il foit rafiné, parla fépara�ion d!es Iirops qu mélades^
C�efi: avec l�écume du fucre que l�on fait le taffia ou guilledire. Cette liqueur fe fait,comme en France, l�eau de vie ; on la pafTe à l�alambic. Les Européens,en Amérique, la préfèrent à l�eau de vie pour la guérifon des play es ; c�eft aufli avec quoi on fait le rum , qui fert comme Tefprit de vin à faire des liqueurs qu�on appelle les eaux de barbades.
On trouve au pays des Illinois, un

aux Indes Occidentales. iyp petit arbrifleau d environ trois pieds de haut, qui porte un fruit gros comme une pomme d�apis, & qui a le go�t du citron ; i! y a aufh , dans les foiéts, des ch�taignes & des noifettes comme en France.
Il croie de très-bons (impies à la Louihane , entr autres , du gen-2ein , dont la racine eft un excellent béchique, du jalap,de la rhubarbe, de l�efquine, de la vipérine, de la falcepaieijle, du milpertuis, dont on fait une huile excellente pour confolider les playes. Voici comment les Médecins ou Jongleurs Sauvages font fhuile de milpertuis. Ils prennent un vafe de terre ; ils y mettent la fleur., en fuite de 1 huile d�ours par-deflus; on expofe le vafe bien bouché au Soleil levant.; la chaleur concentrée du vafe donne à l�huile une couleur rouge, 8c une odeur agréable qui guérit de putifie toutes fortes de playes. Il y a même des plantes, qui ont la vertu de feivir de contrepoifon ; mais c�eft un don taie & précieux à l�homme de les connoitre ^ & d�en f�avoir ufer comme il convient ; l�Auteur de toute chofe ne l�accorde pas à tous. Il

�6o Nouveaux Noyages y a mille l�mples, qui font propres I purger la mafte du fang , &: dont lès Sauvages ont une connoilTance particulière.
Il y a des forêts de bois de faffafras qui eft bon pour la médecine & la teinture ; il y a auffi du copal, arbre dont lagomme eft un excellent beaume , 3c suffi bon que celui du Pérou; les animaux , bleffés à la chafte , fe gueriffent eux-mêmes,, en fe frottant contre l�arbre d�o� découle ce beaume, qui a une odeur aromatique.
Les Sauvages ont, dans leurs habitations, des coloquintes, des calebaffes^ dont ils font un firop peéloraL; du capillaire, bon pour la poitrine, de la caffine , qui eft un excellent diurétique. Lorfque la dofe eft forte , elle provoque des tremblement, mais qui ceflent auffi-t�t. Les Sauvages Allibamons rappellent la boifjon de valeur, Les Amériquains font plus de cas de leurs fimples, que de tout l�or du Mexique &du Pérou.
On trouve à la Louif�ane toutes fortes d�animaux curieux, & inconnus en Europe. Le b�uf fauvage eft très-gros & très-fort; les habitansFran
aux Indes Occidentales. l6� �ois te Sauvages en retirent bien des commodités ; ils fe nourriffent de fa chair qu�ils font faller ou boucaner 5 ils font de fa peau des couvertures. Le taureau fauvage eft couvert d�une laine très-fine dont on fait de bons matelats ; Qe fon fuif, on fait de la chandelle ; fes nerfs fourniffent aux Sauvages des cordes d�arc. Ils travaillent Tes cornes, & en font des micouenes, ou cuillieres pour manger leur fagamité, te des poulrerains ou cornets pour la chaffe.
Le b�uf fauvage a une bofle fur le dos comme le chameau- ; il a de grands poils fur la tête comme le bouc; & fur le corps, de la laine comme les moutons; les femmes Sauvages en font du fil.
. En tirant vers la fource duMiffouris j on trouve toutes fortes de bêtes fauves. Les boucs, les chevres fauvages te les cabrits font très-abondans dans certaines faifons, Ces animaux font extrêmement vifs te fubtils ; les femelles ont les cornes à doubles cornichons ; elles ne font point fi greffes que les n�tres; les Fran�ois qui en ont mangés > m ont afluré que les jeunes
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� 62 Nouveaux Voyages chevreaux étoient aufl� bons que lei moutons de Brian�on. Comme les Sauvages de ces contrées n�ont guère 1 ufage de nos fufils,, ils les tirent à coups de flèches ; car ils paiffent dans les pays montagneux ; & lorfqu�ils font blefles, ils ne peuvent plus grimper aifément, & les Sauvages les attrappent. r
Les coureurs de bois m�ont aufl� raconte qu�il y avoit dans ce pays une efpèce d�aigle très-grofle, que l�on nomme race royale.
Je crois devoir vous rapporter � Monfieur, ceque j�ai appris de la fa�on flnguliere avec laquelle les Sauvages font la chafle à ces animaux , qui font très - eftimés parmi les Nations du Nord, puifque c�eft avec les plumes d�aigle qu�ils décorent les calumets de paix ; ils les appellent plumes dè aleur.
Cette chafle eft réfervée pour la récréation des vieux Guerriers, parce qu elle ne demande point d exercice. Premièrement le vieillard, qui veut faire cette cliafle, examine les endroits qui font les plus fréquentés par ces-oifeaux : après quoi il y porte de la
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aux Indes Occidentales, �6^
Viande , des ferpens ou des entrailles d�animaux ; il attache fes appas à quelque bois de réfiftance. Le premier,qui y vient, en mange & s�y apprivoife , de forte qu�il en attire d�autres , qui fe difputent avec avidité cette proie ; alors le bon vieillard fe creuie une niche au haut de cette montagne ; il fait une efpèce de cheminée qu�il bouche enfuite avec un fagot de branches d�arbre, fur lequel fes appas font attachés ; il laide manger l�oifeau jufqu�à ce qu�il le voie bien faoul : alors, au travers de la paille qui eft fous le fagot , il paiTe fes mains envéloppées d�un petit fac de peau , le prend par les pattes, fenvélope de fa robe de b�uf, & le tue. S�il a le bonheur d�en attraper cinq ou fix, il eft content, parce que fes plumes fe traitent par toute l�Amérique Septentrionale, Cette ch aile n�eft pas beaucoup pénible ; les appas font ramaffés par fes enfants qui f�avent o� il eft placé ; & les femmes lui envoyent des vivres. On voit aufl� des lièvres, & des ours blancs , dont la peau eft trèsfine ; les tigres de la Louifiane différent de ceux de l�Afrique , & de TA
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'164 Nouveaux Voyages mérique Méridionale , en ce qu�ils rie lont point mouchettés. Ils attrapent les chevreuils comme le chat fait la fouris. Quant aux chats tigrés, ils tuent les b�ufs fauvages de cette maniéré. Ces chats fe mettent fur un arbre, dans un petit fentier ou les b�ufs paffent pour aller boire au fleuve ; ils fautent fur le col du b�uf, lui coupent le nerf, 3c le font mourir ; fa force & fes cornes lui deviennent inutiles par cette trahifon.
Le rat de bois ou rat d�inde, eft gros comme un chat d�Europe ; il a la tête d�un renard , les pattes d�un linge ; il n�a du rat que la queue. Cet animal eft très-curieux; j�ai tué une femelle qui avoit fept petits; ce qu�il' y a de plus furprenant , c�eft qu�ils étoient collés à la tétine ; c�efl: - là qu�ils croiflent , & ils ne s�en détachent que lorfqu�ils font en état de marcher; alors ils tombent dans une membrane qui forme une efpèce de poche; ceux-ci étoient gros alors comme de petites fouris nouvellement nées ; la nature a donné à cette femelle une poche fous le ventre qui eflr garnie de poil, dans laquelle fer
. mx Indes Occidentales. i6f Pçtus rentrent lorfqu�ils font pourfui; & c eft ainli que la rnere les emporte & les fauve. Sa chair a le go�t au cochon de lait ; fon poil eft blanch�tre ; il a un duvet comme le cafttor. Ce prétendu rat fe nourrit dans le bois, de faines , de ch�taignes , de noix , .& de glands. J�en ai mangé panieurs fois en voyage ; fa graille elt extrêmement blanche &"fine; on en fait une pommade excellente pour la guërifon d�s hémorro�des.
. . tlouve nn autre animal nommé ici chat de bois; il eft de la grofleur d�un renard d�Europe ; il n�a du chat que la queue. Cet animal eft très-friand d huitres ; il eft de la figure d�une marmotte,; il s�aprivoife comme un chien, léchant & careftant fon ma�tre qu�il luit par-tout ; il prend avec fe s pattes . comme un linge. Je penfe que ce font ces chiens muets. que les Efpagnols
trouvèrent en faifant la découverte des Antilles.
j,, Y a � a ^ouifiane, quatre fortes ci écureuils, de gros, de noirs, de rouges , de gris, & de petits, gros comme de petits rats; ces derniers fe nomment volans, a caufe d�une m�mbran@
�66 Nouveaux Noyages
qui lie leurs quatre pattes & qu�ils
étendent,en fautant d�unarbreal autre.
J�avois (ouvent oui dire aux Fran�ois & aux Sauvages , que le ferpent avoit la vertu de fafciner ou charmer l�écureuil ; c�eft ce que j ai voulu voir moi - même. Je ne puis m�empécher de vous rapporter ici l�obfervation que j�ai faite a ce fujet. Un jour j�étois à la chaffe dans la contrée des Illinois,o� il y avoit quantité de noifettes, ce fruit eft un appas friand pour les écureuils ; auf�� y en avoit-il beaucoup en celieu-la ; j entendis fur un arbre , au pied duquel j�étois , le cri lugubre d�un écureuil qui paroiffoit fort effarouché ; je ne fravois ce que cet animal pouvoit avoir; à la finj�apper�us un ferpent, pendu à une branche . d�arbre ^ la tête relevée, quiattendoit la proie, & le malheureux écureuil, après avoir fauté de branche en branche, tomba dans la gueule du ferpent qui l�avala.
Sans entrer dans un détail trop phylique voici comme je penfe que l�écureuil eft fafciné par le ferpent; l�antipathie de l�écureuil pour cet animal, lui fait regarder fon enne
aux Incles Occidentales. i6y �>� comme attrapé à l�arbre, lorfqu�il
[f vo�i ainfl immobile & pendu à une blanche ; c�eft pourquoi, au lieu de longer que c�eft un piège que lui tend . aoverfaire, il ne longe qu�à voltiger de branche en branche, comme pour mfuher à ion malheur , jufqu�à ce qa a force de fauter aux environs du. reptile qu�il nargue, celui-ci le trouve a fa portée pour s�élancer defms, le faifir & l�avaller ; plufieurs Auteurs prétendent que le ferpent a une .vertu attractive.
La prudence de cet animal eft admiraole ; j�en ai vu qui, s�appercevant que je les regardois , ne fe remuoient aucunement de leur place , comme pour faire croire qu�ils n�étoient point la ; ils reftoient toujours dans la même attitude mais des que je m'écartons pour aller chercher un b�ton ou une pierre, afin de lui écrafer la tête, le ferpent s�efquivoit pendant cet intervalle, 6c je ne le trouvois plus quand je revenons fur mes pas. C�eft une expéiience que j ai faite plufieurs fois dans les deferts que j�ai parcourus o� ces reptiles font fort communs. " Il y en a de plufieurs cfpèces, don{
1 (j S Nouveaux Voyages la plus remarquable eft celle qu�on appelle à fon net ces ; il a trois ou quatre petits os ronds fous l�écaille, au bout de la queue, lefquels venant a toucher les uns contre les autres, lorfqu�il la remue , font un certain bruit gu cliquetis femblable à celui que fait le hochet d�un enfant. Les femmes Sauvages s�en fervent dans l�accouchement; elles prétendent, en les pulvérifant &c le� avalant, enfanter fans douleur. De la graiffe du ferpent a fonnettes on fait un excellent onguent pour les douleurs de rhumatifme; elle pénétre dans les jointures & même jufques aux os.
On croit que le nombre des ionnettes du ferpent marque celui de fes années; j�en ai vu de fi gros , qu�ils avaloient de petits chevreaux entiers, en les fu�ant peu à peu.
Il y a une autre efpéce de ferpent , qu�on appelle fouetteur ; il eft rouge fous le ventre noir fur le dos ; il peut avoir vingt pieds de long ; quand il attrape quelqu�un dans l�eau , il le ferre jufqu à lui faire perdre la refpiration , & le fait noyer.
Celui

aux Indes Occidentales. i '-'eiui que J�on nomme fiffleur n�a Pfs deux pieds de long ; mais il eft aumnt plus dangereux , qu�étant
fo, on ,ne c vo,t pas : e,�forte
louvent les Sauvages ou les Nègres ^archent deffus. & en font monfus! I a la gueule extrêmement grande ;
lorfqu il eft en colere il pouffe des fiffiemens horribles, ce qui fait que les Sauvages l�appellent ho-houy � qu� veut dm .fiffleur. A mon vo/a e� Jombekbé, un fiffleur cache'�fou! des feuilles , mordit un foldat de mon détachement qui lui marcha fur la queue ; il avoit les pieds nuds, & ferpent étoit fi en �lere , que lu! ayant attrapé le gros orteil, il ne vouloir pas l�cher prife, J�étois for! embarraffe & très-f�che' de voir ce ma heureuxfo]dat> qui me fervoit 2 Jruchement, expofé à périr; j�eus
pada par hazard dans l�endroit là nous étions ; il tira d�un petit f�cher une poudre, qu�il fouffla avec un chalumeau fur la tête du fiffleur qui mourut dans l�inftant ; il mit fur la morfure une autre poudre, qui empêcha le venin de faire fon ef�li. Partie, jj

170 Nouveaux Voyages fet ; il en lit boire dans de l�eau au malade , qui ne fut nullement incommodé depuis. Je récompenfailargement ce Jongleur : j�aurois bien defiré f�avoir fon fecret ; mais il ne jugea pas à propos de me 1 enseigner , & fit le charlatan j en me difant fiereinent que le ma�tre de la vie le lui avoit communique a lui Seul.
Il y a dans le fleuve ot, .Louis ou Mifliflipi , en certains endroits, des crocodiles prodigieufement gros & longs ; ils font tellement carna�iers � que s�ils rencontrent un hom** me dormant fur la terre, ils l�entra�nent dans l�eau & le mangent, quoique d�ailleurs ces animaux foient fort poltrons & fuyent auflitot qu on marche à eux ; rarement mangent-ils des hommes, parce qu�il eft fort aile de leur échapper : ils pourfuivent ceux qui fuyent devant eux ; mais ils font formidables dans l�eau. Le crocodile eft l�animal le plus horrible qu il y ait dans toute la nature > & je ne puis me rappeller qu�avec effroi le �ouvenir de celui qui penfa m entra�ner dans lariviere de. Tombekhes je pen ai
, aux Indes OccidentaleSé 171� Vou pour le moment le démon forci de 1 enfer, & je crois qu�on ne pourroit pas mieux le repréfenter que fous eette forme hideufe ; fon dos eft couvert d écailles impénétrables, à-peupres comme des coquilles d�huitres, qui reliftent aux balles de fufils. Il eft; tort difficile de le blefter ailleurs que ans 1 �il. On en voit beaucoup dans la riviere rouge : ils y font engo�ris urant le froid , & fe tiennent dans la vafe la gueule ouverte, & le poiffon y entre comme dans un entonnoir ; ils ne peuvent ni avancer ru �eculer. Les Sauvages alors leur rnontent fur le dos & les aftominent a coups de haches, dont ils les frap
çe!l*�, M5 tête, comme par partie de plaifir, .
,, y au� ^es grenouilles d une grofteur extraordnaire dont
le croalfement eft plus fort que le beuglement d�un taureau. J�ai trouvé en rel�chant dans l�Ifle de la Corne * lut la route de la Mobile à la Nouvelle-Orléans , un coquillage que les Sauvages appellent Naninatkelé, qui veut dire Arraignée de mer ; elle étoit pétrifiée. Sa couverture étoic


172 Nouveaux Noyages d'un vernis plus beau de plus luiTant que celui de la Chine ; fes yeux étoient pétrifiés , & aull�1 durs que du diamant. Ce coquillage eft de la forme 5c de la grandeur d�un plat a barbe renverfé ; il a une queue d environ dix pouces de long extrêmement pointue, la piq�re en eft dangereufe (O*
Il y a des loutres 5c des caftors dans les pays d�enhaut ; les Sauvages difent qne ce font des pareffeux, que les caftors du Canada ont chaffés pour n�avoir pas voulu travailler à la conftruétion des cabanes que ces animaux font en commun , de même que des digues pour détourner le cours des rivières, ce qu�ils font avec beaucoup d�induftrie 5c d�art.
Le Karancro j oifeau carnacier, de la figure 5c groffeur d�un coq d�inde, eft le plus vorace qui foit connu J il fuit les chalfeurs , ainu
*(i) Ce coquillage eft usuellement dans le cabinet d'Hiftoire Naturelle de M. le Marquis de Marigny.


. aex Indes Occidentales, ij j fjue les convois qui font route pour Jes différens portes. On en voit , comme des bandes de corbeaux, attendre avec impatience le moment du décampement : alors ces animaux viennent manger avec avidité ce qu on y a laili'é, après quoi ils repiennent la route en volant vers le nouveau camp. Ces oileaux mangent les hommes lorfqu�ils les trouvent morts : le Karancro a la plume noire, & le duvet de dertous fon aile a la vertu d�arrêter le fang.
Le Flamand , de même grolfeur ; a le bout des ailes noir & le dos
blanc, fon ventre eft de couleur de feu.
fl y a des étourneaux de deux efpéces , les plus petits font gros comme ceux d�Europe. Ils font l� communs, qu�on en tue jufqu�à cent d�un coup de fuhl ; ils font trèsbons a manger, & les habitans font contraints de faire garder leur récolté de bled d�inde & de ris , fans quoi ces oifeaux mangeroient tout ? ces derniers font d�un noir de jais� ils ont le bout des ailes d�un beau rouge �, leurs plumes font très-bel
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Nouveaux Voyages les, on en fait des manchons , des pompons, & des garnitures de robes pour les Dames.
Il y a quantité de perroquets ou perruches, 3c des geais très-beaux ; on trouve au pays des MilTouris des pies, qui ne différent de celles d�Europe que par le plumage, dont les couleurs noires & blanches font nuancées : les Sauvages en font des �rnemens à leurs cheveux.
Les yeux font charmés de la beauté de la nature, fans avoir été embellie par l�art, elle fe préfente ici comme elle eft fortie des mains du Créateur avant la ch�te de notre premier pere. Les Voyageurs ont les oreilles charmées par le ramage des oifeaux , furtout de ceux qu�on appelle mocqueurs , qui fe plaifent fort à la compagnie des hommes ; on diroit qu�ils font formés pour les défennuyer 3c faire oublier fes fatigues au Voyageur. En effet, auflit�t que cet oifeau en voit paroitre , il fe perche tout auprès de lai^ 3c chante agréablement, en volant, de diftance en diftance ; enfin il e� unique par fon ramage ;
aux Indes Occidentales, �jf étant perché au haut d�un arbre, il contrefait tous les autres oifeaux ; il fe mocque aufti des chars en miaulant. Le mocqueur vient dans les villes & les habitations, & lorfqu�on joue des inftrumens , il eft comme enchanté , & 1e joint au concert ; il effc de la groffeur d�un fanfonnet ^ & de couleur bleu�tre comme l�ardoife s il s�apprivoile facilement lorfqu�il eft pris jeune.
Le Pape , eft d�un bleu de Roi autour de la tête* il a le deftous de la gorge d�un beau rouge , & le dos Verd doré ; fon ramage eft doux ; il eft gros comme un ferin.
Le Cardinal, eft tout rouge , il a le deftous de la gorge noir , Sc fur la tête une huppe, fon bec eft rouge & fort ^ c�eft uneefpèce de moineau, qui fe pla�t de même avec les hommes ; cet oifeau eft gros à-peu-près comme une allouette, il lifte pendant l�Eté comme un merle.
L�Evêque j eft d�un bleu mêlé de violet, Sc de la groffeur d�une linotte.
Le chardonneret, eft tout jaunei & a le bout des a�les noir.
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*J6 Nouveaux Voyages Il y a un oifèau que l�on nomme rlequin ,v parce qu�il eft bigarré de ai ver les couleurs ; & un autre que les babuans Fran�ois appellent Suifle, a eau e qu il eft rouge & bleu: ces trois e/peces ne le voyent qu�au pays des Illinois pendant l�Eté ; ce font des oileaux de paflage.
, ^ 01^eau mouche, gros comme un Jianneton, eft de toutes couleurs , vives & changeantes : il tire fa fubfiftance des fleurs comme les abeilles; ion nid eft fait d�un cotton très-fin lu'pendu à une branche d�arbre.
, Y a nombre d�oifeaux inconnus, tiont le détail feroit trop long.
� -J�ai v� des papillons de toute beau�é : j en avois trouvé dans mes voyages, entr autres, deux que �esmitres ra ont mangé ; je n�ai jamais rien vu de fi magnifique ; il fembloit que l�auteur de la nature s�étoit pl� à répandi e fur leurs ailes les couleurs les plus vives; 1 or & l�argent le plus fin Sc le plus pur de la terre s�y trouvoient mêles avec une fimetrie admirable.
Ces papillons avoient été jettes chez les Akan�as , apparamment par Un coup de vent ; dans toute fié
aux Indes Occidentales. 177 tendue de plus de 1000 lieues de terres que j�ai parcourues , je n�en ai jamais rencontré de cette efpèce. J�avois chargé les Sauvages de la Nation des Ofages, qui font voifins des mines de Ste.Barbe, de m�en apporter : ils m�ont répondu que dans le pays o� il y en a, les Peuples font extrêmement féroces , & n�ont que la figure humaine.
' Il y a des canards de plufieurs efpèces , dont les plus curieux font ceux qu�on appelle branchus, ils fe perchent fur les arbres , ayant au bout de leurs pattes faites en nageoires , des ferres : ils font leurs nids fur des troncs d�arbres qui donnent en arcboutant fur des lacs ou rivières, & lorfque leurs petits font éclos, ils s�élancent aufl�t�t à l�eau ; à l�égard de leurs plumes , elles font nuancées des plus belles couleurs ; le m�le a une huppe fur la tête. Ces canards font les meilleurs à manger , ils le nourriffent, dans les bois, de gland & de fa�ne. . .
On voit fur le bord des rivières des oifeaux que l�on nomme aigretes ils font d�une blancheur extrême
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x7S Nouveaux Voyages
leurs plumes fervent d�aigretes aux
Dames.
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1 e Pélican , que les habitans du pays appellent grand gofier, à caufe d�une poche qu�il a fous la gorge, eft aufl� blanc & aufti gros qu�un cigne ; fon bec eft de la grandeur d�environ douze pouces ; fa peau fert à faire des manchons, & la graiffe de cet oifeau aquatique à lier la p�te de Tindigo. Cette p�te fe fait avec une plante, dont la graine vient des Indes orientaies, pour teindre en bleu.
Le Spatule a le bec comme une fpatule , inftrument de Pharmacie. Il y a un autre oifeau nommé , bec à lancette, qui a effectivement le bec fait de même. On ne finiroit point fur cette matière , on y employeroit des. volumes: j�abandonne ce détail à nos f�avans compatriotes,MM. de Buffon & Daubenton, qui ont entrepris ce vafte ouvrage. Je fouhaite que vous foyez content de cette petite defcription. Je fuis, Moniteur, &c*
A la NouvelUOrléam le premier Juin il 762,
aux Indes Occidentales. 179
P. S. Avant de finir ma Lettre , Monfieur., je vous parlerai de deux plantes précieufes qui fe trouvent auft� à la Louifiane ; c�eft l�indigo �c le coton.
L�indigo eft une herbe aftez reffemblante au geneft; il y en a de naturel à la Louifiane ; il nait ordinairement fur des hauteurs & dans le voifinage des forets. Celui que l�on y cultive vient des Ifles. On y en fait deux récoltes par an. Cette plante croit de s�élève jufquà deux pieds de demi, Lorfqu�elle eft en maturité on la coupe, on la porte dans le pourrijfoir ; c�eft un hangard de vingt pieds de haut, fans murs 3 de foutenu par des poteaux. On y conftruit* trois cuves les unes fur les autres ; celle qui efl à la bafe, eft difpofée de fa�on que l�eau qu�elle contient, puifie s�écouler hors de i�hangard ; la fécondé appuyé fur le bord de celle-là> de maniéré que l�eau qu�elle renferme tombe dans la première. La troifieme eft difpofée pareillement fur la fécondé. On met les feuilles de l�indigo dans celle qui eft la plus élevée, avec une certaine quantité d�eau, o� on
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�oo ^ Nouveaux Voyages les laiffe pourrir. L�homme qui eft � la tête de la manufacture , examine de tems en tems 1 indigo , & lorfqu�il voit qu il eit tems de vuider cette cuve, il ou vie le robinet , Sc Peau defcend Clans la fécondé; il y a un point précis qu�il faut faifir pour cette opération ; car fi l�herbe demeuroit trop long-temps dans le pourriffoir, l�indigo deviendroit noir.
Des que toute Peau eft dans la féconde cuve, on la bat jufqu�à ce que le conducteur faffe ceffer; c�eft l�ufage, l�habitude, qui apprennent à faifir les véritables inltans. Auffit�t que l�eau a été allez battue, on la laiffe repofer ; findigo forme une efpèce de vafe qui s�arrête au fond de la cuve; on lai�Te, à Peau qui s�élève au** deffus, le tems de s�éclaircir , & on la tire par dégrés au moyen de plufieurs robinets, placés les unxau-deffus des autres.
On tire enfuite Pindigo qu�on met dans des facs de toile , à travers lefquels Peau qui peut refter encore achevé de s�écouler. Après cela, on l�étend fur des planches & quand il eft fec3 on le coupe en petits quai*
aux Indes Occident aies. i St tes qu on met dans des barriques pour le tranfporter en Europe.
Pour avoir de la graine , on n�a qu�à laiiTer monter autant de pieds qu�on peut en avoir befoin ; il s�élève plus ou moins félon la qualité de la terre ; elle doit être légère ; on en fait jufqu�à quatre coupes dans les IfTes à caufe de la chaleur ; mais à la Louisiane on n�en fait que trois. Sa qualité n�y eft pas non plus auf�� parfaite.
Le coton eft un arbufte qui eft àpeu-près de la groffeur du rof�er mais il s�étend davantage. Il ne réui��t pas fi bien dans les terres fortes &: grades que dans les autres; aufi� cela qui croit dans la baffe Louifiane eftil d�une qualité inférieure à celui qui vient dans les terres hautes.
Le coton de cette contrée eft de fefpèce de fiam blanc. Il n�a ni la fineffe ni la longueur du coton foye s mais il eft très-blanc& d�une trèsgrande fineffe. Ses feuilles font d�un verd de pré, &: reffemblent alfez à l�épinard ; la fleur eft d�un jaune p�le; la graine contenue dans la coffe eft noire, de figure ovale , & a prefque la groffeur du haricot ; on la cul
I � 2 Nouveaux Voyages tive ordinairement dans les terres qui ne font pas encore propres au tabac � ni à Tindigo ; car �e dernier exige les plus grands foins.
On coupe l�arbufte près de la terre tous les deux ou trois ans > on prétend qu�enfuite il porte d�avantage. Le piftile de la fleur fe change en un bouton un peu pointu de la groffeur d�un �uf de pigeon ; il eft d�abord verd ; il devient bient�t brun t prefque noirfec & caftant.
Quand le coton eft m�r 3 la chaleur du Soleil le fait enfler ; la coque qui le renfermoit, s�ouvre en quatre ou cinq endroits avec un petit bruit. Alors on a foin de le cueillir promptement de crainte qu�il ne tombe à terre, parce qu�il fe g�teroit. Chaque gouffe contient cinq * fix ou fept graines grofles comme des poix ; elles font plattes & raboteufes ; le coton eft adhérant au tour, ce qui fait qu�il eft difficile de l�égrainer, 3c que cet ouvrage demande du tems 3c de la patience ; auffi eft-ce pour cette raifort que quelques habitans fe font dégo�tés de cette culture.
Je ne vous ai point parlé du tabac *

aux Indes Occidentales. 185 �l eft vraifemblable qu�il eft naturel au pays , puifque la tradition des Sauvages , ou leur ancienne parole nous apprend qu�ils s�en font fervis de tout tems pour fumer dans le calumet de paix. Je finirai par cette reflexion qu on a déjà faite, & qu�il eft bon de répéter jufqu�a ce que quelqu�un ait tenté l�expérience qu�elle indique. Le climat de la Louifiane , les terres hautes de cette Province, font penfer aux Obfervateurs qu�il ne feroit pas difficile d�y faire venir du faffran ; les colons en tireroient de grands avantages 5 & le voifinage du Méxique leur en procureroit un débit affez prompt3 & qui furement leur feroit utile.
184 Nouveaux Voyage$

LETTRE XXI. Au Meme.
Reflexions fur la population de VAmérique; cette contrée Va pas été inconnue aux anciens ; il parait qxéelle efl liée a VAfe du c�té de la Tartarie ; A efi par-la que les hommes qui Vont peuplée , ont du naturellement paffer� DiJJertation fur la maniéré de conferver fa fanté dans le nouveau monde.
M ONSXEUR,
J e compte repartir incef�amment pour la France ; je profite d�une occaf�on , qui fe préfente, pour vous écrire encore avant mon départ. Aprèsvous avoir donné une idée des m�urs, des coutumes, & de Phiftoire des Peuples chez lefquels je me fuis trouvé pendant mon voyage , je ne crois pas pouvoir mieux terminer ma narration que par quelques reflexions fur la po0
aux Indes Occidentales. i S y pulation de ce continent immenfe ; mais cette matière eft d�une obfcurité qu�on ne peut aujourd�hui fe flatter d�éclaircir ; plufieurs Écrivains f�avans ont tenté d�y jetter quelques lumières ; ils n�y ont pas réufli; la phi lofophie moderne a cherché d�en tirer avantage, avec aufli peu de fuccès ; & Tes opinions, fes raifonnemens n�ont pas même été capables de féduire les efprits foibles.
:r Si l�on réfléchit avec attention furies Écrivains anciens, tout femble nous convaincre que l�Amérique ne leur a pas étéabfolument inconnue. Diodore de Sicile femble en avoir parlé d�une maniéré allez précife ; le Pere Laffi.teau cite un paflage de cet Hiftorien, & y joint des reflexions qui Péclairciflent. Les Phéniciens, fi l�on en croit l�Auteur Grec, après avoir envoyé différentes colonies fur les c�tes de la Méditérannée , enrichis par leur commerce , ne s�écartèrent pas beaucoup des colonnes d�IIercule;cette mer vafte & peu connue qu�ils découvroient au fortir du détroit de Gibraltar leur infpiroit une forte d�ei�roi ; ils ne le furmonterent que par degrés-*
� 86 Nouveaux Voyage* quelques navigateurs hardis oferent fa hafarder enfuite furl�ocean, mais en rangeant les c�tes d�Afrique ; une �empéte violente, & qui dura plufieurs jours, les entra�na vers une Me très-étendue , & très-éloignée du c�té du couchant. A leur retour, ils s�empreiTerent de parler de leur découverte ; ils embellirent leur rélation de tous les menfonges fi familiers aux voyageurs de tous les pays & de tous les tems. L*es Tyrrheniens, devenus ma�tres de la mer , réfolurent d�y faire un établiffement ; les Carthaginois s�y oppoferent dans la crainte que leurs compatriotes, attirés par ce qu�on en racontoit, ne défertaflent leur patrie pour aller s�y établir y ils regardoient auf�� ce pays comme une reffource pour eux, fi quelque défaftre venoit à renverfer leur Empire.
A ce paffage de Diodore de Sicile, le Pere Laffiteau en joint un de Paufanias. Cet Ecrivain s�informoit s�il y avoit des Satyres; un certain Euphemus, qui étoit né dans la Carie, lui raconta que dans un voyage, il avoit été tranfporté par une tempête aux extrémités de l�océan, ou il avoir vu plu
aux Indes Occidentales. 187
f�eurs Ifles que les marins appelloient S^ryri^ei.LesPeuples qui leshabitoient étoient, d�une couleur rouge�tre } ils avoient des queues; les Matelots tremblans ne fongeoient qu�à les éviter ; le vent contraire les contraignit d�approcher du rivage, les Sauvages invertirent le b�timent, & l�équipage, pour s�en débarrai�er, fut obligé de leur livrer une femme.
La reflexion du Pere Laffiteau vous paro�tra jufte. � La defcription de ces & Infulaires, dit-il, convient parfai>:> tement aux Cara�bes, qui étoient ma�tres des Antilles, de la plus grands de partie defquelles ils ont été chaf*> fés par les Européens/en ces derniers tems. La chair de*ces Peuples �� eft fort rouge�tre : elle l�eft natu� Tellement ; 6c c�eft mofns un effet 35 du climat, que de fimagination des *>meres, qui trouvant de la beauté >5 dans cette couleur , la tranfmettent à leur fruit ( 1 ) ; elle l�eft aufl� par
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(1) Tout le monde ne fera pas de l�avis du J�fuite fur l'effet de l�imagination des meres fur leurs enfants j la couleur diffc



Nouveaux Voyages
* artl�fic� ; car les Barbares fe font 16 Peindre tous les jours avec le 33 V*1 leur rient lieu de vermillon, �e ^ les fait paroitre rouges comme du ^ lang. Pour ce qui eft de l�imagi35 nation de ces Matelots,qui croyoient 23 voir des Satyres, elle ne venoit que 23 de la peur qui leur faifoit prendre 33 des queues poftiches,pour des queues 23 réelles. Prefque toutes les Nations 23 barbares de 1 Amérique fe donnent 33 cet ornement, fur-tout quand elles 23 vont en guerre >3,
Les rapports qu5on trouve entre lestages de plusieurs Peuples de l�Amérique avec. ceux de quelques Nations fort anciennes de notre continent, femblent démontrer que cette contrée n a point été ignorée de l�antiquité; ils prouvent fur-tout que l�ancien Monde a fourni des hommes au nouveau ; comment expliqueroient-i�s
rente des hommes de divers endroits de la terre, offre encore bien des difficultés. Tout ce qu on a écrit fur ce fujetjffapoint expliqué ce phénomène ; c'eff la réunion de plu��eurs caiifes qui a du rendre les hommes de blancs qu'ils étaient, noirs, rouges, Sc bronzés.
/
aux Indes Occidentales. iSp ces rapports fi cela étoit arrivé autrement?Combien de reflemblance ny a-t-il pas entre la religion , les m�urs, les coutumes des Sauvages & celles de quelques Peuples anciens. Ces détails détruiront toujours la plupart des fyftêmes hardis qu'on a donnés fur la maniéré dont l�Amérique a été peuplée; fi c�etoit une colonie d�hommes échappés au déluge , dont on tente en vain de nier l�univerfalité, elle n�auroit porté en Amérique que des ufages anti-diluviens; ceux des Nations, qui font nées après ce ch�timent épouventable, reffemblent - ils à ceux de leurs ancêtres ab�més fous les eaux ? Nous n�avons pas affez de lumières fur ce fujet pour en faire la comparaifon ; on n�a rien à répondre à ceux qui difent , que la main toute puiJJ'ante, qui a femé des plantes des fruits dans toutes les parties de la terre, a pu y placer auffi des hommes. Une phrafe. ingénieufe n�eft pas toujours une raifon ; perfonne ne contefte ce pouvoir au fuprême Auteur de toutes chofes; mais il a daigné nous apprendre liii-même qu�il ne l�a pas vod�u
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x^o Nouveaux Voyages faire ainfi, & qu�il a donnél�être à deu? créatures qui ont été la fource di. genre humain.
C'eft le chemin qu�ont pu prendre les hommes pour fe rendre de l�ancier Monde dans le nouveau , qui fert de fondement a toutes ces opinions ; & c�eft fur cet embarras que la pl�pàr de leurs Auteurs s�appuyent. Une connoiflance plus exaCte & plus étendue de notre globe leveroit toutes ces difficultés. Il y a beaucoup d�apparence qu�il exifte un paffage qui lie l�Afie à l�Amérique; je vous en ai dir déjà quelque chofe, Monfieur , er vous parlant des os d�éléphans qu�or a trouvés dans un des pays que j a parcourus; ce fentiment n�eft pas nou veau ; il y a long-temps qu�on a fain cette conjecture. � L�Amérique, dir � le Pere Laffiteau, a p� être abordée par différens endroits, &s'être ainfi n peuplée de tous c�tés ; cela eft hor� de doute; elle n�eft féparée des terres Auftrales que de fort peu : au; 33 Septentrion , le Groënland, qui eft �peut-être contigu à ce nouveau: >3 Monde , n�eft pas extrêmement 33 éloigné de la Laponie. Les terres;


aux Indes Occidentales. ipi de l�Afie qui la bornent vers la 33 terre de Jeflo, font auffi peut-être 33 avec elle un même continent, ou 33 n�en font qu�à une très - petite difi33 tance, fi les détroits qu�on y fup33 pofe, percent jufqu�a la mer de Tar3? tarie, l�ocean qui fenvironn� en33 tiérement, ou prefque entièrement, 33 eft femé d�Ifles, tant dans la mer 33 du Nord, que dans celle du Sud, 33 On pourroit avoir paffé d�Ifies en �3 Mes, ou par le malheur des nau33 frages, ou par un effet du hafard Cet Auteur apporte plufieurs raifons pour prouver que l'Amérique Septentrionale tient à la Tartane., ou à quelque pays contigu à l�une de à l�autre : en voici une finguliere ; vous f�avez ^ Monfieur, que le Gin-Seng eft proprement originaire de la Tartane Mancheou ; le nom Tartare ou Chinois de cette plante fignifie les cuijjes d�un homme. Les Américains qui la connoiffoient depuis long-tems, & qui en faifoient ufage , lui avoient donné le nom de Gareul-Oguen * qui a la même lignification* Si TAmérique Septentrionale ne communiquoit pas à la Tartane, fi cette derniere
tp2 Nouveaux Voyages n�avoit pas peuplé l�autre, comment leurs habitans auroient-ils donné le même nom à la même plante ? Il ne s�agit pas ici d�étymologies de mots qui ont été corrompus, & qu�on ne rétablit jamais qu�en les for�ant ; il s�agit de leur lignification.
Le Capitaine William Roger regarde comme une chofe très-probable que quelques Tartares ont paffé en Amérique ; il remarque que les vaiffeaux, qui partent desPhilippinestous les ans, pour aller au Méxique , font forcés de diriger leurs cours vers le Nord pour trouver des vents favorables, parce que ceux qui s�élèvent entre les deux tropiques, leur font tou-� jours contraires. Il ajoute qu�après qu�on-a palfé le quarante-deuxieme degré de latitude feptentrionale, on trouve fouvent des bas fonds, ce qui femble annoncer qu�on n�eft pas éloigné des c�tes. Il imagine que ces c�tes pourroient bien être quelque continent inconnu aux Européens; qui lie la Californie au Japon , mais ne feroit-ce pas plut�t la c�te de Kamtschatka� ou cette nouvelle étendue de
pays

aux Indes Occidentales i$f
Eà l�Orient que le Capitaine ring a decouverte ?
A ces obfervations je joindrai le précis d�une Kélation qu�on trouve dans le Mercure Galant du mois, de Novembre 1711. Je citerai le fait fans y joindre aucune reflexion pour l�appuyer , ou le contredire; l�Auteur prétend l�avoir tiré d�un manuferit trouvé au Canada,
Dix hommes ayant réfolu de faire de nouvelles découvertes dans le deflein de s�enrichir, s�embarquèrent dans trois canots, de remontèrent le Mifl�flipi. Après un long trajet , ils trouvèrent un autre Fleuve dont le cours étoit vers le fud-fud-oueft. Ils y tranfporterent leurs canots de continuèrent leur navigation ; quelquetems après ils arrivèrent dans un pays qui avoit environ 200 lieues d�étendue, 3c qui étoit habité par des Peuples qui s�appelloient Efcaaniba.
Les Fran�ois (car ces dix voyageurs étoient de notre Nation ) trouvèrent beaucoup d�or chez ce Peuple. Son Pvoi prétendoit defeendre de Montezume. Il s�appelloit Agauzan ; il entretenoit en tems de paix une arII. Partie* I

t
'*94 Nouveaux Noyages niée de iococo hommes. Les femmes Efcaamba étoient blanches comme les Européennes ; elles avoient , ainfi que les hommes, des oreilles très-grandes , auxquelles elles attachoient des anneaux d�or. Une de leurs diflinc* tions étoit de laifier cro�tre leurs ongles ; la polygamie étoit permife à ces Peuples; ils ne s�embarral�oient guères de leurs filles, qui vivoient dans la plus grande liberté, fans que perfonne veill�t fur leur conduite. Leur pays produifoit du tabac, différents fruits d�Europe &deslndes,&plufieurs qui lui étoient particuliers ; les Riviez res étoient très - poiffonneufes leurs forêts étoient remplies de gibiers de toute efpèce, elles renfermoient furtout un grand nombre de perroquets* La Capitale étoit fituée à 6 lieues do la Kiviere qu�ils appelloient Mifl�, Riviere d'or. Ils faifoient fi peu de cas de ce métal, qu�ils permirent aux aventuriers Fran�ois d�en prendre �� d�en emporter autant quils vouloient; vous concevez bien qu'ils firent ufage de cette permifi�on ; chacun deux en eut pour fa portion le poid de deux �ent quarante livres* Leurs mines
aux Indes Occidentales. ic)f étoient dans des montagnes, d�o� l�on amenoit l�or fur des ruifleaux qui étoient à fec pendant un certain tems de l�année.
Ces Sauvages faifoient un grand commerce avec un Peuple très-éloigné; afin d'en faire conno�tre la distance aux Fran�ois ils leur dirent qu�il leur falloit lix mois pour faire le VoyzgQ' Les avanturiers fe trouvèrent chez les Eicaamba dans le temps que leur Caravanne fe mit en route pour ��ler commercer avec ces étrangers ; elle étoit compofée de trois cents b�ufs chargés d�or; un pareil nombie d hommes armes de lances, d�arcs, de flèches, & dune efpèce de poignards j les conduifoient de les gardaient ; ils recevoie-nt en échange de leur or, du fer, de Pacier., des lances & d�autres armes.
J ignore le degré de confiance qu�ost peut apporter à ce récit ; les aventuriers conjeé�urerent que ce pays fi éloigné o� fe rendoient les Efcaanibas etoit le Japon; dans ce cas, il doit y avoir une communication entie 1 Afie de l�Amérique ; quelques Ecrivains Anglois , fans s�arrêter à
tc) 6 Nouveaux Voyages difputer fur l�authenticité de cette Ré^ lation, p�nfent que �es Sauvages alJoient commercer avec les Habitans de Kamtschatka, ou de quelque autre ifle ou continent à l�orientde cette pref qu�ifle. On ne fera jamais bien alluré de c�tte communication , que lorfqu�on en aura fait la découverte. Les conjeélures n�expliquent rien ; elles donnent des vraifemblances, mais elles fe réduifent à cela; quoi qu�il en foit, il efl très- vraifemblable que cette communication exifte , quand meme il y auroit quelques détroits qui feroient la féparation de ces deux parties dé la terre , cela n�empecheroit pas que Jes hommes n�eulfent pu pénétrer dé l�une à l�autre en les traverfant. Il faut efpérer que l�ignorance o� nous foinmes ne durera pas toujours,;, les découvertes qu�on tentera de faire dans la mer du fud ou pacifique, nous
donneront de plus amples lumières (i).
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(i) Les Anglois au moment o� j�imprime ces Lettres ont déjà découvert dix Illes dans cette mer; on en a vu le détail dan; le voyage du Chef d�E (cadre Byron, qui a fait tant
aux truies Occidentales� IP*? Si, quand on aura fait des voyages de ce c�té, on trouve réellement des détroits , ce ri�eft pas urle raifon pout qu�il y en ait toujours eu ; des trembl�mens de terre auront pu les former en coupant l�ifthme qui joigilok les deux continents ; c�eft a un pareil événement que bien des Auteurs attribuent le détroic dé Gilbraltar; la Méditerranée, difent-ils, n�avoit autrefois aucune communication avec l�Océan ; plufie�rs prétendent que l�Angleterre étoit jointe à la France; la mer fépare actuellement Calais & Douvres ; pourquoi n�en auroit-il pas été de même de l�Amérique & de
l�Afie.
de bruit, & qui a prouvé Texiflence des géans, crue aveuglement par les anciens, rejettée par les modernes comme chimérique , & atteftée par les nouvelles découvertes ; le premier voyage que les Anglois feront du même c�té , nous fournira des détails plus étendus ; leur entreprife encouragera fans doute à en tenter d'autres , & une connoifTance parfaite de la mer dufud, éclaircira les difficultés qui relient encore fur la jonction de f�fe a r�mériquc.
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Ip8 Nouveaux Voyages
Si la maniéré, dont les hommes fe font rendus en Amérique, offre tant d�embarras & d�obfcurites, on n�en trouve pas moins fur fépoque du tems o� cette partie de la terre a été peuplée ; tout ce qui eft difficile à pénétrer excite naturellement la curiofité des hommes ; ils veulent voir du nouveau, en dire, & fouvent ils nous préfentent leurs chimériques imaginations pour des réalités. Parmi les opinions fingulieres que cette matière a occufionnées� je vous rapporterai celle-ci de Marc Lefcarbot , dans fon Hiftoire de la Nouvelle France; le Pere Laffiteau fera encore mon guide dans cette occafion, & je prends de fon ouvrage fur les moeurs des Sauvages Américains^ ce que je vais vous dire à ce fujet. ce Lefcarbot n�a point *> fait de difficulté d�avancer d�une 33 maniéré très-forte , & qui femble 33 palier la conjeé�ure , que Noé n�b� sa gnoroit point les terres occidenta* 3J les, o�, par aventure il avoit pris D3 naiffance, que du moins, il en avoit 33 connoiflance par la rénommée. 33 Qu�ayant vécu trois cens chiquante 33 ans après le délogeai avoit lui-même
*. >
aux Indes Occidentales. 1 pp
� pris le foin de peupler, ou de re30 peupler ces pays-là ; qu�étant grand 53 ouvrier & grand pilote, chargé d�ail� leurs de réparer la défolation de la terre, il avoitpu y conduire fes en� fants, & qu�il ne lui avoir pas été >3 plus difficile, d�aller par le détroit � de Gibraltar dans la Nouvelle Fran30 ce , au Cap Vert, au Brehl, quil 33 l�avoit été à fes enfants d�aller s�établir au Japon, ou qu�il lui fut di33 ficile à lui-même de venir des mon33 tagnes d�Arménie dans l�Italie , o� m il fonda ie janicule fur le tibre, fi 33 les Hiftoires des Auteurs Profanes 33 font véritables*
Je doute qu�il faille remonter jufqu�à Noé, pour trouver l�époque de la population de l�Amérique ; fi , comme il y a beaucoup d�apparence , lesTartares y ont pafie, ce ne doit être que dans la fuite des tems ; des hommes qui font peu nombreux ne quittent pas tout de fuite la vafte contrée qu�ils habitent ; ils ne cherchent pas à Je féparer fi promptement ; ils reftent réunis jufqu�à ce qu�ayant trop multiplié , ils fe répandent au loin , ou que d�autres �irconftances les fprcent à s�élot
I iv

2C0 Nouveaux Voyages gner du pays o� ils font nés; de pareilles recherches font peu important .�esj ei!es font de pure curiofité, & la : difficulté de la fatisfaire devroit em-pecher de s�en occuper. Tout ce qu�on peut dire de certain, c�eft qu�il paro�t que l�Amérique n�a été habitée que depu is quelquesffiécles,
Powel, Auteur Anglois, rapporte dans fon Hifloire de Galles que l�an �de notre ère 1170. Il y eut une guerre dans ce pays pour la fucceflion au tr�ne après la mort du Prince Owen Guinneth. Un batard enleva la Couronne aux enfans légitimes ; un de ces derniers, nommé. Madoc, s�embarqua pour faire de nouvelles découvertes. En dirigeant fon cours vers l�oueft, il parvint à une terre dont la fertilité & la beauté étoient admirables.. Comme le pays étoit inhabité, il s�y établit ; Hakluit aff�te qu�il fit deux ou trois voyages en Angleterre, pour y prendre des habitans qui, far le récit qu�il leur fit de ce pays charmant, voulurent aller l�habiter avec lui.
Les Anglois croient que ce Prince découvrit la Virginie. Pierre Martyr femble fournir une preuve à cette opi

aux Indes Occidentales. 201
nion , loi (qu�il die que les Peuples de la Virginie & ceux de Guatimala, célèbrent la mémoire d�un de leurs anciens Héros qu�ils appelaient Madoc. Plufieurs voyageurs modernes ont trouvé d�anciens mots Bretons en ufage chez les Amériquaitis Septentrionaux. Le célébré Evêque Anglois Nicolfon croit que le langage Gallois a formé une partie confidérable des langues des Peuples de l�Amérique ; il y a des antiquaires qui prétendent que les Efpagnols ont tiré leur double l (II) des Amériquains, qui, félon les Anglois, les doivent aux Gallois. Oa nefiniroit jamais fi l�on vouloir rappeller tous les raifonnemens par lefquels ils prétendent prouver le voyage du Prince Gallois Madoc. Les Iloilandois ont apporté du détroit de Magellan un oifeau dont la tête eft blanche, & que les naturels appellent Percgitin; ce mot eft vieux Breton, 3c (�gnifxe tete blanche ; on en conclud qu�il vient originairement du pays de Galles.
Ce ne font pas les Anglois feu�s qui ont été , félon nos Romans hiftoriques, s'établir en Amérique de la peu^
I vj.
*
2.02 Nouveaux Voyages pleryBayer prétend que les Normands font les premiers Européens qui ont ofé faire voile pour cette contrée.
Le doéieur Lochner allure qu�un Bohémien d�une famille diftinguée fe rendit au Bréfil, �c découvrit le détroit de Magellan, avant que Colomb eut été au nouveau Monde ; ce Bohémien s�appelloit Martin.Plufieurs Ecrivains Allemands qui aimeroient mieux que l�Amérique porta le nom de Martin que celui d�Americ Vefpuce, ont embraffé ce fentiment.
Qu�on adopte ou qu�on rejette ces traditions, qu�elles foient fabuleufes ou vraies, il n�en eft pas moins inconteftable que les Amériquains ont la même origine que nous ; à travers leurs erreurs ils ont confervé plufieurs idées allez reffemblantes avec celles que nous a tranfmis l�écriture i je vous rapporterai, Moniteur , un morceau d�une DilTertation Angloife fur la population du nouveau Monde j o� l�on rapproche plufieurs opinions Américaines qui ont pris leur fource dans les vérités que Moyfe a confervées* Les Péruviens croyent qu�il y eut autre fois un déluge, qui fit périr
aux Indes Occidentales. 20}
35 tous les habitans de leur continent, 33 à l�exception d�un petit nombre qui 33 fe retira dans des cavernes, au fom33 met des plus hautes montagnes ,� & 30 dont les defcendans repeuplèrent la 33 terre. Quelques idées peu différent 33 tes de celles-ci, ont été re�ues parmi 33 les habitans d�Hifpaniola , à ce que Gemelli nous apprend. Il eft fait 33 mention aqffi dans les anciennes Hif33 toires du méxique d�un déluge gé33 néra!, qui fit périr tout le genre hu33 main à l�exception d�un homme & 33 de fa femme. Ces deux époux eurent, 33 fuivant les Méxiquains * de nom33 breux defcendans ; mais tous leurs 33 enfants furent muets , jufqu�à ce 33 qu�un pigeon les doua du talent s� de la parole : ils ajoutent que le lan~ 33 gage primitif des defcendans immé33 diats du couple qui furvécut au dé~ 33 luge j fut partagé en tant de dia33 leétes * qu�il ne leur fut plus pofi�ble 33 de s�entendre les uns les autres, ce qui, après les avoir obligés à fe fé33 parer, contribua à leur faire peu� pler différents pays de la terre. Que!33 ques Amériquains, ont une Tradi39 tion qui porte que tous les hommes
204 Nouveaux Voyages 33 tirent leur origine de quatre fem33 mes, ce qui s�accorde ai�ez bien avec 33 lHiftoire Mofa�que. qui fait def33 cendre tous les Peuples de Noé, & 33 de fes trois fils. Toutes ces Tradi33 tions donnent manifeftement à con53 no�tre que les Américains ont Noé 33 pour ancêtre , & que divers traits de &3 l�hiftoire de Moyfe font parvenus 33 jufqu�à eux. Ce qui fuffit pour dé33 truire l�étrange fyftéme qui donne 33 aux Amériquains des ancêtres anté33 rieurs à Adam 3>.
Cette citation , Monfieur, ne répond-elle pas à tous les argumens de ces Écrivains fyftematiques, qui veulent donner les fruits abfurdes de leur imagination pour des vérités ? o� les Amériquains auroient ils paifé ces notions s�ils ne font pas de beaucoup poftérieurs au déluge, & s�ils ne viennent pas des nations qui ont confervé la tradition ; il eft facile d�expliquer par le laps des tems, par l�ignorance , la légéreté des Sauvages, les fables dans �efquelles ils ont noyé le petit nombre de faits vrais qui ont refté gravés dans leur mémoire. Le défaut de monumens, de caraderes, de lettres
aux Indes Occidentales. 20'ç
pour tracer les événemens par écrit, nuit néceflairement à la pureté de la Tradition ; dès qu�elle fe tranfmet par la parole du pere à fes en fa ns el�e doit être beaucoup altérée après quelques générations.
Les guerres que les Américains ont toujours eues avec leurs voif�ns., ont beaucoup contribué à empêcher leur population, leur petit nombre eft vraifemblablement ce qui a fait qu�ils me* noient une vie errante ; courant de forêts en forêts pour chercher du gibier ^ s�établifTant dans tous les lieux o� ilstrouvoient une nourriture abom dante, & les quittant pour aller s�établir ailleurs auffi - t�t qu�elle commencoit à leur manquer. S�ils étoient en plus grande quantité leurs befoins augmenteroient ; il feroit plus difficile de pourvoir à l�entretien de fous ; cet embarras ouvrirait leurs efprits, fs concevraient de nouvelles idées; ils fentiroient qu�ils devroient fonger à s�affiirer une fubhftance plus indépendante du hafard ; les fuits que leur fournit la terre, leur apprendroient à les multiplier par la culture ; ils fendraient tout le mérite de ces produc

20 6 Nouveaux Voyages tions.iis fongeroient à fe les approprier* ils y parviendroient ; on en voit déjà dans différenscantons cultiver le ma�s; ils cultiveroient bient�t d�autres grains; une connoiffance les conduiront à une autre ; ils fe fixeroient dans le pays qu�ils auroient défriché, ils s�y attacheroient, 8c ne fer oient plus vagabongs comme ils le font.
L�établiffement des Européens dans les contrées feptentrionales a porté plufieurs de ces Nations à s�établir dans leur voifinage , pour fe procurer les fecours qu�ils peuvent leur fournir ; l�envie qu�on marque d�avoir des pelleteries, & la facilité qu�ils trouvent à fe procurer de l�eau-de-vie, des armes avec ces marchandées, les font fouvent courir les bois & chaffer dans l�efpace de plus de deux cens lieues pour fe fournir des chofes dont on leur a fait un befoin ; de cette maniéré ils ne font fixes qu�en apparence ; ils confervent ce go�t de la vie errante , 8c le tems ou ils doivent être civilifés eftencore bien éloigné; peutêtre fe détruiront-ils avant d�y parvenir.
Voilà* Monfieur* ce que je penfe

aux Indes Occidentales. 207
qu�on peur dire de plus vraifemblable fur la population de l�Amérique , ma lettre feroit trop étendue fi je voulois vous rappeller feulement la centième partie des chofes qui ont été dites à ce fujet. On feroit des volumes confidérables des opinions & des fyftêmes contraires qu�on a publiés depuis longtemps ; j�ai t�ché de me borner à quelques obfervations curieufes ; ceux qui penfent que les Tartares font ceux qui ont principalement fourni des peuples à l'Amérique paroiffent avoir embraffé le fentiment le plus vrai ; vous ne f�auriez croire combien il y a de relfemblance entre les ufagesdes Américuains & ceux des anciens Scithes; on en trouve dans les Cérémonies Religieufes, dans les m�urs, dans les efpèces d�alimens dont ils fe nourriffent. Hormius eft rempli de traits qui peuvent fatisfaire la curiofité à cet égard, & je vous invite à le lire.
Je lai lierai toutes ces difcuilions par lefquelles j�ai d� peut-être terminer le récit de mes voyages, & je vous parlerai d�un autre fujet plus utile à l�humanitéfur lequel l�obfervation & l�expérience fuffiient pour nous éclairer
208 Nouveaux Voyages
Comme il eft naturel à l�homme de defirer de vivre long - rems , je penfe qu�il ne fera pas hors de propos, fuivant l�expérience que j�ai faite , d�enfeigner en peu de mots la fa�on de con(erver& prolonger fes jours en Amérique,
Je finirai ma lettre par une petite dif�ertation fur la fa�on de fe traiter. Je me reffouviens d�avoir lu dans la Ga zette de Hollande du 3 Avril J 087, que le nommé Fridéric Gualdus y Noble Vénitien, a confervé fa vie jufqu�à 400 ans : on prétend qu�il avoir la Médecine univerfelle. Il partit de Venife le 7 Mars 1688 ; ilavoit fon portrait avec lui, qui avoir été fait par le Titien ; ce Peintre étoir mort il y avoit déjà 130 ans. Je fuis perfuadé, Monfieur, que vous conviendrez avec moi, que c�eft l�agitation & la fobrieté qui procurent une faute parfaite. Les Peuples de l�Ame--� riquej il y a 260 ans, ne connoifi� foient ni vin ni eau-de-vie , lors que les Européens y arrivèrent ; ces Naturels ne vivoient , comme j�ai déjà dit, que de viande de ch a lie boucanée , r�ties ou bouillies avec, du mai�
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aux Indes Occidentales. 209 ConcafTe dans un mortier de bois dur. Cette nouri iture eft très- faine , & forme un bon chile. J�ai vécu environ deux mois de ces alimens , en montant la riviere de la Mobile avec les Sauvages ; & je puis affiner que je ne me fuis jamais mieux porté que pendant ce tems. De tous les Proverbes latins , celui-ci eft le meilleur :
Plures gula occidit quam gladius.
La volupté , & l�intempérance dans le boire & le manger, détruifent plus de perfonnes que le glaive. C�eft pourquoi on doit fe prefcrire un régime de vie convenable, furtout dans les pays chauds de l�Amérique.
Premièrement, il faut avoir grand foin de fe faire., petit à petit, au climat , & de s�abftenir de manger de toutes fortes de fruits, & de boire de toutes fortes de liqueurs , jufqu�à ce que le corps y foit accoutumé par gradation. Les perfonnes (anguines peuvent fe faire tirer du fang, de tems en tems, pour prévenir Tapop�exie. On pourra, quelquefois, fe purger avec des médecines douces : on doit aufl� éviter de s'expofer à la chaleur br�lante du foleil, de même qu�au ferein.
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210 Nouveaux Noyages ^ Quand il arrive qu�on a trop b� de vin j il faut prendre des chofes aigres 9 comme le citron , qui y eft fort commun ; au moyen de quoi l�on ne fe trouvera ni étourdi, ni ivre des vapeurs qui fuivent ordinairement les repas. Si l'on fe fent échauffé par l�excès des liqueurs il faut prendre des chofes rafra�chiflantes & bien fe garder d�ufer d�aucun aliment échauffant : on boira, le moin� qu�on pourra, de liqueurs fpiritueufesrcar elles br�lent le fang & caufent aifément une fièvre ardente.
Quand on a trop mangé ^ les liqueurs fortes font bonnes alors pour fortifier l�eftomac & aider la digestion ; mais fi au contraire il arrive que l�on foit échauffé pour avoir trop b� (i), elles deviendroient très-dan* gereufes. Ceux qui font trop adonnés à la débauche , font prefque toujours tourmentés de rêves fantaftiques, qui les fatiguent au point de leur caufer de
(i) Il eft à remarquer que depuis que les Amériquains ont fait ufage du vin & des liqueurs fortes, ils ont, comme nous, raccourci leurs jours.
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aux Indes Occidentales.. 1\ T
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l�altération dans l�efprit, parce que les fumées du vin dont ils font remplis , excitent exceffivement leur imagination. On f�ait par expérience que les gens fobres, 8c furtout ceux qui font ufage de l�eau , dorment tranquillement, leur fommeil n�étant ni léger, ni péfant. L�on voit dans le deuxième chapitre de la vie Apollonius écrite par Philoj�rate j qu�à Athènes ceux qui étoient affligés de mauvais rêves, s�adreflbient aux Prêtres des faux Dieux pour en être délivrés ; ceux-ci leur ordorrnoient l�abftinence du vin pendant trois ou quatre jours ; cette privation leur purifioit l�imagination, 8c produisit une guerifon qu�ils attribuoient à leurs Dieux.
Lorfqu�après un excès de nourriture on fe trouve accablé , 8c que les membres font fatigués, de forte que la trop grande abondance de fuc nutritif occafionne une plénitude partout le corps, & un grand affairement; je crois, qu�à l�imitation des Sauvages , la fueur 8c la tranfpiration, font des remedes immanquables , quand on aide la chaleur naturelle par une extérieure : ce remède eft cer
mm:
2.12 Nouveaux Voyages tain , pourvu qu'il foit fait à la na�f-' fance du mal ; la manière des Européens pour bien fuer, eft de fe met-, tre entre deux draps blancs , de fe tenir ainfi bien couvert., à l�exception du viiage j de ne point ceffer jufqu�à ce que l�on ait fué , & ne fe lever qu�une bonne heure après ; quand on continue de cette fa�on à fuer pendant quelque jours, on fe trouve tellement foulage, que la force l�appétit reviennent , de maniéré qu�on eft furpris de fe fentir fi léger & fi allerte ; car par cette fueur les vifceres fe trouvent parfaitement purifiées de fuperfiuités, fans douleurs ni aucune léi�on de la nature, ce que les médicamens ordinaires ne peuvent
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iaire.
.Pour fe bien porter il faut faire ceci trois fois l�année., f�avoir : au Printems, en Automne, & en Hiver.
fvia conclufion, Monfieur, efi: que la diète , la tranfpiration & la fueur , compofent une médecine univerfelle. Je dirai donc qu�en toutes chofes la nature doit être notre direé�rice ; c�efl: d�elle qu�il faut que nous apprenions les vrais moyens pour nous
aux Indes Occidentales. 213 co n fer ver en fanté ; elle nous l�ordonne fous peine des plus grands maux, & meme de la vie. Je vous ai déjà obfervé que les fréquers exercices que font les Sauvages d� l'Amérique feptentrionale, comme la danfe le jeu de pelote ou raquette , la chai�e, la pcche, la guerre, animent tellement la chaleur naturelle, qu�elle fait fon devoir en chaftant du corps, par la tranfpiration , toutes les fuperfiuités : Pourquoi les Payfans vivent-ils long�
� tems, 3c entretiennent-ils leur fanté fans le fecours des Médecins ? c�eft le perpétuel ufage qu�ils font du travail qui en eft la caufe ; c�eft l�exercice qui les empêche de conno�tre ce que c�eft que la go�te, la gravelle, 3c les autres infirmités, auxquelles les riches de 1 Europe font fujets par le rafinement de leurs tables, parce qu�ils ne font pas plus ufage de leurs jambes que les vieillards infirmes. J�en ai connu qui, femblables au malade imaginaire , faifoient une pharmacie de leur eftomac.
On a remarqué dans les pays chauds de 1 Amérique, que les jeunes gens qui arrivent d�Europe y péniTent" plut�t





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a 14 Nouveaux Voyages que les vieux, parce que ces premiers y mangent imprudemment toutes fortes de fruits , qui leur caufent la diarrhée : on doit donc en manger fort -peu, jufqu�à �e que le coips loit accoutumé au climat du pays , après quoi on n�en fera nullement incommodé au bout d�un an.
En obfervant ces précautions , je fuis garant qu�on vivra plus long tems dans le nouveau Monde que dans l�ancien. Il y a actuellement à laLouif�ane nombre de perfonnes qui y font depuis le commencement de foui établilfement. J�ai vu un habitant nommé Graveline, �gé de 118 ans, qui étoit venu ici avec M. d�Iberville en 1698 , il afervi foldat en Canada environ 30 ans, fous le régné de Louis .Quatorze. Jediiis, Moniteur > 6cc.
MX Indes Occidentales. 2.1 f
LETTRE XXII.
. i V ,
Au Même.
VAuteur revient en France ; dangers quil court au Cap de la Floride ; Origine d�une prétendue Fontaine de Jouvence ; fon vaiJJ'eau échappe aux Anglois j combat contre un de leurs CorJaircs j il court rifque d�être br�le ; Projet d�une de (cerne fur les cotes de la Nouvelle Angleterre j prije d�un vaiJJ'eau ennemi j arrivée de l�Auteur à la Corogne�
Monsieur,
J�ai appris, à mon arrivée à la Corogne le premier Novembre 17 62, que M. de Rerlerec avoic envoyé en France une GoëleteEfpagnole, pour prévenir le Miniftre contre M. de Rochemore, CommilTaire Général de la Marine & Ordonnateur à la Louifiane, rappelle en France par Lettre
i /



�HdWi�

2i6 Nouveaux Voyages de cachet, & contre les Officiers qui raccompagnoient, au nombre desquels j�étois fans le f�avoir. Dès le mois de Juin précédent, ce Gouverneur de la Louifiane avoit notifié à M. de Belle-Hle dontrje vous ai fait rhiftoire , & à M. le Chevalier D�Erneville, premier Factionnaire & Commandant les troupes de la Marine à la Louifiane , la nouvelle f�cheule de leur révocation , en ces termes :
>3 Je vous donne avis, que j�ai re�u t> une Lettre de M. le Duc de Choi33 feu!, en date du premier Janvier
dernier , qui me fait part que le 53 Roi j mécontent de vos Services, � vous caffe , & vous prive de votre 33 emploi.
On peut juger de l�étonnement o� une pareille annonce jetta deux anciens Officiers, qui avoient lervi le Roi & l�Etat avec tant d�honneur & de diftin�iomCette cataftrophe a furtout plus affeélé M. de Bellé-Ifle , que n�avoit fait la trifte fituation o� il fe trouvoit lorfqu�ii étoit entre les mains des Sauvages mangeurs d�homrnes. Ce digne Officier, qui a fi bien mérité de la Colonie de la Louifiane,
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aux Indes Occidentales� 21J ou il comptoit finir tranquillement fà carrière, napas craint, malgré fon �ge avancé, de s�expofer aux dangers de la Mer & de la Guerre , & de s�emba�quer avec nous pour venir réclamer l�autorité Souveraine. Il eft ar�ivé ici fort mal, de fa difgrace l�affiige a tel point , que je crains fort qu�il ne puifie parvenir au pied du tr�ne du meilleur des Rois, fans fuccomoer a ce coup inattendu de la fortune fur la fin de fa trifte vie (1}. Vous verrez par le récit que je vais vous faire, que, fans l�expérience de cet ancien Officier, nous aurions péri
(ix M. de Belle-Ifie, accablé de chagrin & de fatigue, mourut à Paris le 4 Mai 1763, il a emporte dans le tombeau le regret de nombre a honnêtes gens. Sa douceur lui attiroit l�amitié & Peftime de tous les Militaires, quoi qu il eut habité dans fa jeuneUe les Peuples les plus barbares. Jamais on ne le vit difeontinuer chez lui fes exercices de piété , 3c on peut allurer que fa famille étoit l'exemple de la Colonie. M. de Belle-Iflc étoit allié, du c�té de fon époufe, à filluftre Duguai Trouin, dont la mémoire fera toujours chere aux Fran�ois. Madame de Belle-Jfle & Madame Dorville , fa fille, n ont pas furvecu a la douleur que leur a caufé fa mort.
IL Partie,
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2.1 S Nouveaux Noyages au nombre de plus de ijo perfonnes,' qui nous étions embarqués fur le b�timent la Médée, monté de douze canons , commandé par le Capitaine Cochon, La flote Angloife, qui venoit de réduire la Martinique, attaquoit la Havane dans rifle de Cuba; chacun f�ait que pour faire route de la Louifiane en France, il faut aller reconno�tre cette Ifle.
Voici une obfervation bien naturelle à faire. Le Gouverneur de la Louifiane n�auroit-il pas d� communiquer au Capitaine Cochon, les mêmes avis qu�il avoit re�us, pour que ce Capitaine ne fe hazard�t pas imprudemment , comme il fit, à aller relacherf�à la Havane ; un avertiffement de cette conféquence méritoit cependant une attention des plus férieufes.
Nous appareill�mes donc de la Balife , le io Ao�t 1762 ; comme nous voulions éviter rifle de Cuba, nous fumes reconno�tre los Tortugas ou les Tortues (1) , nous avions le vent
(v) On les appelle ainfl à caufe que les tortues y font êclorre leurs �ufs dans le fable ; elles font extrêmement baffes, on 11e les voit que quand on en eil bien près.
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aux Indes Occidentales. 11 9 en poupe qui étoit extrêmement fort; mais notre Pilote, ayant peu pratiqué ces paragesmanqua, pendant la brune Pentrée du Canal de Bahama, & prit fa route dans l�enfoncement que loi me le Cap de la Floride ; ayant pris hauteur, & trouvé en dedans de ce Cap la même latitude qu�en dehors , il fe crut débouqué ; & nous étions perdus , fi M. de Belle-Ifle, qui connoif�bit, depuis ans, les c�tes de l�Amérique feptentrionale , & lufpeéfoit la capacité du Pilote , n eut veillé pour éviter le danger. En effet, ce Major expérimenté, s�appercevant à la pointe du jour que l�eau de la mer croit changée , fit réveiller le Capitaine qui, fe croyant en pleine mer, dormoit avec fécurité. Ayant lait jetter la fonde, il s�apper�ut de Ion égarement à n�en pouvoir doute! , 3c fut tics-furpris de ne trouver que cinq brades (1) d�eau ; on revira ue boid,& nous nous tir�mes heureufement de ces parages la fonde àlamain,
. Avant d�aller plus loin, Monfieur, je me permettrai une petite digrefi�on fur la Floride, & fur cette Fontaine
CO Brafle eft une mefure de 5 pieds.
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220 Nouveaux Voyages de Jouvence qui a fait tant de bruit en Europe, &quia occafionné prefque autant de voyages pour la découvrir que l�avidité infatiable de l�or. Les Efpagnols auroient bien voulu pouvoir en réunir la polfeffion à celle des riches mines du Pérou ; j�efpére , Monfieur, que ces détails ne vous déplairont pas, 3c cela fuffit pour autorifer le précis que je vais avoir l�honneur de vous préfenter.
Le Cap de la Floride eft appellé par les Efpagnols le Cap de los corrientes * parce que l�eau court fi vite en cet endroit qu�elle a plus de force que le vent j 3c empêche les vaifieaux d�avancer , quoique l�on employé toutes les voiles, ce qui fait que quelquefois l�on tombe fur des écueils, comme il penfa nous arriver fur des petites Mettes, nommées par Chriftophe Colomb los Martyres , parce qu�ayant apper�u de loin des pointes de rochers qui s�élèvent , il crut voir des hommes qui fouffroient. Ces Mes font au nombre de onze. Los Tortugas ou les Tortues, furent ainfiappellées par les Efpagnols qui en péchèrent plus de 6ooo. Les Mes de Bahama font fi baffes, qu�efi

aux Tndcs Occidentales, 221 le s femblent être fubmergées ; ce qui /orme un grand Canal de courant > qui a de largeur , à l�endroit le plus étroit, 20 lieues AéAlbana à los Martyres j & de los Martyres à la Floride 14 lieues. Toutes ces Ifles font au 2 y degré N. iy minutes; nous avons louvoyé l�efpace de 27 jours dans ces parages, d�o� nous n�avons échappés que par une efpéce de miracle.
On f�ait que la Floride fut découverte par Jean Ponce de Léon , qui cherchoit Bimini : c�eft cette Me dont il a été tant parlé , principalement du Fleuve Jordan , & de la Fontaine fi renommée par les Indiens de Cuba , qui affuroient que fes eaux avoient la vertu de rajeunir les hommes. Jean Ponce de Léon ajouta foi à cette fable, chercha la Fontaine, fans la trouver ; il ne fe rebuta pas ; il envoya à cette découverte le Capitaine Pere? d'Ortubia , & le Pilote , Antoine de Alminos ; il alla prendre port à la Baye de Puerto Rico, o� il trouva Bimini ; mais non pas la Fontaine , ni le Fleuve Jordan. On f�ait que Jean Ponce de Léon mourut quelque
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222 Nouveaux Voyages rems après avoir cherché par-tant cette célèbre Fontaine, fans l�avoir trouvée.
Les Indiens de Cuba , que les Efpagno�s harcelloient pour la découverte des mines d'or, voulant fe défaire de l�importunité de pareils h�tes,^ ajoutèrent qu indépendamment de for qu�ils trouveroient dans l�Ifle de Birnini, il y avoir un Fleuve 8c une Fontaine , qui rajeuniffoit les vieillards en fe baignant dedans. La Pvélation en fut aufii-t�t envoyée à la Cour de Caftille , ce qui fut caufe que plufieurs Caftillans s�embarquèrent a Cadix , afin d�aller au nouveau Monde voir cette merveille, qui., fi elle e�t été vraie, e�t mieux valu que tout l�or de la terre.
On fut effedivement bien détrompe de cette flatteufe & agréable nouvelle au retour des Cailillans : lorfqu�ils débarquèrent à Cadix on les trouva même vieillis, on fe mocqua de leur pénible 8c long voyage ; mais en cherchant cette chimérique Fontaine, ils découvrirent le Cap delà Monde. En ce tems-�à, tous ceux qui paffereot en cette Me éprouve^
aux Indes Occidentales. 223 rent toutes les Rivières, les Fontaines & les Lacs, & jufqu�aux mares dans lefquelles ils fe baignèrent & burent de leurs eaux , pour voir s�ils rajeuniffoient ; il n�y a pas long teins qu�on cherchoit encore cette merveille, comme en Europe la pierre Philofophale. Si nous eufiions été pris par les Corfaires Anglois & conduits en cette Me , nous avions fait la partie de nous baigner dans toutes les Rivières & Fontaines de BirninL Cette Me appartient a&uellement aux Anglois , fous la dénomination de l�Me delà Providence; elle fervoit autrefois d�afyle aux Pirates écumeurs de mer , qui infefterent pendant long-tems les mers de l'Amérique.
Voici ce qui a donné lieu à cette fable : l�air de la Floride eft fi tempéré, quon dit y avoir vu des vieillards de 2yo ans. On prétend que Bimini renfermoit autrefois les plus belles femmes de l�Amérique feptentrionale; & les hommes du Continents même jufqu�aux.vieillards, alloient fe retirer dans cette Me pour adoucir les miferes de la vie; mais tous ces innocens plaif�rs ont fini à
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�24 Nouveaux Voyages
1 arrive.s des Européens,qui fe font empales du domaine de ces pauvres PeuP es. Toutes les Ifles ont été peuplées par des gens qui y paffoient de Cuba. J->es �.dations nous apprenent la brave
Ie 1 irrCe ^Ue ^es Eloridiens ont faite aux pagnols ; lorfqu�ils arrivèrent dans leurs terres, ils allèrent au-de
'tUa ^ans ir canots ou pirogues, armes d�arcs & de flèches ; & furent
j eZ '^'das pour aller couper les cables du vaifleau de Jean Ponce de Léon qui rut contraint de leur demander la paix � ces Peuples font gouvernés par des Faraouflis ou Caciques.
J ajouterai ici en palTant à loccafion de cette prétendueFontaine deJouvence,que les Peuples du Darien, voulant, comme cenxdeCubajfe débarraffer des Caihllans touchant 1 enquête qu�ils faifoient de 1 or de cette terre, leur periuaderent, par maniéré de badinage, que puiTqu�ils étoient tant avides de ce métal� ils n�avoient qu�à aller dans la partie du Sud; qui! y ttoi� ii commun , qu�on le pêchoit avec des retz, ce que Vafco Nune? de Balboa j inféra dans la Rélation

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aux Indes Occidentales. qu?il envoya à la Cour ; cette nou~* velle réjouit beaucoup les Efpagnols ; ce fut dans ce temps que Nune% découvrit la Mer du Sud & le Pérou : mais la pêche de l�or avec des filets fe trouva faufie.
Vous pouvez f�avoir que du tems du fameux fyftême de Jean de Law > qui penfa bouleverfer tout le Royaume , on repréfentoit à Paris un Sauvage du Mifl�fi�pi, donnant un lingot d�or à un Fran�ois pour un couteau * & chacun avoit, dans ce temsja frénéiie de porter fon argent réel pour avoir part aux a étions chimériques d�un prétendu Doradoy on conviendra que fi les Sauvages de la Nouvelle Orléans eufient été alors à Paris, ils auroient dit j avec jufte raifon , que les Fran�ois avoient perdu l�efprit, ou plut�t ils les auroient pris pour des Jongleurs on prétend que ce furent ces prétendues mines qui perdirent M. de la Salle , lorfqu�il manqua l�embouchure du Miflifl�pi en 1684. Il ne fai foie pas reflexion que l�intérieur de ce grand continent renfermoit des tréforsplus précieux qui croient la culture de la terre, mere commune de tous
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Ci'iC) Nouveaux Voyages
les hommes, & la riche fie des États.
Nous fumes obligés de prolonger la c�te de la nouvelle Floride, & le trente-feptieme jour nous nous trouv�mes à peu de diitance de la Louihane. Pour comble de malheur un vent furieux nous mit en danger de périr, & nous for�a d�aller reconnoitre Pille de Cuba, ou n�ayant point trouvé d�Elcadre, nous juge�mes que les Ang�ois en avoient levé le fiége ; mais nous allions nous prendre au trébuchet comme vous le verrez par la fuite.
Nous réfol�mes donc de rel�cher à la Havane pour y prendre des vivres qui nous manquoient > & un Pilote c�tier ; nous nous trouv�mes dans la Rade le jour de la Nativité de notre Dame le 8 de Septembre jj62 , nous m�mes pavillon en berne , & tir�mes plufieurs coups de canons pour appeller du fecours, nous f�mes fur pris de ne voir venir perfonne ; mais approchant toujours, & au moment d�entrer dans le port, nous apper�umes le Fort Maure prefque détruit, ce qui nous fit prendre la réfolution de mettre notre canot à Peau avec des
aux Indes Occidentales. 22j Officiers pour aller à la decouverte. Ce Canot rencontra par hafard une balandre Efpagnole, ou petit batiment de tranfport,qui fortoit du port, ayant à bord des familles de la meme Nation , avec un paiTe-port du Gouverneur Anglois Milord d Albermale; nous appr�mes par le Patron que la ville & tous les forts s�étoient rendus aux Anglois le 12 d�Ao�t 17<52.
Nous revir�mes de bord à finftant; une Fregate Angloife fe détacha pour nous donner la charte ; mais la Providence qui veilloit à notre confcrvation nous envoya un brouillard fort épais, & nous entr�mes à la faveur de la nuit dans le canal de Bahama.
Quelques jours après nous apper��mes un vaifleau précédé de deux bateaux. Nous reconn�mes bient�t à fa man�uvre que c�étoit un Corfaire de Tille de la Providence , que les deux bateaux quil envoyoit étoient des prifes faites fur nos compatriotes en effet il vint nous attaquer,nous le re��mes très-bien,quoi qu inférieurs deqc nons (1) ; alors ne nous en rappor
(1) Il eft à propos d'obfcrvcr ici que M, ic
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�2 2 S Nouveaux Voyages tant pas aux Officiers & Canoniers Maichands, chacun de nous fit vaJoir fes talents, & l�expérience qu�il avoir du fervice de l�artillerie; elle lut 1er vie de maniéré qu�après environ trois heures d�un combat très-vif.�
Anglois prefque défemparé , & ne pouvant plus foutenir la vivacité de notre feu, fut contraint de fe retirer , & nous l�mes aflez heureux pour n�avoir eu perfonne de tué ni de blefTé ; mais notre navire fut percé d�outre en outre , nos voiles, nos man�uvres tellement endommagées, qu�après le combat il fa�ut les rechanger.
Nous cour�mes pendant le�combat ie plus grand danger du monde , le vent ayant renvoyé un vallet de canon enflammé dans notre navire il mit le feu à une caille de cartouches qui etoitlur le pont; mais heureufemenc
Keileicc nous en �ta deux en partant de la Nouvelle Orléans, & que ce b�timent qui avoir amené � la Louif�ane l�Etat Major du Keginient d Angouniois, éto;t monté de 14 canons ; il eft très-certain que fi nous eu/Hons en le meme nombre > le Corfaire étoit à nous &vec tes prit es.
aux Indes Occidentales* 229 il ne fe communiqua pas à la SainteBarbe, ce qui nous eut fait fauter.
Cependant les vents nous étoient contraires, & nous étions en pleine mer , fans f�avoir quand nous pourrions aborder à terre. Nous voyions chaque jour cro�tre le danger de mourir de faim , étant déjà réduits à ne manger que le quart du néceffaire. Nous tinmes notre petit confeil entre nous, & nous réfolumes d�attaquer le premier vaiffeau ennemi que nous rencontrerions, ou de faire une defcente fur les c�tes de la nouvelle Angleterre , par le travers defquelles nous étions, afin d�avoir des vivres ou de périr les armes à la main. L�entreprife étoit hardie, 8c fi je l�ofe dire , téméraire ; mais comme dit le proverbe, la faim chaffe le loup hors du bois : nous étions fur le point d�en venir à cette extrémité, lorfque par un effet de la Providence qui veilloit fur nous, nous apper��mes un gros navire, nous arriv�mes (1) aufl�t�t 8c
(1) c�eft aller droit fur un vaifTeau à la faveur d'un vent large ou en poupe.
2go Nouveaux Voyages port�mes fur lui , déterminés à lui donner l�abordage, attendu qu�il paroiiloit être plus fort que nous en artillerie ; nous arbor�mes d�abord pavillon Anglois, ce qui ne l�empêcha pas de prendre chafle ; mais ayant le vent fur lui, il fe difpofa au combat par une man�uvre qui en eut impofé à tout autre qu�à des affamés ; nous affur�mes notre pavillon fuivant la loi d�un coup de canon, 8c l�ayant rangé ( i) J nous lui donn�mes la bordée, qui le fit amener (2) fur le champ. Sa cargaifon étoit très - riche ; nous lui enlev�mes Ion artillerie, ainfi que plufieurs caii�es de rufils , de piftolets, 3c de fabres, qui fervirent à nous armer ; mais nous ne lui trouv�mes que trèspeu de vivres, attendu qu�i� étoit à la fin de fa traverfée. Après l�avoir ran�onné, nous ne lui Jaifs�més des vivres, que pour fe rendre à la Caroline , lieu de fa cleffiaation ; il n�en
1
)
(r) Ranger un batiment, c�efi: rapprocher à bonne & raifonnable diftance.
(1) C�eic mettre pavillon bis, & amener les voiles pour fe rendre à l�ennemi.

aux Indes Occidentales. 251
étoit éloigné que d'environ 70 lieues.
Enfin nous cr�mes pouvoir prendre la route d'Europe avec ce que nous avions de vivres, dans l�efpérance qu'étant bien armés, nous ferions quelqu�autre prife, ou que nous pourrions rel�cher aux A�ores (1) ; mais nous f�mes trompés dans notre attente ; toujours contrariés par les vents, nous ne p�mes aborder nulle part, & n�ayant rencontré aucun vailleau, nous f�mes réduits, l�efpace de 50 jours, à la plus af�reufe mifére, n�ayant que 3 onces de biicuit, & une demi bouteille d*eau par jour (2).
Ce foible fecours nous eut bient�t manqué, fi la tempête la plus violente ne nous e�t, après mille dangers j fait aborder heureufement en �fpagne le quatre vingt- quatorzième
(1) Ifle de rOcéan Atlantique , entre l�Europe & l�Amérique Septentrionale.
( 2 ) Nous avions trouvé , dans le vari�eau Angl ois,trente quarts d�orge mondé, qui nous furent d�un grand fecours ; nous le faifions cuire à l�eau avec du bifcuit moili, tout cela faifoitun potage rafraichiffant que nous trouvions d�un grand go�t j tant il eft vrai que la faim eft le meilleur de tous les rago�ts.
2^2 Nouveaux Voyages jour de notre traverfée, après avoir manqué de périr par les flots, le fer j le feu , la faim , la loif, &c. &c.
Nos premiers foins, à notre arrivée au Port, turent de rendre à l�Etre Suprême des aétions de gr�ces par un Te Deum , qui fut entonné par M. l�Abbé Piquet ( I ), au bruit d�une falve générale de toute notre mouf� queterie.
Nous avons trouvé de rel�che, le Chevalier de Ternay., commandant FEfcadre Fran�oife venant de fa glorieufe expédition de rifle de TerreNeuve. Ce brave Officier fut trèsfurpris de voir dans notre b�timent nombre de foldats en état d�être utiles au fecours de la Louifiane, renvoyés dans les circonftances de la guerre. Il en fit pafFer une partie fur les vaiffeaux de fon Efcadre, pour y fervir le refte de la campagne ; les au
(i) L�Abbé Piquet eft le même qui préfenta en 1754, des Sauvages au Roi; il jouilToit d�une grande réputation au Canada 5 il eft neveu de Mefi�re Fran�ois Piquet, mort Ambafladeur du Roi très-Chrétien auprès du Roi de Siam �
aux Indes Occidentales. 23? très, munis de leurs conges, f�gnés de Kerlerec & Foucaut, débarquèrent & s�engagèrent chez les Efpagnols pour l�armée du Portugal.
Nous defcend�mes à terre le jour de la Touffaint premier Novembre 1762 ; nous all�mes faire une vihte en corps au Marquis de Croix , Capitaine Général au Royaume de Galice. Ce Seigneur nous fit un accueil des plus gracieux ; de là nous all�mes chez M. David, Conful Général de la Nation Fran�oile en Galice , 3c réfident à la Corogne. Nous le pri�mes de nous avancer nos befoins les plus preffans , nous trouvant fans argent pour pouvoir fubfifter en route chez les Efpagnols ; il nous répondit qu�il n�avoit point d�ordre pour le faire ; mais que lorfqu�il s�agif�oit d�obliger d�honnêtes gens, il prenoit tout fur lui. Nous le remerci�mes de fes bontés.
Enfuite nous étant un peu remis delà fatigue de notre voyage^ nous nous difpofons à partir par terre pour nous rendre en France. Nous comptons arriver à la Cour les premiers jours de Janvier 1763.

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Nouveaux Voyages
Je crois n�avoir rien oublié d�eflentiel pendant le cours de notre corlefpondance, 8c j�ai t�ché de la faire avec toute l�exactitude d�un voyageur, femblable a 1 abeille qui travaille pour 1 utilité des autres. Je ne vous parle point de ma fortune , vous avez fufifamment remarqué dans le cours de mes lettres,tous les défagrcmens que j�ai el�uyés, pour n�avoir point approuvé les abus inouis qu�on a fait de l�autorité , 8c pour m�être roidi contre le torrent. J�avois demandé la permiffion de repafTer en Europe par Foccafion des vaiffeaux neutres , ce qui m�a été conftamment réfuté,fous différens prétextes par le Gouverneur, qui m�a forcé enfuite de partir fur un vaifTeai� marchand , o� j�ai été expofé à périr ainfi que vous l�avez vu.
A regard des récompenfes, ne fuffit-il pas à un Citoyen d�avoir été fidèle au Roi 8c utile à fa Patrie ? ce n�eft qu�en cette conf�dération que j�ofe elpérer gu Miniftre le plus équitable 8c le plus éclairé, qu�il voudra bien avoir la bonté de faire conno�tre au meilleur de tous les Rois, le zélé ardent d�un Officier qui a eu
aux Indes Occidentales. 2 3 y l�honneur 6c la fatisfaétion de le bien fervir tant en Europe qu�en Amérique; j�attendrai avec une refpeétueufe confiance les récompenfes honorables dues à la valeur militaire ; 6c ces récompenfes de la part de notre auguftc Monarque , me feront mille fois plus précieufes que toutes les richelles du nouveau Monde. En attendant que j�aie l�honneur de vous voir. Je fuis. Moniteur, &c>
A la Corogne le 10 Novembre 1762*
COPIES des Lettres qui ont ete écrites ^ & des Certificats qui ont été expédies à l�Auteur dans les différentes miffions ou il a été employé pour le fervice du Roi,
L E T T.R E
De Al. Rouillé y Minifire de la Alarme , à Al. le Chevalier de Grojfolles, Brigadier des SirJnzes ) SC commandant pour fa Maieflé à Relle-Ijle en Al en
A Verfaillesle 15 Juin 1750*
S UR les témoignages avantageux que vous m�avez rendus, Monfieur,fur le compte du fieur Bofiu, ci-devant Lieutenant au Régiment de Madame la Dauphine , je le propoferai au Roi

pour un emploi dans les Trou pes de fes Colonies; en attendant vous pouvez l�employer pour la difcipline des recrues desColonies qui font àBelle-Ifle; & je m�en remets à vous pour lui régler un traitement qui le mette en état de fe foutenir. Je fuis, &c. Signé. Rouillé.
E XT K AJT de la Lettré de M. le Comte d'Argenton au Sieur Bojju.
A Fontainebleau le premier Octobre 17
C^/est pour vous prévenir que le Roi vient de vous nommer, Monlieur, à une Lieutenance dans les Troupes de fes Colonies ; il eft nécelfaire que vous partiez,fans perdre de tems,pour vous rendre à Rochefort o� vous devez vous embarquer ; vous y recevrez, en même-tems, une
gratification de 300 liv. vous vous adrefferez en arrivant à I Intendant de ia Marine qui vous remettra vos Lettres de Service , & vous vous conformerez aux ordres que vous en recevrez. Sa Majefté s�attend qu�il ne lui reviendra que des témoignages avantageux fur votre compte, & que vous continuerez à lui donner des marques de votre zéie, & de votre fidélité dans le nouvel emploi qu�elle vous a deftiné. Je fuis, &c. Signé. d�Argenson.
OUS Chevalier de l�Ordre Royal & Militaire de St. Louis, Major & Commandant pour le Roi au pays des Illinois:
Certifions,que le Sieur BolTu, Lieutenant des Troupes détachées de la Marine à la Louifiane, a fervi fous nos ordres
avec tout le zélé & l�aRivité d un bon Officier qui a rempli fcrupuleufement tous les devoirs de fon état, dans les différents détachemens o� il a été employé pour le bien du fervice ; fa fanté en ayant été altérée, nous lui avons permis d�aller la rétablir à la Capitale ; en foi de quoi, nous lui avons délivré le préfent pour lui fervir & valoir ce que de raifon. Signé.
Macar�y.
Aux Illinois le v Décembre 1756.
L E TT R E du Gouverneur de la Eouijiane au Minijlre de la Marine.
IV� ONSEIGNEUR,
J ai 1 honneur de vous rendre compte que je n�ai p� me diFpenfer d accorder un coupé d un an au Sieur Boflii^ Lieu
tenant dans ies troupes de cette Colonie ; mais comme les circonftances de la guerre demandoient que ce ne fut que dans un cas de néceffité indifpenfable, je me fuis fait rendre compte de fon état par les Médecins �C les Chirurgiens, qui ont jugé néceffaiie qu�il paffat en France pour prendre les eaux de Bourbonne, afin de prévenir les fuites f�cheufes d�un coup de feu qu�il re�ut, en montant à l�alfaut de Ch�teau-Dauphin ; �t c�eft en conféquence de leurs certificats que je permets à cet Officier de profiter de l�occafion d�un petit b�timent,qui va à S. Domingue , o� il trouvera plus facilement des occafions pour l�Europe ; comme Sa Majefté n�entend point qu�il foit accordé de pairage aux Officiers fur les vaififéaux Marchands, pour éviter les fraix trop difpendieux qui
en
en réfultent , je n�ai pas jugé pouvoir prendre fur moi de le iaire palier aux frais du Roi; il eft cependant de toute juftice que je vous obferve, Monfeigneur , que cet Officier n�eft pas en état de foutenir de telles dépenfes, & encore moins celle de fe rendre à Bourbonne* pour y prendre les bains, étant abfolument dépourvu de toute fortune ; je ne dois pas même manquer de vous obferver qu�allant aux Illinois , le bateau, dans lequel il étoit périt, SC il perdit généralement tout ce qu'ilpofjédoit. M. Dauberville devoit le joindre à moi pour vous demander une gratification pour lui, en dédommagement; mais cet Ordonnateur ' eft a&ueU'ement très-mal, & hors d�état, & pour long-tems ( s�il fe releve de cette maladie) de vacquer à aucune affaire, & le b�timent part.
Le Sieur le Boffu eft un brave
II, Partie, L


242
Officier, & qui, depuis que je fuis dans cette Colonie, a tenu jufau�à prélent une conduite fans reproche ; il a d�ailleurs montré beaucoup de zélé dans toutes les occaiions o� il a été employé pour le bien du fervice; il me paro�t jufte que vous ayez pour agréable ue 1 indemnifer des pertes qu�il a laites, ainli que des frais de Ion pafiage, �t je vous fuppiie d�y avoir égard. Je fuis avec un profond xefpeét, �te. Signé. Kerlerec. A la Nouvelle Orléans le 12 Mars
1757�
COPIE de la heure du Gouverneur de la Louifiane au Sieur bojju , Jurlq mi [Jion qu il a remplie à Tornbekhé.
A la Nouvelle Orléans le 14 Oétobre iv>9>
JE vois, Monlieur, par le détail que vous me faites de la million que vous avez remplie

pourTombekbé, que vous avez elTuyé toutes les fatigues inséparables d'un tel voyage ^ furtout dans la faifon actuelle; vous y etc s arrive a bon port & fans avarie, & je fuis bien perfuadé que vous avez mis toutenufape pour en ufer ainfi, connoiffant, comme je fais,toute votre bonne volonté pour le lervice.
. 1 egard du traitement en
vi vres dont vous me' parlez pour Meilleurs les Officiers , il ne m eft pas poffible d�y rien change pour le moment préfent ; mais j�efpére recevoir, par les premières nouvelles, le réfultat Qe la Cour, fur les fortes �c preflantes ^repréfentations que j ai faites à ce fujet ; je vous
avoue, Monfieur, que je ne puis
me charger de conférer avec M. le Commiflaire au fujet du certificat que M. Bobé a d� lui envoyer , touchant la remife que
L* * ^
1]
S44
vous avez faite au porte des Allibamons ; mais je le ferai preffet vivement par Trudot, �ydeMajor, & je vous ferai part de ce qui fe paflera à cet égard. Je fuis, &c. Signe, KERLEREC.
N ous Fierre Rigaud, Marquis de Vaudreuil, Grand Croix de l'Ordre Royal & Militaire de St Louis, ci-devant Gouverneur, & Lieutenant-Général de toute la Nouvelle France .
Certifions que le fieur Boffu, Capitaine des troupes détachées de la Marine, entretenues par le Pvoi à la Louifiane ,y a fervi pendant le tems que j y ai refté avec la plus grande diftint�on, exactitude & zélé,en foi de quoi nous avons délivre le préfent pour lui fervir & valoir ce que de raifon.
Fait à Paris le 21 Avril 1763. Sis ne.
Vaudreuil.

24>
ousPierre-AnnibaldeVelIe,
Chevalier de l�Ordre Royal & Militaire de S. Louis, LieuteiTt.nt pour le Roi, & ci devant Commandant pour Sa Maiel�é dans les Ville & Citadelle de la Mobile, dans la Province de la Lomliane.
Certifions que le Sieur Bol�u, Capitaine d une Compagnie détachée des Troupes de la iVIarine, entretenues par le Roi à la Louisiane,a fervifious mes ordres avec tout le zélé & Texaélitude pohibles ; il a d ailleurs rempli plulieurs millions importantes�c pénibles chez les Nations Sauvages.
En foi de quoi, nous lui avons figné le préfent Certificat pour lui fervir & valoir ce que de raifon.
Fait à F ans le 17 Mai iy6$�
de Veli.e



24<*
JSj�ous Pierre-Henri d�Erneville, Chevalier de l�ordre Royal & Militaire de St. Louis, ci-devant Commandant des Troupes détachées de la Marine, entretenues per le Roi à la Louifiane.
Certifions que M. Boflu, Capitaine des Troupes de la Marine à la Louifiane, y a fervi avec un zèle infatigable , & que plulieurs faits rapportés dans fa relation fe font paftésfous mes yeux, tant aux Allibamons qu�à la nouvelle Orléans, & comme compagnon du dernier voyage de la Louifiane à la Corogne, en foi de quoi nous avons ligné le préfent. A Paris le premier Septembre 17 66. Signé.
Le Ch. d�Erneville,
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247

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TABLE
-D^j* Lettres contenues dans cet
Ouvrage,
api ,.ui HJ� ��Mi�n mi m SjnaaCOBUSSt^ffrXiS A-^S^-l^SKS^XS^SX.KX Vg :~g3Waf
PREMIERE PARTIE.
J^ettre I. Départ deVAuteur pour VAmérique � defcription de la ville du Cap Fran�ois j cruautés des Espagnols envers les naturels de Vijte de S� Dcmingue ; travaux des mines ^ véritable origine de la maladie de Naples. page i.
Lettre IL L�Auteur part du CapFran�ois pour la Louifiane. Courte Defcription du I ort de la Havane , du fameux golfe du Méxique , & de la nouvelle Orléans. Page 20�
Lettre III. Defcription des cérémonies Religieufes de certains Peuples qui habitent les bords du grand Fleuve du Mijfifj�pi. Conspiration des Natcheq contre les Fran�ois. P. 37.
Lettre IV. Arrivée de VAuteur che^ les Akan�as. Mort funefte des gens de Ferdinand Soto. Réflexion fur Info
L iv
248 Table.
lie des hommes qui cherchoient une montagne d'or. Origine du fameux Dorado. Précis deVHifloire tragique de la mort de M, de la Salle. p, 80.
Lettre V. Defcription des m�urs de la Nation des Akan�as, leur Religion , leur maniéré défaire la guerre, la bonté & la fertilité de leur pays,
page 108
Lettre VI. Récit de ce qui efl arrivé à � Auteur durant fa navigation des Akan�as aux Illinois. Naufrage du St, Louis fateau du Roi q téil montoit, U tombe dans le Mijjiffipi. Un Akan�as lut fauve la vie, page 126.
Lettre VII. Defcription de la guerre que la Nation des Renards a faite aux Illinois, & dont VAuteur a été té-~ moin. Comment les Fran�ois je font établis parmi ces Peuples, page 144.
Lettre VIII. U Auteur part du pays des Illinois pour la Nouvelle Orléans, Arrivée de M. de Kerlerec, Départ du Marquis de Vaudreuil. Secondvoyage de VAuteur che^ les Illinois, Trait héro�que (P un pere qui Je facrife pour fon fris.
T A E I E. 249
Lettre IX. Départ de VAuteur de cke\ les Koakias, pour fe rendre au Fort de Chartres. Ses obfervations fur la population de VAmérique� Fefcription dé une Caravane d'flépkans arrivés aux environs de la Rivière d'Oyo*
page 204
Lettre X. VAuteur quitte les Illinois* Sa navigation en dejcendant le Mif-JiJJipi j il campe dans une ifle que forme ce Fleuve. Ses Soldats Ven re�oivent Gouverneur* page 227
Lettre XI. Lé Auteur part pour l'Europe* Il combat en route-un Cor faire Anglois. Il s'embarque au Cap Fran�ais fur une jlot-e de 26 Vaiffeaux Marchands qui furent prefque tous pris à fa vue par les Corfaires. Prife d'un petit Navire ennemi* Son arrivée xi Bref}*
L v
*
2^0
Table.

SECONDE PARTIE;
JTjETTbe XII. VAuteur arrive a la Cour 9 y re�oit une gratification du Roi avec ordre de fe rendre a Rochefort. Il s'y embarque pour la LouiJ�ane. page I
Lettre XIII. U Auteur part de Rochef or t. Rencontre de trois VaijJeaux Marchandes Anglois ^ pris par M. de Place y dont un fut brillé Vautre coulé a fond. Il rel�che a Vijle de la Grenade. Navigation près de la Jaindique. page 4
Lettre XIV. U Auteur part de Va nouvelle Orléans pour les Allibamons. Sa navigation fur le Lac Pontchartrain* Courte defeription de la Mobile, p. 7
Lettre XV. U Auteur part de la Mobile pour les Allibamons, Ample defeription des m�urs de ces Peuples. Leur maniéré de punir Vadultéré,
page 13
Lettre XVI. Deuil & fa�on d'enterrer les morts che\ les Allibamons 3
Table. 2$i
juf�ice qu�ls rendirent au Chevalier cTErneville pour un foldat tue par un jeune Sauvage 3 leur Religion j leurs rufes pour attraper les chevreuils à la chajje j Cf les dindes j'auvagcsj p. 40
Lettre XVII. U Auteur part du pays des Allibamons. Sa navigation dans la riviere de Tombekbé. Comment il échappe a la voracité d�un crocodile. Rencontre d�un parti de Chaélas révoltés .VAuteur les ramene au devoir� Son retour a la Mobile> page 73
Lettre XVIII. Defcription du pays des Chaélas. Leurs guerres. Leur maniéré de traiter leurs maladies. Leurs fupejlitions. Leur commerce. Leurs jeux d'exercice. Pays des Tchikachas> nos ennemis, page 87.
Lettre XIX. L Auteur retourne a la Mobile. Evenemens remarquables arrivés dans Vljle aux Chats ,Mort tragique du Sieur Duroux} Commandant de cette IJle. page 117
Lettre XX. L'Auteur part pour la Nouvelle Orléans. Caufe des troubles qui l�agitent. Bifloire pathétique de la captivité de M� de BeUe-�jU che\ /es
L vj
2J2 T A B L �.
Attakapas. Animaux curieux & fim~* pies faiutairesJ qui fe trouvent a la ' Louif�ane. page *33
Lettre XXL ReJIexions fur la population de VAmérique ; cette contrée n a pas été inconnue aux anciens ; il paro�t qu'elle efi liée a VA fie du coté de la Tartarie ; c'efi par-là que les hommes qui Vont peuplée ont d� naturellement pajjer. Difiertation Varia maniéré de conferver fa fanté dans le nouveau Monde. page 184
Lettre XXII. L'Auteur revient en France ; dangers qu'il court au Cap de la Floride ; origine d'une prétendue Fontaine de Jouvence ; fon vaiffeau échappe aux Anglois ; combat contre un die leurs Corfaires ; il court rifque d'être br�lé ; projet d'une defcente fur les c�tes de la nouvelle Angleterre ; prifie d'un vaijfeau ennemi; arrivée de l'Auteur à la Corogne,
page 2x�
Fin de la Table.


9� �*�:
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A PP R OBATIO N.
*p 3ai lu , pal* ordre de Monfeigneur le ViceChancelier, un Manufcrit intitulé : Nouveaux Voyages de M. BoJJu, Capitaine dans les Troupes de la Marine, aux Indes Occidentales y cet ouvrage très-curieux & très-inftructif, ne refpire que l�amour de la patrie & le bien du fervice; je le crois très-utile aux Officiers qui feront deffinés a fèrvir dans les Colonies que l�Auteur a habitées pendant longtems ; les Naturalises le liront avec fruit, & les m�urs des peuples dont cet Officier nous donne le détail le plus circonstancié, ne contribueront pas peu à nous infpirer de nouveaux fentimens de zélé, d�attachement 8c de fidélité envers notre Souverain.
A Paris ce 8 Décembre 176s. Signét PONCET DE LA GRAVE.
PRIVILEGE DU ROI.
IOUIS , par la Gr�ce de Dieu , Roi de France et _ y de Navarre: A nos ames & féaux Confeillers les Gens fenans nos Cours de Parlement, Ma�tres des Requêtes ordinaires de notre H�tel , Grand Confeil , Prév�t de Paris , Bait�fs, Sénéchaux, leurs Lieurenans Civils & autres nos Ju ffic-iers qu�il appartiendra ; Salut: Notre amc le Sieur ToJJ'u , Capitaine dans les Troupes de la Marine , aux Indes Occidentales, nous a fait expo fer qu�il def�reroit faire imprimer & donner au Public fes Nouveaux Voyages : s�il nous niailoit lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce réccfiaires :A ces causes, voulant favorablement traiter l�Expo faut , Nous lui avons permis & permettons , par ces Préfentes , de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui lernblera , & de le faire vendre & débiter par tout notre Royaume pendant le tems de (�x années oonfécutives, � compter du jour de la date des Préfentes : Faifcms défenfes à tous Imprimeurs, Libraires & autres peifonhcs de quelque qualité & condition qu�elles fuient , d�en introduire d�imprel��on étrangère dans aucun lieu de notre obéiffance ; comme auffi d�imprimer ou faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter , ni contrefaire ledit Otmagc 1 tii d�en faire me uns cxt�àits, fous quelque



prétexte que ce puiflTe être , fans �a peimif��on exprefTe <k s~� par éci ir dudit Expofant, ou de celui qui aura droit de lui� a peine de con h (cation des Exemplaires contrefaits , & de trois mille lunes d�amende contre chacun des conttevenans � dont un lie s à Nous, un tiers à l�H�tel Dieu de Pans� l�autre tiers audit, Expofanr , ou à celui qui aura droit de lui , & de tous dépens , dommages , &c intérêts , à la charge que ces Préfentes feront enregiftrees tout au long fur le Repiitre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris , dans trois mois de la dace d�icelles > que l�imprefbori dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier & beauxcaraeléres ; que l�Impétrant fe conformera en tout aux R.eglemens de la Librairie,
& notamment à celui du io Avril 1715 , & qu�avant que de l�expofer en vente , le Manufcrit qui aura fervi de copie à l�impreflion dudit Ouvrage , fera remis dans le même �tac o� l�approbation y aura été donnée , es mains de notre très-cher & féal Chevalier, Chancelier de Fiance , le Sieur Delamoignon, & qu�il en fera enfuite remis deux Exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un dans celle de notre Ch�teau du Louvre , un dans celle dudit Sieur Delamoignon�
& un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier, ViceChancelier , �c Garde des Sceaux de France , le Sieur'de Maupou ; le tout à peine de nullité des Préfentes ; du contenu defquelies , vous mandons & enjoignons de faite jouir ledit Fxpofant ou fes ayans caufe pleinement & paifrblemenr fins fouffrir qu�il leur foit fait aucun trouble �u empêchement. Voulons qu�à la copie des Prélentes � qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, foi foit ajoutée comme à l�Original. Commandons au premier notre Huiflier ou Seigent fur ce requis , de faire pour l�exécution d�icelles , tous Aètes requis & néceflaires , fans demander autre permiflion , & nonobrtant clameur de haro, Charte Normande & Lettres.
3 ce contraires. Car tel est notre plaisir. Donné à Ver;ailles le quatrième jour du mois de Mars , l�an de gr�ce *767. 6c de notre régné le cinquante - deuxième. Pat le Roi en fon Confeil.
LE BEGUE.
R^gifrc fur le Regifre XVll� de la Chambre Royale & Syndicale des Libraires Imprimeurs de Paris j N�, 1239. fbL 23?. conformément aux Reglemens de 17 2 qui fait défenfes article 41 à toutes perfonnes de quelque qualité & condition qu'elles foient, autres que les Libraires Imprimeurs, de vendrez débiter , faire afficher aucuns livres pour les vendre en leurs noms foit qu'ils s'en difent les 'auteurs ou autrement � 6* à la charge de fournir à la fuflite Chambre neuf exemplaires preferits par l'art. io� dit mime Reglement* A Paris ce 23 Juin 1767.
G A N � A � j Syndic.
n
a
E foufiigné , certifie avoir cédé & tranfporté un Ouvrage de ma compofition intitulé : Nouveaux Voyages de M. le Bojf'u aux Indes Occidentales % avec le Privilège y joint, ainfi que les planches que j�ai fait graver pour cet Ouvrage , au Sieur Le Jay, Libraire* pour le faire imprimer autant de fois que bon luHemblera, & pour en jouir lui & fes hoirs à perpétuité � comme d�un Ouvrage à lui appartenant; lui cédant tous mes droits & prétentions fur cet objet, moyennant le prix convenu entre nous. A Paris ce 3i%0<5tobre 1767. Signé. BOSSU,
Begiflré la préfente CeJJion fur le Regiftre XVIL de la Chambre Royale
Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, nQ< 408. conformement aux anciens Réglemens j confirmés par celui du 2$ Février 172 3. /i Paris ce 24 Février 1768. Signé.
GANEAU, Syndic,
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CATALOGUE
Des Livres de fonds j ou qui fe trouve en nombre chej le même Libraire.
IE T T r e s de Sophie 8c du Chevalier j de***, pour fervir de fupléinent aux Lettres du Marquis de Rofelle, z vol in-n, nouvelle édion. 3 1.
De Tout un Peu, ou les Amufemens de la Campagne , un vol. in-n , 1 1. 10 f.
Suite De Tout un Peu , faifant le Tome fécond il. 10 �
Le Go�t de bien des Gens, ou Nouveau Recueil de Contes moraux & amufans , un vol. in-iz , nouvelle édition il. 16f, Mémoires dune Religieufe, 2 vol. in.iz �
z I. 8 C
Mémoires du Marquis de Solanges, 2 vol.
in-11 , nouvelle édition , 3 h
Penfées Philofophiques, littéraires & politiques de M Hume, 1 vol. i/z-12, broch* fécondé édition, 2 1. 8 f.
�uvres du même, 6 vol, rel. en * petit format, édition de Londres. 12 1. io f.
L'Homme Sauvage , par M, Mercier , 1 vol.
in-11 , fécondé édition 1 h 1C C
La Simpathie , brochure in-iz , par le même,
18 f.
Les Amours de Cberale, poeme en 6 chants, en profe, fuivi du bon Génie , brochure in - 12, par le même , 1 b
Eloge de Charles V� Roi de France, qui %
2 f 6
csa
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257
concouru pour le prix de l�Academie Fran�oife en 1767, avec fig., par le même,
1 1. 4 f.
Difcours qui a remporté le prix à l�Académie de Marfeille , par M. de Chamfort, i? f.
Eflai iur le Feu facré & fur les Vefiales, par l�Auteur d�Ericie ou la Veftale. 1 l.iof.
L�Efprit de Sully, nouvelle édition augmentée de plu (leurs Lettres d�Henri IV *au Duc de Sully. f il. 16 C
Les Effets des Pallions, ou les Mémoires de Floricourt, 3 vol. in-11, 4 1. 4 f.
Nouveaux Voyag<es aux Indes Occidentales, par M. BofFu > Capitaine dans les troupes de la Marine, contenant la defcription de la Louifiane , & des Peuples qui habitent cette vafte région , i^vol. in- i 2 , broc, avec figures , 3 L 12 f.
Le Go�t de bien des Gens, tome fécond, paroitra incefiamment.
Ouvrages avec EJlampes.
Lettre du Lord - Velfort à Milord Dirton fon oncle, brochure in-8�. figures, vignette & cul de lampe , 2 1. 8 f.
Recueil de Romances Hiftoriques, tendres & burlefques, tant anciennes que modernes, 1 vol. in-8�. orné de figures, de vignettes & fleurons , faifant fuite à l�Anthologie Fran�oife, broc.
Lettre de Dulis d fon ami, par M. Mercier, nouvelle édition, avec de nouvelles eftampes, vignette & cul de lampe , 1 1. 16 f.
Les ;perfonnes qui auront la premiere édition, pourront fe prot urer l�ejtampe & la vignette, �> les augmentations, moyennant 11 C
(
sy8
Lettre de l�Abbé de Rancé à Ton ami, première édition, premières épreuves, 11. 4 f. Les Sens, Poeme en fix Chants, i voL in 8�* première édition, 8c premières épreuves des figures , 7 1. 4 f*
Ouvrages de M. d'Arnaud.
Le Comte de Comminge, Drame, 3 me. edition, & nouvelle eitampe, augmentée d�un nouveau difcours fur Part dramatique, 8c
d un précis plus détaillé de l�hiftoire de la Trappe. p^
Euphémie ou le Triomphe de la Religion� Drame en 3 a êtes en vers, avec une préface , des Letties a 1 occafion de la Pièce 8c les Mémoires d�Euphémte. 4 1. 4 �
Fanni, ou la-Nouvelle Pamela, Hiftoire Angloife, z/z-8�. fig. - z p g �
Lucie & Melanie, Anecdote hiftorique, z7z-8
TT. il. itff.
Uary, Hiftoire Ang�oife in- S \ fig. il. 16 f. Julie , Anecdote , in-8�. fig. 1 �. 16 f.
Nancy, niitoire Ang�oife ,1/2-8�. f�g. il. i/>� Batilde,Anecdote hiitor�que. i/z�8c. hg.zl. 8 � <57# autres ou�r �ges de ce genre, paroitront fuceffivement dans le courant de 1768.
Sidney & Silly, fuivi d�un Recueil dodes anacréon tiques 1 vol. z/2-11. il. i0�
Pièces de Thé�tre,
La Bergere des Alpes, Comédie en un aéte, aen vers , par M. Desfontaines. il. 4 f. L�aveugle de Palmyre, Comédie en 1 actes en vers , mêlée d�ariettes, par le même,
1 1. 4 f,
Toinon & Toinette, Comédie en 2 aétes, mêlée d�ariettes , 1 1. 4 f.
syp
Pierre le Grand , Tragédie , I 1* 10 R
Le Triomphe de la probité , Comédie en 2 aéles , par Madame Bénoic. il. 4
Ouvrages fous prejje.
Songes Philofophiques , par M. Mercier , 1 vol. in-11. rel. 3 1* 11 G
Hifloires Morales, fuivies d'une correfpondance Epiftolairc entre deux Dames. 1 vol. i/2-12. broc. 1 1- 10 f.
Suite du Catalogue J par ajfortiment.
Abrégé de PHiftoire de France , par M. le Prefident Henaut, 3 vol. in-12. br. 11 1. Abrégé de PHiftoire Ecdéfiafxique , par M.
Racine, 15 vol. in-iz rel. 60 1.
Abrégé Chronologique de l�Hilloire d'Efpagne, par M. Delormeaux , 5 vol. z/2-12, rel. 12.1. 10 l.
Anecdotes Hiftoriques des Rois de France , nouvelle édition confieérablement augmentée , par M. Dreux Duradier, 3 vol i/z-12.
7 1. 10 f.
Angola , Hiftoire Indienne avec f�g. nouvelle édition , z part broché. 3 L
Candide ou Poptimifme, I vol. bro., 1 1. 16 f. Chef d'C�vre d'un inconnu, par Mathanafius � 2 vol. reliés ,grand z/2-12. 4 1. 10 f.
Caractères de laBruycre ,2 vol. in-iz reh 4 1. Comptes faits de Barème , 1 vol. in-12
rel., 2 1. 10 h,
Contes Moraux , par M. Marmontel, 3 vol.
in-11 rel. fig. 1 f F
Idem fans fig; . . 7I ioC.
� Contes de la Fontaine , 2 vol. in-iz rel, 4 L Les mêmes en un volume > 3 F 10 L
t

*

n6o
Di&ionnaire de Richelet , 3 vol. in-fol.
Abrégé portatif du même, z7z-3�., 4 1. �0 f. Diélionnaire Géographique & portatif des quatre parties du monde , traduit de VAnglais de Laurent Echard, par M. Vogien ,
^ 4 I. 10 f.
Dictionnaire Hifiorique Portatif contenant Phidoire des Grands Hommes & des perfonnages illustres , &c. par M. PAbbé PAdvocat, in-80 , lo p IO (,
Dictionnaire abrégé de la Fable, par Chompré , un vol. in-iz rel. 2 L 10 C
Dictionnaire Grammatical de la langue fran�oife , in-2Q. 4 1. i0f.
Dictionnaire de muf�que de J. J. Roufléau ,
J/z-4�- 21 l
Jllémens de PHiftoire de France , par M.
Millot , 2 vol. in-11 rel. 5 ],
Eloge de la folie, un vol. in-12 fig. 3 J. EFaisfur Paris, par M. de Saintfoix, 5 vol, in-12 rel 12 1. to f.
Efprit de J. J. Rondeau, r vol. in~n rel. 3 ]# Efprit des Loix,par M. de Montefquieu,4 voL rel. iol.
Efpion Turc dans les Cours de l�Europe, t in-12 , 5 vol. rel. 22 1. iof.
Efprit de la Ligue , 3 vol. z/z-12 rel. 7 1. 10 f. Ei�ai Philofophique concernant Pentendement humain de Loke , traduit par M. C0fte ,
4 vol. zn�12 , I0 L
Eflais fur l'Electricité des corps, par M. PAbbé Nollet, 1 vol. rel. 3. J.
E��ai fur Phomme , par Pope, nouvellement traduit par PAbbé Millot, 1 vol, 3. L

f
2 6r
Fables de laFontaine, i volzVz-ii rel. 3 l.io fi - Les mêmes, 1 vol. 1 1. 10 fi
Grammaire de Rellaut , 1 vol rel. 3 1. Henriade (la) avec les variantes , par M.
de Voltaire, nouvelle édition in-12 rel. 3 1. Hifloire de France , par Mrs. Velly , Vil� laret, & Garnier , 18 vol. rel. in-12 , $4 1. Hidoire de l�Empire de Rallie , fous Pierre le Grand , par M. de Voltaire, 2 vol. in-12 rel. 5 4
Hifloire de Charles XII. par le même , 2 vol. in-12 f 3 1. 10
Hifloire de MifT C�arilTe Harlove , 12 vofi in-12. M h
Hifloire du Chevalier GrandifTon, par 1 Abbe Prévoft, 8 vol. in-12. 16, liv.
Hifloire de Gilblasde Santillane,^ vol.rel.iofi Hifloire Naturelle de M. de BulFon, 28 vol.
in-12 , 100 1.
Hifloire de France, par Mezerai, 14 vol. 3 ? 1.
Lettres d�une Péruvienne , nouvelle édition augmentée de plufieurs lettres, d�une intro* duétion a l�hifloire , fuivies des Lettres d�Aza, pur Madame de Graffigny, 2 voL
Z/2" 12 , 5 h
Lettres Turques ou deNedim Coggia, nouv.
édition, 2 part. bio. 3 fi
Lettre Amoureule d�Héloife à Abaillard, traduction libre, de M. Pope , par M. Colardeau , bro. SX fig. 1 1. 10 C
Lettres de Madame de Sévigné a Madame de Grignand fa fille, nouvelle édition augmentée , 3 vol. in-12 y 16 1,
Lettres Perfiannes, 1 vol. in-12 , 2 1. 10 f.
Le�ons de Phyfique experimentale par Mi l�Abbé Nollet, 6 vol. in-n> 11 L
z62
Tom-Jones ou l�Enfant Trouvé , 4me. edi-� tion , 4 vol in- r 2 rel. io l*
Traité de POrtographe Fran�oife en forme de Dictionnaire, par M. Reitauc, f/z-8�. 7 L Vie de Henry IV , parM. de Perefixe , 2 vol. reliés en un, 3 1.

snrsssssssag*

Catalogue général des Thé�tres�
heatre deM. de Voltaire, $ vol. 1/2-12,
Ml*
GEuvres de Piron, 3 vol. f/2-12, belles flgures > 5? 1.
�-de Mari vaux,Thé�tre Fr an� .& Irai. 2/2-12, 7 vol. ^ ' 2I 1.
�de M. Panard, en 5 vol. i/2-12 , 12 1.
� & �uvre's de Fagan, 4 vol. z/7-12 , 10 1.
� de Philippe Poihon , 2 vol. z/z-12 , 5 1,
� de Eoindin, 2 vol. z/z-12 , 5 1.
�-deM. PaliiTdt, 3 vol. in� r 2, 7 1. 10 /�
�de V***, z/z-12 , 3 J.
-de Madame de Gradinv , z/2-12 ,
�de 'a Noue, 1 vol z/z-12,
�de Duché , ou Tragédies faintes,
3 h 3 1. vol.
3 h
Z/Z-12 ,
� de PA�ichard , un vol. f/2-12 , 2 1. 10 f.
-�d�un Inconnu , � vol z/z-12, 2 1. lof.
�de la Motte, 1 vol. z/z-12 , 3 ]#
�-de Delaunay, un volume z/z-12, 3 J.
� de Guyot de Merville,3 vol. i/z-12,7 1. iof
�de Co�ardeau, un volume, 3 ].
�de le Franc , quatre volumes . 81.
-�de MoiiPy, un volume f/7-12 , 3 1.
�des Boulevards, ou les Parader trois volumes z/z-12 , 7 1. �o f.
2.6$
� Bourgeois, ou Receuil de Pièces Bourgeois , in-12 , 3 1.
de la Grange , z/7-80, 3 1.
deRomagnefi&R.iccoboni,r voI.z7z-8� ? 1*
-�d�Aviffe , un volume z/z-8p , 3 J,
� de Boif�y, z/z-8p , 5? vol. nouv.édit. 36 L
�-de PefTelier, un volume, z/2-80 , 5 J.
� de Campagne , Receuil de parades,
z/2-8p, 5 1.
� de M. Favart, avec figures & Mufique ,
40 1.
�deVadé , avec les airs notés, 4 volumes in- 8 9, 20 1*
-�d�Anfeaume, 3 vol. z7z-8p , avec les airs notés, . 15 1.
�de Poinfinet, 2 vol. in-8�, Mufique, 10 1. N ouveau Thé�tre Fran�ois 3c Italien , 8 vol, in-8�, 40 1.
Supplément aux Thé�tres Fran�ois 3c Italien, 6 vol- in� t 2 , 1 j 1.
Ancien Thé�tre de la Foire, 10 vol. in-12,30!. Nouveau Thé�tre de la Foire, 5 vol. z/2-8p,201. �uvres de P. Corneille, 10 vol. z/z-12 , 20 1.
de T. Corneille, 9 vol. z/z-12 , 18 1.
�de Racine, trois volumes z/z-12 >6 1. 15 f. -Les mêmes , z/2-4? , 3 vol. 60 1.
� de Crébillon , 3 volumes z/z-12, 6i. 15 n
�de Campiftron, 3 vol z/z-12, 7 1. 10 f. Les mêmes petit format , 6 1,
� de Moliere, 8 vol. z/z-12 , 16 1.
� Les mêmes, in-4� , 6 volumes, 96 L
�-De Regnard, 4 vol. z/z-12, ' ^ 1.
� De Da ncourt, 12 volumes, 24 J, �Te IaGrange-Chancel, 5 vol. z/z-12,18 1.
� D eDeftouches, 10 vol. z/z-12 , 20 1,
De la Chauffée, f vol. z/z-12 , 10 1. 10 f. �De Baron, 3 vol. i/z-12 8 1. 15 fi.
'2 <?4 _ �
� De M. de Sainfo�x, 4 vol. in-i 1 , 10 Lv
�� De Campmeflé, i vol. z/2-11 , 5 1.
�De Pradon , 1 vol. f/7-11 , 5 1.
1� De la Folle, 1 vol z/z-i 2, 4 1.
���-De la Fond , un volume in12 , 21. 10 F.
* De FoifTon , pere, 1 vol. in-11, $ 1.
De la Thuillerie, 1 uol. f/2-12, 2 l! 10 f.
��De Greffet, 2 vol. in-iz, 5 1.
Le Bourfaut, 3 vol, f/2-12 , p 1*
� De le Grand,4vol. f/2-ri,fouspref�e/ii 1. - D�Auteroche, 3 vol. f/z-i2,fouspreffe,9 1. � De Montfleury, 3 vol. in-iz , 9 L
-De Quinaulc, 5 vol. f/2-12 , 12I. iof.
De Morand, 3 vol. f/2-12 , � 1.
De le Sage , 2 vol. z/2-12 , 5 L
-De Dufréni , 4 vol. z/2-12, 22, �.
-De Barbier, un volume, f/2-12 , 2 1. 10 B �D�Autereau , 4 vol. in-12 , to 1.
�-�DeFAbbé Nadal, 3 vol. f/7-12, 7 1.10 f. �� De Danchet, 4 vol. 2/2-8p , 8 1.
De la Fontaine , 4 volumes , 8 U
De Brueys & Pa�aprat, 5 vol. f/2-12, 10 1.
� De le Franc, 3 vol. i/z-12 , 7 1. 10 B
-�r~ De RoufFeau , 5 vol. fra~ 12 , ; 10 1.
Thé�tre Fran�ois, ou Recueil des pièces de 8* l�ancien Thé�tre, f/Z-11, 12 vol. 36 l. Thé�tre Italien de M. Ghéfarpi, 6 vol. 2/2-12 ,
18 1.
Thé�tre Italien, depuis fon établiflement, 10 vol. 2/2-12 , 15 1.
Les parodies dudit Thé�tre, 4 vol. f/2-12 , 12 !.. Thé�tre des Grecs, 6 vol. f/7-12 , L
�uvres de Plaute, 10 vol. f/2-12 , 30 P
On trouve aujji un ajjortimtnt complet dé zoutes les Pièces détachées des deux Thé�ties.
Notes
- Capuchin A Catholic friar.
Text prepared by:
- Sadie Brown
- Madison Stengel
- Joyceann Word
Source
Cable, George Washington. "Posson Jone'" and Père Raphaël: With a New Word Setting Forth How and Why the Two Tales Are One. Illus. Stanley M. Arthurs. New York: Charles Scribner's Sons, 1909. Google Books. Web. 27 Feb. 2012. <http://books. google.com/books?id=bzhLAAAAIAAJ>.
